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Document 62007CJ0300

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 11 juin 2009.
Hans & Christophorus Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik contre AOK Rheinland/Hamburg.
Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Düsseldorf - Allemagne.
Directive 2004/18/CE - Marchés publics de fournitures et de services - Caisses publiques d'assurance maladie - Organismes de droit public - Pouvoirs adjudicateurs - Appel d'offres - Confection et fourniture de chaussures orthopédiques adaptées individuellement aux besoins des patients - Conseils détaillés prodigués aux patients.
Affaire C-300/07.

Recueil de jurisprudence 2009 I-04779

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2009:358

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 juin 2009 ( *1 )

«Directive 2004/18/CE — Marchés publics de fournitures et de services — Caisses publiques d’assurance maladie — Organismes de droit public — Pouvoirs adjudicateurs — Appel d’offres — Confection et fourniture de chaussures orthopédiques adaptées individuellement aux besoins des patients — Conseils détaillés prodigués aux patients»

Dans l’affaire C-300/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne), par décision du 23 mai 2007 , parvenue à la Cour le , dans la procédure

Hans & Christophorus Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik,

contre

AOK Rheinland/Hamburg,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. T. von Danwitz, M me  R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur) et G. Arestis, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M me  C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 juin 2008 ,

considérant les observations présentées:

pour Hans & Christophorus Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik, par M es  H. Glahs, et U. Karpenstein, Rechtsanwälte,

pour AOK Rheinland/Hamburg, par M e A. Neun, Rechtsanwalt,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. G. Wilms et D. Kukovec, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 décembre 2008 ,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1 er , paragraphes 2, sous c) et d), 4, 5 et 9, deuxième alinéa, sous c), première et deuxième hypothèses, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 , relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ( JO L 134, p. 114 ).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hans & Christophorus Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik, à AOK Rheinland/Hamburg au sujet des questions de savoir, premièrement, si les caisses publiques d’assurance maladie allemandes constituent des pouvoirs adjudicateurs aux fins de l’application des règles de la directive 2004/18, deuxièmement, si la mise à disposition par des cordonniers spécialisés, à la suite d’un accord conclu avec la caisse publique d’assurance maladie, de chaussures orthopédiques confectionnées et adaptées individuellement aux besoins des patients, en combinaison avec des conseils détaillés prodigués à ceux-ci avant et après cette mise à disposition, doit être considérée comme un marché de fournitures ou comme un marché de services et, troisièmement, au cas où ladite mise à disposition de chaussures orthopédiques devrait être considérée comme une prestation de services, s’il s’agit en l’occurrence d’une « concession de services » ou d’un « accord-cadre » au sens des dispositions de la directive 2004/18.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3

L’article 1 er de la directive 2004/18, sous l’intitulé « Définitions » , prévoit:

« […]

a)

Les ‘ marchés publics ’ sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de la présente directive.

[…]

c)

Les ‘ marchés publics de fournitures ’ sont des marchés publics autres que ceux visés au point b) ayant pour objet l’achat, le crédit-bail, la location ou la location-vente, avec ou sans option d’achat, de produits.

[…]

d)

Les ‘ marchés publics de services ’ sont des marchés publics autres que les marchés publics de travaux ou de fournitures portant sur la prestation de services visés à l’annexe II.

Un marché public ayant pour objet à la fois des produits et des services visés à l’annexe II est considéré comme un ‘ marché public de services ’ lorsque la valeur des services en question dépasse celle des produits incorporés dans le marché.

Un marché public ayant pour objet des services visés à l’annexe II et ne comportant des activités visées à l’annexe I qu’à titre accessoire par rapport à l’objet principal du marché est considéré comme un marché public de services.

4.    La ‘ concession de services ’ est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de services, à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit assorti d’un prix.

5.    Un ‘ accord-cadre ’ est un accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d’établir les termes régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées.

[…] »

4

L’article 1 er , paragraphe 9, de la directive 2004/18 dispose:

« Sont considérés comme ‘ pouvoirs adjudicateurs ’ : l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.

Par ‘ organisme de droit public ’ , on entend tout organisme:

a)

créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial;

b)

doté de la personnalité juridique, et

c)

dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

Les listes, non exhaustives, des organismes et des catégories d’organismes de droit public qui remplissent les critères énumérés au deuxième alinéa, points a), b) et c), figurent à l’annexe III. Les États membres notifient périodiquement à la Commission les modifications intervenues dans leurs listes. »

5

À l’annexe III de cette directive, au chapitre III intitulé « En Allemagne » , paragraphe 1 « Catégories » , point 1.1. « Collectivités » , quatrième tiret, sont reprises les « Sozialversicherungen (Krankenkassen, Unfall- und Rentenversicherungsträger) [assurances sociales (caisses de maladie, organismes d’assurance contre les accidents et d’assurance pension)] » .

6

L’article 21 de ladite directive prévoit:

« La passation des marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe II B est soumise seulement à l’article 23 et à l’article 35, paragraphe 4. »

7

À l’annexe II B, catégorie 25, de la même directive sont repris les « Services sociaux et sanitaires » .

8

Conformément à l’article 22 de la directive 2004/18:

« Les marchés qui ont pour objet à la fois des services figurant à l’annexe II A et des services figurant à l’annexe II B sont passés conformément aux articles 23 à 55 lorsque la valeur des services figurant à l’annexe II A dépasse celle des services figurant à l’annexe II B. Dans les autres cas, le marché est passé conformément à l’article 23 et à l’article 35, paragraphe 4. »

9

Aux termes de l’article 32, paragraphe 2, de cette directive:

« Aux fins de la conclusion d’un accord-cadre, les pouvoirs adjudicateurs suivent les règles de procédure visées par la présente directive […] »

10

L’article 79 de ladite directive, sous l’intitulé « Modifications » , dispose:

« La Commission peut modifier, conformément à la procédure visée à l’article 77, paragraphe 2:

[…]

d)

les listes des organismes et des catégories d’organismes de droit public visées à l’annexe III, lorsque, sur la base des notifications des États membres, celles-ci s’avèrent nécessaires;

[…] »

11

Enfin, l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999 , sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation ( JO L 171, p. 12 ), prévoit:

« Aux fins de la présente directive, sont également réputés être des contrats de vente les contrats de fourniture de biens de consommation à fabriquer ou à produire. »

La réglementation nationale

12

La présentation de synthèse suivante de la réglementation nationale pertinente ressort des éléments contenus dans le dossier déposé devant la Cour et, notamment, de la décision de renvoi.

13

Le système de santé publique en Allemagne ainsi que l’organisation et le financement des caisses publiques d’assurance maladie sont régis par le code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch), aux livres IV et V de celui-ci (ci-après, respectivement, le « SGB IV » et le « SGB V » ). La tâche confiée par le législateur aux caisses publiques d’assurance maladie est définie comme suit à l’article 1 er , paragraphe 1, du SGB V:

« L’assurance maladie a, en tant que communauté fondée sur le principe de solidarité, pour tâche de préserver, de rétablir ou d’améliorer l’état de santé des assurés. »

14

Il résulte de l’article 4, paragraphe 1, du SGB V que les caisses publiques d’assurance maladie sont des collectivités de droit public dotées de la capacité juridique et possédant un pouvoir d’autogestion. Elles ont été créées en vertu des articles 1 er et 3 du SGB V. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la très grande majorité de la population allemande (environ 90 %) est obligatoirement assurée, en vertu de la loi, auprès d’une caisse publique d’assurance maladie. Les personnes soumises au régime d’assurance obligatoire peuvent opter pour la caisse auprès de laquelle elles souhaitent s’assurer, mais elles ne peuvent pas choisir entre une caisse publique et une caisse privée.

15

La réglementation sur le financement des caisses publiques d’assurance maladie est contenue aux articles 20 à 28 du SGB IV ainsi qu’aux articles 3, 220 et suivants du SGB V. Ce financement est assuré par les cotisations des affiliés à titre obligatoire, par des versements directs de l’État fédéral et par des paiements compensatoires résultant du régime de compensation financière entre caisses publiques et de la péréquation des risques entre elles.

16

D’après la demande de décision préjudicielle, les cotisations des assurés obligatoires, ainsi que la part de celles-ci qui est à la charge de leurs employeurs, constituent le financement largement majoritaire des caisses publiques d’assurance maladie. Le montant des cotisations est uniquement fonction du revenu, à savoir de la capacité contributive, de l’assuré. D’autres éléments, tels que l’âge de l’assuré, son état de santé ou le nombre de personnes assurées de son chef, ne jouent aucun rôle à cet égard. Dans la pratique, la part des cotisations qui est à la charge de l’assuré est retenue sur son salaire par son employeur et est versée à la caisse publique d’assurance maladie avec la part de la cotisation qui est à la charge de celui-ci. Ce sont des obligations de droit public et le recouvrement des cotisations est effectué de manière contraignante, sur la base de dispositions de droit public.

17

Le taux des cotisations est fixé non pas par l’État, mais par les caisses publiques d’assurance maladie. Celles-ci, comme il est prévu dans la réglementation pertinente, doivent calculer les cotisations de manière à ce que, additionnées aux autres ressources, elles couvrent les dépenses prescrites par la loi et garantissent que les moyens d’exploitation et les réserves prescrits par la loi soient disponibles. La fixation du taux des cotisations nécessite une autorisation de l’autorité publique de tutelle de chaque caisse. D’après la demande de décision préjudicielle, le montant des cotisations est dans une certaine mesure juridiquement imposé, puisqu’il doit être fixé de telle manière que les recettes qui en résultent ne soient ni inférieures ni supérieures aux dépenses. Étant donné que, conformément au régime allemand de santé publique, les prestations à fournir sont dans leur grande majorité déterminées par la loi, la caisse publique d’assurance maladie concernée ne peut pratiquement pas influer directement sur le montant de ses dépenses.

18

Afin de maintenir les taux de cotisation des assurés au même niveau, les articles 266 à 268 du SGB V prévoient, sur une base annuelle, des paiements compensatoires entre toutes les caisses publiques d’assurance maladie résultant de la péréquation des risques. Selon les observations de la juridiction de renvoi, il existe, à cet égard, une obligation de solidarité mutuelle entre ces caisses, chacune d’elle ayant un droit à compensation ou une obligation de compensation à concurrence d’un certain montant.

19

Les caisses publiques d’assurance maladie, qui, selon l’article 4, paragraphe 1, du SGB V, possèdent un pouvoir d’autogestion, sont soumises à un contrôle étatique. D’après la demande de décision préjudicielle, ce contrôle ne se limite pas à un simple contrôle de légalité a posteriori.

20

Certaines mesures prises par les caisses publiques d’assurance maladie nécessitent l’autorisation des autorités de tutelle, telles que la modification de leurs statuts et la fixation du taux des cotisations, les opérations de construction ou d’acquisition de terrains et l’obtention de logiciels informatiques, ainsi qu’il résulte des articles 195, paragraphe 1, 220, paragraphe 2, et 241 du SGB V. Les autorités de tutelle sont tenues de vérifier, au moins tous les cinq ans, la gestion commerciale, comptable et opérationnelle des caisses publiques d’assurance maladie soumises à leur contrôle. Ce contrôle, qui s’étend notamment à la rentabilité de l’activité de la caisse en question, peut être plus fréquent (articles 69, paragraphe 2, et 88, paragraphe 1, du SGB IV ainsi que 274, paragraphe 1, du SGB V). Dans le cadre de ces contrôles, l’article 88, paragraphe 2, du SGB IV prévoit que ces caisses sont tenues de communiquer à l’autorité de tutelle tous les documents et toutes les informations nécessaires. En outre, selon les articles 37 et 89, paragraphe 3, du SGB IV, si les organes d’autogestion desdites caisses refusent d’assurer l’exécution des tâches qu’ils sont tenus d’accomplir, ces tâches seront prises en charge par l’autorité de tutelle elle-même.

21

Enfin, le budget prévisionnel de chaque caisse publique d’assurance maladie doit être soumis à temps à l’autorité de tutelle compétente (article 70, paragraphe 5, du SGB IV) et cette dernière peut procéder à la fusion des caisses non viables avec d’autres caisses ou décider leur fermeture (articles 146a, 153, première phrase, point 3, 156, 163, première phrase, point 3, 167, deuxième phrase, et 170 du SGB V).

22

Étant donné que, dans le cadre du système en question, l’assuré possède à l’encontre de la caisse publique d’assurance maladie dont il relève non pas un droit au remboursement des frais, mais un droit à la mise à disposition gratuite des prestations correspondantes (article 2, paragraphe 2, du SGB V), selon le principe des prestations en nature, les caisses publiques d’assurance maladie sont incitées à conclure avec les différents prestataires des contrats de prise en charge multisectorielle ou interdisciplinaire des assurés. Ces « contrats de prise en charge intégrale » , prévus aux articles 140a à 140e du SGB V, sont conclus entre les caisses publiques d’assurance maladie et les différents prestataires admis à prodiguer des soins aux assurés. Ils définissent les rémunérations pour les différentes formules de prise en charge intégrale, qui sont censées rémunérer l’ensemble des prestations auxquelles les assurés recourent dans le cadre de la prise en charge. C’est la caisse publique d’assurance maladie qui est partie au contrat de prise en charge intégrale et débitrice de la rémunération du prestataire. La participation des assurés aux différentes formules de prise en charge intégrale est facultative, mais, si un assuré opte pour une telle formule, il est tenu de recourir aux services des prestataires avec lesquels la caisse publique d’assurance maladie compétente a conclu un tel contrat.

23

Lors de la procédure devant la Cour, deux arrêts du Bundesverfassungsgericht ont également été mentionnés en relation avec la mission des caisses d’assurance maladie en Allemagne.

24

Dans son ordonnance du 9 juin 2004 (2 BvR 1248/03 et 2 BvR 1249/03), le Bundesverfassungsgericht a affirmé ce qui suit:

« Le droit social est l’un des instruments les plus importants de politique sociale de l’État. Dans l’ordre de l’État social établi par la loi fondamentale (Grundgesetz), la protection en cas de maladie est l’une des tâches fondamentales de l’État. Le législateur l’a assumée en assurant la protection de la plus grande partie de la population par l’introduction de l’assurance maladie légale, assurance obligatoire de droit public, et en réglant les modalités de cette protection. La tâche principale des caisses de maladie du régime légal consiste dans la mise à exécution d’une législation sociale détaillée créée pour la réalisation de cette tâche fondamentale de l’État. »

25

Enfin, dans son ordonnance du 31 janvier 2008 (1 BvR 2156/02), le Bundesverfassungsgericht a jugé que les caisses d’assurance maladie sont des organismes de droit public intégrés dans l’État et qui exercent en fait, indirectement, des missions d’administration de l’État.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

26

Par avis publié au mois de juin 2006 dans une revue spécialisée, AOK Rheinland/Hamburg, une caisse publique d’assurance maladie, a invité les cordonniers orthopédistes à soumettre des offres en vue de la confection et de la fourniture de chaussures dans le cadre du régime de prise en charge intégrale au sens des articles 140a et suivants du SGB V, pour la période du 1 er  septembre au . Les prestations à fournir étaient classées selon leur importance en différentes catégories tarifaires, pour lesquelles le soumissionnaire devait indiquer ses prix.

27

Le nombre de chaussures à livrer n’était pas fixé. Il était prévu que les patients souffrant du syndrome dit du « pied diabétique » , munis d’une carte d’assurance maladie et d’une ordonnance médicale, devraient s’adresser directement au maître cordonnier orthopédiste. La tâche de celui-ci consisterait à confectionner et à contrôler des chaussures orthopédiques adaptées individuellement aux besoins des patients, des conseils détaillés devant être prodigués avant et après la livraison des chaussures. Le paiement serait effectué, sauf pour les suppléments dus par les patients, par la caisse publique d’assurance maladie.

28

Hans & Christophorus Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik, un établissement de cordonnerie orthopédique, a soumis une offre et, deux jours plus tard, a invoqué des violations des dispositions communautaires et nationales en matière de passation des marchés publics. Ces griefs ont été rejetés par la caisse publique d’assurance maladie au motif que les dispositions du droit des marchés publics n’étaient pas applicables en l’occurrence. Le recours de l’établissement de cordonnerie contre cette décision n’ayant pas été couronné de succès en première instance, celui-ci a saisi la chambre d’appel en matière de passation des marchés publics de l’Oberlandesgericht Düsseldorf.

29

Cette juridiction observe, en premier lieu, que la doctrine et la jurisprudence sont partagées en Allemagne sur la question de savoir si les caisses publiques d’assurance maladie, bien qu’elles soient mentionnées à l’annexe III de la directive 2004/18, doivent être considérées comme des organismes de droit public et, donc, comme des pouvoirs adjudicateurs, au sens de cette directive. Pour cette raison, elle expose sa problématique sur les différentes conditions posées à cet égard à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, de ladite directive.

30

Pour ce qui est des conditions prévues aux points a) et b) de cette disposition, la juridiction de renvoi considère que ces conditions sont remplies, dans la mesure où les caisses publiques d’assurance maladie sont des personnes morales de droit public, créées pour satisfaire spécifiquement des besoins de préservation, de rétablissement ou d’amélioration de l’état de santé des assurés, à savoir des besoins d’intérêt général. En outre, ces besoins ont un caractère autre qu’industriel ou commercial, puisque les caisses publiques d’assurance maladie n’ont pas d’activité commerciale et fournissent leurs prestations dans un but non lucratif.

31

La discussion devrait donc porter sur les conditions reprises à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2004/18.

32

Quant à la première de ces conditions, à savoir le financement majoritaire par l’État, la juridiction de renvoi se réfère aux caractéristiques du système national en question, telles qu’elles ressortent des points 13 à 18 du présent arrêt.

33

Pour ce qui est de la condition concernant le contrôle de la gestion par les pouvoirs publics, la juridiction de renvoi se réfère aux éléments pertinents du système, tels qu’ils ressortent des points 19 et 20 du présent arrêt.

34

Au cas où il y aurait lieu de conclure que les caisses publiques d’assurance maladie sont des pouvoirs adjudicateurs, se poserait, en deuxième lieu, la question de savoir si le marché en cause au principal doit être qualifié de marché de fournitures ou de marché de services. La juridiction de renvoi observe à cet égard que l’article 1 er , paragraphe 2, sous d), deuxième alinéa, de la directive 2004/18 pose comme critère d’une telle appréciation la valeur des services et des produits en question. Sur la base de ce critère, il est essentiel de savoir, selon la juridiction de renvoi, quelle place occupe la confection des chaussures en cause au principal dans le cadre de l’ensemble de la prestation qui comprend l’achat des matériaux, la confection, les conseils et l’information des clients.

35

Si la confection individualisée des chaussures en cause au principal devait être considérée comme faisant partie de la fourniture de produits, la juridiction de renvoi estime que la valeur de la fourniture de ces chaussures serait supérieure à celle des services. Si, au contraire, la valeur de la fourniture consistait uniquement dans les matériaux de base, la valeur des services dépasserait celle de la fourniture. Elle observe que, en faveur de la première approche, semble militer l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 1999/44, qui assimile les « contrats de fournitures de biens de consommation à fabriquer ou à produire » à des contrats de vente, et cela indépendamment du fait qu’il s’agisse de biens standardisés ou de biens adaptés individuellement à la commande, à savoir des biens non substituables. Il pourrait toutefois être déduit de la jurisprudence de la Cour que les aspects qualitatifs jouent également un rôle dans ce contexte (voir arrêt du 18 janvier 2007 , Auroux e.a., C-220/05, Rec. p. I-385 , point 46). Sous cette optique, il faudrait tenir compte de la considération que les conseils fournis aux patients ne se limitent pas au choix et à l’utilisation du produit.

36

La juridiction de renvoi souligne que cette délimitation est importante, car le classement du marché en cause au principal comme marché de fournitures entraînerait la pleine application des dispositions de la directive 2004/18.

37

Au cas où le marché en cause au principal ne devrait pas être qualifié de marché de fournitures, la juridiction de renvoi se demande, en troisième lieu, si ce marché devrait être considéré comme un marché de services ou comme une concession de services. Dans ce dernier cas, comme il ressort de son article 17, la directive 2004/18 ne serait pas applicable. De l’avis de la juridiction saisie en première instance, cette dernière hypothèse devrait être d’emblée exclue du fait que c’est la caisse publique d’assurance maladie, et non pas le patient, qui doit verser la rétribution au prestataire. Toutefois, de l’avis de la juridiction de renvoi, il faut envisager également le critère relatif à la détermination de la partie qui supporte le risque financier. À cet égard, il faut considérer, d’une part, que le prestataire est déchargé du risque lié au recouvrement des créances et à l’insolvabilité des débiteurs du fait que c’est la caisse publique d’assurance maladie et non pas le patient qui doit rémunérer le prestataire. Mais, d’autre part, le prestataire supporte le risque que ses produits et ses services ne soient pas sollicités par les patients. Cet élément serait d’ailleurs celui qui distingue le cas d’espèce de la situation d’un accord-cadre normal. De l’avis de la juridiction de renvoi, le point décisif aux fins de la qualification du marché en cause au principal de concession de services est le fait que le prestataire ne s’est pas livré auparavant à des prestations coûteuses, telles que la construction de locaux ou les frais de personnel ou d’appareillage, qui devraient être amorties, par la suite, par « le droit d’exploiter, en vue de sa rétribution, sa propre prestation » (arrêt du 7 décembre 2000 , Telaustria et Telefonadress, C-324/98, Rec. p. I-10745 , point 30).

38

En dernier lieu, la juridiction de renvoi relève que si le marché en cause au principal devait être considéré comme un marché de services, cela entraînerait, en raison de son caractère de service sanitaire, en vertu de l’article 21 et de l’annexe II B, catégorie 25, de la directive 2004/18, seulement l’application des articles 23 et 35, paragraphe 4, de cette directive et qu’une violation de ces dispositions serait en l’occurrence exclue d’emblée. Toutefois, une telle qualification entraînerait l’application de certaines dispositions du droit national, qui utilise la même notion de « marché de services » , sur la base desquelles la demanderesse au principal obtiendrait en partie gain de cause.

39

Eu égard à ces considérations, l’Oberlandesgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

« 1)

a)

La condition du ‘ financement par l’État ’ figurant à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), première hypothèse, de la directive [2004/18] doit-elle être interprétée en ce sens que l’État ordonne l’affiliation à une assurance maladie, ainsi que l’obligation d’acquitter les cotisations — dont le montant est fonction du revenu — à la caisse de maladie concernée, la caisse de maladie fixant le taux de cotisation, mais que les caisses de maladie sont liées entre elles par un système de financement solidaire exposé plus en détail dans les motifs, et que l’exécution des obligations de chaque caisse de maladie est garantie?

b)

La condition figurant à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), deuxième hypothèse, de la directive [2004/18], selon laquelle ‘ la gestion ’ de l’organisme ‘ est soumise à un contrôle par ces derniers ’ , doit-elle être interprétée en ce sens qu’une tutelle étatique, visant également les opérations encore en cours et à venir — à laquelle s’ajoutent éventuellement d’autres possibilités d’intervention de l’État exposées dans les motifs — suffit pour que cette condition soit remplie?

2)

Dans l’hypothèse où la première question — sous a) ou sous b) — appelle une réponse affirmative, l’article 1 er , paragraphe 2, sous c) et d), de la directive [2004/18] doit-il être interprété en ce sens que la mise à disposition de marchandises qui sont fabriquées et adaptées individuellement quant à leur forme en fonction des exigences de chaque client, et sur l’utilisation desquelles chaque client doit être individuellement conseillé, doit être considérée comme ‘ marchés de fournitures ’ , ou comme ‘ marchés de services ’ ? Convient-il de ne tenir compte à cet égard que de la valeur des différentes prestations?

3)

Dans l’hypothèse où la mise à disposition mentionnée à la deuxième question doit ou pourrait être considérée comme une ‘ prestation de services ’ , l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive [2004/18], doit-il être interprété — par opposition à un accord-cadre au sens de l’article 1 er , paragraphe 5, de [cette] directive — en ce sens qu’il y a lieu de considérer également comme une ‘ concession de services ’ une passation de marché telle que:

la décision sur le point de savoir si, et dans quels cas, des marchés spécifiques sont attribués à l’adjudicataire est prise, non par l’adjudicateur, mais par des tiers,

le paiement de l’adjudicataire est effectué par l’adjudicateur, car ce dernier est légalement le seul débiteur de la rétribution et est tenu envers les tiers à l’exécution de la prestation de services, et

l’adjudicataire n’est tenu de fournir ou d’offrir aucune prestation que ce soit jusqu’à ce que le tiers fasse appel à lui? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

40

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si des caisses publiques d’assurance maladie telles que celles en cause au principal, eu égard à leurs caractéristiques exposées dans la décision de renvoi, doivent être considérées comme des pouvoirs adjudicateurs aux fins de l’application des règles de la directive 2004/18.

41

Aux fins de répondre à cette question, il convient d’examiner, d’abord, la question préliminaire sous-jacente qui ressort des motifs de la demande de décision préjudicielle et de la problématique qui y est exposée par la juridiction de renvoi, à savoir si la circonstance que les caisses publiques d’assurance maladie en cause au principal sont explicitement mentionnées à l’annexe III de la directive 2004/18 constitue un élément suffisant pour qu’elles soient considérées, de ce seul fait, comme des organismes de droit public et, donc, comme des pouvoirs adjudicateurs.

42

La requérante au principal ainsi que la Commission des Communautés européennes font valoir à cet égard que la seule inscription d’une entité à l’annexe III de la directive 2004/18 constitue une condition suffisante aux fins de la qualification de cette entité comme organisme de droit public. Une telle inscription constituerait une présomption irréfragable de cette qualification, qui rendrait superflu tout examen supplémentaire de la nature et des caractéristiques de l’entité en cause.

43

Cette approche ne saurait être suivie.

44

En effet, il ressort de l’article 234, premier alinéa, sous b), CE qu’une juridiction nationale peut, à tout moment, interroger la Cour sur la validité d’un acte pris par les institutions de la Communauté européenne, si elle estime qu’une décision de la Cour sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement.

45

Il importe à cet égard de souligner que la réglementation communautaire en cause, à savoir la directive 2004/18, comporte à la fois des règles de fond, telles que l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, de cette directive qui énonce les conditions auxquelles un organisme doit correspondre pour être considéré comme un pouvoir adjudicateur au sens de ladite directive, et des mesures de mise en œuvre de ces règles de fond, telles que l’insertion, à l’annexe III de la même directive, d’une liste non exhaustive d’organismes publics censés remplir ces conditions. Dans un tel contexte, il incombe au juge communautaire, lorsqu’il est saisi d’une demande motivée en ce sens par une juridiction nationale, de s’assurer de la cohérence interne de l’acte communautaire en cause, en vérifiant si l’inscription d’un organisme donné sur ladite liste traduit une application correcte des critères de fond définis à ladite disposition. Cette intervention de la Cour est exigée par la sécurité juridique qui constitue un principe général du droit communautaire.

46

En l’occurrence, la juridiction de renvoi soulève, quoique non explicitement, une question de validité de l’inscription des caisses publiques d’assurance maladie en cause au principal à l’annexe III de la directive 2004/18. Elle fait état des divergences existant dans la jurisprudence et la doctrine en Allemagne au sujet de la question de savoir si cette inscription constitue une condition suffisante et exclusive aux fins de la qualification de ces caisses comme organismes de droit public et laisse même clairement entendre ses propres doutes à cet égard. Pour ces raisons, elle formule sa première question sous l’angle des conditions substantielles prévues à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2004/18.

47

Par conséquent, la juridiction de renvoi entend interroger la Cour sur la validité de l’inscription de l’organisme en cause au principal à l’annexe III de la directive 2004/18, à l’aune des conditions de fond énoncées à ladite disposition.

48

Aux fins de répondre à cette question, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, les trois conditions posées à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous a), b) et c), de la directive 2004/18, qui doivent être remplies pour qu’une entité soit considérée comme organisme de droit public, ont un caractère cumulatif (arrêt du 10 avril 2008 , Ing. Aigner, C-393/06, Rec. p. I-2339 , point 36 et jurisprudence citée).

49

Comme il ressort de la décision de renvoi, les conditions posées à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous a) et b), de la directive 2004/18 sont remplies en l’occurrence. En effet, les caisses publiques d’assurance maladie en cause sont des personnes morales de droit public, elles ont été créées par la loi pour satisfaire spécifiquement des besoins liés à la santé publique, lesquels sont des besoins d’intérêt général, et ces besoins ont un caractère autre qu’industriel ou commercial, dans la mesure où les prestations sont fournies par lesdites caisses dans un but non lucratif. Il reste donc à examiner si l’une au moins des conditions alternatives prévues aux trois hypothèses reprises à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), de cette directive est remplie en l’occurrence, et, en premier lieu, la condition relative au financement majoritaire par l’État.

50

Pour ce qui est de cette condition, il convient de rappeler, d’abord, que, comme il ressort du système national en question ainsi que des ordonnances du Bundesverfassungsgericht cités aux points 24 et 25 du présent arrêt, la protection de la santé publique est une tâche fondamentale de l’État et les caisses publiques d’assurance maladie sont intégrées dans l’État et exercent en fait, indirectement, des missions d’administration de l’État.

51

Il y a lieu de faire observer ensuite que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le libellé de l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), première hypothèse, de la directive 2004/18 ne contient aucune précision sur les modalités suivant lesquelles doit être effectué le financement dont il est question à cette disposition. Ainsi, notamment, celle-ci n’exige pas que l’activité des organismes considérés soit financée directement par l’État ou par une autre entité publique afin que la condition en question soit remplie. Un mode de financement indirect est donc suffisant à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2007 , Bayerischer Rundfunk e.a., C-337/06, Rec. p. I-11173 , points 34 et 49).

52

Il convient de relever, en premier lieu, que le financement des caisses publiques d’assurance maladie en cause au principal est assuré, conformément à la réglementation nationale pertinente, par les cotisations des affiliés, y compris les cotisations versées pour ces derniers par les employeurs, par des versements directs des autorités fédérales et par des paiements compensatoires entre ces caisses, résultant du régime de péréquation des risques entre elles. Les cotisations obligatoires des assurés constituent le financement largement majoritaire desdites caisses.

53

En deuxième lieu, il ressort également de la décision de renvoi que les cotisations des affiliés sont versées sans contre-prestation spécifique, au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2000 , University of Cambridge, C-380/98, Rec. p. I-8035 , points 23 à 25). En effet, aucune contrepartie contractuelle concrète n’est liée à ces versements, dans la mesure où ni l’obligation de cotisation ni le montant de celle-ci ne constituent le résultat d’un accord entre les caisses publiques d’assurance maladie et leurs affiliés, ces derniers étant obligés en vertu de la loi de verser la cotisation du seul fait de leur affiliation, laquelle est également imposée par la loi (voir, en ce sens, arrêt Bayerischer Rundfunk e.a., précité, point 45). En outre, le montant des cotisations est uniquement fonction de la capacité contributive de chaque assuré, d’autres éléments, tels que l’âge de celui-ci, son état de santé ou le nombre de personnes assurées de son chef, n’étant pas pertinents à cet égard.

54

En troisième lieu, la juridiction de renvoi relève que, à la différence de la redevance en cause dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Bayerischer Rundfunk e.a., précité, le taux des cotisations est fixé en l’occurrence non pas par les pouvoirs publics, mais par les caisses publiques d’assurance maladie elles-mêmes. Elle fait toutefois observer, à juste titre, que la marge d’appréciation de ces caisses est extrêmement réduite à cet égard, dans la mesure où celles-ci ont pour mission d’assurer les prestations prévues par la réglementation en matière de sécurité sociale. Ainsi, étant donné que les prestations et les dépenses liées à celles-ci sont imposées par la loi et que lesdites caisses n’exercent pas leurs fonctions dans un but lucratif, le taux des cotisations doit être fixé de telle manière que les recettes qui en résultent ne soient ni inférieures ni supérieures aux dépenses.

55

En quatrième lieu, il convient de souligner que la fixation du taux des cotisations par les caisses publiques d’assurance maladie nécessite, en tout état de cause, l’autorisation de l’autorité publique de tutelle de chacune d’elles. Ainsi, ledit taux est, selon la formulation de la juridiction de renvoi, dans une certaine mesure juridiquement imposé. En ce qui concerne, enfin, les autres sources de recettes de ces caisses, les versements directs des autorités fédérales, quoique en soi de moindre importance, constituent indiscutablement un financement direct par l’État.

56

Pour ce qui est, en dernier lieu, des modalités de perception des cotisations, il ressort de la décision de renvoi que, dans la pratique, la part de celles-ci qui est à la charge de l’assuré est retenue sur son salaire par son employeur et est versée à la caisse publique d’assurance maladie compétente avec la part de la cotisation qui est à la charge de ce dernier. La perception des cotisations se fait donc sans aucune possibilité d’intervention de l’assuré. La juridiction de renvoi relève à cet égard que le recouvrement des cotisations est effectué de manière contraignante, sur la base de dispositions de droit public.

57

Il y a donc lieu de considérer, à l’instar des conclusions auxquelles est parvenue la Cour au point 48 de l’arrêt Bayerischer Rundfunk e.a., précité, qu’un financement, tel que celui en cause au principal, d’un régime public d’assurance maladie, qui trouve sa genèse dans des actes de l’État, est dans la pratique garanti par les pouvoirs publics et est assuré par un mode de recouvrement des cotisations y afférentes qui relève de dispositions de droit public, remplit la condition relative au financement majoritaire par l’État, aux fins de l’application des règles communautaires en matière de passation de marchés publics.

58

Eu égard à cette conclusion, et vu le caractère alternatif des conditions posées à l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2004/18, il n’y a pas lieu d’examiner si la condition concernant le contrôle de la gestion des caisses publiques d’assurance maladie par les pouvoirs publics est remplie en l’occurrence.

59

Il convient donc de répondre à la première question posée que l’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), première hypothèse, de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens qu’il y a financement majoritaire par l’État lorsque les activités de caisses publiques d’assurance maladie sont financées à titre principal par des cotisations mises à la charge des affiliés, qui sont imposées, calculées et recouvrées suivant des règles de droit public telles que celles en cause au principal. De telles caisses d’assurance maladie doivent être considérées comme des organismes de droit public et, donc, comme des pouvoirs adjudicateurs aux fins de l’application des règles de cette directive.

Sur la deuxième question

60

Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, quel critère doit être appliqué afin de déterminer si un marché public mixte, ayant pour objet à la fois la fourniture de produits et la prestation de services, doit être considéré comme un marché de fournitures ou un marché de services et si le critère à appliquer à cet égard est uniquement la valeur des différentes parties dont est composé le marché mixte en cause. Il ressort toutefois de la décision de renvoi que la juridiction nationale demande également si, en cas de mise à disposition de marchandises qui sont fabriquées et adaptées individuellement en fonction des besoins de chaque client, et sur l’utilisation desquelles chaque client doit être individuellement conseillé, la confection desdites marchandises doit être rangée dans la partie « fournitures » ou dans la partie « services » de ce marché, aux fins du calcul de la valeur de chacune des composantes de celui-ci.

61

Pour répondre à cette question, il convient de relever, d’abord, que lorsqu’un marché a pour objet à la fois la fourniture de produits et la prestation de services, la directive 2004/18 contient à son article 1 er , paragraphe 2, sous d), deuxième alinéa, une règle spécifique fixant un critère de délimitation afin que le marché en cause puisse être considéré comme un marché de fournitures ou comme un marché de services, à savoir la valeur respective des produits et des services incorporés dans ce marché. Ce critère a un caractère quantitatif, à savoir qu’il se réfère concrètement à la valeur de la contrepartie due en tant que rémunération de la composante « produits » et de la composante « services » incorporées dans le marché en cause.

62

En revanche, en cas d’un marché public qui porte sur la prestation de services et sur l’exécution de travaux, l’article 1 er , paragraphe 2, sous d), troisième alinéa, de la directive 2004/18 utilise un autre critère de délimitation, celui de l’objet principal du marché en cause. Ce critère a été appliqué dans l’arrêt Auroux e.a., précité (points 37 et 46), dans lequel il s’agissait justement d’un marché ayant pour objet des travaux et des services.

63

Il ne ressort ni de la réglementation communautaire applicable ni de la jurisprudence pertinente de la Cour que ce critère doit également être pris en compte dans le cas d’un marché mixte portant sur des fournitures et des services.

64

Il y a lieu de faire observer ensuite que, conformément à la définition de la notion de « marchés publics de fournitures » , contenue à l’article 1 er , paragraphe 2, sous c), premier alinéa, de la directive 2004/18, cette notion porte sur des opérations telles que, par exemple, l’achat ou la location, concernant des « produits » , sans spécification à cet égard et sans distinguer selon que le produit en question a été fabriqué de manière standardisée ou de manière individualisée, à savoir suivant les préférences et les besoins concrets du client. Par conséquent, la notion de « produit » , à laquelle se réfère de manière générale cette disposition, comprend également le procédé de confection, indépendamment de la question de savoir si le produit considéré est mis à la disposition des consommateurs déjà prêt ou après avoir été fabriqué selon les exigences de ceux-ci.

65

Cette approche est corroborée par l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 1999/44, qui qualifie de « contrats de vente » , en général et sans distinction, les « contrats de fourniture de biens de consommation à fabriquer ou à produire » .

66

Il convient donc de répondre à la deuxième question posée que, lorsqu’un marché public mixte a pour objet à la fois des produits et des services, le critère à appliquer afin de déterminer si le marché en cause doit être considéré comme un marché de fournitures ou comme un marché de services est la valeur respective des produits et des services incorporés dans ce marché. En cas de mise à disposition de marchandises qui sont fabriquées et adaptées individuellement en fonction des besoins de chaque client, et sur l’utilisation desquelles chaque client doit être individuellement conseillé, la confection desdites marchandises doit être rangée dans la partie « fournitures » dudit marché, aux fins du calcul de la valeur de chacune des composantes de celui-ci.

Sur la troisième question

67

La troisième question doit être comprise comme visant, en substance, à savoir si, dans l’hypothèse où la prestation de services s’avérerait, dans le marché en cause au principal, prépondérante par rapport à la fourniture de produits, il convient, eu égard aux caractéristiques exposées dans la décision de renvoi, de qualifier la passation de marché entre une caisse publique d’assurance maladie et un cordonnier orthopédiste de« concession de services » , au sens de l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 2004/18, ou d’ « accord-cadre » , au sens de l’article 1 er , paragraphe 5, de ladite directive.

68

Conformément à la définition contenue à l’article 1 er , paragraphe 4, de la directive 2004/18, la concession de services est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de services, à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit assorti d’un prix.

69

De son côté, l’accord-cadre est défini à l’article 1 er , paragraphe 5, de la directive 2004/18 comme un accord ayant pour objet d’établir les termes, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées, régissant les marchés à passer entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques au cours d’une période donnée.

70

Il ressort de ces définitions que les notions considérées présentent des caractéristiques assez voisines, de sorte qu’une distinction nette entre elles n’est pas aisée à l’avance. La qualification juridique d’un contrat dépend donc des éléments concrets qui caractérisent le cas d’espèce.

71

En tout état de cause, il découle de la définition susvisée de la concession de services que celle-ci est caractérisée par une situation dans laquelle un droit d’exploitation d’un service déterminé est transféré par un adjudicateur à un concessionnaire, ce dernier disposant, dans le cadre du contrat conclu, d’une certaine liberté économique pour déterminer les conditions d’exploitation de ce droit et étant ainsi, parallèlement, largement exposé aux risques liés à cette exploitation. En revanche, un accord-cadre est caractérisé par une situation dans laquelle l’activité de l’opérateur économique partie à l’accord est encadrée dans la mesure où tous les marchés à passer par ledit opérateur au cours d’une période donnée doivent respecter les conditions prévues à cet accord.

72

Cet élément de distinction est confirmé par la jurisprudence de la Cour, conformément à laquelle on est en présence d’une concession de services lorsque le mode de rémunération convenu tient dans le droit du prestataire d’exploiter sa propre prestation et implique que celui-ci prenne en charge le risque lié à l’exploitation des services en question (arrêt du 18 juillet 2007 , Commission/Italie, C-382/05, Rec. p. I-6657 , point 34 et jurisprudence citée).

73

En l’occurrence, le marché en cause au principal est un contrat dit de « prise en charge intégrale » , prévu aux articles 140a à 140e du SGB V, conclu entre une caisse publique d’assurance maladie et un opérateur économique. Aux termes de ce contrat, l’opérateur économique assume l’obligation de servir les assurés qui vont s’adresser à lui. En même temps, les prix pour les différentes formules de prestations sont définis dans ledit contrat, ainsi que la durée de celui-ci. Les quantités quant aux différentes prestations ne sont pas fixées, mais une telle prévision n’est pas exigée par la notion de concession de services. La caisse publique d’assurance maladie est la seule débitrice de la rémunération du prestataire. Il apparaît donc que les conditions d’exercice de l’activité de l’opérateur économique sont définies dans le contrat en cause au principal, de sorte que ledit opérateur ne dispose pas du degré de liberté économique qui caractérise une situation de concession de services ni n’est exposé à un risque considérable lié à l’exploitation de ses prestations.

74

Il pourrait, certes, être observé que l’opérateur économique est en l’occurrence exposé à un certain risque, dans la mesure où ses produits et services pourraient ne pas être sollicités par les assurés. Toutefois, ce risque est réduit. L’opérateur économique est en effet déchargé du risque lié au recouvrement de sa rémunération et à l’insolvabilité de son cocontractant individuel, étant donné que la caisse publique d’assurance maladie est légalement le seul débiteur de sa rétribution. En outre, tout en devant être suffisamment équipé en vue de ses prestations, il ne doit pas s’exposer préalablement à des dépenses considérables avant de conclure un contrat individuel avec un assuré. Enfin, le nombre d’assurés souffrant du syndrome dit du « pied diabétique » , qui sont susceptibles de faire appel à cet opérateur économique, est connu d’avance, de sorte qu’il peut y avoir une prévision raisonnable quant au recours à celui-ci.

75

Par conséquent, le risque prépondérant lié à l’exploitation des activités en question, élément qui caractérise la situation d’un concessionnaire dans le cadre d’une concession de services, n’est pas supporté en l’occurrence par l’opérateur économique.

76

Il convient donc de répondre à la troisième question posée que, dans l’hypothèse où la prestation de services s’avérerait, dans le marché concerné, prépondérante par rapport à la fourniture de produits, un accord, tel que celui en cause au principal, conclu entre une caisse publique d’assurance maladie et un opérateur économique, dans lequel sont définies les rémunérations des différentes formes de prise en charge attendues de cet opérateur ainsi que la durée d’application de l’accord, ledit opérateur assumant l’obligation de s’exécuter à l’égard des assurés qui lui en feraient la demande et ladite caisse étant, de son côté, la seule débitrice de la rémunération des interventions de ce même opérateur, devra être considéré comme un « accord-cadre » au sens de l’article 1 er , paragraphe 5, de la directive 2004/18.

Sur les dépens

77

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 1 er , paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), première hypothèse, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 , relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, doit être interprété en ce sens qu’il y a financement majoritaire par l’État lorsque les activités de caisses publiques d’assurance maladie sont financées à titre principal par des cotisations mises à la charge des affiliés, qui sont imposées, calculées et recouvrées suivant des règles de droit public telles que celles en cause au principal. De telles caisses d’assurance maladie doivent être considérées comme des organismes de droit public et, donc, comme des pouvoirs adjudicateurs aux fins de l’application des règles de cette directive.

 

2)

Lorsqu’un marché public mixte a pour objet à la fois des produits et des services, le critère à appliquer afin de déterminer si le marché en cause doit être considéré comme un marché de fournitures ou comme un marché de services est la valeur respective des produits et des services incorporés dans ce marché. En cas de mise à disposition de marchandises qui sont fabriquées et adaptées individuellement en fonction des besoins de chaque client, et sur l’utilisation desquelles chaque client doit être individuellement conseillé, la confection desdites marchandises doit être rangée dans la partie « fournitures » dudit marché, aux fins du calcul de la valeur de chacune des composantes de celui-ci.

 

3)

Dans l’hypothèse où la prestation de services s’avérerait, dans le marché concerné, prépondérante par rapport à la fourniture de produits, un accord, tel que celui en cause au principal, conclu entre une caisse publique d’assurance maladie et un opérateur économique, dans lequel sont définies les rémunérations des différentes formes de prise en charge attendues de cet opérateur ainsi que la durée d’application de l’accord, ledit opérateur assumant l’obligation de s’exécuter à l’égard des assurés qui lui en feraient la demande et ladite caisse étant, de son côté, la seule débitrice de la rémunération des interventions de ce même opérateur, devra être considéré comme un « accord-cadre » au sens de l’article 1 er , paragraphe 5, de la directive 2004/18.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.

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