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Document 62007CC0047

Conclusions de l'avocat général Mazák présentées le 12 juin 2008.
Masdar (UK) Ltd contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Article 288, deuxième alinéa, CE - Recours fondé sur un enrichissement sans cause de la Communauté - Programmes d'assistance communautaire - Irrégularités commises par le cocontractant de la Commission - Services fournis par un sous-traitant - Non-paiement - Risques inhérents aux activités économiques - Principe de protection de la confiance légitime - Obligation de diligence de l'administration communautaire.
Affaire C-47/07 P.

Recueil de jurisprudence 2008 I-09761

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2008:342

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN MAZÁK

présentées le 12 juin 2008 ( 1 )

Affaire C-47/07 P

Masdar (UK) Ltd

contre

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi — Article 288, deuxième alinéa, CE — Recours fondé sur un enrichissement sans cause de la Communauté — Programmes d'assistance communautaire — Irrégularités commises par le cocontractant de la Commission — Services fournis par un sous-traitant — Non-paiement — Risques inhérents aux activités économiques — Principe de protection de la confiance légitime — Obligation de diligence de l'administration communautaire»

I — Introduction

1.

Dans le présent pourvoi, Masdar (UK) Ltd (ci-après «Masdar») demande à la Cour d’annuler l’arrêt que le Tribunal de première instance des Communautés européennes (cinquième chambre) a rendu le 16 novembre 2006 dans l’affaire Masdar (UK)/Commission ( 2 ) (ci-après l’«arrêt entrepris»), rejetant le recours formé au titre des articles 235 CE et 288 CE en réparation du préjudice prétendument subi par Masdar en raison du non-paiement de services fournis dans le cadre de projets d’aide communautaire. Masdar réclame à la Commission des Communautés européennes le paiement de 448947,78 euros majorés des intérêts.

2.

Le pourvoi soulève en substance la question de savoir si le Tribunal a jugé à bon droit que, dans les circonstances de fait et de droit de la présente affaire, la Commission ne peut pas être condamnée, sur le fondement des principes de l’enrichissement sans cause, de la gestion d’affaires, de la protection de la confiance légitime ou du devoir de diligence, à indemniser le sous-contractant d’un cocontractant (principal) de la Commission qui n’a pas été rémunéré par le cocontractant principal pour les services qu’il a fournis au titre d’un programme d’aide communautaire.

II — Antécédents du litige

3.

L’arrêt entrepris expose les faits ayant donné lieu au présent litige comme suit:

«2

Au début de l’année 1994, dans le cadre du programme communautaire d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS), un contrat portant la référence MO.94.01/01.01/B002 a été conclu entre la Commission, représentée par le directeur général adjoint de la direction générale (DG) ‘Relations économiques extérieures’, et Helmico SA, représentée par son administrateur délégué. Ce contrat (ci-après le ‘contrat moldave’) s’intitulait ‘Assistance à l’organisation d’une association privée d’exploitants agricoles’ et s’inscrivait dans le cadre du projet portant la référence TACIS/FD MOL 9401 (ci-après le ‘projet moldave’).

3

En avril 1996, Helmico et la requérante ont conclu un contrat par lequel Helmico sous-traitait à cette dernière la fourniture de certains des services prévus par le contrat moldave.

4

Le 27 septembre 1996, le contrat TACIS portant la référence RU 96-5276-00 a été conclu entre la Commission, représentée par le directeur général adjoint de la DG ‘Relations politiques extérieures’, et Helmico, représentée par son administrateur délégué. En vertu de ce contrat (ci-après le ‘contrat russe’), Helmico s’est engagée à fournir des services en Russie dans le cadre d’un projet intitulé ‘Système fédéral de certification et d’essai de semences’‘ et portant le numéro de référence FD RUS 9502 (ci-après le ‘projet russe’).

5

En décembre 1996, Helmico et la requérante ont conclu un contrat de sous-traitance pour le projet russe, sensiblement identique à celui conclu en avril 1996 à propos du projet moldave.

6

Vers la fin de l’année 1997, la requérante s’est inquiétée des retards de paiement de Helmico, qui a invoqué l’excuse selon laquelle ces retards étaient imputables à la Commission. La requérante a contacté les services de la Commission et a appris que celle-ci avait payé toutes les factures de Helmico à cette date. Des recherches plus approfondies ont permis à la requérante de découvrir que Helmico l’avait informée tardivement ou de manière incorrecte des paiements qu’elle avait reçus de la Commission […].

7

Le 2 octobre 1998, une réunion a eu lieu entre un administrateur de Masdar et des représentants de la Commission.

8

Le 5 octobre 1998, les services de la Commission ont envoyé une lettre par télécopieur à Helmico. Dans cette lettre, la Commission déclarait s’inquiéter du fait que des divergences de vues entre les membres du consortium Helmico risquaient de compromettre l’achèvement du projet russe et soulignait qu’elle attachait une grande importance au respect des termes du contrat russe et à la réussite du projet russe. Elle demandait à Helmico des assurances sous la forme d’une déclaration signée conjointement par Helmico et par la requérante indiquant que celles-ci étaient en parfait accord sur le respect des termes du contrat russe et que le projet russe serait mené à bien dans les délais impartis. La lettre précisait qu’à défaut de recevoir une telle assurance avant le lundi 12 octobre 1998 la Commission envisagerait de recourir à d’autres moyens pour garantir l’achèvement dudit projet, conformément aux termes du contrat russe.

9

Par télécopie du 6 octobre 1998, Helmico a répondu aux services de la Commission que les divergences de vues entre les membres du consortium avaient été réglées et que l’achèvement du projet russe n’était nullement compromis. Cette réponse précisait que les membres du consortium étaient convenus que tous les paiements à venir, y compris ceux des factures dont le traitement était toujours en cours en ce qui concernait le projet russe, seraient effectués sur un compte bancaire désigné de la requérante et non sur le compte bancaire de Helmico. Elle indiquait également ce qui suit:

‘Il a également été convenu que la gestion des contrats serait transférée à la date d’aujourd’hui à M. S, le président de Masdar. Pourriez-vous nous contacter le plus rapidement possible pour confirmer que vous acceptez ces modifications.’

10

Cette lettre était signée par M. T en sa qualité d’administrateur délégué de Helmico et portait la mention manuscrite suivante: ‘Approuvé, M. S, Masdar, 6 octobre 1998’.

11

Une lettre rédigée dans les mêmes termes, datée du même jour et contresignée par le président de Masdar, a été envoyée par Helmico à la Commission à propos des sommes à payer dans le cadre du contrat moldave.

12

Le 7 octobre 1998, Helmico a envoyé à la Commission deux autres lettres, signées par M. T et contresignées par M. S au nom de Masdar. […]

13

Le 8 octobre 1998, Helmico a écrit deux lettres aux gestionnaires des projets concernés du service ‘contrats’ de la Commission pour leur demander d’effectuer tous les paiements ultérieurs dans le cadre des contrats russe et moldave sur un compte différent au nom de Helmico à Athènes. Ces lettres se terminaient par la déclaration suivante:

‘Les présentes instructions ne peuvent être révoquées par Helmico sans l’approbation écrite du président de Masdar, M. S. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir informer Masdar de l’état d’avancement de la procédure de paiement et de la date à laquelle les paiements seront effectués.’

14

Le 8 octobre 1998, Helmico et la requérante ont signé une convention donnant une procuration au président de Masdar, pour transférer des fonds à partir des deux comptes mentionnés dans les lettres du 7 et du 8 octobre 1998, adressées à la Commission.

15

Le 10 novembre 1998, la Commission a émis son rapport de fin de projet concernant le projet russe. Sur les six rubriques soumises à une évaluation, quatre d’entre elles ont reçu l’appréciation ‘excellent’, une autre ‘bien’ et une autre ‘ensemble satisfaisant’. Le 26 février 1999, la Commission a émis son rapport de fin de projet concernant le projet moldave pour lequel deux des rubriques soumises à évaluation ont reçu l’appréciation ‘bien’ et quatre autres ‘ensemble satisfaisant’.

16

En février 1999, les fonctionnaires de la Commission ont entrepris un audit des projets moldave et russe. L’audit du projet russe a été terminé en avril 1999. L’audit du projet moldave n’était pas terminé en juillet 1999.

17

Le 29 juillet 1999, les services de la Commission ont adressé à la requérante une lettre dans laquelle ils indiquaient que la Commission, ayant été informée de l’existence d’irrégularités financières entre Helmico et la requérante lors de l’exécution des contrats russe et moldave, avait suspendu tous les paiements non encore effectués et avait engagé un audit complet afin de déterminer si des fonds communautaires avaient été détournés dans le cadre de l’exécution des contrats russe et moldave. Consciente des difficultés financières de la requérante, la Commission lui faisait savoir qu’elle verserait dans le cadre du projet russe un acompte de 200000 euros sur le compte de Helmico mentionné dans les instructions communiquées par cette société en date du 8 octobre 1998.

18

La somme de 200000 euros a été versée en août 1999 sur ce compte, et a ensuite été virée sur le compte de la requérante.

19

Entre décembre 1999 et mars 2000, le président de Masdar a écrit à plusieurs fonctionnaires de la Commission, ainsi qu’au membre de la Commission en charge des relations extérieures, M. Patten. Parmi les diverses questions évoquées figurait celle du paiement des services fournis par Masdar.

20

Le 22 mars 2000, le directeur général du service commun des relations extérieures de la Commission a écrit au président de Masdar, pour l’informer de ce qui suit:

‘Au terme d’intenses consultations (dans lesquelles plusieurs possibilités ont été envisagées, y compris la liquidation finale des deux contrats au moyen de paiements additionnels en faveur de Masdar, calculés en fonction des travaux effectués et des dépenses engagées par vous), les services de la Commission ont finalement décidé de procéder au recouvrement des fonds précédemment versés au contractant, Helmico. Sur le plan juridique, il semblerait que tout paiement effectué directement à Masdar (même par l’intermédiaire du compte bancaire de Helmico pour lequel vous disposez d’une procuration) serait considéré, en cas d’insolvabilité de Helmico, comme un acte collusoire de la part des administrateurs ou des créanciers de Helmico; en outre, il n’est pas certain qu’en cas de litige entre Helmico et Masdar, les fonds versés par la Commission européenne resteraient définitivement acquis à Masdar, comme le souhaiterait la Commission.’

21

Le 23 mars 2000, la Commission a écrit à Helmico pour lui faire part de son refus de payer les factures en suspens et pour lui demander de rembourser un montant total de 2091168,07 euros. La Commission a pris cette initiative après avoir découvert que Helmico avait agi frauduleusement dans l’exécution des contrats moldave et russe.

22

Le 31 mars 2000, la requérante a formé un recours contre Helmico devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la magistrature royale du siège, Royaume-Uni], par lequel elle réclamait le paiement des services effectués en sous-traitance dans le cadre de l’exécution des contrats moldave et russe pour un montant total de 453000 euros.

23

Le 4 avril 2000, la Commission a établi deux ordres de recouvrement officiels adressés à Helmico en vertu de l’article 28, paragraphe 2, du règlement financier [du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1)]. La teneur de ces documents a été communiquée aux avocats de la requérante le 1er février 2002 (voir point 36 ci-après).

24

Le 15 juin 2000, le président de Masdar a adressé une télécopie au membre de la Commission en charge des relations extérieures, dans laquelle il a déclaré:

‘Il y a 18 mois, nous avons alerté la Commission européenne des difficultés que nous rencontrions avec nos partenaires Helmico pour les deux projets susmentionnés. Nous avons reçu des assurances que, si nous poursuivions les projets, la Commission européenne s’assurerait que nous serions rémunérés pour nos services. Nous avons continué à financer et à mettre en œuvre les deux projets en votre nom au prix de surcoûts importants en dépit du fait que nous nous étions déjà rendus compte que Helmico avait escroqué Masdar et que ces fonds seraient probablement irrécupérables.’

25

La réponse du membre de la Commission, par courrier du 25 juillet 2000, confirme la position de la Commission, exprimée dans la lettre du 22 mars 2000.

26

Le 5 février 2001, le président de Masdar a adressé de nouveau une télécopie au membre de la Commission en charge des relations extérieures, faisant valoir les arguments selon lesquels, d’une part, la requérante était partie aux contrats russe et moldave conclus avec la Commission et, d’autre part, lors de la réunion du 2 octobre 1998, il lui avait été donné l’assurance qu’elle serait payée si elle poursuivait les projets russe et moldave.

27

En avril 2001, la requérante a pris contact avec la Commission pour examiner la possibilité de se faire directement payer par celle-ci pour les travaux effectués et facturés à Helmico.

28

Par lettre du 8 mai 2001, le membre de la Commission en charge des relations extérieures réitérait la position de la Commission selon laquelle la requérante n’était pas partie aux contrats russe et moldave.

29

Le 21 mai 2001, une réunion s’est tenue entre les avocats de la requérante et les services de la Commission pour examiner la possibilité de rémunérer directement la requérante pour les services fournis.

30

Le 1er août 2001, les avocats de la requérante ont réitéré la demande visant à obtenir un paiement à titre gracieux de la Commission. La requérante a demandé le paiement de 448947,78 euros ou, à titre subsidiaire, de 249314 euros. Le premier chiffre correspondait au montant total facturé par Helmico à la Commission qui restait impayé, tandis que le second chiffre correspondait au montant des travaux effectués après la découverte de la fraude.

31

Le 28 août 2001, une réunion a eu lieu entre les avocats de la requérante et les services de la Commission pour examiner la possibilité de rémunérer directement la requérante pour les services fournis.

32

Le 10 octobre 2001, les avocats de la requérante ont transmis aux services de la Commission la copie d’un rapport établi en 1998. Ce document était censé aider les services de la Commission à retrouver la trace des administrateurs de Helmico.

33

Le 16 octobre 2001, les services de la Commission ont répondu que les informations avaient été transmises aux services compétents de la DG ‘Budget’, à l’Office européen de lutte antifraude et à l’unité des finances et des contrats qui s’occupait des programmes TACIS et que les services de la Commission entreprendraient toutes les démarches nécessaires pour rechercher les administrateurs de Helmico.

34

Le 16 octobre 2001, les avocats de la requérante ont écrit à la Commission qu’il existait entre les services de la Commission et la requérante un accord tacite selon lequel la Commission paierait la requérante à compter du 8 octobre 1998, à condition que celle-ci fasse en sorte que le projet russe et le projet moldave soient menés à bien. Les principaux arguments invoqués dans cette lettre visaient à démontrer que la Commission avait admis que la requérante était devenue le contractant principal du projet russe à partir de 1998. Cette lettre se terminait par la déclaration suivante:

‘Je vous serais reconnaissant de me faire savoir si les services de la Commission accueillent l’argument développé dans la présente lettre et, le cas échéant, s’ils sont prêts à verser à Masdar Ltd un acompte de 279711,85 euros en attendant la fin de la procédure de recouvrement engagée contre Helmico.’

35

Les arguments avancés par les avocats de la requérante ont été rejetés par les services de la Commission dans une lettre datée du 13 novembre 2001. La lettre se terminait par la déclaration suivante:

‘La Commission procédera au recouvrement, auprès des représentants de Helmico, des sommes perçues par cette société, sur la base de l’ordre de recouvrement. En fonction de l’issue de cette procédure, de nouvelles dispositions pourront être envisagées quant à l’utilisation des sommes recouvrées.’

36

Le 1er février 2002, dans une réponse écrite à une demande formulée par les avocats de la requérante, les services de la Commission ont expliqué que deux ordres de recouvrement officiels avaient été émis le 4 avril 2000 à l’attention de Helmico, l’un concernant le contrat moldave pour un montant de 1236200,91 euros et l’autre concernant le contrat russe pour un montant de 854967,16 euros, soit un total de 2091168,07 euros.

37

Dans une lettre du 27 février 2002 adressée aux services de la Commission, les avocats de la requérante ont constaté que les montants des deux ordres de recouvrement officiels correspondaient approximativement aux montants figurant sur le relevé des sommes payées par la Commission à Helmico. Ils en déduisaient que la Commission n’avait pas jugé nécessaire d’émettre des ordres de recouvrement pour les montants facturés par Helmico à la Commission mais non payés par cette dernière.

38

Le 11 mars 2002, les services de la Commission ont écrit aux avocats de la requérante pour confirmer que les deux ordres de recouvrement officiels émis par les services de la Commission le 4 avril 2000 à l’attention de Helmico ne couvraient pas les montants facturés par Helmico à la Commission mais non payés par cette dernière.

39

Le 17 décembre 2002, le service juridique de la Commission a transmis aux avocats de la requérante un relevé des montants facturés par Helmico à la Commission, ainsi que les dates, les montants des paiements et les montants des paiements non effectués.

40

Le 18 février 2003 une réunion a eu lieu entre les avocats de la requérante et les services de la Commission.

41

Le 23 avril 2003, les avocats de la requérante ont adressé aux services de la Commission une lettre recommandée se terminant par la déclaration suivante:

‘[…] à moins que les services de la Commission ne soient en mesure d’avancer, le 15 mai 2003 au plus tard, une proposition concrète de paiement de ma cliente pour les services fournis, un recours en réparation sera formé contre la Commission devant le Tribunal de première instance en vertu des articles 235 CE et 288 [CE] (ex-articles 178 et 215 du traité CE).’

42

Par télécopie datée du 15 mai 2003, la Commission a écrit aux avocats de la requérante pour leur proposer la tenue d’une réunion pour discuter d’un éventuel règlement amiable en vertu duquel la Commission verserait à la requérante la somme de 249314,35 euros pour les travaux effectués après la découverte de la fraude de Helmico, si la requérante apportait la preuve d’un accord prévoyant qu’elle serait payée directement par la Commission si elle achevait les projets russe et moldave.

43

Par lettre recommandée du 23 juin 2003, les avocats de la requérante ont répondu aux services de la Commission qu’ils refusaient de poursuivre les négociations sur la base proposée par la Commission en exposant les détails de la demande de la requérante ainsi que les termes et conditions auxquels celle-ci consentirait à participer à une réunion.

44

Cette lettre recommandée a été suivie d’une télécopie du 3 juillet 2003 dans laquelle les avocats de la requérante ont sollicité la réponse de la Commission sur la possibilité d’organiser, avant le 15 juillet 2003, une réunion aux conditions proposées et qu’à défaut d’une telle réunion le Tribunal de première instance serait saisi d’un recours.

45

Par lettre du 22 juillet 2003, les services de la Commission ont répondu qu’ils ne pouvaient donner suite à la demande de paiement de la requérante.»

III — Procédure devant le Tribunal et arrêt entrepris

4.

Par requête déposée au greffe le 30 septembre 2003, Masdar a saisi le Tribunal d’un recours en indemnité en invoquant l’enrichissement sans cause (action de in rem verso), la gestion d’affaires, la violation du principe de protection de la confiance légitime et, enfin, la faute ou la négligence caractérisant les actes des services de la Commission lui ayant causé un préjudice.

5.

Les parties n’ayant pu aboutir à un règlement amiable, le Tribunal a, dans l’arrêt entrepris, rejeté le recours et condamné Masdar aux dépens par les motifs qui peuvent être résumés comme suit.

6.

Le Tribunal a d’abord exposé les conditions dans lesquelles la Communauté peut, selon une jurisprudence constante, engager sa responsabilité non contractuelle au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE tant pour un acte illicite que pour un acte dont le caractère illicite n’est pas établi.

7.

Il a ensuite relevé que la demande d’indemnisation de Masdar tirée de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires reposait sur des régimes de responsabilité non contractuelle n’impliquant pas de comportement illicite de la part des institutions de la Communauté et que la demande tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime et de la faute ou de la négligence de la Commission repose sur le régime de la responsabilité non contractuelle de la Communauté fondé sur un comportement illicite.

8.

Le Tribunal a ensuite examiné les demandes fondées sur l’enrichissement sans cause et la gestion d’affaires.

9.

Admettant qu’un recours en indemnité peut, en principe, être fondé sur ces principes, le Tribunal a poursuivi en déterminant si les conditions de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires étaient réunies en l’espèce.

10.

Il a estimé à cet égard que, dans les circonstances de fait et de droit de l’espèce, les actions fondées sur l’enrichissement sans cause ou la gestion d’affaires ne pouvaient pas aboutir.

11.

Le Tribunal est parvenu à cette conclusion aux motifs que, selon les principes généraux communs aux droits des États membres, ces actions ne pouvaient être exercées lorsque le bénéfice de l’enrichi ou celui du maître puisait sa justification dans un contrat ou dans une obligation légale, et que de telles actions ne pouvaient généralement être exercées qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire lorsque la personne lésée ne disposait d’aucune autre action pour obtenir ce qui lui était dû.

12.

À cet égard, le Tribunal a souligné le cadre contractuel en place dans l’affaire, à savoir les relations contractuelles entre la Commission et Helmico, d’une part, et entre Helmico et Masdar, d’autre part. Il a jugé en particulier qu’il incombait incontestablement à Helmico de rémunérer les travaux accomplis par Masdar et d’assumer la responsabilité résultant éventuellement du défaut de paiement, et qu’une éventuelle insolvabilité de Helmico ne saurait justifier que la Commission endossât cette responsabilité.

13.

Le Tribunal a conclu que l’éventuel enrichissement de la Commission ou l’appauvrissement de la requérante ne pouvait pas être considéré comme étant dépourvu de cause dès lors qu’il trouvait son origine dans le cadre contractuel en place.

14.

De même, le Tribunal a jugé que les conditions d’exercice de l’action de droit civil tirée de la gestion d’affaires n’étaient manifestement pas réunies en l’espèce. À cet égard, il a estimé que l’exécution, par Masdar, de ses obligations contractuelles à l’égard de Helmico ne pouvait raisonnablement pas être qualifiée d’intervention bénévole dans les affaires d’autrui dès lors que Masdar avait pris contact avec les services de la Commission avant de poursuivre les projets et il a également estimé que l’argumentation de Masdar ne se conciliait pas non plus avec les principes de la gestion d’affaires qui ne se conçoit que si le maître ignore l’action du gérant.

15.

Ajoutant que Masdar n’avait pas établi avoir subi un préjudice anormal ou spécial, excédant les limites des risques économiques et commerciaux inhérents à son activité, le Tribunal a conclu que les demandes d’indemnisation tirées de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires devaient être rejetées comme non fondées.

16.

S’agissant, ensuite, de la violation alléguée du principe de protection de la confiance légitime, le Tribunal a rejeté ce moyen au motif que, dans son esprit, l’examen des pièces produites ne faisait pas apparaître d’assurances précises données par la Commission susceptibles de susciter chez la requérante de justes espérances lui permettant de se prévaloir de ce principe.

17.

De plus, le Tribunal a rejeté comme non fondés les arguments que Masdar tirait de la prétendue faute ou négligence de la Commission, jugeant en substance qu’ils n’étaient pas suffisamment étayés en ce qui concerne le devoir de diligence allégué et que l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation alléguée et le dommage invoqué n’était pas démontrée.

18.

Enfin, le Tribunal a également rejeté une demande d’audition du témoin de Masdar — à savoir M. W, administrateur de Masdar — pour établir la teneur de la réunion du 2 octobre 1998. Il a jugé à cet égard que, même si pareil témoignage devait établir, comme Masdar l’avait indiqué, l’existence, entre la Commission et Masdar, d’une volonté commune de voir Masdar achever les projets en cause, cela ne suffisait pas à établir l’existence de renseignements précis, inconditionnels et concordants indiquant que la Commission s’engageait à rémunérer la requérante directement à compter de cette date.

IV — Conclusions des parties devant la Cour

19.

Masdar conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

annuler l’arrêt entrepris;

condamner la Commission à verser à la requérante la somme de 448947,78 euros réclamée par la requérante en première instance ou, à défaut, la somme de 249314,35 euros ou toute autre somme que la Cour jugera appropriée, ainsi que les intérêts sur la somme fixée;

condamner la Commission aux dépens exposés dans la présente procédure et dans celle de première instance.

20.

La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter le pourvoi;

à titre subsidiaire, au cas où la Cour annulerait en tout ou en partie l’arrêt entrepris, rejeter la demande d’indemnisation de la requérante au pourvoi;

condamner la requérante aux dépens exposés dans le cadre de la présente procédure et de celle de première instance;

à titre subsidiaire, au cas où la Cour se prononcerait en faveur de la requérante au pourvoi, condamner cette dernière à supporter un tiers de ses propres dépens dans le cadre de la procédure de première instance.

V — Le pourvoi

A — Observations préliminaires

21.

Un certain nombre d’observations préliminaires semblent utiles avant d’entamer l’analyse des griefs émis par Masdar.

22.

S’agissant, en premier lieu, du contexte de l’espèce, il convient de relever que, ainsi que Masdar l’a expressément confirmé à l’audience dans la présente instance, il est constant entre les parties qu’aucune relation contractuelle directe n’a été établie entre Masdar et la Commission et que les relations contractuelles relatives à la fourniture de services au titre des programmes d’aide communautaire en cause existaient uniquement entre Helmico et la Commission, d’une part, et entre Helmico et Masdar, d’autre part.

23.

Or, ainsi qu’il ressort apparemment des indications données par les parties, Helmico, qui doit à Masdar la rémunération de la fourniture de services qu’elle lui avait sous-traités, doit être considérée comme insolvable, et ses administrateurs sont introuvables. La procédure judiciaire engagée par Masdar devant les tribunaux anglais et gallois, désignés en vertu des contrats de sous-traitance en cause comme compétents pour les éventuels litiges contractuels, en vue d’obtenir le paiement de ce que Helmico lui doit, est suspendue pour une durée indéterminée.

24.

C’est dans ces circonstances que Masdar a saisi le Tribunal du recours formé contre la Commission en réclamant, au titre d’une indemnisation pour le préjudice subi, notamment le paiement des services fournis ( 3 ), majoré des intérêts.

25.

Ainsi que Masdar l’a elle-même exposé à l’audience dans le présent pourvoi, ce grief émis à l’encontre de la Commission repose essentiellement sur deux types d’arguments: en premier lieu, la Commission lui aurait donné des assurances sur le paiement des services fournis et, en second lieu, même en l’absence de telles assurances, la Commission encourrait une responsabilité non contractuelle au titre essentiellement de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires.

26.

Il convient de relever à cet égard que, comme les parties l’ont clairement précisé à l’audience, il est constant en l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a suggéré dans l’arrêt entrepris, qu’un recours en indemnité peut, en principe, être fondé sur les principes susmentionnés que le Tribunal, dans l’arrêt entrepris, et les parties ont tous rangés dans les règles relatives à la responsabilité non contractuelle. En conséquence, l’existence dans l’ordre juridique communautaire des principes invoqués par Masdar n’a pas été contestée, comme telle, ni fait l’objet d’un débat dans la présente procédure.

27.

Le présent pourvoi est plutôt centré sur la question de savoir si le Tribunal a jugé à bon droit que, en tout état de cause, les faits de l’espèce ne permettaient pas de voir aboutir le recours que Masdar a formé au titre de ces principes.

28.

Plus précisément, Masdar soulève sept moyens à l’appui de son pourvoi.

29.

Par son premier moyen, Masdar allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que Masdar avait simplement agi conformément à ses obligations contractuelles envers Helmico, ce qui l’a amené à rejeter les demandes fondées sur l’enrichissement sans cause et la gestion d’affaires. Dans son deuxième moyen, elle soutient que, indépendamment de cette question, le Tribunal a commis une erreur de droit en ne prenant en considération ni les pouvoirs de recouvrement de la Commission ni la manière dont la Commission a exercé ces pouvoirs. Le troisième moyen est dirigé contre les motifs du Tribunal récusant le caractère bénévole de l’intervention de Masdar, voulant que la Commission fût capable de gérer le projet elle-même et retenant l’idée que le gérant doive nécessairement agir à l’insu du maître. Dans son quatrième moyen, Masdar dénonce l’incohérence des motifs que le Tribunal consacre aux moyens tirés de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires, d’une part, et au moyen tiré de la protection de la confiance légitime, d’autre part. Dans son cinquième moyen, elle soutient que, en rejetant la demande formée au titre de la responsabilité pour négligence ou pour faute, le Tribunal a erronément considéré que les arguments de Masdar étaient lacunaires. En dernier lieu, par ses sixième et septième moyens, Masdar soutient que le Tribunal a erronément jugé qu’elle n’avait reçu aucune assurance de la part de la Commission.

30.

Les premier, deuxième et troisième moyens seront examinés conjointement en ce qu’ils se rapportent tous à la demande formée au titre de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires. Il en sera de même des sixième et septième moyens en ce que tous les deux contestent l’analyse retenue par le Tribunal, selon laquelle la Commission n’a donné aucune assurance, pour rejeter le grief tiré de la violation du principe de la protection de la confiance légitime. Il convient en outre d’examiner ces deux moyens avant le quatrième moyen dans lequel Masdar soutient que ces motifs du Tribunal ne se concilient pas avec ceux consacrés à l’enrichissement sans cause et à la gestion d’affaires.

B — Moyens

1. Les premier, deuxième et troisième moyens, relatifs aux motifs que le Tribunal consacre à la demande formée au titre de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires

a) Principaux arguments

31.

Dans son premier moyen, Masdar allègue que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en constatant, aux points 98, 99 et 101 de l’arrêt entrepris, qu’elle avait simplement agi en vertu de ses obligations contractuelles envers Helmico. Ayant, semble-t-il, admis, aux points 146 à 148 de l’arrêt entrepris, que Masdar n’était pas disposée, à la réunion du 2 octobre 1998, à poursuivre l’exécution de ses contrats avec Helmico, le Tribunal aurait dû examiner si Masdar était encore tenue par une obligation juridique de poursuivre l’exécution des contrats de sous-traitance. En droit anglais, la fraude commise par Helmico et l’important défaut de paiements envers Masdar constituaient un manquement suffisamment grave qui l’autorisait à considérer que les contrats étaient rompus et à assigner Helmico pour obtenir les sommes dues ainsi que la réparation du préjudice causé par l’inexécution de ses obligations contractuelles. Le fait de n’avoir pas tenu compte de la faculté de Masdar de rompre le contrat de sous-traitance équivaut à un vice de procédure.

32.

Dans son deuxième moyen, Masdar soutient que, indépendamment du point de savoir si elle avait agi conformément à ses obligations contractuelles envers Helmico, le Tribunal a commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération, lorsqu’il a déterminé si la Commission s’était injustement enrichie, le fait que cette dernière n’était pas un contractant ordinaire en raison des pouvoirs de recouvrement que lui confère le règlement financier, du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1), en lui permettant de vider ainsi de toute substance des relations contractuelles préexistantes. Elle fait observer, en particulier, que, dans l’ensemble de son raisonnement visant à rejeter les demandes que la requérante a formées au titre de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires, le Tribunal n’a pas tenu compte du fait que la Commission avait attendu le mois d’avril 2000 avant d’émettre l’ordre de recouvrement à l’encontre de Helmico après que Masdar eut achevé les travaux.

33.

Enfin, dans son troisième moyen, Masdar conteste, plus précisément, certains aspects des motifs que le Tribunal consacre à la gestion d’affaires. Selon elle, le raisonnement développé aux points 101 à 103 de l’arrêt entrepris, sur la gestion d’affaires, est incohérent et manifestement inconciliable avec les faits.

34.

En premier lieu, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’on ne pouvait pas affirmer que Masdar avait agi à titre bénévole. Elle soutient, à cet égard, que ses obligations envers Helmico avaient pris fin et que le simple fait que Masdar a contacté les services de la Commission en octobre 1998 n’empêchait pas ses actions ultérieures de revêtir un caractère bénévole, puisque aucun document officiel n’avait été établi à la réunion du 2 octobre 1998.

35.

En deuxième lieu, elle conteste la conclusion selon laquelle la Commission était capable de gérer les projets elle-même. Il est de notoriété publique que la Commission adjuge à des contractants extérieurs des projets comme ceux en cause en l’espèce, précisément parce qu’elle ne possède pas les ressources internes pour les réaliser. De plus, la Commission n’a pas dit à la requérante qu’elle mettait fin au contrat et qu’elle allait chercher un autre cocontractant.

36.

En troisième lieu, Masdar allègue que le Tribunal a estimé à tort que la gestion d’affaires ne pouvait pas jouer lorsque le maître a conscience de la nécessité d’agir. S’il est vrai que, dans de nombreuses gestions d’affaires, le maître ignore la nécessité d’agir pour empêcher la perte qu’il va subir, il n’existe aucune raison logique d’exiger que le maître ignore cette nécessité.

37.

La Commission soutient que le premier moyen est irrecevable et, en tout état de cause, manifestement dénué de fondement. Elle relève que Masdar n’a jamais prétendu devant le Tribunal avoir rompu ses contrats avec Helmico et qu’il ressort clairement du dossier qu’elle ne les a effectivement pas rompus. Il est vrai qu’en droit anglais un manquement grave peut autoriser la partie qui a respecté ses obligations à rompre le contrat, mais ce n’est pas ce manquement en tant que tel qui y met fin. Il est également inexact d’affirmer que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur cette question, puisqu’il a constaté, au point 103 de l’arrêt entrepris, que Masdar poursuivait l’exécution de ses contrats avec Helmico.

38.

Quant aux arguments tirés des pouvoirs de recouvrement de la Commission, cette dernière soutient que le Tribunal a répondu à tous les arguments avancés à l’appui de l’idée que la Commission s’était indûment enrichie. La demande formée au titre de l’enrichissement sans cause ne pouvait pas aboutir dès lors que le bénéfice retiré par la Commission découlait de son contrat avec Helmico et que Masdar était tenue d’agir en raison de son contrat de sous-traitance avec cette dernière.

39.

Enfin, dans sa réfutation du troisième moyen, la Commission relève en particulier que la conclusion selon laquelle la Commission était capable de gérer ses propres affaires est un point de fait qui ne peut être remis en question dans un pourvoi et que, en tout état de cause, la constatation faite aux points 97 et suivants de l’arrêt entrepris, selon laquelle Masdar a agi au titre de ses contrats avec Helmico, est suffisante pour rejeter les arguments tirés de la gestion d’affaires.

b) Appréciation

40.

En premier lieu, il convient de rappeler que, dans l’ordre juridique communautaire, la procédure de pourvoi, instituée à l’article 225 CE, n’est pas conçue pour assurer un réexamen général par la Cour du recours porté devant le Tribunal.

41.

En effet, conformément à une jurisprudence constante, la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges ( 4 ). Partant, la Cour est uniquement compétente, dans le cadre d’une telle procédure, pour examiner si les moyens soulevés dans le pourvoi révèlent une erreur de droit dont serait entaché l’arrêt entrepris ( 5 ). En ce sens, il résulte en outre des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande ( 6 ).

42.

En conséquence, je n’évaluerai pas ci-après l’analyse globale que le Tribunal fait de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires visés essentiellement dans les trois premiers moyens et, en particulier, de leur application au titre de la responsabilité sans faute ( 7 ), puisque cette question n’est pas soulevée dans le présent pourvoi ( 8 ).

43.

J’estime néanmoins utile, avant d’examiner le bien-fondé des moyens concrètement invoqués par Masdar, d’émettre préalablement quelques observations générales sur les notions d’enrichissement et de gestion d’affaires afin de placer dans leur contexte les motifs critiqués du Tribunal.

44.

S’agissant de la responsabilité non contractuelle, l’article 288, deuxième alinéa, CE impose à la Communauté l’obligation de réparer les dommages causés par ses institutions, «conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres».

45.

Ainsi que Masdar l’a elle-même reconnu dans sa requête, on ne saurait entendre cette disposition comme signifiant que les principes régissant la responsabilité non contractuelle appliqués par les juridictions communautaires doivent — ou même pourraient — correspondre exactement à ceux existant dans les droits de tous les États membres ou qu’ils pourraient en quelque sorte en être déduits «mécaniquement» comme dénominateurs communs ( 9 ). Dans une certaine mesure, donc, ainsi qu’il en va généralement des principes généraux du droit en tant que source juridique, tant qu’il n’existe pas de jurisprudence établie, débattre du contenu concret d’un tel principe peut revenir à débattre de la forme d’un fantôme. La solution appliquée par la Cour dans le cadre de l’article 288 CE devrait cependant s’inspirer des caractéristiques fondamentales des notions pertinentes existant dans les ordres juridiques nationaux, adaptées, le cas échéant, pour répondre aux exigences propres du droit communautaire.

46.

Cela étant, s’agissant des demandes tirées de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires, que Masdar forme en l’espèce, la comparaison des ordres juridiques des États membres fait apparaître une grande disparité dans leur reconnaissance et leur mise en œuvre.

47.

De manière générale, cependant, on peut qualifier de très prudente la conception des systèmes juridiques des États membres à cet égard, et cela vaut encore plus pour la gestion d’affaires que pour l’enrichissement sans cause. Alors que le premier principe, en particulier, est même inconnu dans certains ordres juridiques, on peut affirmer que, là où ces principes existent comme fondement de responsabilité, on ne peut généralement les invoquer que dans des conditions strictes et en ordre subsidiaire. En règle générale, ces actions ou principes servent à combler des lacunes juridiques et font office de moyens ultimes, inspirés par des considérations générales de justice et d’équité, raison pour laquelle, dans bien des cas, ils ont été reconnus et développés surtout par la jurisprudence.

48.

De même, la responsabilité procédant de ces principes est, en règle générale, strictement subsidiaire à toute responsabilité contractuelle. En effet, la portée des principes tant de l’enrichissement sans cause que de la gestion d’affaires en tant que fondement juridique de la responsabilité est généralement imprégnée, dans les États membres concernés, de l’objectif visant à préserver le principe voulant qu’un contrat ne puisse pas, en règle générale, conférer de droits ou imposer d’obligations qu’il crée à un tiers (principe de l’effet relatif des contrats) et, de manière plus générale, la sécurité juridique.

49.

En conséquence, l’existence d’une relation contractuelle interdirait en règle générale d’invoquer l’enrichissement sans cause, puisque dans un tel contexte l’exécution ne serait pas considérée comme étant «sans cause», et cela serait également considéré comme contraire au caractère bénévole ou désintéressé de la gestion des affaires d’autrui qui sous-tend, de manière générale, la notion de gestion d’affaires.

50.

En outre, s’agissant plus particulièrement de la relation contractuelle (triangulaire) en cause en l’espèce, il apparaît que, dans l’immense majorité des États membres, pour diverses raisons incluant des considérations sur la causalité, un sous-contractant dans une situation comparable à celle de Masdar se verrait généralement refuser le bénéfice, fondé sur l’enrichissement sans cause ou sur la gestion d’affaires, d’une indemnisation directe par la partie ayant contracté des obligations avec le contractant principal, c’est-à-dire d’une partie dans une situation semblable à celle de la Commission en l’espèce.

51.

Dans ce contexte, l’analyse du Tribunal a été, d’après moi, fondamentalement conforme aux caractéristiques de base des notions d’enrichissement sans cause et de gestion d’affaires qui existent dans les droits des États membres lorsqu’il a jugé, sur la base du raisonnement développé en détail aux points 96 à 104 de l’arrêt entrepris, que les conditions pour former une demande au titre de ces principes ne sont pas réunies dans un cas comme celui qui nous occupe.

52.

Les motifs principaux, exposés aux points 97 et 98 de l’arrêt entrepris, étaient qu’une telle affaire doit être appréciée, en principe, dans le cadre des relations contractuelles en cause et, partant, sur le plan de la responsabilité contractuelle.

53.

Dans ce contexte, on relèvera plus particulièrement à l’endroit du premier moyen invoqué par Masdar que Masdar ne soutient pas que ses contrats de sous-traitance avec Helmico étaient rompus ou nuls lorsqu’elle en a poursuivi l’exécution. Masdar soutient au contraire que, compte tenu du manquement d’Helmico, elle était en droit de rompre le contrat et que le Tribunal aurait dû examiner si elle était encore juridiquement tenue de poursuivre l’exécution dudit contrat.

54.

Même si l’inexécution par Helmico de ses obligations contractuelles pouvait autoriser Masdar à cesser de fournir les services en cause et à rompre le contrat, ce n’est toutefois pas cela qui importe dans le présent contexte. Ce qui importe, c’est que la relation entre Masdar et Helmico était toujours régie par les contrats de sous-traitance qu’elles avaient conclus, puisque le manquement contractuel en tant que tel, consistant en l’espèce dans le défaut de paiement par Helmico, ne résout pas le contrat, mais a pour effet d’engager la responsabilité contractuelle de la partie défaillante, ainsi que le Tribunal l’a relevé à juste titre au point 98 de l’arrêt entrepris.

55.

Comme la responsabilité fondée sur l’enrichissement sans cause et la gestion d’affaires est secondaire par rapport à cette responsabilité contractuelle, ainsi que le Tribunal l’a jugé à bon droit aux points 97 à 100, il pouvait, sans commettre d’erreur de droit, rejeter la demande que Masdar avait formée au titre de ces principes, en dépit de la faculté éventuelle de Masdar de rompre les contrats. Dans ces circonstances, on ne saurait en outre prétendre que le Tribunal ait commis une erreur de procédure en n’ayant pas tenu compte de la faculté de Masdar de rompre les contrats.

56.

Il s’ensuit que le premier moyen n’est pas fondé.

57.

S’agissant ensuite du grief selon lequel, en examinant les demandes formées au titre de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires, le Tribunal aurait dû tenir compte des pouvoirs de recouvrement que le règlement financier confère à la Commission, je n’aperçois pas l’incidence que ce facteur pourrait avoir sur l’appréciation de ces demandes.

58.

Ainsi qu’il ressort clairement des points 99 et 100 de l’arrêt entrepris, le Tribunal a exclu que ces principes soient susceptibles de jouer essentiellement aux motifs que, en raison de la nature contractuelle des services fournis — la Commission ayant tiré le bénéfice de son contrat avec Helmico et Masdar ayant agi en vertu d’un contrat de sous-traitance avec cette partie-là —, aucun enrichissement de la Commission ne pouvait être jugé sans cause, et aucune responsabilité exceptionnelle fondée sur la gestion d’affaires ne pouvait être engagée.

59.

De plus, contrairement à ce que soutient Masdar, compte tenu de l’effet relatif des contrats, on ne saurait soutenir, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, que les ordres de recouvrement, émis à l’encontre de Helmico, videraient de toute substance la relation contractuelle entre Masdar, sous-traitant, et Helmico, cocontractant.

60.

Il s’ensuit que le deuxième moyen n’est pas fondé.

61.

S’agissant, enfin, des erreurs de droit particulières que le Tribunal aurait commises dans la manière d’appliquer la notion de gestion d’affaires aux points 101 à 103 de l’arrêt entrepris, rappelons que, selon les principes généraux communs aux droits des États membres, ainsi que le Tribunal l’a jugé à bon droit au point 100 de l’arrêt entrepris, ce principe ne peut constituer un fondement de responsabilité que dans des conditions très exceptionnelles ( 10 ).

62.

Dans ce contexte, en premier lieu, le Tribunal a, selon moi, jugé à bon droit au point 101 de l’arrêt entrepris qu’il convient de noter que l’exécution, par la requérante, de ses obligations contractuelles à l’égard de Helmico ne pouvait être valablement qualifiée d’intervention bénévole dans les affaires d’autrui. En particulier, la faculté de Masdar de rompre les contrats conclus avec Helmico ne suffit certainement pas à qualifier, à l’inverse, de bénévole la fourniture de services de Masdar.

63.

En deuxième lieu, dans le cadre de la gestion de projets tels que ceux en cause en l’espèce, s’agissant de la gestion d’affaires, la question de savoir si la Commission aurait été capable de réaliser elle-même les projets est dénuée de pertinence puisque, même en temps normal, pareils projets sont souvent mis en œuvre, comme en l’espèce, par l’intermédiaire de cocontractants de la Commission et non par cette dernière. En conséquence, le Tribunal pouvait parfaitement renvoyer à l’indication donnée par la Commission dans la lettre du 5 octobre 1998, dans laquelle elle écrit qu’elle «envisagerait de recourir à d’autres moyens pour garantir l’achèvement du projet», afin de démontrer le caractère erroné de l’allégation de Masdar selon laquelle la Commission n’était pas capable de gérer les projets en question.

64.

En dernier lieu, l’affirmation du Tribunal au point 101 de l’arrêt entrepris selon laquelle «l’action du gérant s’effectue en règle générale à l’insu du [maître], ou du moins sans que ce dernier soit conscient de la nécessité d’agir immédiatement» est conforme, selon moi, à la notion de gestion d’affaires et aux conditions strictes de son application.

65.

En particulier, cette constatation, qui n’est qu’un motif parmi plusieurs invoqués par le Tribunal au point 101, pour étayer sa conclusion selon laquelle les conditions d’exercice de l’action de droit civil formée au titre de la gestion d’affaires n’étaient pas remplies, n’est pas remise en cause par l’idée qu’il peut y avoir des cas de figure particuliers dans lesquels ce principe joue, même si ce n’est pas à l’insu du maître comme dans l’exemple donné par Masdar d’une personne gravement malade mais consciente qui est conduite à l’hôpital par un tiers, exemple qui n’est manifestement pas comparable à la présente affaire.

66.

Les arguments soulevés dans le troisième moyen ne sont par conséquent pas fondés.

67.

Il résulte des développements qui précèdent que les trois premiers moyens soulevés contre les motifs que le Tribunal consacre à l’enrichissement sans cause et à la gestion d’affaires doivent être rejetés.

2. Le cinquième moyen: en rejetant la demande formée par la requérante au titre de la responsabilité pour négligence ou pour faute, le Tribunal a erronément considéré que les arguments de Masdar étaient lacunaires

a) Principaux arguments

68.

Par son cinquième moyen, Masdar soutient que, en rejetant sa demande formée au titre de la responsabilité pour négligence ou pour faute, le Tribunal a erronément estimé que les arguments de Masdar étaient lacunaires, étant donné que la question est parfaitement claire dans les circonstances particulières de l’espèce où la Commission exerce des pouvoirs de recouvrement en vertu du règlement financier.

69.

Elle maintient que, bien qu’ayant eu connaissance depuis octobre 1998 des irrégularités commises par Helmico, la Commission a d’abord autorisé, voire encouragé la requérante à achever les travaux, puis a exercé ses pouvoirs de recouvrement, privant ainsi Helmico de toutes les ressources perçues en vertu des contrats. La Commission savait que cela rendrait inopérant le mécanisme de rémunération de Masdar qui avait été établi en concertation avec la Commission et avec son accord. Dans ces conditions, on ne peut que conclure que les conséquences préjudiciables subies par Masdar s’expliquent par la négligence ou l’imprudence avec lesquelles la Commission a agi alors qu’elle avait un devoir de sollicitude.

70.

Masdar soutient enfin que, dans le cadre du droit communautaire, les limites de la responsabilité pour les pertes purement financières devraient être étendues, par rapport aux conditions du droit anglais de la responsabilité pour les pertes purement financières, compte tenu des pouvoirs particuliers de recouvrement dont la Commission dispose lorsqu’il est manifeste que l’ordre de recouvrement aura pour effet de priver de leur rémunération des sous-traitants qui ont respecté leurs obligations. À titre subsidiaire, ces limites devraient être étendues pour couvrir les circonstances particulières de la présente affaire.

71.

D’après la Commission, les arguments invoqués par Masdar sont à la fois irrecevables en ce sens qu’ils visent à contester des constatations de fait, et dénués de pertinence en ce qu’ils portent sur un point que le Tribunal n’a pas abordé. C’est à bon droit, selon elle, que le Tribunal a conclu que Masdar n’avait simplement pas étayé son argumentation et qu’il a rejeté la demande fondée sur la faute.

b) Appréciation

72.

En premier lieu, il convient de relever que les moyens soulevés par Masdar devant le Tribunal et fondés sur la responsabilité pour négligence ou pour faute étaient liés au comportement de la Commission en ce qu’elle avait suspendu les paiements à Helmico, ainsi que le Tribunal l’a expressément indiqué au point 140 de l’arrêt entrepris, sans susciter de griefs de Masdar à cet égard dans la présente procédure. En conséquence, aux points 140 et 141 de l’arrêt entrepris, visés par le cinquième moyen, le Tribunal s’est borné à examiner si la Commission avait agi avec négligence ou fautivement en suspendant les paiements à Helmico.

73.

Il s’ensuit que, dans la mesure où Masdar vise le problème des ordres de recouvrement, décision de la Commission qu’il faut distinguer de la suspension antérieure des paiements en 1999, et où elle soutient que la Commission l’a, de ce fait, privée en définitive du paiement par Helmico et où elle invoque divers autres faits de l’espèce qui ne se rattachent pas directement à cette suspension ou qui se sont produits ultérieurement, les arguments de Masdar sont dénués de pertinence, comme la Commission l’a relevé à juste titre, et ne sauraient aboutir.

74.

Ce volet du cinquième moyen doit donc être rejeté.

75.

S’agissant, ensuite, du grief fait au Tribunal d’avoir erronément jugé lacunaires, au point 141 de l’arrêt entrepris, les arguments que Masdar a avancés au soutien de sa demande ou quant à la source et à l’étendue de ce devoir, il convient de relever, en premier lieu, que l’absence d’argument étayé à cet égard n’a été, ainsi qu’il ressort du raisonnement du Tribunal dans ce point, qu’un seul des motifs qui ont justifié le rejet pour absence de fondement du moyen tiré de la faute ou de la négligence. Le Tribunal a également estimé que l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation alléguée et le dommage invoqué n’avait pas été démontrée. Il s’ensuit que, même à admettre l’existence d’un devoir de diligence tel que celui allégué par Masdar, cela ne pourrait pas ébranler, en soi, la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal en rejetant ce moyen.

76.

En second lieu, bien que l’on puisse certainement affirmer que, dans l’exercice de ses fonctions, la Commission est soumise à une obligation générale de diligence au même titre qu’au principe de bonne administration ( 11 ) et, selon les circonstances, à diverses autres obligations, il est loin d’être évident qu’il existerait une obligation particulière à l’égard des intérêts d’un tiers dans une situation contractuelle telle que celle de l’espèce qui empêcherait la Commission de suspendre des paiements dans des circonstances semblables à celles que l’on rencontre ici. La question n’est donc pas évidente, comme l’a prétendu Masdar, dans les circonstances particulières mentionnées, et on ne saurait non plus affirmer a priori que les conséquences préjudiciables subies par Masdar s’expliquent par la négligence ou l’imprudence avec lesquelles la Commission aurait agi.

77.

J’estime par conséquent que, s’agissant des arguments invoqués par Masdar à l’appui du moyen tiré de la faute ou de la négligence, le Tribunal était en droit de juger que Masdar n’a pas suffisamment étayé sa demande.

78.

Il s’ensuit que le cinquième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

3. Les sixième et septième moyens relatifs aux constatations du Tribunal selon lesquelles la Commission n’a donné aucune assurance

a) Principaux arguments

79.

Par ses sixième et septième moyens, Masdar conteste le raisonnement développé dans l’arrêt entrepris pour rejeter l’idée défendue par Masdar selon laquelle la Commission a donné des assurances qui ont fait naître des attentes légitimes.

80.

À l’appui de ces moyens-là, Masdar soutient, en premier lieu, que le Tribunal a erronément estimé qu’aucun élément n’avait été produit devant lui pour établir que les assurances invoquées par Masdar avaient été données à la réunion du 2 octobre 1998. Compte tenu des motifs, énoncés aux points 143 et 149 de l’arrêt entrepris, pour lesquels le Tribunal a refusé d’entendre le témoignage relatif à ces assurances, le Tribunal ne pouvait pas faire de telles constatations.

81.

Masdar prétend, en deuxième lieu, que le Tribunal a erronément estimé qu’il était hautement improbable que les assurances évoquées aient été données. Le Tribunal a fondé cette appréciation sur une base erronée et incomplète en ce qu’il a méconnu le contexte particulier de l’espèce, en ce compris la faculté de Masdar de rompre les contrats de sous-traitance et le droit de la Commission de suspendre les contrats principaux et d’émettre des ordres de recouvrement. De plus, Masdar estime que la volonté commune à la fois de la Commission et de Masdar de voir achever les projets et que Masdar soit rémunérée pour son travail, évoquée au point 148 de l’arrêt entrepris, ne peut pas se concevoir sans que des assurances réciproques aient été données d’une manière ou d’une autre.

82.

En troisième lieu, Masdar soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant, au point 128 de l’arrêt entrepris, que le caractère informel de la réunion du 2 octobre 1998 était établi par le fait que la Commission n’avait pas dressé de procès-verbal, et c’est donc à tort qu’il a écarté la possibilité que la Commission ait donné les assurances invoquées.

83.

Masdar relève enfin que, dans ce contexte-là, il ne fait guère de doute que la Commission a donné ces assurances.

84.

La Commission soutient en revanche que, par ces moyens, Masdar cherche en réalité à revenir sur des questions de fait en sorte qu’ils sont irrecevables. En tout état de cause, le Tribunal a examiné en détail la question de savoir si des assurances précises avaient été ou non données et ses conclusions sur ce point sont exactes selon elle.

b) Appréciation

85.

Dans les arguments développés à l’appui des sixième et septième moyens, Masdar tente, en substance, de remettre en cause l’appréciation du Tribunal, aux points 119 à 130 de l’arrêt entrepris, sur la question de savoir si les assurances invoquées par Masdar ont été données à la réunion du 2 octobre 1998, et elle soutient que le Tribunal aurait dû conclure, au vu des circonstances de l’espèce, que la Commission avait effectivement donné de telles assurances.

86.

Masdar remet ainsi clairement en cause l’appréciation que le Tribunal a portée sur les éléments de preuve visant à établir que des assurances ont été données.

87.

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans un pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis ( 12 ).

88.

Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour ( 13 ).

89.

Masdar n’ayant, en l’espèce, allégué aucune dénaturation des faits et des éléments de preuve présentés au Tribunal ou ne l’ayant, en tout état de cause, pas établie, les sixième et septième moyens sont irrecevables en ce qu’ils visent l’appréciation que le Tribunal a portée sur des éléments de preuve.

90.

De surcroît, s’agissant, en particulier, du grief émis par Masdar à l’encontre du refus du Tribunal, aux points 143 à 149 de l’arrêt entrepris, d’entendre un témoignage relatif à la réunion du 2 octobre 1998, il convient de relever que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi ( 14 ). Ainsi, la Cour a notamment jugé que, même si une demande d’audition de témoins, formulée dans la requête, indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu d’entendre le ou les témoins et les motifs de nature à justifier leur audition, il appartient au Tribunal d’apprécier la pertinence de la demande par rapport à l’objet du litige et à la nécessité de procéder à l’audition des témoins cités ( 15 ).

91.

C’est exactement ce que le Tribunal a fait dans les passages visés de son arrêt, constatant au point 148 de ce dernier que le contenu du témoignage ne suffirait pas, en tout état de cause, à prouver le fait pertinent, à savoir l’existence d’assurances données par la Commission quant au paiement de Masdar.

92.

En deuxième lieu, dans la mesure où Masdar semble suggérer dans ce contexte que l’arrêt présente une incohérence entre les motifs pour lesquels le Tribunal a refusé d’entendre un témoignage et son constat voulant que les assurances invoquées n’aient pas été données, cette allégation est sans fondement puisque, ainsi que le Tribunal l’a indiqué à juste titre au point 148 de l’arrêt entrepris, l’existence, entre les parties, d’une volonté commune de voir la requérante achever le projet et être rémunérée pour son travail est une chose, tandis que des assurances précises d’un paiement direct à Masdar données par la Commission est une autre chose.

93.

Il s’ensuit que les sixième et septième moyens doivent être rejetés.

4. Le quatrième moyen selon lequel les conclusions du Tribunal sur les moyens tirés de l’enrichissement sans cause et de la gestion d’affaires, d’une part, et sur le moyen tiré de la protection de la confiance légitime, d’autre part, sont incohérentes

a) Arguments principaux

94.

Masdar fait grief au Tribunal d’avoir examiné l’application du principe de protection de la confiance légitime en déterminant que les conditions strictes de son application n’étaient pas remplies, même s’il croyait comprendre, implicitement, que la Commission avait incité la requérante à continuer de fournir les services (point 101 de l’arrêt entrepris) et que Masdar et la Commission étaient animées d’une volonté commune de voir Masdar achever les projets et être rémunérée pour son travail (point 148 de l’arrêt entrepris).

95.

Par identité de motifs avec les moyens précédents, elle allègue que quelque chose s’est peut-être produit à la réunion du 2 octobre 1998 et/ou durant les échanges ultérieurs avec la Commission, qui a eu pour effet d’inciter Masdar à continuer de fournir les services requis par son contrat de sous-traitance avec Helmico. S’il se peut que ce «quelque chose» ne réponde pas au critère restrictif que le Tribunal retient pour établir le bien-fondé d’une demande formée au titre de la confiance légitime, il était certainement suffisamment consistant pour persuader Masdar de continuer à fournir les services, ce qui montre que c’est à tort que le Tribunal a conclu que les éléments produits ne faisaient pas apparaître d’assurances précises données par la Commission, permettant à Masdar de former une telle demande.

96.

Elle soutient, à titre subsidiaire, que le critère retenu par le Tribunal est trop restrictif et aboutit à un résultat injuste dans des cas comme celui de la présente affaire. Il conviendrait par conséquent de juger que l’on peut déduire l’existence d’assurances précises dans des circonstances comme celles de la présente affaire.

97.

Enfin, Masdar conteste le constat fait au point 103 de l’arrêt entrepris, selon lequel, en continuant de travailler sur le projet, elle prenait un risque commercial que l’on pourrait qualifier de normal. Aucun opérateur sensé n’aurait continué à travailler dans ces conditions, à moins que le comportement de la Commission n’ait été de nature à susciter dans le chef de cette personne une confiance légitime d’être rémunérée pour les services fournis.

98.

Selon la Commission, les arguments invoqués dans le cadre de ce moyen sont irrecevables et, en tout état de cause, manifestement dénués de fondement.

b) Appréciation

99.

S’agissant, en premier lieu, de l’incohérence alléguée entre les constats du Tribunal au point 101, d’une part, et au point 148 de l’arrêt entrepris, d’autre part, ce grief repose, du moins en partie, sur une lecture erronée du premier point visé dans lequel le Tribunal a simplement affirmé: «En effet, l’action du gérant s’effectue en règle générale à l’insu du [maître], ou du moins sans que ce dernier soit conscient de la nécessité d’agir immédiatement. Or, la requérante soutient elle-même que son choix de poursuivre les travaux en octobre 1998 résultait de l’incitation de la Commission.»

100.

Lue dans son contexte, cette affirmation du Tribunal visait clairement à mettre en évidence la contradiction entre la demande formée par Masdar au titre de la gestion d’affaires et son argument tiré de la protection de la confiance légitime en ce sens que la Commission l’a incitée à continuer de fournir les services, plutôt qu’à souscrire à ce dernier argument. En outre, Masdar semble implicitement confirmer que le Tribunal ne partageait pas cette analyse, puisqu’elle soutient qu’il aurait dû retenir un événement quelconque qui l’aurait incitée à continuer les travaux.

101.

En tout état de cause, même si, comme Masdar le prétend, le Tribunal a cru comprendre, implicitement, que la Commission avait incité la requérante à continuer de fournir les services, cela ne revient pas nécessairement à dire que des assurances précises avaient été données qui fonderaient une demande au titre de la confiance légitime.

102.

Dans un même ordre d’idées, j’ai déjà rejeté le moyen faisant grief au Tribunal d’avoir tenu un raisonnement incohérent en déterminant au point 148 de l’arrêt entrepris que Masdar et la Commission avaient une volonté commune de voir achever les projets.

103.

Les autres arguments invoqués à l’appui du quatrième moyen visent encore le constat du Tribunal selon lequel aucune assurance précise n’a été donnée, constat qui est, comme je l’ai déjà mentionné, fondé sur une appréciation de faits qui ne saurait, en tant que telle, être contestée dans un pourvoi ( 16 ).

104.

Il suffit d’indiquer à cet égard que, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre à l’audience, il est loin d’être convaincant de soutenir que l’unique raison expliquant la poursuite des travaux par Masdar — même si le risque commercial encouru de ce fait pouvait être considéré comme supérieur à la normal — pourrait être que la Commission avait donné à Masdar à la réunion du 2 octobre 1998 et/ou lors d’échanges ultérieurs, les assurances qu’elle invoque.

105.

Le quatrième moyen doit, dès lors, être également rejeté.

106.

Il découle des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

VI — Sur les dépens

107.

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de Masdar et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

VII — Conclusion

108.

Par ces motifs, je propose à la Cour de:

1)

rejeter le pourvoi;

2)

condamner Masdar (UK) Ltd aux dépens.


( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) T-333/03, Rec. p. II-4377.

( 3 ) Le paiement réclamé correspond à la valeur totale des services faisant l’objet des factures dont le paiement a été suspendu: voir points 71 et 98 de l’arrêt entrepris.

( 4 ) Voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 59), et du 21 février 2008, Commission/Girardot (C-348/06 P, Rec. p. I-833, point 49).

( 5 ) Voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (C-352/98 P, Rec. p. I-5291, point 35); du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil (C-76/01 P, Rec. p. I-10091, point 47), et Commission/Girardot (précité à la note 4, point 49).

( 6 ) Voir, en ce sens, notamment arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission (C-7/95 P, Rec. p. I-3111, point 19), et du 7 juillet 2005, Le Pen/Parlement (C-208/03 P, Rec. p. I-6051, point 39 et jurisprudence citée).

( 7 ) Pour une analyse approfondie de la responsabilité sans faute de la Communauté, voir les récentes conclusions de l’avocat général Poiares Maduro, points 53 à 83, dans l’affaire FIAMM e.a./Conseil et Commission (C-120/06 P et C-121/06 P, pendante devant la Cour).

( 8 ) En outre, la présente affaire ne soulève pas, selon moi, un problème qui peut être considéré comme étant une question d’ordre public que la Cour pourrait ou devrait soulever d’office. Voir, à cet égard, les critères stricts proposés par l’avocat général Jacobs aux points 140 à 143 de ses conclusions dans l’affaire Salzgitter/Commission (arrêt du 13 juillet 2000, C-210/98 P, Rec. p. I-5843), selon lesquels 1) il convient en premier lieu de déterminer si la règle violée vise à servir un objectif fondamental de l’ordre juridique communautaire et si elle joue un rôle significatif dans la réalisation de cet objectif; 2) il convient en deuxième lieu d’apprécier si la règle violée a été fixée dans l’intérêt des tiers ou de la collectivité en général, et non pas simplement dans l’intérêt des personnes directement concernées; 3) il faut en troisième lieu que l’infraction commise soit manifeste, autrement dit que tant la Cour que les tiers puissent aisément la déceler et l’identifier comme telle.

( 9 ) Voir, en ce sens, point 55 des conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire FIAMM e.a./Conseil et Commission (précitée à la note 7).

( 10 ) Voir points 46 à 50 des présentes conclusions.

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, Rec. p. I-6717, point 52).

( 12 ) Voir arrêts Deere/Commission, précité à la note 6, point 22; du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C-403/04 P et C-405/04 P, Rec. p. I-729, point 38), et du 22 novembre 2007, Sniace/Commission (C-260/05 P, Rec. p. I-10005, point 35).

( 13 ) Arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission (C-53/92 P, Rec. p. I-667, point 42), ainsi que du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123, point 49).

( 14 ) Voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2001, Ismeri Europa/Cour des comptes (C-315/99 P, Rec. p. I-5281, point 19); du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI (C-136/02 P, Rec. p. I-9165, point 76), et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 67).

( 15 ) Voir, notamment, arrêts Sniace/Commission, précité à la note 12, point 78, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité à la note 14, point 68.

( 16 ) Voir points 87 et 88 des présentes conclusions.

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