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Document 62006CJ0186

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 18 décembre 2007.
Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne.
Manquement d’État - Directive 79/409/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Zone irrigable du canal Segarra-Garrigues (Lérida).
Affaire C-186/06.

Recueil de jurisprudence 2007 I-12093

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:813

Affaire C-186/06

Commission des Communautés européennes

contre

Royaume d'Espagne

«Manquement d’État — Directive 79/409/CEE — Conservation des oiseaux sauvages — Zone irrigable du canal Segarra-Garrigues (Lérida)»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 26 avril 2007 

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 18 décembre 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Recours en manquement — Objet du litige — Détermination au cours de la procédure précontentieuse

(Art. 226 CE)

2.     Recours en manquement — Objet du litige — Détermination au cours de la procédure précontentieuse

(Art. 226 CE)

3.     Environnement — Conservation des oiseaux sauvages — Directive 79/409 — Mesures de conservation spéciale

(Directives du Conseil 79/409, art. 4, § 4, et 92/43, art. 6, § 2, et 7)

4.     Environnement — Conservation des oiseaux sauvages — Directive 79/409 — Classement en zone de protection spéciale

(Directive du Conseil 79/409, art. 4)

5.     Environnement — Conservation des oiseaux sauvages — Directive 79/409 — Mesures de conservation spéciale

(Directive du Conseil 79/409, art. 4, § 4)

1.     Dans le cadre d'un recours au titre de l'article 226 CE, la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l'État membre puis l'avis motivé émis par ladite institution délimitent l'objet du litige, lequel ne peut plus, dès lors, être étendu. En effet, la possibilité pour l'État membre concerné de présenter des observations constitue, même s'il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d'un État membre. Par conséquent, l'avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux de la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse. Si tel n'est pas le cas, une pareille irrégularité ne peut être considérée comme effacée par le fait que l'État membre défendeur a formulé des observations sur l'avis motivé.

Dès lors, est irrecevable un recours en manquement pour autant qu'il repose sur des griefs qui ne figuraient pas dans la lettre de mise en demeure.

(cf. points 15-17)

2.     L'avis motivé et le recours visés à l'article 226 CE doivent être fondés sur les mêmes moyens et motifs et présenter les griefs de façon cohérente et précise afin de permettre à l'État membre concerné et à la Cour d'appréhender exactement la portée de la violation du droit communautaire reprochée, condition nécessaire pour que ledit État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l'existence du manquement allégué.

Dès lors, est irrecevable un recours en manquement pour ce qui est d'un moyen dont les motifs ont été changés par rapport à ceux invoqués dans le cadre de la procédure précontentieuse et qui ne répond donc pas aux exigences de cohérence et de précision énoncées.

(cf. points 18, 22-23)

3.     L'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseaux sauvages, impose aux États membres de prendre les mesures appropriées pour éviter dans les zones de protection spéciale (ZPS) la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu'elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs dudit article.

Les États membres doivent respecter les obligations qui découlent de cette disposition même lorsque les zones concernées n'ont pas été classées en ZPS dès lors qu'elles devaient l'être.

En ce qui concerne les zones classées en ZPS, l'article 7 de la directive 92/43, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, prévoit que les obligations découlant de l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409 sont remplacées, notamment, par les obligations découlant de l'article 6, paragraphe 2, de la directive 92/43, à partir de la date de mise en application de celle-ci ou de la date de classification en vertu de la directive 79/409 si cette dernière date est postérieure. Ainsi, les zones qui n'ont pas été classées en ZPS alors qu'elles auraient dû l'être continuent de relever du régime propre à l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409.

(cf. points 26-28)

4.     L'inventaire «Important Bird Areas» de 1998, qui dresse un inventaire actualisé des zones importantes pour la conservation des oiseaux dans un État membre, constitue, en l'absence de preuves scientifiques contraires, un élément de référence permettant d'apprécier si cet État a classé en zones de protection spéciale des territoires suffisants en nombre et en superficie pour offrir une protection à toutes les espèces d'oiseaux énumérées à l'annexe I de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseux sauvages, ainsi qu'aux espèces migratrices non visées à cette annexe.

(cf. point 30)

5.     Manque à l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 4, paragraphe 4, première phrase de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseaux sauvages, un État membre qui autorise un projet d'irrigation d'envergure tel que celui en cause sans prendre les mesures appropriées pour éviter, dans les zones affectées par ce projet qui auraient dû être classées en zones de protection spéciale (ZPS), les nuisances interdites. À cet égard, une telle obligation existe dès avant qu'une diminution du nombre d'oiseaux ait été constatée ou qu'un risque de disparition d'une espèce protégée se soit concrétisé.

Cette constatation ne saurait être remise en cause par la seule circonstance que ledit projet revêt une importance considérable pour le développement économique et social du territoire qu'il concerne. En effet, la faculté des États membres de porter une atteinte significative à des zones qui auraient dû être classées en ZPS et qui relèvent du régime propre à l'article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409 ne saurait, en tout état de cause, être justifiée par des exigences économiques et sociales.

(cf. points 36-37)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

18 décembre 2007 (*)

«Manquement d’État – Directive 79/409/CEE – Conservation des oiseaux sauvages – Zone irrigable du canal Segarra-Garrigues (Lérida)»

Dans l’affaire C‑186/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 18 avril 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes D. Recchia et A. Alcover San Pedro, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. L. Bay Larsen (rapporteur), K. Schiemann, P. Kūris et J.-C. Bonichot, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 avril 2007,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ce qui concerne le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues, dans la province de Lérida, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 à 4, paragraphes 1 et 4, de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1, ci-après la «directive ‘oiseaux’»).

 Le cadre juridique

2       En vertu de l’article 2 de la directive «oiseaux», les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité CE est d’application à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles.

3       L’article 3 de la directive «oiseaux» est libellé comme suit:

«1.      Compte tenu des exigences mentionnées à l’article 2, les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d’habitats pour toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er.

2.      La préservation, le maintien et le rétablissement des biotopes et des habitats comportent en premier lieu les mesures suivantes:

a)      création de zones de protection;

b)      entretien et aménagement conformes aux impératifs écologiques des habitats se trouvant à l’intérieur et à l’extérieur des zones de protection;

c)      rétablissement des biotopes détruits;

d)      création de biotopes.»

4       L’article 4 de la directive «oiseaux» dispose:

«1.      Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

À cet égard, il est tenu compte:

a)      des espèces menacées de disparition;

b)      des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats;

c)      des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte;

d)      d’autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.

Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.

Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces dernières dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

[…]

4.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2 la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s’efforcent également d’éviter la pollution ou la détérioration des habitats.»

5       L’article 6, paragraphe 2, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7, ci-après la «directive ‘habitats’») dispose:

«Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.»

 Les faits et la procédure précontentieuse

6       En 2001, la Commission a reçu une plainte selon laquelle le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues frapperait les deux seules zones importantes pour la conservation des oiseaux des steppes en Catalogne, dites également «Important Bird Areas» (ci-après les «IBA»), identifiées sous les numéros 142 et 144 dans l’inventaire des IBA de 1998.

7       Par lettre du 22 novembre 2001, la Commission a demandé au Royaume d’Espagne des renseignements concernant, notamment, ledit projet ainsi que le classement en zones de protection spéciale (ci-après les «ZPS») de territoires compris dans les IBA 142 et 144.

8       Les réponses et les informations transmises par les autorités espagnoles n’ayant pas été jugées convaincantes par la Commission, celle-ci a, le 1er avril 2004, adressé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure faisant état de l’application incorrecte de la directive «oiseaux» pour ne pas avoir classé des ZPS de manière suffisante en nombre et en superficie, notamment dans la zone du canal Segarra-Garrigues affectée par le projet de mise en irrigation, et pour avoir autorisé ce projet, lequel entraînerait la détérioration, voire la destruction de l’habitat de plusieurs espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de ladite directive.

9       Les autorités espagnoles ont répondu à la lettre de mise en demeure par lettre du 21 juin 2004.

10     Estimant que l’infraction à la directive «oiseaux» n’avait pas cessé, la Commission a, le 14 décembre 2004, émis un avis motivé invitant le Royaume d’Espagne à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

11     La réponse des autorités espagnoles à l’avis motivé, envoyée le 4 mars 2005, n’ayant pas été considérée comme satisfaisante par la Commission, cette dernière a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

12     Dans son recours, la Commission précise que celui-ci porte non pas sur le classement insuffisant de ZPS, mais sur l’autorisation du projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues et les conséquences préjudiciables de ce projet pour certaines espèces d’oiseaux visées à l’annexe I de la directive «oiseaux».

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

13     Le Royaume d’Espagne fait valoir, en premier lieu, que, dans son avis motivé et sa requête, la Commission a élargi l’objet de la procédure, puisque, dans la lettre de mise en demeure, le Royaume d’Espagne n’avait été invité à présenter des observations qu’au sujet d’une violation de l’article 4, paragraphes 1 et 4, de la directive «oiseaux», et non à propos d’une violation des articles 2 et 3 de cette directive. En second lieu, le Royaume d’Espagne soutient que la requête ne fournit pas d’argumentation en vue d’établir quelles obligations, parmi celles qu’impose l’article 4, paragraphe 1, de la directive «oiseaux», ont été violées.

14     Tout en soulignant, d’une part, l’existence d’un rapport étroit entre les articles 2 à 4 de la directive «oiseaux» et, d’autre part, le fait que le paragraphe 1 complète le paragraphe 4 de l’article 4 de cette directive, la Commission s’en remet à la Cour quant à l’opportunité d’examiner les moyens présentés à la seule lumière de l’article 4, paragraphe 4, de la directive «oiseaux».

 Appréciation de la Cour

15     S’agissant du premier point soulevé par l’État membre défendeur, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre puis l’avis motivé émis par la Commission délimitent l’objet du litige, lequel ne peut plus, dès lors, être étendu. En effet, la possibilité pour l’État membre concerné de présenter ses observations constitue, même s’il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’un État membre. Par conséquent, l’avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux de la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse (voir arrêts du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C‑191/95, Rec. p. I‑5449, point 55, et du 14 juin 2007, Commission/Belgique, C‑422/05, non encore publié au Recueil, point 25). Si tel n’est pas le cas, une pareille irrégularité ne peut pas être considérée comme effacée par le fait que l’État membre défendeur a formulé des observations sur l’avis motivé (voir arrêt du 11 juillet 1984, Commission/Italie, 51/83, Rec. p. 2793, points 6 et 7).

16     En l’espèce, il est constant que la lettre de mise en demeure ne contenait aucune mention d’une prétendue violation des articles 2 et 3 de la directive «oiseaux» par le Royaume d’Espagne.

17     Par conséquent, le recours est irrecevable en ce qu’il a trait aux griefs tirés de la violation des articles 2 et 3 de ladite directive.

18     En ce qui concerne le second point soulevé par le Royaume d’Espagne, il y a lieu de rappeler que l’avis motivé et le recours visés à l’article 226 CE doivent être fondés sur les mêmes moyens et motifs et présenter les griefs de façon cohérente et précise afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit communautaire reprochée, condition nécessaire pour que ledit État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué (voir arrêts du 1er décembre 1993, Commission/Danemark, C-234/91, Rec. p. I‑6273, point 16, et du 4 mai 2006, Commission/Royaume-Uni, C-98/04, Rec. p. I‑4003, point 18).

19     En l’occurrence, la Commission a, dans ses mise en demeure et avis motivé, fait grief au Royaume d’Espagne d’avoir enfreint l’article 4, paragraphe 1, de la directive «oiseaux», au motif que les ZPS classées par les autorités espagnoles, notamment, dans la zone affectée par le projet de mise en irrigation du canal Segarra-Garrigues, ne suffisaient pas à protéger les territoires les plus adéquats en nombre et en superficie à l’égard de plusieurs espèces incluses dans l’annexe I de cette directive. La Commission a, à la même occasion, fait grief au Royaume d’Espagne d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de ladite directive, motif pris de ce que l’exécution dudit projet entraînerait un risque évident de détérioration de l’habitat des espèces d’oiseaux des steppes présentes dans la zone concernée.

20     Or, ainsi qu’il est indiqué au point 12 du présent arrêt, le recours porte non pas sur le classement insuffisant de ZPS, mais sur l’autorisation du projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues et les conséquences préjudiciables de ce projet pour certaines espèces d’oiseaux protégées.

21     Néanmoins, la Commission maintient son moyen tiré de la violation, par le Royaume d’Espagne, de l’article 4, paragraphe 1, de la directive «oiseaux», non pas en raison d’un classement insuffisant de sites en ZPS, mais du fait de l’autorisation dudit projet d’irrigation.

22     Dans ces conditions, le présent recours ne répond pas, pour ce qui est dudit moyen, dont les motifs ont été changés par rapport à ceux invoqués dans le cadre de la procédure précontentieuse, aux exigences de cohérence et de précision rappelées au point 18 du présent arrêt.

23     Par suite, le recours, en ce qu’il fait grief au Royaume d’Espagne d’avoir enfreint l’article 4, paragraphe 1, de la directive «oiseaux», est irrecevable.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

24     À l’appui de son recours, la Commission soutient que le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues se trouve dans le périmètre des IBA 142 et 144 et aura des répercussions négatives sur certaines espèces d’oiseaux des steppes visées à l’annexe I de la directive «oiseaux». À cet égard, la Commission précise que le fait d’avoir exclu du classement en ZPS certains territoires des IBA 142 et 144, concernés par ledit projet, n’exonère pas le Royaume d’Espagne de l’obligation de respecter les exigences posées par l’article 4, paragraphe 4, de la directive «oiseaux».

25     Le Royaume d’Espagne fait valoir que la Commission n’a pas apporté la preuve que le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues viole la directive «oiseaux». En tout état de cause, les mesures de protection que comporte ce projet seraient appropriées pour éviter, dans la zone couverte par celui-ci, les conséquences négatives visées à l’article 4, paragraphe 4, de cette directive.

 Appréciation de la Cour

26     L’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux» impose aux États membres de prendre les mesures appropriées pour éviter dans les ZPS la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs dudit article.

27     Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les États membres doivent respecter les obligations qui découlent de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux», même lorsque les zones concernées n’ont pas été classées en ZPS dès lors qu’elles devaient l’être (voir arrêts du 18 mars 1999, Commission/France, C‑166/97, Rec. p. I-1719, point 38, et du 20 septembre 2007, Commission/Italie, C‑388/05, non encore publié au Recueil, point 18).

28     En revanche, en ce qui concerne les zones classées en ZPS, l’article 7 de la directive «habitats» prévoit que les obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux» sont remplacées, notamment, par les obligations découlant de l’article 6, paragraphe 2, de la directive «habitats», à partir de la date de mise en application de celle-ci ou de la date de classification en vertu de la directive «oiseaux» si cette dernière date est postérieure (voir arrêt du 13 juin 2002, Commission/Irlande, C-117/00, Rec. p. I-5335, point 25). Ainsi, les zones qui n’ont pas été classées en ZPS alors qu’elles auraient dû l’être continuent de relever du régime propre à l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux» (voir arrêt du 7 décembre 2000, Commission/France, C‑374/98, Rec. p. I-10799, point 47).

29     La Commission ayant fondé son recours sur l’article 4, paragraphe 4, de la directive «oiseaux», seules les zones affectées par le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues qui auraient dû être classées en ZPS avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé sont concernées.

30     À cet égard, la Cour a considéré que l’inventaire des IBA de 1998, qui dresse un inventaire actualisé des zones importantes pour la conservation des oiseaux en Espagne, constitue, en l’absence de preuves scientifiques contraires, un élément de référence permettant d’apprécier si cet État membre a classé en ZPS des territoires suffisants en nombre et en superficie pour offrir une protection à toutes les espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de la directive «oiseaux» ainsi qu’aux espèces migratrices non visées à cette annexe (voir arrêt du 28 juin 2007, Commission/Espagne, C-235/04, non encore publié au Recueil, point 27).

31     Or, il ressort du dossier que certains territoires inclus dans les IBA 142 et 144, affectés par le projet d’irrigation en cause, tels que les zones dénommées «Plans de Sió», «Belianes-Preixana» et «Secans del Segrià-Garrigues», abritant notamment des populations d’outarde canepetière (Tetrax tetrax), de sirli de Dupont (Chersophilus duponti), de rollier d’Europe (Coracias garrulus) et d’aigle de Bonelli (Hieraætus fasciatus), ont fait l’objet d’un classement ou d’une extension de classement en vertu de la décision, adoptée par la Generalitat de Catalogne le 5 septembre 2006, portant désignation de ZPS et approuvant la proposition de sites d’importance communautaire.

32     Il apparaît donc que de telles zones, qui avaient vocation à être classées en ZPS avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, relevaient du régime de protection visé à l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux», conformément à la jurisprudence rappelée aux points 27 et 28 du présent arrêt.

33     À cet égard, il importe de relever que, selon la déclaration d’impact environnemental publiée au journal officiel n° 3757 de la Generalitat de Catalogne, du 8 novembre 2002, le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues aurait, notamment en ce qui concerne les habitats des oiseaux des steppes, un caractère grave, malgré les mesures préventives, correctrices et compensatrices proposées dans l’étude d’impact environnemental et en dépit des mesures additionnelles envisagées dans la déclaration elle-même.

34     Il est indiqué à l’annexe 3 de ladite déclaration que la réalisation d’un projet d’irrigation d’une telle envergure peut avoir un impact important sur les populations d’oiseaux menacés et que, dès lors, il y aura lieu d’approuver les plans de rétablissement des espèces visées à cette même annexe ainsi que leur mise en œuvre, destinée à assurer la conservation de ces espèces et, si possible, leur rétablissement.

35     Par ailleurs, il n’est pas contesté que les travaux nécessaires à la réalisation dudit projet, dont il est prévu qu’ils durent dix ans, ont débuté au mois de juin 2002.

36     Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en autorisant le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues, l’État membre concerné n’a pas respecté l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux» de prendre les mesures appropriées pour éviter, dans les zones affectées par ce projet qui auraient dû être classées en ZPS, les nuisances interdites, ladite obligation existant, selon la jurisprudence de la Cour, dès avant qu’une diminution du nombre d’oiseaux ait été constatée ou qu’un risque de disparition d’une espèce protégée se soit concrétisé (voir arrêt du 2 août 1993, Commission/Espagne, C-355/90, Rec. p. I-4221, point 15).

37     Cette constatation ne saurait être remise en cause par la seule circonstance que ledit projet a, ainsi que l’a soutenu en substance le Royaume d’Espagne, une importance considérable pour le développement économique et social du territoire qu’il concerne. En effet, la faculté des États membres de porter une atteinte significative à des zones qui auraient dû être classées en ZPS et qui, selon ce qui a été rappelé aux point 27 et 28 du présent arrêt, relèvent du régime propre à l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux» ne saurait, en tout état de cause, être justifiée par des exigences économiques et sociales (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 1991, Commission/Allemagne, C‑57/89, Rec. p. I‑883, points 21 et 22).

38     Partant, le recours de la Commission doit être accueilli.

39     Il convient, par conséquent, de constater que, en ce qui concerne les zones affectées par le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues qui auraient dû être classées en ZPS, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive «oiseaux».

40     Le recours est rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

41     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l’article 69, paragraphe 3, premier alinéa, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission n’ayant eu gain de cause que sur une partie de ses conclusions, il y a lieu de compenser les dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      En autorisant le projet d’irrigation de la zone irrigable du canal Segarra-Garrigues, dans la province de Lérida, le Royaume d’Espagne a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, de prendre les mesures appropriées pour éviter, dans les zones affectées par ce projet qui auraient dû être classées en zones de protection spéciales, les nuisances interdites.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chacune des parties supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.

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