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Document 62005TJ0029

Arrêt du Tribunal (quatrième chambre) du 8 septembre 2010.
Deltafina SpA contre Commission européenne.
Concurrence - Ententes - Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut - Décision constatant une infraction à l’article 81 CE - Fixation des prix et répartition du marché - Concordance entre la communication des griefs et la décision attaquée - Droits de la défense - Définition du marché en cause - Amendes - Gravité de l’infraction - Circonstances aggravantes - Rôle de meneur - Coopération.
Affaire T-29/05.

Recueil de jurisprudence 2010 II-04077

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2010:355

Affaire T-29/05

Deltafina SpA

contre

Commission européenne

« Concurrence — Ententes — Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE — Fixation des prix et répartition du marché — Concordance entre la communication des griefs et la décision attaquée — Droits de la défense — Définition du marché en cause — Amendes — Gravité de l’infraction — Circonstances aggravantes — Rôle de meneur — Coopération »

Sommaire de l'arrêt

1.      Concurrence — Ententes — Imputation à une entreprise — Décision de la Commission constatant la responsabilité d'une entreprise active sur un marché situé immédiatement en aval du marché concerné et ayant contribué activement et de propos délibéré à l'entente

(Art. 3, § 1, g), CE et 81, § 1, CE)

2.      Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire — Respect des droits de la défense — Portée

(Règlements du Conseil nº 17 et nº 1/2003)

3.      Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Affectation du commerce entre États membres — Critères d'appréciation

(Art. 81, § 1, CE)

4.      Actes des institutions — Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en cas d'infraction aux règles de concurrence

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15; communication de la Commission 98/C 9/03)

5.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Appréciation — Appréciation au cas par cas

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 2 et nº 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03)

6.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Appréciation — Interdépendance des trois critères expressément mentionnés par les lignes directrices arrêtées par la Commission — Qualification d'une infraction de très grave — Rôle primordial du critère tiré de la nature de l'infraction

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 2 et nº 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03)

7.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Impact concret sur le marché

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 2 et nº 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 1)

8.      Concurrence — Amendes — Cadre juridique — Détermination — Incidence de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission — Absence

(Règlements du Conseil nº 17 et nº 1/2003)

9.      Actes des institutions — Motivation — Obligation — Portée

(Art. 253 CE)

10.    Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire — Respect des droits de la défense

(Règlements du Conseil nº 17 et nº 1/2003; communication de la Commission 98/C 9/03, point 2)

11.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances aggravantes — Rôle de meneur de l'infraction — Notion

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 2 et nº 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03, point 2)

12.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Circonstances atténuantes — Appréciation — Nécessité d'une prise en compte séparée de chacune des circonstances — Absence — Appréciation globale

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 2 et nº 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3)

13.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Circonstances atténuantes — Comportement divergent de celui convenu au sein de l'entente — Appréciation

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15 et nº 1/2003, art. 23; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 2e tiret)

14.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Circonstances atténuantes — Cessation de l'infraction avant l'intervention de la Commission — Exclusion

(Règlements du Conseil nº 17, art. 15, § 2 et nº 1/2003, art. 23, § 3; communication de la Commission 98/C 9/03, point 3, 3e tiret)

15.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Réduction du montant de l'amende en contrepartie d'une coopération de l'entreprise incriminée — Conditions

(Règlements du Conseil nº 17 et nº 1/2003; communication de la Commission 96/C 207/04)

16.    Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Amendes — Détermination — Critères — Élévation du niveau général des amendes — Admissibilité — Conditions

(Art. 81, § 1, CE et 82 CE; règlements du Conseil nº 17 et nº 1/2003)

1.      La Commission n'excède pas les limites de l'interdiction à l'article 81, paragraphe 1, CE en établissant la responsabilité d'une entreprise pour une infraction à cette disposition, lorsque celle-ci, bien qu'étant active sur le marché immédiatement en aval de celui sur lequel les pratiques restrictives de concurrence ont été mises en œuvre, participe activement et de propos délibéré à une entente entre producteurs actifs sur un marché distinct de celui sur lequel elle opère elle-même.

En effet, une entreprise est susceptible de violer l'interdiction prévue à l'article 81, paragraphe 1, CE lorsque son comportement, tel que coordonné avec celui d'autres entreprises, a pour but de restreindre la concurrence sur un marché pertinent particulier à l'intérieur du marché commun, sans que cela présuppose nécessairement qu'elle soit elle-même active sur ledit marché pertinent.

Ainsi, il n’est pas exclu qu’une entreprise puisse participer à la mise en œuvre d’une restriction de la concurrence même si elle ne restreint pas sa propre liberté d’action sur le marché sur lequel elle est principalement active. En effet, toute autre interprétation serait susceptible de réduire la portée de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE dans une mesure contraire à son effet utile et à son objectif principal, tel que lu au regard de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, d’assurer le maintien d’une concurrence non faussée à l’intérieur du marché commun, étant donné qu’elle ne permettrait pas de poursuivre une contribution active d’une entreprise à une restriction de concurrence du seul fait que cette contribution n’émane pas d’une activité économique relevant du marché pertinent sur lequel cette restriction se matérialise ou a pour objet de se matérialiser.

Une lecture des termes « accords entre entreprises » à la lumière des objectifs poursuivis par l’article 81, paragraphe 1, CE et par l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE tend à confirmer l’existence d’une conception de l’entente et de l’entreprise auteur d’une infraction qui n’opère pas de différenciation selon le secteur ou le marché sur lequel les entreprises concernées sont actives.

L’imputation à une entreprise ayant participé à une entente de l’infraction dans son ensemble est conforme aux exigences du principe de responsabilité personnelle lorsque deux conditions sont satisfaites, la première de nature objective et la seconde de nature subjective.

Concernant la première condition, celle-ci est remplie, s’agissant de la relation entre concurrents opérant sur un même marché pertinent ainsi qu’entre de tels concurrents et leurs clients, dès lors que l’entreprise participante a contribué à la mise en œuvre de l’entente, même de façon subordonnée, accessoire ou passive, par exemple par une approbation tacite et par une absence de dénonciation de cette entente aux autorités.

S’agissant de la seconde condition, l’imputation de l’ensemble de l’infraction à l’entreprise participante dépend en outre de la manifestation de sa volonté propre, qui démontre qu’elle souscrit, ne fût-ce que tacitement, aux objectifs de l’entente.

(cf. points 48-49, 51, 57-58, 62)

2.      Le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment des amendes ou des astreintes, exige, notamment, que la communication des griefs, adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence, contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative menée contre elle.

Une violation des droits de la défense au cours de la procédure administrative s’apprécie à la lumière des griefs retenus par la Commission dans la communication des griefs et dans la décision mettant fin à ladite procédure. Dans ces conditions, la constatation d’une violation des droits de la défense suppose que le grief, dont l’entreprise soutient qu’il ne lui était pas reproché dans la communication des griefs, est retenu par la Commission dans sa décision finale. Une simple différence de présentation des faits, visant à rendre compte de ceux-ci de manière plus précise dans la décision finale, ne saurait constituer une modification matérielle des griefs.

(cf. points 113-115, 120)

3.      Pour être susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils exercent une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre États membres. Il faut, en outre, que cette influence ne soit pas insignifiante. Ainsi, une incidence sur les échanges intracommunautaires résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants.

En effet, l’article 81, paragraphe 1, CE n’exige pas que les ententes visées à cette disposition aient affecté sensiblement les échanges intracommunautaires, mais demande qu’il soit établi que ces ententes sont de nature à avoir un tel effet.

(cf. points 167-169)

4.      Si les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA ne sauraient être qualifiées de règle de droit à l’observation de laquelle l’administration serait, en tout cas, tenue, elles énoncent toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement.

(cf. point 230)

5.      Le fait que la Commission ait précisé, par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, son approche quant à l’évaluation de la gravité d’une infraction ne s’oppose pas à ce qu’elle apprécie ce critère globalement en fonction de toutes les circonstances pertinentes, y compris des éléments qui ne sont pas expressément mentionnés dans les lignes directrices.

(cf. point 230)

6.      Les trois critères à prendre en considération dans l’évaluation de la gravité d'une infraction aux règles communautaires de concurrence, aux termes des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, sont la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Ces trois aspects de l’évaluation de la gravité de l’infraction n’ont pas le même poids dans le cadre de l’examen global. La nature de l’infraction joue un rôle primordial, notamment, pour caractériser les infractions « très graves ».

À cet égard, il résulte de la description des infractions très graves par les lignes directrices que des accords ou des pratiques concertées visant, notamment, à la fixation des prix ou à la répartition des marchés peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions graves mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière.

Il existe une interdépendance entre les trois aspects de l’évaluation de la gravité de l’infraction en ce sens qu’un degré élevé de gravité au regard de l’un ou l’autre des aspects peut compenser la gravité moindre de l’infraction sous d’autres aspects.

S’agissant de l’étendue du marché géographique, celle-ci ne représente que l’un des trois critères pertinents aux fins de l’appréciation globale de la gravité de l’infraction et n’est pas un critère autonome en ce sens que seules des infractions concernant la plupart des États membres seraient susceptibles de recevoir la qualification de « très graves ». Ni le traité CE, ni le règlement nº 17 ou le règlement nº 1/2003, ni les lignes directrices, ni la jurisprudence ne permettent de considérer que seules des restrictions géographiquement très étendues peuvent être qualifiées ainsi. Partant, la taille limitée du marché géographique en cause ne s’oppose pas à la qualification de « très grave » de l’infraction constatée. Cette solution s’impose a fortiori pour ce qui est de la taille limitée du marché du produit en cause, la taille du marché du produit n’étant en principe pas un élément devant obligatoirement être pris en compte, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction et fixer le montant de l’amende.

Or, il est clair que l'infraction, reprochée à des transformateurs de tabac et à une entreprise en cause ayant parmi ses activités la commercialisation du tabac transformé, consistant dans la fixation des prix des différentes variétés de tabac brut dans un État membre et dans la répartition des quantités de tabac brut à acheter auprès des producteurs constitue une infraction très grave de par sa nature. Les infractions de ce type sont qualifiées de particulièrement graves dès lors qu’elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné ou d’infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence.

(cf. points 231, 233-234, 238, 240-242)

7.      Dans le cadre de l'appréciation de la gravité de l'infraction aux règles communautaires de concurrence aux fins de la détermination du montant de l'amende, le fait que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que l’entente a un impact concret sur le marché est sans incidence sur la qualification de l’infraction de « très grave ».

L'absence de démonstration suffisante d’un impact concret sur le marché n’est pas susceptible de remettre en cause le montant de départ de l’amende, fixé par la Commission en fonction de la gravité de l’infraction.

(cf. points 250-251)

8.      La pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas, en elle-même, de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence.

(cf. points 292, 426)

9.      La motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de la motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

(cf. point 319)

10.    Dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction alléguée ainsi que la circonstance que celle-ci a été commise « de propos délibéré ou par négligence », elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises concernées d’être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais aussi contre le fait de se voir infliger une amende. Toutefois, obliger la Commission à faire part aux entreprises concernées, au stade de la communication des griefs, d’indications concrètes concernant le niveau des amendes envisagées reviendrait à lui imposer d’anticiper de façon inappropriée sa décision finale.

À cet égard, la qualification de meneur attribuée à une entreprise entraîne d’importantes conséquences quant au montant de l’amende à infliger à cette entreprise. Ainsi, il s’agit, conformément au point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, d’une circonstance aggravante qui entraîne une augmentation non négligeable du montant de base de l’amende. De même, aux termes du point B, sous e), de la communication sur la coopération, une telle qualification exclut d’emblée le bénéfice d’une réduction très importante de l’amende, alors même que l’entreprise qualifiée de meneur remplirait toutes les conditions énoncées pour pouvoir obtenir une telle réduction. Dès lors, il appartient à la Commission de mettre en avant, dans la communication des griefs, les éléments qu’elle estime pertinents pour permettre à l’entreprise susceptible d’être qualifiée de meneur de l’entente de répondre à un tel grief. Toutefois, eu égard au fait qu’une telle communication demeure une étape dans l’adoption de la décision finale et qu’elle ne constitue dès lors pas la position définitive de la Commission, il ne peut être exigé que cette dernière procède déjà à ce stade à une qualification juridique des éléments sur lesquels elle se fondera dans sa décision finale pour qualifier une entreprise de meneur de l’entente.

(cf. points 324-325, 327)

11.    Dans le cadre de la détermination du montant de l'amende pour infraction aux règles communautaires de concurrence, une entreprise en cause doit, pour être qualifiée de meneur, avoir représenté une force motrice significative pour l’entente et avoir porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement de celle-ci.

Si les éléments invoqués par la Commission démontrent que cette entreprise a joué un rôle actif et direct dans une entente, ils ne suffisent toutefois pas à établir qu'elle a représenté une force motrice significative pour cette entente, notamment si aucun élément du dossier n’indique que l'entreprise concernée a pris une quelconque initiative dans le but de créer ladite entente ou d’amener l’une des autres entreprises à y adhérer, et si aucun élément ne permet non plus d’établir que l'entreprise concernée a assumé la charge d’activités habituellement liées à l’exercice du rôle de meneur d’une entente, comme la présidence de réunions ou la centralisation et la distribution de certaines données.

(cf. points 332-335)

12.    La Commission doit, en principe, se conformer aux termes de ses propres lignes directrices en fixant le montant des amendes pour infractions aux règles communautaires de concurrence. Toutefois, il n’est pas indiqué dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA que la Commission doit toujours prendre en compte séparément chacune des circonstances atténuantes énumérées au point 3 de ces lignes directrices et elle n’est pas obligée d’accorder une réduction supplémentaire à ce titre de manière automatique, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes devant être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes.

En effet, l’adoption des lignes directrices n’a pas privé de pertinence la jurisprudence antérieure selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction notamment des circonstances de l’espèce.

Ainsi, en l’absence d’indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge pour apprécier de manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.

(cf. points 347-348)

13.    Dans le cadre de la fixation du montant de l'amende pour infraction aux règles communautaires de concurrence, la Commission n’est tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu’elle s’est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu’elle n’a pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause. Il serait effectivement trop aisé pour les entreprises de minimiser le risque de devoir payer une lourde amende si elles pouvaient profiter d’une entente illicite et bénéficier ensuite d’une réduction de l’amende au motif qu’elles n’avaient joué qu’un rôle limité dans la mise en œuvre de l’infraction, alors que leur attitude a incité d’autres entreprises à se comporter de manière plus nuisible à la concurrence.

(cf. point 350)

14.    Dans le cadre de la fixation du montant de l'amende pour infraction aux règles communautaires de concurrence, la « cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment vérifications) », mentionnée au point 3, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, ne peut logiquement être une circonstance atténuante que s’il existe des raisons de supposer que les entreprises en cause ont été incitées à arrêter leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions en question, le cas où l’infraction a déjà pris fin avant la date des premières interventions de la Commission n’étant pas couvert par cette disposition des lignes directrices.

(cf. points 354-355)

15.    La Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes pour infraction aux règles communautaires de concurrence et elle peut, à cet égard, tenir compte de multiples éléments, au nombre desquels figure la coopération des entreprises concernées lors de l’enquête conduite par les services de cette institution. Elle jouit, en effet, d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises. Pour justifier la réduction du montant d’une amende au titre de la coopération, le comportement d’une entreprise doit faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression desdites infractions. Dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les entreprises, la Commission ne saurait méconnaître le principe d'égalité de traitement, qui est violé lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié.

(cf. points 389-390, 399)

16.    Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence.

Les opérateurs ne peuvent placer une confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée par la Commission dans le cadre de son pouvoir d’appréciation.

Par conséquent, les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne peuvent acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement.

En effet, toute entreprise impliquée dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende doit tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d'élever le niveau du montant des amendes par celui appliqué dans le passé.

(cf. points 426, 435)







ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 septembre 2010 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition du marché – Concordance entre la communication des griefs et la décision attaquée – Droits de la défense – Définition du marché en cause – Amendes – Gravité de l’infraction – Circonstances aggravantes – Rôle de meneur – Coopération »

Dans l’affaire T‑29/05,

Deltafina SpA, établie à Orvieto (Italie), représentée par Mes R. Jacchia, A. Terranova, I. Picciano, F. Ferraro, J.-F. Bellis et F. Di Gianni, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. É. Gippini Fournier et F. Amato, puis par MM. Gippini Fournier et V. Di Bucci, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2004) 4030 final de la Commission, du 20 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 − Tabac brut – Espagne), et, subsidiairement, la réduction de l’amende infligée à la requérante dans cette décision,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka et M. K. O’Higgins (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 juin 2009,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Deltafina SpA, est une société italienne qui a pour activités principales la première transformation de tabac brut et la commercialisation de tabac transformé. Elle est détenue à 100 % par la société américaine Universal Corp., et ce par l’intermédiaire d’une filiale à 100 % de cette dernière, la société américaine Universal Leaf Tobacco Company Inc. (ci-après « Universal Leaf »).

2        Universal Leaf détient également la totalité du capital de Tabacos Españoles, SL (ci-après « Taes »), l’une des quatre entreprises de première transformation de tabac brut en Espagne (ci-après les « transformateurs » ou les « transformateurs espagnols »).

3        Il sera fait référence ci-après au groupe auquel appartiennent les différentes sociétés mentionnées aux points 1 et 2 ci-dessus par les termes « groupe Universal ».

4        Les 3 et 4 octobre 2001, la Commission des Communautés européennes, disposant d’informations selon lesquelles les transformateurs et les producteurs espagnols de tabac brut auraient commis des infractions à l’article 81 CE, a effectué des vérifications au titre de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux de trois de ces transformateurs, à savoir Compañia española de tabaco en rama, SA (ci-après « Cetarsa »), Agroexpansión, SA et World Wide Tobacco España, SA (ci-après « WWTE »), ainsi que de l’Asociación Nacional de Empresas Transformadoras de Tabaco (ci-après l’« Anetab »).

5        La Commission a également procédé à des vérifications dans les locaux de la Maison des métiers du tabac et de la Fédération européenne des transformateurs de tabac, le 3 octobre 2001, ainsi que de la Federación nacional de cultivadores de tabaco (ci-après la « FNCT »), le 5 octobre 2001.

6        Par lettre du 16 janvier 2002, les transformateurs et l’Anetab, invoquant la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »), ont fait connaître à cette dernière leur volonté de coopérer.

7        Par lettre du 21 janvier 2002, ils ont fourni certaines informations à la Commission.

8        Par lettre du 15 février 2002, Universal Leaf a informé la Commission qu’elle soutenait pleinement l’initiative de Taes de coopérer dans le cadre de la communication sur la coopération. Elle lui a également indiqué que Deltafina participait avec Taes à la rédaction d’un mémoire décrivant le rôle et les activités de cette dernière sur le marché espagnol du tabac et qu’elle espérait que Deltafina pourrait ainsi également bénéficier des avantages découlant de la communication sur la coopération.

9        Le 18 février 2002, Taes a envoyé à la Commission le mémoire visé au point 8 ci-dessus.

10      Par la suite, la Commission a adressé plusieurs demandes de renseignements aux transformateurs espagnols, à l’Anetab et à la FNCT sur le fondement de l’article 11 du règlement n° 17. Elle a également demandé des renseignements au ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation espagnol (ci-après le « ministère de l’Agriculture ») à propos de la réglementation espagnole en matière de produits agricoles.

11      Le 11 décembre 2003, la Commission a engagé la procédure à l’origine de la présente affaire et a adopté une communication des griefs qu’elle a adressée à 20 entreprises ou associations, dont les transformateurs espagnols, Deltafina, Universal, Universal Leaf, l’Anetab et la FNCT.

12      Les entreprises et associations en cause ont eu accès au dossier d’instruction de la Commission sous la forme d’une copie sur CD-ROM, qui leur a été envoyée, et ont transmis des observations écrites en réponse aux griefs soulevés par cette dernière. Les observations écrites présentées par Deltafina l’ont été le 1er mars 2004.

13      Une audition – à laquelle Deltafina a participé – s’est tenue le 29 mars 2004.

14      Après avoir consulté le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes, et au vu du rapport final du conseiller-auditeur, la Commission a adopté, le 20 octobre 2004, la décision C (2004) 4030 final, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 − Tabac brut – Espagne) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 19 avril 2007 (JO L 102, p. 14).

15      La décision attaquée concerne deux ententes horizontales conclues et mises en œuvre sur le marché espagnol du tabac brut.

16      La première entente, qui impliquait les transformateurs et Deltafina, avait pour objet de fixer, chaque année, pendant la période 1996/2001, le prix moyen de livraison (maximal) de chaque variété de tabac brut, toutes qualités confondues, ainsi que de répartir les quantités de chaque variété de tabac brut que chacun des transformateurs pouvait acheter auprès des producteurs (voir, notamment, considérants 74 à 76 et 276 de la décision attaquée). De 1999 à 2001, les transformateurs et Deltafina étaient également convenus des fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut figurant dans les tableaux annexés aux « contrats de culture » ainsi que des « conditions complémentaires », à savoir le prix minimal moyen par producteur et le prix minimal moyen par groupement de producteurs (voir, notamment, considérants 77 à 83 et 276 de la décision attaquée).

17      Il sera fait référence ci-après à l’entente décrite au point 16 ci-dessus par les termes « entente des transformateurs ».

18      La seconde entente identifiée dans la décision attaquée impliquait les trois syndicats agricoles espagnols, à savoir l’Asociación agraria de jóvenes agricultores (ci-après l’« ASAJA »), l’Unión de pequeños agricultores (ci-après l’« UPA ») et la Coordinadora de organizaciones de agricultores y ganaderos (ci-après la « COAG »), ainsi que la Confederación de cooperativas agrarias de España (ci-après la « CCAE »). Cette entente avait pour objet de fixer chaque année, pendant la période 1996/2001, les fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut figurant dans les tableaux annexés aux « contrats de culture » ainsi que les « conditions complémentaires » (voir, notamment, considérants 77 à 83 et 277 de la décision attaquée).

19      Il sera fait référence ci-après à l’entente décrite au point 18 ci-dessus par les termes « entente des représentants des producteurs ».

20      Dans la décision attaquée, la Commission considère que chacune de ces ententes constitue une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, considérants 275 à 277 de la décision attaquée).

21      À l’article 1er de cette décision, elle impute la responsabilité de l’entente des transformateurs à neuf entreprises, dont les transformateurs espagnols et Deltafina, et celle de l’entente des représentants des producteurs à l’ASAJA, l’UPA, la COAG et la CCAE (ci-après, prises ensemble, les « représentants des producteurs »).

22      À l’article 2 de la décision attaquée, la Commission ordonne à ces entreprises et aux représentants des producteurs de mettre immédiatement fin, s’ils ne l’ont pas déjà fait, aux infractions visées à l’article 1er et de s’abstenir désormais de toute pratique restrictive ayant un objet ou un effet identique ou équivalent.

23      À l’article 3 de la décision attaquée, les amendes suivantes sont infligées :

–        Deltafina : 11 880 000 euros ;

–        Cetarsa : 3 631 500 euros ;

–        Agroexpansión : 2 592 000 euros ;

–        WWTE : 1 822 500 euros ;

–        Taes : 108 000 euros ;

–        l’ASAJA : 1 000 euros ;

–        l’UPA : 1 000 euros ;

–        la COAG : 1 000 euros ;

–        la CCAE : 1 000 euros.

24      Le montant de l’amende infligée à Deltafina prend en compte, notamment, le rôle de meneur qu’elle aurait joué dans l’entente des transformateurs (considérants 435 et 436 de la décision attaquée). Eu égard à ce rôle, la Commission augmente le montant de base de l’amende de 50 % au titre des circonstances aggravantes. Deltafina bénéficie toutefois d’une réduction de 40 % du montant de base de l’amende au titre des circonstances atténuantes (considérants 437 et 438 de la décision attaquée) et de 10 % du montant de l’amende au titre de sa coopération dans le cadre de la procédure administrative (considérants 448 à 456 de la décision attaquée).

25      Il ressort également de l’article 3 de la décision attaquée que les sociétés mères de WWTE sont solidairement responsables du paiement de l’amende infligée à WWTE et la société mère d’Agroexpansión du paiement de celle infligée à Agroexpansión.

 Procédure et conclusions des parties

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 janvier 2005, Deltafina a introduit le présent recours.

27      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé des questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est tenue le 9 juin 2009.

29      Deltafina conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et, en tout état de cause, comme dénué de tout fondement ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à défaut, condamner chaque partie à supporter ses propres dépens si la requérante succombe en ses moyens dans la même mesure que la Commission ou condamner la requérante à supporter ses propres dépens ainsi qu’une partie de ceux de la Commission si la requérante succombe en la plupart de ses moyens.

 En droit

31      À l’appui de son recours, Deltafina invoque onze moyens, tirés :

–        le premier, d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE, de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et des principes de légalité et de responsabilité personnelle ainsi que d’un défaut de motivation et d’un détournement de pouvoir ;

–        le deuxième, d’une violation de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1/2003, des droits de la défense et du droit à un procès équitable, des formes substantielles et des principes de légalité, de sécurité juridique et de proportionnalité ainsi que d’un défaut de motivation et d’un détournement de pouvoir ;

–        le troisième, d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE, de l’article 2 du règlement n° 1/2003 et du point 43 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2004, C 101, p. 81) ainsi que d’un défaut de motivation ;

–        le quatrième, d’une violation de l’article 2 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, du point 1 A et du point 5, sous d), des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») et des principes de proportionnalité, d’« égalité de traitement et de sanction » ainsi que d’un défaut de motivation et d’un détournement de pouvoir ;

–        le cinquième, d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du point 1 B des lignes directrices et du principe d’égalité de traitement ainsi que d’un détournement de pouvoir ;

–        le sixième, d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 et du point 2 des lignes directrices ainsi que d’un défaut de motivation et d’un détournement de pouvoir ;

–        le septième, d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 et du point 3 des lignes directrices ainsi que d’un détournement de pouvoir ;

–        le huitième, d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et du point 5, sous a), des lignes directrices ;

–        le neuvième, d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du préambule et du point 4 des lignes directrices, du point B, sous e), et du point D de la communication sur la coopération et du principe d’égalité de traitement ainsi que d’un défaut de motivation et d’un détournement de pouvoir ;

–        le dixième, d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du point 5, sous b), des lignes directrices et du principe de proportionnalité ainsi que d’un détournement de pouvoir ;

–        et le onzième, d’une violation des principes d’égalité de traitement, de non-rétroactivité des peines et de protection de la confiance légitime ainsi que d’un détournement de pouvoir.

32      Les trois premiers moyens sont invoqués à titre principal et se rattachent aux conclusions visant à l’annulation de la décision attaquée. Les sept moyens suivants sont soulevés à titre subsidiaire et se rattachent aux conclusions visant à la réduction du montant de l’amende. Le dernier moyen est invoqué à titre très subsidiaire, dans l’hypothèse où les sept moyens précédents seraient écartés, et tend également à la réduction du montant de l’amende.

1.     Sur la recevabilité des griefs tirés d’un détournement de pouvoir

33      Dans le cadre des différents moyens qu’elle invoque au soutien de son recours, à l’exception des troisième et huitième moyens, Deltafina reproche notamment à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir.

34      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir se réfère au fait, pour une autorité administrative, d’avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité CE pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 24, et du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, point 99).

35      En l’occurrence, force est de constater que Deltafina se borne à invoquer de manière abstraite une série de griefs tirés d’un détournement de pouvoir, sans apporter le moindre indice ou développement au soutien de ceux-ci ni même préciser quel serait le but réellement poursuivi par la Commission en adoptant la décision attaquée. Ces griefs, tels qu’ils sont ainsi présentés, ne remplissent pas les exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, en ce qu’ils ne sont pas suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. Partant, ils doivent être déclarés irrecevables (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, points 333 et 334).

2.     Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE, de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, et des principes de légalité et de responsabilité personnelle ainsi que d’un défaut de motivation

36      Le premier moyen soulevé par Deltafina s’articule en quatre branches. Dans le cadre de la première branche, elle critique le fait que la Commission la tienne responsable d’une infraction commise sur un marché sur lequel elle n’est pas présente. Dans le cadre de la deuxième branche, elle prétend que les comportements qui, selon elle, lui sont imputés ne sont pas prévus par l’article 81, paragraphe 1, CE ni par l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003. Dans le cadre de la troisième branche, elle considère que la Commission l’a erronément qualifiée de meneur de l’entente des transformateurs. Enfin, dans le cadre de la quatrième branche, elle prétend que la Commission a omis de définir le marché en cause dans la décision attaquée.

37      Le Tribunal examinera, ensemble, les deux premières branches, puis, séparément, la troisième et la quatrième branches.

38      En ce qui concerne le grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation, que Deltafina invoque dans le cadre du présent moyen, sans le rattacher à l’une quelconque de ses quatre branches, force est de constater qu’elle ne fournit pas le moindre développement de nature à l’expliciter. Il convient, dès lors, de le rejeter comme irrecevable au regard de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure (voir point 35 ci-dessus).

 Sur les première et deuxième branches, tirées, respectivement, de ce que la Commission tient Deltafina responsable d’une infraction commise sur un marché sur lequel elle n’est pas présente et de ce que les comportements qui sont imputés à Deltafina ne sont pas prévus par l’article 81, paragraphe 1, CE ni par l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003

–       Arguments des parties

39      En premier lieu, Deltafina fait valoir qu’elle n’est pas active sur le marché de l’achat et de la transformation de tabac brut en Espagne, de sorte que, à supposer que ce marché constitue le marché en cause, elle ne saurait être tenue responsable des comportements qui y ont été adoptés.

40      En second lieu, Deltafina prétend ne pas avoir participé à l’élaboration des accords conclus entre les transformateurs et ne pas les avoir mis en œuvre, n’étant pas autorisée à opérer comme transformateur en Espagne et n’ayant donc pas qualité pour négocier et conclure des contrats avec les producteurs espagnols de tabac brut ni pour participer à la répartition des quantités de tabac brut à acheter. Elle soutient qu’il ne saurait lui être imputé un rôle d’« auteur ou [de] coauteur des agissements », et encore moins de meneur de l’entente des transformateurs, mais tout au plus celui d’une « personne objectivement et subjectivement extérieure au cartel, mais qui facilite indirectement les agissements des auteurs, avec la présence à des réunions, l’échange d’informations et de communications, une médiation entre les participants, la conservation de documents et de données ». Or, ces comportements ne seraient pas envisagés par l’article 81, paragraphe 1, CE ni par l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 et ne sauraient, dès lors, faire l’objet de sanctions.

41      Au soutien de ses allégations, Deltafina invoque la décision 2005/349/CE de la Commission, du 10 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-2/37.857 – Peroxydes organiques) (JO 2005, L 110, p. 44, ci-après la « décision peroxydes organiques »). Elle expose que, dans cette décision, la Commission a retenu une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE à l’égard d’une société extérieure à l’entente concernée, à savoir l’entreprise de conseil AC‑Treuhand AG, en raison de certains comportements adoptés par cette dernière qui présenteraient des similitudes avec les comportements qui lui sont reprochés. Elle relève que cette entreprise de conseil, en dépit du fait qu’elle avait joué un rôle crucial dans l’organisation et la mise en œuvre de l’entente et qu’elle avait été considérée comme étant la « gardienne » de celle-ci, ne s’est vu infliger qu’une amende symbolique d’un montant de 1 000 euros en raison du « caractère relativement inédit de la situation ».

42      En premier lieu, la Commission rétorque que la thèse de Deltafina selon laquelle l’article 81, paragraphe 1, CE n’est pas applicable aux entreprises qui ne sont pas directement actives sur le marché pertinent ne trouve aucun appui dans le libellé de cette disposition. Ce qui importerait aux fins de l’application de celle-ci, c’est que l’entreprise en cause ait participé à une pratique restrictive de la concurrence ayant, au moins potentiellement, un effet sensible sur les échanges entre États membres.

43      En second lieu, la Commission prétend que l’allégation de Deltafina selon laquelle les comportements qui lui sont reprochés ne relèvent pas de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE non seulement est dénuée de tout fondement, mais est également contredite par plusieurs indications figurant dans la requête.

44      Par ailleurs, la Commission relève que Deltafina elle-même considère que son rôle peut être assimilé à celui qui avait été adopté par AC-Treuhand dans l’affaire ayant donné lieu à la décision peroxydes organiques et qu’un tel rôle peut être sanctionné au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE.

–       Appréciation du Tribunal

45      S’agissant de la première branche du présent moyen, il y a lieu de relever qu’il est constant entre les parties que, en Espagne, qui constitue le marché géographique en cause en l’espèce, Deltafina n’achète pas de tabac brut auprès des producteurs ni n’exerce d’activités de première transformation de tabac brut. Dans cet État membre, Deltafina n’est active qu’au stade suivant de la filière, en l’occurrence celui de l’achat de tabac transformé en vue de sa revente aux manufactures de tabac.

46      Force est de constater, dès lors, que Deltafina n’est pas présente sur le marché en cause, à savoir, comme il sera exposé au point 82 ci-après, le marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut.

47      Toutefois, il ne saurait être déduit de cette constatation que la Commission n’était pas en droit de sanctionner Deltafina pour violation de l’article 81, paragraphe 1, CE.

48      En effet, ainsi que le Tribunal l’a déjà jugé au point 122 de son arrêt du 8 juillet 2008, AC‑Treuhand/Commission (T‑99/04, Rec. p. II‑1501), une entreprise est susceptible de violer l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE lorsque son comportement, tel que coordonné avec celui d’autres entreprises, a pour but de restreindre la concurrence sur un marché pertinent particulier à l’intérieur du marché commun, sans que cela présuppose nécessairement qu’elle soit elle-même active sur ledit marché pertinent.

49      Dans le même sens, le Tribunal a précisé, au point 127 de l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, qu’il n’était pas exclu qu’une entreprise puisse participer à la mise en œuvre d’une restriction de la concurrence même si elle ne restreint pas sa propre liberté d’action sur le marché sur lequel elle est principalement active. En effet, toute autre interprétation serait susceptible de réduire la portée de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE dans une mesure contraire à son effet utile et à son objectif principal, tel que lu au regard de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, d’assurer le maintien d’une concurrence non faussée à l’intérieur du marché commun, étant donné qu’elle ne permettrait pas de poursuivre une contribution active d’une entreprise à une restriction de concurrence du seul fait que cette contribution n’émane pas d’une activité économique relevant du marché pertinent sur lequel cette restriction se matérialise ou a pour objet de se matérialiser. Au point 128 du même arrêt, le Tribunal a conclu qu’une lecture des termes « accords entre entreprises » à la lumière des objectifs poursuivis par l’article 81, paragraphe 1, CE et par l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE tendait à confirmer l’existence d’une conception de l’entente et de l’entreprise auteur d’une infraction qui n’opère pas de différenciation selon le secteur ou le marché sur lequel les entreprises concernées sont actives.

50      Or, en l’espèce, ainsi qu’il sera expliqué plus en détail aux points 122 à 133 ci-après, il est avéré que Deltafina a activement et directement participé, avec les transformateurs, à une entente dont elle savait, ou ne pouvait ignorer, que l’objectif était d’éliminer ou de restreindre la concurrence dans le secteur du tabac brut en Espagne.

51      L’appréciation du Tribunal exposée au point 48 ci-dessus est d’autant plus pertinente en l’espèce que, alors qu’AC-Treuhand, en sa qualité d’entreprise de conseil, n’était nullement active sur le marché de produit concerné, à savoir celui des peroxydes organiques, en tant que concurrent ou du côté de l’offre ou de la demande, en revanche, Deltafina, en tant que principale cliente des transformateurs espagnols, était active en Espagne sur un marché situé immédiatement en aval de celui sur lequel les pratiques restrictives de concurrence litigieuses ont été mises en œuvre. En outre, en Italie, Deltafina était présente sur le même marché de produit en cause que celui du cas d’espèce.

52      Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

53      S’agissant de la seconde branche du présent moyen, celle-ci repose sur la prémisse selon laquelle Deltafina n’a pas activement et directement participé à l’entente des transformateurs, au même titre que ces derniers, mais s’est limitée à en faciliter « indirectement » la mise en œuvre.

54      Or, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 50 ci-dessus et qu’il sera établi aux points 122 à 133 ci-après, cette prémisse est erronée.

55      En tout état de cause, la thèse de Deltafina selon laquelle les entreprises qui ne contribuent à une entente que de manière subordonnée, accessoire ou passive ne violent pas l’article 81, paragraphe 1, CE et ne sont donc pas passibles d’une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 est, elle aussi, erronée.

56      Ainsi, dans l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, le Tribunal a rejeté une thèse similaire, et ce après avoir rappelé la jurisprudence concernant les conditions que doit remplir la participation d’une entreprise à une entente pour que celle-ci puisse être tenue pour responsable de l’ensemble de l’infraction en tant que coauteur (points 129 à 136).

57      Plus particulièrement, dans cet arrêt, le Tribunal a rappelé que l’imputation à une entreprise ayant participé à une entente de l’infraction dans son ensemble était conforme aux exigences du principe de responsabilité personnelle lorsque deux conditions étaient satisfaites, la première de nature objective et la seconde de nature subjective.

58      S’agissant de la première condition, le Tribunal a constaté que, selon la jurisprudence, celle-ci était remplie, s’agissant de la relation entre concurrents opérant sur un même marché pertinent ainsi qu’entre de tels concurrents et leurs clients, dès lors que l’entreprise participante a contribué à la mise en œuvre de l’entente, même de façon subordonnée, accessoire ou passive, par exemple par une approbation tacite et par une absence de dénonciation de cette entente aux autorités (arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, point 133).

59      Pour parvenir à cette constatation, le Tribunal, tout d’abord, a relevé qu’il suffisait que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l’entente (arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, point 130). Le Tribunal a ajouté que, afin d’établir la participation d’une entreprise à un accord unique, constitué d’un ensemble de comportements infractionnels étalés dans le temps, la Commission devait prouver que cette entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque. À cet égard, le Tribunal a rappelé que l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, avait pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromettait sa découverte. Le Tribunal a souligné que cette complicité constituait un mode passif de participation à l’infraction qui était donc de nature à engager la responsabilité de l’entreprise dans le cadre d’un accord unique. Le Tribunal a précisé que ces principes s’appliquaient mutatis mutandis à l’égard de réunions auxquelles avaient participé non seulement des concurrents producteurs, mais également leurs clients.

60      Ensuite, le Tribunal a indiqué, au point 131 de l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, que, s’agissant de la détermination de responsabilité personnelle d’une entreprise dont la participation à l’entente n’a pas les mêmes étendue et intensité que celles des autres entreprises, il ressort de la jurisprudence que, si les accords et les pratiques concertées visés à l’article 81, paragraphe 1, CE résultent nécessairement du concours de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l’infraction, mais dont la participation peut revêtir des formes différentes, en fonction notamment des caractéristiques du marché concerné et de la position de chaque entreprise sur ce marché, des buts poursuivis et des modalités d’exécution choisies ou envisagées, la simple circonstance que chaque entreprise participe à l’infraction dans des formes qui lui sont propres ne suffit pas pour exclure sa responsabilité pour l’ensemble de l’infraction, y compris pour les comportements qui sont matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes, mais qui partagent le même objet ou le même effet anticoncurrentiel.

61      Enfin, le Tribunal en a conclu, au point 132 de l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, que le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé n’était pas pertinent pour établir l’existence d’une infraction à son égard. Toutefois, le Tribunal a ajouté que, si l’importance, le cas échéant, limitée de la participation de l’entreprise concernée ne pouvait ainsi remettre en cause sa responsabilité personnelle pour l’ensemble de l’infraction, elle était néanmoins de nature à avoir une influence sur l’appréciation de son étendue et de sa gravité et, partant, sur la détermination du niveau de la sanction.

62      S’agissant de la seconde condition, le Tribunal a rappelé, au point 134 de l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, que l’imputation de l’ensemble de l’infraction à l’entreprise participante dépendait en outre de la manifestation de sa volonté propre, qui démontre qu’elle souscrit, ne fût-ce que tacitement, aux objectifs de l’entente. Le Tribunal a précisé que cette condition subjective, d’une part, était inhérente au critère de l’approbation tacite de l’entente et à celui d’absence de distanciation publique de son contenu, en ce que ces critères impliquent la présomption que l’entreprise concernée continue à souscrire aux objectifs et à la mise en œuvre de l’entente, et, d’autre part, constituait la justification permettant de tenir pour coresponsable l’entreprise concernée, puisqu’elle entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle connaissait les comportements infractionnels des autres participants ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque.

63      Au point 136 de l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, le Tribunal a relevé que les principes exposés aux points 57 à 62 ci-dessus s’appliquaient mutatis mutandis à la participation d’une entreprise dont l’activité économique et l’expertise professionnelle lui permettaient de ne pas pouvoir ignorer le caractère anticoncurrentiel des comportements en cause et d’apporter ainsi un soutien non négligeable à la commission de l’infraction.

64      Il résulte de ce qui précède que la deuxième branche du premier moyen doit également être rejetée comme non fondée.

 Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a erronément qualifié Deltafina de meneur de l’entente des transformateurs

–       Arguments des parties

65      Deltafina affirme que la Commission l’a erronément qualifiée de meneur de l’entente des transformateurs.

66      Au soutien de son affirmation, elle invoque les éléments suivants, qui distingueraient sa situation de celle d’autres entreprises qui ont été considérées comme meneurs d’une entente dans d’autres affaires :

–        elle n’a pas eu un rôle de promoteur des comportements reprochés aux transformateurs ;

–        elle n’a pas incité – et encore moins contraint – une quelconque entreprise à se joindre à l’entente des transformateurs ;

–        elle n’a pas exercé de pressions sur qui que ce soit et, en tout état de cause, ne disposait pas du pouvoir de le faire ;

–        elle n’a eu aucun rôle dans la direction ou le contrôle de l’entente des transformateurs, laquelle ne disposait d’ailleurs pas d’« organes institutionnels de direction » ;

–        son président, M. M., n’a assisté qu’à quatre réunions de l’entente des transformateurs et n’aurait pu en « orchestrer les stratégies » ;

–        elle n’aurait pu adopter un comportement de « meneur tarifaire » (price leader) du côté de la demande, puisque, n’opérant pas au même stade de la filière que les transformateurs espagnols, elle n’achetait pas de tabac brut auprès des producteurs ;

–        elle n’a jamais disposé du pouvoir de droit ou de fait de prendre des sanctions ou des mesures de rétorsion à l’encontre des membres de l’entente des transformateurs qui ne se seraient pas conformés aux actions communes.

67      Par ailleurs, Deltafina conteste l’allégation de la Commission selon laquelle le rôle de meneur qui lui est imputé n’a été pris en considération, dans la décision attaquée, qu’en tant que circonstance aggravante. Elle prétend que ce rôle est, en fait, le seul reproche qui lui a été adressé.

68      Tout d’abord, la Commission rétorque que, à supposer même qu’elle ait commis une erreur en qualifiant Deltafina de meneur de l’entente des transformateurs, cela ne saurait exonérer cette dernière de toute responsabilité en ce qui concerne les infractions qui lui sont reprochées, mais pourrait, tout au plus, conduire à une réduction du montant de l’amende. Le fait que Deltafina était le meneur de l’entente des transformateurs n’aurait, en effet, été pris en compte, dans la décision attaquée, qu’en tant que circonstance aggravante lors du calcul de l’amende.

69      Ensuite, la Commission considère que, en tout état de cause, la présente branche doit être rejetée comme non fondée. À cet égard, d’une part, elle rappelle que, selon la jurisprudence, sa pratique décisionnelle antérieure ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. D’autre part, elle renvoie au considérant 435 de la décision attaquée, qui, selon elle, indique de manière suffisamment claire et précise les motifs pour lesquels Deltafina a été considérée comme meneur de l’entente des transformateurs.

–       Appréciation du Tribunal

70      Il convient de relever que la présente branche est invoquée par Deltafina au soutien de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée et que, à l’instar des deux premières branches, elle vise à démontrer que la Commission ne pouvait la tenir pour responsable de l’entente des transformateurs.

71      Or, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, la qualité de meneur de l’entente des transformateurs attribuée à Deltafina n’a été prise en compte, dans la décision attaquée, que dans le contexte du calcul du montant de l’amende, et ce en tant que circonstance aggravante (voir considérants 435 et 436 de la décision attaquée). Contrairement à ce que laisse entendre Deltafina, ce n’est pas la constatation qu’elle a joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente des transformateurs qui a conduit la Commission à la déclarer responsable de l’infraction, mais la constatation, fondée notamment sur les différents éléments résumés aux considérants 359 à 369 de la décision attaquée, qu’elle a directement et activement participé à ladite entente. En d’autres termes, la qualité de meneur de l’entente des transformateurs attribuée à Deltafina a été sans incidence sur l’engagement de la responsabilité de cette dernière pour la commission de l’infraction.

72      Certes, les agissements de Deltafina sur lesquels la Commission s’est fondée pour la qualifier de meneur de l’entente des transformateurs sont en substance les mêmes que ceux sur le fondement desquels elle a conclu à sa participation à ladite entente. Il n’en reste pas moins que, ainsi que le relève à juste titre la Commission dans ses écritures, la question de savoir si une entreprise a participé à une entente et celle, le cas échéant, de l’étendue et de l’intensité de cette participation relèvent de deux appréciations distinctes, la première concernant l’établissement de l’existence d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et la seconde la détermination du niveau de la sanction.

73      Il résulte des considérations qui précèdent que la troisième branche du premier moyen, quand bien même elle serait fondée, ne saurait entraîner l’annulation de la décision attaquée. Partant, elle doit être rejetée comme inopérante dans le cadre de ce moyen. Il sera, toutefois, tenu compte de cette troisième branche lors de l’examen du sixième moyen, qui repose en partie sur les mêmes arguments.

 Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission a omis de définir le marché en cause dans la décision attaquée

–       Arguments des parties

74      Deltafina reproche à la Commission d’avoir omis de définir les marchés de produit et géographique en cause dans la décision attaquée.

75      À cet égard, tout d’abord, Deltafina se réfère aux points 27 et suivants de l’arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission (T‑61/99, Rec. p. II‑5349). Elle affirme que, selon le point 30 de cet arrêt, des griefs à l’encontre de la définition du marché en cause retenue par la Commission peuvent viser des éléments propres à l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE autres que l’existence d’un « accord » entre entreprises, « l’affectation du commerce entre États membres » et « l’atteinte à la concurrence », à savoir notamment la portée de l’entente en question, son caractère unique ou global ainsi que la portée de la participation individuelle de chacune des entreprises concernées. Ces derniers éléments seraient intimement liés au principe de responsabilité personnelle pour la commission d’infractions collectives ainsi qu’à des principes généraux du droit comme les principes de sécurité juridique et de proportionnalité. Deltafina relève également que, selon le point 32 du même arrêt, « [i]l est donc souhaitable que la Commission, lorsqu’elle adopte une décision constatant la participation d’une entreprise à une infraction complexe, collective et ininterrompue, comme le sont souvent les cartels, au-delà de la vérification du respect des conditions spécifiques d’application de l’article [81, paragraphe 1, CE], prenne en considération le fait que, si une telle décision doit entraîner la responsabilité personnelle de chacun de ses destinataires, c’est uniquement pour leur participation établie aux comportements collectifs sanctionnés et correctement délimités ». Elle ajoute que, selon le même point, « [u]ne telle décision étant susceptible de générer des conséquences importantes sur les relations des entreprises concernées non seulement vis-à-vis de l’administration mais également vis-à-vis des tiers, il convient que la Commission examine le ou les marchés en cause et les identifie dans les motifs de la décision sanctionnant une infraction à l’article [81, paragraphe 1, CE] de manière suffisamment précise afin de saisir les conditions de fonctionnement du marché dans lequel la concurrence se trouve faussée, tout en répondant aux besoins essentiels de sécurité juridique ».

76      Ensuite, Deltafina prétend que, n’étant pas active sur le marché sur lequel les comportements restrictifs de concurrence sont intervenus, la Commission ne saurait, sans violer le principe de responsabilité personnelle, la déclarer responsable de ces comportements et lui infliger une sanction.

77      Enfin, invoquant le même motif, Deltafina fait également valoir que, dans la décision attaquée, la Commission n’établit pas le « lien entre [lesdits] comportements et les effets sur le marché qui, même en présence d’une infraction par son objet, doit se traduire par des conséquences préjudiciables sur le jeu de la concurrence ». Elle estime que la référence faite par la Commission, au considérant 368 de la décision attaquée, au point 136 de l’arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission (T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141), est dépourvue de pertinence.

78      En réponse aux arguments de Deltafina, tout d’abord, la Commission fait valoir que, dans la décision attaquée, elle définit de façon suffisamment claire et détaillée le contexte économique et juridique du marché sur lequel les pratiques restrictives en cause ont été mises en œuvre.

79      Ensuite, la Commission rejette l’allégation de Deltafina selon laquelle elle a porté atteinte au principe de responsabilité personnelle en la tenant pour responsable des comportements restrictifs de concurrence en cause alors que cette société n’était pas active sur le marché sur lequel ces comportements ont été relevés.

80      Enfin, la Commission considère comme « totalement dénué de sens » l’argument de Deltafina selon lequel, cette dernière n’étant pas présente sur le marché en cause, il n’y aurait pas de lien entre les comportements illicites concernés et leurs effets sur ce marché. Elle fait valoir que le fait que Deltafina ne soit pas directement active sur le marché sur lequel les pratiques restrictives de concurrence ont été constatées ne l’exonère pas de sa responsabilité dans la mise en œuvre de ces pratiques ni ne doit conduire à conclure que ces dernières n’ont pas eu d’effets sur ledit marché. À ce propos, se référant notamment au point 136 de l’arrêt European Night Services e.a./Commission, point 77 supra, elle affirme que, selon une jurisprudence constante, il n’est pas nécessaire d’apprécier les effets concrets sur le marché d’accords qui, comme en l’espèce, restreignent manifestement la concurrence.

–       Appréciation du Tribunal

81      Force est de constater que, contrairement à ce que soutient Deltafina, la Commission n’a pas omis d’identifier les marchés de produit et géographique en cause dans la décision attaquée.

82      En effet, il ressort de manière suffisamment claire et précise de cette décision que le marché en cause est le marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut. En particulier, aux considérants 19 à 65 de la décision attaquée, la Commission décrit en détail les entreprises de première transformation de tabac brut en Espagne – en donnant notamment des précisions sur leurs activités d’achat et de transformation de tabac brut ainsi que sur les relations commerciales qu’elles entretiennent entre elles –, les producteurs de tabac brut, les représentants des producteurs, différents aspects du secteur du tabac brut en Espagne, dont les régions de production, le volume et la valeur de la production, la valeur des ventes, les différentes variétés de tabac brut et les prix moyens de livraison (maximaux) de chacune desdites variétés, ainsi que les cadres réglementaires communautaire et espagnol applicables au tabac brut.

83      Par ailleurs, l’analyse à laquelle la Commission a ainsi procédé dans la décision attaquée permet de pleinement saisir les conditions de fonctionnement du marché dans lequel la concurrence se trouve faussée, contrairement à ce que laisse entendre Deltafina en citant la dernière phrase du point 32 de l’arrêt Adriatica di Navigazione/Commission, point 75 supra.

84      Deltafina est d’autant moins fondée à prétendre que la Commission a omis d’identifier le marché en cause dans la décision attaquée qu’il ressort de nombreux passages de ses écritures qu’elle a parfaitement compris que celui-ci était le marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, toute l’argumentation qu’elle développe au soutien de la première branche du présent moyen repose précisément sur cette définition.

85      La quatrième branche du premier moyen est donc dépourvue de tout fondement en fait.

86      S’agissant de l’argument de Deltafina selon lequel la Commission a méconnu le principe de responsabilité personnelle en la tenant pour responsable d’une entente mise en œuvre sur un marché sur lequel elle n’était pas active, celui-ci ne saurait être accueilli. En effet, ainsi qu’il a déjà été exposé aux points 48 et 49 ci-dessus, une entreprise est susceptible de violer l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE lorsque son comportement, tel que coordonné avec celui d’autres entreprises, a pour but de restreindre la concurrence sur un marché pertinent particulier à l’intérieur du marché commun, sans que cela présuppose nécessairement qu’elle soit elle-même active sur ledit marché pertinent. En réalité, ce qui importe, pour que l’imputation à une entreprise participant à une entente de l’infraction dans son ensemble soit conforme aux exigences du principe de responsabilité personnelle, c’est que ladite entreprise satisfasse aux deux conditions, objective et subjective, rappelées aux points 57 à 63 ci-dessus, ce qui est le cas s’agissant de Deltafina ainsi qu’il sera exposé aux points 122 à 133 ci-après.

87      Enfin, contrairement à ce que semble soutenir Deltafina (voir point 77 ci-dessus), il ne saurait être déduit du simple fait que cette dernière n’était pas active sur le marché en cause que l’entente des transformateurs n’était pas susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur la concurrence sur ce marché.

88      Eu égard aux considérations qui précèdent, la quatrième branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

89      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le premier moyen ne peut, en aucune de ses branches, être accueilli.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1/2003, des droits de la défense et du droit à un procès équitable, des formes substantielles et des principes de légalité, de sécurité juridique et de proportionnalité ainsi que d’un défaut de motivation

90      Le deuxième moyen soulevé par Deltafina s’articule en quatre branches. Dans le cadre de la première branche, elle critique le fait que, dans la décision attaquée, la Commission lui a attribué un rôle différent de celui qu’elle lui reprochait dans la communication des griefs. Dans le cadre de la deuxième branche, elle prétend que les comportements qui lui sont reprochés doivent, en réalité, l’être à son président. Dans le cadre de la troisième branche, elle prétend que la Commission a refusé de lui donner accès à certains documents à charge. Enfin, dans le cadre de la quatrième branche, elle prétend que la Commission n’a pas défini de manière suffisamment claire les marchés de produit et géographique en cause dans la communication des griefs.

91      S’agissant du grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation, que Deltafina invoque dans le cadre du deuxième moyen, sans le rattacher explicitement à l’une quelconque de ses quatre branches, force est de constater qu’elle ne fournit pas le moindre développement de nature à l’expliciter. Il convient, dès lors, de le rejeter comme irrecevable au regard de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure (voir point 35 ci-dessus).

 Sur la première branche, tirée de ce que, dans la décision attaquée, la Commission a attribué à Deltafina un rôle différent de celui qu’elle lui reprochait dans la communication des griefs

–       Arguments des parties

92      Deltafina prétend que la Commission, en la tenant pour responsable en tant qu’« auteur » ou « coauteur » de l’infraction dans la décision attaquée et en la qualifiant, dans celle-ci, de meneur de l’entente des transformateurs, lui a attribué un rôle différent de – et plus grave que – celui qu’elle lui imputait dans la communication des griefs.

93      Au soutien de ses allégations, Deltafina relève une série de différences entre le texte de la communication des griefs et celui de la décision attaquée. Elle fait valoir notamment que, alors que, à aucun endroit de la première, il ne lui est reproché d’avoir été partie aux accords et pratiques litigieux – un tel reproche n’y étant formulé qu’à l’encontre des transformateurs espagnols –, dans la seconde, en revanche, elle est présentée comme ayant participé directement et activement à ces accords et pratiques. De même, il ne serait aucunement fait mention, dans la communication des griefs, de la circonstance que Deltafina était susceptible d’être considérée comme meneur de l’entente des transformateurs. Par ailleurs, Deltafina critique une série de considérations figurant dans la décision attaquée.

94      Deltafina affirme que, en procédant de la sorte, la Commission non seulement a avancé une thèse non corroborée par les éléments du dossier, mais a également porté atteinte à ses droits de la défense. S’agissant de ce dernier point, elle reproche, plus particulièrement, à la Commission de ne pas lui avoir permis de s’exprimer sur les qualifications d’auteur ou de coauteur de l’infraction et de meneur de l’entente des transformateurs qui ont été retenues contre elle dans la décision attaquée.

95      La Commission prétend n’avoir jamais qualifié Deltafina d’« auteur » ou de « coauteur » des pratiques restrictives incriminées, tout en relevant que ces qualifications n’ont pas de « signification juridique » en droit de la concurrence. Renvoyant aux éléments de fait figurant aux considérants 362 à 366 de la décision attaquée, elle précise que la conclusion à laquelle elle est parvenue dans celle-ci est que Deltafina a pleinement « participé » auxdites pratiques et qu’elle devait donc être tenue pour coresponsable « à plein titre » de l’infraction.

96      La Commission affirme que, dans la communication des griefs, elle s’est fondée sur les mêmes éléments de fait pour retenir la participation de Deltafina à l’entente des transformateurs et, par voie de conséquence, sa coresponsabilité pour la violation de l’article 81 CE. Elle relève que, dans sa réponse à cette communication des griefs, Deltafina s’est d’ailleurs amplement défendue à propos du rôle qui lui était ainsi attribué dans l’entente des transformateurs. Elle estime qu’aucune des « différences rédactionnelles » entre la communication des griefs et la décision attaquée relevées par Deltafina n’est donc de nature à démontrer l’existence d’une violation des droits de la défense de cette dernière.

97      Par ailleurs, la Commission rejette les critiques que Deltafina fait valoir à l’encontre de certaines considérations contenues dans la décision attaquée.

98      Enfin, la Commission, renvoyant aux comportements décrits aux considérants 363 à 365 de la décision attaquée, estime qu’il n’est nullement « déraisonnable » d’affirmer, comme elle le fait au considérant 361 de la décision attaquée, que Deltafina a joué un rôle « particulièrement actif » dans l’entente des transformateurs.

99      Selon la Commission, il résulte des éléments qui précèdent qu’elle n’a ni commis d’erreurs d’appréciation ni violé les droits de la défense de Deltafina en considérant celle-ci comme partie aux pratiques restrictives visées à l’article 1er de la décision attaquée et en la déclarant coresponsable de ces pratiques.

100    S’agissant des critiques que Deltafina formule à propos de la qualification de meneur de l’entente des transformateurs retenue à son égard dans la décision attaquée, la Commission, tout d’abord, fait valoir que, à supposer même qu’elles soient fondées, cela pourrait, tout au plus, conduire à une réduction du montant de l’amende.

101    Ensuite, la Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, dès lors qu’elle indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci « de propos délibéré ou par négligence », elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 199). Or, les éléments ainsi requis par la jurisprudence figureraient dans la communication des griefs.

102    Enfin, la Commission fait valoir que, en tout état de cause, le fait qu’elle n’ait pas explicitement indiqué, dans la communication des griefs, son intention de retenir en tant que circonstance aggravante le rôle particulier joué par Deltafina dans le cadre de l’entente des transformateurs n’a pas eu de conséquences pour la défense de cette entreprise. En effet, celle-ci aurait expressément avancé, aux pages 31 à 37 de sa réponse à la communication des griefs, des arguments visant à minimiser son rôle.

–       Appréciation du Tribunal

103    La présente branche comporte deux volets principaux. D’une part, Deltafina invoque l’existence de divergences entre la communication des griefs et la décision attaquée en ce qui concerne l’appréciation de son rôle dans l’entente des transformateurs. D’autre part, elle conteste le bien-fondé de cette appréciation, telle qu’opérée dans la décision attaquée.

104    Dans le cadre de chacun de ces deux volets, Deltafina formule notamment des critiques à l’encontre de la qualité de meneur de l’entente des transformateurs qui lui a été attribuée. Ainsi, dans le cadre du premier, elle reproche à la Commission de ne pas avoir fait mention, dans la communication des griefs, de la circonstance qu’elle était susceptible d’être considérée comme meneur de l’entente des transformateurs, violant de la sorte ses droits de la défense. Dans le cadre du second, elle fait valoir que la conclusion de la Commission, dans la décision attaquée, selon laquelle elle a joué un tel rôle dans l’entente des transformateurs n’est pas suffisamment étayée.

105    Ainsi qu’il a déjà été constaté au point 71 ci-dessus et que le relève à juste titre la Commission, la qualité de meneur de l’entente des transformateurs attribuée à Deltafina n’a été prise en compte, dans la décision attaquée, que dans le contexte du calcul du montant de l’amende, et ce en tant que circonstance aggravante. Dès lors, même si la violation des droits de la défense invoquée en rapport avec cette qualité était démontrée ou s’il devait apparaître que ladite qualité n’est pas établie à suffisance de droit, cela ne saurait entraîner l’annulation de la décision attaquée, ainsi que le recherche Deltafina en invoquant la présente branche, mais, tout au plus, une réduction du montant de l’amende qui lui a été imposée. Partant, les critiques susvisées doivent être rejetées comme inopérantes dans le cadre de la présente branche. Elles seront examinées dans le cadre du sixième moyen ci-après, qui est invoqué par Deltafina au soutien de ses conclusions tendant à la réduction du montant de son amende et repose, en substance, sur les mêmes considérations.

106    S’agissant des autres critiques que Deltafina formule au soutien de la présente branche, celles-ci soulèvent trois questions distinctes, à savoir, premièrement, celle de la base sur laquelle la Commission a conclu, dans la décision attaquée, que cette société avait violé l’article 81 CE, deuxièmement, celle de savoir s’il existe à cet égard des divergences entre cette décision et la communication des griefs, et, troisièmement, celle de la justification à suffisance de droit de la conclusion susvisée de la Commission.

107    En ce qui concerne la première question, il doit être rappelé que, ainsi qu’il a déjà été exposé aux points 15 à 21 ci-dessus, la décision attaquée concerne deux ententes horizontales conclues et mises en œuvre sur le marché espagnol du tabac brut, la première impliquant les transformateurs espagnols et Deltafina, et la seconde les représentants des producteurs. Aux termes de la décision attaquée, chacune de ces ententes se caractérise par un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées et constitue une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, considérants 275 à 277 et 296 à 298 de la décision attaquée).

108    Les transformateurs espagnols et Deltafina sont tenus pour responsables de l’ensemble de la première infraction et les représentants des producteurs pour l’ensemble de la seconde (voir, notamment, article 1er et considérants 358, 359 et 366 de la décision attaquée).

109    Plus précisément, il ressort de plusieurs considérants de la décision attaquée que Deltafina est considérée comme ayant, au même titre que les transformateurs espagnols, conclu des accords et/ou participé à des pratiques concertées ayant pour objet de fixer, chaque année, pendant la période 1996/2001, le prix moyen de livraison (maximal) de chaque variété de tabac brut, toutes qualités confondues, ainsi que de répartir les quantités de chaque variété de tabac brut que chacun des transformateurs pouvait acheter auprès des producteurs (voir, notamment, considérants 85, 88, 112, 144, 274, 276, 278, 279, 281 à 283, 285 à 287, 301, 303, 305 et 357 de la décision attaquée). En outre, Deltafina est considérée comme ayant, au même titre que les transformateurs espagnols et au cours de la période 1999/2001, conclu des accords et/ou participé à des pratiques concertées ayant pour objet de fixer les fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut figurant dans les tableaux annexés aux contrats de culture ainsi que les conditions complémentaires (voir, notamment, considérants 85, 274, 276, 290 et 357 de la décision attaquée).

110    En d’autres termes, dans la décision attaquée, il est reproché à Deltafina d’avoir directement et activement participé à l’entente des transformateurs (voir, notamment, considérants 357, 361, 366 et 369 de la décision attaquée). À ce propos, il doit être relevé que la Commission précise notamment, au considérant 369 de la décision attaquée, que « le rôle de Deltafina en l’espèce doit être considéré comme ayant été direct et primaire et ne [s’étant pas] limité au rôle de coordinateur extérieur et/ou de facilitateur ».

111    Aux considérants 359 à 366 de la décision attaquée, la Commission expose, en renvoyant à d’autres considérants de cette décision, le raisonnement et les faits spécifiques sur lesquels elle s’est fondée pour parvenir aux conclusions exposées aux points 109 et 110 ci-dessus.

112    Ce raisonnement et ces faits sont les suivants :

–        Deltafina a, par l’intermédiaire de son président et – parfois – d’autres représentants, participé à certaines réunions de l’entente des transformateurs (considérants 67, 112 et 363 de la décision attaquée), en l’occurrence les réunions du 13 mars 1996 à Madrid (Espagne) (considérants 88 et 92 de la décision attaquée), du 17 décembre 1996 (considérant 117 de la décision attaquée), du 30 janvier 1997 à Rome (Italie) (considérant 118 de la décision attaquée) et de mars 1999 (considérant 186 de la décision attaquée) ;

–        Deltafina, lorsqu’elle n’était pas présente à certaines des réunions de l’entente des transformateurs, était régulièrement informée, par ces derniers, de la situation du marché espagnol du tabac brut et des pratiques qu’ils avaient mises en œuvre (considérants 112, 133 à 136, 140 à 143, 145, 149 et 364 de la décision attaquée) ;

–        en 1997, le président de Deltafina a même été le dépositaire d’une note que les transformateurs espagnols avaient préparée et signée lors d’une de leurs réunions et qui reprenait le détail des différents accords auxquels ils étaient parvenus (considérants 122 et 364 de la décision attaquée) ;

–        Deltafina est intervenue dans l’organisation de l’entente des transformateurs, notamment en leur envoyant des courriers afin d’obtenir la bonne exécution des accords illicites et en agissant ainsi en tant que médiateur dans des différends les opposant (considérants 140 et 365 de la décision attaquée) ;

–        Deltafina a joué un rôle central dans le cadre des négociations entre les transformateurs espagnols et les représentants des producteurs relatives aux fourchettes de prix portant sur le tabac excédentaire de la récolte 1999 (considérants 207, 221 et 365 de la décision attaquée).

113    En ce qui concerne la deuxième question, il convient au préalable de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment des amendes ou des astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire qui doit être observé, même s’il s’agit d’une procédure ayant un caractère administratif (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 9, et du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C‑176/99 P, Rec. p. I‑10687, point 19).

114    Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative menée contre elle (voir arrêt ARBED/Commission, point 113 supra, point 20, et la jurisprudence citée).

115    En outre, une violation des droits de la défense au cours de la procédure administrative s’apprécie à la lumière des griefs retenus par la Commission dans la communication des griefs et dans la décision mettant fin à ladite procédure (arrêts du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, point 60, et ICI/Commission, T‑36/91, Rec. p. II‑1847, point 70). Dans ces conditions, la constatation d’une violation des droits de la défense suppose que le grief dont l’entreprise soutient qu’il ne lui était pas reproché dans la communication des griefs est retenu par la Commission dans sa décision finale.

116    En l’espèce, dans la communication des griefs, comme dans la décision attaquée, la Commission distingue entre deux ententes horizontales, se caractérisant par un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées, sur le marché espagnol du tabac brut, la première impliquant le secteur de la première transformation et la seconde celui de la production, et qualifie chacune de ces ententes d’infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, points 1, 316 à 318 et 338 à 340 de la communication des griefs). Comme dans la décision attaquée, les transformateurs espagnols et Deltafina y sont tenus pour responsables de l’ensemble de la première infraction et les représentants des producteurs pour l’ensemble de la seconde (voir, notamment, points 411, 412 et 420 de la communication des griefs).

117    S’agissant, plus particulièrement, de Deltafina, il ressort clairement de la communication des griefs que, comme dans la décision attaquée, cette société se voit imputer la responsabilité de l’infraction en raison de son implication directe et active dans les activités de l’entente des transformateurs. Ainsi, à la première phrase du point 415 de la communication des griefs, qui est presque identique à la première phrase du considérant 361 de la décision attaquée, la Commission expose que « Deltafina a joué un rôle particulièrement actif dans le cartel des transformateurs espagnols de tabac brut ». De même, au point 420 de la communication des griefs, qui est rédigé en des termes semblables à ceux du considérant 366 de la décision attaquée, la Commission conclut notamment qu’il convient de « considérer que Deltafina a activement participé à l’élaboration et à la mise en œuvre de l’accord sur le prix moyen et sur les quantités conclu entre les transformateurs à partir de 1996 ainsi qu’à la négociation des tableaux des prix du tabac excédentaire en 2000 ».

118    En outre, le raisonnement et les faits sur lesquels la Commission se fonde pour établir le grief tiré d’une implication directe et active de Deltafina dans l’infraction correspondent, en substance, à ceux qu’elle retient dans la décision attaquée et qui sont exposés au point 112 ci-dessus (voir, notamment, points 412 à 420 de la communication des griefs et les différents points de cette même communication auxquels ils renvoient).

119    Force est donc de constater que, contrairement à ce que fait valoir Deltafina, la décision attaquée ne diffère pas de la communication des griefs quant aux motifs pour lesquels elle s’est vu imputer la responsabilité de l’infraction. À la lecture de la communication des griefs, Deltafina devait nécessairement comprendre que, comme elle le fait dans la décision attaquée, la Commission entendait se fonder sur son implication directe et active dans les activités de l’entente des transformateurs. La communication des griefs ayant permis à Deltafina de prendre connaissance non seulement du grief tiré de son implication directe et active dans l’infraction, mais aussi des faits retenus par la Commission dans la décision attaquée au soutien de ce grief, la requérante était pleinement en mesure d’assurer sa défense au cours de la procédure administrative.

120    Certes, dans plusieurs passages de la décision attaquée, Deltafina est expressément mentionnée, à côté des transformateurs espagnols, comme ayant pris part aux accords et/ou pratiques concertées litigieux (voir point 109 ci-dessus) alors qu’elle ne l’est pas dans les passages correspondants de la communication des griefs. Toutefois, il ne s’agit là que d’une simple différence de présentation des faits, qui vise uniquement à rendre compte de ceux-ci de manière plus précise dans la décision attaquée et ne saurait constituer une modification matérielle des griefs tels qu’exposés dans la communication des griefs. Il doit être rappelé, à cet égard, qu’il est de jurisprudence constante que la décision finale de la Commission ne doit pas nécessairement être une copie de la communication des griefs (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 91, et du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 14 ; arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge de transports e.a./Commission, T‑24/93 à T‑26/93 et T‑28/93, Rec. p. II‑1201, point 113).

121    De même, au point 413 de la communication des griefs, la Commission, citant sa décision 80/1334/CEE, du 17 décembre 1980, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/29.869 – Verre coulé en Italie) (JO L 383, p. 9, ci-après la « décision verre coulé »), déclare que, selon sa pratique décisionnelle, « lorsqu’une entreprise permet et aide ‘sciemment’ à la réalisation des restrictions de concurrence qui sont le but même des accords concernés, elle peut être tenue pour ‘coresponsable’ des effets restrictifs en découlant ». Cette observation, qui n’a pas d’équivalent dans la décision attaquée et qui figure dans la section de la communication des griefs consacrée aux destinataires de celle-ci et, singulièrement, à Deltafina, pourrait, à première vue, s’interpréter comme signifiant que la Commission reproche à cette dernière, non d’avoir participé directement et activement à l’entente des transformateurs, mais seulement d’avoir facilité la commission de l’infraction. Une telle interprétation ne saurait toutefois être retenue, en ce qu’elle ne tient pas compte des points de la communication des griefs qui suivent ladite observation et, plus particulièrement, des points 415 et 420, dans lesquels il est clairement reproché à Deltafina d’avoir participé activement à l’entente des transformateurs (voir point 117 ci-dessus). En réalité, en formulant cette observation au point 413 de la communication des griefs, la Commission – même s’il peut être regretté qu’elle n’ait pas employé des termes plus précis à cet égard – entendait indiquer qu’une entreprise est susceptible de violer l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE lorsque son comportement, tel que coordonné avec celui d’autres entreprises, a pour but de restreindre la concurrence sur un marché pertinent particulier à l’intérieur du marché commun, sans que cela suppose nécessairement qu’elle soit elle-même active sur ledit marché pertinent. Cela apparaît clairement lorsque ladite observation est lue dans le contexte du passage de la décision verre coulé dont elle est issue.

122    En ce qui concerne la troisième question, il convient de constater que Deltafina ne conteste pas que les faits sur lesquels la Commission se fonde, aux considérants 359 à 366 de la décision attaquée, pour la tenir pour responsable d’une violation de l’article 81 CE, tels que rappelés au point 112 ci-dessus, sont étayés par les éléments de preuve contenus dans le dossier. En réalité, dans le cadre de la présente branche, Deltafina remet en cause la conclusion de la Commission selon laquelle lesdits faits justifient que la première infraction lui soit imputée dans son ensemble.

123    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, afin que l’ensemble de l’infraction puisse être imputé à une entreprise participant à une entente, il faut que deux conditions, l’une de nature objective et l’autre de nature subjective, soient remplies (voir points 57 à 63 ci-dessus). S’agissant de la première condition, il faut que cette entreprise ait contribué à la mise en œuvre de l’entente, même de façon subordonnée, accessoire ou passive. En ce qui concerne la seconde condition, ladite entreprise doit avoir manifesté sa volonté propre, démontrant qu’elle a souscrit, ne fût-ce que tacitement, aux objectifs de l’entente.

124    En l’espèce, tout d’abord, il est avéré que Deltafina a activement et directement contribué à la mise en œuvre de l’entente des transformateurs pendant la période infractionnelle.

125    Ainsi, les éléments du dossier démontrent que deux représentants de Deltafina, en l’occurrence M. M., son président, et M. C., son directeur responsable des achats, ont participé à la première réunion de l’entente des transformateurs, à savoir celle du 13 mars 1996 à Madrid, au cours de laquelle il a été discuté des prix et des volumes d’achats du tabac brut pour la campagne 1996/1997 et un accord sur les prix a été conclu. Il ressort d’une télécopie adressée par WWTE à Deltafina le 10 avril 1996, mentionnée au considérant 95 de la décision attaquée, que cette dernière a activement contribué à la conclusion de cet accord et a rédigé le procès-verbal contenant celui-ci. Il résulte également de cette télécopie ainsi que d’une télécopie adressée par Agroexpansión à Deltafina le 22 avril 1996 que WWTE et Agroexpansión se sont plaintes auprès de Deltafina du non-respect de l’accord par Cetarsa.

126    Une autre réunion de l’entente des transformateurs était prévue pour le 17 décembre 1996, en présence de M. M. Ce dernier ainsi que M. C. ont également participé à la réunion de l’entente des transformateurs du 30 janvier 1997 à Rome, au cours de laquelle des accords portant sur les prix et les quantités d’achats de tabac brut pour la campagne 1997/1998 ont été conclus. Il ressort du dossier que M. M. a conservé une note rédigée et signée par les transformateurs espagnols lors de cette dernière réunion, reprenant le détail de ces différents accords, et qu’il l’a ultérieurement détruite à la demande de ces mêmes transformateurs.

127    Par la suite, à plusieurs reprises, WWTE et Agroexpansión ont informé Deltafina de la situation du marché espagnol du tabac brut et se sont plaintes auprès de cette dernière du non-respect des accords visés au point 126 ci-dessus ainsi que d’autres accords qui avaient été conclus au cours des premiers mois de l’année 1997. Ainsi, le 29 avril 1997, WWTE a envoyé une télécopie à M. M. dans laquelle elle lui indiquait que le prix minimal (moyen) que Cetarsa avait accepté de payer aux producteurs constituait une violation d’un accord conclu entre les transformateurs en présence de M. M. et qu’il serait, par conséquent, impossible de respecter l’engagement de payer un prix moyen de 50/60 pesetas espagnoles (ESP) par kilo. En réponse à cette télécopie, M. M. a, par télécopie du même jour sur papier à en-tête de Deltafina, invité WWTE à « garder son calme », en lui indiquant que « payer toujours plus n’aide personne ». Le 30 avril 1997, Agroexpansión a envoyé une télécopie à M. M. dans laquelle elle relevait notamment que « les accords et réunions avec les autres transformateurs [étaient], une fois de plus, stériles et ridicules » et qu’elle « [avait] respecté les compromis et achètera[it] 5 millions de kilos mais en payant 30 ESP de plus que l’année dernière ». Par télécopie du 9 juillet 1997, WWTE s’est de nouveau plainte auprès de Deltafina du comportement de Cetarsa, en soulignant notamment la nécessité d’« obtenir la paix dans le secteur » et d’avoir « un accord sans accord ». Dans sa télécopie, WWTE indiquait également : « Comme tu l’as dit maintes fois, un accord sur les prix n’est pas possible sans un accord sur les quantités. L’accord sur les quantités ne peut pas être uniquement pour un an […] Il serait nécessaire d’avoir un accord [d’une durée] éventuellement de cinq ans, [ou] au minimum de trois ans. »

128    Le 1er octobre 1997, Agroexpansión a envoyé une télécopie à Deltafina pour l’informer que WWTE avait accepté de payer des prix supérieurs à ceux qui avaient été convenus. En réaction à cette télécopie, M. M. a écrit, le même jour, à WWTE, sur papier à en-tête de Deltafina, pour lui indiquer que, si cette information devait s’avérer exacte, un sérieux problème se poserait et que son comportement pourrait être interprété comme une « attaque violente » contre Agroexpansión. Par télécopie du 2 octobre 1997 à Deltafina, WWTE a exposé son point de vue sur cette question.

129    Le 6 novembre 1997, WWTE a envoyé une télécopie à Deltafina, dans laquelle elle indiquait notamment qu’elle essayait « par tous les moyens » d’obtenir un accord sur les quantités et que, lors de la réunion qui se tiendrait avec les autres transformateurs le 20 novembre suivant, elle proposerait « le cautionnement [des] accords avec le dépôt d’importantes sommes d’argent qui permettent une sécurité dans l’exécution des accords ». À cette télécopie était annexé un tableau contenant des informations sur certains prix payés par chacun des transformateurs espagnols.

130    Deltafina a été informée par Taes de l’accord-cadre sur les conditions d’achat pour la campagne 1998/1999 conclu par les transformateurs lors de la réunion à Madrid du 20 janvier 1998 dès le lendemain de cette réunion.

131    Il ressort d’un rapport d’activité d’Agroexpansión du 6 avril 1999 que M. M. a participé, en mars 1999, à une réunion avec les transformateurs espagnols et l’Anetab au cours de laquelle il a été discuté des prix du tabac brut et de la répartition des volumes d’achats de tabac brut pour la campagne 1999/2000.

132    Enfin, en 2000, Deltafina est intervenue dans les négociations entre les transformateurs et les représentants des producteurs portant sur les fourchettes de prix du tabac brut excédentaire de 1999. Plus particulièrement, en vue d’une réunion de l’Anetab qui devait se tenir à la fin du mois de février 2000, M. M. a envoyé, le 15 février 2000, une télécopie sur papier à en-tête de Deltafina à Cetarsa, Agroexpansión et WWTE afin de leur faire part de ses réflexions, conseils et propositions à ce propos.

133    Ensuite, au vu de l’ensemble des circonstances objectives caractérisant la participation de Deltafina, il y a lieu de constater que c’est en toute connaissance de cause et de propos délibéré que cette dernière a contribué à l’entente des transformateurs. En effet, Deltafina soit ne pouvait pas ignorer, soit connaissait, de toute évidence, l’objectif anticoncurrentiel et illicite de cette entente, objectif qui s’est manifesté, notamment, dans la tenue de réunions à but anticoncurrentiel, dans l’échange d’informations sensibles auquel elle a activement participé pendant toute la période infractionnelle et dans le cadre d’une note reprenant le détail de certains accords portant sur les prix et les quantités d’achats de tabac brut dont elle a été le dépositaire. Il convient d’ajouter, dans ce contexte, que Deltafina avait intérêt, eu égard à l’importante position qu’elle occupait sur le marché de l’achat de tabac transformé espagnol et à son rôle de responsable de la coordination et de la supervision des activités commerciales du groupe Universal en Europe (voir points 142 et 268 à 272 ci-après), à ce que les pratiques restrictives en cause soient mises en œuvre.

134    Au vu de tout ce qui précède, il convient de constater que c’est à bon droit et sans violer les droits de la défense de Deltafina que la Commission, dans la décision attaquée, a considéré que la requérante avait engagé sa responsabilité pour l’infraction que constitue l’entente des transformateurs.

135    Il s’ensuit que la première branche doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la deuxième branche, tirée de ce que les comportements qui sont reprochés à Deltafina doivent, en réalité, l’être à son président

–       Arguments des parties

136    Deltafina fait valoir que les comportements qui lui sont reprochés ne pouvaient être imputés qu’à son président, M. M., celui-ci ayant toujours agi, dans le cadre de l’entente des transformateurs, à titre personnel et non en tant que représentant ou organe de la société.

137    Elle précise que les transformateurs espagnols ont choisi M. M. en tant que « gardien de leurs accords » en raison des garanties de neutralité qu’il offrait et de l’autorité dont il jouissait dans l’industrie du tabac, tant en Espagne et en Italie que dans le reste du monde.

138    La Commission conclut au rejet des arguments de Deltafina.

–       Appréciation du Tribunal

139    Force est de constater qu’il ressort d’une série d’éléments du dossier que M. M. a participé à l’entente des transformateurs, non à titre personnel, mais en qualité de représentant de Deltafina.

140    À cet égard, tout d’abord, il importe de rappeler que M. M. est le président de cette société.

141    Ensuite, il convient de relever que, lors de certaines réunions de l’entente, M. M. était accompagné d’un autre représentant de Deltafina, exerçant des fonctions importantes au sein de cette société (voir points 125 et 126 ci-dessus). En outre, il y a lieu de constater que la réunion de Rome du 30 janvier 1997 (voir point 126 ci-dessus) s’est tenue dans les bureaux de Deltafina et que les différents courriers adressés par M. M. aux transformateurs espagnols dans le cadre de l’entente des transformateurs l’étaient sur du papier à en-tête de la société. De surcroît, dans sa télécopie du 29 avril 1997 à WWTE, M. M. fait figurer le nom de la société à côté du sien (voir point 127 ci-dessus).

142    Enfin, il est clair que la participation de M. M. aux activités de l’entente des transformateurs avait pour but de défendre les intérêts commerciaux de Deltafina sur le marché espagnol. Ainsi, d’une part, il convient de relever que Deltafina est responsable de la coordination et de la supervision des activités commerciales du groupe Universal en Europe et que, partant, elle est directement intéressée par les activités d’achat de tabac brut de sa société sœur en Espagne, Taes. D’autre part, Deltafina, outre le fait qu’elle acquérait presque toute la production de tabac transformé de Taes (considérant 27 de la décision attaquée), a conclu d’importants contrats d’achat de tabac transformé avec Cetarsa (considérants 20 et 29 de la décision attaquée) et Agroexpansión (considérants 21 et 29 de la décision attaquée). Or, ainsi qu’il ressort de certaines pièces du dossier et qu’il est constant entre les parties, le prix payé par les transformateurs espagnols pour l’acquisition de tabac brut influait directement sur le prix payé par Deltafina pour l’achat de tabac transformé (voir également considérant 32 de la décision attaquée).

143    Il y a également lieu de relever que Taes, dans son mémoire du 18 février 2002 (voir point 9 ci-dessus), indique que Deltafina était intéressée par la conclusion de l’accord portant sur le prix d’achat du tabac brut excédentaire de 1999 dans la mesure où elle souhaitait acquérir des quantités supplémentaires de tabac transformé. Il convient d’ajouter que, dans plusieurs des courriers échangés entre Deltafina et les transformateurs espagnols dans le cadre de l’entente des transformateurs, il est expressément fait référence à la situation de la requérante.

144    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la deuxième branche comme non fondée.

 Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a refusé de donner à Deltafina accès à certains documents à charge

–       Arguments des parties

145    Deltafina prétend que la Commission, en lui refusant l’accès aux documents établissant qu’elle jouait un rôle de meneur dans l’entente des transformateurs, a porté atteinte à ses droits de la défense et à son droit à un procès équitable.

146    À cet égard, elle relève que la Commission n’a pas donné suite à la demande visant à avoir accès aux mémoires déposés par les autres entreprises destinataires de la communication des griefs en réponse à celle-ci qu’elle avait formulée par télécopie du 23 mars 2004 et réitérée par télécopie du 24 novembre 2004. Or, les principaux éléments auxquels la Commission se référerait, dans la décision attaquée, pour lui attribuer le rôle de meneur seraient certains passages des réponses d’Agroexpansión et de WWTE à la communication des griefs.

147    La Commission conteste s’être fondée sur des éléments contenus dans les réponses d’Agroexpansión et de WWTE à la communication des griefs pour établir que Deltafina jouait un rôle de meneur dans le cadre de l’entente des transformateurs. Ainsi qu’il ressortirait du considérant 436 de la décision attaquée, dans leurs réponses, Agroexpansión et WWTE auraient simplement confirmé ce rôle ou, plus précisément, les « faits dont découle ce rôle ». Elles n’auraient avancé aucun élément de fait qui n’avait déjà été retenu à l’encontre de Deltafina dans la communication des griefs et au sujet duquel cette dernière n’aurait donc pu se défendre.

–       Appréciation du Tribunal

148    Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 70 à 73 et 105 ci-dessus, les allégations que Deltafina formule au soutien de la présente branche doivent être rejetées comme inopérantes. Elles seront examinées dans le cadre du sixième moyen ci-après, qui est invoqué par Deltafina au soutien de ses conclusions tendant à la réduction du montant de son amende.

 Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission n’a pas défini de manière suffisamment claire les marchés de produit et géographique en cause dans la communication des griefs

–       Arguments des parties

149    Deltafina fait valoir que la Commission n’a pas défini de manière suffisamment claire les marchés de produit et géographique en cause dans la communication des griefs et qu’il a, de ce fait, été porté gravement atteinte à ses droits de la défense.

150    Selon Deltafina, si ce marché avait été défini « avec la clarté voulue » dans la communication des griefs, elle aurait pu présenter à la Commission des arguments factuels et juridiques de nature à la faire parvenir à d’autres conclusions que celles figurant dans la décision attaquée. Plus particulièrement, cela lui aurait permis de faire valoir des arguments à propos de sa présence, ou non, sur le marché en cause et de son rôle dans celui-ci.

151    La Commission rejette les allégations de Deltafina.

–       Appréciation du Tribunal

152    Tout d’abord, il convient de constater qu’il ressort de manière suffisamment claire et précise de la communication des griefs que le marché en cause est le marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut. Dans la communication des griefs, comme dans la décision attaquée (voir points 82 et 83 ci-dessus), la Commission décrit en détail les entreprises de première transformation de tabac brut en Espagne – en donnant notamment des précisions sur leurs activités d’achat et de transformation de tabac brut ainsi que sur les relations commerciales qu’elles entretiennent entre elles –, les producteurs de tabac brut et leurs représentants, différents aspects du secteur du tabac brut en Espagne, dont les régions de production, le volume et la valeur de la production, la valeur des ventes, les différentes variétés de tabac brut et les prix moyens de livraison (maximaux) de chacune desdites variétés, ainsi que les cadres réglementaires communautaire et espagnol applicables au tabac brut (voir points 15 à 81 de la communications des griefs). L’analyse à laquelle la Commission a ainsi procédé dans la communication des griefs permet de pleinement saisir les conditions de fonctionnement du marché dans lequel la concurrence se trouve faussée.

153    Ensuite, force est de constater qu’il ressort de la réponse de Deltafina à la communication des griefs que cette dernière non seulement avait parfaitement compris la manière dont la Commission appréhendait le marché en cause en l’espèce, mais avait également exprimé son point de vue sur son rôle sur ledit marché.

154    Dans ces conditions, la quatrième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

155    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le deuxième moyen ne saurait être accueilli.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE, de l’article 2 du règlement n° 1/2003 et du point 43 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 [CE] et 82 [CE] ainsi que d’un défaut de motivation

 Arguments des parties

156    Deltafina prétend que la Commission n’a pas suffisamment démontré que les pratiques restrictives en cause affectaient le commerce entre États membres.

157    Au soutien de cette allégation, tout d’abord, elle expose que la Commission se contredit en affirmant, d’une part, au considérant 316 de la décision attaquée, que « [l’]entente entre les transformateurs et Deltafina […] est susceptible d’avoir une […] influence [directe ou indirecte, actuelle ou potentielle,] sur les courants d’échanges entre l’Espagne et les autres États membres dans la mesure où [elle] avait pour objet de garantir l’exportation du tabac transformé espagnol » et, d’autre part, au considérant 412 de la décision attaquée, qu’elle « ne possède pas de preuves concluantes des effets réels des infractions commises par les producteurs et les transformateurs sur le marché ».

158    Ensuite, Deltafina critique le fait que la Commission ait présumé l’existence d’une affectation du commerce entre États membres en l’espèce « par la seule raison objective qu’un produit différent de celui du marché pertinent vraisemblable peut être exporté parfois sur d’autres marchés ». Ainsi, la Commission tiendrait compte d’un marché en aval par rapport au marché en cause, ce marché en aval étant celui du tabac transformé. En outre, la Commission ne décrirait pas les « forces en présence » sur ledit marché en aval ni n’expliquerait comment celui-ci pourrait être affecté, « dans un sens anticoncurrentiel et de manière sensible », par des agissements qui se sont produits sur le marché en cause. Deltafina reproche également à la Commission de méconnaître le fait que le marché du tabac brut est « exclusivement national », dès lors que les entreprises non espagnoles ne sont pas reconnues en tant que transformateurs en Espagne et ne peuvent pas acheter du tabac brut auprès des producteurs espagnols. Elle ajoute qu’il n’y a pas d’importations de tabac brut en provenance d’Espagne ni d’exportations de tabac brut vers ce pays.

159    Deltafina reproche également à la Commission d’avoir méconnu le point 43 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 [CE] et 82 [CE], qui prévoit notamment que « [l]a probabilité qu’un accord donné ait de l’influence indirecte ou potentielle doit être expliquée par l’autorité […] qui fait valoir que le commerce est susceptible d’être affecté de manière sensible » et que « [l]’influence hypothétique ou spéculative n’est pas suffisante pour établir l’applicabilité du droit communautaire ».

160    Enfin, Deltafina fait valoir que l’entente en cause s’apparente à une « [entente] couvrant un seul État membre » au sens des points 78 à 82 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 [CE] et 82 [CE]. Elle ajoute que, selon ces mêmes lignes directrices, « [l]a capacité qu’ont ces ententes à fausser le commerce réside principalement dans leur valeur d’exclusion à l’encontre des concurrents des autres États membres ». Or, il n’y aurait, dans la décision attaquée, aucun élément qui permette d’établir l’existence de tels effets d’exclusion en l’espèce. En réalité, selon Deltafina, les barrières réglementaires qui empêchent l’établissement, en Espagne, d’entreprises de transformation étrangères et les caractéristiques intrinsèques du tabac brut, qui imposent que ce produit soit transformé immédiatement après la récolte et à proximité du lieu de celle-ci, « rendent peu probable la survenue même des effets indirects, dont la réalisation pourrait transformer une affectation du commerce purement hypothétique en une affectation potentielle ».

161    La Commission considère que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

162    Tout d’abord, elle souligne que la condition relative à l’affectation du commerce entre États membres est remplie lorsque, sur la base d’un ensemble d’éléments de droit et de fait, l’accord en cause permet d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres. Par conséquent, aux fins de l’application de l’article 81 CE, il ne serait pas nécessaire de démontrer que les échanges sont réellement affectés.

163    Ensuite, la Commission indique que, aux considérants 316 et 317 de la décision attaquée, elle a exposé les raisons pour lesquelles les pratiques restrictives en cause étaient « potentiellement susceptibles » d’affecter le commerce entre États membres. Elle estime qu’il n’existe aucune contradiction entre les considérants 316 et 412 de la décision attaquée.

164    Par ailleurs, la Commission relève que Deltafina ne conteste pas qu’une entente concernant les prix d’achat du tabac brut est susceptible d’avoir des répercussions sur le prix du tabac transformé ni que le tabac transformé espagnol est principalement destiné à l’exportation. Elle estime que, eu égard à ces circonstances, elle n’était pas tenue de décrire le marché du tabac transformé avant de pouvoir conclure que l’entente pouvait avoir un effet sur l’exportation de ce produit.

165    Enfin, la Commission rejette l’allégation de Deltafina selon laquelle, l’entente en cause s’apparentant à une entente couvrant un seul État membre, il lui appartenait de démontrer qu’elle avait un effet d’exclusion des concurrents des autres États membres. À cet égard, elle renvoie notamment au considérant 317 de la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

166    Il résulte d’une jurisprudence bien établie que l’interprétation et l’application de la condition relative aux effets sur le commerce entre États membres, figurant aux articles 81 CE et 82 CE, doivent prendre comme point de départ le but de cette condition qui est de déterminer, en matière de réglementation de la concurrence, le domaine du droit communautaire par rapport à celui des États membres. C’est ainsi que relèvent du domaine du droit communautaire toute entente et toute pratique susceptibles de mettre en cause la liberté du commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre ceux-ci, notamment en cloisonnant les marchés nationaux ou en modifiant la structure de la concurrence dans le marché commun (arrêts de la Cour du 31 mai 1979, Hugin Kassaregister et Hugin Cash Registers/Commission, 22/78, Rec. p. 1869, point 17, et du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C‑475/99, Rec. p. I‑8089, point 47).

167    Pour être susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils exercent une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre États membres. Il faut, en outre, que cette influence ne soit pas insignifiante (arrêts de la Cour du 28 avril 1998, Javico, C‑306/96, Rec. p. I‑1983, point 16, et Ambulanz Glöckner, point 166 supra, point 48).

168    Ainsi, une incidence sur les échanges intracommunautaires résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (arrêts de la Cour du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C‑215/96 et C‑216/96, Rec. p. I‑135, point 47, et du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C‑359/01 P, Rec. p. I‑4933, point 27).

169    La jurisprudence a également précisé que l’article 81, paragraphe 1, CE n’exige pas que les ententes visées à cette disposition aient affecté sensiblement les échanges intracommunautaires, mais demande qu’il soit établi que ces ententes sont de nature à avoir un tel effet (voir arrêt de la Cour du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, Rec. p. I‑11125, point 43, et la jurisprudence citée).

170    En l’espèce, il y a lieu de considérer que, dans la décision attaquée, la Commission a établi à suffisance de droit que l’entente des transformateurs était susceptible d’affecter le commerce entre États membres.

171    Plus particulièrement, c’est à bon droit que la Commission a conclu, au considérant 316 de la décision attaquée, que cette condition d’application de l’article 81 CE était remplie eu égard au fait que l’entente des transformateurs était de nature à avoir un effet sur les exportations de tabac transformé au départ de l’Espagne vers les autres États membres.

172    À ce propos, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de différents passages de la décision attaquée (voir, notamment, considérants 20, 23, 27, 32 et 84 de la décision attaquée), d’une part, le prix d’achat du tabac brut influe directement sur le prix du tabac transformé et, d’autre part, le tabac transformé espagnol est principalement destiné à l’exportation. Ces éléments, au demeurant non contestés par Deltafina, suffisent pour démontrer que l’entente des transformateurs était de nature à avoir un effet sur l’exportation du tabac transformé espagnol, de sorte que Deltafina ne saurait faire grief à la Commission de ne pas avoir décrit les « forces en présence » sur le marché de ce produit.

173    Certes, en appréciant si la condition relative aux effets sur le commerce entre États membres est remplie, la Commission a tenu compte d’un produit – le tabac transformé – se situant sur un marché en aval du marché en cause. Toutefois, ainsi que Deltafina le reconnaît d’ailleurs expressément dans la requête, cette approche est conforme non seulement à la jurisprudence, laquelle considère que l’influence sur les courant d’échanges entre États membres peut être indirecte (voir point 167 ci-dessus), mais aussi aux lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 [CE] et 82 [CE]. Ainsi, le point 38 de ces lignes directrices indique notamment qu’« [i]l n’est pas rare que l’influence indirecte soit en rapport avec des produits apparentés à ceux qui sont concernés par l’accord ou la pratique », que « l’influence indirecte peut avoir lieu lorsqu’un accord ou une pratique a une incidence sur les activités économiques transfrontalières d’entreprises qui utilisent d’une manière ou d’une autre les produits concernés par l’accord ou la pratique » et que « [c]ette influence peut par exemple survenir lorsque l’accord ou la pratique concerne un produit semi-fini qui ne fait pas lui-même l’objet d’un commerce entre États membres, mais est utilisé dans la fourniture d’un produit final qui, lui, est commercialisé ».

174    Par ailleurs, la conclusion de la Commission selon laquelle l’entente des transformateurs est de nature à avoir un effet sur l’exportation du tabac transformé espagnol et, partant, sur les échanges intracommunautaires n’est nullement contredite par l’affirmation, au considérant 412 de la décision attaquée, selon laquelle « [elle] ne possède pas de preuves concluantes des effets réels des infractions commises par les producteurs et les transformateurs sur le marché ; en effet, il serait impossible de déterminer a posteriori le niveau des prix qui aurait été appliqué sur le marché du tabac brut en Espagne en l’absence des pratiques en cause ». En effet, par cette affirmation, formulée dans le contexte de l’examen de la gravité de l’infraction, la Commission se borne à constater qu’elle ne peut quantifier avec précision les effets réels de l’entente des transformateurs sur le marché. Elle n’exclut pas pour autant que l’entente puisse avoir eu de tels effets. Bien au contraire, ainsi qu’il sera exposé plus en détail aux points 245 à 259 ci-après, dans la décision attaquée, la Commission a tenu compte, lors de l’évaluation de la gravité de l’infraction, du fait que, à partir de 1998, l’entente des transformateurs avait eu des effets concrets sur le marché.

175    Le raisonnement opéré par la Commission au considérant 316 de la décision attaquée établissant suffisamment à lui seul, pour les motifs qui précèdent, que l’entente des transformateurs était susceptible d’affecter le commerce entre États membres, il n’y a pas lieu d’examiner les critiques que Deltafina fait valoir à l’encontre de l’argument, formulé à titre surabondant par la Commission au considérant 317 de la décision attaquée, selon lequel « une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité [CE] ».

176    Enfin, s’agissant du caractère sensible de l’affectation des échanges par l’entente des transformateurs, il convient de constater que, au considérant 317 de la décision attaquée, la Commission a relevé que ladite entente rassemblait tous les transformateurs reconnus en Espagne, que ces derniers achetaient la quasi-totalité du tabac brut produit en Espagne chaque année, que l’entente portait sur tout le tabac brut ainsi acheté et que le tabac brut, une fois qu’il était transformé, était principalement vendu à l’exportation. Ces différents éléments établissent à suffisance de droit que l’entente des transformateurs était de nature à avoir un effet sensible sur les échanges intracommunautaires.

177    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

178    Partant, les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée ne sauraient être accueillies.

3.     Sur les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 2 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, du point 1 A et du point 5, sous d), des lignes directrices et des principes de proportionnalité, d’« égalité de traitement et de sanction » ainsi que d’un défaut de motivation

 Résumé de la décision attaquée

179    Aux considérants 404 à 458 de la décision attaquée, la Commission examine la question des amendes à infliger aux destinataires.

180    Au considérant 405 de la décision attaquée, elle rappelle que, pour fixer le montant de l’amende, elle doit prendre en considération la gravité et la durée de l’infraction.

181    Pour déterminer le montant de départ à retenir au titre de la gravité, dans un premier temps, la Commission apprécie, aux considérants 407 à 414 de la décision attaquée, la gravité « intrinsèque » des infractions en cause.

182    Ainsi, tout d’abord, elle relève, au considérant 407 de la décision attaquée, que, pour effectuer une telle appréciation, elle doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique en cause.

183    Ensuite, au considérant 408 de la décision attaquée, la Commission constate que « [l]a production de tabac brut en Espagne représente 12 % de la production communautaire », que « [l]a superficie de culture dans ce pays est de 14 571 hectares et se concentre dans les Communautés autonomes d’Estrémadure (84 %), d’Andalousie (11,5 %) et de Castille-Léon (3 %) » et que « [l]a taille du marché est assez réduite et plutôt concentrée dans une seule région d’Espagne ».

184    Par ailleurs, au considérant 409 de la décision attaquée, la Commission indique que « [l]’infraction est toutefois considérée comme très grave parce qu’elle consiste dans la fixation des prix des variétés de tabac brut en Espagne et la répartition des quantités ».

185    S’agissant, plus particulièrement, des représentants des producteurs, elle relève, au considérant 410 de la décision attaquée, que ceux-ci ont participé à des accords et/ou des pratiques concertées ayant essentiellement pour objet la fixation de fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut – à l’intérieur desquelles ils négociaient ensuite le prix final du tabac brut à la livraison – et du prix minimal moyen par producteur et par groupement de producteurs. Elle ajoute que, si les marges à l’intérieur de ces fourchettes de prix étaient très larges et pouvaient varier de 100 à 380 % entre le minimum et le maximum de chaque grade qualitatif pour une même variété de tabac brut, toutefois, en convenant du niveau minimal du prix moyen – par producteur et par groupement de producteurs –, les représentants des producteurs visaient à relever le prix de vente final de leur tabac brut au-dessus du niveau qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence.

186    En ce qui concerne les transformateurs espagnols et Deltafina, la Commission souligne, au considérant 411 de la décision attaquée, que ceux-ci, outre le fait qu’ils se sont également entendus sur les fourchettes de prix par grade qualitatif et les conditions complémentaires, « se sont mis d’accord en secret sur plusieurs autres aspects des prix et des quantités à vendre, et notamment le prix de livraison moyen (maximal) de chaque variété de tabac brut (toutes qualités confondues) et les volumes de tabac brut à acheter par chaque transformateur ». Elle ajoute que, à partir de 1998, ils ont également adopté des mécanismes complexes de compensation et de transfert afin d’assurer le respect de leur entente secrète sur les prix et les quantités.

187    Enfin, au considérant 412 de la décision attaquée, la Commission indique qu’elle « ne possède pas de preuves concluantes des effets réels des infractions commises par les producteurs et les transformateurs sur le marché » dès lors qu’« il serait impossible de déterminer a posteriori le niveau des prix qui aurait été appliqué sur le marché du tabac brut en Espagne en l’absence des pratiques en cause ». Au considérant suivant, elle expose qu’ « [o]n peut néanmoins considérer que, depuis 1998 au moins, sous l’effet de leur coordination secrète sur les prix et les quantités avant et après la conclusion des contrats de culture et jusqu’à la conclusion des transactions finales, l’entente des transformateurs a été pleinement mise en œuvre et respectée […] et devait avoir un effet réel sur le marché ».

188    Au considérant 414 de la décision attaquée, la Commission indique qu’il doit être conclu des considérations qui précèdent que les deux infractions doivent être qualifiées de « très graves ». Elle précise, toutefois, qu’elle « tiendra compte de la dimension relativement réduite du marché de produit ».

189    Dans un second temps, la Commission applique un traitement différencié aux entreprises concernées, considérant qu’il convient de « tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise et donc de l’incidence réelle de son comportement illicite sur la concurrence afin que l’effet dissuasif de l’amende infligée à chaque entreprise soit proportionné à sa contribution au comportement illégal à sanctionner » (considérant 415 de la décision attaquée).

190    Ainsi, tout d’abord, elle distingue entre, d’une part, l’entente des transformateurs (considérants 416 à 424 de la décision attaquée) et, d’autre part, celle des représentants des producteurs (considérants 425 à 431 de la décision attaquée).

191    Ensuite, s’agissant de l’entente des transformateurs, la Commission estime que « les amendes doivent être échelonnées eu égard à la contribution au comportement illégal et à la position sur le marché occupée par chaque partie en cause » (considérant 416 de la décision attaquée).

192    À cet égard, la Commission déclare que « c’est Deltafina qui doit recevoir le montant de départ de l’amende le plus élevé en raison de sa position de premier plan sur le marché en tant qu’acheteur principal du tabac transformé espagnol (ses relations commerciales avec Cetarsa, Agroexpansión et Taes sont décrites aux considérants 20, 21 et 27) ». Selon la Commission, « il résulte de ce pouvoir d’achat que Deltafina avait plus de capacité que personne d’autre pour influer sur le comportement des transformateurs espagnols » (considérant 417 de la décision attaquée).

193    En ce qui concerne les transformateurs espagnols, la Commission considère que la « contribution » de ceux-ci aux pratiques illégales « peut être considérée en gros comme similaire » (considérant 418 de la décision attaquée). Elle estime qu’il convient, toutefois, de tenir compte de la taille et des parts de marché de chacun des transformateurs en cause.

194    Sur cette base, la Commission répartit les transformateurs espagnols en trois catégories :

–        dans une première catégorie, elle place Cetarsa en invoquant le fait que celle-ci, avec une part de 67 % environ sur le marché de l’achat de tabac brut espagnol, est de loin le premier transformateur espagnol et doit, de ce fait, se voir imposer le montant de départ le plus élevé (considérant 419 de la décision attaquée) ;

–        dans une deuxième catégorie, elle place Agroexpansión et WWTE en indiquant qu’elles ont chacune une part de marché de 15 % environ et doivent se voir imposer le même montant de départ (considérant 420 de la décision attaquée) ;

–        enfin, dans une troisième catégorie, elle place Taes au motif que celle-ci n’a qu’une part de marché de 1,6 % et doit, dès lors, se voir imposer le montant de départ le plus bas (considérant 421 de la décision attaquée).

195    Par ailleurs, afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif, la Commission considère qu’il y a lieu d’appliquer un coefficient multiplicateur au montant de départ déterminé pour WWTE ainsi qu’à celui déterminé pour Agroexpansión. Elle relève, à cet égard, que ces deux sociétés, bien qu’elles détiennent des parts de marché relativement peu élevées en Espagne, appartiennent à des multinationales possédant une « force économique et financière considérable », et que « [e]n outre, [elles] ont agi sous l’influence décisive de leurs sociétés mères respectives » (considérant 422 de la décision attaquée). La Commission estime, par conséquent, nécessaire d’augmenter le montant de départ de l’amende infligée auxdites sociétés en l’affectant d’un coefficient tenant compte, d’une part, de la taille des groupes auxquels elles appartiennent et, d’autre part, de leur taille comparée par rapport aux autres transformateurs espagnols (considérant 423 de la décision attaquée). Ainsi, elle applique un coefficient multiplicateur de 1,5 – soit une majoration de 50 % – au montant de départ déterminé pour WWTE et un coefficient multiplicateur de 2 – soit une majoration de 100 % – au montant de départ déterminé pour Agroexpansión.

196    Eu égard à ces différents éléments, la Commission fixe comme suit le montant de départ des amendes au considérant 424 de la décision attaquée :

–        Deltafina :          8 000 000 euros

–        Cetarsa :          8 000 000 euros

–        WWTE :          1 800 000 euros x 1,5 = 2 700 000 euros

–        Agroexpansión : 1 800 000 euros x 2 = 3 600 000 euros

–        Taes :                   200 000 euros

197    Enfin, s’agissant des représentants des producteurs, la Commission considère qu’il n’y a lieu d’infliger à chacun d’entre eux qu’une amende symbolique de 1 000 euros (considérants 425 et 430 de la décision attaquée). Elle justifie sa position notamment par le fait que « le cadre réglementaire entourant la négociation collective de contrats types pouvait entraîner un degré considérable d’incertitude quant à la légalité du comportement des représentants des producteurs et des transformateurs dans le contexte bien précis de la négociation collective des accords types » (considérant 428 de la décision attaquée). Elle indique également qu’il convient de relever que « l’existence et les résultats des négociations sur les contrats types étaient généralement dans le domaine public et […] aucune autorité n’a jamais mis en cause leur compatibilité avec soit le droit communautaire, soit le droit espagnol avant l’ouverture de la présente procédure » (considérant 429 de la décision attaquée).

 Arguments des parties

198    Au titre de son quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire, Deltafina prétend, en substance, que la Commission, dans son appréciation de la gravité de l’infraction et dans la fixation du montant de départ de l’amende qui lui a été infligée, n’a pas respecté les lignes directrices et a violé les principes de proportionnalité et d’« égalité de traitement et de sanction ». Elle fait également valoir que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée.

199    Dans le cadre de ce quatrième moyen, Deltafina formule une série de griefs et d’arguments, qui peuvent être regroupés en sept branches.

200    En premier lieu, elle critique le fait que la Commission ait qualifié l’infraction de « très grave » alors qu’elle avait reconnu que le marché en cause avait une « dimension relativement réduite ».

201    En deuxième lieu, elle reproche à la Commission d’avoir qualifié l’infraction de « très grave » alors qu’elle ne disposait d’aucune preuve que celle-ci ait eu des effets concrets sur le marché et, partant, d’avoir méconnu le point 1 A des lignes directrices. Se référant à un rapport du 13 janvier 2005 établi par son économiste, elle affirme qu’il en ressort que les comportements incriminés n’ont vraisemblablement pas eu d’effets sur le marché espagnol du tabac brut. Plus particulièrement, il serait démontré, dans ce rapport, que les prix de la principale variété de tabac espagnol au cours de la période d’infraction, loin de se stabiliser ou de diminuer, ont connu une augmentation de 21 % et que les prix du tabac espagnol ont, au cours de la même période, « enregistré une convergence substantielle avec les prix européens et […] mondiaux ».

202    En troisième lieu, Deltafina prétend que la décision attaquée est contradictoire dans la mesure où, d’une part, la Commission indique, à son considérant 413, que « l’entente des transformateurs a été pleinement mise en œuvre et respectée » et, d’autre part, elle affirme le contraire aux considérants 85, 88, 111, 113, 122, 126, 130, 133, 144, 175, 186, 206, 229, 231, 232, 233, 235, 239, 244, 255, 256, 257, 284, 294, 295, 296, 307 et 319.

203    En quatrième lieu, Deltafina soutient que la Commission a dénaturé les faits en indiquant, au considérant 417 de la décision attaquée, qu’elle était le principal acheteur de tabac transformé espagnol et que le pouvoir d’achat dont elle jouissait lui permettait d’influer sur le comportement des transformateurs espagnols. Au soutien de ses allégations, elle se réfère de nouveau au rapport de son économiste du 13 janvier 2005, et plus particulièrement au tableau n° 5 de ce rapport, dont il ressortirait que, au cours de la période infractionnelle, s’agissant de l’achat de tabac transformé espagnol, sa part de marché moyenne était de 27,5 %, celle de Dimon (en ce compris Agroexpansión) de 25,2 %, celle de Cetarsa de 31,6 % et celle de Standard Commercial Tobacco Co., Inc. (en ce compris WWTE) de 15 % environ.

204    Deltafina fait également valoir que, contrairement à ce qui est indiqué dans le résumé de la décision attaquée publié au Journal officiel conformément à l’article 30 du règlement n° 1/2003, elle n’était pas « le plus gros client de trois des transformateurs espagnols ». Se référant au tableau n° 7 du rapport susvisé de son économiste, elle précise que, au cours de la période infractionnelle, elle a acheté la totalité de la production de sa société sœur Taes, 32,3 % en moyenne de la production de Cetarsa, 19,8 % en moyenne de la production d’Agroexpansión et une petite partie de la production de WWTE. En réalité, selon Deltafina, le principal client de Cetarsa était un « client historique » auquel cette dernière était liée, à savoir Altadis, SA (auparavant Tabacalera), celui d’Agroexpansión était le groupe Dimon et celui de WWTE le groupe Standard.

205    Enfin, Deltafina critique la position de la Commission selon laquelle, pour déterminer les parts sur le marché de l’achat de tabac transformé espagnol, il convient d’exclure les cessions réalisées entre Cetarsa et Tabacalera/Altadis (voir point 218 ci-après).

206    En cinquième lieu, Deltafina indique que, dans la décision attaquée, la Commission admet que « le cadre réglementaire entourant la négociation collective de contrats types pouvait entraîner un degré considérable d’incertitude quant à la légalité du comportement des représentants des producteurs et des transformateurs » (considérant 428 de la décision attaquée) et que « l’existence et les résultats des négociations sur les contrats types étaient généralement dans le domaine public et […] aucune autorité n’a jamais mis en cause leur compatibilité avec soit le droit communautaire, soit le droit espagnol avant l’ouverture de la présente procédure » (considérant 429 de la décision attaquée). Elle relève que ces circonstances ont conduit la Commission à n’imposer qu’aux seuls producteurs une amende symbolique d’un montant de 1 000 euros et critique le fait que la Commission n’ait pas expliqué, dans la décision attaquée, pourquoi la même solution ne s’imposait pas dans son cas. Elle prétend, en outre, que la Commission a violé le point 5, sous d), des lignes directrices, qui prévoit que, lorsqu’une amende symbolique d’un montant de 1 000 euros est infligée, « [l]a justification d’une telle amende […] devrait figurer dans le texte même de la décision ».

207    En sixième lieu, Deltafina, invoquant l’« égalité de sanction », reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte, lorsqu’elle a apprécié la gravité de l’infraction, du fait que, à la différence des transformateurs espagnols, il ne lui était pas reproché des « comportements d’entente illicite et de négociation verticale avec les producteurs, leurs associations et coopératives ».

208    Enfin, en septième lieu, Deltafina considère que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement dès lors qu’elle s’est sensiblement écartée de sa pratique antérieure en matière de calcul du montant des amendes dans le cas d’ententes impliquant des entreprises actives uniquement sur le marché de produit sur lequel les faits incriminés se sont déroulés. Renvoyant à un second rapport de son économiste du 13 janvier 2005, elle prétend que ce type d’ententes a, au cours de la période 1991/2004, été sanctionné par des amendes dont le montant global s’élevait en moyenne à 0,91 % de la valeur du marché pertinent. Elle reproche également à la Commission de ne pas avoir exposé, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle avait jugé nécessaire de s’écarter ainsi de sa pratique antérieure.

209    Eu égard aux considérations qui précèdent, Deltafina demande au Tribunal de réduire le montant de son amende.

210    La Commission soutient que le quatrième moyen n’est fondé en aucune de ses branches.

211    En premier lieu, la Commission prétend avoir tenu compte, aux fins de la détermination du montant de départ de l’amende, de la taille réduite du marché en cause, et ce alors même que l’infraction en cause était, de par sa nature, « très grave ».

212    En deuxième lieu, la Commission rejette l’argument de Deltafina selon lequel elle ne disposait d’aucune preuve que l’infraction en cause ait eu des effets concrets sur le marché. 

213    À cet égard, premièrement, elle relève que les pratiques restrictives relatives à la fixation des prix et à la répartition des sources d’approvisionnement constituent en soi des infractions très graves, même en l’absence de preuves concernant les effets concrets de ces pratiques sur le marché (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T‑348/94, Rec. p. II‑1875, point 232, et European Night Services e.a./Commission, point 77 supra, point 136).

214    Deuxièmement, renvoyant au considérant 413 de la décision attaquée, elle répète que l’entente des transformateurs a été pleinement mise en œuvre et respectée, du moins à partir de 1998, et affirme qu’il peut donc être raisonnablement considéré qu’elle a pu avoir des effets sur le marché, même si ceux-ci ne sont pas mesurables. Elle ajoute que, si l’entente n’avait pas été susceptible d’avoir des effets sur l’évolution des prix du tabac brut, les transformateurs et Deltafina n’auraient eu aucune raison d’y participer pendant plus de cinq ans.

215    Troisièmement, la Commission affirme que le rapport de l’économiste de Deltafina du 13 janvier 2005 ne démontre pas une absence d’impact concret de l’entente des transformateurs sur le marché.

216    En troisième lieu, la Commission soutient que ce qu’elle affirme au considérant 413 de la décision attaquée n’est contredit par aucun des autres considérants de cette décision cités par Deltafina.

217    En quatrième lieu, la Commission estime qu’elle n’a pas commis d’erreur en affirmant que Deltafina jouissait d’une position de premier plan sur le marché espagnol de l’achat de tabac brut.

218    À cet égard, la Commission relève que, dans son rapport du 13 janvier 2005, l’économiste désigné par Deltafina fait figurer Cetarsa parmi les acheteurs de tabac transformé, alors que cette dernière n’acquiert pas de tabac transformé auprès de tiers. Elle affirme que si cet économiste entend inclure dans les ventes globales sur le marché espagnol du tabac transformé les ventes de Cetarsa à Tabacalera/Altadis, les données contenues dans son rapport ne seraient pas réalistes, étant donné que ces dernières ventes « ne peuvent être comparées aux ventes à des exportateurs tiers (tels que Universal/Deltafina, Standard et Dimon) qui sont à la base de la dynamique de l’entente des transformateurs ». La Commission indique que, jusqu’à la moitié des années 90, Cetarsa vendait pratiquement tout le tabac qu’elle transformait à Tabacalera et que ces deux entreprises étaient, au moins jusqu’en 1998, contrôlées par l’État. Elle estime, dès lors, que pendant les premières années de l’entente des transformateurs, à savoir de 1996 à 1998, les opérations commerciales entre Tabacalera et Cetarsa étaient assimilables à des ventes au sein d’un même groupe et qu’elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul des quantités de tabac acquises par des tiers (le « tabac d’exportation »). Selon la Commission, en excluant ainsi les ventes de Cetarsa à Tabacalera/Altadis, la part de marché moyenne de Deltafina sur le marché de l’achat de tabac transformé en Espagne de 1996 à 2001 est nettement supérieure à 27,5 % et est, en tout cas, la plus élevée.

219    La Commission ajoute qu’il ne fait aucun doute que Deltafina était également la principale cliente de Cetarsa, d’Agroexpansión et de Taes.

220    Enfin, la Commission, se référant à certains passages de la décision attaquée, relève que Deltafina entretenait encore d’autres « relations commerciales » avec les transformateurs, « ayant signé avec Cetarsa des contrats pour le traitement et le battage d’une partie du tabac de Taes et d’Agroexpansión ».

221    Selon la Commission, grâce aux achats de tabac de Taes, d’Agroexpansión et de Cetarsa et à la conclusion de contrats avec Cetarsa pour la transformation du tabac de Taes, Deltafina jouissait d’une position « tout à fait spéciale » sur le marché espagnol.

222    En cinquième lieu, la Commission prétend avoir suffisamment motivé, dans la décision attaquée, son appréciation des conséquences que l’incertitude résultant du cadre réglementaire espagnol a engendrées sur le comportement des différentes entreprises et associations concernées.

223    En sixième lieu, la Commission rejette comme non fondée la critique afférente au défaut de prise en compte du fait qu’il n’était pas reproché à Deltafina d’avoir participé « [aux] entretiens et à la négociation verticale illicites » avec les producteurs, leurs associations et leurs coopératives.

224    En septième lieu, la Commission fait valoir qu’elle ne s’est jamais engagée, ni formellement, ni informellement, à respecter la pratique en matière de calcul du montant des amendes invoquée par Deltafina. Par ailleurs, elle rappelle qu’elle dispose, dans le cadre du règlement n° 1/2003, d’une vaste marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes, qu’elle apprécie la gravité des infractions en fonction de nombreux éléments qui ne procèdent pas d’une liste contraignante ou exhaustive de critères à prendre en compte et que sa pratique décisionnelle antérieure ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, celui-ci étant uniquement défini dans le règlement n° 1/2003.

 Appréciation du Tribunal

225    Avant d’examiner les différents arguments formulés par Deltafina, il y a lieu d’exposer quelques considérations générales sur la détermination du montant des amendes et, plus particulièrement, sur l’appréciation de la gravité de l’infraction.

–       Considérations générales

226    Aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, « [p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ». La même indication figurait à l’article 15, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 17, qui était applicable à la date de l’infraction dans la présente affaire.

227    Selon une jurisprudence constante, la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59 ; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T‑49/95, Rec. p. II‑1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127).

228    Il est également de jurisprudence constante que la gravité des infractions au droit communautaire de la concurrence doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (arrêts de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 241, et Dalmine/Commission, point 34 supra, point 129).

229    En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission a déterminé le montant de l’amende infligée aux différents destinataires sur la base de la méthode générale qu’elle s’est imposée dans les lignes directrices, et ce même si elle ne fait pas explicitement mention de ces dernières dans ladite décision.

230    Les lignes directrices, si elles ne sauraient être qualifiées de règle de droit à l’observation de laquelle l’administration serait, en tout cas, tenue, énoncent toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (arrêt de la Cour du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 91). Le fait que la Commission ait précisé, par les lignes directrices, son approche quant à l’évaluation de la gravité d’une infraction ne s’oppose pas à ce qu’elle apprécie ce critère globalement en fonction de toutes les circonstances pertinentes, y compris des éléments qui ne sont pas expressément mentionnés dans les lignes directrices (arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 237).

231    Selon la méthode prévue par les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ pour le calcul du montant des amendes à infliger aux entreprises concernées un montant déterminé en fonction de la gravité « intrinsèque » de l’infraction. L’évaluation de ladite gravité doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa).

232    Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les « infractions peu graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 et 1 million d’euros, les « infractions graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 million et 20 millions d’euros, et les « infractions très graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tiret). En ce qui concerne les infractions très graves, la Commission précise qu’il s’agira pour l’essentiel de restrictions horizontales de type « cartels de prix » et de quotas de répartition des marchés, ou d’autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur, telles que celles visant à cloisonner les marchés nationaux, ou d’abus caractérisés de position dominante d’entreprises en situation de quasi-monopole (point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret).

233    Par ailleurs, il convient de relever que les trois aspects de l’évaluation de la gravité de l’infraction mentionnés au point 231 ci-dessus n’ont pas le même poids dans le cadre de l’examen global. La nature de l’infraction joue un rôle primordial, notamment, pour caractériser les infractions « très graves ». À cet égard, il résulte de la description des infractions très graves par les lignes directrices que des accords ou des pratiques concertées visant notamment à la fixation des prix ou à la répartition des marchés peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions graves mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 178, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 150).

234    Enfin, il existe une interdépendance entre les trois aspects de l’évaluation de la gravité de l’infraction en ce sens qu’un degré élevé de gravité au regard de l’un ou l’autre des aspects peut compenser la gravité moindre de l’infraction sous d’autres aspects (arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, point 230 supra, point 241).

–       Sur la première branche, tirée du défaut de prise en compte de la dimension relativement réduite du marché de produit

235    Il ressort du considérant 408 de la décision attaquée que la Commission a pris en compte, dans son évaluation de la gravité de l’infraction, la taille limitée tant du marché géographique en cause que du marché de produit en cause.

236    Il résulte d’une lecture conjointe de ce considérant et du considérant 409 de la décision attaquée (voir point 184 ci-dessus) et, en particulier, de l’emploi de l’adverbe « toutefois » dans ce dernier considérant que la Commission a estimé que, malgré la taille limitée de l’un et l’autre de ces marchés, l’infraction devait être qualifiée de « très grave » dès lors qu’elle « consist[ait] dans la fixation des prix des variétés de tabac brut en Espagne et la répartition des quantités ».

237    Tout d’abord, force est de constater que cette appréciation est bien fondée.

238    Ainsi, s’agissant de l’étendue du marché géographique, celle-ci ne représente que l’un des trois critères pertinents, selon les lignes directrices, aux fins de l’appréciation globale de la gravité de l’infraction. Parmi ces critères interdépendants, la nature de l’infraction joue un rôle primordial (voir points 233 et 234 ci-dessus).

239    Or, il est clair que l’infraction reprochée aux transformateurs et à Deltafina, qui consiste dans la fixation des prix des différentes variétés de tabac brut en Espagne et dans la répartition des quantités de tabac brut à acheter auprès des producteurs, constitue une infraction très grave de par sa nature. Il importe de rappeler, à cet égard, que l’article 81, paragraphe 1, sous a), b) et c), CE déclare expressément incompatibles avec le marché commun les accords et pratiques concertées qui consistent à, respectivement, fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction, limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements et répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement. Les infractions de ce type, notamment lorsqu’il s’agit d’ententes horizontales, sont qualifiées par la jurisprudence de particulièrement graves dès lors qu’elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 675), ou d’infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 303). Il importe également de rappeler que les infractions très graves, au sens du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, sont composées « pour l’essentiel de restrictions horizontales de type ‘cartels de prix’ et de quotas de répartition des marchés ». À cela s’ajoute le fait, relevé au considérant 411 de la décision attaquée, que l’entente des transformateurs comportait un volet secret, ce qui constitue une circonstance susceptible d’accentuer la gravité de l’infraction.

240    En outre, l’étendue du marché géographique n’est pas un critère autonome en ce sens que seules des infractions concernant la plupart des États membres seraient susceptibles de recevoir la qualification de « très graves ». Ni le traité CE, ni le règlement nº 17 ou le règlement n° 1/2003, ni les lignes directrices, ni la jurisprudence ne permettent de considérer que seules des restrictions géographiquement très étendues peuvent être qualifiées ainsi (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 87).

241    Partant, la taille limitée du marché géographique en cause ne s’oppose pas à la qualification de « très grave » de l’infraction constatée en l’espèce.

242    Cette solution s’impose a fortiori pour ce qui est de la taille limitée du marché de produit en cause, la taille du marché de produit n’étant en principe pas un élément devant obligatoirement être pris en compte, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction et fixer le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt Dalmine/Commission, point 34 supra, point 132).

243    Ensuite, il y a lieu de relever que, si la Commission a considéré que la taille limitée du marché géographique en cause et du marché de produit en cause n’empêchait pas que l’infraction soit qualifiée de très grave, elle a néanmoins pleinement tenu compte de cette taille limitée lors de la fixation du montant de départ des amendes, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction (voir, notamment, considérant 414 de la décision attaquée). Ainsi, la Commission n’a retenu qu’un montant de départ de 8 000 000 euros pour Deltafina alors que, selon les lignes directrices, elle pouvait, s’agissant d’une infraction très grave, envisager d’adopter un montant de départ d’au moins 20 000 000 euros.

244    Eu égard à ce qui précède, la première branche du quatrième moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la deuxième branche, relative à l’appréciation de l’impact concret de l’infraction sur le marché

245    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon les termes du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, « [l]’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné ».

246    Il doit être rappelé également que la nature de l’infraction joue un rôle primordial pour caractériser les infractions très graves et que des accords ou des pratiques concertées visant à la fixation des prix ou à la répartition des marchés peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers (voir point 233 ci-dessus).

247    Dans la décision attaquée, la Commission a tenu compte, lors de l’évaluation de la gravité de l’infraction, du fait que, à partir de 1998, l’entente des transformateurs avait eu des effets concrets sur le marché même si, d’une part, elle avait déjà qualifié cette infraction de « très grave » sur la base de sa nature propre (considérants 409 à 411 de la décision attaquée) et, d’autre part, elle estimait que lesdits effets ne pouvaient être quantifiés avec précision (considérant 412 de la décision attaquée).

248    Si la Commission choisit ainsi de tenir compte de l’impact concret de l’infraction sur le marché, elle doit apporter des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d’apprécier l’influence effective que l’infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Roquette Frères/Commission, T‑322/01, Rec. p. II‑3137, points 73 à 75).

249    Or, en l’espèce, dans la partie de la décision attaquée consacrée à l’appréciation de la gravité de l’infraction (voir considérant 413 de la décision attaquée), la Commission, pour conclure à l’existence d’effets réels de l’entente des transformateurs sur le marché à partir de 1998, n’a pas fourni de tels indices, mais s’est bornée à se référer au fait que cette entente avait été pleinement mise en œuvre et respectée à partir de cette date, ce qui ne saurait constituer qu’un début d’indice de l’existence de tels effets (voir point 252 ci-après).

250    Toutefois, le fait que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit, dans cette partie de la décision attaquée, que l’entente des transformateurs a eu un impact concret sur le marché est sans incidence sur la qualification de l’infraction de « très grave ». Cette qualification demeure, en effet, tout à fait appropriée eu égard à la nature propre de ladite infraction (voir points 233, 238, 239 et 246 ci-dessus).

251    En outre, le Tribunal estime, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, que cette absence de démonstration suffisante d’un impact concret sur le marché n’est pas susceptible de remettre en cause le montant de départ de l’amende, fixé par la Commission en fonction de la gravité de l’infraction.

252    En premier lieu, il y a lieu de considérer que, eu égard au fait que l’entente des transformateurs rassemblait tous les transformateurs reconnus en Espagne, que ceux-ci achetaient la quasi-totalité du tabac brut produit chaque année dans ce pays et que cette entente portait sur tout le tabac brut acheté par lesdits transformateurs, la mise en œuvre effective de ladite entente constitue un début d’indice de l’existence d’effets sur le marché.

253    En deuxième lieu, il convient de constater que la décision attaquée, dans d’autres parties que celle consacrée à l’appréciation de la gravité de l’infraction, contient des indices d’un impact concret de l’entente sur le marché.

254    Ainsi, au considérant 173 de la décision attaquée, la Commission relève que, en 1998, « l’escalade de prix connue les années précédentes s’est arrêtée et les prix ont même baissé ». Elle ajoute que, dans une déclaration en date du 15 février 2002, Agroexpansión lui a indiqué que, « [p]endant la campagne 1998/1999, les transformateurs espagnols ont respecté d’une manière générale les compromis décrits » et que, « [a]insi, [ils sont] parvenus à donner au marché pour la première fois une certaine stabilité qui a ralenti l’escalade des prix d’achat des années précédentes et a contrebalancé le pouvoir de négociation conjointe du secteur de la production ».

255    De même, au considérant 301 de la décision attaquée, la Commission explique que le prix moyen de livraison maximal, sur lequel les transformateurs et Deltafina se mettaient d’accord, « détermine […] très directement le prix final payé pour chaque variété de tabac brut donnée » et que « [l’] impact de [l’] infraction sur la concurrence a été significatif dans la mesure où, en se concertant sur le prix moyen de livraison [maximal] à payer aux producteurs, les transformateurs parvenaient ainsi à uniformiser au maximum les prix finaux qu’ils paieraient aux producteurs et à les réduire à leur profit, et ce en dessous du niveau qui résulterait du libre jeu de la concurrence ».

256    Enfin, au considérant 314 de la décision attaquée, la Commission indique qu’il ressort du tableau figurant au considérant 38 de cette décision que, à partir de 1998, « les prix se sont stabilisés et ont même baissé (en 1998, la baisse de prix a été de 4,8 % toutes variétés confondues) ». Renvoyant au considérant 173 de la décision attaquée, elle répète qu’Agroexpansión a également confirmé l’existence d’un lien entre l’entente des transformateurs et la baisse des prix.

257    Les appréciations qui précèdent ne sont pas remises en cause par les indications contenues dans le rapport de l’économiste de Deltafina du 13 janvier 2005. En effet, d’une part, cet économiste reconnaît expressément qu’une baisse des prix de toutes les variétés de tabac brut est intervenue en 1998. D’autre part, s’agissant de la période 1999/2001, il ressort du rapport que, si les prix de la variété « Virginia » ont augmenté, en revanche, ceux des autres variétés sont restés stables, voire ont diminué. Enfin, il ne saurait être exclu que, en l’absence d’entente, les prix de la variété « Virginia » auraient augmenté dans une mesure plus importante encore ou que les prix des autres variétés de tabac auraient augmenté au lieu de se stabiliser ou de diminuer. Quant à la comparaison que l’économiste opère entre l’évolution des prix de la variété « Virginia » sur le marché espagnol, d’une part, et sur le marché des trois autres principaux États membres producteurs de tabac brut, d’autre part, celle-ci n’est pas concluante dès lors que les conditions de concurrence et les réglementations applicables sur chacun de ces marchés nationaux ne sont pas nécessairement équivalentes.

258    En troisième lieu, il convient de constater que, si la Commission a certes déterminé, dans la décision attaquée, la gravité de l’infraction en prenant en compte les effets réels de l’entente des transformateurs sur le marché, le fait que de tels effets n’aient concerné qu’une partie de la période infractionnelle, en l’occurrence à partir de 1998, est un élément qui, avec celui tenant à la taille limitée du marché géographique en cause et du marché de produit en cause, a conduit la Commission à ne retenir qu’un montant de départ de 8 000 000 euros pour Deltafina, alors que, selon les lignes directrices, elle pouvait, s’agissant d’une infraction très grave, envisager d’adopter un montant de départ d’au moins 20 000 000 euros.

259    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la deuxième branche du quatrième moyen doit être rejetée.

–       Sur la troisième branche, tirée d’une contradiction entre le considérant 413 de la décision attaquée et d’autres considérants de cette décision

260    Force est de constater que, contrairement à ce que prétend Deltafina, il n’existe aucune contradiction entre l’affirmation, au considérant 413 de la décision attaquée, selon laquelle « l’entente des transformateurs a été pleinement mise en œuvre et respectée » et les autres considérants cités par cette dernière.

261    Tout d’abord, cette affirmation de Deltafina procède d’une lecture tronquée du passage en question du considérant 413 de la décision attaquée. En effet, dans ledit passage, la Commission n’invoque une pleine mise en œuvre et un respect de l’entente des transformateurs qu’à partir de l’année 1998. Or, les considérants 85, 88, 111, 122, 133, 144, 284 et 307 de la décision attaquée concernent le fonctionnement de cette entente en 1996 et 1997.

262    Ensuite, s’agissant des indications contenues aux considérants 113, 126 et 130 de la décision attaquée, elles ne sont pas pertinentes, puisqu’elles concernent l’entente des représentants des producteurs, et non l’entente des transformateurs.

263    De même, les considérants 175, 206, 229, 231 à 233, 235, 239, 255 à 257, 294, 295 et 319 de la décision attaquée font état de problèmes concernant les négociations bilatérales entre les transformateurs, d’une part, et les représentants des producteurs, d’autre part. Or, ainsi qu’il est exposé au considérant 295 de la décision attaquée, « l’échec [de ces] négociations bilatérales […] ne modifie pas la nature du comportement anticoncurrentiel des transformateurs ». En d’autres termes, les problèmes susvisés sont sans pertinence en ce qui concerne la mise en œuvre et le respect, à partir de 1998, de l’entente des transformateurs.

264    Quant au considérant 186 de la décision attaquée, si, certes, il y est exposé que les discussions intervenues entre les transformateurs au début de l’année 1999 n’ont pas abouti à la conclusion d’un accord, il y est également indiqué que ces derniers ont décidé de proroger l’accord-cadre de l’année précédente. Cela ressort encore plus nettement du considérant suivant.

265    Au considérant 244 de la décision attaquée, qui concerne l’année 2001, la Commission se borne à relever qu’elle « ne dispose pas d’exemples d’échanges d’informations pendant la période de récolte ». Elle ne soutient pas pour autant que les accords conclus entre Deltafina et les transformateurs espagnols n’ont pas été pleinement mis en œuvre cette année-là. Bien au contraire, au considérant 236 de la décision attaquée, elle indique que l’accord-cadre de 1998 a été prorogé en 2001. Il convient d’ajouter qu’il ressort du considérant 240 de la décision attaquée que tous les transformateurs espagnols ont expressément admis, au cours de la procédure administrative, que ledit accord-cadre avait été prorogé jusqu’au 3 octobre 2001.

266    Enfin, s’agissant du considérant 296 de la décision attaquée, la Commission se contente d’y indiquer que les accords ou pratiques concertées auxquels ont pris part les transformateurs et Deltafina ont un « caractère unique et continu ».

267    La troisième branche du quatrième moyen doit donc être rejetée comme non fondée.

–       Sur la quatrième branche, tirée de la qualification erronée de Deltafina de principal acheteur de tabac transformé en Espagne

268    Force est de constater que, contrairement à ce que prétend Deltafina, la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que cette entreprise occupait une position de premier plan sur le marché de l’achat de tabac transformé espagnol.

269    En premier lieu, cette appréciation de la Commission n’est nullement contredite par les indications contenues dans le rapport de l’économiste de Deltafina. À cet égard, tout d’abord, il convient de constater que, au tableau n° 5 de ce rapport, Cetarsa est reprise parmi les entreprises acquérant du tabac transformé espagnol alors même qu’elle est une entreprise de première transformation et n’achète pas de tabac transformé auprès de tiers. En réalité, ainsi que Deltafina l’a expliqué dans sa réponse à l’une des questions écrites qui lui avaient été posées par le Tribunal, les données figurant dans ce tableau se rapportent aux ventes, aux fabricants de cigarettes, de tabac transformé espagnol. Ensuite, il y a lieu de relever que, même en tenant compte des données avancées par l’économiste de Deltafina, c’est cette dernière, et non Cetarsa, qui était le principal vendeur de tabac transformé espagnol en 2000 et 2001. Ainsi, au cours de ces années-là, Deltafina détenait, respectivement, 31,6 % et 28,7 % du marché de la vente de tabac transformé espagnol, alors que les parts de marché de Cetarsa s’élevaient à, respectivement, 26,7 % et 27,6 %.

270    En deuxième lieu, il ne saurait être contesté que Deltafina était le principal client de trois des quatre transformateurs espagnols. Ainsi, tout d’abord, il est constant entre les parties que Taes vendait la majeure partie de sa production à Deltafina. Ensuite, ainsi qu’il ressort du considérant 21 de la décision attaquée et du tableau n° 7 du rapport de l’économiste de Deltafina, celle-ci était de loin le principal client d’Agroexpansión au cours des années 1996 à 1998. Par ailleurs, dans une réponse du 15 mars 2002 à une demande de renseignements de la Commission, Cetarsa a indiqué que ses principaux clients étaient, par ordre d’importance, Deltafina, Altadis et Dimon. Enfin, il convient de relever qu’il ressort du même tableau que, en 1999 et 2000, Deltafina était cliente auprès des quatre transformateurs espagnols.

271    En troisième lieu, il doit être relevé également que, outre les relations commerciales exposées ci-dessus, Deltafina entretenait d’autres relations commerciales avec certains transformateurs. Ainsi, comme il ressort du considérant 29 de la décision attaquée, dont Deltafina ne remet pas en cause le bien-fondé, cette dernière avait conclu avec Cetarsa, qui avait un excédent de capacité de transformation, des contrats pour le traitement et le battage d’une partie du tabac de Taes et d’Agroexpansión.

272    Les différents éléments qui précèdent démontrent à suffisance de droit que Deltafina était plus à même que quiconque d’influer sur le comportement des transformateurs espagnols, ainsi que le relève la Commission au considérant 417 de la décision attaquée.

273    Partant, la quatrième branche du quatrième moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la cinquième branche, tirée d’un défaut de motivation concernant les conséquences à tirer, pour la fixation du montant des amendes, de l’incertitude engendrée par le cadre réglementaire espagnol et l’attitude des autorités espagnoles

274    Contrairement à ce que prétend Deltafina, la Commission expose de manière très précise, dans la décision attaquée, les motifs pour lesquels l’incertitude engendrée par le cadre réglementaire espagnol et l’attitude des autorités espagnoles dans le contexte de la négociation des contrats types ne justifient l’imposition d’une amende symbolique que dans le cas des représentants des producteurs.

275    À cet égard, en premier lieu, il doit être rappelé que, ainsi qu’il est résumé aux considérants 275 à 277 de la décision attaquée et qu’il a déjà été exposé aux points 15 à 21 et 107 ci-dessus, la décision attaquée concerne deux ententes horizontales, la première impliquant les transformateurs espagnols et Deltafina, et la seconde les représentants des producteurs. Les mêmes considérants précisent que chacune de ces ententes se caractérise par un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées et constitue une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE.

276    Il ressort également très clairement de la décision attaquée que l’entente des transformateurs comportait deux volets, à savoir :

–        d’une part, pendant la période 1996/2001, les transformateurs et Deltafina ont, secrètement, conclu des accords et/ou participé à des pratiques concertées visant, en substance, à fixer chaque année le prix moyen de livraison (maximal) de chaque variété de tabac brut, toutes qualités confondues, ainsi qu’à répartir les quantités de chaque variété de tabac brut que chacun des transformateurs pouvait acheter auprès des producteurs (voir, notamment, le résumé figurant aux considérants 276 et 278 de la décision attaquée et, pour ce qui est de la qualification de « secret » de ce volet de l’entente, les considérants 411, 413, 438 et 454 de la décision attaquée) ;

–        d’autre part, pendant la période 1999/2001, les transformateurs et Deltafina ont également conclu des accords et/ou participé à des pratiques concertées ayant pour objet de fixer les fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut ainsi que les conditions complémentaires qu’ils proposaient aux représentants des producteurs lors des négociations collectives entre les deux secteurs (voir, notamment, le résumé figurant aux considérants 276 et 280 de la décision attaquée).

277    S’agissant de l’entente des représentants des producteurs, il est clairement exposé dans la décision attaquée que celle-ci se caractérise par un ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées, au cours de la période 1996/2001, visant, en substance, à fixer, chaque année, les fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut ainsi que les conditions complémentaires qu’ils proposaient ensuite aux transformateurs lors des négociations collectives entre les deux secteurs (voir, notamment, le résumé figurant aux considérants 277 et 318 de la décision attaquée).

278    En d’autres termes, il ressort clairement de la décision attaquée que l’entente des transformateurs allait bien plus loin que l’entente des représentants des producteurs, puisqu’elle comportait un volet secret qui intervenait en-dehors du contexte des négociations collectives entre les deux secteurs.

279    En second lieu, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission examine, dans le contexte de la fixation du montant des amendes, les conséquences que le cadre réglementaire espagnol et l’attitude des autorités espagnoles ont eues sur le comportement des différents destinataires et expose avec précision son raisonnement à cet égard.

280    Ainsi, premièrement, la Commission examine l’entente des représentants des producteurs (considérants 425 à 430 de la décision attaquée).

281    À cet égard, tout d’abord, la Commission rappelle, en renvoyant aux considérants 350 et suivants de la décision attaquée, que la réglementation nationale applicable n’obligeait pas les représentants des producteurs et les transformateurs espagnols à se mettre d’accord sur les fourchettes de prix et les conditions complémentaires. Elle précise que, si, entre 1982 et 2000, cette réglementation prévoyait que, pour pouvoir être homologués par le ministère de l’Agriculture, les contrats types devaient contenir des clauses sur le « prix minim[al] garanti » et le « prix que le producteur devait recevoir pour la matière première », elle n’obligeait pas pour autant les parties qui négociaient ces contrats types à s’accorder sur « les chiffres proprement dits à insérer dans les clauses de prix ». S’agissant de ce dernier point, elle relève que, d’ailleurs, entre 1995 et 1998, le ministère de l’Agriculture a homologué des contrats types dont les clauses de prix étaient vierges (considérant 426 de la décision attaquée).

282    Ensuite, au considérant 427 de la décision attaquée, la Commission fait état de certains éléments qui, au considérant suivant, l’amènent néanmoins à admettre que « le cadre réglementaire entourant la négociation collective de contrats types pouvait entraîner un degré considérable d’incertitude quant à la légalité du comportement des représentants des producteurs et des transformateurs dans le contexte bien précis de la négociation collective des accords types ». Lesdits éléments sont les suivants :

–        les contrats types négociés entre 1995 et 1998 et homologués par le ministère de l’Agriculture prévoyaient que l’ensemble des représentants des producteurs négocieraient collectivement avec chaque transformateur les tableaux de prix et les conditions complémentaires ;

–        en 1999, le ministère de l’Agriculture a même homologué les tableaux de prix qui avaient déjà été négociés collectivement par l’ensemble des représentants des producteurs et les quatre transformateurs ;

–        ces tableaux ont été annexés au contrat type publié au Boletín Oficial del Estado cette année-là ;

–        en 2000 et 2001, le ministère de l’Agriculture a invité les représentants des deux secteurs à un certain nombre de réunions, dont certaines se sont tenues au ministère lui-même, afin de convenir des tableaux de prix, encourageant, de la sorte, les parties à poursuivre leurs négociations collectives relatives à ces tableaux.

283    Au considérant 429 de la décision attaquée, la Commission ajoute que l’existence et les résultats des négociations sur les contrats types étaient généralement dans le domaine public et qu’aucune autorité n’a jamais mis en cause leur compatibilité avec soit le droit communautaire, soit le droit espagnol avant l’ouverture de la procédure administrative.

284    Enfin, il résulte du considérant 430 de la décision attaquée que ce sont les éléments exposés aux points 282 et 283 ci-dessus qui ont conduit la Commission à n’imposer qu’une amende symbolique d’un montant de 1 000 euros aux représentants des producteurs.

285    Deuxièmement, s’agissant de l’entente des transformateurs, la Commission se prononce sur l’influence du cadre réglementaire espagnol et de l’attitude des autorités espagnoles aux considérants 437 et 438 de la décision attaquée.

286    À cet égard, la Commission distingue entre le volet de cette entente se rapportant à la négociation et la conclusion « publiques » des contrats types avec les représentants des producteurs – notamment la négociation relative aux fourchettes de prix et aux conditions complémentaires – et le volet « secret » de la même entente.

287    Ainsi, d’une part, au considérant 437 de la décision attaquée, la Commission indique que les constatations qu’elle a opérées aux considérants 427 à 429 de la décision attaquée, s’agissant du comportement des représentants des producteurs (voir points 282 et 283 ci-dessus), sont également valables en ce qui concerne le premier de ces deux volets de l’entente des transformateurs.

288    D’autre part, pour ce qui est du volet « secret » de cette dernière entente, la Commission expose, au considérant 438 de la décision attaquée, que les pratiques des transformateurs « sont allées nettement au-delà de ce que prévoyait le cadre juridique applicable, les négociations publiques et les accords avec les représentants des producteurs ». Au même considérant, elle reconnaît cependant que « les négociations publiques entre les représentants des producteurs et les transformateurs ont déterminé, tout au moins dans une certaine mesure, le cadre matériel (en particulier en ce qui concerne les occasions de se concerter et d’adopter une position commune) dans lequel les transformateurs ont pu développer, outre la position commune qu’ils adopteraient dans le contexte des négociations publiques, leur stratégie secrète sur les prix de livraison moyens (maximaux) et les quantités ».

289    Ainsi qu’il ressort de la dernière phrase du considérant 438 de la décision attaquée, la Commission a décidé, eu égard aux éléments mentionnés aux points 287 et 288 ci-dessus, de réduire à concurrence de 40 %, au titre des circonstances atténuantes, le montant de base des amendes qui avait été fixé pour les transformateurs et Deltafina.

290    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter comme non fondée la cinquième branche du quatrième moyen.

–       Sur la sixième branche, tirée du défaut de prise en compte de l’absence de participation de Deltafina aux discussions et aux négociations intervenues entre les transformateurs espagnols et les représentants des producteurs

291    La sixième branche du quatrième moyen manque en fait dans la mesure où, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas considéré que les discussions et les négociations « verticales » intervenues entre les transformateurs espagnols, d’une part, et les représentants des producteurs, d’autre part, étaient contraires à l’article 81 CE. Dès lors, le fait que Deltafina n’ait pas participé à ces discussions et à ces négociations ne saurait avoir la moindre influence sur l’appréciation de la gravité de l’infraction qui lui est imputée ni, par voie de conséquence, sur le montant de départ de l’amende retenu dans son cas.

–       Sur la septième branche, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement en ce que la Commission s’est écartée de sa pratique antérieure

292    La pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne servant pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (arrêt LR AF 1998/Commission, point 101 supra, point 234), la septième branche du quatrième moyen ne saurait prospérer.

–       Conclusion sur le quatrième moyen

293    Il résulte de toutes les considérations qui précèdent que le quatrième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du point 1 B des lignes directrices et du principe d’égalité de traitement

 Résumé de la décision attaquée

294    Aux considérants 432 et 433 de la décision attaquée, la Commission examine la question de la durée de l’infraction reprochée aux transformateurs et à Deltafina.

295    Tout d’abord, renvoyant au considérant 92 de la décision attaquée, la Commission relève que l’entente des transformateurs a commencé le 13 mars 1996 (considérant 432 de la décision attaquée).

296    Ensuite, elle indique que, selon les déclarations des transformateurs, cette entente a cessé le 3 octobre 2001. Toutefois, constatant que la « dernière preuve » dont elle dispose est une réunion du 10 août 2001, mentionnée au considérant 260 de la décision attaquée, elle retient cette dernière date comme date de fin de l’infraction (considérant 432 de la décision attaquée).

297    Eu égard à ces éléments, la Commission fixe la durée de l’infraction à cinq ans et quatre mois, ce qui correspond à une infraction de longue durée. Partant, au considérant 433 de la décision attaquée, elle majore de 50 % le montant de départ de l’amende infligée à chacun des transformateurs espagnols et à Deltafina.

 Arguments des parties

298    Dans le cadre de son cinquième moyen, soulevé à titre subsidiaire, Deltafina expose que, aux considérants 432 et 433 de la décision attaquée, la Commission « réunit purement et simplement tous les comportements », à savoir ceux « réels » imputés aux transformateurs et ceux « virtuels » imputés à Deltafina, fixe la durée de l’infraction à « plus de cinq ans et quatre mois », considère que cette infraction constitue, pour toutes ces parties, une infraction de longue durée et majore de 50 % le montant de départ de l’amende pour chacune desdites parties. La requérante considère que la Commission, dès lors qu’elle lui a attribué une « coresponsabilité d’intention, qui n’est pas ancrée dans des faits ou des comportements spécifiques », aurait dû au minimum déterminer avec précision le « jour de départ » de l’infraction, à savoir « indiquer à partir d’où et de quand la volonté de Deltafina aurait commencé à contribuer de l’extérieur à celle des quatre transformateurs espagnols, en influ[ant sur] ou [en] déterminant leur conduite ».

299    Deltafina demande, en conséquence, au Tribunal de réduire le montant de l’amende, en tenant compte du fait que l’infraction ne peut être que de durée moyenne.

300    La Commission rétorque que le point de départ de l’entente des transformateurs doit être fixé au 13 mars 1996, date de sa première réunion.

 Appréciation du Tribunal

301    Force est de constater que la Commission a, au considérant 432 de la décision attaquée, expressément fixé le point de départ de l’entente des transformateurs au 13 mars 1996.

302    Ainsi qu’il ressort du considérant 92 de la décision attaquée, auquel le considérant 432 de la décision attaquée renvoie, cette date correspond à celle à laquelle – selon les déclarations de Taes, WWTE et Agroexpansión – Deltafina et les transformateurs espagnols se sont réunis pour la première fois, et ce afin de discuter des prix et des volumes d’achats du tabac brut pour la campagne 1996/1997.

303    La Commission était d’autant plus fondée à retenir cette date comme point de départ de l’infraction dans le cas de Deltafina que, ainsi qu’il a déjà été exposé au point 125 ci-dessus, cette dernière était représentée à la réunion en cause tant par son président, M. M., que par son directeur responsable des achats, M. C.

304    Pour le surplus, l’argumentation de Deltafina repose sur la prémisse erronée selon laquelle elle se serait limitée à faciliter, en-dehors de l’entente des transformateurs, la commission de l’infraction (voir points 122 à 133 ci-dessus).

305    Deltafina ne remettant pas en cause l’appréciation de la Commission selon laquelle l’infraction a pris fin le 10 août 2001, il convient de conclure que c’est à bon droit que la Commission a fixé la durée de cette infraction à plus de cinq ans et quatre mois – soit une infraction de longue durée au sens des lignes directrices – et, partant, a majoré de 50 % le montant de départ de l’amende retenu pour Deltafina.

306    Il s’ensuit que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 et du point 2 des lignes directrices ainsi que d’un défaut de motivation

 Résumé de la décision attaquée

307    Il ressort du considérant 436 de la décision attaquée que le montant de base de l’amende infligée à Deltafina a été majoré de 50 % au titre des circonstances aggravantes, au motif que cette entreprise avait joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente des transformateurs.

308    À cet égard, au considérant 435 de la décision attaquée, la Commission expose ce qui suit :

« Il ressort des faits exposés aux considérants 361 et suivants [de la décision attaquée] que Deltafina a joué un rôle déterminant en concevant et mettant en œuvre les accords sur les prix de livraison moyens (maximaux) et les quantités conclus entre les transformateurs après 1996. Deltafina (représentée par son président) a convaincu les transformateurs espagnols de coordonner les stratégies d’achat et a fait office de dépositaire et d’arbitre des accords anticoncurrentiels des transformateurs, en particulier lorsque leurs pratiques concurrentielles ont commencé. »

309    Au considérant 436 de la décision attaquée, la Commission ajoute que « [l]e rôle de meneur joué par Deltafina dans l’entente des transformateurs a en outre été confirmé par Agroexpansión et WWTE dans leur réponse à la communication des griefs et lors de l’audition […] qui a suivi ».

 Arguments des parties

310    Au titre du sixième moyen, soulevé à titre subsidiaire, Deltafina fait valoir que la décision attaquée, dans la mesure où la Commission retient comme circonstance aggravante à son égard le rôle de meneur qu’elle aurait joué, est viciée sous deux aspects.

311    En premier lieu, elle affirme que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation, en ce que, en son considérant 435, la Commission se contente de renvoyer de manière vague aux « faits exposés aux considérants 361 et suivants ».

312    Dans ce contexte, elle relève que lesdits faits se réduisent à des présences à des réunions, à des propositions, à la réception d’informations, à la conservation d’un document, à l’envoi de lettres, à la médiation et à l’intervention dans des discussions, soit des « comportements passifs, externes et limités à une présence ou, tout au plus, favorisant indirectement des actions des transformateurs espagnols, qui étaient les véritables protagonistes du cartel ». Ces faits ne démontreraient nullement qu’elle a joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente.

313    En second lieu, Deltafina indique que, pour lui attribuer un tel rôle, la Commission se fonde sur certaines parties des réponses d’Agroexpansión et de WWTE à la communication des griefs. Elle reproche de nouveau à la Commission d’avoir refusé de lui donner accès à ces réponses, portant ainsi gravement atteinte à ses droits de la défense.

314    Eu égard à ces différents éléments, Deltafina demande au Tribunal de réduire le montant de l’amende, en excluant du calcul de celle-ci la majoration de 50 % appliquée par la Commission au titre des circonstances aggravantes.

315    La Commission conclut au rejet de ce sixième moyen.

316    En premier lieu, la Commission affirme que, dans la décision attaquée, elle expose de manière suffisamment claire et précise les raisons pour lesquelles elle considère que Deltafina a joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente. Plus particulièrement, elle se réfère au considérant 435 de la décision attaquée, lequel renvoie aux faits visés aux considérants 361 à 369 de la même décision.

317    Dans ce contexte, elle fait valoir que lesdits faits démontrent clairement le rôle de meneur de l’entente attribué à Deltafina.

318    En second lieu, la Commission, renvoyant aux considérations reproduites au point 147 ci-dessus, conteste avoir violé les droits de la défense de Deltafina en ne lui donnant pas accès aux réponses d’Agroexpansión et de WWTE à la communication des griefs.

 Appréciation du Tribunal

319    En premier lieu, s’agissant du grief tiré d’un défaut de motivation, il importe de relever qu’il est de jurisprudence constante que la motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de la motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et la jurisprudence citée).

320    En l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission a indiqué de manière suffisamment précise, au considérant 435 de la décision attaquée, les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour qualifier Deltafina de meneur de l’entente des transformateurs. Ainsi, dans ce considérant, outre le fait qu’elle a clairement identifié les comportements de Deltafina qui, selon elle, justifiaient une telle qualification, elle a expressément renvoyé aux éléments de fait exposés aux considérants 361 et suivants de la décision attaquée, lesquels renvoyaient eux-mêmes à d’autres considérants.

321    De plus, au considérant 436 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’Agroexpansión et WWTE avaient confirmé, dans leur réponse à la communication des griefs et lors de l’audition, que Deltafina avait joué un rôle de meneur dans l’entente des transformateurs.

322    Partant, le grief tiré d’un défaut de motivation doit être rejeté comme non fondé.

323    En deuxième lieu, il convient d’examiner le grief de Deltafina, invoqué dans le cadre de la première branche du deuxième moyen (voir points 104 et 105 ci-dessus), tiré de ce que la Commission n’a pas fait mention, dans la communication des griefs, de la circonstance qu’elle était susceptible d’être considérée comme meneur de l’entente des transformateurs, violant de la sorte ses droits de la défense.

324    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction alléguée ainsi que la circonstance que celle-ci a été commise « de propos délibéré ou par négligence », elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises concernées d’être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais aussi contre le fait de se voir infliger une amende (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 228 supra, point 428, et du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande e.a./Commission, C‑101/07 P et C‑110/07 P, Rec. p. I‑10193, point 49).

325    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence qu’obliger la Commission à faire part aux entreprises concernées, au stade de la communication des griefs, d’indications concrètes concernant le niveau des amendes envisagées reviendrait à lui imposer d’anticiper de façon inappropriée sa décision finale (voir, en ce sens, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 120 supra, point 21).

326    En l’espèce, il convient de constater que, conformément à la jurisprudence précitée, la Commission a, dans la communication des griefs, exposé les principaux éléments de fait et de droit susceptibles de fonder l’amende qu’elle envisageait d’infliger à Deltafina. Ainsi, au point 459 de cette communication, elle a notamment indiqué que, pour apprécier la gravité des infractions, elle entendait tenir compte du fait que les accords ayant pour objet de fixer des prix et des quantités figuraient parmi les infractions les plus graves aux règles de la concurrence. Au point 460 de la communication des griefs, elle a précisé que, s’agissant de l’infraction imputée aux transformateurs, celle-ci avait débuté le 13 mars 1996 et avait pris fin, selon les déclarations de ces derniers, le 3 octobre 2001. Elle a ajouté que le dernier élément de preuve dont elle disposait se rapportait, toutefois, à une réunion en date du 10 août 2001. Enfin, au point 461 de la communication des griefs, la Commission a indiqué qu’elle tiendrait compte de toutes les circonstances de l’affaire, telles que décrites dans cette communication, et notamment du rôle joué individuellement par chacun des destinataires de celle-ci, de l’influence que la réglementation espagnole en matière de produits agricoles a pu avoir sur la conduite de ces destinataires et de la coopération fournie par les transformateurs et leur association en vertu de la communication sur la coopération.

327    Certes, la Commission n’a pas indiqué, dans la communication des griefs, qu’elle était susceptible de retenir la qualification de meneur en ce qui concerne Deltafina. Or, il convient de relever que cette qualification entraîne d’importantes conséquences quant au montant de l’amende à infliger à l’entreprise concernée. Ainsi, il s’agit, conformément au point 2 des lignes directrices, d’une circonstance aggravante qui entraîne une augmentation non négligeable du montant de base de l’amende. De même, aux termes du point B, sous e), de la communication sur la coopération, une telle qualification exclut d’emblée le bénéfice d’une réduction très importante de l’amende, alors même que l’entreprise qualifiée de meneur remplirait toutes les conditions énoncées pour pouvoir obtenir une telle réduction. Dès lors, il appartient à la Commission de mettre en avant, dans la communication des griefs, les éléments qu’elle estime pertinents pour permettre à l’entreprise susceptible d’être qualifiée de meneur de l’entente de répondre à un tel grief. Toutefois, eu égard au fait qu’une telle communication demeure une étape dans l’adoption de la décision finale et qu’elle ne constitue dès lors pas la position définitive de la Commission, il ne peut être exigé que cette dernière procède déjà à ce stade à une qualification juridique des éléments sur lesquels elle se fondera dans sa décision finale pour qualifier une entreprise de meneur de l’entente.

328    En l’espèce, les éléments de fait que la Commission a retenus, dans la décision attaquée, pour attribuer à Deltafina le rôle de meneur de l’entente des transformateurs sont, selon ses propres déclarations, ceux qui sont résumés au considérant 435 de cette décision. S’agissant des indications contenues dans la première phrase du considérant 436 de la décision attaquée (voir point 321 ci-dessus), le Tribunal prend acte de la déclaration de la Commission selon laquelle WWTE et Agroexpansión se sont bornées, dans leurs réponses à la communication des griefs et lors de l’audition, à confirmer les éléments susvisés et n’ont fait état d’aucun fait qui n’aurait déjà été porté à la connaissance de Deltafina dans la communication des griefs (voir points 147 et 316 à 318 ci-dessus). Dans ces circonstances, et sans préjudice de la question de savoir si les éléments sur lesquels la Commission déclare ainsi s’être fondée suffisent pour établir que Deltafina jouait le rôle de meneur de l’entente des transformateurs, il convient de considérer que la Commission n’a pas violé les droits de la défense de cette dernière en refusant de lui donner accès, avant l’adoption de la décision attaquée, auxdites réponses à la communication des griefs.

329    Par ailleurs, force est de constater que les éléments de fait que la Commission a ainsi retenus, dans la décision attaquée, pour attribuer à Deltafina le rôle de meneur de l’entente des transformateurs étaient déjà mentionnés dans la communication des griefs, de sorte que cette dernière était en mesure de faire valoir utilement son point de vue sur lesdits éléments avant l’adoption de cette décision. En effet, les éléments mentionnés au considérant 435 de la décision attaquée étaient déjà inclus parmi ceux figurant aux points 416 à 420 de la communication des griefs.

330    Par conséquent, la Commission n’a pas méconnu les droits de la défense de Deltafina en s’abstenant d’indiquer, dans la communication des griefs, que cette dernière pourrait être considérée comme étant le meneur de l’entente des transformateurs.

331    En troisième lieu, il convient d’examiner si les éléments factuels que la Commission a retenus dans la décision attaquée pour qualifier Deltafina de meneur de l’entente des transformateurs permettaient de retenir une telle qualification. Dans le cadre du présent moyen (voir point 312 ci-dessus) ainsi que dans le cadre de la troisième branche du premier moyen (voir point 73 ci-dessus) et de la première branche du deuxième moyen (voir point 105 ci-dessus), Deltafina fait, en effet, grief à la Commission de ne pas avoir démontré qu’elle jouait un tel rôle dans l’entente des transformateurs.

332    À cet égard, il convient de souligner que, pour être qualifiée de meneur, l’entreprise en cause doit avoir représenté une force motrice significative pour l’entente (arrêts du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 374, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec. p. II‑881, point 423) et avoir porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt BASF/Commission, précité, points 300 et 375).

333    Or, si les éléments invoqués par la Commission au considérant 435 de la décision attaquée démontrent que Deltafina a joué un rôle actif et direct dans l’entente des transformateurs, ils ne suffisent toutefois pas à établir que cette société a représenté une force motrice significative pour cette entente ni même que son rôle aurait été plus important que celui de l’un quelconque des transformateurs espagnols. Il convient de relever, notamment, que, même si c’est à bon droit que la Commission a, pour les motifs exposés aux points 122 à 133 ci-dessus, imputé l’ensemble de l’infraction en cause à Deltafina, il n’en reste pas moins que celle-ci n’a, au cours d’une période infractionnelle de plus de cinq ans, été présente qu’à un nombre très limité des réunions de l’entente des transformateurs au cours desquelles les accords illicites ont été conclus – soit tout au plus quatre réunions sur un total de près de trente – et qu’elle n’a participé qu’à un nombre relativement restreint d’échanges de correspondance et d’informations entre les membres de cette entente.

334    Par ailleurs, aucun élément du dossier n’indique que Deltafina aurait pris une quelconque initiative dans le but de créer ladite entente ou d’amener l’un quelconque des transformateurs espagnols à y adhérer. En particulier, l’allégation de la Commission, figurant au considérant 435 de la décision attaquée, selon laquelle Deltafina « a convaincu les transformateurs espagnols de coordonner les stratégies d’achat » n’est pas suffisamment démontrée. Le simple fait que, dans sa télécopie du 9 juillet 1997 (voir point 127 ci-dessus), WWTE mentionne que le président de Deltafina a, à plusieurs reprises, indiqué qu’« un accord sur les prix n’[était] pas possible sans un accord sur les quantités » ne saurait suffire à étayer ladite allégation. Il en va d’autant plus ainsi que la même télécopie laisse plutôt entendre que WWTE elle-même souhaitait qu’un accord sur les quantités soit conclu, insistant même sur la nécessité qu’il ait une durée de cinq ans ou, au minimum, de trois ans. À cet égard, il convient de relever que, dans une télécopie du 6 novembre 1997 au président de Deltafina, mentionnée au considérant 143 de la décision attaquée, WWTE indique qu’elle essaie « par tous les moyens d’obtenir un accord [sur les ] quantités », en précisant que, lors de la prochaine réunion de l’entente des transformateurs, elle proposerait « le cautionnement [des] accords avec le dépôt d’importantes sommes d’argent qui permettent une sécurité dans l’exécution des accords ».

335    Aucun élément du dossier ne permet non plus d’établir que Deltafina a assumé la charge d’activités habituellement liées à l’exercice du rôle de meneur d’une entente, comme la présidence de réunions ou la centralisation et la distribution de certaines données. Si Deltafina a certes conservé pendant une courte période une note reprenant le détail de certains accords illicites, il ne s’agit là que d’un cas isolé. De même, si les éléments du dossier démontrent que Deltafina a fait office de médiateur dans le cas de différends entre les transformateurs, ses interventions à ce titre apparaissent peu nombreuses et limitées aux deux premières années de l’entente des transformateurs. En outre, elles n’étaient assorties d’aucune menace concrète ou mesure disciplinaire.

336    Le sixième moyen doit donc être partiellement accueilli et il convient de réformer en conséquence la décision attaquée, en tant qu’elle retient la circonstance aggravante de meneur à l’encontre de Deltafina. Les conséquences concrètes de cette réformation seront précisées aux points 437 à 439 ci-après.

 Sur le septième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 et du point 3 des lignes directrices

 Arguments des parties

337    Deltafina reproche à la Commission de ne pas avoir retenu en l’espèce les circonstances atténuantes visées aux deuxième et troisième tirets du point 3 des lignes directrices, à savoir, respectivement, la « non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles » et la « cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission ».

338    Ainsi, en premier lieu, Deltafina fait valoir que, dans la décision attaquée, la Commission constate « avec insistance » l’inobservation, « tout au moins partielle », d’accords et de pratiques infractionnelles au cours des années 1996 (considérants 85, 88 et 111 de la décision attaquée), 1997 (considérants 113, 122 , 126, 130 et 133 de la décision attaquée), 1998 (considérants 144 et 175 de la décision attaquée), 1999 (considérant 186 de la décision attaquée), 2000 (considérants 206, 229, 231 à 233 et 235 de la décision attaquée) et 2001 (considérants 239, 244 et 255 à 257 de la décision attaquée). Elle cite également certains passages des considérants 295, 307 et 319 de la décision attaquée.

339    Dans ce contexte, Deltafina relève que, dans son arrêt du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission (T‑220/00, Rec. p. II‑2473), le Tribunal a indiqué que les lignes directrices « [envisageaient] désormais expressément la prise en compte de la non-application effective d’un accord infractionnel comme circonstance atténuante » (point 191), que le point 3, deuxième tiret, des lignes directrices ne visait pas que « l’hypothèse dans laquelle une entente, dans son ensemble, n’est pas mise en œuvre, abstraction faite du comportement propre à chaque entreprise » (point 188) et qu’« il y [avait] lieu, conformément au principe d’individualité des peines et des sanctions, d’examiner la gravité relative de la participation de l’entreprise à l’infraction » (point 189).

340    En second lieu, Deltafina fait grief à la Commission de ne pas avoir tenu compte du fait que l’infraction qui lui est reprochée a pris fin le 10 août 2001, soit avant la date des premières vérifications.

341    Eu égard aux considérations qui précèdent, Deltafina demande au Tribunal de réduire le montant de son amende.

342    La Commission conclut au rejet du septième moyen.

343    En premier lieu, elle fait valoir qu’elle n’était pas tenue de retenir, en l’espèce, la circonstance atténuante visée au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices.

344    À cet égard, tout d’abord, elle indique que le fait que l’entente n’a pas été pleinement respectée avant 1998 a été pris en considération lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction, le montant de départ de l’amende de Deltafina ayant été fixé à 8 000 000 euros, au lieu de 20 000 000 euros, en dépit de la nature très grave de cette infraction.

345    Ensuite, elle prétend que sa position est confortée par les points 189 et 192 de l’arrêt Cheil Jedang/Commission, point 339 supra, ainsi que par les points 276 et 277 de l’arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission (T‑44/00, Rec. p. II‑2223, points 276 et 277). La Commission souligne que Deltafina non seulement ne s’est jamais opposée clairement et de manière considérable à la mise en œuvre de l’entente avec les transformateurs, mais a pleinement adhéré à cette entente, en y jouant un rôle particulièrement actif de coordination et de médiation.

346    En second lieu, la Commission estime qu’elle n’était pas davantage tenue de considérer comme constituant une circonstance atténuante le fait qu’il avait été mis fin à l’infraction avant ses premières interventions.

 Appréciation du Tribunal

347    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la Commission doit, en principe, se conformer aux termes de ses propres lignes directrices en fixant le montant des amendes (voir point 230 ci-dessus). Toutefois, il n’est pas indiqué dans les lignes directrices que la Commission doit toujours prendre en compte séparément chacune des circonstances atténuantes énumérées au point 3 de ces lignes directrices et elle n’est pas obligée d’accorder une réduction supplémentaire à ce titre de manière automatique, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes devant être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes.

348    En effet, l’adoption des lignes directrices n’a pas privé de pertinence la jurisprudence antérieure selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction notamment des circonstances de l’espèce. Ainsi, en l’absence d’indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge pour apprécier de manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (voir arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission, point 230 supra, point 473, et la jurisprudence citée).

349    S’agissant du premier grief invoqué par Deltafina, il convient de relever que, aux termes du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, la « non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles » peut constituer une circonstance atténuante.

350    Il ressort de la jurisprudence que la Commission n’est tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu’elle s’est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu’elle n’a pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause. Il serait effectivement trop aisé pour les entreprises de minimiser le risque de devoir payer une lourde amende si elles pouvaient profiter d’une entente illicite et bénéficier ensuite d’une réduction de l’amende au motif qu’elles n’avaient joué qu’un rôle limité dans la mise en œuvre de l’infraction, alors que leur attitude a incité d’autres entreprises à se comporter de manière plus nuisible à la concurrence (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 345 supra, points 277 et 278).

351    Or, dans le cadre du présent moyen, Deltafina ne fait valoir aucune circonstance permettant de conclure qu’elle se serait écartée clairement et d’une manière considérable de l’entente des transformateurs au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci. Elle se borne, en effet, à invoquer certains considérants de la décision attaquée qui, ainsi qu’il a déjà été exposé aux points 260 à 267 ci-dessus, soit sont dénués de pertinence pour ce qui est du présent grief, notamment en ce qu’ils ne concernent pas l’entente des transformateurs, soit se limitent à établir que, jusqu’en 1998, ladite entente n’a pas été pleinement mise en œuvre et respectée, et cela, de manière générale, par les membres de celle-ci et non individuellement par Deltafina.

352    S’agissant de ce dernier point, il convient de rappeler que le fait que l’entente des transformateurs n’a été pleinement mise en œuvre qu’à partir de 1998 est l’un des éléments qui a été pris en considération par la Commission lorsqu’elle a apprécié la gravité de l’infraction et, partant, fixé le montant de départ de l’amende à retenir au titre de cette gravité. Or, la Commission n’a retenu qu’un montant de départ de 8 000 000 euros pour Deltafina alors que, selon les lignes directrices, elle pouvait, s’agissant d’une infraction très grave, envisager d’adopter un montant de départ d’au moins 20 000 000 euros.

353    Le premier grief invoqué par Deltafina ne saurait, dès lors, prospérer.

354    Quant au second grief, il convient de rappeler qu’aux termes du point 3, troisième tiret, des lignes directrices, la « cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment vérifications) » compte parmi les circonstances atténuantes.

355    Cette cessation ne peut logiquement être une circonstance atténuante que s’il existe des raisons de supposer que les entreprises en cause ont été incitées à arrêter leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions en question, le cas où l’infraction a déjà pris fin avant la date des premières interventions de la Commission n’étant pas couvert par cette disposition des lignes directrices (arrêt Dalmine/Commission, point 34 supra, point 158).

356    Or, en l’espèce, l’infraction a – comme le fait valoir Deltafina – cessé le 10 août 2001, soit avant la date des premières vérifications opérées par la Commission, en l’occurrence le 3 octobre 2001. Ladite cessation ne saurait, dès lors, constituer une circonstance atténuante aux fins de la fixation du montant de l’amende.

357    Il y a lieu, en outre, de rappeler qu’une réduction de l’amende en raison de la cessation d’une infraction dès les premières interventions de la Commission ne saurait être automatique, mais dépend d’une évaluation des circonstances du cas d’espèce par cette dernière, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation. À cet égard, l’application du point 3, troisième tiret, des lignes directrices en faveur d’une entreprise sera particulièrement adéquate dans une situation où le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause n’est pas manifeste. Inversement, son application sera moins adaptée, en principe, dans une situation où celui-ci est clairement anticoncurrentiel, à le supposer établi (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 345 supra, point 281).

358    Or, en l’espèce, il ne saurait être considéré que Deltafina ait pu avoir un doute raisonnable quant au caractère anticoncurrentiel de son comportement, s’agissant de la participation à une entente horizontale ayant pour objet la fixation de prix et la répartition de quantités et dont l’un des volets avait un caractère secret, constituant dès lors une infraction manifeste à l’article 81 CE.

359    Partant, le second grief invoqué par Deltafina ne saurait être accueilli.

360    Eu égard aux considérations qui précèdent, le septième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le huitième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et du point 5, sous a), des lignes directrices 

 Arguments des parties

361    Dans le cadre de son huitième moyen, soulevé à titre subsidiaire, Deltafina fait grief à la Commission d’avoir pris en considération, aux fins du calcul du plafond de 10 % visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, le chiffre d’affaires qu’elle a réalisé au cours de l’exercice 2002/2003. Selon Deltafina, la Commission aurait dû tenir compte du chiffre d’affaires relatif à l’exercice social clos le 31 mars 2004, son exercice social étant clos le 31 mars de chaque année et la décision attaquée ayant été adoptée le 20 octobre 2004.

362    Deltafina précise que le chiffre d’affaires qu’elle avait réalisé au cours de l’exercice clos le 31 mars 2004 s’élevait à 127 360 989 euros, soit un montant inférieur à celui de 133 228 000 euros mentionné au considérant 443 de la décision attaquée. Elle considère que le montant de son amende, avant application de la communication sur la coopération, ne pouvait donc dépasser 12 736 000 euros.

363    La Commission reconnaît que le chiffre d’affaires à prendre en considération dans le cas de Deltafina pour apprécier si le plafond de 10 % a été ou non dépassé est celui réalisé par cette dernière au cours de l’exercice social clos le 31 mars 2004. Toutefois, même en prenant en considération ce dernier chiffre d’affaires, ledit plafond ne serait pas dépassé.

364    À titre surabondant, la Commission fait valoir que le Tribunal a jugé, dans son arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission (T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, points 352 à 354), que la limite maximale de 10 % devait être appliquée au « résultat final du calcul de l’amende » et non à un stade antérieur, à savoir avant l’application de la communication sur la coopération. Or, en l’espèce, il ne serait pas contesté que le montant final de l’amende infligée à Deltafina, soit 11 880 000 euros, n’excède pas 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social clos le 31 mars 2004.

 Appréciation du Tribunal

365    Au considérant 439 de la décision attaquée, la Commission fixe le montant de l’amende de Deltafina, avant application de la communication sur la coopération, à 13 200 000 euros. Au considérant 443 de cette décision, elle précise que, « [c]omme le chiffre d’affaires réalisé par Deltafina en 2003 s’est élevé à 133 228 000 euros », ce montant ne doit pas être ajusté en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.

366    Aux termes de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, le chiffre d’affaires devant être pris en compte aux fins du calcul du plafond de 10 % visé par cette disposition est celui réalisé au cours de l’exercice social précédent. Ainsi que s’accordent à le considérer les parties, la Commission aurait dès lors dû tenir compte, pour déterminer si ledit plafond avait été ou non dépassé, du chiffre d’affaires réalisé par Deltafina au cours de l’exercice social clos le 31 mars 2004.

367    C’est donc erronément que la Commission a retenu, au considérant 443 de la décision attaquée, le chiffre d’affaires réalisé par Deltafina au cours de l’exercice social clos le 31 mars 2003.

368    Toutefois, le moyen tiré de cette erreur est inopérant dès lors que, même en tenant compte du chiffre d’affaires réalisé par Deltafina au cours de l’exercice social clos le 31 mars 2004, le plafond de 10 % n’est pas dépassé. En effet, il ressort d’un tableau figurant dans les comptes annuels de Deltafina au 31 mars 2004, annexés à la requête, que, à cette date, le chiffre d’affaires de cette dernière s’élevait à 139 904 230,95 euros, soit un montant plus de dix fois supérieur au montant précité de 13 200 000 euros. À cet égard, il convient de préciser que le montant à retenir est celui figurant à côté du poste comptable « Produits des ventes et prestations » de ce tableau et non, comme le fait Deltafina, celui repris à côté de l’intitulé « Total », lequel inclut des postes comptables qui ne sauraient être pris en considération, en l’occurrence ceux dénommés « Variation de stocks produits finis » et « Autres produits et revenus ».

369    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le huitième moyen doit être rejeté comme inopérant.

 Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du préambule et du point 4 des lignes directrices, du point B, sous e), et du point D de la communication sur la coopération et du principe d’égalité de traitement ainsi que d’un défaut de motivation

 Résumé de la décision attaquée

370    Aux considérants 448 à 456 de la décision attaquée, la Commission se prononce sur l’application de la communication sur la coopération dans le cas des transformateurs et de Deltafina.

371    En premier lieu, elle indique notamment que ces derniers ont demandé à bénéficier de l’application de cette communication avant que la communication des griefs leur soit notifiée (considérant 449 de la décision attaquée).

372    En deuxième lieu, elle constate que le point D de la communication sur la coopération est applicable aux transformateurs espagnols. Elle relève que, même si elle avait déjà en sa possession la plupart des éléments essentiels prouvant l’existence de l’infraction, les renseignements que ces derniers lui ont fournis l’ont aidée à clarifier et à établir celle-ci (considérants 450 et 451 de la décision attaquée).

373    En troisième lieu, la Commission considère que Taes, eu égard à sa coopération « particulièrement utile » pendant la procédure, notamment en ce qui concerne la participation de Deltafina à l’infraction, et au fait qu’elle n’a jamais contesté les faits tels qu’établis dans la communication des griefs, doit bénéficier d’une réduction de 40 % de l’amende en application du point D, paragraphe 2, premier et second tirets, de la communication sur la coopération (considérant 452 de la décision attaquée).

374    En quatrième lieu, la Commission indique que les renseignements fournis par Cetarsa et WWTE, bien qu’étant significatifs, ne se sont pas avérés aussi utiles pour ses investigations que ceux fournis par Taes (considérant 453 de la décision attaquée). Elle expose que, dans leur réponse à la communication des griefs, Cetarsa et WWTE ont avancé une affirmation qui ne correspondait pas à la réalité des faits. Elle décide, dès lors, d’accorder à ces deux transformateurs une réduction d’amende de 25 % conformément au point D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération.

375    En cinquième lieu, s’agissant d’Agroexpansión, la Commission relève que celle-ci lui a également fourni des renseignements utiles, mais que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle a contesté les faits « dans les mêmes termes que Cetarsa et WWTE » (considérant 454 de la décision attaquée). Elle ajoute qu’Agroexpansión a nié la nature secrète des accords des transformateurs sur les prix de livraison moyens (maximaux). Eu égard à ces éléments, elle accorde une réduction d’amende de 20 % à cette société.

376    Enfin, en sixième lieu, la Commission opère une réduction de 10 % de l’amende infligée à Deltafina (considérant 456 de la décision attaquée). Elle considère que, bien que ni Universal ni Deltafina n’aient donné d’indications précises à propos de la contribution de Deltafina à la coopération de Taes avec la Commission, il ne saurait être ignoré qu’une partie des documents annexés au mémoire de Taes du 18 février 2002 provenaient manifestement de Deltafina et avaient été fournis à Taes en vue de ladite coopération. Elle répète que les renseignements fournis par Taes ont été particulièrement utiles pour son enquête et essentiels, notamment, pour établir la responsabilité de Deltafina. Toutefois, Deltafina ne lui aurait pas directement expliqué de quelle manière et dans quelle mesure elle avait l’intention de coopérer et, dans sa réponse à la communication des griefs, aurait contesté la matérialité des accusations figurant dans la communication des griefs en ce qui concerne sa responsabilité. Elle indique également que Deltafina « ne remplit pas le critère fixé au point B[, sous e], de [la] communication [sur la coopération] ».

 Arguments des parties

377    Dans le cadre de son neuvième moyen, invoqué à titre subsidiaire, Deltafina fait valoir que la Commission a commis une série d’erreurs dans son appréciation de sa coopération au cours de la procédure administrative. Ces griefs peuvent être regroupés en quatre branches.

378    Dans le cadre de la première branche, Deltafina soutient que la Commission a estimé à tort qu’elle avait contesté la matérialité des accusations figurant dans la communication des griefs en ce qui concerne sa responsabilité. Ainsi, en affirmant que M. M. agissait à titre personnel, elle se serait bornée à contester l’interprétation et l’appréciation juridique de certains faits effectuées par la Commission. Elle ajoute que Taes, dans un mémoire du 18 février 2002, avait, elle aussi, formulé une telle déclaration et s’étonne que cette dernière ait néanmoins bénéficié d’une réduction d’amende supérieure à la sienne.

379    Dans le cadre de la deuxième branche, Deltafina fait valoir que la Commission a violé la communication sur la coopération en lui reprochant, au considérant 456 de la décision attaquée, de ne pas remplir le critère fixé au point B, sous e), de ladite communication. Elle prétend que celui-ci n’est, en effet, pas applicable en l’espèce, puisque, dans la décision attaquée, la Commission applique le point D de cette communication, lequel vise précisément l’hypothèse dans laquelle « une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux points B et C soient toutes réunies ». Elle ajoute que la Commission ne lui a pas reproché, dans la communication des griefs, des comportements tels que visés au point B, sous e), de la communication sur la coopération et n’a, en tout état de cause, pas démontré, dans la décision attaquée, qu’elle avait été l’auteur de comportements de cette nature.

380    Dans le cadre de la troisième branche, Deltafina considère que la décision attaquée est « entachée d’une grave contradiction des motifs », en ce que le pourcentage de réduction de l’amende qui lui a été accordé par la Commission est inférieur à celui octroyé à Taes. Au soutien de cette allégation, Deltafina fait valoir que, puisque la Commission constate, au considérant 360 de la décision attaquée, qu’elle exerce un rôle de coordination et de supervision des activités européennes du groupe Universal, en ce compris celles de sa société sœur Taes, « il est raisonnable que non seulement les responsabilités, mais aussi les avantages, lui reviennent à ce titre ». Elle ajoute que les « apports » particulièrement utiles de Taes, notamment en ce qui concerne sa participation à l’entente des transformateurs, ne pouvaient provenir que d’elle-même. Elle insiste sur le fait qu’elle a coopéré avec la Commission dès le moment où Taes a été impliquée dans la présente affaire. Les éléments transmis à la Commission dans le cadre de la procédure administrative par les conseils de Taes l’auraient été tant pour le compte de cette dernière que pour son compte, auraient été préparés conjointement par les représentants et les cadres de ces deux sociétés, sous la supervision d’Universal, et proviendraient dans une très large mesure d’elle-même.

381    Enfin, dans le cadre de la quatrième branche, Deltafina prétend que la Commission a appliqué de manière discriminatoire la communication sur la coopération. À cet égard, tout d’abord, elle critique le fait que Cetarsa, WWTE et Agroexpansión ont bénéficié d’une réduction d’amende supérieure à la sienne alors qu’elles avaient contesté les faits « quoique dans une autre mesure ». Ensuite, elle relève que ce n’est que dans leur réponse à la communication des griefs que WWTE et Agroexpansión ont, pour la première fois, déclaré qu’elle avait joué un rôle de meneur dans l’entente des transformateurs. Elle estime qu’il y a, dès lors, lieu de douter de « la plénitude et de la loyauté de leur coopération au cours des deux années précédentes ». Enfin, elle reproche à la Commission de n’avoir appliqué que dans son cas le critère visé au point B, sous e), de la communication sur la coopération.

382    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, Deltafina demande au Tribunal de réduire le montant de son amende en appliquant le même pourcentage de réduction que celui appliqué au montant de l’amende de Taes, soit 40 %.

383    La Commission considère qu’aucune des branches n’est fondée.

384    En premier lieu, elle rappelle que, dans sa réponse à la communication des griefs, Deltafina a affirmé que tous les comportements qui lui étaient reprochés étaient, en réalité, imputables à M. M., lequel avait agi exclusivement à titre personnel. Or, cette affirmation constituerait une « tentative manifeste visant à transformer les faits ».

385    En deuxième lieu, la Commission conteste avoir erronément appliqué le point B, sous e), de la communication sur la coopération. À cet égard, d’une part, elle fait valoir que le fait qu’elle applique le point D de cette communication n’exclut nullement qu’elle puisse prendre en considération, afin de déterminer le pourcentage de réduction à appliquer à l’amende de l’entreprise qui coopère, le fait que cette entreprise ne remplisse pas certaines des conditions visées aux points B et C de ladite communication. D’autre part, elle indique qu’il est inexact de prétendre qu’elle n’a pas reproché à Deltafina des comportements du type de ceux visés au point B, sous e), de la communication sur la coopération.

386    En troisième lieu, la Commission estime qu’elle n’était pas tenue d’appliquer à l’amende de Deltafina le même pourcentage de réduction que celui qu’elle a appliqué à celle de Taes.

387    À cet égard, d’une part, elle souligne que Deltafina a été considérée responsable de la violation de l’article 81 CE, non pour son rôle de coordination et de supervision des activités de Taes, mais pour avoir elle-même mis en œuvre une « série de comportements significatifs, souvent déterminants, dans le cadre de l’entente [des transformateurs] ». D’autre part, elle affirme que la coopération de Deltafina s’est limitée à la rédaction conjointe, avec Taes, du mémoire de cette dernière du 18 février 2002.

388    En quatrième lieu, la Commission considère qu’elle n’a commis aucune violation du principe d’égalité de traitement en appliquant à Deltafina un pourcentage de réduction inférieur à celui dont ont bénéficié d’autres entreprises destinataires de la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

389    Il convient de rappeler que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes et qu’elle peut, à cet égard, tenir compte de multiples éléments, au nombre desquels figure la coopération des entreprises concernées lors de l’enquête conduite par les services de cette institution. La Commission jouit, à cet égard, d’une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité de la coopération fournie par une entreprise, notamment par rapport aux contributions d’autres entreprises (arrêt de la Cour du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, points 81 et 88).

390    Pour justifier la réduction du montant d’une amende au titre de la coopération, le comportement d’une entreprise doit faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, point 499, et la jurisprudence citée) et témoigner d’un véritable esprit de coopération (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 228 supra, points 395 et 396).

391    Dans la communication sur la coopération, la Commission a précisé les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter (voir point A, paragraphe 3, de la communication sur la coopération).

392    En vertu du point B de la communication sur la coopération, une entreprise peut bénéficier d’une réduction très importante du montant de l’amende, à savoir d’au moins 75 %, voire d’une non-imposition de l’amende, si elle remplit cumulativement toutes les conditions prévues sous a) à e) dudit point. Selon le point B, sous e), ne peut bénéficier d’une telle réduction ou non-imposition de l’amende une entreprise qui, notamment, a joué « un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans l’activité illicite ».

393    En vertu du point C de la même communication, « l’entreprise qui, remplissant les conditions exposées au point B[, sous] b) à e), dénonce l’entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l’entente, sans que cette vérification ait pu donner une base suffisante pour justifier l’engagement de la procédure [administrative] en vue de l’adoption d’une décision, bénéficie d’une réduction de 50 à 75 % du montant de l’amende ».

394    Le point D de la communication sur la coopération, intitulé « Réduction significative du montant de l’amende », prévoit :

« 1.      Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.

2.      Tel peut notamment être le cas si :

–        avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

–        après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »

395    C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’apprécier le bien-fondé du présent moyen. La deuxième branche de celui-ci sera examinée en dernier lieu.

396    S’agissant de la première branche, force est de constater que c’est à bon droit que la Commission a relevé, au considérant 456 de la décision attaquée, que, dans sa réponse à la communication des griefs, Deltafina avait contesté la « matérialité des accusations […] en ce qui concerne sa responsabilité ». En effet, dans cette réponse, Deltafina a fermement réfuté sa responsabilité dans l’infraction en soutenant, de manière répétée, que cette responsabilité devait être attribuée à M. M., qui aurait agi exclusivement à titre personnel dans le cadre de l’entente des transformateurs et non en tant que représentant de la société. En procédant de la sorte, Deltafina contestait la matérialité des faits retenus dans la communication des griefs et ne se bornait pas à en donner une autre interprétation ou à contredire l’appréciation juridique effectuée par la Commission.

397    Pour ce qui est de l’argument que Deltafina tire du fait que Taes ne s’est pas vu reprocher d’avoir contesté la matérialité des faits alors même qu’elle avait, elle aussi, affirmé, au cours de la procédure administrative, que M. M. agissait exclusivement à titre personnel, il suffit de relever que, par cette affirmation, elle ne visait pas, à la différence de Deltafina, à réfuter un fait la concernant directement et mettant en cause sa propre responsabilité dans l’infraction.

398    S’agissant de la troisième branche, tout d’abord, force est de constater qu’elle repose sur une prémisse erronée. En effet, ainsi qu’il ressort clairement des considérants 359 à 366 de la décision attaquée et des points 107 à 112 ci-dessus, si Deltafina a été déclarée responsable de l’infraction, c’est en raison non de ses fonctions de supervision et de contrôle des activités de Taes, mais de sa participation directe et active aux activités de l’entente des transformateurs.

399    Ensuite, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que la Commission ne saurait, dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les membres d’une entente, méconnaître le principe d’égalité de traitement, qui est violé lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 364 supra, point 394, et la jurisprudence citée).

400    Or, la Commission n’a pas manifestement outrepassé sa marge d’appréciation en estimant que la coopération fournie par Taes était d’une utilité supérieure à celle fournie par Deltafina.

401    Ainsi, comme il a déjà été exposé aux points 396 et 397 ci-dessus, Deltafina, à la différence de Taes, a contesté la matérialité de certains faits au sens du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération.

402    En outre, Deltafina, contrairement à Taes, n’a jamais coopéré directement avec la Commission. Plus particulièrement, c’est à bon droit que cette dernière a estimé que la coopération de Deltafina s’était limitée à la participation à la rédaction du mémoire de Taes du 18 février 2002 (voir points 8 et 9 ci-dessus). En effet, ce n’est qu’en rapport avec la préparation de ce mémoire qu’Universal Leaf a fait état, dans sa lettre du 15 février 2002 à la Commission, de la coopération de Deltafina. Ultérieurement, ni Universal Leaf, ni Taes, ni Deltafina n’ont indiqué à la Commission que Deltafina continuait à coopérer dans le cadre de l’enquête, par l’intermédiaire de Taes, ni même que les informations qui lui étaient communiquées par Taes étaient préparées en collaboration avec Deltafina.

403    Partant, la Commission était fondée à appliquer à Deltafina un pourcentage de réduction de l’amende inférieur à celui octroyé à Taes.

404    S’agissant de la quatrième branche, il y a lieu de considérer que Deltafina ne saurait prétendre avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport à Cetarsa, WWTE et Agroexpansión, dès lors que la coopération qu’elle a fournie était bien plus limitée que celle fournie par ces dernières.

405    À cet égard, d’une part, comme Deltafina le reconnaît elle-même dans sa requête, si Cetarsa, WWTE et Agroexpansión ont également contesté la matérialité de certains faits, c’est toutefois « dans une autre mesure » que Deltafina. Ainsi, seule cette dernière, en faisant valoir de manière répétée dans sa réponse à la communication des griefs que son président agissait exclusivement à titre personnel, a contesté, pendant toute la procédure administrative, toute participation aux activités de l’entente des transformateurs.

406    D’autre part, alors que Cetarsa, WWTE et Agroexpansión avaient communiqué des éléments très utiles à la Commission au cours de la procédure administrative (voir considérants 453 et 454 de la décision attaquée), la coopération de Deltafina s’est limitée, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 402 ci-dessus, à la participation à la rédaction du mémoire de Taes du 18 février 2002.

407    La quatrième branche doit donc être rejetée comme non fondée.

408    Enfin, en ce qui concerne la deuxième branche, tout d’abord, il convient de relever que rien ne s’oppose à ce que la Commission, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont elle jouit en la matière, tienne compte du fait que l’entreprise concernée ne remplit pas l’une des conditions visées au point B, sous a) à e), de la communication sur la coopération lorsque, faisant application du point D de cette communication, elle est appelée à déterminer, à l’intérieur de la fourchette de 10 à 50 % prévue par le paragraphe 1 du même point, le pourcentage de réduction à accorder à cette entreprise.

409    Ensuite, il y a lieu de constater qu’il ressort des écritures de la Commission ainsi que des explications qu’elle a données lors de l’audience que, en indiquant au considérant 456 de la décision attaquée que Deltafina ne remplissait pas la condition visée au point B, sous e), de la communication sur la coopération, la Commission se référait au fait que cette dernière était le meneur de l’entente des transformateurs. À cet égard, il doit être relevé qu’il résulte, en effet, du point B, sous e), de la communication sur la coopération que la Commission n’entend pas accorder une réduction très importante de l’amende, voire la non-imposition totale de celle-ci, si la partie concernée a joué un rôle particulièrement déterminant au sein de l’entente, tel qu’un rôle de meneur, d’incitateur ou d’instigateur.

410    Or, ainsi qu’il a été jugé aux points 331 à 335 ci-dessus, les éléments du dossier de la Commission ne sont pas suffisants pour démontrer que Deltafina a joué un rôle de meneur. Partant, la Commission a commis une erreur en tenant compte, parmi d’autres considérations, de ce rôle pour ne fixer qu’à 10 % le pourcentage de réduction à appliquer à Deltafina au titre de la coopération.

411    Eu égard à tout ce qui précède, le neuvième moyen doit être partiellement accueilli et il convient de réformer en conséquence la décision attaquée en fixant un taux de réduction approprié dans le cas de Deltafina. En application de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal estime opportun de réduire l’amende infligée à Deltafina de 15 % pour tenir compte de sa coopération. Les conséquences concrètes de cette réformation seront précisées aux points 437 à 439 ci-après.

 Sur le dixième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du point 5, sous b), des lignes directrices et du principe de proportionnalité

 Arguments des parties

412    Dans le cadre de son dixième moyen, invoqué à titre subsidiaire, Deltafina reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte, sur le fondement du point 5, sous b), des lignes directrices, du « contexte économique et social du tabac brut en Espagne » pour réduire le montant final de son amende.

413    Au soutien de ce moyen, Deltafina expose que la culture du tabac dans l’Union européenne connaîtra un déclin structurel à la suite de la cessation du régime des primes prévue par l’organisation commune de marché dans le secteur du tabac. Elle précise que, en 2010, après une période provisoire de quatre ans, un nouveau régime sera introduit, dans lequel les aides aux revenus ne dépendront plus de la production du tabac, mais seront liées à des objectifs de reconversion et de soutien à diverses cultures. Elle indique également que, selon les prévisions de la Commission, « l’effet net du nouveau modèle sera une réduction très sensible de la production de tabac communautaire avec comme conséquence l’impossibilité de maintenir la majeure partie de l’emploi agricole extrafamilial de ce secteur et celui de l’industrie de la première transformation ». Elle ajoute que les variétés de tabac cultivées dans l’Union ne sont pas considérées comme stratégiques par les industries manufacturières et peuvent aisément être remplacées par du tabac cultivé dans des pays tiers à des coûts inférieurs. Enfin, elle avance que les primes représentent actuellement plus de 80 % du revenu des cultivateurs.

414    Deltafina ajoute que, dans sa décision 2003/600/CE, du 2 avril 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/C.38.279/F3 – Viandes bovines françaises) (JO L 209, p. 12), la Commission a expressément pris en considération, en tant que circonstance atténuante, le « contexte économique spécifique » visé au point 5, sous b), des lignes directrices. Dans cette affaire, la Commission aurait ainsi réduit, à concurrence de 60 %, l’amende infligée à chacune des parties.

415    La Commission considère qu’elle n’était pas tenue de prendre en considération, lors de la fixation du montant de l’amende, le déclin invoqué par Deltafina et que, partant, le dixième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Appréciation du Tribunal

416    Le point 5, sous b), des lignes directrices dispose :

« Il convient, selon les circonstances, après avoir établi les calculs figurant ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles qu’un contexte économique spécifique, l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction [...], les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, les montants d’amende envisagés. »

417    Il y a lieu de considérer que, contrairement à ce que prétend Deltafina, la Commission n’était nullement obligée de tenir compte d’un prétendu déclin structurel de la culture du tabac dans l’Union pour réduire le montant final de son amende sur le fondement du point 5, sous b), des lignes directrices, ledit déclin ne constituant, à l’époque de l’adoption de la décision attaquée, qu’un événement futur et incertain.

418    Par ailleurs, Deltafina ne saurait se prévaloir de la décision 2003/600, étant donné que les circonstances de cette affaire ne sont pas comparables avec celles de l’espèce. Plus particulièrement, aucune des circonstances exceptionnelles qui avaient été prises en compte par la Commission dans cette décision, au titre du point 5, sous b), des lignes directrices, n’était présente en l’espèce. En outre, et en tout état de cause, selon une jurisprudence constante, la Commission dispose dans le domaine de la fixation du montant des amendes d’un large pouvoir d’appréciation et elle n’est pas liée par les appréciations qu’elle a portées antérieurement (arrêt de la Cour du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, Rec. p. I‑1843, point 82).

419    Eu égard à ce qui précède, le dixième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le onzième moyen, tiré d’une violation des principes d’égalité de traitement, de non-rétroactivité des peines et de protection de la confiance légitime

 Arguments des parties

420    Dans le cadre de son onzième moyen, invoqué à titre très subsidiaire, tout d’abord, Deltafina prétend que la Commission a violé le principe de protection de la confiance légitime en ne se limitant pas, conformément à sa pratique décisionnelle antérieure, à lui infliger une amende symbolique. Au soutien de cette allégation, elle fait valoir que, dans la décision peroxydes organiques, la Commission n’a imposé à la société AC-Treuhand qu’une amende d’un montant de 1 000 euros en raison de la nouveauté de son approche en la matière, consistant à sanctionner non seulement les entreprises membres d’une entente, mais également celles qui, sans être présentes sur le marché concerné, organisent ou facilitent ladite entente. Elle prétend qu’il ressort de cette décision, du communiqué de presse relatif à celle-ci ainsi que du point 33 du rapport sur la politique de concurrence de 2003 (XXXIIIe Rapport sur la politique de concurrence – 2003) que la Commission n’entendait s’écarter que pour l’avenir de sa pratique consistant à n’imposer qu’une amende purement symbolique dans une telle hypothèse. Or, tous les agissements qui sont reprochés à Deltafina seraient intervenus avant le 11 août 2001, soit deux ans et quatre mois avant l’adoption de la décision peroxydes organiques.

421    Ensuite, Deltafina invoque une violation du principe d’égalité de traitement, en relevant que le Tribunal a déclaré que, « [d]ans le domaine de la répression des infractions aux règles de concurrence, le respect de ce principe exige, sans doute, que des entreprises ayant commis des infractions de même nature à des périodes concomitantes soient exposées aux mêmes sanctions légales, indépendamment de la date nécessairement aléatoire à laquelle une décision est prise contre elles » et que, « [d]ans cette mesure, ce principe est étroitement lié au principe de non-rétroactivité des peines, en vertu duquel la sanction infligée à une entreprise pour une infraction aux règles de concurrence doit correspondre à celle qui était prévue à l’époque où l’infraction a été commise » (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 70).

422    Eu égard aux considérations qui précèdent, Deltafina invite le Tribunal à réduire l’amende au montant symbolique de 1 000 euros.

423    La Commission estime que le onzième moyen doit être rejeté comme non fondé.

424    À cet égard, tout d’abord, la Commission souligne que, selon la jurisprudence, sa pratique décisionnelle antérieure ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. Ensuite, elle répète que l’affaire ayant donné lieu à la décision peroxydes organiques n’est pas comparable avec la présente affaire. Par ailleurs, elle relève que ni cette décision, ni le communiqué de presse relatif à ladite décision, ni le rapport sur la politique de concurrence de 2003 (XXXIIIe Rapport sur la politique de concurrence – 2003) ne contiennent d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes quant au fait que des amendes « particulièrement légères » seraient infligées pour les comportements tels que ceux imputés à Deltafina.

 Appréciation du Tribunal

425    En premier lieu, en ce qui concerne la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime, il y a lieu de considérer qu’aucun des éléments invoqués par Deltafina n’était susceptible de faire naître une telle confiance, chez cette dernière, quant à sa sanction par une amende purement symbolique.

426    À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir point 292 ci-dessus). Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence (voir, par analogie, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 120 supra, point 109). De plus, les opérateurs ne peuvent placer une confiance légitime dans le maintien d’une situation existante pouvant être modifiée par la Commission dans le cadre de son pouvoir d’appréciation (voir arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, point 33, et la jurisprudence citée). Par conséquent, les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne peuvent acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement (arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 146, et LR AF 1998/Commission, point 101 supra, point 243).

427    Ensuite, il convient de rappeler que le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées [arrêt de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, Rec. p. 1155, point 44], étant précisé que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, que lui aurait fournies l’administration (voir arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 364 supra, point 152, et la jurisprudence citée).

428    En l’espèce, le fait que, dans plusieurs décisions antérieures à la décision peroxydes organiques, la Commission n’ait pas imputé une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE à des entreprises ayant contribué à la mise en œuvre d’une entente, mais qui n’étaient pas actives sur le marché concerné par l’infraction, n’était pas susceptible de créer chez Deltafina une espérance fondée qu’elle s’abstienne à l’avenir de poursuivre et de sanctionner de telles entreprises. En effet, ainsi qu’il a déjà été jugé par le Tribunal aux points 163 à 165 de l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, la réorientation de la pratique décisionnelle opérée par la Commission dans la décision peroxydes organiques est fondée sur une interprétation correcte de la portée de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE.

429    Cette réorientation de la pratique décisionnelle de la Commission était d’autant plus prévisible pour Deltafina qu’il existait un précédent, à savoir la décision verre coulé, de 1980. En outre, la pratique décisionnelle de la Commission postérieure à 1980 ne pouvait pas être raisonnablement comprise comme un abandon définitif de l’approche initiale suivie dans la décision verre coulé. Cette pratique décisionnelle se limite à ne pas condamner ni sanctionner les entreprises de conseil impliquées sans pour autant rejeter, en droit, la conception initialement suivie dans la décision verre coulé (arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, point 164).

430    Quant à l’allégation de Deltafina selon laquelle il ressort de la décision peroxydes organiques, du communiqué de presse relatif à cette décision ainsi que du point 33 du rapport sur la politique de concurrence de 2003 (XXXIIIe Rapport sur la politique de concurrence – 2003) que ce n’est que pour l’avenir que la Commission a déclaré qu’elle ne se limiterait plus à infliger une amende purement symbolique, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si ces textes contenaient des assurances précises, inconditionnelles et concordantes en ce sens, il suffit de constater que ces textes ont été publiés plus de six ans après que les comportements qui sont imputés à Deltafina ont commencé et plus de deux ans après qu’ils ont pris fin. Deltafina n’aurait donc aucunement pu croire, au moment où elle a commis l’infraction concernée, que la Commission ne lui imposerait qu’une amende symbolique.

431    Enfin, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 51 ci-dessus, la situation de Deltafina en l’espèce n’est pas comparable avec celle d’AC‑Treuhand dans l’affaire ayant donné lieu à la décision peroxydes organiques. En effet, alors qu’AC‑Treuhand était une entreprise de conseil et qu’elle n’était nullement active sur le marché de produit concerné dans cette affaire, en tant que concurrent ou du côté de l’offre ou de la demande, en revanche, Deltafina, en tant que principale cliente des transformateurs espagnols, était active sur un marché situé immédiatement en aval de celui sur lequel les pratiques restrictives de concurrence ont été mises en œuvre. De surcroît, Deltafina était présente sur le marché de la première transformation en Italie et elle entretenait des relations commerciales très étroites avec certains des transformateurs espagnols.

432    En deuxième lieu, en ce que Deltafina fait valoir une violation du principe d’égalité de traitement, il convient de rappeler que la pratique décisionnelle de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (voir point 292 ci-dessus). 

433    Il y a toutefois également lieu de rappeler que, lorsqu’elle inflige de telles amendes, la Commission est tenue de respecter les principes généraux de droit, parmi lesquels figure le principe d’égalité de traitement.

434    Dès lors, les comparaisons effectuées par Deltafina avec d’autres décisions de la Commission rendues en matière d’amendes ne peuvent être pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement que s’il est démontré que les circonstances des affaires ayant donné lieu à ces autres décisions sont comparables avec celles de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 janvier 2004, JCB Service/Commission, T‑67/01, Rec. p. II‑49, point 187). Or, ainsi qu’il a déjà été constaté aux points 51 et 431 ci-dessus, la situation de Deltafina en l’espèce n’est pas comparable avec celle d’AC-Treuhand dans l’affaire ayant donné lieu à la décision peroxydes organiques.

435    En troisième lieu, en ce qui concerne la prétendue violation du principe de non-rétroactivité des peines, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des points 137 à 150 de l’arrêt AC-Treuhand/Commission, point 48 supra, toute entreprise ayant contribué à la mise en œuvre d’une entente, y compris les entreprises non actives sur le marché en cause affecté par la restriction de concurrence, pouvait raisonnablement prévoir, à l’époque où l’infraction concernée a été commise, que l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE lui était en principe applicable. Par ailleurs, eu égard aux considérations exposées au point 426 ci-dessus, toute entreprise impliquée dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende doit tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Partant, en ne se limitant pas à imposer une amende purement symbolique à Deltafina, la Commission n’a pas violé le principe de non-rétroactivité des peines.

436    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le onzième moyen comme non fondé.

 Sur la détermination du montant final de l’amende infligée à Deltafina

437    Il résulte des points 331 à 336 ainsi que 410 et 411 ci-dessus qu’il convient de réformer la décision attaquée, en ce que la Commission n’a pas suffisamment établi, dans celle-ci, que Deltafina jouait un rôle de meneur dans le cadre de l’entente des transformateurs. De ce fait, la Commission n’était pas fondée à augmenter de 50 % le montant de base de l’amende de Deltafina au titre des circonstances aggravantes ni à tenir compte de ce prétendu rôle pour ne réduire que de 10 % le montant de l’amende au titre de la coopération.

438    Pour le reste, les considérations de la Commission exposées dans la décision attaquée ainsi que la méthode de calcul des amendes appliquée en l’espèce demeurent inchangées.

439    Le montant final de l’amende est donc calculé comme suit : le montant de base de l’amende infligée à Deltafina (12 000 000 euros) est réduit de 40 % au titre des circonstance atténuantes, ce qui aboutit à un montant de 7 200 000 euros avant application de la communication sur la coopération. Ce dernier montant est réduit de 15 % au titre de cette communication. Par conséquent, le montant final de l’amende à infliger à Deltafina s’élève à 6 120 000 euros.

 Sur les dépens

440    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

441    En l’espèce, le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que Deltafina supportera trois quarts de ses propres dépens et trois quarts des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un quart de ses propres dépens et un quart des dépens exposés par Deltafina.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le montant de l’amende infligée à Deltafina SpA à l’article 3 de la décision C (2004) 4030 final de la Commission, du 20 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 − Tabac brut – Espagne), est fixé à 6 120 000 euros.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Deltafina supportera trois quarts de ses propres dépens et trois quarts des dépens exposés par la Commission européenne, cette dernière supportant un quart de ses propres dépens et un quart des dépens exposés par Deltafina.

Czúcz

Labucka

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2010.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur la recevabilité des griefs tirés d’un détournement de pouvoir

2.  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE, de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, et des principes de légalité et de responsabilité personnelle ainsi que d’un défaut de motivation

Sur les première et deuxième branches, tirées, respectivement, de ce que la Commission tient Deltafina responsable d’une infraction commise sur un marché sur lequel elle n’est pas présente et de ce que les comportements qui sont imputés à Deltafina ne sont pas prévus par l’article 81, paragraphe 1, CE ni par l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a erronément qualifié Deltafina de meneur de l’entente des transformateurs

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission a omis de définir le marché en cause dans la décision attaquée

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1/2003, des droits de la défense et du droit à un procès équitable, des formes substantielles et des principes de légalité, de sécurité juridique et de proportionnalité ainsi que d’un défaut de motivation

Sur la première branche, tirée de ce que, dans la décision attaquée, la Commission a attribué à Deltafina un rôle différent de celui qu’elle lui reprochait dans la communication des griefs

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, tirée de ce que les comportements qui sont reprochés à Deltafina doivent, en réalité, l’être à son président

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, tirée de ce que la Commission a refusé de donner à Deltafina accès à certains documents à charge

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission n’a pas défini de manière suffisamment claire les marchés de produit et géographique en cause dans la communication des griefs

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE, de l’article 2 du règlement n° 1/2003 et du point 43 des lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 [CE] et 82 [CE] ainsi que d’un défaut de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende

Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 2 et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, du point 1 A et du point 5, sous d), des lignes directrices et des principes de proportionnalité, d’« égalité de traitement et de sanction » ainsi que d’un défaut de motivation

Résumé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Considérations générales

–  Sur la première branche, tirée du défaut de prise en compte de la dimension relativement réduite du marché de produit

–  Sur la deuxième branche, relative à l’appréciation de l’impact concret de l’infraction sur le marché

–  Sur la troisième branche, tirée d’une contradiction entre le considérant 413 de la décision attaquée et d’autres considérants de cette décision

–  Sur la quatrième branche, tirée de la qualification erronée de Deltafina de principal acheteur de tabac transformé en Espagne

–  Sur la cinquième branche, tirée d’un défaut de motivation concernant les conséquences à tirer, pour la fixation du montant des amendes, de l’incertitude engendrée par le cadre réglementaire espagnol et l’attitude des autorités espagnoles

–  Sur la sixième branche, tirée du défaut de prise en compte de l’absence de participation de Deltafina aux discussions et aux négociations intervenues entre les transformateurs espagnols et les représentants des producteurs

–  Sur la septième branche, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement en ce que la Commission s’est écartée de sa pratique antérieure

–  Conclusion sur le quatrième moyen

Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du point 1 B des lignes directrices et du principe d’égalité de traitement

Résumé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le sixième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 et du point 2 des lignes directrices ainsi que d’un défaut de motivation

Résumé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le septième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 et du point 3 des lignes directrices

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le huitième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et du point 5, sous a), des lignes directrices

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du préambule et du point 4 des lignes directrices, du point B, sous e), et du point D de la communication sur la coopération et du principe d’égalité de traitement ainsi que d’un défaut de motivation

Résumé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le dixième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, du point 5, sous b), des lignes directrices et du principe de proportionnalité

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le onzième moyen, tiré d’une violation des principes d’égalité de traitement, de non-rétroactivité des peines et de protection de la confiance légitime

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la détermination du montant final de l’amende infligée à Deltafina

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’italien.

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