Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62005CJ0330

Arrêt de la Cour (première chambre) du 15 novembre 2007.
Procédure pénale contre Fredrik Granberg.
Demande de décision préjudicielle: Hovrätten för Övre Norrland - Suède.
Droits d’accise - Huiles minérales - Mode de transport atypique.
Affaire C-330/05.

Recueil de jurisprudence 2007 I-09871

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:679

Affaire C-330/05

Procédure pénale

contre

Fredrik Granberg

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hovrätten för Övre Norrland)

«Droits d’accise — Huiles minérales — Mode de transport atypique»

Sommaire de l'arrêt

1.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Droits d'accise — Directive 92/12 — Produits soumis à accise — Détermination de l'État membre d'exigibilité du droit

(Directive du Conseil 92/12, art. 9, § 3)

2.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Droits d'accise — Directive 92/12 — Produits soumis à accise — Détermination de l'État membre d'exigibilité du droit

(Directive du Conseil 92/12, art. 9, § 3)

3.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Droits d'accise — Directive 92/12 — Produits soumis à accise — Détermination de l'État membre d'exigibilité du droit

(Directive du Conseil 92/12, art. 7, § 4, et 9, § 3)

1.        L'article 9, paragraphe 3, de la directive 92/12, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, ne permet pas de soumettre, de manière générale, au paiement de droits d'accise dans l'État membre de consommation le gazole de chauffage acquis dans un autre État membre par un particulier pour ses besoins propres et transporté par lui-même vers ledit État membre de consommation quelle que soit la manière dont ce particulier effectue ce transport.

En effet, un État membre ne peut exercer la faculté prévue à cette disposition que lorsque le transport de la marchandise est effectué par le particulier moyennant un mode de transport rentrant dans la notion de «modes de transport atypiques» telle que définie à ladite disposition.

(cf. points 31-32, disp. 1)

2.        Le transport par un particulier de 3 000 l de gazole de chauffage dans trois récipients communément appelés «grands récipients pour vrac» chargés à bord d'une camionnette constitue un «mode de transport atypique» au sens de l'article 9, paragraphe 3, de la directive 92/12, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise.

(cf. point 41, disp. 2)

3.        L'article 7, paragraphe 4, de la directive 92/12, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, ne s'oppose pas à ce que la législation d'un État membre de destination dans lequel l'accise est exigible, ainsi que le permet l'article 9, paragraphe 3, de cette directive, impose à tout particulier ayant acquis personnellement et pour ses besoins propres du gazole de chauffage dans un autre État membre où cette marchandise a été mise à la consommation, et transportant lui-même ladite marchandise vers cet État membre de destination selon un «mode de transport atypique», au sens dudit article 9, paragraphe 3, d'avoir constitué une sûrété pour garantir le paiement des droits d'accise et d'être muni d'un document d'accompagnement ainsi que d'un document attestant de la constitution de cette sûreté.

En effet, ainsi qu'il ressort du treizième considérant et de l'article 18 de la directive, la finalité du document d'accompagnement est notamment d'identifier les marchandises transportées ainsi que de connaître leur situation au regard de la dette fiscale dont elles sont le support; à cette fin, il ne saurait dès lors être exclu qu'un État membre de destination puisse imposer que, en cas de transport de gazole de chauffage par un particulier selon un mode de transport atypique, ce particulier soit muni de tels documents.

(cf. points 54-56, disp. 3)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 novembre 2007 (*)

«Droits d’accise – Huiles minérales – Mode de transport atypique»

Dans l’affaire C‑330/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hovrätten för Övre Norrland (Suède), par décision du 22 août 2005, parvenue à la Cour le 6 septembre 2005, dans la procédure pénale contre

Fredrik Granberg,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano (rapporteur), R. Schintgen, M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 novembre 2006,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Granberg, par Me L. Lindström, advokat,

–        pour le gouvernement suédois, par Mme K. Norman et M. A. Kruse, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. S. Spyropoulos, Mmes N. Dafniou, Z. Chatzipavlou et S. Trekli, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. Albenzio, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement polonais, par M. J. Pietras, en qualité d’agent,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes E. Karlsson et M.‑M. Josephides, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. W. Mölls et Mme L. Ström van Lier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 février 2007,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 7, paragraphe 4, et 9, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 390, p. 124, ci‑après la «directive»), ainsi que sur la validité de cette seconde disposition.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de la procédure pénale engagée contre M. Granberg pour introduction illégale en Suède de gazole de chauffage, soit une huile minérale au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive.

I –  Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3        Les cinquième à septième, douzième et treizième considérants de la directive énoncent ce qui suit:

«considérant que toute livraison, détention en vue de la livraison ou affectation aux besoins d’un opérateur accomplissant de manière indépendante une activité économique ou aux besoins d’un organisme de droit public ayant lieu dans un État membre autre que celui de la mise à la consommation donne lieu à exigibilité de l’accise dans cet autre État membre;

considérant que les produits soumis à accise qui sont acquis par les particuliers pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes doivent être taxés dans l’État membre où ces produits sont acquis;

considérant que, pour établir que les produits soumis à accise ne sont pas détenus à des fins personnelles mais à des fins commerciales, les États membres doivent tenir compte d’un certain nombre de critères;

[…]

considérant qu’il convient d’instaurer, afin d’assurer la perception de l’impôt aux taux fixés par les États membres, une procédure relative à la circulation de ces produits en régime de suspension;

considérant que, à ce titre, il convient en premier lieu que chaque envoi puisse être aisément identifié; que sa situation doit pouvoir être immédiatement connue au regard de la dette fiscale dont il est le support; qu’il est donc nécessaire de prévoir à cette fin un document d’accompagnement qui peut être administratif ou commercial; que le document commercial utilisé doit contenir les éléments indispensables figurant sur le document administratif».

4        En vertu de son article 3, paragraphe 1, la directive est applicable, au niveau communautaire, aux huiles minérales, à l’alcool et aux boissons alcooliques ainsi qu’aux tabacs manufacturés.

5        L’article 6, paragraphe 1, de la directive prévoit:

«L’accise devient exigible lors de la mise à la consommation […]

Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:

a)      toute sortie, y compris irrégulière, d’un régime suspensif;

b)      toute fabrication, y compris irrégulière, de ces produits hors d’un régime suspensif;

c)      toute importation, y compris irrégulière, de ces produits lorsque ces produits ne sont pas mis sous un régime suspensif.»

6        L’article 7 de la directive dispose:

«1.      Dans le cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un autre État membre, les droits d’accise sont perçus dans l’État membre dans lequel ces produits sont détenus.

[…]

4.      Les produits visés au paragraphe 1 circulent entre les territoires des différents États membres sous le couvert d’un document d’accompagnement qui mentionne les éléments principaux du document visé à l’article 18 paragraphe 1. La forme et le contenu de ce document sont définis selon la procédure prévue à l’article 24 de la présente directive.

[...]»

7        Aux termes de l’article 8 de la directive:

«Pour les produits acquis par les particuliers, pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes, le principe régissant le marché intérieur dispose que les droits d’accise sont perçus dans l’État membre où les produits sont acquis.»

8        L’article 9, paragraphe 3, de la directive dispose:

«Les États membres peuvent également prévoir que l’accise devient exigible dans l’État membre de consommation lors de l’acquisition d’huiles minérales ayant déjà été mises à la consommation dans un autre État membre si ces produits sont transportés suivant des modes de transport atypiques par des particuliers ou pour leur compte propre. Est à considérer comme mode de transport atypique le transport de carburant autrement que dans le réservoir des véhicules ou dans un bidon de réserve approprié ainsi que le transport de produits de chauffage liquides autrement que dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels.»

9        L’article 18 de la directive prévoit:

«1.      Nonobstant l’utilisation éventuelle de procédures informatisées, tout produit soumis à accises, circulant en régime de suspension entre les différents États membres, y compris la circulation par voie maritime ou aérienne directe d’un port ou aéroport communautaires à un autre port ou aéroport communautaires, est accompagné d’un document établi par l’expéditeur. Ce document peut être soit un document administratif, soit un document commercial. La forme et le contenu de ce document, et la procédure à suivre lorsque l’usage d’un tel document est objectivement inapproprié, sont définis selon la procédure prévue à l’article 24.

2.      Aux fins d’identifier les marchandises et de procéder à leur contrôle, il y a lieu de procéder au dénombrement des colis et à la description des produits au moyen du document visé au paragraphe 1 et éventuellement au scellement par capacité effectué par l’expéditeur lorsque le moyen de transport est reconnu apte au scellement par l’État membre de départ, ou au scellement des colis effectué par l’expéditeur.

3.      Pour les cas où le destinataire n’est pas un entrepositaire agréé ou un opérateur enregistré et nonobstant l’article 17, le document visé au paragraphe 1 doit être accompagné d’un document attestant du paiement des droits d’accise dans l’État membre de destination ou du respect de toute autre modalité assurant la perception de ces droits suivant les conditions fixées par les autorités compétentes de l’État membre de destination.

Ce document doit mentionner:

–        l’adresse du bureau concerné des autorités fiscales de l’État membre de destination,

–        la date et la référence du paiement ou de l’acceptation de la garantie du paiement par ce bureau.

[…]»

 Le droit national

10      L’article 4 du chapitre 1 de la loi relative au contrôle, dans le cadre de la perception des droits d’accise, du transport, entre autres opérations, de produits alcooliques, de tabacs manufacturés et d’huiles minérales [lag (1998:506) om punktskattekontroll av transporter m.m. av alkoholvaror, tobaksvaror och mineraloljeprodukter, ci-après la «LPK»] dispose ce qui suit:

«Par redevable, on entend le redevable de l’accise conformément

[…]

3.      au chapitre 4, article 1er, premier alinéa, points 1 à 5 ou 7, ou article 2, de la loi (1994:1776) relative à la taxation de l’énergie [lag (1994:1776) om skatt på energi, ci-après la ‘LSE ‘].»

11      L’article 1er du chapitre 4 de la LSE prévoit:

«Est redevable de la taxe sur l’énergie […]:

[...]

5.      toute personne […] qui introduit ou reçoit du combustible en Suède, en provenance d’un autre État membre de la Communauté européenne;

[...]»

12      L’article 1 a du chapitre 4 de la LSE dispose:

«La taxe n’est pas due conformément à l’article 1er, point 5,

[…]

3.      pour les carburants introduits en Suède à des fins privées dans le réservoir d’un véhicule, d’un navire ou d’un aéronef, ou dans des bidons de réserve d’une contenance maximale de 10 l.»

13      Aux termes de l’article 6 du chapitre 1 de la LPK:

«Un produit soumis à accise ne peut être transporté que si les obligations relatives au document d’accompagnement, à la sûreté [pour garantir le paiement de l’impôt], à la preuve de la sûreté et à la déclaration découlant des lois visées à l’article 2 ou de dispositions visées à l’article 5 a sont remplies.»

14      En vertu de l’article 1er du chapitre 5 de la LPK, toute personne qui introduit intentionnellement des produits soumis à accise en Suède à partir d’un État appartenant à la zone concernée par la réglementation communautaire sur l’accise en violation de l’article 6 du chapitre 1 de la même loi et qui, de cette façon, risque de compliquer gravement l’exercice des contrôles fiscaux relatifs aux transports de marchandises est condamnée, pour transport illégal de produits soumis à accise, à une peine d’emprisonnement ne pouvant pas dépasser deux ans. Si l’infraction doit être considérée comme légère, l’auteur est puni d’une amende.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Le 7 décembre 2003, M. Granberg, circulant à bord d’une camionnette en provenance de Finlande, a été intercepté au poste douanier suédois d’Övertorneå. Les autorités douanières ont constaté la présence dans le véhicule de 3 000 l de gazole commercialisé en Finlande comme produit de chauffage. Ce gazole était transporté dans un compartiment de charge couvert et était contenu dans trois récipients communément appelés «grands récipients pour vrac» (ci-après les «GRV»). Ces GRV étaient d’un type utilisé par les opérateurs professionnels, en particulier pour le transport d’huiles hydrauliques. Ledit gazole devait servir à chauffer l’habitation de M. Granberg et était donc destiné à son usage privé. En application de l’article 1er du chapitre 4 de la LSE, lu en combinaison avec l’article 4 du chapitre 1 de la LPK, la marchandise concernée a été considérée comme soumise au versement de droits d’accise.

16      M. Granberg a été poursuivi par le ministère public pour avoir gravement compliqué l’exercice des contrôles fiscaux, dans la mesure où il n’avait pas soumis de déclaration aux autorités fiscales compétentes préalablement au transport dudit gazole, n’avait pas constitué de sûreté pour garantir le paiement des taxes dues et n’était porteur ni de la preuve de constitution d’une sûreté ni d’un document d’accompagnement simplifié. Par décision du 4 mai 2004, le Haparanda tingsrätt (tribunal local de Haparanda) l’a condamné à une peine d’amende pour transport illégal de produits soumis à accise.

17      M. Granberg a interjeté appel de ce jugement devant le Hovrätten för Övre Norrland (cour d’appel du Norrland septentrional). Il reconnaît la matérialité des faits qui lui sont reprochés, mais conteste que ceux-ci soient constitutifs d’une infraction. Il allègue, en effet, que, en imposant le versement de droits d’accise pour toute importation de gazole de chauffage, sans prévoir d’exception pour les importations effectuées autrement que par des «modes de transport atypiques» au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive, le législateur suédois n’a pas transposé – ou, du moins, a transposé incorrectement – les dispositions de cette directive.

18      C’est dans ces circonstances que le Hovrätten för Övre Norrland a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 9, paragraphe 3, de la [directive] donne-t-il la possibilité aux États membres d’écarter, par une disposition générale, le gazole de chauffage du champ d’application de l’article 8 de la directive, de sorte que [la législation d’]un État membre pourrait prévoir qu’un particulier ayant acquis lui-même et pour ses besoins propres du mazout dans un autre État membre où ladite marchandise a été mise à la consommation, et l’ayant transporté lui-même vers l’État membre de destination est tenu de verser des droits d’accise dans ce dernier État, quelle que soit la manière dont le mazout a été transporté?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative, l’article 9, paragraphe 3, de la [directive] est-il compatible avec le principe de la libre circulation des marchandises consacré par le traité CE ainsi qu’avec le principe de proportionnalité, sachant que l’article 9, paragraphe 3, de la directive semble avoir pour objectif d’amener les particuliers à s’abstenir de transporter des huiles minérales, en prévoyant une exception à la règle générale selon laquelle, pour les produits acquis par les particuliers pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes, les droits d’accise sont perçus dans l’État membre où les produits sont acquis? Un tel objectif est-il compatible avec le fondement juridique de la directive invoqué par le Conseil [de l’Union européenne] ou l’article 9, paragraphe 3, de la directive est-il illégal?

3)      Si la première question appelle une réponse négative, le transport par un particulier de 3 000 l de gazole de chauffage dans trois récipients communément appelés ‘[GRV]’ – lesquels peuvent, en soi, être agréés pour le transport professionnel de marchandises dangereuses, notamment sous une forme liquide – chargés à bord d’une camionnette constitue-t-il un mode de transport atypique au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la [directive]?

4)      Est-il conforme à l’article 7, paragraphe 4, de la [directive] qu’un État membre adopte une disposition par laquelle un particulier ayant acquis lui-même et pour ses besoins propres du gazole de chauffage dans un autre État membre où ladite marchandise a été mise à la consommation et l’ayant transporté lui-même vers l’État membre de destination selon un mode de transport atypique au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive est tenu de constituer une sûreté pour garantir le paiement des droits d’accise ainsi que de se munir, lors du transport, d’un document d’accompagnement simplifié et de la preuve de la constitution d’une sûreté pour le paiement des droits d’accise?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

19      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 3, de la directive permet de soumettre, de manière générale, au paiement de droits d’accise dans l’État membre de consommation le gazole de chauffage acquis dans un autre État membre par un particulier pour ses besoins propres et transporté par lui‑même vers ledit État membre de consommation, quelle que soit la manière dont il effectue ce transport.

 Observations soumises à la Cour

20      Le gouvernement polonais, le Conseil et la Commission des Communautés européennes proposent de répondre à cette question par la négative.

21      Ils soutiennent que l’article 9, paragraphe 3, de la directive donne la possibilité aux États membres d’exclure du champ d’application de l’article 8 de la directive le gazole de chauffage introduit sur leur territoire par un particulier pour ses besoins propres uniquement à la condition que ce dernier utilise, à cette fin, un «mode de transport atypique» au sens dudit article 9, paragraphe 3.

22      Selon le gouvernement polonais et le Conseil, cette dernière disposition, constituant une dérogation à la règle générale établie à l’article 8 de la directive, doit être interprétée de manière restrictive. À cet égard, le Conseil précise que, si le législateur communautaire avait voulu permettre aux États membres d’exclure du champ d’application dudit article 8 tous les transports de gazole de chauffage effectués par un particulier, il l’aurait expressément prévu.

23      D’avis opposé, les gouvernements suédois, hellénique et italien considèrent que les États membres peuvent exclure du champ d’application de l’article 8 de la directive les produits de chauffage liquides transportés par des particuliers et, par conséquent, rendre l’accise sur ces produits exigible dans l’État membre de consommation, indépendamment du mode de transport choisi.

24      Le gouvernement suédois fait principalement valoir qu’il ressort du libellé même de l’article 9, paragraphe 3, de la directive que, en ce qui concerne le gazole de chauffage, il n’existe aucune possibilité pour un particulier de transporter ce type de produit suivant un mode de transport «typique», et donc d’être exempté du paiement de droits d’accise dans l’État membre de consommation. En effet, cette disposition viserait à permettre aux États membres d’empêcher, de manière générale, le transport de gazole de chauffage par des particuliers.

25      Les gouvernements hellénique et italien observent, quant à eux, que, eu égard à leur nature particulière, les produits de chauffage liquides ont été exclus par le législateur communautaire du champ d’application de l’article 8 de la directive. En effet, à la différence d’autres produits soumis à accise, comme le tabac et les boissons alcooliques, les produits de chauffage liquides ne seraient normalement pas transportés par des particuliers pour leur usage personnel. Il serait donc possible de présumer que ce type de produit est uniquement transporté à des fins commerciales.

 Réponse de la Cour

26      Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, la directive vise à établir un certain nombre de règles en ce qui concerne la détention, la circulation et les contrôles des produits soumis à accise, et ce notamment afin d’assurer que l’exigibilité de l’accise soit identique dans tous les États membres (arrêts du 2 avril 1998, EMU Tabac e.a., C‑296/95, Rec. p. I‑1605, point 22; du 5 avril 2001, van de Water, C‑325/99, Rec. p. I‑2729, point 39; du 12 décembre 2002, Cipriani, C‑395/00, Rec. p. I‑11877, point 41, et du 23 novembre 2006, Joustra, C‑5/05, Rec. p. I‑11075, point 27).

27      À cet égard, l’article 8 de la directive établit le principe général selon lequel les droits d’accise sur les produits acquis par les particuliers pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes sont dus dans l’État membre dans lequel ils ont été acquis (voir, en ce sens, arrêt Joustra, précité, points 31 et 33).

28      Cependant, s’agissant de l’acquisition d’huiles minérales ayant déjà été mises à la consommation dans un État membre, l’article 9, paragraphe 3, de la directive permet de déroger à la règle générale énoncée à l’article 8 de cette directive, et ainsi de prévoir que l’accise soit également exigible dans un autre État membre où ces huiles ont été transportées en vue de leur consommation.

29      Les États membres ne peuvent toutefois se prévaloir de cette faculté que si certaines conditions sont remplies. Ainsi, les huiles minérales frappées de droits d’accise au titre dudit article 9, paragraphe 3, doivent être transportées par des particuliers ou pour leur compte propre «suivant des modes de transport atypiques», lesquels sont définis par cette disposition comme «le transport de carburant autrement que dans le réservoir des véhicules ou dans un bidon de réserve approprié ainsi que le transport de produits de chauffage liquides autrement que dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels».

30      Il importe également de relever que, en tant que dérogation à une règle générale, la disposition en cause doit être interprétée de manière restrictive (voir en ce sens, notamment, arrêts du 18 janvier 2001, Commission/Espagne, C‑83/99, Rec. p. I‑445, point 19; du 12 décembre 2002, Belgique/Commission, C‑5/01, Rec. p. I‑11991, point 56, et du 26 mai 2005, Stadt Sundern, C‑43/04, Rec. p. I‑4491, point 27).

31      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le gouvernement suédois, l’article 9, paragraphe 3, de la directive ne saurait être interprété comme permettant de soumettre à l’accise également dans l’État membre de consommation toute importation de gazole de chauffage par un particulier à des fins personnelles, indépendamment du mode de transport utilisé. En effet, un État membre ne peut exercer la faculté prévue à cette disposition lorsque le transport de la marchandise est effectué par ce particulier moyennant un mode de transport ne rentrant pas dans la notion de «modes de transport atypiques» telle que définie à ladite disposition, rappelée au point 29 du présent arrêt.

32      Il convient, dès lors, de répondre à la première question posée que l’article 9, paragraphe 3, de la directive ne permet pas de soumettre, de manière générale, au paiement de droits d’accise dans l’État membre de consommation le gazole de chauffage acquis dans un autre État membre par un particulier pour ses besoins propres et transporté par lui-même vers ledit État membre de consommation quelle que soit la manière dont ce particulier effectue ce transport.

 Sur la deuxième question

33      Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question posée.

 Sur la troisième question

34      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si le transport par un particulier de 3 000 l de gazole de chauffage dans trois GRV chargés à bord d’une camionnette constitue un «mode de transport atypique» au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive.

 Observations soumises à la Cour

35      La Commission relève que les diverses versions linguistiques de l’article 9, paragraphe 3, de la directive ne coïncident pas parfaitement sur ce point. Elle soutient, dès lors, que cette disposition doit être interprétée à la lumière de son contenu, du contexte de son adoption et du principe de l’interprétation stricte des exceptions. Par conséquent, seul le transport de gazole de chauffage effectué par un transporteur professionnel pour le compte d’un particulier et au moyen d’un camion-citerne échapperait à la notion de mode de transport atypique. En revanche, le transport d’un tel produit par un particulier au moyen de GRV relèverait manifestement de cette notion.

36      Les gouvernements italiens et polonais, tout en parvenant à la même conclusion que la Commission, soulignent la clarté et la précision dudit article 9, paragraphe 3, dont l’interprétation ne soulèverait aucun doute.

 Réponse de la Cour

37      Ainsi qu’il a été rappelé au point 29 du présent arrêt, conformément à la définition inscrite à l’article 9, paragraphe 3, de la directive, il y a lieu d’entendre par mode de transport atypique «le transport de carburant autrement que dans le réservoir des véhicules ou dans un bidon de réserve approprié ainsi que le transport de produits de chauffage liquides autrement que dans des camions-citernes utilisés pour le compte d’opérateurs professionnels».

38      Il ressort du texte même de cette disposition que tout transport de produits de chauffage liquides qui n’est pas effectué dans des camions-citernes doit être considéré comme un mode de transport atypique.

39      Une telle lecture est d’ailleurs étayée par les différentes versions linguistiques de ladite disposition. Tel est le cas, notamment, des expressions «tankers», figurant dans la version anglaise, «autocisterne», dans la version italienne, et «cystern», dans la version polonaise.

40      Partant, force est de constater que le transport de gazole de chauffage effectué par un particulier en utilisant non pas un camion-citerne, mais une simple camionnette, comme dans l’affaire au principal, constitue un «mode de transport atypique» au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive. La circonstance que, en cette affaire, ledit gazole était contenu dans trois GRV ne saurait remettre en cause cette conclusion.

41      Par conséquent, il y a lieu de répondre à la troisième question posée que le transport par un particulier de 3 000 l de gazole de chauffage dans trois GRV chargés à bord d’une camionnette constitue un «mode de transport atypique» au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive.

 Sur la quatrième question

42      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 4, de la directive permet à un État membre d’exiger qu’un particulier transportant pour ses besoins propres du gazole de chauffage selon un mode de transport atypique constitue une sûreté pour le paiement des droits d’accise et soit muni, lors du transport, d’une preuve de la constitution d’une telle sûreté ainsi que d’un document d’accompagnement.

 Observations soumises à la Cour

43      La Commission relève que l’article 7, paragraphe 1, de la directive, qui décrit les produits concernés par le paragraphe 4 du même article, vise uniquement les produits «détenus à des fins commerciales». Elle estime, partant, que cette dernière disposition ne concerne pas les produits acquis par des particuliers pour leurs besoins propres et, par conséquent, ne s’applique pas dans l’espèce au principal. À cet égard, elle souligne qu’il résulterait des troisième, cinquième, sixième et onzième considérants de la directive que celle-ci établit une distinction nette entre, d’une part, les marchandises qui sont détenues à des fins commerciales et dont le transport doit être accompagné de documents, et, d’autre part, les marchandises détenues à des fins personnelles, pour lesquelles aucun document n’est requis en vue de leur transport vers un autre État membre.

44      La Commission ajoute qu’aucune disposition de la directive ne prévoit que les produits visés à l’article 9, paragraphe 3, de celle-ci doivent circuler sous le couvert d’un quelconque document ou faire l’objet de la constitution d’une sûreté.

45      Les gouvernements suédois et polonais soutiennent, en revanche, qu’il ressort de l’article 9 de la directive que tout transport réalisé selon un mode de transport atypique est effectué à des fins commerciales. Le premier de ces gouvernements ajoute que cette disposition est fondée sur le principe selon lequel les particuliers ne devraient pas être en mesure de transporter des huiles minérales. Dès lors, tout transport de ces produits, même effectué par un particulier pour ses besoins propres, doit être considéré comme de nature commerciale, et donc être soumis aux obligations prévues à l’article 7, paragraphe 4, de la directive.

 Réponse de la Cour

46      À titre liminaire, il convient de relever que l’article 7, paragraphe 4, de la directive, relatif à la circulation des produits soumis à accise sous le couvert d’un document d’accompagnement, renvoie à l’article 18, paragraphe 1, de la même directive, qui prévoit que tout produit soumis à accise circulant en régime de suspension entre les territoires des différents États membres doit être accompagné d’un document administratif ou commercial établi par l’expéditeur.

47      L’article 18, paragraphe 3, de la directive prévoit la possibilité que ledit document soit accompagné d’un autre document attestant du paiement des droits d’accise dans l’État membre de destination ou du respect de toute autre modalité assurant la perception de ces droits suivant les conditions fixées par les autorités compétentes dudit État membre. Conformément à la même disposition, ce dernier document doit notamment mentionner la date et la référence du paiement des droits ou de l’acceptation de la garantie du paiement par les autorités fiscales de l’État membre de destination.

48      Ceci étant précisé, il y a lieu de constater que l’article 7, paragraphe 1, de la directive, qui mentionne les produits devant circuler sous le couvert d’un document d’accompagnement tel que prescrit au paragraphe 4 du même article, vise uniquement les produits «détenus à des fins commerciales».

49      Comme la Cour l’a déjà jugé, la directive établit ainsi une distinction entre, d’une part, ces produits et, d’autre part, les produits détenus à des fins personnelles, dont le transport ne requiert aucun document (voir, en ce sens, arrêts précités EMU Tabac e.a., point 23, et Joustra, point 28).

50      En effet, dans la mesure où l’article 8 de la directive prévoit que, pour les produits détenus à des fins personnelles, les droits d’accise sont dus dans l’État membre dans lequel ils ont été acquis, cette disposition ne requiert aucun document en vue de leur transport vers un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt EMU Tabac e.a., précité, point 24).

51      Or, il y a lieu de relever que le gazole de chauffage acquis par un particulier pour ses besoins propres et transporté par lui-même selon un mode de transport atypique est un produit détenu à des fins personnelles. Dès lors, au vu de ce qui précède, l’article 7, paragraphe 4, de la directive n’exige pas que, dans ces circonstances, ce produit circule sous le couvert d’un document d’accompagnement.

52      Il ne saurait toutefois être déduit de cette conclusion qu’un État membre ne peut imposer que le transport de gazole de chauffage détenu à des fins personnelles ait lieu sous couvert d’un document de cette nature.

53      Une telle obligation pourrait être nécessaire en cas de transport d’huiles minérales selon un mode de transport atypique, lorsque l’État membre de consommation, exerçant la faculté prévue à l’article 9, paragraphe 3, de la directive, exige le paiement de droits d’accise, de sorte qu’il doit être en mesure de contrôler la situation fiscale de ces produits.

54      En effet, ainsi qu’il ressort du treizième considérant et de l’article 18 de la directive, la finalité du document d’accompagnement est notamment d’identifier les marchandises transportées ainsi que de connaître leur situation au regard de la dette fiscale dont elles sont le support.

55      Il ne saurait dès lors être exclu qu’un État membre de destination puisse imposer à cette fin que, en cas de transport de gazole de chauffage par un particulier selon un mode de transport atypique, ce particulier soit muni d’un document d’accompagnement ainsi que d’un document attestant de la constitution d’une sûreté pour garantir le paiement des droits d’accise.

56      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question posée que l’article 7, paragraphe 4, de la directive ne s’oppose pas à ce que la législation d’un État membre de destination dans lequel l’accise est exigible, ainsi que le permet l’article 9, paragraphe 3, de cette directive, impose à tout particulier ayant acquis personnellement et pour ses besoins propres du gazole de chauffage dans un autre État membre où cette marchandise a été mise à la consommation, et transportant lui-même ladite marchandise vers cet État membre de destination selon un «mode de transport atypique» au sens dudit article 9, paragraphe 3, d’avoir constitué une sûreté pour garantir le paiement des droits d’accise et d’être muni d’un document d’accompagnement ainsi que d’un document attestant de la constitution de cette sûreté.

 Sur les dépens

57      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 9, paragraphe 3, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, telle que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, ne permet pas de soumettre, de manière générale, au paiement de droits d’accise dans l’État membre de consommation le gazole de chauffage acquis dans un autre État membre par un particulier pour ses besoins propres et transporté par lui-même vers ledit État membre de consommation quelle que soit la manière dont ce particulier effectue ce transport.

2)      Le transport par un particulier de 3 000 l de gazole de chauffage dans trois récipients communément appelés «grands récipients pour vrac» chargés à bord d’une camionnette constitue un «mode de transport atypique» au sens de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 92/12, telle que modifiée par la directive 92/108.

3)      L’article 7, paragraphe 4, de la directive 92/12, telle que modifiée par la directive 92/108, ne s’oppose pas à ce que la législation d’un État membre de destination dans lequel l’accise est exigible, ainsi que le permet l’article 9, paragraphe 3, de cette directive, impose à tout particulier ayant acquis personnellement et pour ses besoins propres du gazole de chauffage dans un autre État membre où cette marchandise a été mise à la consommation, et transportant lui-même ladite marchandise vers cet État membre de destination selon un «mode de transport atypique» au sens dudit article 9, paragraphe 3, d’avoir constitué une sûreté pour garantir le paiement des droits d’accise et d’être muni d’un document d’accompagnement ainsi que d’un document attestant de la constitution de cette sûreté.

Signatures


* Langue de procédure: le suédois.

Top