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Document 62001CJ0108

Arrêt de la Cour du 20 mai 2003.
Consorzio del Prosciutto di Parma et Salumificio S. Rita SpA contre Asda Stores Ltd et Hygrade Foods Ltd.
Demande de décision préjudicielle: House of Lords - Royaume-Uni.
Appellations d'origine protégée - Règlement (CEE) nº 2081/92 - Règlement (CE) nº 1107/96 - 'Prosciutto di Parma' - Cahier des charges - Condition de tranchage et d'emballage du jambon dans la région de production - Articles 29 CE et 30 CE - Justification - Opposabilité de la condition aux tiers - Sécurité juridique - Publicité.
Affaire C-108/01.

Recueil de jurisprudence 2003 I-05121

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2003:296

62001J0108

Arrêt de la Cour du 20 mai 2003. - Consorzio del Prosciutto di Parma et Salumificio S. Rita SpA contre Asda Stores Ltd et Hygrade Foods Ltd. - Demande de décision préjudicielle: House of Lords - Royaume-Uni. - Appellations d'origine protégée - Règlement (CEE) nº 2081/92 - Règlement (CE) nº 1107/96 - 'Prosciutto di Parma' - Cahier des charges - Condition de tranchage et d'emballage du jambon dans la région de production - Articles 29 CE et 30 CE - Justification - Opposabilité de la condition aux tiers - Sécurité juridique - Publicité. - Affaire C-108/01.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-05121


Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties


Dans l'affaire C-108/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la House of Lords (Royaume-Uni) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Consorzio del Prosciutto di Parma,

Salumificio S. Rita SpA

et

Asda Stores Ltd,

Hygrade Foods Ltd,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des règlements (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), modifié par l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1), et (CE) n_ 1107/96 de la Commission, du 12 juin 1996, relatif à l'enregistrement des indications géographiques et des appellations d'origine au titre de la procédure prévue à l'article 17 du règlement n_ 2081/92 (JO L 148, p. 1),

LA COUR

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet, M. Wathelet, R. Schintgen et C. W. A. Timmermans, présidents de chambre, MM. C. Gulmann (rapporteur), D. A. O. Edward, P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. S. Alber,

greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour le Consorzio del Prosciutto di Parma et Salumificio S. Rita SpA, par Me F. Capelli, avvocato, et M. A. Barone, solicitor,

- pour Asda Stores Ltd et Hygrade Foods Ltd, par MM. N. Green, QC, et M. Hoskins, barrister, mandatés par Eversheds, solicitors, et par Clarke Willmott et Clarke, solicitors,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme G. Amodeo, en qualité d'agent, assistée de M. C. Lewis, barrister,

- pour le gouvernement espagnol, par Mme M. López-Monís Gallego, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme L. Bernheim, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de M. O. Fiumara, avvocato dello Stato,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. L. Iglesias Buhigues, ainsi que par Mmes C. O'Reilly et A.-M. Rouchaud, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du Consorzio del Prosciutto di Parma et de Salumificio S. Rita SpA, de Asda Stores Ltd, de Hygrade Foods Ltd, des gouvernements français et italien, ainsi que de la Commission, à l'audience du 19 février 2002,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 8 février 2001, parvenue à la Cour le 7 mars suivant, la House of Lords a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation des règlements (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), modifié par l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1, ci-après le «règlement n_ 2081/92»), et (CE) n_ 1107/96 de la Commission, du 12 juin 1996, relatif à l'enregistrement des indications géographiques et des appellations d'origine au titre de la procédure prévue à l'article 17 du règlement n_ 2081/92 (JO L 148, p. 1).

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant, d'une part, le Consorzio del Prosciutto di Parma (ci-après le «Consorzio»), association de producteurs de jambon de Parme établie en Italie, ainsi que Salumificio S. Rita SpA (ci-après «Salumificio»), société également établie en Italie, producteur de jambon de Parme et membre du Consorzio, et, d'autre part, Asda Stores Ltd (ci-après «Asda»), société établie au Royaume-Uni, exploitant de supermarchés, ainsi que Hygrade Foods Ltd (ci-après «Hygrade»), également établie au Royaume-Uni, importateur de jambon de Parme, à propos de la commercialisation, au Royaume-Uni, sous l'appellation d'origine protégée «Prosciutto di Parma» (ci-après l'«AOP `jambon de Parme'»), de jambon de Parme coupé en tranches et emballé dans cet État membre.

Le cadre juridique

La législation nationale

3 L'article 1er de la legge n_ 26, tutela della denominazione di origine «Prosciutto di Parma» (loi n_ 26 relative à la protection de l'appellation d'origine «jambon de Parme»), du 13 février 1990 (GURI n_ 42, du 20 février 1990, p. 3, ci-après la «loi du 13 février 1990»), réserve exclusivement la dénomination «jambon de Parme» au jambon pourvu d'une marque distinctive permettant son identification à tout moment, obtenu à partir de cuisses fraîches de porcs élevés et abattus en Italie continentale, et produit conformément aux dispositions légales après un vieillissement dans l'aire de production typique pendant une période minimale prescrite par la loi.

4 L'article 2 de la loi du 13 février 1990 définit l'aire de production typique comme étant la partie pertinente de la province de Parme. L'article 3 énonce les caractéristiques spécifiques du jambon de Parme, notamment son poids, sa couleur, son arôme et son goût.

5 L'article 6 de la même loi dispose que:

- après que la marque a été apposée, le jambon de Parme peut être vendu désossé et en morceaux de divers poids et formes ou coupé en tranches et emballé de la manière appropriée;

- s'il n'est pas possible de garder la marque sur le produit, celle-ci est estampillée de façon indélébile, de sorte qu'elle ne puisse pas être effacée de l'emballage, sous le contrôle de l'organe compétent et selon les méthodes déterminées par le règlement d'exécution;

- dans ce dernier cas, les opérations de conditionnement sont effectuées dans l'aire de production typique indiquée à l'article 2.

6 L'article 11 énonce que les ministres compétents peuvent se faire assister d'un consortium de producteurs à des fins de surveillance et de contrôle.

7 L'article 25 du decreto n_ 253, regolamento di esecuzione della legge 13 febbraio 1990, n_ 26 (décret n_ 253 portant règlement d'exécution de la loi n_ 26 du 13 février 1990), du 15 février 1993 (GURI n_ 173, du 26 juillet 1993, p. 4, ci-après le «décret du 15 février 1993»), prévoit que le tranchage et l'emballage du jambon de Parme doivent être effectués dans des installations situées dans l'aire de production typique et agréées par le consortium.

8 L'article 26 du même décret impose la présence de représentants du consortium lors du découpage et de l'emballage du produit.

9 Le décret du 15 février 1993 contient également des dispositions concernant le conditionnement et l'étiquetage.

10 En vertu d'un décret du 12 avril 1994, le Consorzio s'est vu confier une mission de contrôle de l'application des dispositions relatives à l'appellation d'origine «jambon de Parme».

Le droit communautaire

11 L'article 29 CE dispose:

«Les restrictions quantitatives à l'exportation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres.»

12 En vertu de l'article 30 CE, l'article 29 CE ne fait pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'exportation justifiées par des raisons, notamment, de protection de la propriété industrielle et commerciale.

13 L'article 2 du règlement n_ 2081/92 dispose:

«1. La protection communautaire des appellations d'origine et des indications géographiques des produits agricoles et denrées alimentaires est obtenue conformément au présent règlement.

2. Aux fins du présent règlement, on entend par:

a) `appellation d'origine': le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

- originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

- dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée;

[...]»

14 L'article 4 du même règlement précise:

«1. Pour pouvoir bénéficier d'une appellation d'origine protégée (AOP) [...] un produit agricole ou une denrée alimentaire doit être conforme à un cahier des charges.

2. Le cahier des charges comporte au moins les éléments suivants:

a) le nom du produit agricole ou de la denrée alimentaire comprenant l'appellation d'origine [...]

b) la description du produit agricole ou de la denrée alimentaire comprenant les matières premières, le cas échéant, et les principales caractéristiques physiques, chimiques, microbiologiques et/ou organoleptiques du produit ou de la denrée;

c) la délimitation de l'aire géographique [...]

d) les éléments prouvant que le produit agricole ou la denrée alimentaire sont originaires de l'aire géographique, au sens de l'article 2 paragraphe 2 point a) [...]

e) la description de la méthode d'obtention du produit agricole ou de la denrée alimentaire et, le cas échéant, les méthodes locales, loyales et constantes;

f) les éléments justifiant le lien avec le milieu géographique ou avec l'origine géographique au sens de l'article 2 paragraphe 2 point a) [...]

g) les références concernant la ou les structures de contrôle prévues à l'article 10;

h) les éléments spécifiques de l'étiquetage liés à la mention `AOP' [...] ou les mentions traditionnelles nationales équivalentes;

i) les exigences éventuelles à respecter en vertu de dispositions communautaires et/ou nationales.»

15 Les articles 5 à 7 prévoient une procédure normale d'enregistrement des AOP. Cette procédure comprend la présentation d'une demande à la Commission par l'intermédiaire d'un État membre (article 5, paragraphes 4 et 5). Cette demande est accompagnée d'un cahier des charges conforme à l'article 4 (article 5, paragraphe 3). La Commission vérifie que la demande comprend tous les éléments prévus à l'article 4 (article 6, paragraphe 1). Si elle parvient à une conclusion positive, elle publie au Journal officiel des Communautés européennes, notamment, le nom du produit, les éléments principaux de la demande et les références aux dispositions nationales qui régissent son élaboration, sa production ou sa fabrication (article 6, paragraphe 2). Tout État membre ou toute personne physique ou morale légitimement concernée peut s'opposer à l'enregistrement, l'opposition étant alors examinée selon une procédure déterminée (article 7). En l'absence d'opposition, la Commission enregistre la dénomination et la publie au Journal officiel des Communautés européennes (article 6, paragraphes 3 et 4).

16 L'article 8 énonce:

«Les mentions `AOP' [...] ou les mentions traditionnelles nationales équivalentes ne peuvent figurer que sur les produits agricoles et les denrées alimentaires conformes au présent règlement.»

17 L'article 10, paragraphe 1, dispose:

«Les États membres veillent à ce que les structures de contrôle soient en place au plus tard six mois après la date d'entrée en vigueur du présent règlement, la mission de ces structures étant d'assurer que les produits agricoles et denrées alimentaires portant une dénomination protégée répondent aux exigences du cahier des charges. [$]»

18 L'article 13, paragraphe 1, sous a), prévoit que les dénominations enregistrées sont protégées contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l'enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée.

19 L'article 17 organise une procédure simplifiée d'enregistrement de dénominations déjà légalement protégées:

«1. Dans un délai de six mois suivant la date d'entrée en vigueur du présent règlement, les États membres communiquent à la Commission quelles sont, parmi leurs dénominations légalement protégées [...], celles qu'ils désirent faire enregistrer en vertu du présent règlement. [$]

2. La Commission enregistre, selon la procédure prévue à l'article 15 [assistance d'un comité composé de représentants des États membres et, le cas échéant, intervention du Conseil], les dénominations visées au paragraphe 1 qui sont conformes aux articles 2 et 4. L'article 7 [relatif au droit d'opposition] ne s'applique pas. [...]

3. Les États membres peuvent maintenir la protection nationale des dénominations communiquées conformément au paragraphe 1 jusqu'à la date à laquelle une décision sur l'enregistrement est prise.»

20 Le règlement n_ 1107/96, entré en vigueur le 21 juin 1996, porte enregistrement, notamment, de l'AOP «jambon de Parme», sous la rubrique «Produits à base de viande».

21 Le 26 octobre 1996, la Commission a publié au Journal officiel des Communautés européennes une communication sur les structures de contrôle communiquées par les États membres conformément à l'article 10, paragraphe 2, du règlement n_ 2081/92 (JO C 317, p. 3). Cette publication a pour but de faire connaître les structures de contrôle correspondant à chaque indication géographique ou appellation d'origine enregistrée en vertu du règlement n_ 2081/92. Pour l'AOP «jambon de Parme», elle vise le Consorzio, dont elle précise l'adresse.

Le litige au principal

22 Asda exploite une chaîne de supermarchés au Royaume-Uni. Elle y vend, notamment, du jambon portant l'appellation «jambon de Parme», acheté prédécoupé auprès de Hygrade, qui elle-même achète le jambon désossé mais non découpé auprès d'un producteur italien membre du Consorzio. Le jambon est coupé en tranches et emballé hermétiquement par Hygrade dans des paquets contenant chacun cinq tranches.

23 Les paquets portent la mention suivante: «ASDA A taste of Italy PARMA HAM Genuine Italian Parma Ham» («ASDA Le goût de l'Italie JAMBON DE PARME Authentique jambon de Parme italien»).

24 À leur dos, figurent les mentions «PARMA HAM All authentic Asda continental meats are made by traditional methods to guarantee their authentic flavour and quality» («JAMBON DE PARME Toutes les viandes continentales authentiques d'Asda sont préparées selon des méthodes traditionnelles pour garantir leur saveur et leur qualité authentiques») et «Produced in Italy, packed in the UK for Asda Stores Limited» («Produit en Italie, emballé au Royaume-Uni pour Asda Stores Limited»).

25 Le 14 novembre 1997, le Consorzio a introduit au Royaume-Uni une procédure judiciaire contre Asda et Hygrade aux fins de la délivrance, contre celles-ci, de diverses injonctions visant essentiellement à ce qu'elles mettent un terme à leurs activités, au motif que celles-ci seraient contraires aux règlements applicables au jambon de Parme.

26 Le 17 novembre 1997, il a assigné ces sociétés en référé en demandant que soient prononcées les injonctions sollicitées dans sa demande au fond et dans l'exposé de ses prétentions.

27 Asda et Hygrade ont conclu au rejet des demandes en soutenant, en particulier, que le règlement n_ 2081/92 et/ou le règlement n_ 1107/96 ne conféraient pas au Consorzio les droits allégués par celui-ci.

28 Les demandes ont été rejetées.

29 Appel a été interjeté par le Consorzio devant la Court of Appeal (England & Wales) (Royaume-Uni). Salumificio a été admise à intervenir dans cette procédure. L'appel a été rejeté le 1er décembre 1998.

30 Le Consorzio et Salumificio ont alors saisi la House of Lords.

31 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation des règlements nos 2081/92 et 1107/96, la House of Lords a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«En droit communautaire, le règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, combiné avec le règlement (CE) n_ 1107/96 de la Commission et le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée (AOP) `Prosciutto di Parma', crée-t-il un droit communautaire valide, pouvant être invoqué directement devant une juridiction d'un État membre, consistant à interdire la vente au détail en tant que `jambon de Parme' de jambon tranché et emballé obtenu à partir de jambons dûment exportés de Parme conformément aux conditions de l'AOP mais n'ayant pas, par la suite, été tranchés, emballés et étiquetés conformément au cahier des charges?»

Sur la question préjudicielle

32 À titre liminaire, il y a lieu de constater que le cahier des charges sur la base duquel l'AOP «jambon de Parme» a été enregistrée par le règlement n_ 1107/96 mentionne expressément l'exigence d'un tranchage et d'un emballage du produit dans la région de production pour le jambon commercialisé en tranches, et vise la loi du 13 février 1990 ainsi que le décret du 15 février 1993 au titre des exigences à respecter en vertu de dispositions nationales, au sens de l'article 4, paragraphe 2, sous i), du règlement n_ 2081/92.

33 À titre liminaire également, il convient d'observer que, dans l'affaire au principal, sont en cause des opérations de tranchage et d'emballage réalisées à un stade autre que ceux de la vente au détail et de la restauration, pour lesquels il n'est pas contesté que la condition de réalisation desdites opérations dans la région de production ne s'applique pas.

34 Dès lors, lorsqu'il sera fait référence, dans la suite du présent arrêt, à la condition de tranchage et d'emballage dans la région de production, ne seront visées que les opérations de tranchage et d'emballage effectuées à un stade autre que ceux de la vente au détail et de la restauration.

35 À la lumière de ces observations, la question préjudicielle comprend en substance quatre éléments.

36 Le premier élément concerne le point de savoir si le règlement n_ 2081/92 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que l'utilisation d'une AOP soit subordonnée à une condition de réalisation, dans la région de production, d'opérations telles que le tranchage et l'emballage du produit.

37 Le deuxième élément concerne le point de savoir si le fait de subordonner à une telle condition l'utilisation de l'AOP «jambon de Parme» pour le jambon commercialisé en tranches constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation au sens de l'article 29 CE.

38 Le troisième élément concerne le point de savoir si, dans l'affirmative, la condition en cause peut être considérée comme justifiée et, partant, comme compatible avec cette dernière disposition.

39 Enfin, le quatrième élément concerne la question de savoir si cette condition est opposable aux opérateurs économiques, alors qu'elle n'a pas été portée à leur connaissance.

Sur la possibilité de subordonner l'utilisation d'une AOP à une condition de réalisation, dans la région de production, d'opérations telles que le tranchage et l'emballage du produit

40 Le Consorzio, Salumificio, les gouvernements espagnol, français et italien ainsi que la Commission considèrent en substance que le règlement n_ 2081/92 permet, en principe, à des producteurs d'obtenir que l'utilisation de l'AOP soit subordonnée à une condition de réalisation, dans la région de production, d'opérations telles que le tranchage et l'emballage du produit.

41 Asda et Hygrade doutent qu'une telle condition puisse faire partie, d'une quelconque manière, de la réglementation communautaire. Le gouvernement du Royaume-Uni estime que le règlement n_ 2081/92 ne confère pas aux producteurs le droit d'interdire la vente sous l'AOP d'un produit tranché et emballé en dehors de la région de production.

42 À cet égard, il convient de constater qu'il résulte tant du libellé que de l'économie du règlement n_ 2081/92 que le cahier des charges constitue l'instrument qui détermine l'étendue de la protection uniforme que ce règlement instaure dans la Communauté.

43 En effet, l'article 4, paragraphe 1, du règlement n_ 2081/92 subordonne le bénéfice d'une AOP à la conformité du produit à un cahier des charges. L'article 8 du même règlement subordonne l'apposition de la mention «AOP» sur un produit à la conformité de celui-ci audit règlement et donc au cahier des charges, l'article 13 déterminant ensuite le contenu de la protection uniforme conférée à la dénomination enregistrée. L'article 10, paragraphe 1, précise que la mission de la structure de contrôle mise en place dans chaque État membre est d'assurer que les produits portant une AOP répondent aux exigences du cahier des charges.

44 Conformément à l'article 4, paragraphe 2, du règlement n_ 2081/92, le cahier des charges comporte au moins les éléments énumérés, de manière non exhaustive, à cette disposition.

45 Il comporte donc, notamment, ceux visés à ladite disposition, sous b), d), e), h) et i), à savoir:

- la description du produit, ses principales caractéristiques physiques, chimiques, microbiologiques et/ou organoleptiques;

- les éléments prouvant que le produit est originaire d'une aire géographique délimitée;

- la description de la méthode d'obtention du produit et, le cas échéant, les méthodes locales, loyales et constantes;

- les éléments spécifiques de l'étiquetage liés à la mention «AOP»;

- les exigences éventuelles à respecter en vertu des dispositions communautaires et/ou nationales.

46 Le cahier des charges contient ainsi la définition détaillée du produit protégé, établie par les producteurs concernés, sous le contrôle de l'État membre qui le transmet, puis de la Commission qui enregistre l'AOP, dans le cadre soit de la procédure normale des articles 5 à 7, soit de la procédure simplifiée de l'article 17 du règlement n_ 2081/92.

47 Cette définition détermine à la fois l'étendue des obligations à respecter aux fins de l'utilisation de l'AOP et, son corollaire, l'étendue du droit protégé à l'égard des tiers par l'effet de l'enregistrement de l'AOP, lequel consacre au niveau communautaire des règles énoncées ou visées dans le cahier des charges.

48 À cet égard, il y a lieu de constater que le libellé de l'article 4 du règlement n_ 2081/92 n'exclut nullement que soient déterminées des règles techniques particulières applicables aux opérations aboutissant à différentes présentations sur le marché d'un même produit, afin que celui-ci, d'une part, satisfasse, pour chacune de ces présentations, au critère de qualité que les consommateurs ont, selon le troisième considérant de ce règlement, tendance à privilégier depuis plusieurs années et, d'autre part, offre la garantie d'une origine géographique certaine, de plus en plus recherchée selon le même considérant.

49 En considération de ces deux objectifs, des règles techniques particulières peuvent en conséquence être édictées pour des opérations telles que le tranchage et l'emballage du produit.

50 Il convient donc de conclure que le règlement n_ 2081/92 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que l'utilisation d'une AOP soit subordonnée à une condition de réalisation, dans la région de production, d'opérations telles que le tranchage et l'emballage du produit, dès lors qu'une telle condition est prévue dans le cahier des charges.

Sur la nature de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation de la condition de tranchage et d'emballage du produit dans la région de production pour l'AOP «jambon de Parme»

51 Asda et Hygrade font valoir que des conditions relatives au conditionnement d'un produit sont susceptibles de constituer des restrictions au sens des articles 28 CE et 29 CE. En particulier, l'application au Royaume-Uni d'une règle en vertu de laquelle le jambon de Parme commercialisé en tranches ne pourrait bénéficier de l'AOP que s'il a été tranché et emballé dans la région de production serait manifestement susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire.

52 Le gouvernement du Royaume-Uni considère que la condition en cause au principal constitue une restriction quantitative à l'exportation.

53 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d'effet équivalent vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions communautaires (voir, notamment, arrêts du 25 juin 1997, Kieffer et Thill, C-114/96, Rec. p. I-3629, point 27, et du 13 septembre 2001, Schwarzkopf, C-169/99, Rec. p. I-5901, point 37).

54 L'article 29 CE prohibe toutes les mesures qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un État membre et son commerce d'exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l'État intéressé (voir, notamment, à propos de mesures nationales, arrêt du 23 mai 2000, Sydhavnens Sten & Grus, C-209/98, Rec. p. I-3743, point 34).

55 Ainsi qu'il a été constaté au point 32 du présent arrêt, le cahier des charges de l'AOP «jambon de Parme» mentionne expressément l'exigence d'un tranchage et d'un emballage du produit dans la région de production pour le jambon commercialisé en tranches et vise la loi du 13 février 1990 ainsi que le décret du 15 février 1993 au titre des exigences à respecter en vertu des dispositions nationales, au sens de l'article 4, paragraphe 2), sous i), du règlement n_ 2081/92. En tant qu'il enregistre l'AOP «jambon de Parme», le règlement n_ 1107/96 fait ainsi du tranchage et de l'emballage dans la région de production une condition d'utilisation de l'AOP «jambon de Parme» pour le jambon commercialisé en tranches.

56 Cette condition a pour conséquence que du jambon produit dans la région de production, qui remplit les autres conditions exigées pour pouvoir bénéficier de l'AOP «jambon de Parme», ne peut pas être tranché en dehors de ladite région, sous peine d'être privé de cette appellation.

57 En revanche, le jambon de Parme transporté à l'intérieur de la région de production conserve son droit à l'AOP lorsqu'il y est tranché et emballé conformément aux règles visées par le cahier des charges.

58 Ces règles ont donc pour effet de restreindre spécifiquement les courants d'exportation du jambon susceptible de porter l'AOP «jambon de Parme» et d'établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d'un État membre et son commerce d'exportation. Dès lors, elles emportent des restrictions quantitatives à l'exportation au sens de l'article 29 CE (voir, dans le même sens, arrêt du 16 mai 2000, Belgique/Espagne, C-388/95, Rec. p. I-3123, points 38 et 40 à 42).

59 Il y a donc lieu de conclure que le fait de subordonner l'utilisation de l'AOP «jambon de Parme» pour le jambon commercialisé en tranches à la condition que les opérations de tranchage et d'emballage soient effectuées dans la région de production constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation au sens de l'article 29 CE.

Sur la justification de la condition de tranchage et d'emballage du produit dans la région de production

60 Le Consorzio, Salumificio, les gouvernements espagnol et italien ainsi que la Commission font valoir que, dans l'arrêt Belgique/Espagne, précité, la Cour a jugé qu'une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation, constituée par l'obligation de mettre un vin d'appellation d'origine en bouteilles dans sa région de production pour pouvoir utiliser l'appellation d'origine, était justifiée en ce qu'elle visait à préserver la réputation de l'appellation en garantissant, outre l'authenticité du produit, le maintien de ses qualités et de ses caractéristiques. Ils estiment que la jurisprudence résultant de cet arrêt peut être transposée à la condition de tranchage et d'emballage du jambon de Parme dans la région de production, cette condition étant justifiée aux fins de la garantie de l'authenticité et de la qualité du produit. Le gouvernement français souligne que cette condition permet de garantir que le produit est originaire de l'aire géographique.

61 Asda, Hygrade et le gouvernement du Royaume-Uni affirment que les opérations de tranchage et d'emballage n'affectent pas la qualité du jambon de Parme et ne portent pas atteinte à son authenticité. Se fondant sur cette prémisse, le gouvernement du Royaume-Uni considère que l'approche de l'arrêt Belgique/Espagne, précité, qu'il y aurait effectivement lieu de suivre dans la présente affaire, doit aboutir à une solution contraire à celle retenue par cet arrêt.

62 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, conformément à l'article 30 CE, l'article 29 CE ne fait pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'exportation justifiées par des raisons, notamment, de protection de la propriété industrielle et commerciale.

63 Il convient de relever que la législation communautaire manifeste une tendance générale à la mise en valeur de la qualité des produits dans le cadre de la politique agricole commune, afin de favoriser la réputation desdits produits, grâce, notamment, à l'emploi d'appellations d'origine qui font l'objet d'une protection particulière (voir arrêt Belgique/Espagne, précité, point 53). Cette tendance s'est concrétisée dans le secteur des vins de qualité par l'adoption du règlement (CEE) n_ 823/87 du Conseil, du 16 mars 1987, établissant des dispositions particulières relatives aux vins de qualité produits dans des régions déterminées (JO L 84, p. 59), abrogé et remplacé par le règlement (CE) n_ 1493/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune du marché vitivinicole (JO L 179, p. 1). Elle s'est également manifestée, à l'égard d'autres produits agricoles, par l'adoption du règlement n_ 2081/92, qui, à la lumière de ses considérants, vise notamment à satisfaire l'attente des consommateurs en matière de produits de qualité et d'une origine géographique certaine ainsi qu'à faciliter l'obtention par les producteurs, dans des conditions de concurrence égale, de meilleurs revenus en contrepartie d'un effort qualitatif réel.

64 Les appellations d'origine relèvent des droits de propriété industrielle et commerciale. La réglementation applicable protège leurs bénéficiaires contre une utilisation abusive desdites appellations par des tiers désirant tirer profit de la réputation qu'elles ont acquise. Elles visent à garantir que le produit qui en est revêtu provient d'une zone géographique déterminée et présente certains caractères particuliers. Elles sont susceptibles de jouir d'une grande réputation auprès des consommateurs et de constituer pour les producteurs remplissant les conditions pour les utiliser un moyen essentiel de s'attacher une clientèle. La réputation des appellations d'origine est fonction de l'image dont celles-ci jouissent auprès des consommateurs. Cette image dépend elle-même, essentiellement, des caractéristiques particulières, et plus généralement de la qualité du produit. C'est cette dernière qui fonde, en définitive, la réputation du produit (voir arrêt Belgique/Espagne, précité, points 54 à 56). Dans la perception du consommateur, le lien entre la réputation des producteurs et la qualité des produits dépend, en outre, de sa conviction que les produits vendus sous l'appellation d'origine sont authentiques.

65 Le cahier des charges de l'AOP «jambon de Parme», en imposant la réalisation du tranchage et de l'emballage dans la région de production, vise à permettre aux bénéficiaires de l'AOP de conserver la maîtrise de l'une des présentations du produit sur le marché. La condition qu'il édicte a pour but de mieux sauvegarder la qualité et l'authenticité du produit ainsi que, par voie de conséquence, la réputation de l'AOP, dont les bénéficiaires assument, pleinement et collectivement, la responsabilité.

66 Dans ce contexte, une condition telle que celle en cause doit être considérée comme conforme au droit communautaire, malgré ses effets restrictifs sur les échanges, s'il est démontré qu'elle constitue un moyen nécessaire et proportionné de nature à préserver la réputation de l'AOP «jambon de Parme» (voir, dans le même sens, arrêt Belgique/Espagne, précité, points 58 et 59).

67 À cet égard, il y a lieu de constater que le jambon de Parme est consommé principalement en tranches et que toutes les opérations conduisant à cette présentation sont conçues pour obtenir, en particulier, un goût, une couleur et une texture déterminés, qui seront appréciés par le consommateur.

68 Le tranchage et l'emballage du jambon constituent donc des opérations importantes, susceptibles de nuire à la qualité et, par suite, à la réputation de l'AOP si elles sont réalisées dans des conditions aboutissant à un produit non conforme aux qualités organoleptiques associées à celui-ci. Ces opérations sont également susceptibles de compromettre la garantie d'authenticité du produit, du fait qu'elles ont nécessairement comme conséquence l'élimination du marquage d'origine des cuisses entières utilisées.

69 Le cahier des charges de l'AOP «jambon de Parme», par les règles qu'il édicte et par les exigences à respecter en vertu des dispositions nationales auxquelles il renvoie, institue un dispositif régissant de manière détaillée et rigoureuse les trois étapes conduisant à la mise sur le marché de jambon préemballé en tranches. La première étape comporte le désossage du jambon, la préparation de briques, la réfrigération et la congélation de celles-ci aux fins des opérations de tranchage. La deuxième étape correspond aux opérations de tranchage. La troisième consiste dans l'emballage du jambon tranché, sous vide ou sous atmosphère protégée.

70 Trois règles principales doivent être respectées au cours du processus industriel.

71 En premier lieu, après un contrôle de l'authenticité des cuisses de porc utilisées, une sélection doit être opérée parmi celles-ci. Seules les cuisses remplissant certaines conditions additionnelles plus restrictives, tenant en particulier au poids, à la durée de vieillissement, au contenu en eau, au taux d'humidité interne, à l'absence de défauts visibles, peuvent être tranchées et emballées. La sélection se poursuit aux différents stades du processus, lorsqu'apparaissent des anomalies du produit, comme des taches résultant de micro-hémorragies, des zones blanches dans le muscle, ou encore la présence de graisse intramusculaire excessive, qui ne pouvaient être décelées avant désossage ou tranchage.

72 En deuxième lieu, tous les opérateurs de la région de production ayant l'intention de trancher et d'emballer du jambon de Parme doivent être agréés par la structure de contrôle, qui agrée également les fournisseurs d'emballages.

73 En troisième lieu, des représentants de la structure de contrôle doivent être présents lors de chacune des trois étapes du processus. Ils veillent en permanence au respect de toutes les prescriptions du cahier des charges, y compris le marquage du produit lors de chaque phase. À l'issue des opérations, ils certifient le nombre d'emballages produits.

74 Les différentes étapes donnent lieu à des interventions techniques et de contrôle très précises, portant sur l'authenticité, la qualité, l'hygiène et l'étiquetage. Certaines nécessitent des appréciations spécialisées, notamment au cours des phases de réfrigération et de congélation des briques.

75 Dans ce contexte, il convient d'admettre que des contrôles effectués en dehors de la région de production donneraient moins de garanties pour la qualité et l'authenticité du produit que ceux effectués dans la région de production dans le respect de la procédure prévue par le cahier des charges (voir, dans le même sens, arrêt Belgique/Espagne, précité, point 67). En effet, d'une part, des contrôles réalisés selon cette dernière procédure présentent un caractère approfondi et systématique et sont le fait de professionnels ayant une connaissance spécialisée des caractéristiques du jambon de Parme. D'autre part, il serait difficilement envisageable que les représentants des bénéficiaires de l'AOP puissent instaurer efficacement de tels contrôles dans les autres États membres.

76 Le risque pour la qualité et l'authenticité du produit finalement offert à la consommation est, par conséquent, plus important lorsqu'il a été tranché et emballé en dehors de la région de production que lorsqu'il l'a été à l'intérieur de celle-ci (voir, dans le même sens, arrêt Belgique/Espagne, précité, point 74).

77 Cette constatation n'est pas remise en cause par la circonstance, soulignée dans la présente affaire, que le tranchage du jambon peut être effectué, au moins sous certaines conditions, par des détaillants et des restaurateurs en dehors de la région de production. En effet, cette opération doit être réalisée, en principe, devant le consommateur, ou, à tout le moins, celui-ci peut exiger qu'elle le soit afin, notamment, de vérifier la présence du marquage d'origine sur la cuisse utilisée. Surtout, des opérations de tranchage et d'emballage effectuées en amont du stade du commerce de détail ou de la restauration constituent, en raison des quantités de produits concernées, un risque bien plus réel pour la réputation d'une AOP, en cas de contrôle insuffisant de l'authenticité du produit et de sa qualité, que des opérations réalisées par des détaillants ou des restaurateurs.

78 Dès lors, la condition de tranchage et d'emballage dans la région de production, qui a pour objectif de préserver la réputation du jambon de Parme au moyen d'un renforcement de la maîtrise de ses caractéristiques particulières et de sa qualité, peut être considérée comme justifiée en tant que mesure protégeant l'AOP dont bénéficie la collectivité des opérateurs concernés et qui revêt pour ceux-ci une importance déterminante (voir, dans le même sens, arrêt Belgique/Espagne, précité, point 75).

79 La restriction qui en résulte peut être considérée comme nécessaire à la réalisation de l'objectif poursuivi, en ce sens qu'il n'existe pas de mesures alternatives moins restrictives susceptibles de l'atteindre.

80 À cet égard, l'AOP «jambon de Parme» ne serait pas protégée d'une manière comparable par une obligation, imposée aux opérateurs établis en dehors de la région de production, d'informer les consommateurs, au moyen d'un étiquetage approprié, que le tranchage et l'emballage ont eu lieu en dehors de cette région. En effet, une atteinte à la qualité ou à l'authenticité d'un jambon tranché et emballé en dehors de la région de production, qui résulterait de la réalisation des risques liés aux opérations de tranchage et d'emballage, pourrait nuire à la réputation de l'ensemble des jambons commercialisés sous l'AOP «jambon de Parme», y compris ceux tranchés et emballés dans la région de production sous le contrôle de la collectivité bénéficiaire de l'AOP (voir, dans le même sens, arrêt Espagne/Belgique, précité, points 76 et 77).

81 Il y a donc lieu de conclure que le fait de subordonner l'utilisation de l'AOP «jambon de Parme» pour le jambon commercialisé en tranches à la condition que les opérations de tranchage et d'emballage soient effectuées dans la région de production peut être considéré comme justifié et, partant, comme compatible avec l'article 29 CE.

Sur l'opposabilité aux opérateurs économiques de la condition de tranchage et d'emballage dans la région de production

Observations soumises à la Cour

82 Le Consorzio et Salumificio considèrent que la condition de tranchage et d'emballage dans la région de production, prévue par le cahier des charges de l'AOP «jambon de Parme», peut être invoquée devant les juridictions nationales. Selon eux, un opérateur ne pourrait faire valoir son ignorance de cette condition résultant d'actes et de dispositions auxquels il n'a pas accès que dans l'hypothèse où il serait demandé contre lui l'application d'une sanction. De même que le gouvernement italien, ils estiment que l'opérateur ne peut en revanche faire valoir son ignorance de la condition lorsque, comme dans l'affaire au principal, il ne lui est demandé que de mettre fin, pour l'avenir, à la vente de jambon de Parme tranché et emballé en dehors de la région de production. Ils ajoutent que, en tout état de cause, Asda et Hygrade n'ont éprouvé aucune difficulté dans le litige au principal pour obtenir et utiliser librement et légalement tous les renseignements et documents nécessaires, notamment une version en anglais du cahier des charges, disponible depuis 1997.

83 Le gouvernement français fait valoir que, en application de l'article 249 CE, tout particulier peut invoquer directement un règlement communautaire devant une juridiction nationale dans le cadre d'une procédure civile.

84 La Commission affirme que l'absence de publication du cahier des charges résulte de l'économie du règlement n_ 2081/92 et de la procédure d'enregistrement spécifique mise en oeuvre. Selon elle, la question préjudicielle posée touche à l'essence même de la réglementation et met en cause l'ensemble de la procédure d'enregistrement prévue par le règlement n_ 2081/92. L'absence de publication du cahier des charges procéderait d'un choix délibéré du législateur communautaire dans le cadre de la procédure simplifiée. Cette procédure aurait regroupé l'ensemble des dénominations déjà protégées par les législations nationales. Les dénominations enregistrées dans le cadre de son application auraient été déjà bien connues non seulement du public, mais, vraisemblablement, aussi des opérateurs économiques, qu'ils fussent importateurs, distributeurs ou vendeurs au détail. Il y aurait également lieu de supposer que ces opérateurs commercialisaient les produits concernés antérieurement à l'enregistrement de l'AOP. L'intention poursuivie par le législateur communautaire aurait été uniquement d'accorder aux dénominations déjà protégées au plan national le bénéfice de la protection communautaire après vérification, par la Commission, de leur conformité avec les termes et conditions des articles 2 et 4 du règlement n_ 2081/92.

85 Asda et Hygrade soutiennent qu'une mesure non publiée au Journal officiel des Communautés européennes ne peut pas être mise en oeuvre à l'encontre d'un particulier lorsque, comme dans l'affaire au principal, celui-ci n'a aucun droit légal d'obtenir une copie de cette mesure, que ce soit dans sa langue ou dans une autre langue. Nonobstant le principe de l'effet direct des règlements, prévu à l'article 249 CE, une mesure communautaire ne serait susceptible de créer des droits individuels que si elle est suffisamment claire, précise et inconditionnelle. La portée et l'effet d'une réglementation communautaire devraient être clairs et prévisibles pour les justiciables, à peine de violation du principe de sécurité juridique et de celui de transparence. Les règles édictées devraient permettre aux personnes concernées de connaître précisément la portée des obligations qui leur incombent. Le défaut de publication d'un acte ferait obstacle à ce que des obligations édictées par cet acte soient imposées à un particulier. En outre, une obligation imposée par le droit communautaire devrait être facilement accessible dans la langue de l'État membre où elle doit être appliquée. À défaut de traduction officielle, une mesure communautaire ne pourrait faire échec aux droits de particuliers tant dans le cadre de procédures civiles que dans celui de procédures pénales. Si le Consorzio était autorisé à faire respecter, devant une juridiction nationale, un cahier des charges non publié, les principes de sécurité juridique et de transparence seraient violés. Par conséquent, les dispositions relatives à ce cahier des charges ne pourraient avoir un effet direct.

86 Le gouvernement du Royaume-Uni relève que le règlement n_ 1107/96 mentionne uniquement que la dénomination «jambon de Parme» est une AOP. Rien dans cette AOP n'indiquerait qu'un opérateur qui a acheté du jambon de Parme ne peut pas le trancher et l'emballer aux fins de sa vente au consommateur. Rien dans la nature des opérations n'attirerait l'attention de l'opérateur sur le fait que l'AOP «jambon de Parme» ne peut pas être utilisée pour les tranches découpées en dehors de la région de production à partir d'un jambon qui portait légalement l'AOP. Toute interdiction d'utiliser l'AOP «jambon de Parme» devrait être transparente et facilement accessible. Les principes de transparence et d'accessibilité ne seraient respectés que si la restriction peut facilement être déterminée sur le fondement de publications officielles de la Communauté.

Réponse de la Cour

87 Il convient de rappeler que, en application de l'article 249, deuxième alinéa, CE, le règlement, acte de portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre.

88 À ce titre, il crée non seulement des droits, mais également des obligations pour les particuliers, dont ceux-ci peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers devant les juridictions nationales.

89 Néanmoins, l'impératif de sécurité juridique exige qu'une réglementation communautaire permette aux intéressés de connaître avec exactitude l'étendue des obligations qu'elle leur impose (voir arrêt du 1er octobre 1998, Royaume-Uni/Commission, C-209/96, Rec. p. I-5655, point 35).

90 Le règlement n_ 2081/92 énonce, dans son douzième considérant, que, pour bénéficier d'une protection dans tout État membre, les appellations d'origine doivent être enregistrées au niveau communautaire, l'inscription dans un registre permettant également d'assurer l'information des professionnels et des consommateurs.

91 Toutefois, il ne prévoit pas la publication du cahier des charges ou d'éléments de celui-ci dans le cadre de la procédure simplifiée.

92 Le règlement n_ 1107/96 se limite à prévoir que la dénomination «jambon de Parme» est enregistrée en tant qu'AOP au titre de l'article 17 du règlement n_ 2081/92.

93 En tant qu'il opère cet enregistrement, il consacre au niveau communautaire les conditions énoncées ou visées dans le cahier des charges, et, notamment, celle imposant la réalisation des opérations de tranchage et d'emballage dans la région de production. Cette condition implique pour les tiers une obligation de ne pas faire, laquelle est susceptible d'être civilement, voire pénalement, sanctionnée.

94 Or, ainsi que tous les intervenants qui se sont exprimés à cet égard l'ont admis au cours de la procédure, la protection conférée par une AOP ne s'étend pas habituellement à des opérations telles que le tranchage et l'emballage du produit. Ces opérations ne sont interdites aux tiers en dehors de la région de production que si une condition en ce sens est prévue expressément dans le cahier des charges.

95 Dans ces circonstances, le principe de sécurité juridique exigeait que la condition en cause fût portée à la connaissance des tiers par une publicité adéquate dans la réglementation communautaire, publicité qui aurait pu être réalisée par la mention de cette condition dans le règlement n_ 1107/96.

96 Faute d'avoir été portée à la connaissance des tiers, ladite condition ne saurait leur être opposée devant une juridiction nationale, que ce soit aux fins d'une sanction pénale ou dans le cadre d'une procédure civile.

97 Il ne peut être soutenu utilement que la publication des conditions contenues dans les cahiers des charges n'était pas nécessaire dans le cadre de la procédure simplifiée de l'article 17 du règlement n_ 2081/92, dès lors que les dénominations enregistrées étaient déjà bien connues du public et des opérateurs économiques et que l'intention poursuivie par le législateur communautaire était uniquement d'étendre au niveau communautaire une protection déjà existante au plan national.

98 En effet, antérieurement au règlement n_ 2081/92, les appellations d'origine étaient protégées par des dispositions nationales publiées et applicables, en principe, sur le seul territoire de l'État membre qui les avaient adoptées, sous réserve de conventions internationales étendant la protection au territoire d'autres États membres, d'un commun accord des parties contractantes. Or, sous cette dernière réserve, il ne peut être présumé que, en conséquence d'une telle situation, les conditions afférentes auxdites appellations d'origine étaient nécessairement connues du public et des opérateurs économiques de l'ensemble de la Communauté, y compris quant à l'étendue exacte de la protection, déterminée par des cahiers des charges et par des dispositions nationales au contenu technique, rédigés dans la langue nationale de l'État membre considéré.

99 Il y a donc lieu de conclure que la condition de tranchage et d'emballage du produit dans la région de production n'est pas opposable aux opérateurs économiques, faute d'avoir été portée à leur connaissance par une publicité adéquate dans la réglementation communautaire.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

100 Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, espagnol, français et italien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par la House of Lords, par ordonnance du 8 février 2001, dit pour droit:

1) Le règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, modifié par l'acte relatif aux conditions d'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que l'utilisation d'une appellation d'origine protégée soit subordonnée à une condition de réalisation, dans la région de production, d'opérations telles que le tranchage et l'emballage du produit, dès lors qu'une telle condition est prévue dans le cahier des charges.

2) Le fait de subordonner l'utilisation de l'appellation d'origine protégée «Prosciutto di Parma» pour le jambon commercialisé en tranches à la condition que les opérations de tranchage et d'emballage soient effectuées dans la région de production constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'exportation au sens de l'article 29 CE, mais peut être considéré comme justifié et, partant, comme compatible avec cette dernière disposition.

3) Toutefois, la condition en cause n'est pas opposable aux opérateurs économiques, faute d'avoir été portée à leur connaissance par une publicité adéquate dans la réglementation communautaire.

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