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Document 61991CO0225

    Ordonnance du Président de la Cour du 4 décembre 1991.
    Matra SA contre Commission des Communautés européennes.
    Aides d'Etat - Aides à finalité régionale dans le secteur de l'automobile.
    Affaire C-225/91 R.

    Recueil de jurisprudence 1991 I-05823

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1991:460

    61991O0225

    Ordonnance du Président de la Cour du 4 décembre 1991. - Matra SA contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'Etat - Aides à finalité régionale dans le secteur de l'automobile. - Affaire C-225/91 R.

    Recueil de jurisprudence 1991 page I-05823


    Sommaire
    Parties
    Motifs de l'arrêt
    Dispositif

    Mots clés


    ++++

    Référé - Sursis à exécution - Mesures provisoires - Conditions d' octroi - Préjudice grave et irréparable dans le chef du requérant

    ( Traité CEE, art . 185 et 186; règlement de procédure, art . 83, § 2 )

    Sommaire


    Le caractère urgent d' une demande de sursis à exécution ou de mesures provisoires doit être apprécié par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d' éviter qu' un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite le sursis ou les mesures provisoires . Cette partie est tenue d' apporter la preuve qu' elle ne saurait attendre l' issue de la procédure au principal sans subir un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables dans son chef .

    Il n' est pas établi qu' à défaut de mesures provisoires, un requérant qui conteste la légalité d' une décision de la Commission autorisant l' octroi, par un État membre, d' aides à caractère régional devant bénéficier à un concurrent, risque de subir un préjudice grave et irréparable lorsque l' issue prévisible de la procédure au principal se situera avant le moment où la majeure partie des aides serait, compte tenu d' un versement échelonné, mise à disposition du bénéficiaire et où le marché se trouverait exposé à un risque de perturbation .

    Parties


    Dans l' affaire C-225/91-R,

    Matra SA, société de droit français, ayant son siège social à Paris, représentée par Me M . Siragusa, avocat au barreau de Rome, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Mes Arendt et Medernach, 4, avenue Marie-Thérèse,

    partie requérante,

    contre

    Commission des Communautés européennes, représentée par MM . A . Abate, conseiller juridique principal, et M . Nolin, membre du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . R . Hayder, représentant du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

    partie défenderesse,

    ayant pour objet principal une demande de sursis à l' exécution de la décision de la Commission, communiquée par lettre du 16 juillet aux autorités portugaises et par lettre du 30 juillet 1991 à Matra SA, autorisant un programme d' aides d' État en faveur d' une entreprise commune entre Ford Motor Company Inc et Volkswagen AG pour la création d' une unité de fabrication de véhicules automobiles monocorps à Setúbal ( Portugal ),

    le président de la Cour de justice des Communautés européennes rend la présente

    Ordonnance

    Motifs de l'arrêt


    1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 septembre 1991, Matra SA ( ci après "Matra ") a, en vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l' annulation de la décision de la Commission, communiquée par lettre du 16 juillet aux autorités portugaises et par lettre du 30 juillet 1991 à Matra, par laquelle la Commission a autorisé un programme d' aides d' État, notifié par lesdites autorités, en faveur d' une entreprise commune entre Ford Motor Company Inc et Volkswagen AG pour la création d' une unité de fabrication de véhicules automobiles monocorps à Setúbal ( Portugal ).

    2 Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le même jour, Matra a, en outre, introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE, une demande en référé visant à obtenir le sursis à l' exécution de la décision précitée et à faire enjoindre aux autorités portugaises de s' abstenir de tout versement des aides en cause et, ainsi que précisé lors de l' audition, à faire enjoindre à ces autorités de procéder au remboursement des montants qui auraient déjà été versés .

    3 La Commission a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 8 octobre 1991 et les parties ont été entendues en leurs explications orales le 4 novembre 1991 .

    4 Il convient, avant d' examiner le bien-fondé de la demande en référé, de rappeler succinctement les antécédents du litige .

    5 Un encadrement communautaire des aides d' État dans le secteur de l' automobile ( JO 1989, C 123, p . 3 ), adopté par la Commission en vertu de l' article 93, paragraphe 1, du traité CEE et entré en vigueur le 1er janvier 1989, oblige les États membres à notifier préalablement, conformément à l' article 93, paragraphe 3, du traité, toutes aides envisagées dans le cadre d' un régime d' aides déjà autorisé par la Commission, lorsque l' aide est accordée à une entreprise dans le secteur automobile et lorsque le coût du projet bénéficiaire de l' aide dépasse 12 millions d' écus .

    6 En ce qui concerne les aides octroyées dans le cadre d' un régime autorisé d' aides à finalité régionale, la Commission reconnaît, dans cet encadrement, que l' implantation de nouvelles installations de production de véhicules automobiles dans des régions défavorisées peut apporter une contribution précieuse au développement régional et déclare adopter une attitude généralement favorable à l' égard des aides à l' investissement accordées pour remédier aux handicaps structurels dont souffrent ces régions . La notification préalable de ces aides doit, cependant, permettre à la Commission de confronter les avantages sur le plan du développement régional avec les conséquences préjudiciables éventuelles sur l' ensemble du secteur automobile ( telles que la création d' une surcapacité importante ).

    7 Conformément à cet encadrement, le gouvernement de la République portugaise a, par lettre du 16 avril 1991, complétée par lettre du 31 mai suivant, notifié à la Commission le programme d' aides visé par la décision attaquée, aides que ce gouvernement entendait octroyer en vertu, notamment, du régime portugais d' aides à finalité régionale (" Sistema de Incentivos de Base Regional ").

    8 Il résulte de la décision attaquée que l' entreprise bénéficiaire de l' aide est une entreprise commune entre Ford Motor Company Inc et Volkswagen AG, créée, à parts égales, par ces deux constructeurs automobiles pour développer et produire un véhicule monocorps devant être distribué, dans des versions individualisées, par leurs réseaux commerciaux respectifs, indépendamment l' un de l' autre . La décision attaquée indique que les coûts totaux de ce projet s' élèvent à 2 550 millions d' écus .

    9 Cette entreprise commune envisage de construire, entre 1991 et 1995, une usine de fabrication de véhicules monocorps à Setúbal . L' installation projetée commencerait sa production fin 1994 et produirait, à partir de 1996, 830 unités par jour, ou 190 000 unités par an, en employant directement 5 020 personnes .

    10 Les autorités portugaises ont, selon la décision attaquée, considéré qu' un investissement de 1 668 millions d' écus était susceptible de bénéficier d' une aide d' État et ont décidé d' octroyer, en vertu du régime portugais d' aides à finalité régionale, une aide directe de 500 millions d' écus . Ces autorités ont en outre, en vertu de la législation fiscale portugaise, décidé d' octroyer à l' entreprise commune une exemption d' impôt sur le revenu des sociétés pour cinq ans, à partir de 1997, pour un montant cumulé ne pouvant excéder 47 millions d' écus .

    11 Dans sa décision, la Commission relève d' abord que l' intensité de l' aide, totalisant 547 millions d' écus, n' est que de 27,1 % en termes d' équivalent subvention net, alors que la Commission, en autorisant le régime portugais d' aides à finalité régionale, a accepté, pour la région de Setúbal, une intensité des aides pouvant aller jusqu' à 75 % en termes d' équivalent subvention net, quelle que soit l' importance du projet bénéficiaire .

    12 En ce qui concerne les avantages sur le plan du développement régional, la Commission souligne la grande importance qu' aurait la réalisation du projet pour le développement économique de la région de Setúbal, tant en ce qui concerne l' emploi qu' en ce qui concerne les infrastructures . La Commission relève qu' une localisation du projet à Setúbal comporte de sérieux handicaps structurels pour celui-ci, l' éloignement géographique des marchés principaux et le retard économique relatif de la région entraînant des coûts très élevés au niveau du transport, du stockage, du personnel expatrié et des infrastructures . Bien que ces handicaps structurels soient en partie compensés, notamment par une main-d' oeuvre meilleur marché, la Commission estime que les désavantages nets, en termes de coûts, et la nécessité de donner une incitation supplémentaire pour attirer des investissements dans cette région défavorisée justifient une aide du niveau et de l' intensité envisagés .

    13 En ce qui concerne les conséquences du projet sur l' ensemble du secteur automobile, la Commission fait état de ce que les prévisions pour le marché des véhicules monocorps démontrent un accroissement continu et significatif de la demande, la vente de ces véhicules devant, vers 1995, représenter 2 à 3 % du marché européen des voitures de tourisme en Europe, soit 300 000 à 400 000 unités par an . Bien que le projet en cause donne à l' entreprise commune une part considérable des capacités de production communautaires, il y aurait, cependant, selon la Commission, peu d' éléments pouvant indiquer qu' il en résulterait des problèmes de surcapacité dans un avenir proche, et cela même en tenant compte des projets d' autres constructeurs actuellement en cours de réalisation ou à l' étude dans le domaine des véhicules monocorps .

    14 Il résulte, en outre, de la décision attaquée que les autorités portugaises envisagent de mettre en oeuvre un important programme de formation pour 202 millions d' écus, dont 90 % seraient financés par ces autorités . Ce programme comporte différentes actions de formation, réalisées notamment dans un centre de formation qui serait créé en relation avec l' installation projetée et géré et financé conjointement avec l' entreprise commune . La Commission considère, cependant, que ce programme ne constitue pas une aide au projet en cause, les actions de formation envisagées ne devant pas exclusivement satisfaire les besoins de l' entreprise commune et étant accessibles à d' autres opérateurs dans le secteur automobile . La Commission considère de la même manière certains investissements d' infrastructure locale envisagés par les autorités portugaises, ces infrastructures étant accessibles à tout utilisateur industriel ou leur utilisation facturée à l' entreprise commune aux conditions du marché .

    15 Matra qui avait, dès le 26 juin 1991, introduit une plainte auprès de la Commission contre le programme d' aides envisagé par les autorités portugaises , plainte que la Commission rejette dans sa décision, est un constructeur automobile indépendant . Matra a conçu et développé un véhicule monocorps dénommé "Espace" qu' il produit en France, depuis 1986, dans le cadre d' une installation créée à cet effet . Ce véhicule, commercialisé par le groupe Renault, détient actuellement une part d' environ 50 % du marché communautaire des véhicules monocorps, qui pour 1991, est estimé à environ 95 000 unités .

    16 Matra fait valoir que la décision de la Commission viole les dispositions de l' article 93 du traité . La décision n' aurait pas légalement pu être prise, comme elle l' est, en vertu de l' article 93, paragraphe 3 . La Commission aurait dû ouvrir la procédure "interlocutoire" prévue à l' article 93, paragraphe 2, et mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations avant de prendre une décision . La Commission serait tenue d' ouvrir une telle procédure lorsqu' elle éprouve des doutes quant à la compatibilité de l' aide notifiée avec les règles du traité . La longueur des tractations ayant eu lieu et les adaptations apportées au programme d' aides initial montreraient que cela a bien été le cas . La Commission aurait également dû avoir des doutes sérieux quant à la compatibilité de l' entreprise commune et de son projet avec les règles de concurrence du traité . L' accord entre les deux importants constructeurs créant l' entreprise commune tomberait, comme la Commission le relève dans sa décision, sous le coup de l' interdiction édictée à l' article 85, paragraphe 1, du traité . La décision violerait également cette disposition et la réglementation arrêtée pour son application, la Commission ne pouvant légalement, dans une décision concernant des aides, faire état de son intention d' octroyer une exemption au titre de l' article 85, paragraphe 3, à un tel accord, sans respecter la procédure préalable prévue pour une telle décision et avant même qu' une telle procédure n' ait été initiée .

    17 Matra fait, en outre, valoir que la décision est entachée d' erreurs manifestes d' appréciation . Il serait erroné d' admettre que le projet subventionné ne conduira pas à une surcapacité de production . L' estimation optimiste de l' évolution du marché des véhicules monocorps, sur laquelle la Commission se base, ne serait pas partagée par nombre d' experts et les capacités de production pour 1995 annoncées actuellement par les différents constructeurs européens, y inclus l' entreprise commune, s' élèveraient déjà à plus de 450 000 unités par an, chiffre qui ne tient pas compte des importations . L' appréciation des handicaps structurels inhérents à la localisation choisie serait irréaliste, et l' aide accordée, qui correspond à une subvention par véhicule produit de 4 à 7 000 FF, serait disproportionnée par rapport aux coûts de transport supplémentaires dont il s' agit . En violation des règles de l' article 92, paragraphe 3, la Commission aurait, d' ailleurs, inclu dans son calcul une prime devant attirer les investissements dans les régions défavorisées . Enfin, la Commission aurait considéré à tort que le très important programme de formation et les investissements en infrastructures que les autorités portugaises mettent en oeuvre ne constituent pas des aides au projet .

    18 Il convient de rappeler que, selon l' article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, une décision ordonnant le sursis à l' exécution d' une décision ou des mesures provisoires est subordonnée à l' existence de circonstances établissant l' urgence, ainsi que des moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l' octroi du sursis ou des mesures provisoires .

    19 Conformément à une jurisprudence constante, le caractère urgent d' une demande de sursis ou de mesures provisoires doit être apprécié par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d' éviter qu' un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite le sursis ou les mesures provisoires . Cette partie est tenue d' apporter la preuve qu' elle ne saurait attendre l' issue de la procédure au principal sans subir un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables dans son chef .

    20 A cet égard, Matra fait valoir que les subventions autorisées par la Commission entraînent un bouleversement du marché des véhicules monocorps . L' entreprise commune, appuyée sur les deux plus puissants réseaux de vente de la Communauté et bénéficiant d' une aide massive, serait, à court terme, en état de saturer ce marché avec des coûts de production artificiellement allégés . Ce préjudice serait directement ressenti par Matra qui, dans le secteur automobile, ne produit que des véhicules monocorps, et mettrait en péril le développement actuellement en cours d' un nouveau modèle "Espace ". Les effets préjudiciables se manifesteraient immédiatement, l' aide en cause étant vraisemblablement versée dès le début de la réalisation du projet subventionné . L' entreprise commune réduirait ainsi considérablement ses frais de développement et de financement . Les marchés financiers auraient d' ailleurs déjà réagi en révisant leurs estimations des résultats futurs de Matra, causant ainsi une baisse des cours de l' action Matra . Le préjudice serait, enfin, irréparable, le remboursement d' une aide autorisée, bien qu' à tort, par la Commission étant exclu .

    21 Il y a lieu, d' abord, de relever que Matra reconnaît que les projets dans le domaine des véhicules monocorps, mis en oeuvre par les différents constructeurs européens et actuellement en cours de réalisation, entraîneront nécessairement une réduction progressive de ses parts de marché . Matra reconnaît cependant aussi que le projet commun Ford/Volkswagen sera réalisé même sans les aides contestées, bien que, dans ce cas, probablement à une échelle moindre .

    22 Il y a lieu, ensuite, de relever que, selon le programme d' aides notifié à la Commission par les autorités portugaises, les aides contestées seront versées avec 5 % à la signature du contrat, 20 % au 31 janvier 1992, 12,5 % au 30 juin 1992, 12,5 % au 28 février 1993, 25 % au 30 décembre 1993 et les 25 % restant au 30 décembre 1994 .

    23 Il résulte, en outre, du dossier, que l' installation projetée par l' entreprise commune commencera sa production fin 1994 et n' atteindra son plein rendement qu' en 1996 . La perturbation alléguée du marché ne pourra ainsi intervenir qu' à partir de 1994 .

    24 . Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que ce n' est qu' après l' issue prévisible de la procédure au principal que la majeure partie des aides sera versée et que le marché risquera éventuellement d' être perturbé . A cet égard, il convient d' ajouter que, comme la Commission l' a relevé, le requérant ne conteste pas de manière générale la légalité d' une aide, à finalité régionale, au projet en cause, mais uniquement la partie de cette aide qui, selon lui, constitue une surcompensation des handicaps structurels inhérents à la localisation choisie .

    25 Il en résulte que, sans qu' il soit nécessaire de prendre position sur l' argument du requérant concernant l' impossibilité d' obtenir le remboursement des montants versés avant l' issue de la procédure au principal, il n' est pas établi que le requérant, à défaut de mesures provisoires, risque de subir un préjudice grave et irréparable .

    26 La condition relative à l' urgence n' étant pas satisfaite, il convient de rejeter la demande en référé .

    Dispositif


    Par ces motifs,

    LE PRÉSIDENT

    ordonne :

    1 ) La demande en référé est rejetée .

    2 ) Les dépens sont réservés .

    Fait à Luxembourg, le 4 décembre 1991 .

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