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Document 61985CC0314

    Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 19 mai 1987.
    Foto-Frost contre Hauptzollamt Lübeck-Ost.
    Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg - Allemagne.
    Incompétence des juridictions nationales pour constater l'invalidité des actes communautaires - Validité d'une décision en matière de recouvrement "a posteriori" de droits à l'importation.
    Affaire 314/85.

    Recueil de jurisprudence 1987 -04199

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1987:230

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. G. FEDERICO MANCINI

    présentées le 19 mai 1987 ( *1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. 

    La société allemande Foto-Frost et le Hauptzollamt de Lübeck-Ost s'opposent dans une affaire qui a pour objet le recouvrement « a posteriori » de droits à l'importation concernant des marchandises fabriquées en République démocratique allemande (« RDA ») et achetées par une entreprise ayant son siège en République fédérale d'Allemagne (« République fédérale ») auprès de sociétés établies dans d'autres États membres. Dans le cadre de ce litige, le Finanzgericht de Hambourg vous pose quatre questions dont deux touchent à des problèmes très délicats. La juridiction souhaite en effet savoir si les juges inférieurs des États membres peuvent se prononcer sur la validité des actes communautaires — en l'espèce, il s'agit d'une décision adressée par la Commission à la République fédérale — et comment doivent être interprétées les dispositions qui régissent le recouvrement des droits à la lumière du protocole relatif au commerce intérieur allemand annexé au traité CEE.

    2. 

    Foto-Frost est une entreprise établie en République fédérale qui se livre à l'importation, à l'exportation et au commerce en gros d'articles photographiques. Entre le 23 septembre 1980 et le 9 juillet 1981, elle a acheté plusieurs lots de jumelles à prisme fabriquées par la société Carl Zeiss de léna (RDA). Mais, puisqu'il existe entre cette société et l'entreprise homonyme de Oberkochen (République fédérale) un accord qui prévoit que, pour entrer en Allemagne de l'Ouest, les produits de la première doivent traverser des pays tiers, l'achat a été effectué auprès de sociétés établies au Danemark et au Royaume-Uni et disposant de dépôts douaniers au Danemark et aux Pays-Bas. Les jumelles ont été en partie exportées (Italie, Afrique du Sud) et en partie revendues à d'autres entreprises qui, à leur tour, les ont exportées.

    La marchandise a été vendue, facturée et expédiée à Foto-Frost dans le cadre du régime du transit communautaire externe [articles 12 et suiv. du règlement no 222/77 du Conseil, du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire (JO 1977, L 38, p. 1)], qui permet le transport à l'intérieur de la Communauté de marchandises en provenance de pays tiers qui ne se trouvent pas en libre pratique dans un État membre sans qu'elles soient assujetties à des formalités douanières lors du passage d'un État membre à l'autre. Comme elle l'avait fait lors d'opérations antérieures et analogues, Foto-Frost a déclaré les jumelles aux fins de la mise en libre pratique, elle a produit les autorisations prescrites et demandé à être exonérée des droits à l'importation, conformément au protocole qui régit le commerce intérieur allemand. Puisque les marchandises avaient été fabriquées en RDA, les bureaux de douane ont accédé à la demande.

    Cette décision a cependant été contestée en septembre 1981 par le Hauptzollamt de Lübeck-Ost. Aux termes de l'article 1er du protocole relatif au commerce intérieur allemand du 25 mars 1957, a-t-il observé, les « échanges entre les territoires allemands régis par la loi fondamentale de la République fédérale et les territoires allemands où la loi fondamentale n'est pas d'application faisant partie du commerce intérieur allemand, l'application du traité n'exige aucune modification du régime actuel de ce commerce en Allemagne ». En d'autres termes, la réglementation vise les seuls échanges « directs » entre la République fédérale et la RDA et ne pouvait donc pas s'appliquer à des importations de marchandises qui ont traversé d'autres États.

    Malgré cela, a ajouté le bureau de douane, Foto-Frost n'aurait pas dû être assujettie au recouvrement des droits. L'entreprise satisfaisait, en effet, aux conditions énoncées à l'article 5, paragraphe 2, alinéa 1, du règlement no 1697/79 du Conseil, du 24 juillet 1979, concernant le recouvrement « a posteriori » des droits à l'importation ou des droits à l'exportation qui n'ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l'obligation de payer de tels droits (JO L 197, p. 1). En particulier, elle avait présenté en douane une déclaration dûment remplie et, dès lors que l'exonération lui avait été accordée plusieurs fois dans le passé, elle n'avait pas de raison de mettre en doute le bien-fondé de la décision prise à son égard par les bureaux de douane compétents.

    Donc, affaire classée? Non! Le montant des droits dépassait 2000 Êcus et, dans ces conditions, le Hauptzollamt n'a pas le pouvoir de décider directement de renoncer au recouvrement [article 4 du règlement no 1573/80 de la Commission, du 20 juin 1980 (JO L 161, p. 1)]. Le bureau a alors saisi le ministre fédéral des Finances qui a, à son tour, demandé à la Commission de décider, sur la base de l'article 6 de la même source de droit, si le recouvrement pouvait être évité en l'espèce. Par décision du 6 mai 1983 adressée à la République fédérale, la Commission s'est prononcée négativement. L'importatrice, a-t-elle fait observer, avait la possibilité de confronter la réglementation dont elle demandait le bénéfice et les circonstances dans lesquelles les importations s'étaient déroulées et elle était donc en mesure de déceler d'éventuelles erreurs commises par les autorités. En outre, il n'était pas exact qu'elle avait respecté toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne les déclarations en douane. Il y avait donc lieu de procéder au recouvrement des droits s'élevant à 64346,53 DM.

    A la suite de cette décision que ni l'État destinataire ni Foto-Frost n'ont attaquée devant la Cour, le Hauptzollamt a émis, le 22 juillet 1983, un avis de redressement exigeant de l'entreprise le paiement de la somme indiquée par la Commission et, en outre, de 12786,10 DM au titre de la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation. A ce stade, Foto-Frost a saisi le Finanzgericht de Hambourg en attaquant l'avis précité et en demandant qu'il soit sursis à son exécution. Par ordonnance rendue le 22 septembre 1983, le Finanzgericht a fait droit à cette demande. Il a en effet estimé que, selon le protocole relatif au commerce intérieur allemand, l'opération effectuée par l'entreprise devait être considérée comme exonérée des droits. Il y avait donc lieu de surseoir à l'exécution de l'avis de redressement en attendant d'établir, éventuellement après un renvoi devant la Cour de justice, si le recouvrement « a posteriori » était justifié.

    Reprenant l'affaire principale, le Finanzgericht a décidé de surseoir à statuer et de vous saisir des questions préjudicielles suivantes (29 août 1985).

    «1)

    Le juge national peut-il: a) apprécier la validité d'une décision arrêtée par la Commission conformément à l'article 6 du règlement no 1573/80 de la Commission, du 20 juin 1980, relatif à la renonciation au recouvrement « a posteriori » de droits à l'importation en application de l'article 5, paragraphe 2, du règlement no 1697/79 du Conseil, du 24 juillet 1979, et qui constate que cette renonciation est injustifiée; b) le cas échéant, décider dans le cadre d'une procédure engagée contre la décision d'application correspondante qu'il y a lieu de renoncer au recouvrement?

    2)

    En cas de réponse négative à la première question, sous a), la décision de la Commission du 6 mai 1983 — Réf. REC 3/83 — est-elle valide?

    3)

    En cas de réponse affirmative à la première question, sous a), l'article 5, paragraphe 2, du règlement no 1697/79 doit-il être interprété en ce sens qu'il permet d'arrêter une décision discrétionnaire et susceptible d'être contrôlée par le juge dans les limites des vices relatifs à l'exercice du pouvoir discrétionnaire ou bien une mesure d'équité dont la légalité peut, par conséquent, être contrôlée sous tout aspect?

    4)

    Au cas il n'y aurait pas lieu de renoncer au recouvrement des droits conformément à l'article 5, paragraphe 2, du règlement no 1697/79, les marchandises originaires de la RDA et acheminées en République fédérale via un autre État membre sous le régime du transit communautaire externe relèvent-elles du commerce intérieur allemand au sens du protocole du 25 mars 1957 de sorte qu'à l'importation de ces marchandises en République fédérale ni les droits de douane ni la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation ne peuvent être exigés ou, au contraire, ces marchandises doivent-elles être considérées comme importées de pays tiers de sorte qu'il y a lieu de percevoir les droits de douane communautaires conformément aux dispositions de la législation douanière ainsi que la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation conformément à l'article 2, paragraphe 2, de la sixième directive communautaire en matière d'harmonisation dans la Communauté européenne des taxes sur le chiffre d'affaires?»

    Dans notre procédure, des observations écrites ont été présentées par le Hauptzollamt de Lübeck-Ost, la Commission des Communautés européennes et la société Foto-Frost.

    3. 

    Aux fins d'une meilleure compréhension des faits que nous venons d'exposer et des problèmes sur lesquels vous êtes appelés à vous prononcer, il est utile de rappeler la réglementation communautaire en matière de recouvrement « a posteriori » des droits de douane à l'importation et du régime applicable au commerce intérieur allemand.

    Les dispositions communautaires figurent dans les articles, précités, 5, paragraphe 2, du règlement no 1697/79 du Conseil et 4 et 6 du règlement no 1573/80 de la Commission. Aux termes de la première disposition, les autorités nationales compétentes « peuvent ne pas procéder au recouvrement ‘a posteriori’ ... des droits à l'importation ... qui n'ont pas été perçus par suite d'une erreur ... qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable, ce dernier ayant ... agi de bonne foi et observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne sa déclaration en douane ». Les deux autres dispositions s'appliquent dans l'hypothèse où le montant des droits est égal ou supérieur à 2000 Écus. Dans ce cas dispose l'article 4, l'autorité précitée « saisit la Commission d'une demande de décision comportant tous les éléments d'appréciation... ». Et — ajoute l'article 6 —, après consultation d'un groupe d'experts nationaux réunis dans le cadre du comité des franchises douanières, la Commission « prend une décision établissant soit que la situation examinée permet de ne pas procéder au recouvrement des droits ..., soit qu'elle ne le permet pas ». La décision est ensuite notifiée à l'État dont les autorités ont demandé à l'institution de se prononcer.

    La directive 79/695/CEE du Conseil, du 24 juillet 1979, relative à l'harmonisation des procédures de mise en libre pratique des marchandises, mérite également d'être mentionnée (JO L 205, p. 19). En effet, son article 10, paragraphe 2, habilite les autorités nationales à contrôler et, le cas échéant, à modifier le montant des droits déjà appliqués.

    Passons au régime du commerce intérieur allemand. Comme on le sait, il se fonde sur trois groupes de dispositions: a) la convention signée à Berlin le 20 septembre 1951 entre la République fédérale et la RDA, relative tant au commerce entre les zones monétaires du mark qu'aux rapports entre les instituts d'émission des deux États; b) une série de lois et de règlements arrêtés au cours de la période d'occupation (1949 à 1950) par les gouvernements et par les commandants militaires alliés en matière de contrôle des changes et de circulation des marchandises; c) divers règlements d'application adoptés ultérieurement par le législateur fédéral, parmi lesquels, en dernier lieu, celui du 1er mars 1979 relatif aux échanges internationaux (Bundesgesetzblatt, I, p. 463).

    Les dispositions militaires mentionnées sous la lettre b), qui sont toujours en vigueur, interdisent, en principe, l'achat et la fourniture de marchandises entre les deux États allemands. Le gouvernement fédéral peut cependant déroger à cette interdiction et, dans ce cas, les opérations autorisées s'effectuent par voie de compensation: en d'autres termes, les paiements respectifs ne sont pas effectués en monnaie librement convertible, mais sont inscrits sur deux comptes tenus, pour la République fédérale, par la Deutsche Bundesbank et, pour la RDA, par la Staatsbank. Il y a plus. Comme cela s'est produit en l'espèce, lesdites opérations peuvent avoir lieu via un pays tiers et, par conséquent, comporter le risque que la RDA élude le mécanisme de la compensation en obtenant de la monnaie convertible. Pour éviter de telles fraudes, les mêmes dispositions instituent un système articulé en autorisations préalables et en contrôles postérieurs que le gouvernement de Bonn applique très rigoureusement.

    4. 

    Le problème soulevé par la première question du Finanzgericht est, à notre avis, l'un des plus scabreux que la Cour ait jamais eu à affronter. Il s'agit, en effet, de décider si, à la lumière de l'article 177 du traité CEE, les juges inférieurs des États membres sont compétents pour statuer sur la validité des actes communautaires soit directement, soit par ricochet, c'est-à-dire par le biais de jugements et d'ordonnances qui ont pour objet la validité ou l'exécution des mesures internes par lesquelles ces actes sont appliqués. Toutes les parties intervenues dans notre procédure vous invitent à répondre négativement. Disons immédiatement que nous vous proposerons nous aussi de statuer en ce sens, mais avec une exception, avec certains doutes et, surtout, non sans quelques appréhensions quant à l'accueil que recevrait un arrêt conforme à cette suggestion.

    Nos doutes et nos inquiétudes procèdent de la constatation d'une double réalité: le nombre considérable des jugements nationaux publiés qui ont accueilli ou pratiquement appliqué la solution contraire et la force des arguments sur lesquels elle repose. Les décisions que nous venons de mentionner sont au moins au nombre de dix et, dans sept d'entre elles, la compétence des juges nationaux est affirmée sans ambages et sans limites en tant que principe que l'on peut déduire de l'article 177: nous faisons allusion aux jugements rendus entre 1966 et 1968 par la deuxième chambre du Verwaltungsgericht de Francfort-sur-le-Main (le 12 décembre 1966, nos AZ II/2 986/66 et II/2 987/66, le 23 août 1967, no AZ II/2 E 24/67, le 13 décembre 1967, no AZ II/2 E 79/67, le 22 mai 1968, no AZ II/2 E 20/68 et le 27 novembre 1968, no AZ II/2 E 33/68) et, plus récemment, par le Finanzgericht de Munich. En effet, le 11 septembre 1985, cette dernière juridiction a déclaré tout court invalide une décision par laquelle la Commission avait dans un cas spécifique établi que la franchise des droits de douane ne devait pas s'appliquer.

    Les trois autres jugements sont moins explicites et, en tout cas, ne sont pas directement fondés sur l'article 177. Par ordonnance rendue le 15 juillet 1970, le Finanzgericht de Düsseldorf a décidé de ne pas interroger la Cour sur la question de la compétence, parce que, a-t-il affirmé, d'impérieuses raisons d'économie de procédure incitaient à attendre que fût clarifié dans son ensemble le cadre des problèmes suceptibles de renvoi. Tout aussi pragmatique a été la ligne suivie par la High Court anglaise. Le 24 octobre 1985, elle a reconnu que la compétence pour statuer sur la validité des actes communautaires est réservée à la Cour de Luxembourg; toutefois, cela ne l'a pas empêché de déclarer invalide une disposition réglementaire en appliquant la décision que vous avez prise dans l'arrêt Man Sugar, dans une espèce et à l'égard d'une disposition d'un contenu analogue (arrêt rendu le 24 septembre 1985 dans l'affaire 181/84, Rec. p. 2889).

    Enfin, l'arrêt rendu le 28 mars 1985 par l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main. De l'avis également de cette juridiction, le contrôle des actes des institutions du point de vue de la validité relève en règle générale de la Cour de justice. Une compétence du juge national (ou, en tout cas, allemand) est cependant concevable dans deux situations exceptionnelles: la première procède d'une jurisprudence bien connue de la Bundesverfaßungsgericht (voir arrêt rendu le 29 mai 1974) et se présente lorsque la compatibilité d'un acte communautaire avec le catalogue des droits fondamentaux garantis par le « Grundgesetz » est en cause. La seconde intervient lorsque les délais exigés par le renvoi préjudiciel empêchent d'assurer aux opérateurs économiques une protection efficace. Dans cette hypothèse, qui se concrétise dans les seules procédures en référé, le juge peut ne pas appliquer les actes « manifestement invalides » au regard du droit communautaire.

    Venons-en aux arguments invoqués à l'appui du premier groupe de jugements. Les auteurs de ceux-ci et les juristes qui les approuvent s'appuient surtout sur la lettre de l'article 177 en en tirant un syllogisme d'une force incontestable. Sous la lettre b) de l'alinéa 1, affirme-t-on d'abord, «validité » et « interprétation » des actes sont placés sur le même plan. Dans les deux alinéas suivants, ajoute-t-on, il est disposé que, lorsqu'une « telle question » est soulevée, seules les juridictions de dernière instance doivent interroger la Cour alors que les juges dont les décisions sont susceptibles de recours en ont la faculté. Donc, conclut-on, l'alinéa 2 ne peut pas ne pas être interprété en ce sens que la compétence de statuer sur la validité des dispositions communautaires est attribuée à ces juges.

    Selon le Verwaltungsgericht de Francfort, les arguments précités seraient par ailleurs corroborés par une comparaison entre notre disposition et l'article 100 du « Grundgesetz ». Selon ce dernier, en effet, tout juge a l'obligation de saisir la Cour constitutionnelle du dossier s'il estime que la disposition dont l'applicabilité est litigieuse est contraire aux dispositions de la loi fondamentale; le caractère moins péremptoire de la formule contenue dans l'article 177 est donc lui-même une preuve du pouvoir d'appréciation que le traité réserve aux juges des États membres.

    On objecte, poursuit la doctrine, que l'octroi de ce pouvoir est le fruit d'une erreur matérielle ou d'une distraction commise par les rédacteurs de l'article 177 dans la coordination des deux premiers alinéas. Mais, pour écarter la plausibilité de cette hypothèse, il suffit de rappeler que les auteurs du traité CEE avaient devant les yeux le modèle de l'article 41 du traité CECA qui consacre la compétence exclusive de la Cour. Ils auraient pu confirmer ce principe. Au contraire, ils ne l'ont pas fait précisément parce qu'ils étaient inspirés par une orientation différente qui consistait à promouvoir les juges nationaux au rang de véritables juges communautaires en les chargeant d'appliquer le droit correspondant et, partant, également de ne pas appliquer les actes considérés comme invalides (voir Couzinet, « Le renvoi en appréciation de validité devant la Cour de justice des Communautés européennes », dans Revue trimestrielle de droit européen, 1976, p. 660, et Braguglia, « Effeti della dichiarazione d'invalidità degli atti comunitari nell'ambito dell'articolo 177 del Trattato CEE », dans Diritto communitario e degli scambi internazionali, 1978, p. 667).

    D'autre part, enchaîne-t-on, l'exclusion du système CECA et la compétence de statuer sur la validité qui découle implicitement de la faculté visée à l'alinéa 2 de l'article 177 présentent l'avantage non négligeable d'éviter que Luxembourg soit submergé par un déluge de renvois et que, de ce fait, les délais des procédures au principal s'allongent au-delà du tolérable. Et il ne faut pas exagérer le risque d'une application divergente du droit communautaire que cette faculté et cette compétence comportent indubitablement. La décision du juge national qui constate l'invalidité d'une disposition arrêtée par les institutions est, en fait, privée de portée générale, c'est-à-dire qu'elle ne sort pas du cadre du litige. Il est toujours possible de former contre elle un recours. En tout cas, l'obligation de saisir la Cour qui est faite au juge de dernière instance comble toute brèche éventuelle en garantissant, fût-ce à terme, que les dispositions communautaires soient appliquées sur la base de critères uniformes.

    Votre jurisprudence offrirait également des arguments plaidant en faveur de la thèse en question. Dans l'arrêt rendu le 13 février 1979 dans l'affaire 101/78 (Granaria BV/Hoofdproduktschap voor Akkerbouwprodukten, Rec. p. 623), on lit en effet que « tout règlement ... doit être présumé valide tant qu'une juridiction compétente n'a pas constaté son invalidité; ... cette présomption peut être dégagée, d'une part, des articles 173, 174 et 184 ..., qui réservent à la seule Cour de justice le pouvoir de contrôler la légalité des règlements, et, ... d'autre part, de l'article 177, qui donne à cette même Cour le pouvoir de se prononcer en dernier ressort sur la validité des règlements » (point 4, souligné par nous). La distinction que ce passage introduit entre les deux compétences de la Cour ne pourrait pas — observe-t-on — être plus limpide. Lorsqu'il s'agit non pas d'« annuler » mais de « constater ... (l')invalidité » dans le cadre d'une procédure préjudicielle, les juges de Luxembourg statuent seulement à titre définitif: la « juridiction compétente » ordinaire est donc nécessairement la juridiction de l'État membre.

    Et que l'on ne dise pas que cette conclusion est en contradiction avec ce que la Cour a affirmé dans l'arrêt Firma Schwarze (1er décembre 1965, affaire 16/65, Rec. p. 1081). A première vue, l'obiter dictum que l'on cite communément de cet arrêt — « en décider autrement reviendrait à laisser les juridictions nationales statuer elles-mêmes sur la validité des actes communautaires» (p. 1095) — paraîtrait revendiquer pour la Cour une compétence exclusive. Mais les choses se présentent différemment. D suffit, en effet, de lire le passage à la lumière de celui qui le précède immédiatement (« lorsqu'il apparaît que le véritable objet des questions posées par une juridiction nationale relève de l'examen de la validité plus que de l'interprétation des actes communautaires, il appartient à la Cour d'éclairer immédiatement ladite juridiction ») pour comprendre que les juges de Luxembourg entendaient poser un tout autre principe: à savoir leur pouvoir de répondre non pas à ce que la juridiction de renvoi semble demander (une interprétation), mais à ce qu'elle demande réellement derrière l'écran de termes ou de concepts impropres (le contrôle de la validité) (Couzinet, précité).

    En outre, la véritable démarche de la Cour dans la matière qui nous occupe ressort avec une clarté particulière d'un document non juridictionnel. Dans ses « suggestions sur l'union européenne » (1975), on lit que « corrélativement (à l'extension de la procédure préjudicielle à tout domaine nouveau pouvant résulter du futur traité comme de tout autre convention entre États membres) une disposition devrait prévoir qu'aucune juridiction nationale ne puisse considérer un acte communautaire comme privé de validité que si la Cour, préalablement saisie, a statué en ce sens, comme il en est dans le cadre CECA » (Supplément au Bulletin des Communautés européennes, 9/75, p. 21). La déduction à laquelle ces termes se prêtent est évidente: précisément parce que l'on suggère de le lui retirer, il n'est pas douteux que le juge détient actuellement, de iure condito, le pouvoir d'apprécier la validité de l'acte communautaire.

    5. 

    Parmi les arguments ainsi résumés, les derniers — c'est-à-dire ceux qui sont tirés de la jurisprudence de la Cour — nous semblent les moins significatifs. Le fait est que la question qui vous est posée par le Finanzgericht de Hambourg constitue une absolue nouveauté. Ce n'est qu'aujourd'hui que vous y êtes confrontés ex professo. Les réflexions que vous lui avez consacrées dans le passé en statuant sur des problèmes d'un tout autre genre et donc sous la forme d'obiter dicta (entre autres, si notre impression est exacte, délibérement ambiguës) sont de ce fait même très peu éclairantes. En tout cas, il est certain qu'elles — et d'autant plus les propositions de politique législative dont vous vous êtes occupés il y a douze ans — ne vous engagent aucunement.

    Comme nous l'avons déjà dit, les arguments fondés sur la lettre de l'article 177 sont en revanche solides: solides mais également productifs de résultats si redoutables et si anormaux qu'ils estompent l'incontestable embarras que l'on éprouve en les rejetant. Nous partageons en somme le point de vue des auteurs pour lesquels l'interprétation littérale de la disposition donne lieu à des conséquences « undesirable », « improper » ou susceptibles de créer de « grave problems ». Et, puisque ces conséquences ne pouvaient pas échapper aux auteurs du traité, nous considérons nous aussi que la formulation « elliptique » de notre disposition doit être imputée à une méprise singulière, mais non impossible de leur part (Tomuschat, Die gerichtliche Vorabentscheidung nach den Verträgen über die europäischen Gemeinschaften, Cologne, 1964, p. 57 et suiv.; Schumann, « Deutsche Richter und Gerichtshof der europäischen Gemeinschaften », dans Zeitschrift fiir Zivilprozeß, 1965, p. 119 et suiv.; Bebr, «Examen en validité au titre de l'article 177 du traité CEE et cohésion juridique de la Communauté », dans Cahiers de droit européen, 1975, p. 384; Hartley, The Foundations of European Community Law, Oxford, 1981, p. 265; Brown et Jacobs, The Court of Justice of the European Communities, Londres, 1983, p. 154 et suiv.; Schermers, Judicial Protection in the European Communities, Deventer, 1983, p. 232; Boulouis, Droit institutionnel des Communautés européennes, Paris, 1984, p. 213).

    Les anomalies auxquelles aboutit la thèse que nous vous invitons à rejeter sont au moins au nombre de quatre. La première, et, peut-être, la plus voyante, est un paradoxe: en d'autres termes, cette thèse attribue aux juges inférieurs un pouvoir — le contrôle de la validité des actes — que l'alinéa 3 de l'article 177 soustrait explicitement aux juridictions de dernière instance (Bebr, précité, Telchini, « Le pronunzie sulla validità degli atti comunitari secondo la giurisprudenza della Corte di giustizia », dans Diritto comunitario e degli scambi internazionali, 1978, p. 257). Le deuxième inconvénient pourtant est décisif: la contradiction que la reconnaissance du pouvoir en question suscite dans le système dans lequel prend corps le contrôle de la légalité communautaire. Comme nous le savons, les articles 173 et 174 confient cette tâche à la seule Cour de justice. On ne comprend pas pourquoi l'exclusivité ainsi consacrée doit céder le pas lorsque c'est le juge national et non l'intéressé qui saisit les juges de Luxembourg. Certes, l'intervention de celui-là est loin de se limiter à une transmission de documents et réduit, par conséquent, l'étendue de l'œuvre que la Cour est appelée à effectuer. Mais, dans le cadre qu'elle lui laisse, elle ne modifie pas la nature de cette œuvre. En d'autres termes, observe Bebr, l'appréciation préjudicielle de la validité des actes communautaires reste un « contrôle constitutionnel », fût-ce « larvé ».

    Mais il y a plus. La contradiction que nous venons d'évoquer n'est pas seulement injustifiable du point de vue logique. Elle comporte de lourdes conséquences institutionnelles: c'est-à-dire qu'elle porte atteinte au principe posé par l'article 189 en vertu duquel les actes arrêtés par les institutions doivent être appliqués d'une manière uniforme sur l'ensemble du territoire communautaire. Or ce principe répond à un double objectif: assurer la sécurité du droit et — aussi, si ce n'est pas encore plus crucial — garantir la cohésion juridique de la Communauté. Donc, qu'il en soit ou non conscient, le juge de l'État membre qui élargit la portée de son intervention jusqu'à constater l'invalidité d'une disposition communautaire introduit à l'intérieur du système un facteur de désagrégation. En termes plus explicites, son jugement ouvre une brèche dans le fondement sur lequel repose l'organisme né du traité de Rome.

    On objecte que cette remarque vaut également pour le jugement par lequel l'acte communautaire se trouve interprété d'une manière aberrante ou même seulement non conforme à la lecture qui en est faite par d'autres jugements nationaux et on en déduit qu'elle aboutit à considérer comme non écrit dans son ensemble l'alinéa 2 de l'article 177. Mais cette critique ne tient pas. En effet, l'interprétation d'une disposition implique aussi toujours l'intention de l'appliquer.

    Le juge qui agit en ce sens sans la coopération de la Cour de justice et, comme cela peut parfaitement se produire, qui aboutit à des résultats erronés ou carrément absurdes lésera donc une série d'intérêts, même de nature communautaire. Il est certain cependant qu'il n'entrera pas en conflit avec l'article 189 ou, à tout le moins, qu'il ne compromettra pas la substance même de la règle qu'il sanctionne. En revanche, la constatation d'invalidité ne peut pas ne pas être suivie de la non-application de la disposition; dans son cas, en somme, cette substance est certainement compromise.

    Certainement et, ajouterons-nous, dans de nombreux cas irrémédiablement. Le Verwaltungsgericht de Francfort et une partie de la doctrine — nous l'avons vu — le nient en relevant que la disposition est appliquée non pas en termes généraux et abstraits, mais dans le simple cadre d'un litige et que le jugement correspondant est toujours susceptible d'appel. Toutefois, cet argument ne tient pas compte, d'une part, du fait que maints actes communautaires (en matière de concurrence, d'aides d'État, de procédures antidumping ou encore dans des situations comme celle dont nous sommes en train de traiter) sont ponctuels, c'est-à-dire qu'ils visent un ou plusieurs sujets déterminés. Et, d'autre part, il néglige le fait qu'un recours de l'organisme national intéressé n'est jamais certain. En effet, comme l'observe un juriste espagnol en en tirant d'intéressants corollaires sur la faiblesse de notre système d'administration indirecte, rien ne garantit que cet organisme identifie son intérêt avec celui de la Communauté (Pelâez Marón, « Ambito de la apreciación prejudicial de validez de los actos comunitarios », dans Revista de las instituciones europeas, 1985, p. 758).

    Nous avons parlé de quatre inconvénients. Les deux derniers ont un caractère pratique, mais, pour autant, n'en revêtent pas moins d'importance. Nous dirons d'abord que le contrôle de la validité des actes communautaires est une opération délicate qui implique une connaissance parfaite des dispositions de référence, souvent rédigées dans un jargon difficile voire ésotérique, ou de données économiques qui ne sont pas facilement accessibles (« was there », comme la doctrine en fournit l'exemple, « a surplus of apples or of mushrooms in the Community, at a certain date? »); donc, une opération pour laquelle le juge national est peu outillé ou, en tout cas, beaucoup moins outillé que la Cour de justice (Koopmans, « The Technique of the Preliminary Question — A view from the Court of Justice », dans IMC Asser Instituut, Article 177: Experiences and Problems, North-Holland, 1987, p. 330). En second lieu, ce juge ne pourrait jamais limiter dans le temps les effets du jugement par lequel il constate l'invalidité d'un acte comme cela est en revanche permis à la Cour sur la base de la jurisprudence célèbre qui a étendu aux recours préjudiciels la règle de l'article 174. Son contrôle laisserait donc irrésolus les problèmes économiques auxquels cette extension entend remédier avec des conséquences potentiellement destructives sur le fonctionnement du marché commun.

    Si toutes ces observations sont exactes, la conclusion que nous avons annoncée d'emblée paraît non pas irréfutable, mais certainement raisonnable et, en tout cas, plus satisfaisante que la conclusion contraire. Nous la résumerons en une simple proposition: le juge national qui nourrit des doutes sur la validité de la disposition communautaire devra surseoir à statuer et saisir la Cour (voir, outre la doctrine précitée, Ehle, « Inzidenter Rechtsschutz gegen Handlungen der Europäischen Gemeinschaftsorgane », dans Monatsschrift für Deutsches Recht, 1964, p. 720; Constantinesco, Das Recht der Europäischen Gemeinschaften, I, Baden-Baden, 1977, p. 827; Daig, « Artikel 177 », dans Kommentar zum EWG-Vertrag, troisième édition, II, 1983, p. 395; Donner, « Les rapports entre la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes et les tribunaux internes », dans Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye, 1965, p. 39; Plouvier, Les décisions de la Cour de justice des Communautés européennes et leurs effets juridiques, Bruxelles, 1975, p. 252; Waelbroeck, « Commentaire à l'article 177 », dans Le droit de la Communauté économique européenne, X, Bruxelles, 1983, p. 209).

    En revanche, rien n'obligera notre magistrat à vous saisir si une partie lui demande de ne pas appliquer un acte et s'il estime qu'il y a lieu de rejeter ses moyens. En l'occurrence, la faculté que lui reconnaît l'alinéa 2 de l'article 177 est pleinement opérante et cette donnée, qui exclut précisément la réduction de son rôle à une simple « transmission de documents », atténue l'inconvénient que nous avons évoqué au début du point 4. Après tout, la solution que nous vous suggérons ne se heurte pas de front à la lettre de la disposition, mais implique seulement que le concept d'« une telle question » soit appréhendé d'une manière restrictive, c'est-à-dire comme un problème que le juge est enclin à résoudre dans le sens de la validité.

    Quelques mots encore pour défendre la solution précitée de quelque tentative visant à en restreindre la portée. Ainsi est-il aisé de répondre à celui qui observe que le juge pourra ne pas être habilité à constater l'invalidité de l'acte communautaire, mais est certainement compétent pour annuler la mesure nationale d'application, que les deux réglementations sont en général trop étroitement liées pour faire l'objet d'une appréciation distincte. L'espèce présente en apporte précisément la preuve. Il résulte des dispositions combinées des articles 5, paragraphe 2, deuxième phrase, et 10 du règlement no 1697/79 que la décision relative au recouvrement « a posteriori » est adoptée dans le cadre d'une procédure spéciale au niveau communautaire. Si le Finanzgericht avait d'une manière définitive écarté l'application de la décision correspondante du Hauptzollamt de Lübeck-Ost, le délai triennal fixé pour le recouvrement par l'article 2 de la même source de droit aurait risqué d'arriver à expiration au cours de la procédure d'appel.

    On ne peut pas non plus admettre la thèse, soutenue dans la doctrine, selon laquelle le juge peut ne pas appliquer l'acte communautaire au moins lorsqu'il est « clairement illégal » (Couzinet, précité, p. 662). Elle est rejetée par votre jurisprudence. Il y a lieu d'en rappeler en particulier les arrêts Granaria BV, précité, selon lequel tout acte doit être présumé valide tant que la Cour n'a pas constaté son invalidité, et International Chemical Corporation (arrêt du 13 mai 1981 dans l'affaire 66/80, Rec. p. 1191), dont il ressort que l'illégalité manifeste d'un acte suppose une constatation précédente et conforme de la part de la Cour.

    6. 

    Nous avons indiqué ci-dessus que l'incompétence du juge national pour se prononcer sur la validité des actes communautaires connaît une « exception ». Nous observons à présent que celle-ci s'inscrit dans une hypothèse bien déterminée: le problème de validité doit se poser dans le cadre d'une procédure sommaire sans qu'il importe de savoir si elle est pendante devant une juridiction inférieure ou devant une juridiction de dernière instance.

    Comme nous l'avons vu, l'Oberlandes-gericht de Francfort-sur-le-Main s'est prononcé dans le même sens. Mais une partie importante de la doctrine (Astolfi, « La procédure suivant l'article 177 CEE », dans Sociaal-Economische Wetgeving, 1965, p. 463; Ferrari-Bravo, « Commento all'articolo 177 », dans Commentario CEE, Milano, 1965, III, p. 1325; Bertin, « Le juge des référés et le droit communautaire », dans Gazette du Palais, 1984, doctrine, p. 48; Daig, op. cit., p. 403) et, ce qui compte le plus, votre jurisprudence partagent également cette orientation. L'arrêt rendu le 24 mai 1977 dans l'affaire 107/76 (Hoffmann-La Roche/Centrafarm, Rec. p. 957) affirme en effet que « l'article 177, alinéa 3 ... doit être interprété en ce sens qu'une juridiction nationale n'est pas tenue de saisir la Cour d'une question d'interprétation ou de validité ... lorsque la question est soulevée dans une procédure en référé ..., même si la décision (correspondante) ... ne peut plus faire l'objet d'un recours, à condition qu'il appartienne à chacune des parties d'ouvrir ... une procédure au fond, au cours de laquelle la question provisoirement tranchée ... peut être réexaminée et faire l'objet d'un renvoi en vertu de l'article 177 ».

    Cette interprétation se fonde évidemment sur l'exigence que le tribunal de Francfort a si bien clarifiée, à savoir d'éviter que les délais exigés par le renvoi préjudiciel rendent vaine la protection provisoire que l'opérateur recherche au moyen de l'ouverture de la procédure sommaire. Aux conditions auxquelles l'Oberlandesgericht et la Cour subordonnent la dérogation nous ajouterions cependant l'impossibilité de recourir à d'autres remèdes comme le recours en annulation au titre de l'article 173 dans le cadre duquel, comme on le sait, des mesures d'urgence peuvent être demandées.

    7. 

    La deuxième question du Finanzgericht vise à établir si la décision du 6 mai 1983 adressée par la Commission à la République fédérale d'Allemagne est valide. La réponse de Foto-Frost est négative et s'appuie sur deux arguments: a) lorsque les conditions pour l'application de l'article 5, paragraphe 2, alinéa 1, du règlement no 1697/79 sont réunies, la Commission est tenue de décider qu'il n'y a pas lieu de recouvrer les droits; b) en l'espèce, ces conditions sont remplies.

    L'affirmation sous la lettre a) se fonde sur une lecture de l'article 5, paragraphe 2, faite par référence au paragraphe 1 de la même disposition et au deuxième considérant de l'acte qui la contient. Le paragraphe 1 dispose en effet que dans certains cas « aucune action en recouvrement ne peut être engagée par les autorités compétentes » et le deuxième considérant ajoute que « l'exercice d'une action en recouvrement ne paraît en aucun cas justifié lorsque la liquidation primitive des droits ... a été établie sur la base ... d'éléments de taxation ... reconnus (par les autorités compétentes) comme conformes à ceux déclarés par le redevable » (souligné par nous). La réglementation — en déduit Foto-Frost — privilégie la sécurité des situations juridiques par rapport au paiement des droits à concurrence du montant dû. Et il est évident que cette finalité a une influence sur l'interprétation de l'article 5, paragraphe 2. En conséquence, si le montant des droits est supérieur à 2000 Écus et si les conditions prévues par la disposition sont remplies, la Commission pourra seulement inviter les autorités nationales à renoncer au recouvrement.

    Cette thèse est privée de fondement. En effet, l'article 5, paragraphe 2, dispose d'une manière explicite que les autorités nationales peuvent ne pas procéder au recouvrement des droits et l'article 6 du règlement no 1573/80 prévoit avec non moins de clarté que la Commission « prend une décision établissant soit que la situation examinée permet de ne pas procéder au recouvrement des droits ..., soit qu'elle ne le permet pas ». En outre, s'il est vrai que les dispositions rappelées par la demanderesse tendent à garantir aux redevables un maximum de sécurité, il nous paraît à tout le moins exagéré d'affirmer la prééminence de cette valeur sur l'acquittement correct de la dette. L'article 10, paragraphe 2, de la directive 79/695, selon lequel les autorités nationales sont habilitées à contrôler et à modifier les droits déjà appliqués, laisse plutôt à penser que c'est l'intérêt d'assurer aux caisses communautaires les meilleures rentrées possibles qui est privilégié.

    Le deuxième argument de Foto-Frost procède de la conviction qu'en l'espèce les conditions posées par l'article 5, paragraphe 2, étaient remplies. Il est vrai que l'erreur a été commise par l'autorité douanière allemande qui n'a pas appliqué correctement le protocole du 25 mars 1957, et l'entreprise ne pouvait pas le savoir dès lors que: a) la même autorité l'avait toujours exonérée des droits pour des importations de marchandises fabriquées en RDA; b) l'applicabilité des droits aux marchandises litigieuses était douteuse comme le Finanzgericht lui-même l'a admis dans l'ordonnance du 22 septembre 1983; c) Foto-Frost ne disposait pas en tout cas des moyens nécessaires pour vérifier sa situation juridique. Enfin, le grief selon lequel Foto-Frost n'aurait pas observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne les déclarations en douane, et que la Commission lui adresse dans la décision du 6 mai 1983, n'est manifestement pas motivé.

    Cette dernière observation est sans aucun doute exacte (voir la réponse écrite donnée par la Commission à la question posée à cet égard par la Cour). Le reste de l'argumentation est en revanche indéfendable. Une entreprise qui importe habituellement en République fédérale des marchandises originaires de la RDA ne peut pas ne pas être au courant de la réglementation applicable au commerce interallemand. En particulier, elle ne peut pas ne pas savoir qu'au moins en ce qui concerne les opérations « triangulaires », c'est-à-dire celles qui sont effectuées via des pays tiers, l'exonération des droits est exclue par la jurisprudence nationale la plus autorisée (voir Bundesfinanzhof, arrêt rendu le 3 juillet 1958, dans Zeitschrift Jur Zölle und Verbrauchssteuern, 1958, p. 373). On ne peut donc pas dire que la Commission a exagéré en reprochant à la demanderesse de ne pas avoir agi de bonne foi ou avec le minimum de diligence auquel l'article 5, paragraphe 2, du règlement no 1697/79 subordonne la renonciation au recouvrement des droits.

    8. 

    Formulée dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la première question, la troisième question peut être laissée de côté. Il reste donc à répondre à la quatrième. Le Finanzgericht, rappelons-le, vous demande d'établir si les marchandises originaires de la RDA et introduites en République fédérale via un autre État membre, sur la base de la procédure du transit communautaire externe, relèvent du commerce intérieur allemand au sens du protocole annexé au traité CEE et sont, par conséquent, exonérées de droits de douane ou si elles doivent être considérées comme importées de pays tiers avec les conséquences auxquelles cette condition donne lieu en matière de droits de douane et de taxe sur le chiffre d'affaires.

    Foto-Frost vous invite à répondre dans le premier sens. Il est incontestable, reconnaît-elle, que les opérations triangulaires ont été définies par une disposition postérieure au protocole (article 16 du règlement fédéral du 1er mars 1979). Mais il est vrai également que la réglementation en vigueur au moment où le traité de Rome a été signé n'excluait pas leur aptitude à relever du commerce intérieur allemand (voir Bundesfinanzhof, arrêt du 12 février 1980, et Bundesverwaltungsgericht, arrêt du 26 juin 1981, dans Zeitschrift fiir Zölle und Verbrauchssteuern, 1980, p. 247, et 1982, p. 55, respectivement). Votre jurisprudence est encore plus explicite. L'arrêt rendu le 27 septembre 1979 dans l'affaire 23/79 (Geflügelschlachterei Freystadt GmbH/Hauptzollamt Hamburg-Jonas, Rec. p. 2789) a en effet affirmé que, pour déterminer si le protocole s'applique à une opération donnée, les modalités de celle-ci et l'itinéraire suivi par la marchandise sont sans pertinence.

    Quant à la taxe sur le chiffre d'affaires, la société rappelle la déclaration du gouvernement allemand concernant l'article 3 de la sixième directive du Conseil en matière d'harmonisation des législations des États membres régissant cette matière. Selon ce texte, le territoire de la RDA est considéré comme territoire national allemand du point de vue de la taxe précitée. Comme l'a ensuite reconnu le ministère fédéral des Finances, elle n'est donc pas applicable à des marchandises qui se trouvent en libre pratique dans la zone monétaire du mark de la RDA et sont introduites en République fédérale d'Allemagne dans le cadre du commerce intérieur allemand.

    Il y a lieu de rejeter l'argument dans son ensemble. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer que le protocole du 25 mars 1957 vise explicitement le « régime actuel» du commerce intérieur allemand (souligné par nous). C'est pourquoi — et le juge au principal lui-même l'admet, modifiant ainsi la thèse qu'il avait soutenue dans l'ordonnance du 22 septembre 1983 — il ne peut se référer qu'à la réglementation en vigueur à l'époque de la signature du traité. Or, le gouvernement allemand et la Commission ont déclaré sans être démentis que les opérations triangulaires étaient alors assujetties à des droits à l'importation. Donc, même si on les considère comme couvertes par le protocole, ce dernier ne peut pas avoir pour effet de les exonérer des droits et, naturellement, de la taxe sur le chiffre d'affaires.

    9. 

    Eu égard aux considérations qui précèdent, nous vous proposons de répondre comme suit aux questions préjudicielles énoncées par le Finanzgericht de Hambourg dans l'ordonnance du 29 août 1985; rendue dans l'affaire pendante devant lui entre la société Foto-Frost et le Hauptzollamt de Lübeck-Ost:

    «1)

    Le principe de l'application uniforme du droit communautaire dérivé dans tous les Etats membres, que sanctionne l'article 189 du traité CEE, exige d'interpréter l'alinéa 2 de l'article 177 en ce sens qu'une juridiction nationale, lorsqu'elle a des doutes sur la validité d'un acte communautaire, doit surseoir à statuer et demander à la Cour de se prononcer sur la question.

    A titre d'exception, lorsque les justiciables ne disposent pas d'une autre forme de protection juridictionnelle et, en particulier, s'ils n'ont pas le droit de former le recours en annulation au titre de l'article 173, le juge de la procédure sommaire n'est pas tenu de soumettre à la Cour une question de validité, à condition que les parties puissent ouvrir une procédure au fond au cours de laquelle la question provisoirement tranchée dans la procédure précitée peut être réexaminée et, partant, faire l'objet d'un renvoi en vertu de l'article 177.

    2)

    Il n'existe pas d'éléments susceptibles d'entacher la validité de la décision, Réf. REC 3/83, arrêtée le 6 mai 1985 par la Commission des Communautés européennes.

    3)

    Le protocole relatif au commerce intérieur allemand, annexé au traité CEE, concerne le régime auquel ce commerce était soumis lors de la signature du traité. Il permet donc d'exonérer des droits à l'importation les seules importations de marchandises originaires de la République démocratique allemande qui, à l'époque, bénéficiaient de ce traitement. »


    ( *1 ) Traduit de l'italien.

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