This document is an excerpt from the EUR-Lex website
Document 62019TJ0047
Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 9 juin 2021.
Dansk Erhverv contre Commission européenne.
Aides d’État – Vente de boissons en canettes dans des commerces frontaliers en Allemagne aux résidents étrangers – Exonération de la consigne à condition de consommer hors du territoire allemand les boissons achetées – Plainte – Décision de la Commission de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Qualité pour agir – Recevabilité – Conditions d’ouverture d’une procédure formelle d’examen – Erreur de droit – Difficultés sérieuses – Notion d’“aide d’État” – Ressources d’État – Absence d’imposition d’une amende.
Affaire T-47/19.
Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 9 juin 2021.
Dansk Erhverv contre Commission européenne.
Aides d’État – Vente de boissons en canettes dans des commerces frontaliers en Allemagne aux résidents étrangers – Exonération de la consigne à condition de consommer hors du territoire allemand les boissons achetées – Plainte – Décision de la Commission de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Qualité pour agir – Recevabilité – Conditions d’ouverture d’une procédure formelle d’examen – Erreur de droit – Difficultés sérieuses – Notion d’“aide d’État” – Ressources d’État – Absence d’imposition d’une amende.
Affaire T-47/19.
Court reports – general
ECLI identifier: ECLI:EU:T:2021:331
Affaire T‑47/19
Dansk Erhverv
contre
Commission européenne
Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 9 juin 2021
« Aides d’État – Vente de boissons en canettes dans des commerces frontaliers en Allemagne aux résidents étrangers – Exonération de la consigne à condition de consommer hors du territoire allemand les boissons achetées – Plainte – Décision de la Commission de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Qualité pour agir – Recevabilité – Conditions d’ouverture d’une procédure formelle d’examen – Erreur de droit – Difficultés sérieuses – Notion d’“aide d’État” – Ressources d’État – Absence d’imposition d’une amende »
Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Phase préliminaire et phase contradictoire – Qualification d’une mesure en tant qu’aide d’État – Obligation de la Commission d’ouvrir la procédure contradictoire en cas de difficultés sérieuses – Circonstances permettant d’attester de l’existence de telles difficultés – Indices tirés du contenu de la décision attaquée
(Art. 107, § 1, et 108, § 3, TFUE)
(voir points 48, 164, 173, 174, 176, 177, 179-181, 185-190, 192-195, 197-203)
Aides accordées par les États – Notion – Appréciation dans le seul cadre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE – Obligation de prendre en considération des obligations incombant à l’État membre résultant de dispositions de droit de l’Union autres que celles relatives aux aides d’État – Absence – Intégration des exigences de la protection de l’environnement ayant vocation à se réaliser au niveau de l’examen de la compatibilité d’une aide et non de l’examen de son existence
(Art. 11 et 107, § 1, TFUE ; directive du Parlement européen et du Conseil 94/62)
(voir points 58-68)
Aides accordées par les États – Notion – Appréciation dans le seul cadre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE – Obligation de prendre en considération des obligations incombant à l’État membre résultant de dispositions de droit national – Absence
(Art. 107, § 1, TFUE)
(voir points 58-62, 69-73)
Aides accordées par les États – Notion – Aides provenant de ressources de l’État – Système de consigne pour certains emballages incluant la taxe sur la valeur ajoutée – Non perception de la taxe sur la valeur ajoutée – Conséquence indirecte du mécanisme de dispense de consigne, inhérente à l’absence de perception de la consigne – Exclusion
(Art. 107, § 1, TFUE)
(voir points 89-104)
Aides accordées par les États – Notion – Aides provenant de ressources de l’État – Système de consigne pour certains emballages assorti d’une amende en cas de non-perception – Dispense de consigne résultant non d’une autorisation préalable et transparente édictée par un texte mais d’une simple interprétation de la réglementation en vigueur par les autorités en charge de la mise en œuvre du système – Absence d’imposition d’une amende pour non-perception d’une consigne – Critère pour conclure à l’absence de ressources de l’État – Difficultés d’interprétation de la réglementation applicable dans l’exercice des prérogatives de puissance publique – Applicabilité – Conditions – Caractère temporaire des difficultés d’interprétation de la réglementation – Exigence d’un processus de clarification graduelle des normes
(Art. 107, § 1, TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 49, § 1)
(voir points 130-137, 140-157)
Résumé
Le Tribunal annule la décision de la Commission constatant que l’absence de perception d’une consigne sur certains emballages de boissons vendues par des commerces frontaliers allemands à des clients domiciliés au Danemark ne constitue pas une aide d’État
La Commission n’était pas en mesure de surmonter, au stade de la phase préliminaire, toutes les difficultés sérieuses rencontrées pour déterminer si l’absence de perception de la consigne constitue une aide d’État
La réglementation fédérale allemande « VerpackV » ( 1 ) transpose la directive 94/62, relative aux emballages et aux déchets d’emballages ( 2 ). Pour certains emballages de boissons à usage unique, cette réglementation instaure un système de consigne, incluant la taxe sur la valeur ajoutée, qui doit être perçue à tous les stades de la chaîne de distribution jusqu’à la vente au consommateur final et son montant doit être remboursé après restitution de l’emballage. L’absence de perception de cette consigne constitue une infraction administrative susceptible d’être sanctionnée par une amende d’un montant maximal de 100000 euros.
Conformément à la répartition des compétences prévue par la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, la mise en œuvre de cette réglementation relève de la responsabilité des autorités régionales qui sont en mesure de la faire appliquer par voie d’injonction administrative ou en imposant des amendes. Dans ce cadre, les autorités du Schleswig-Holstein et de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale avaient estimé que l’obligation de percevoir la consigne ne s’appliquait pas aux commerces frontaliers si les boissons étaient vendues exclusivement à des clients domiciliés notamment au Danemark et si ceux-ci s’engageaient par écrit (en signant une déclaration d’exportation) à consommer ces boissons et à éliminer leur emballage hors du territoire allemand.
Considérant que cette exonération de percevoir la consigne sur les emballages de boisson à usage unique revenait à accorder une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur à un groupe d’entreprises de vente de détail du nord de l’Allemagne, Dansk Erhverv (ci-après la « requérante »), une association professionnelle représentant les intérêts d’entreprises danoises, avait introduit une plainte en matière d’aides d’État auprès de la Commission européenne. À l’issue de la phase préliminaire d’examen, la Commission a adopté une décision constatant que les mesures litigieuses, à savoir la non-perception de la consigne, la non-perception de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à la consigne et l’absence d’imposition d’une amende aux entreprises qui ne perçoivent pas la consigne, ne constituent pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (ci-après la « décision attaquée ») ( 3 ).
Le 23 janvier 2019, la requérante a introduit un recours en annulation contre cette décision. Dans l’examen de ce recours, le Tribunal apporte des précisions importantes, d’une part, sur l’articulation des dispositions relatives aux aides d’État avec d’autres dispositions du droit de l’Union ou de droit national et, d’autre part, sur les conséquences à tirer, en matière d’amendes, de l’existence de difficultés d’interprétation d’une norme applicable sur la détermination de l’existence d’une ressource d’État.
Appréciation du Tribunal
En premier lieu, le Tribunal précise dans quelle mesure la méconnaissance de dispositions qui ne sont pas relatives au droit des aides d’État peut utilement être invoquée aux fins d’établir l’illégalité d’une décision adoptée en la matière par la Commission. À cet égard, selon le Tribunal, il convient de faire une distinction selon que la décision de la Commission statue sur la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur ou qu’elle se prononce sur l’existence d’une aide. Pour le premier cas, dès lors qu’une aide qui, par certaines de ses modalités, viole d’autres dispositions du traité FUE ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur, la méconnaissance par une mesure nationale, qualifiée d’aide d’État, d’autres dispositions du traité FUE que celles relatives aux aides d’État peut utilement être invoquée pour contester la légalité d’une décision par laquelle la Commission estime qu’une telle aide est compatible avec le marché intérieur.
En revanche, selon le Tribunal, il n’en va pas de même pour les décisions statuant sur l’existence d’une aide d’État. À cet égard, il relève que, certes, l’article 11 TFUE dispose que les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union. Toutefois, une telle intégration a vocation à se réaliser au niveau de l’examen de la compatibilité d’une aide et non de l’examen de son existence. Dès lors que la prise en compte d’un motif d’intérêt général est une circonstance inopérante au stade de la qualification d’aide d’État, le Tribunal juge que la circonstance qu’une mesure nationale méconnaisse d’autres dispositions du droit de l’Union que celles relatives aux aides d’État ne saurait utilement être invoquée, en tant que telle, aux fins d’établir que cette mesure est une aide d’État. En effet, il serait contraire au libellé de l’article 107, paragraphe 1, TFUE de considérer qu’une mesure nationale, parce qu’elle méconnaîtrait d’autres dispositions des traités, constituerait une aide alors même qu’elle ne remplirait pas les conditions expressément prévues par cette disposition aux fins d’identifier une aide.
Selon le Tribunal, il en va de même, a fortiori, s’agissant de dispositions du droit d’un État membre. En effet, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause. Or, le Tribunal constate qu’aucun renvoi exprès au droit des États membres n’est prévu à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En outre, il n’appartient pas à la Commission, mais aux juridictions nationales compétentes, de contrôler la légalité de mesures nationales au regard du droit interne. Or, à cet égard, s’il était admis que la méconnaissance des dispositions du droit d’un État membre doive conduire la Commission à qualifier des mesures nationales d’aide d’État, celle-ci pourrait être amenée à se prononcer sur la légalité de ces mesures au regard du droit interne, en méconnaissance de la compétence des juridictions nationales.
Ainsi, le Tribunal écarte l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait dû prendre en considération, pour examiner si la mesure consistant dans l’exonération de la perception de la consigne était une aide d’État, les obligations incombant à la République fédérale d’Allemagne qui résultent de la directive 94/62, du « principe du pollueur-payeur » et du droit allemand.
En second lieu, dans l’examen du grief tiré de ce que la Commission aurait, à tort, pour apprécier si l’absence d’imposition d’une amende était constitutive d’un avantage financé au moyen de ressources d’État, appliqué un critère juridique inédit, tiré de l’existence de difficultés d’interprétation de la réglementation en cause, le Tribunal relève que, dans le cas d’espèce, l’absence d’imposition d’une amende est indissociable de l’absence de perception de la consigne et, donc, de l’interprétation de la réglementation en vigueur, admise en pratique par les autorités régionales allemandes compétentes. Or, un tel contexte ne correspond à aucune des hypothèses jusqu’alors examinées par la jurisprudence en matière d’amendes.
Dans ces conditions, selon le Tribunal, c’est à juste titre que la Commission s’est fondée sur un critère juridique nouveau, tiré du lien entre l’interprétation de la réglementation pertinente et l’exercice du pouvoir répressif par les autorités qui en disposent, pour examiner si l’absence d’imposition d’une amende pouvait être regardée comme un avantage financé au moyen de ressources d’État. C’est également à bon droit que la Commission a estimé que les difficultés d’interprétation d’une réglementation étaient, en principe, susceptibles d’exclure que l’absence d’imposition d’une amende soit regardée comme une exonération d’amende constitutive d’une aide d’État. En effet, la situation dans laquelle il existe des difficultés d’interprétation de la norme dont la méconnaissance peut être sanctionnée par l’imposition d’une amende se distingue nettement, du point de vue de l’avantage en cause, de celle dans laquelle l’autorité compétente décide d’exonérer une entreprise du paiement d’une amende qu’elle devrait supporter en vertu de la réglementation. Dans la première hypothèse, contrairement à ce qu’il en est dans la seconde, il n’existe pas de charge préexistante. En effet, compte tenu de la portée incertaine de la norme, l’existence d’un comportement infractionnel n’apparaît pas avec évidence et la sanction d’un tel comportement par une amende n’apparaît donc pas, dans une telle situation d’incertitude, nécessaire ou inévitable.
Le Tribunal précise toutefois que le critère tiré de l’existence de difficultés d’interprétation de la réglementation applicable ne peut s’appliquer que sous réserve que ces difficultés soient temporaires et qu’elles s’inscrivent dans un processus de clarification graduelle des normes. Or, la Commission n’a pas fait référence au caractère à la fois temporaire et inhérent à la clarification graduelle des normes des difficultés d’interprétation, alors que ces deux conditions doivent être remplies pour qu’il soit possible d’aboutir à un constat d’absence de ressources d’État. À cet égard, s’agissant du caractère temporaire des éventuelles difficultés d’interprétation de la réglementation, le Tribunal relève que la Commission ne fait état d’aucune circonstance particulière permettant de justifier la persistance d’une telle incertitude depuis 2005, voire 2003. En outre, s’agissant du caractère inhérent à la clarification graduelle des normes des difficultés d’interprétation de la réglementation, il est constaté qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que de telles difficultés étaient en voie d’être aplanies.
En conséquence, le Tribunal juge que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que la condition relative aux ressources d’État n’était pas remplie sans examiner si les difficultés d’interprétation sur lesquelles elle se fondait étaient temporaires et inhérentes à la clarification graduelle des normes. Cette constatation constitue un indice permettant de considérer que la Commission n’était pas en mesure de surmonter, au stade de cette phase préliminaire, toutes les difficultés sérieuses rencontrées pour déterminer si l’absence de perception de la consigne et l’absence d’imposition d’une amende constituaient une aide d’État. Dès lors que d’autres indices de difficultés sérieuses que la Commission ne pouvait surmonter lors de la phase préliminaire d’examen ont été identifiés, le Tribunal annule la décision attaquée dans son ensemble.
( 1 ) La Verordnung über die Vermeidung und Verwertung von Verpackungsabfällen (Verpackungsverordnung) est un décret du 21 août 1998 relatif à la prévention et au recyclage des déchets d’emballages (BGBl. 1998 I, p. 2379).
( 2 ) Directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 1994, relative aux emballages et aux déchets d’emballages (JO 1994, L 365, p. 10).
( 3 ) Décision C(2018) 6315 final de la Commission, du 4 octobre 2018, concernant l’aide d’État SA.44865 (2016/FC) – Allemagne – Aide alléguée en faveur de magasins de boissons situés à la frontière allemande.