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Document 62023CJ0575

Arrêt de la Cour (première chambre) du 6 mars 2025.
FT e.a. contre État belge.
Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif – Cession des droits voisins par la voie réglementaire – Directive 2001/29/CE – Article 2, sous b), et article 3, paragraphe 2 – Droits de reproduction et de mise à la disposition du public – Directive 2006/115/CE – Articles 7 à 9 – Droits de fixation, de radiodiffusion, de communication au public et de distribution – Directive (UE) 2019/790 – Articles 18 à 23 – Juste rémunération dans le cadre des contrats d’exploitation – Article 26 – Application dans le temps – Notions d’“actes conclus” et de “droits acquis”.
Affaire C-575/23.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2025:141

Affaire C‑575/23

FT e.a.

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d’État (Belgique)]

Arrêt de la Cour (première chambre) du 6 mars 2025

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif – Cession des droits voisins par la voie réglementaire – Directive 2001/29/CE – Article 2, sous b), et article 3, paragraphe 2 – Droits de reproduction et de mise à la disposition du public – Directive 2006/115/CE – Articles 7 à 9 – Droits de fixation, de radiodiffusion, de communication au public et de distribution – Directive (UE) 2019/790 – Articles 18 à 23 – Juste rémunération dans le cadre des contrats d’exploitation – Article 26 – Application dans le temps – Notions d’“actes conclus” et de “droits acquis” »

  1. Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2019/790 – Application dans le temps – Actes conclus et droits acquis avant l’expiration du délai de transposition de la directive – Artistes interprètes ou exécutants – Exécutions accomplies avant l’expiration du délai de transposition – Inapplicabilité de la directive – Exécutions accomplies après l’expiration du délai de transposition – Applicabilité de la directive

    (Directive du Parlement européen et du Conseil 2019/790, art. 26, § 1 et 2)

    (voir points 68-80)

  2. Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790 – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information – Artistes interprètes ou exécutants – Notion – Artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif – Inclusion

    [Directives du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 2, b), et 3, § 2, a), 2006/115, art. 3, § 1, b), 7, § 1, 8, § 1, et 9, § 1, a), et 2019/790, art. 18 à 23]

    (voir points 88-102)

  3. Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Directives 2001/29 et 2006/115 – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information – Droits de reproduction, de mise à la disposition du public, de fixation, de radiodiffusion, de communication au public et de distribution – Exceptions et limitations – Principe de rémunération appropriée et proportionnelle – Cession, par la voie réglementaire, de l’ensemble des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif au sein d’un orchestre national – Absence de consentement des artistes interprètes ou exécutants – Inadmissibilité

    [Directives du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 2, b), et 3, § 2, a), 2006/115, art. 3, § 1, b), 7, § 1, 8, § 1, et 9, § 1, a), et 2019/790, art. 18 à 23]

    (voir points 104-110, 114-123, 126, 128 et disp.)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel par le Conseil d’État (Belgique), la Cour se prononce sur la possibilité pour les États membres de limiter, par la voie réglementaire, l’exercice des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif.

Le 1er juin 2021, l’État belge a adopté l’arrêté royal relatif aux droits voisins du personnel artistique de l’Orchestre national de Belgique (ONB) (ci-après l’« arrêté royal du 1er juin 2021 »), qui est entré en vigueur le 4 juin 2021.

Avant l’adoption de cet arrêté royal, l’exploitation des droits voisins des musiciens de l’ONB était négociée, au cas par cas, au sein d’un comité de concertation. Entre l’année 2016 et l’année 2021, l’ONB et les délégations syndicales des musiciens de cet orchestre ont mené des négociations afin de parvenir à un accord au sujet de la rémunération équitable, par l’ONB, des prestations de ces musiciens. Ces négociations n’ayant pas abouti, l’État belge a adopté ledit arrêté royal. Selon les termes de celui-ci, l’artiste interprète ou exécutant cède à l’ONB, en contrepartie d’allocations compensatoires, les droits voisins portant sur ses prestations réalisées dans le cadre de sa mission au service de cet orchestre. Sont ainsi cédés le droit de communication au public ainsi que les droits de reproduction et de distribution dont les musiciens de l’ONB sont titulaires, pour toute la durée des droits voisins et pour le monde entier.

Certains musiciens ont saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation de l’arrêté royal du 1er juin 2021, au motif que les dispositions de cet arrêté royal méconnaîtraient le droit de l’Union, en particulier la directive 2019/790 ( 1 ).

C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de saisir la Cour de questions préjudicielles visant à déterminer, en substance, si les dispositions de cette directive s’opposent à la cession, par la voie réglementaire, aux fins d’une exploitation par l’employeur, des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable.

Appréciation de la Cour

À titre liminaire, la Cour rappelle que, dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, il lui appartient d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige.

En l’occurrence, bien que les questions préjudicielles posées par le Conseil d’État portent uniquement sur l’interprétation de dispositions de la directive 2019/790, la Cour constate que cette directive se fonde, tout en les complétant, sur les règles fixées notamment dans les directives 2001/29 ( 2 ) et 2006/115 ( 3 ), dont certaines dispositions ( 4 ) sont pertinentes afin de répondre aux questions posées.

En premier lieu, la Cour vérifie si l’arrêté royal du 1er juin 2021 est exclu du champ d’application ratione temporis de la directive 2019/790, du fait de son adoption et de son entrée en vigueur avant l’expiration du délai de transposition de cette directive. À cet égard, elle observe, d’une part, que ladite directive s’applique à l’ensemble des œuvres et autres objets protégés par le droit national en matière de droit d’auteur à compter du 7 juin 2021 ( 5 ). D’autre part, relevant que l’application de la directive 2019/790 est, selon l’article 26, paragraphe 2, de celle-ci, « sans préjudice des actes conclus et des droits acquis avant le 7 juin 2021 », la Cour constate que cette directive n’a pas vocation à s’appliquer aux actes d’exploitation survenus avant le 7 juin 2021 et pour lesquels des droits auraient été valablement acquis avant cette date.

En l’occurrence, la Cour estime que l’arrêté royal du 1er juin 2021, pour autant qu’il ait été valablement adopté, est susceptible d’avoir fait naître au profit de l’ONB, entre son entrée en vigueur et la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2019/790, des droits qui ne relèvent pas du champ d’application ratione temporis de cette directive. Cela étant, la Cour note que cet arrêté royal n’a pas épuisé ses effets juridiques à la date de son entrée en vigueur. En effet, cet arrêté royal a vocation à produire régulièrement ses effets sur les exécutions des artistes interprètes ou exécutants concernés pendant toute la durée de son application, y compris après l’expiration du délai de transposition de la directive 2019/790.

La Cour conclut, partant, que cette directive est applicable ratione temporis à la cession, opérée par l’arrêté royal du 1er juin 2021, des droits voisins des musiciens de l’ONB afférents aux prestations réalisées par ces musiciens après le 7 juin 2021.

En deuxième lieu, la Cour examine si la notion d’« artiste interprète ou exécutant », visée par les directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790, couvre les musiciens d’un orchestre engagés sous statut de droit administratif.

D’emblée, la Cour relève que, en l’absence de volonté différente exprimée par le législateur de l’Union, la notion d’« artiste interprète ou exécutant » doit se voir reconnaître la même signification dans les contextes respectifs de ces directives.

En ce qui concerne l’interprétation de cette notion, la Cour note, tout d’abord, que le libellé des dispositions des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790 n’exclut pas formellement de son champ d’application les artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif.

Ensuite, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrivent ces dispositions, la Cour rappelle que les dispositions des directives en vigueur dans le domaine de la propriété intellectuelle doivent être interprétées à la lumière du droit international, et notamment du droit conventionnel qu’elles visent à mettre en œuvre. Or, l’article 2, sous a), du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TIEP) ( 6 ) n’établit aucune condition qui aurait pour effet d’exclure de son champ d’application les artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif.

Enfin, la Cour estime qu’une telle interprétation est corroborée par les objectifs poursuivis par les directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790. En effet, ces directives prévoient, en substance, que toute harmonisation des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, tout en tenant compte de la nécessité d’adapter cette protection aux réalités économiques nouvelles et de garantir un revenu approprié aux artistes interprètes ou exécutants qui ont tendance à se trouver dans une position contractuelle moins favorable.

Dans ces conditions, la Cour considère que les artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif relèvent de la notion d’« artiste interprète ou exécutant », au sens des dispositions des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790.

En troisième lieu, la Cour vérifie si les dispositions des directives 2001/29 et 2006/115 s’opposent à la cession, par la voie réglementaire, des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, en l’absence de leur consentement préalable.

Premièrement, la Cour relève que la protection conférée par les dispositions des directives 2001/29 et 2006/115 doit se voir reconnaître une portée large. Partant, cette protection ne se limite pas à la jouissance des droits garantis par ces dispositions, mais s’étend aussi à l’exercice de ces droits.

Deuxièmement, la Cour souligne que les droits garantis aux artistes interprètes ou exécutants par ces dispositions sont de nature préventive, en ce sens que l’utilisation de leurs exécutions requiert leur consentement préalable. Il s’ensuit que lesdites dispositions s’opposent, en l’absence de consentement préalable des titulaires des droits, à la cession, par la voie réglementaire, des droits exclusifs qui y sont visés, à moins qu’une telle cession ne relève de l’une des exceptions ou limitations prévues par ces directives ( 7 ). Or, selon la Cour, les exceptions et limitations apportées de manière circonscrite aux droits des artistes interprètes ou exécutants, telles que prévues par lesdites directives, ne permettent pas la cession obligatoire à caractère général de l’ensemble des droits voisins d’une catégorie d’artistes interprètes ou exécutants.

Troisièmement, la Cour estime que cette interprétation est corroborée par le contexte international dans lequel s’inscrit la protection des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants ainsi que par les objectifs poursuivis par les directives 2001/29 et 2006/115. En particulier, en ce qui concerne la protection des artistes interprètes ou exécutants, des licences obligatoires ne peuvent être prévues que dans la mesure où elles sont compatibles avec la convention de Rome ( 8 ), qui produit des effets indirects au sein de l’Union. Or, cette convention prévoit que la protection qu’elle accorde en faveur des artistes interprètes ou exécutants doit permettre, en principe, de faire obstacle à la radiodiffusion, à la communication au public ou encore à la reproduction d’une fixation de leur exécution sans leur consentement préalable. S’il est vrai que ladite convention contient des exceptions et des limitations aux droits exclusifs des titulaires des droits voisins, aucune de ses dispositions ne permet une cession obligatoire à caractère général de ces droits. Une telle cession n’est pas non plus autorisée par les dispositions du TIEP.

Eu égard à ces considérations, la Cour dit pour droit que les dispositions des directives 2001/29 et 2006/115 s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit la cession, par la voie réglementaire, aux fins d’une exploitation par l’employeur, des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de consentement préalable de ces derniers, telle que celle opérée par l’arrêté royal du 1er juin 2021.

Dans ces conditions, la Cour considère qu’il n’y a plus lieu d’examiner si les articles 18 à 23 de la directive 2019/790 s’opposent également à cette cession.


( 1 ) Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (JO 2019, L 130, p. 92).

( 2 ) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).

( 3 ) Directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO 2006, L 376, p. 28).

( 4 ) Les dispositions visées par la Cour sont l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 (ci-après les « dispositions de la directive 2001/29 »), ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/115 (ci-après les « dispositions de la directive 2006/115 »).

( 5 ) Date d’expiration du délai de transposition de la directive 2019/790, fixé à l’article 29, paragraphe 1, de cette directive.

( 6 ) Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, adopté à Genève le 20 décembre 1996 et approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO 2000, L 89, p. 6). Aux termes de l’article 2, sous a), de ce traité, la notion d’« artistes interprètes ou exécutants » se réfère à l’ensemble des personnes « qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, interprètent ou exécutent de toute autre manière des œuvres littéraires ou artistiques ou des expressions du folklore ».

( 7 ) Article 5 de la directive 2001/29 et notamment article 10 de la directive 2006/115.

( 8 ) Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, faite à Rome le 26 octobre 1961.

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