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Document 62022CJ0498
Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 5 septembre 2024.
Novo Banco SA - Sucursal en España e.a. contre C.F.O. e.a.
Renvoi préjudiciel – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24/CE – Articles 3 et 6 – Mesure d’assainissement prise à l’égard d’un établissement de crédit – Transmission des obligations et des responsabilités de cet établissement de crédit à une “banque-relais” avant l’introduction d’une action en justice visant à obtenir le paiement d’une créance détenue à l’égard dudit établissement de crédit – Retransmission au même établissement de crédit de certaines de ces obligations et responsabilités – Loi de l’État membre de l’ouverture de la procédure concernée (lex concursus) – Effets d’une mesure d’assainissement dans d’autres États membres – Reconnaissance mutuelle – Effets de la méconnaissance de l’obligation de publicité de la mesure d’assainissement – Articles 17, 21, 38 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit de propriété – Protection juridictionnelle effective – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CE – Article 6, paragraphe 1 – Clauses abusives – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Qualité de la “banque-relais” pour être attraite en justice.
Affaires jointes C-498/22 à C-500/22.
Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 5 septembre 2024.
Novo Banco SA - Sucursal en España e.a. contre C.F.O. e.a.
Renvoi préjudiciel – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24/CE – Articles 3 et 6 – Mesure d’assainissement prise à l’égard d’un établissement de crédit – Transmission des obligations et des responsabilités de cet établissement de crédit à une “banque-relais” avant l’introduction d’une action en justice visant à obtenir le paiement d’une créance détenue à l’égard dudit établissement de crédit – Retransmission au même établissement de crédit de certaines de ces obligations et responsabilités – Loi de l’État membre de l’ouverture de la procédure concernée (lex concursus) – Effets d’une mesure d’assainissement dans d’autres États membres – Reconnaissance mutuelle – Effets de la méconnaissance de l’obligation de publicité de la mesure d’assainissement – Articles 17, 21, 38 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit de propriété – Protection juridictionnelle effective – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CE – Article 6, paragraphe 1 – Clauses abusives – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Qualité de la “banque-relais” pour être attraite en justice.
Affaires jointes C-498/22 à C-500/22.
Court reports – general
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:686
Affaires jointes C‑498/22 à C‑500/22
Novo Banco SA - Sucursal en España
contre
C.F.O
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo)
Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 5 septembre 2024
« Renvoi préjudiciel – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24/CE – Articles 3 et 6 – Mesure d’assainissement prise à l’égard d’un établissement de crédit – Transmission des obligations et des responsabilités de cet établissement de crédit à une “banque-relais” avant l’introduction d’une action en justice visant à obtenir le paiement d’une créance détenue à l’égard dudit établissement de crédit – Retransmission au même établissement de crédit de certaines de ces obligations et responsabilités – Loi de l’État membre de l’ouverture de la procédure concernée (lex concursus) – Effets d’une mesure d’assainissement dans d’autres États membres – Reconnaissance mutuelle – Effets de la méconnaissance de l’obligation de publicité de la mesure d’assainissement – Articles 17, 21, 38 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit de propriété – Protection juridictionnelle effective – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CE – Article 6, paragraphe 1 – Clauses abusives – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Qualité de la “banque-relais” pour être attraite en justice »
Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Établissements de crédit – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24 – Mesure d’assainissement d’un établissement de crédit prise dans l’État membre d’origine – Absence de publication de ladite mesure – Reconnaissance, par une juridiction d’un autre État membre, des effets de cette mesure – Mesure ayant transmis partiellement les obligations et responsabilités de l’établissement de crédit concerné à une banque-relais – Admissibilité
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 21, § 2, et 47, 1er al. ; directive du Parlement européen et du Conseil 2001/24, considérants 4 et 16 et art. 3, § 2, et 6)
(voir points 75, 76, 85, 96, 97, disp. 1)
Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Établissements de crédit – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24 – Instances en cours – Effets de mesures d’assainissement sur une instance en cours – Application de la lex concursus – Exceptions prévues par la directive
(Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/24, considérants 23 et 30 et art. 2, 3, § 2, et 32)
(voir point 77)
Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Établissements de crédit – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24 – Mesure d’assainissement d’un établissement de crédit prise dans l’État membre d’origine – Obligation de publication – Conditions – Affectation des droits des tiers dans l’État membre d’accueil – Existence d’un recours, dans l’État membre d’origine, contre la décision ordonnant ladite mesure – Portée, pour la fixation du délai de recours, en cas d’absence de publication de ladite mesure
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2001/24, art. 3, § 1 et 2, 6, § 1 à 5, et 83, § 4)
(voir points 78-80, 82-84, 88-93)
Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Établissements de crédit – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24 – Mesure d’assainissement d’un établissement de crédit prise dans l’État membre d’origine – Absence de publication de ladite mesure – Application des règles nationales destinées à assurer aux justiciables la sauvegarde des droits tirés du droit de l’Union – Conditions – Respect des principes d’équivalence et d’effectivité – Respect du droit à un recours effectif
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2001/24, art. 6)
(voir points 86, 87)
Liberté d’établissement – Libre prestation des services – Établissements de crédit – Assainissement et liquidation des établissements de crédit – Directive 2001/24 – Mesure d’assainissement d’un établissement de crédit prise dans l’État membre d’origine – Reconnaissance des effets des mesures d’assainissement dans l’État membre d’accueil – Violation du principe de non-discrimination en raison de la nationalité – Absence
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 21, § 2 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2001/24, art. 3, § 2)
(voir point 94)
Droit de l’Union européenne – Principes – Protection de la confiance légitime – Conditions – Assurances précises fournies par l’administration – Invocation par un particulier à l’encontre d’une banque-relais créée dans le cadre de mesures d’assainissement d’un établissement de crédit – Inadmissibilité – Établissement concerné ayant été contrôlé temporairement par une autorité publique – Absence d’incidence
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, 1er al. ; directive du Parlement européen et du Conseil 2001/24, art. 3, § 2)
(voir points 101-104, disp. 2)
Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13 – Droits fondamentaux – Droit de propriété – Mesures d’assainissement d’un établissement de crédit prises dans l’État membre d’origine en application de la directive 2001/24 – Mesures prévoyant la création d’une banque-relais – Mesures prévoyant le maintien au passif de l’établissement de crédit visé par ces mesures de l’obligation d’acquitter les sommes dues au titre de la responsabilité précontractuelle ou contractuelle – Reconnaissance des effets d’une telle mesure dans l’État membre d’accueil – Admissibilité – Vérifications incombant à la juridiction de renvoi
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 17, 38 et 52, § 1 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2001/24, art. 3, § 2 ; directive du Conseil 93/13, art. 6, § 1)
(voir points 109-132, 137-147, disp. 3)
Résumé
Saisie à titre préjudiciel par le Tribunal Supremo (Cour Suprême, Espagne) dans trois affaires distinctes, la Cour se prononce sur l’interprétation de certaines dispositions de la directive 2001/24 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit ( 1 ), de la directive 93/13 relative aux clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 2 ), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Novo Banco SA - Sucursal en España (ci-après « Novo Banco ») à plusieurs de ses clients au sujet de l’incidence, sur différents contrats de produits et de services financiers, des mesures d’assainissement prises, en 2014 et 2015, par Banco de Portugal (Banque du Portugal) à l’égard de Banco Espíritu Santo SA (BES), un établissement de crédit portugais, et de sa succursale espagnole (ci-après « BES Espagne »), à laquelle Novo Banco a succédé en tant que banque-relais et à laquelle ont été transférés certains éléments d’actif, de passif et extrapatrimoniaux de BES.
Dans l’affaire C 498/22, le requérant a demandé que soit constatée la nullité d’une clause dite « clause “plancher” », contenue dans un contrat de prêt avec garantie hypothécaire initialement conclu avec BES Espagne puis transféré à Novo Banco à la suite des mesures d’assainissement, estimant que cette clause présentait un caractère abusif, ainsi qu’un remboursement des sommes indûment versées en application de ladite clause. Dans l’affaire C 499/22, les requérants ont demandé l’annulation de leurs contrats financiers, la restitution des sommes reçues par chaque partie et l’indemnisation des pertes subies du fait de l’acquisition de ces produits financiers, en raison d’une erreur dans le consentement liée à la communication d’informations défectueuses par BES Espagne. Novo Banco a cependant contesté la transmission de tous les éléments de passif de BES Espagne et notamment des créances et indemnisations liées à l’annulation demandée de certaines clauses de contrats conclus par cette dernière. Dans l’affaire C 500/22, le requérant a, lui, réclamé à Novo Banco, outre la restitution de la valeur nominale d’une obligation prioritaire arrivée à échéance, le paiement des rendements de cette obligation achetée à BES, qui avait été transférée à Novo Banco du fait des mesures d’assainissement prises en 2014. Novo Banco considérait cependant qu’en 2015, Banque du Portugal avait « retransféré » à BES les éléments de passif liés à la même obligation et était donc fondée à refuser ce paiement.
Relevant que les mesures d’assainissement prises à l’égard de BES relèvent du droit de l’Union et que celles-ci n’ont pas fait l’objet de la publication prévue à l’article 6, paragraphes 1 à 4, de la directive 2001/24, alors qu’elles sont susceptibles d’affecter les tiers et notamment de les empêcher d’introduire un recours contre ces mesures, la juridiction de renvoi s’interroge tout d’abord sur la compatibilité de l’obligation de reconnaissance, dans l’État membre d’accueil, des effets de ces mesures d’assainissement avec le principe de protection juridictionnelle effective, le principe d’égalité et d’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, le principe de sécurité juridique ainsi que le principe de protection de la confiance légitime. Elle s’interroge ensuite sur la question de savoir si la reconnaissance des effets des mesures d’assainissement ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans le droit de propriété des clients de Novo Banco. Elle se demande enfin, dans l’affaire C‑498/22, si la « fragmentation » de la relation contractuelle liant le consommateur à Novo Banco et résultant des mesures d’assainissement en cause ne revient pas à faire supporter à ce consommateur les conséquences pécuniaires de la clause « plancher », judiciairement déclarée abusive, en violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13. Partant, elle a décidé de saisir la Cour de plusieurs questions préjudicielles
Appréciation de la Cour
En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si le droit de l’Union ( 3 ) s’oppose, en l’absence de la publication prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/24, à la reconnaissance, par une juridiction d’un État membre autre que l’État membre d’origine, des effets d’une mesure d’assainissement adoptée, préalablement à la saisine de cette juridiction, à l’égard d’un établissement de crédit et ayant transmis partiellement les obligations et responsabilités de ce dernier à une banque-relais, la Cour rappelle, tout d’abord, que, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, les mesures d’assainissement sont en principe appliquées conformément à la loi de l’État membre d’origine et produisent leurs effets selon la législation de cet État membre dans toute l’Union sans aucune autre formalité. Cette directive est ainsi fondée sur les principes d’unité et d’universalité et pose comme principe la reconnaissance mutuelle des mesures d’assainissement et de leurs effets. S’agissant de l’obligation de publication des mesures d’assainissement ( 4 ), celle-ci est subordonnée à la satisfaction de deux conditions cumulatives. D’une part, ces mesures doivent être susceptibles d’affecter les droits de tiers dans l’État membre d’accueil et, d’autre part, il doit exister un recours dans l’État membre d’origine contre la décision ordonnant lesdites mesures ( 5 ).
La Cour estime que l’objet de l’article 6, paragraphes 1 à 4, de la directive 2001/24 est de régler l’information des créanciers de l’établissement de crédit concerné par les mesures d’assainissement, afin de leur permettre d’exercer, dans l’État membre d’origine, leur droit de recours contre les décisions ordonnant des mesures d’assainissement de cet établissement, dans le respect du principe d’égalité de traitement entre créanciers ( 6 ). Les mesures d’assainissement s’appliquant indépendamment des mesures de publication prévues par l’article 6 ( 7 ), le défaut de publication des mesures d’assainissement adoptées dans l’État membre d’origine n’a pas pour effet de remettre en cause les principes d’unité et d’universalité ainsi que de reconnaissance mutuelle des effets de ces mesures dans l’État membre d’accueil. Un tel défaut de publication n’entraîne donc ni l’invalidation de ces mesures ni l’inopposabilité de leurs effets dans l’État membre d’accueil.
Cependant, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, dans le respect du principe d’équivalence, du principe d’effectivité et du droit à un recours effectif consacré à l’article 47, premier alinéa, de la Charte
La publication prévue à l’article 6 de la directive 2001/24 a pour objectif d’assurer, dans l’État membre d’origine, la protection du droit de recours des intéressés contre les décisions ordonnant des mesures d’assainissement d’un établissement de crédit, dont notamment celui des créanciers de cet établissement établis dans l’État membre d’accueil. Ainsi, lorsque les mesures d’assainissement n’ont pas été publiées conformément aux exigences prévues par cette disposition, le droit de l’État membre d’origine doit permettre aux personnes dont les droits garantis par le droit de l’Union sont affectés par de telles mesures et qui résident dans l’État membre d’accueil d’introduire un recours contre ces mesures dans un délai raisonnable à partir du moment où ces personnes se sont vu notifier lesdites mesures, en ont pris connaissance ou auraient raisonnablement dû en avoir connaissance.
S’agissant du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, garanti à l’article 21, paragraphe 2, de la Charte, la Cour constate qu’il n’est ni allégué ni démontré que la reconnaissance des effets des mesures d’assainissement dans l’État membre d’accueil, telle qu’elle s’impose en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/24, s’appliquerait de façon différente en fonction de la nationalité du justiciable. Enfin, en ce qui concerne le principe de sécurité juridique, elle rappelle que celui-ci exige que les règles de droit soient claires et précises et que leur application soit prévisible pour les justiciables, notamment lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables.
En l’occurrence, selon les dispositions de la directive 2001/24, l’État membre d’accueil doit assurer la reconnaissance sur son territoire des effets des mesures d’assainissement adoptées dans l’État membre d’origine, nonobstant la circonstance que celles-ci n’ont pas fait l’objet de la publication prévue par cette directive. Ces mesures ayant fait l’objet de différentes mesures de publicité au moment où les clients de Novo Banco ont introduit leurs recours respectifs devant les juridictions espagnoles, ceux-ci disposaient de l’ensemble des éléments nécessaires pour prendre, en pleine connaissance de cause, une décision quant à l’introduction de ces recours ainsi que pour identifier avec certitude l’entité contre laquelle ces derniers devaient être dirigés.
Ainsi, le droit de l’Union ( 8 ) ne s’oppose pas, en l’absence de la publication prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/24, à la reconnaissance, par une juridiction d’un État membre autre que l’État membre d’origine, des effets d’une mesure d’assainissement adoptée, préalablement à la saisine de cette juridiction, à l’égard d’un établissement de crédit et ayant transmis partiellement les obligations et responsabilités de ce dernier à une banque-relais.
La Cour examine, en deuxième lieu, la question de savoir si le droit de l’Union ( 9 ) s’oppose à la reconnaissance, dans l’État membre d’accueil, des effets d’une mesure d’assainissement prise dans l’État membre d’origine à l’égard d’un établissement de crédit et ayant transmis partiellement les obligations et responsabilités de ce dernier à une banque-relais, contrôlée par une autorité publique appliquant le droit de l’Union, lorsque les clients de cette banque-relais prétendent avoir placé leur confiance légitime dans le fait que ladite banque-relais avait ultérieurement également assumé le passif correspondant à l’ensemble des obligations et responsabilités de cet établissement de crédit à l’égard de ces clients ( 10 ).
À cet égard, la Cour relève que, le principe de protection de la confiance légitime s’inscrivant parmi les principes fondamentaux de l’Union qui doivent être respectés par les institutions de l’Union et les États membres lorsque ces derniers mettent en œuvre le droit de l’Union, le droit de se prévaloir de ce principe s’étend dès lors à tout justiciable à l’égard duquel une autorité administrative a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies. Cependant, le droit, pour un justiciable, de se prévaloir de ce principe ne s’étend, en droit de l’Union, qu’à l’égard d’assurances précises qui lui auraient été fournies par une autorité publique.
En l’occurrence, Novo Banco a été créée sous la forme d’un établissement de crédit de droit privé opérant sur le marché concurrentiel des services bancaires et financiers et dépourvue de tout pouvoir exorbitant du droit commun en vue de l’accomplissement d’une mission de service public. La Cour conclut qu’elle ne saurait, dès lors, être considérée comme une autorité administrative mettant en œuvre le droit de l’Union, de sorte que le justiciable ne peut pas invoquer, en l’espèce, le principe de protection de la confiance légitime.
Par conséquent, des particuliers ne peuvent se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime à l’égard d’une banque-relais, organisme de droit privé dépourvu de toute prérogative exorbitante du droit commun, créé dans le cadre de mesures d’assainissement d’un établissement de crédit dont ils étaient initialement les clients dans le but d’engager la responsabilité de cette banque-relais au titre des obligations précontractuelles et contractuelles liées aux contrats précédemment conclus avec cet établissement de crédit ( 11 ). La simple circonstance que cet établissement de crédit ait été contrôlé temporairement par une autorité publique, en vue de sa privatisation, ne saurait faire du même établissement de crédit opérant sur le marché concurrentiel des services bancaires et financiers une autorité administrative nationale.
La Cour répond, en troisième et dernier lieu, à la question de savoir si l’article 17 de la Charte et le principe de sécurité juridique s’opposent à la reconnaissance, dans l’État membre d’accueil, des effets des mesures d’assainissement adoptées dans l’État membre d’origine en application de la directive 2001/24, prévoyant la création d’une banque-relais et le maintien au passif de la banque ayant fait l’objet de ces mesures de l’obligation d’acquitter les sommes dues au titre d’une responsabilité précontractuelle ou contractuelle ( 12 ). En outre, la juridiction de renvoi s’interrogeait également sur la compatibilité d’une telle reconnaissance avec l’article 38 de la Charte ( 13 ) ainsi qu’avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ( 14 ).
S’agissant du droit de propriété reconnu à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, la Cour précise, d’une part, que la protection conférée par cette disposition porte sur des droits ayant une valeur patrimoniale dont découle une position juridique acquise permettant un exercice autonome de ces droits par et au profit de leur titulaire. Des actions ou des obligations négociables sur les marchés de capitaux sont susceptibles de constituer de tels droits pouvant bénéficier de la protection garantie à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. À cet égard, la créance et l’obligation en cause dans les affaires C 498/22 et C 500/22 revêtent une valeur patrimoniale permettant à leurs détenteurs de prétendre avoir une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété, de sorte qu’ils peuvent bénéficier de la protection garantie par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Pour ce qui est de la créance en cause dans l’affaire C 499/22, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si cette créance satisfait aux conditions précitées, en particulier, si la jurisprudence nationale consacrant, à l’égard d’un établissement de crédit, une obligation d’information précontractuelle est suffisamment établie pour que la personne invoquant la violation d’une telle obligation puisse avoir une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective de cette créance
La Cour rappelle, d’autre part, que, selon sa propre jurisprudence, l’adoption par l’État membre d’origine de mesures d’assainissement, qui prévoient notamment le transfert d’éléments d’actif d’un établissement de crédit à une banque-relais, constitue une réglementation de l’usage des biens, au sens de l’article 17, paragraphe 1, troisième phrase, de la Charte, susceptible de porter atteinte au droit de propriété des créanciers de cet établissement de crédit, tels que les détenteurs d’obligations, dont les créances n’ont pas été transférées à cette banque-relais. Ainsi, la Cour vérifie si, au regard des conditions énoncées par cette disposition, lue conjointement avec l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, les effets, dans l’État membre d’accueil, des mesures d’assainissement en vertu desquels les créances en cause sont affectées au passif de BES Espagne sont prévus par la loi, respectent le contenu essentiel du droit de propriété et sont proportionnés, eu égard, notamment, à l’objectif d’intérêt général auquel répondent les mesures d’assainissement et la reconnaissance de leurs effets, également poursuivi par l’Union, à savoir celui d’assurer la stabilité du système bancaire, en particulier de la zone euro, et d’éviter un risque systémique.
S’agissant de la violation alléguée du principe de sécurité juridique, la Cour confirme que les mesures d’assainissement en cause relèvent de l’article 2, septième tiret, de la directive 2001/24. La Cour constate également que les créanciers dans les affaires au principal étaient en mesure de s’attendre à ce que certaines responsabilités, telles que celles résultant du caractère défectueux de l’information précontractuelle donnée par BES Espagne, en cause dans l’affaire C 499/22, ou certains aléas, tels que ceux faisant l’objet des litiges dans les affaires C 498/22 et C 500/22, ne soient pas transférés à la banque-relais concernée ( 15 ).
S’agissant, enfin, de la conformité de ces mesures au droit des consommateurs de bénéficier d’un niveau élevé de protection, tel qu’il est garanti par l’article 38 de la Charte et la directive 93/13, la Cour rappelle que, compte tenu de la nature et de l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, la directive 93/13 impose aux États membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et les consommateurs. Pour ce faire, les juridictions nationales doivent écarter l’application des clauses abusives afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur concerné, sauf si celui-ci s’y oppose. Une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l’égard du consommateur concerné. Cependant, la protection du consommateur ne revêt pas un caractère absolu. Ainsi, s’il existe un intérêt général clair à garantir, à travers l’Union, une protection forte et cohérente des investisseurs et des créanciers, cet intérêt ne peut pas être considéré comme primant en toutes circonstances sur l’intérêt général consistant à garantir la stabilité du système bancaire et à éviter un risque systémique.
En l’occurrence, la protection du consommateur contre l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec un professionnel, telle qu’elle résulte de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, ne saurait aller jusqu’à faire abstraction de la répartition des responsabilités patrimoniales entre l’établissement de crédit défaillant et la banque-relais, telle que cette répartition a été fixée dans les mesures d’assainissement adoptées par l’État membre d’origine. En effet, si la protection accordée par la directive 93/13 devait autoriser chaque consommateur de l’État membre d’accueil, créancier de l’établissement de crédit défaillant, à contrecarrer la reconnaissance des mesures par lesquelles la répartition des responsabilités patrimoniales entre celui-ci et la banque-relais a été décidée par l’État membre d’origine, l’intervention des autorités publiques de cet État membre risquerait d’être privée d’effet utile dans l’ensemble des États membres dans lesquels l’établissement de crédit défaillant a des succursales.
Partant, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière de l’article 38 de la Charte, ainsi que l’article 17 de la Charte et le principe de sécurité juridique ne s’opposent pas, en principe, à la reconnaissance, dans l’État membre d’accueil, des effets des mesures d’assainissement adoptées dans l’État membre d’origine en application de la directive 2001/24, qui prévoient la création d’une banque-relais et le maintien au passif de l’établissement de crédit ayant fait l’objet de ces mesures de l’obligation d’acquitter les sommes dues au titre d’une responsabilité précontractuelle ou contractuelle.
( 1 ) Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 avril 2001, concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (JO 2001, L 125, p. 15).
( 2 ) Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
( 3 ) Plus particulièrement, il s’agit de l’article 3, paragraphe 2, de l’article 6 de la directive 2001/24, lus à la lumière de l’article 21, paragraphe 2, et de l’article 47, premier alinéa, de la Charte ainsi que du principe de sécurité juridique.
( 4 ) Conformément à l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2001/24, il appartient aux autorités compétentes de l’État membre d’origine de publier l’extrait, l’objet et la base juridique de la décision prise, les délais de recours, en particulier une indication aisément compréhensible de la date de l’expiration de ces délais et, de façon précise, l’adresse des autorités ou de la juridiction compétentes pour connaître du recours.
( 5 ) Article 6, paragraphes 1 à 3, de la directive 2001/24.
( 6 ) Voir considérant 12 de la directive 2001/24.
( 7 ) Article 6, paragraphe 5, de la directive 2001/24
( 8 ) Article 3, paragraphe 2, et article 6 de la directive 2001/24, lus à la lumière de l’article 21, paragraphe 2, et de l’article 47, premier alinéa, de la Charte ainsi que du principe de sécurité juridique.
( 9 ) Plus particulièrement, il s’agit de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/24, lu à la lumière de l’article 47, premier alinéa, de la Charte ainsi que du principe de sécurité juridique.
( 10 ) Il s’agit des deuxièmes questions dans les affaires C 498/22 et C 499/22.
( 11 ) La Cour déduit cette conclusion de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/24, lu à la lumière de l’article 47, premier alinéa, de la Charte et du principe de sécurité juridique.
( 12 ) Il s’agit des troisièmes questions dans les affaires C 498/22 et C 499/22 ainsi que de la seconde question dans l’affaire C 500/22.
( 13 ) Dans les affaires C 498/22 et C 499/22.
( 14 ) Dans l’affaire C 498/22. En vertu de cet article 6, paragraphe 1, de la directive 93/12, « [l]es États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives ».
( 15 ) Dans l’affaire C 500/22, la Cour constate que la modification rétroactive de l’identité du débiteur de la créance en cause peut raisonnablement être justifiée par l’objectif d’intérêt général consistant à assurer la stabilité du système bancaire et à éviter un risque systémique mais qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi, au regard des circonstances spécifiques à l’origine de cette affaire, de vérifier le respect du principe de proportionnalité.