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Document 62017CJ0608

Arrêt de la Cour (première chambre) du 19 juin 2019.
Skatteverket contre Holmen AB.
Renvoi préjudiciel – Impôt sur les sociétés – Groupe de sociétés – Liberté d’établissement – Déduction des pertes subies par une filiale non-résidente – Notion de “pertes définitives” – Application à une sous-filiale – Législation de l’État de résidence de la société mère exigeant une détention directe de la filiale – Législation de l’État de résidence de la filiale limitant l’imputation des pertes et l’interdisant l’année de la liquidation.
Affaire C-608/17.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:511

Affaire C‑608/17

Skatteverket

contre

Holmen AB

(demande de décision préjudicielle,
introduite par le Högsta förvaltningsdomstolen)

Arrêt de la Cour (première chambre) du 19 juin 2019

« Renvoi préjudiciel – Impôt sur les sociétés – Groupe de sociétés – Liberté d’établissement – Déduction des pertes subies par une filiale non-résidente – Notion de “pertes définitives” – Application à une sous-filiale – Législation de l’État de résidence de la société mère exigeant une détention directe de la filiale – Législation de l’État de résidence de la filiale limitant l’imputation des pertes et l’interdisant l’année de la liquidation »

  1. Liberté d’établissement – Législation fiscale – Impôt sur les sociétés – Régime de transferts financiers intragroupe – Réglementation nationale prévoyant le droit de transférer fiscalement les pertes subies par une filiale non-résidente à la société mère – Pertes qualifiées de définitives – Notion – Entité non-résidente ayant subi les pertes constituant une sous-filiale non-résidente de la société mère – Admissibilité – Limites

    (Art. 49 et 54 TFUE)

    (voir points 23-32, disp. 1)

  2. Liberté d’établissement – Législation fiscale – Impôt sur les sociétés – Régime de transferts financiers intragroupe – Réglementation nationale prévoyant le droit de transférer fiscalement les pertes subies par une filiale non-résidente à la société mère – Pertes qualifiées de définitives – Appréciation du caractère définitif – Législation de l’État de résidence de la filiale limitant l’imputation des pertes et l’interdisant l’année de la liquidation – Absence d’incidence – Exception

    (Art. 49 et 54 TFUE)

    (voir points 36-40, 42-45, disp. 2 et 3)

Résumé

Dans ses arrêts Memira Holding (C‑607/17) et Holmen (C‑608/17) rendus le 19 juin 2019, la première chambre de la Cour a été amenée à préciser la jurisprudence issue de l’arrêt de grande chambre du 13 décembre 2005 Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763). Elle était appelée à interpréter l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, dans le cadre de deux litiges portant sur la possibilité pour une société mère établie dans un État membre de déduire, au titre de l’impôt sur les sociétés, des pertes subies par des filiales ou des sous-filiales établies dans d’autres États membres.

La réglementation fiscale suédoise en cause prévoyait deux régimes, l’un pour les fusions d’entreprises dites qualifiées, l’autre pour les transferts financiers intragroupe, permettant à une société de prendre en compte des pertes subies par des sociétés autres que celle-ci. Dans les deux affaires, des sociétés mères suédoises avaient demandé un rescrit au Skatterättsnämnden (commission de droit fiscal) en vue de connaître les conséquences fiscales de la cessation de l’activité exercée par leurs filiales non-résidentes. Dans l’affaire Memira Holding, il s’agirait d’une fusion impliquant la dissolution sans liquidation d’une filiale, tandis que dans l’affaire Holmen, il s’agirait soit d’une liquidation d’une filiale, soit d’une absorption inversée de la filiale par une sous-filiale, suivie d’une liquidation du nouvel ensemble.

À cet égard, le régime des fusions qualifiées conditionne le droit de déduction par l’assujettissement à l’impôt en Suède de la filiale ayant subi les pertes. Le régime de transferts intragroupe exige de son côté que la filiale accusant les pertes soit détenue directement par la société mère. Les rescrits ayant fait l’objet d’appels devant le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative, Suède), cette juridiction a posé à la Cour des questions préjudicielles en faisant référence à l’arrêt A ( 1 ) et considérant que celui-ci ne précise pas si le droit à déduction des pertes définitives présuppose que la filiale soit détenue directement par la société mère, et si, pour apprécier le caractère définitif des pertes d’une filiale, il convient de tenir compte des possibilités offertes par la réglementation de l’État de résidence de la filiale à d’autres entités juridiques de prendre en compte ces pertes et, dans l’affirmative, comment cette réglementation doit être prise en considération.

Dans l’affaire Memira Holding, la société requérante détenait une filiale déficitaire en Allemagne qui, à la cessation de son activité, n’affichait plus à son bilan que des dettes et certains actifs liquides. Cette société envisageait d’absorber ladite filiale par une fusion transfrontalière, qui impliquerait la dissolution sans liquidation de cette dernière, mettant ainsi un terme à toute activité de la société requérante en Allemagne. Or le droit allemand exclut le transfert de telles pertes à une entreprise assujettie à l’impôt en Allemagne dans le cas d’une fusion.

Saisi d’appels formés contre les rescrits en question, le Högsta förvaltningsdomstolen a sollicité la Cour afin de savoir notamment si, dans le cadre de l’affaire Memira Holding, aux fins d’apprécier si une perte subie par une filiale établie dans un autre État membre que celui de la société mère présente un caractère définitif au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Marks & Spencer ( 2 ), il convient de tenir compte des restrictions, prévues par la réglementation de l’État de la filiale, à la possibilité, pour une entité autre que celle ayant subi la perte, de déduire cette dernière et, dans l’affirmative, s’il existe effectivement, dans l’État de la filiale, une quelconque autre entité qui aurait pu déduire la perte si une telle déduction y avait été autorisée.

La Cour a d’abord rappelé que, en vertu de sa jurisprudence, la restriction en question pourrait, certes, être justifiée. Cependant, elle serait disproportionnée dans l’hypothèse où la perte serait définitive et la filiale non-résidente aurait épuisé les possibilités de prise en compte dans son État de résidence. À cet égard, la Cour a précisé que les pertes en question ne sauraient être qualifiées de définitives s’il reste possible de les faire valoir économiquement en les transférant à un tiers. En effet, les motifs retenus par la Cour dans l’arrêt Marks & Spencer ont expressément envisagé que l’impossibilité conditionnant le caractère définitif des pertes puisse se rapporter à leur prise en compte au titre des exercices futurs par un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-ci. Dans ce cadre, la Cour a expliqué qu’il ne peut pas être exclu qu’un tiers prenne en compte fiscalement les pertes de la filiale dans l’État de résidence de cette dernière, en intégrant dans le prix de cession de la filiale la valeur de l’avantage fiscal que représente la déductibilité des pertes pour le futur. Dès lors, à défaut pour la société requérante de démontrer que cette possibilité est exclue, la seule circonstance que le droit dudit État ne permet pas le transfert de pertes en cas de fusion n’est pas, en elle-même, suffisante pour regarder les pertes de la filiale comme étant définitives.

Dans l’affaire Holmen, la société requérante détenait en Espagne plusieurs sous-filiales, dont une qui avait accumulé des pertes importantes et envisageait la cessation de ses activités espagnoles. Ces pertes n’étaient déductibles ni en Espagne, en raison de l’impossibilité juridique de transférer des pertes d’une société liquidée l’année de la liquidation, ni en Suède, en raison de la condition de détention directe de la filiale accusant des pertes définitives.

Le Högsta förvaltningsdomstolen a interrogé la Cour en vue de savoir si le droit, découlant notamment de l’arrêt Marks & Spencer, pour une société mère établie dans un État membre de déduire, en vertu de l’article 49 TFUE, les pertes définitives d’une filiale établie dans un autre État membre présuppose que la filiale soit détenue directement par la société mère, ou si ce droit à déduction s’applique également aux sous-filiales.

La Cour a d’abord rappelé qu’une condition qui conduit à exclure un dégrèvement de groupe transfrontalier dans certaines hypothèses est susceptible d’être justifiée par les raisons impérieuses d’intérêt général précisées dans l’arrêt Marks & Spencer, mais que cette condition doit être propre à garantir la réalisation des objectifs poursuivis et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. À cet égard, la Cour a distingué deux cas de figure.

Le premier concerne l’hypothèse dans laquelle la ou les filiales interposées entre la société mère demandant le bénéfice d’un dégrèvement de groupe et la sous-filiale subissant des pertes susceptibles d’être regardées comme étant définitives ne sont pas établies dans le même État membre. Dans ce cas, il ne peut être exclu qu’un groupe puisse choisir l’État membre d’utilisation de pertes définitives, en optant soit pour celui de la société mère faîtière, soit pour celui de toute filiale potentiellement interposée. Une telle possibilité d’option serait de nature à permettre des stratégies d’optimisation des taux d’imposition du groupe, susceptibles de remettre en cause la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et de leur faire courir un risque d’imputation multiple des pertes.

Le second cas de figure concerne l’hypothèse dans laquelle la ou les filiales interposées entre la société mère demandant le bénéfice d’un dégrèvement de groupe et la sous-filiale subissant des pertes susceptibles d’être regardées comme étant définitives sont établies dans le même État membre. Dans de telles circonstances, les risques d’optimisation du taux d’imposition du groupe par le choix de l’État membre d’imputation des pertes et de prise en compte multiple de celles-ci par plusieurs États membres sont du même ordre que ceux constatés par la Cour aux points 45 à 52 de l’arrêt Marks & Spencer. Il serait alors disproportionné pour un État membre de poser une condition de détention directe telle que celle en cause au principal lorsque les conditions énoncées au point 55 de l’arrêt Marks & Spencer sont remplies.


( 1 ) Arrêt de la Cour du 21 février 2013, A (C‑123/11, EU:C:2013:84).

( 2 ) Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763).

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