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Document 52000IE1185

Avis du Comité économique et social sur "Les travailleurs âgés"

JO C 14 du 16.1.2001, p. 50–62 (ES, DA, DE, EL, EN, FR, IT, NL, PT, FI, SV)

52000IE1185

Avis du Comité économique et social sur "Les travailleurs âgés"

Journal officiel n° C 014 du 16/01/2001 p. 0050 - 0062


Avis du Comité économique et social sur "Les travailleurs âgés"

(2001/C 14/12)

Le 2 mars 2000, le Comité économique et social, conformément à l'article 23 (3) de son Règlement intérieur, a décidé d'élaborer un avis sur "Les travailleurs âgés".

La section de "Emploi, affaires sociales, citoyenneté", chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a élaboré son avis le 3 octobre 2000 (rapporteur: M. Dantin).

Lors de sa 376e session plénière du 19 octobre 2000, le Comité économique et social a adopté par 97 voix pour, 1 voix contre et 2 abstentions l'avis suivant.

1. Introduction

1.1. Le Conseil européen de Lisbonne a assigné à l'UE un objectif ambitieux en matière de taux d'emploi. Celui-ci devrait être porté à un "niveau aussi proche que possible de 70 % d'ici 2010" et de 60 % pour les femmes. Cet objectif se justifie autant pour des raisons sociales que pour des motifs économiques. L'emploi reste en effet le meilleur rempart contre l'exclusion sociale. Il sous-tend très largement le financement de la protection sociale. Ne pas répondre à cet objectif signifierait que la croissance économique serait freinée.

1.2. La réalisation progressive de cet objectif confrontera la plupart des pays à l'incontournable défi de devoir relever, avant tout, le taux d'emploi des travailleurs âgés. Le taux d'emploi des 50 à 64 ans décline en effet dans tous les États membres. Inverser cette tendance requerra une politique adaptée de la part de ces derniers comportant notamment des réformes structurelles.

1.3. À ce propos, les lignes directrices pour la politique de l'emploi des États membres en 2000, confirment au point 4 la nécessité de mettre au point une politique visant à prolonger la vie active par des mesures appropriées "afin que les travailleurs âgés puissent aussi se maintenir dans la vie professionnelle et y participer activement".

1.4. Cette réflexion englobera également les régimes de préretraite, ou plus largement de cessation anticipée d'activité, que le Comité a déjà eus à connaître de façon incidente dans certains de ses avis antérieurs. En effet ce processus est central dans le taux d'emploi de cette tranche d'âge.

1.5. Le Comité a estimé que le dossier des travailleurs âgés était d'une importance telle, qu'il appelait de sa part un avis d'initiative prenant en compte les différents aspects de cette question. Par cet avis, le Comité a également voulu souligner la nécessité d'une approche positive à l'égard des travailleurs âgés, dans la mesure où le traitement souvent réservé à ceux-ci relève non seulement d'une conception de la société peu solidaire et discriminatoire, mais entraîne dans de nombreux cas la perte d'un personnel hautement qualifié et, partant, la baisse du niveau global de la compétitivité. Il considère, par ailleurs, que si les progrès scientifiques permettent aujourd'hui de donner "du temps à la vie" il convient que, de façon corrélative, l'organisation de notre société s'efforce de donner "de la vie au temps".

Le présent avis relève d'abord une série de chiffres clés et de faits, il analyse ensuite les causes du déclin du taux d'emploi des travailleurs âgés, pour terminer sur une réflexion portant sur les solutions possibles en tentant de dégager une démarche communautaire et en s'inspirant sur le fond des pratiques et expériences observées dans une série de pays de l'UE.

2. Les faits

2.1. La distribution du travail sur le cycle d'une vie a connu, lors des vingt dernières années, des bouleversements majeurs.

2.1.1. Les jeunes font une entrée plus tardive sur le marché du travail en raison de l'allongement de la scolarité, de la formation et des difficultés qu'ils ont à trouver un emploi approprié(1).

2.1.2. Le taux d'emploi de la population totale après 55 ans s'est considérablement réduit en Europe et dans une moindre mesure outre atlantique: celui-ci dans la tranche 55-64 ans était de 37 % en 1999 dans l'Union européenne et de 55 % aux États-Unis(2).

Il n'a cessé de décroître depuis les années 70 et ceci de façon importante et continue(3) avec une accentuation marquée entre 1980 et 1985(4). C'est ainsi qu'il a chuté, pour la population masculine, entre 1971 et 1999 de 47,4 % en France, 45,8 % aux Pays-Bas, 39 % en Espagne, 38,7 % en Allemagne, 30 % en Irlande et de plus de 29 % au Portugal et au Royaume-Uni. Il serait sans doute possible de parler d'une individualisation du parcours des âges. Mais celle-ci ne reflète pas l'élargissement de la capacité de choix individuel. La sortie précoce est, en général, plus souvent imposée que choisie. La nouvelle flexibilité de la fin du cycle de vie au travail traduit plutôt la pesée de la situation du marché du travail, et des stratégies de politique de main-d'oeuvre des entreprises, et des pouvoirs publics qui lui sont corrélatives(5).

2.2. La vie au travail tend donc à se raccourcir aux deux extrémités et concerne désormais principalement les groupes d'âges médians.

2.3. La tranche d'âge des 50-64 ans revêt une importance particulière pour la politique de l'emploi. Selon les prévisions d'Eurostat, au niveau de l'Union européenne, sa part passera de 25 % en 1995 à 34,4 % en 2025 de la population totale. Cette croissance sera nettement plus rapide dans les pays scandinaves au cours de la prochaine décennie(6). Cette moyenne pourrait d'ailleurs occulter des situations plus extrêmes au niveau régional ou de certains bassins d'emploi.

2.4. Cette évolution est particulièrement préoccupante dans la perspective du vieillissement démographique accentué que vont connaître les États membres dès le début du troisième millénaire(7).

2.5. Au-delà de l'équilibre financier posé aux systèmes de retraite, elle pose la question des forces de travail dont dépendra demain l'effort productif des pays. Le vieillissement démographique devrait entraîner inexorablement un vieillissement de la force de travail en même temps que sa raréfaction sans tenir compte d'une éventuelle immigration. D'un point de vue macro-économique cette situation conduira à une pression sur les salaires, facteur d'inflation.

2.5.1. Dès aujourd'hui, dans nombre d'États membres, la moyenne d'âge des actifs s'élève à 40 ans et parfois légèrement au-dessus en raison du rétrécissement des cohortes de jeunes entrant sur le marché du travail(8).

2.6. Pour l'avenir, la question qui se pose est de savoir si l'Union européenne, les États membres ainsi que les partenaires sociaux, pourront se satisfaire d'une force de travail si réduite, ou si les entreprises devront soit adapter l'organisation de la production de biens et de services à une main-d'oeuvre plus âgée qui aura été formée de façon permanente et qu'il conviendra de motiver, soit faire appel à de la main-d'oeuvre immigrée ou recourir à la délocalisation de certaines activités vers des pays tiers. En tout état de cause, l'immigration et les délocalisations ne résoudraient que partiellement, et surtout pas sur le fond, le problème de manque de main-d'oeuvre hautement qualifiée. Cependant il convient d'intégrer dans cette problématique la nécessité d'accroître les capacités de la société à insérer dans la vie active un taux croissant de jeunes, de femmes et de chômeurs en particulier de longue durée. Ces différentes stratégies devraient faire l'objet d'un véritable dialogue social.

3. Les causes

3.1. Le départ anticipé des salariés âgés en cessation d'activité est principalement le résultat de la combinaison de l'action de trois acteurs essentiels: les entreprises, les salariés et les dispositions légales ou conventionnelles.

3.2 Les entreprises

3.2.1. Dans le cadre de l'évolution constante et exponentielle de l'appareil de production et des processus de fabrication, dans une économie en perpétuel mouvement et face à un marché sans cesse évolutif, les entreprises doivent s'adapter, évoluer, se restructurer afin de progresser dans un environnement mondialisé en même temps qu'elles doivent trouver un équilibre entre le social et l'économique, seul à même d'assurer leur dynamisme et leur croissance. Elles ont, en conséquence, besoin de marges de manoeuvre, de possibilité de respiration.

3.2.2. Elles trouvent ces marges de manoeuvre en terme de quantité et de qualité d'emplois, notamment, auprès des salariés âgés. C'est particulièrement le cas lors de "plans sociaux" consécutifs à des restructurations.

3.2.3. En dehors des "plans sociaux", la mise en place de départs en retraite permet aux entreprises de remplacer les salariés âgés qu'elles jugent peu productifs et aux compétences obsolètes par des salariés plus jeunes mais en nombre plus réduit. Elles estiment, ainsi, pouvoir améliorer leur compétitivité, en même temps qu'elles allègent leur masse salariale et rééquilibrent leur pyramide des âges. Même si cela est difficile, cette situation relève d'un management insuffisant des ressources humaines et en particulier d'une prise en compte insuffisante de la gestion prévisionnelle des emplois et des qualifications. Ce faisant les entreprises se privent parfois de "savoir faire" rendant ainsi plus difficile l'accueil des jeunes en réduisant leur capacité de "faire savoir" et de possibilité de tutorat.

Toutefois, on ne peut ignorer:

- les difficultés qu'éprouvent certains salariés à s'adapter et à se former aux nouveaux processus de travail technologiquement évolués. Ce constat doit être l'objet d'une attention toute particulière car il peut conduire, in fine, à l'exclusion;

- l'absence d'enthousiasme de certains, souvent des salariés peu ou pas qualifiés, soit parce qu'ils ne s'en sentent pas capables s'étant trouvés en situation d'échec scolaire, soit qu'ils n'en ressentent pas la nécessité en raison d'une fin de carrière proche.

3.2.4. Il existe désormais dans les entreprises une foule de "demi vieux" qui sont considérés comme sans avenir et que leurs employeurs hésitent à promouvoir ou à former. Le paradoxe est que le groupe d'âge des 40-60 ans, qui représente la vague des baby-boomers, va constituer à partir de 2001 la composante principale de la population active.

3.2.5. En parallèle, la multiplication des départs anticipés a accentué la dépréciation des travailleurs vieillissants sur le marché de l'emploi. L'abaissement des seuils d'âge en vue de faciliter les départs anticipés a eu des conséquences majeures sur ces travailleurs car il a modifié, dans l'esprit des employeurs, l'âge auquel des travailleurs peuvent être considérés comme "trop vieux". Les preuves se multiplient en effet dans tous les pays européens, attestant de la discrimination à l'encontre des salariés âgés en termes de recrutement. Le signe le plus global au niveau de l'Union européenne est fourni par les études de l'Eurobaromètre, effectuées à l'occasion de l'Année européenne des personnes âgées et de la solidarité entre générations: lors d'un sondage grand public demandant si "les travailleurs vieillissants faisaient ou non l'objet d'une discrimination concernant le recrutement" quatre personnes interrogées sur cinq ont déclaré que cette discrimination était une réalité(9).

3.3 Les salariés

3.3.1. On a beaucoup épilogué sur les contraintes imposées aux salariés pour qu'ils quittent leur emploi avant l'âge légal de la retraite alors qu'ils auraient souhaité poursuivre leur activité professionnelle. Ce cas de figure existe mais il ne serait pas juste d'en faire une figure unique, voire majoritaire.

3.3.2. Seuls quatre salariés sur dix auraient souhaité poursuivre leur activité professionnelle(10). En effet, il ne faut pas ignorer ce souhait, souvent présent, de participer, par ce procédé, à une nouvelle forme attractive du partage des fruits de la croissance, à cette lassitude d'exercer un emploi souvent peu valorisant, parfois répétitif et chargé de pénibilité depuis parfois plus de quarante ans et qui les conduit à aspirer à un autre mode de vie. Et c'est, souvent, avec le sentiment d'avoir déjà "beaucoup donné" qu'ils font acte de volontariat. De ce point de vue, il serait utile de savoir quelles sont les conditions nouvelles qui auraient été de nature à inverser cette attitude. À cet effet, une étude pourrait être initiée par la Commission.

Dans les conditions actuelles, on peut dire qu'il y a souvent concordance d'intérêt entre le salarié et son entreprise ou autrement dit qu'il existe une alliance objective, celle-ci se traduisant généralement dans des accords collectifs conclus par les partenaires sociaux aux différents niveaux de négociations, y compris celui de l'entreprise et des établissements publics.

3.3.3. Par ailleurs, d'un point de vue psychologique, imprégné du comportement des entreprises, le salarié âgé ou vieillissant ressent implicitement qu'il n'est plus celui qui est décrit prioritairement comme approchant de l'âge du droit à la retraite et au repos. Il est devenu celui qui est défini comme "incapable" de travail ou "inemployable". Lorsque près de la moitié de ceux qui liquident leur pension de retraite sont sortis de l'activité en amont par le biais de "l'invalidité", comme ce fût le cas dans certains pays de l'Union européenne, le temps de l'inactivité tend à se concevoir, non plus comme le temps du droit au repos, mais bien comme celui de l'incapacité de travail. Une telle perception de l'âge, par ces effets d'étiquetage, n'est pas sans induire des modifications de comportement dans la mesure ou elle n'est pas sans encourager le développement, dans l'esprit du salarié et dans les faits, d'un sentiment de marginalisation tant dans l'entreprise que sur le marché du travail, voire dans la société elle-même.

3.3.4. Il convient d'ajouter à ce sentiment ce qu'on pourrait définir comme le "choc" générationnel ou "l'opposition" de cultures que le temps et l'âge ont éloignées.

En raison de la crise économique des années 80-90, nombre d'entreprises et de services publics ont connu un creux, souvent important voire total, d'embauches et de renouvellement de leur personnel se caractérisant par un infléchissement de la partie médiane de la pyramide des âges.

Lorsque, au bénéfice de la reprise économique, le recrutement redémarre, il s'adresse pour l'essentiel à un personnel jeune représentant aux yeux de l'entreprise leur avenir et leur devenir. Ce faisant, les salariés âgés ont alors un sentiment de dévalorisation et de reconnaissance réduite au sein de l'entreprise. De plus, ils peuvent se heurter aux nouvelles générations en raison d'une relation différente au travail et à la façon de l'accomplir, d'une conception pouvant différer quant à son organisation, percevant ainsi une remise en cause de la façon dont ils ont travaillé des décennies durant. Cette situation ne peut qu'alimenter, renforcer leur souhait de cessation anticipée d'activité.

3.3.5. À l'opposé, quatre salariés sur dix auraient souhaité poursuivre leur activité professionnelle. D'une façon générale et non exhaustive leur profil correspond à une ou à plusieurs des caractéristiques suivantes:

- Ils ont une qualification importante qui rend leur travail intéressant, sinon passionnant, valorisant, le transformant parfois en véritable "hobby". Leur emploi est leur passe-temps en même temps que leur raison d'être (chercheurs, ingénieurs, techniciens supérieurs ...). Ils conçoivent la fin de leur activité professionnelle comme une rupture ingérable;

- Ils ont une position hiérarchique de haut niveau dans l'entreprise à laquelle ils lient leur position sociale. Position sociale qu'ils souhaitent conserver;

- Ils ne sont pas préparés à "l'inactivité" et la rupture avec la vie professionnelle représente le sentiment de ne plus exister et celui de se retrouver face à un vide d'occupation qui leur semble impossible à combler;

- Ils ont encore des charges familiales importantes (enfants ou ascendants à charge, emprunts non remboursés, charges liées à un divorce, ...) et ne peuvent se permettre une diminution, même minime, de leur revenu;

- Ils n'ont pas encore acquis la plénitude de leurs droits financiers à la retraite.

- ...

3.4 Les dispositions publiques et conventionnelles

3.4.1. La plupart des travaux effectués concernant le raccourcissement de la vie active ont d'une façon générale privilégié deux niveaux d'analyses.

3.4.1.1. Certains ont insisté sur le rôle de la protection sociale et en particulier des systèmes de retraites publics et privés, ainsi que des mécanismes garantissant un revenu de remplacement en cas de chômage ou de cessation anticipée d'activité professionnelle. Ils ont montré que ces systèmes comportaient des facteurs incitatifs ou désincitatifs au travail à partir d'un certain âge et que les comportements individuels de retrait précoce d'activité pouvaient être compris dans cette perspective(11).

3.4.1.2. D'autres travaux ont privilégié le rôle déterminant du marché du travail et du comportement des entreprises pour rendre compte du mouvement de sortie anticipée d'activité(12).

3.4.2. Si ces deux approches doivent participer de l'analyse, il n'est pas juste de les opposer ou de les rendre exclusives l'une de l'autre de façon manichéenne. Bien au contraire elles sont intimement liées.

La protection sociale ou ses substituts, qu'ils soient d'essence publique ou conventionnelle, ne sont que les moyens mis à la disposition du marché du travail pour en aplanir les coûts sociaux en termes de chômage de longue durée et d'exclusion. En d'autres termes on a utilisé les préretraites comme l'instrument d'une "politique d'emploi" ou plus exactement comme l'instrument d'une politique anti-chômage. On peut observer que dans nombre d'États membres ces instruments sont souvent devenus et considérés, par les entreprises, comme un outil de gestion des effectifs et par les salariés comme un avantage social et un droit acquis.

4. Approche de solutions

4.1. Le rééquilibrage du rapport entre actifs et inactifs, le maintien d'un volume de main-d'oeuvre optimal au regard des prévisions démographiques de l'Union européenne, passent pour partie par le relèvement du taux d'activité des salariés de plus de 55 ans. Bien entendu celui-ci doit se situer dans le cadre des équilibres souhaitables entre travail et retraite, loisirs et travail qui représentent des valeurs du modèle social européen.

4.2. Une telle conversion doit se programmer sur le moyen terme en mettant en place une politique d'entretien de l'employabilité tout au long de la vie de travail et de requalification des salariés de plus de 40 ans aussi bien pour les femmes que pour les hommes. En effet, il est difficile de croire, en la matière, en un scénario d'harmonie spontanée dans lequel le renversement de tendance du marché du travail suffirait pour que les entreprises conservent leurs salariés âgés et décident de faire "du neuf avec du vieux".

4.2.1. Au-delà des actions concrètes à entreprendre, il paraît fondamental que sur le plan de la perception tout soit fait pour conduire à un changement des mentalités et à une prise de conscience tant des entreprises que des salariés. Il faut que travailler après 55 ans soit considéré comme valorisant par les salariés et que les entreprises ou les services publics soient conscients des avantages que peuvent leur procurer les travailleurs vieillissants (expérience acquise, savoir-faire, faire savoir, ...).

4.2.2. À cet effet, le Comité suggère à la Commission de promouvoir, en interaction avec les États membres, une large campagne d'information et d'explication afin de contribuer à une perception positive du rôle que peuvent jouer les travailleurs vieillissants dans les entreprises ou les services publics.

Lorsqu'on observe, après la retraite anticipée, leurs engagements dans la vie associative, dans les ONG, dans la vie de la cité, on peut concrètement mesurer les ressources de dynamisme, d'innovation et d'efficacité qui les habitent.

4.3. Il est particulièrement instructif et utile de pouvoir tirer des enseignements des pratiques et expériences dans les États membres. Ainsi, la promotion du taux d'emploi des travailleurs âgés a fait l'objet d'une série d'initiatives des gouvernements et/ou des partenaires sociaux notamment en Autriche, Belgique, Finlande, Pays-Bas, Suède et Irlande.

Une enquête de la fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail a, par ailleurs, permis de répertorier toute une série d'exemples intéressants au niveau d'entreprises allemandes, belges, britanniques, françaises, grecques, italiennes et néerlandaises(13).

Ces différentes analyses ont permis au Comité de dégager les enseignements suivants:

4.3.1. Un changement de mentalité et de comportement est nécessaire. Ainsi ne suffira-t-il pas d'interdire des offres d'emplois comportant des limites d'âge si les politiques de recrutement ne suivent pas. Ce changement de mentalités ne doit pas être le fait d'un seul groupe, mais il doit interpeller tant les pouvoirs publics que les employeurs et les travailleurs pour s'étendre à toute la société.

4.3.2. Il ne suffit pas de mener une politique pour les catégories d'âges à partir de 45-50 ans. Ainsi que le notait le Conseil supérieur de l'emploi en Belgique "Une politique visant à modifier la problématique des travailleurs âgés arrive trop tard si elle ne couvre que cette catégorie de personnes. D'où la nécessité d'une politique de gestion du personnel tenant compte de l'âge dès le moment où les travailleurs entrent dans le processus de travail". À cet effet l'application rigoureuse d'une gestion prévisionnelle des emplois et des qualifications et, plus généralement, une gestion des ressources humaines de qualité sont essentielles.

4.3.3. Ainsi que le démontre l'enquête de la fondation de Dublin, une politique pour les catégories d'âge doit être attentive à cinq aspects principaux:

- le recrutement et le départ;

- la formation, le perfectionnement professionnel et la promotion;

- l'organisation flexible du travail;

- l'ergonomie et la définition des tâches;

- le changement de comportement au sein des entreprises.

4.3.4. Au cours de ses travaux, les initiatives suivantes ont plus particulièrement retenu l'attention du Comité:

- l'accord interprofessionnel en Belgique prévoyant des efforts supplémentaires en matière de formation professionnelle en accordant une attention particulière aux groupes à faible employabilité;

- l'encouragement par les pouvoirs publics des efforts de formation axés sur certains groupes cibles par des incitants fiscaux supplémentaires comme la déduction fiscale pour formation introduite aux Pays-Bas et proposée par les partenaires sociaux autrichiens;

- travailleurs âgés chargés de la formation de leurs collègues plus jeunes et/ou du tutorat d'apprentis;

- formule de travail à temps partiel, interruption de carrière plus souples ou préretraite progressive (Allemagne, Finlande, Belgique, France);

- possibilité d'arbitrer entre une réduction du temps de travail et une augmentation salariale (certains accords sectoriels en Suède);

- réduction des cotisations patronales pour les travailleurs âgés ou pour l'embauche d'un demandeur d'emploi âgé;

- possibilité pour les salariés d'ouvrir un "compte compétence" sujet à une réduction d'impôt relative aux sommes déposées. Ces sommes épargnées, abondées au même niveau par l'employeur, permettent au salarié de prendre une longue période de congé éducation afin d'entreprendre une formation complémentaire sans perte de revenu (Suède).

4.3.5. Lors de ses travaux le Comité s'est interrogé sur l'impact que pouvait avoir le niveau de salaire des travailleurs âgés ainsi que leur progression souvent programmée sur la fragilisation de leur emploi (cf. 3.2.3). En effet, il est constant qu'à qualification égale un salarié âgé perçoive un salaire supérieur à celui de son cadet (primes d'ancienneté, promotions liées à l'âge, ...). Qu'il s'agisse du maintien dans l'emploi ou du recrutement, ce facteur, dans de nombreux États membres, apparaît comme contribuant à cette fragilisation. Sans avoir déterminé de certitudes, de positions, ni d'orientations sur cette question et sans avoir réfléchi plus avant, le Comité pense néanmoins que celle-ci ne doit être ni ignorée, ni évacuée aussi difficile et délicate soit-elle à aborder. Il suggère, au terme de ses interrogations, d'inventorier les avantages et les inconvénients d'une inflexion à terme des systèmes de rémunérations barémiques qui conduirait à une accélération des salaires en début de carrière pour se poursuivre par une faible progression à sa fin. Bien entendu, si cet inventaire a pour objet central le cas des salariés vieillissants, il ne saurait accepter les conséquences négatives qui pourraient être induites sur tout ou partie des paramètres constitutifs d'une politique salariale et d'un déroulement de carrière équitable.

4.3.6. Concernant plus particulièrement les femmes il est utile de souligner que l'insuffisance de services de proximité, liés notamment à la dépendance et à la garde des enfants en bas âge, conduit un grand nombre d'entre elles entre cinquante et soixante ans à abandonner leur emploi.

4.4. Dans la plupart des pays, le problème du devenir des régimes de préretraite s'avère être un dossier particulièrement difficile.

De nombreuses études soulignent cependant la nécessité de relever l'âge de la préretraite. Il est clair que ce débat devient incontournable. Dès l'instant où il ne peut pas être esquivé, il importe selon le Comité de le situer dans un contexte plus large. Ainsi, comme le Comité le soulignait dans son avis sur la stratégie de modernisation de la protection sociale: "pour des raisons à la fois sociales et économiques, il serait préférable de remplacer le recours à la préretraite par le développement de politiques flexibles en matière de retraites et de promouvoir rapidement, par le biais de la formation tout au long de la vie, la reconversion et l'identification de nouvelles formes d'activité"(14).

De l'avis du Comité, deux cas de préretraite méritent cependant la réflexion, l'attention et la prudence:

- les mises à la retraite anticipée lors de restructurations lourdes, tant il est vrai qu'il vaut mieux un "jeune" retraité qu'un chômeur de longue durée sans perspective de réemploi;

- les mises à la retraite anticipée, totale ou partielle, contre des embauches équivalentes de demandeurs d'emploi, tant il est vrai, là aussi, qu'il vaut mieux un retraité qu'un chômeur auquel aucune perspective d'insertion dans la vie active n'est offerte.

En effet, si l'évolution démographique et la diminution annoncée du volume de main-d'oeuvre disponible doivent conduire à prendre des dispositions, celles-ci ne doivent pas être un remède pire que le mal conduisant à renforcer l'exclusion et, ce faisant, détériorant la cohésion sociale.

4.5. Pour le reste, et afin d'obtenir des résultats à moyen terme, l'interrogation porte sur l'instrument qui contribuerait à la conduite d'une politique efficiente en la matière.

4.5.1. La situation des entreprises étant diverse, comme l'est la réalité dans chacun des États membres, il est clair que toutes solutions efficaces passent d'abord par une connaissance approfondie des réalités et par une mise en oeuvre au plus près du terrain.

4.5.1.1. De ce point de vue, et quelle que soit la démarche ou l'instrument retenu au niveau de l'UE, la consultation et la prise en compte de l'avis des partenaires sociaux est centrale. Cette prise en compte est seule garante d'une mise en oeuvre efficace des choix opérés.

4.5.2. Le Comité perçoit quatre instruments de portée différente pouvant contribuer à instaurer, avec une efficacité variable, une dynamique au niveau de l'Union européenne:

- le dialogue des partenaires sociaux européens;

- une "ligne directrice pour l'emploi" spécifique à cette problématique, précise et interpellante;

- un "code volontaire de conduite";

- une directive.

4.5.2.1. Les partenaires sociaux européens pourraient par eux-mêmes, ou sur demande de la Commission, initier sur ce sujet un dialogue social conduisant soit à un échange, à un avis, à des recommandations ou à toute autre forme de conclusions qui leur paraîtraient utiles. Le résultat de ce dialogue social pourrait conduire par exemple, en l'approfondissant si nécessaire, à "Un code volontaire de bonne conduite" mais surtout contribuer au contenu des lignes directrices pour l'emploi précises et interpellantes, instrument qui apparaît au Comité comme le plus adéquat. Cette démarche présenterait l'avantage d'aboutir à des orientations et à des actions qui seraient la synthèse, le point d'équilibre, des positions des principaux acteurs chargés de sa mise en oeuvre sur le terrain de l'entreprise. Par ailleurs ils sont les mieux à même d'apprécier la faisabilité des orientations prises.

4.5.2.2. "Une ligne directrice pour l'emploi" précise et interpellante pourrait présenter l'avantage d'une mise en oeuvre diversifiée renvoyant les responsabilités opérationnelles aux États membres à travers un cadre commun défini. Cependant, afin d'être efficace, une telle démarche devrait laisser aux partenaires sociaux une large part d'initiative. En tout état de cause, et d'une façon générale, ils devraient être associés à la définition et à la mise en oeuvre du plan d'action national concernant l'emploi et les travailleurs âgés.

4.5.2.3. "Un code volontaire de conduite" s'appuyant sur de bonnes pratiques et adopté au niveau de l'Union serait de nature à permettre aux entreprises de progresser de façon souple et adaptée à leur réalité.

4.5.2.4. Une directive à l'initiative et sous la seule responsabilité de la Commission n'apparaît pas au Comité comme étant l'instrument à privilégier. En effet, celle-ci pourrait être perçue, même s'il ne s'agissait que de définir un cadre, comme étant une réponse "tout-terrain" à une situation diversifiée et surtout trop extérieure aux opérateurs chargés de sa mise en oeuvre.

4.6. Quel que soit l'instrument choisi, le Comité souhaite que la Commission examine dans quelle mesure le FSE peut contribuer au financement des actions qui devront être entreprises(15).

5. Conclusions

5.1. Le Comité approuve la décision du Conseil européen de Lisbonne de porter le taux d'emploi "à un niveau aussi proche que possible de 70 % d'ici 2010".

5.2. Considérant:

- les problèmes démographiques qui vont se poser à terme à l'Union européenne;

- le taux actuel d'emploi dans la tranche des 55-64 ans, sa diminution constante et globale;

- la progression constante en volume et en pour cent de cette tranche d'âge au regard des autres tranches d'âge;

- la pratique actuelle des entreprises, des salariés, ainsi que les dispositions légales et conventionnelles dans les États membres.

Le Comité estime que la décision du Conseil ne pourra être atteinte que si des actions sont conduites sous l'impulsion de l'Union européenne, des États membres et des partenaires sociaux afin de favoriser le taux d'emploi des travailleurs âgés.

Un échec sur ce point serait préoccupant car il apporterait une force de travail réduite qui freinerait la croissance, avec des conséquences sur l'emploi, sur le pouvoir d'achat y compris celui des retraités actuels et futurs.

5.3. Il convient, en premier lieu, de faire en sorte, d'aboutir à un changement des mentalités et à une prise de conscience tant des entreprises que des salariés. Travailler après 55 ans doit être considéré comme valorisant pour le salarié et utile pour les entreprises. En l'absence de cette prise de conscience collective les mesures concrètes qui seraient adoptées ne sauraient trouver leur pleine efficacité.

À cet effet le Comité suggère à la Commission de promouvoir, en interaction avec les États membres, une campagne de sensibilisation, d'information et d'explication en direction des principaux acteurs et de la société en général afin de contribuer à une perception positive du rôle que peuvent jouer les travailleurs vieillissants dans les entreprises et les services publics.

5.4. Dans le chapitre 4 du présent avis d'initiative, le Comité fait une série de suggestions concrètes issues soit des meilleures pratiques observées dans les États membres, qu'elles soient d'ordre législatif ou contractuel, soit de ses propres réflexions et interrogations ou encore il rapporte des dispositions élaborées par la Fondation de Dublin qui lui semblent centrales.

Ces suggestions ont pour objet d'alimenter, en tentant de l'enrichir, le débat et de contribuer ainsi aux orientations et aux décisions que devront prendre les partenaires sociaux, le Conseil et les États membres.

5.5. S'agissant de l'instrument qui devrait être utilisé au niveau de l'Union européenne, le Comité pense qu'une Directive n'est pas le moyen le plus approprié.

Il suggère que les partenaires sociaux, par eux-mêmes ou sur demande de la Commission, initient sur ce sujet un dialogue social conduisant soit à un échange, à un avis, à des recommandations ou à toute autre forme de conclusions qui leur paraîtraient utiles. Le résultat de ce dialogue social pourrait conduire, en l'approfondissant si nécessaire, à un "Code volontaire de bonne conduite" mais surtout contribuer au contenu des lignes directrices pour l'emploi précises et interpellantes, instrument qui apparaît au Comité comme le plus adéquat au regard du sujet à traiter.

Bruxelles, le 19 octobre 2000.

Le Président

du Comité économique et social

Göke Frerichs

(1) Avis du Comité économique et social sur le "Chômage des jeunes", JO C 18 du 22.1.1996.

(2) Contribution de la Commission européenne au Conseil social de Lisbonne. Source Eurostat.

(3) Cf. tableaux n° 1, n° 2, n° 2 bis et n° 2 ter.

(4) Cf. tableau no 3.

(5) Guillemard 1986; Casey et Laczko 1989.

(6) Cf. tableau n° 4.

(7) "Situation et perspectives démographiques de l'Union européenne" CES 930/99.

(8) Anne-Marie Guillemard, "Salariés vieillissants et marché du travail", rapport de l'Observatoire européen des politiques de vieillesse et de retraite; DG V, Bruxelles, janvier 1993 et du même auteur "Vers un nouveau contrat entre générations pour les retraites". Anne-Marie Guillemard est sociologue, professeur à l'Université Paris-Sorbonne et membre de l'Institut universitaire de France.

(9) Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail: "La lutte contre les barrières de l'âge dans l'emploi" p. 23.

(10) Cf. "Age and Attitudes - Main Results from a Eurobarometer Survey" - Commission of the EC, 1993.

(11) Quinn et al. 1990, Quinn et Burkhauser 1990.

(12) Standing.1986, Sorensen.1989.

(13) Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail: la lutte contre les barrières de l'âge dans l'emploi.

(14) JO C 117 du 26.4.2000.

(15) Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail: "La lutte contre les barrières de l'âge dans l'emploi".

ANNEXE

à l'avis du Comité économique et social

Tableau 1 - Taux d'activité de la population masculine (tranche d'âge 55-64 ans) en 1986(1) et 1997

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Tableau 2 - Taux d'emploi pour les hommes de la tranche d'âge 55-64 ans dans 12 pays pour la période 1971-1997 (a)

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Notes:

a) Les données basées sur une coupe statistique sont difficiles à interpréter en ce qui concerne les femmes. Elles suggèrent généralement des taux stables ou en légère augmentation sur toute la période. Mais ce résultat global recouvre deux tendances contradictoires qui ont touché les femmes: la tendance à l'entrée massive de celles-ci sur le marché du travail, qui a démarré à des dates différentes selon le pays, et la tendance à une sortie précoce de ce marché du travail. Les analyses des cohortes permettent de déceler ces tendances. Elles prouvent que les femmes, comme les hommes, ont dû quitter tôt le marché de l'emploi même si cette tendance a été cachée par leur entrée massive sur ce marché.

b) Allemagne réunifiée (1991).

Source:

Données de l'OCDE plus nos propres calculs.

Tableau 2 bis - Taux d'emploi des hommes de plus de 55 ans par tranches d'âge dans douze États membres de l'Union européenne

>TABLE>

Source:

Guillemard 1993, Tableau 3,2, Enquête Eurostat sur les forces de travail 1992 (1994), Tableau 6; Enquête Eurostat sur les forces de travail, non publiée, Eurostat.

Tableau 2 ter - Taux d'emploi des femmes de plus de 50 ans par tranches d'âge dans douze États membres de l'Union européenne

>TABLE>

Source:

Guillemard 1993, Tableau 3,2, Enquête Eurostat sur les forces de travail 1992 (1994), Tableau 6; Enquête Eurostat sur les forces de travail, non publiée, Eurostat.

Tableau 3 - Évolution comparée des taux d'emploi masculins 55-64 ans

(1970-1990)

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Source:

OCDE, Enquête sur la force de travail (1992).

Tableau 4 - Tranche d'âge de 50 à 64 ans en % de la population

1995-2025

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Source:

Eurostat, Projections démographiques 1997 (scénario de base).

(1) Source:

Eurostat "Étude de la population active", sauf Autriche, Suède et Finlande.

Les données concernant la première année de référence pour ces trois États membres proviennent d'études nationales et se réfèrent à 1985.

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