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Document 62019CC0343

    Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 2 avril 2020.
    Verein für Konsumenteninformation contre Volkswagen AG.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landesgericht Klagenfurt.
    Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 7, point 2 – Compétence judiciaire en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Lieu où le fait dommageable s’est produit – Lieu de la matérialisation du dommage – Manipulation des données relatives au rejet des gaz d’échappement de moteurs produits par un constructeur automobile.
    Affaire C-343/19.

    Recueil – Recueil général

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2020:253

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

    présentées le 2 avril 2020 ( 1 )

    Affaire C‑343/19

    Verein für Konsumenteninformation

    contre

    Volkswagen AG

    [demande de décision préjudicielle formée par le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche)]

    « Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence judiciaire en matière de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle – Lieu du fait dommageable – Manipulation des valeurs d’émission de gaz dans les moteurs de véhicules automobiles »

    1.

    En 1976, la Cour a été confrontée pour la première fois à une question que le législateur avait laissée ouverte à l’article 5, point 3), de la convention de Bruxelles ( 2 ). Elle a dû décider si, aux fins de la détermination de la compétence judiciaire, le « lieu où le fait dommageable s’est produit » est le lieu où le dommage est survenu ou bien celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage ( 3 ).

    2.

    Afin de fournir une interprétation utile du système de répartition des compétences internationales entre les États membres, la Cour a retenu la possibilité de recourir aux deux points de rattachement. La solution (qui était la plus raisonnable pour l’affaire en cause) est devenue le paradigme. Sur un plan purement théorique, elle n’est pas dénuée de sens, étant donné que toute responsabilité extracontractuelle requiert un fait et un dommage ainsi qu’un lien de causalité entre ceux‑ci.

    3.

    En pratique, la solution n’est pas aussi évidente, sauf dans des affaires simples comme celle tranchée par l’arrêt Bier. Elle n’est en particulier pas évidente lorsque le dommage, par sa nature même, n’a pas d’aspect matériel. Tel est le cas des atteintes qui n’affectent ni l’intégrité d’une chose ni l’intégrité physique d’une personne, mais, de manière générale, le patrimoine.

    4.

    La Cour, qui a abordé ces problèmes à diverses reprises et sous différents angles ( 4 ), a désormais l’occasion d’affiner sa jurisprudence relative à l’article 7, point 2), du règlement (UE) no 1215/2012 ( 5 ).

    I. Le cadre juridique : le règlement no 1215/2012

    5.

    Le considérant 16 du règlement no 1215/2012 est ainsi libellé :

    « Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation. »

    6.

    Le chapitre II, intitulé « Compétence », du règlement no 1215/2012 contient une section intitulée « Dispositions générales » (articles 4, 5 et 6) et une section intitulée « Compétences spéciales » (articles 7, 8 et 9).

    7.

    Aux termes de l’article 4 du règlement no 1215/2012 :

    « 1.   Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

    […] »

    8.

    En vertu de l’article 7 du règlement no 1215/2012 :

    « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

    […]

    2)

    en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

    […] »

    II. Le litige au principal et la question préjudicielle

    9.

    Le Verein für Konsumenteninformation (ci‑après « VKI ») est une organisation de consommateurs ayant son siège en Autriche. Son objet statutaire inclut, entre autres, l’exercice d’actions en justice pour la défense des droits des consommateurs, que ceux‑ci lui cèdent à cette fin.

    10.

    Le 6 septembre 2018, VKI a intenté devant la juridiction de renvoi une action contre Volkswagen AG, une société de droit allemand ayant son siège en Allemagne, pays dans lequel celle‑ci fabrique des véhicules automobiles.

    11.

    Dans son action, VKI exerce les droits à indemnisation qui lui ont été cédés par 574 acheteurs de véhicules. Elle demande également que la responsabilité de Volkswagen soit constatée pour des dommages futurs qui n’ont pas encore été quantifiés. Les deux demandes sont liées à l’installation, dans les véhicules achetés, d’un dispositif de désactivation (un logiciel manipulant les données) qui a masqué, lors de la réalisation de tests, les valeurs réelles des émissions de gaz d’échappement, en violation des règles du droit de l’Union ( 6 ).

    12.

    VKI affirme que tous les consommateurs lui ayant cédé leurs droits ont acquis en Autriche, soit auprès d’un concessionnaire professionnel, soit auprès d’un particulier, des véhicules équipés d’un moteur mis au point par Volkswagen. Les acquisitions en cause ont été faites avant la révélation au public, le 18 septembre 2015, de la manipulation sur les gaz d’échappement opérée par le fabricant.

    13.

    Selon VKI, le préjudice causé aux propriétaires des véhicules réside dans le fait que, s’ils avaient eu connaissance de la manipulation invoquée, ils n’auraient probablement pas acheté les véhicules, ou l’auraient fait à un prix inférieur. La différence entre le prix d’un véhicule ayant fait l’objet d’une manipulation et celui effectivement payé constitue un préjudice découlant d’une atteinte à la confiance et ouvrant droit à réparation. À titre subsidiaire, VKI fonde sa demande sur le fait que, tant sur le marché des voitures neuves que sur celui des voitures d’occasion, la valeur d’un véhicule ayant fait l’objet d’une manipulation est bien inférieure à celle d’un véhicule ne l’ayant pas été.

    14.

    VKI affirme également que le préjudice subi par les acheteurs a été accru par une augmentation de la consommation de carburant, par une diminution de la performance de ces véhicules ou de leur moteur ou encore par une usure plus importante. En outre, selon VKI, il y a lieu de s’attendre à une perte supplémentaire de la valeur de marché des véhicules concernés, qui risquent de subir d’autres inconvénients, tels qu’une interdiction de circulation ou un retrait d’agrément. Au moment de l’introduction de la demande, certains de ces préjudices n’étaient pas encore quantifiables ou ne s’étaient pas encore matérialisés, de sorte que la demande de VKI à cet égard est simplement déclaratoire.

    15.

    S’agissant de la compétence judiciaire internationale de la juridiction devant laquelle il a introduit la demande, VKI invoque l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012.

    16.

    Volkswagen conclut au rejet des demandes de VKI et conteste la compétence judiciaire internationale de la juridiction de renvoi.

    17.

    Dans ce contexte, le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche) pose la question préjudicielle suivante :

    « L’article 7, point 2), du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit-il être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, on peut considérer comme “lieu où le fait dommageable s’est produit” le lieu, situé à l’intérieur d’un État membre, où s’est produit le préjudice si ce préjudice consiste exclusivement en une perte financière qui est la conséquence directe d’agissements susceptibles d’engager la responsabilité délictuelle survenus dans un autre État membre ? »

    III. Analyse

    A. Introduction

    18.

    L’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012, qui établit en faveur du demandeur un critère de compétence alternatif au for général (c’est‑à‑dire celui correspondant au domicile du défendeur dans un État membre, prévu à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement), a toujours constitué un défi pour l’interprète ( 7 ).

    19.

    En raison de la pluralité et de l’hétérogénéité des situations propres à donner lieu à une action « en matière délictuelle ou quasi délictuelle », la Cour a été confrontée à l’exégèse de la disposition en cause dans des contextes très différents et qui, au fil du temps, sont également apparus différents de ceux imaginés lorsque cette disposition a été adoptée ( 8 ). Il a appartenu à la Cour de l’adapter et de l’enrichir, à l’occasion de l’examen des questions préjudicielles provenant des États membres ( 9 ).

    20.

    Plusieurs critères invariables existent cependant pour interpréter la disposition en cause : la fonction centrale des principes qui la régissent, à savoir le principe de la prévisibilité des règles (pour les parties) et celui de la proximité entre la juridiction compétente et le litige ; la préoccupation de maintenir l’utilité de la règle spéciale, dans le cadre du système de répartition des compétences, sans que cela autorise toutefois une interprétation extensive ( 10 ) ; ainsi que la neutralité de cette règle par rapport aux parties. L’interprétation est, en tout état de cause, autonome, c’est-à-dire indépendante tant de la définition du « fait » et du « dommage » dans les systèmes nationaux que du régime de fond applicable à la responsabilité civile ( 11 ).

    21.

    L’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 présuppose un lien particulièrement étroit entre la juridiction compétente et le litige. Ce lien sert à assurer la sécurité juridique et à empêcher qu’une personne soit attraite devant une juridiction d’un État membre qu’elle n’aurait pas pu raisonnablement prévoir. Il facilite également la bonne administration de la justice et le bon déroulement du procès ( 12 ).

    22.

    Lorsque le comportement illicite et ses conséquences sont situés dans différents États membres, le critère de la compétence judiciaire se dédouble, car on présume que, en matière de responsabilité délictuelle, les deux lieux présentent un lien significatif avec le litige. Dans ces circonstances, le demandeur peut choisir entre les deux juridictions lorsqu’il introduit son action.

    23.

    Le critère prévu à l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 conserve ainsi son effet utile, qui disparaîtrait si la disposition en cause était interprétée uniquement comme le lieu du fait générateur, puisque ce dernier coïncide généralement avec le domicile du défendeur ( 13 ). Le dédoublement du for n’a en aucun cas été abandonné ( 14 ).

    24.

    L’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 n’a pas été conçu comme un for destiné à protéger le demandeur. Bien que, dans une perspective systématique, il puisse être compris comme une compensation à la règle « actor sequitor rei » ( 15 ), cela n’implique pas qu’il doive être appliqué, par principe, de manière favorable aux juridictions de l’État du domicile de la victime (forum actoris) ( 16 ). Cela n’a été admis que lorsque (et parce que) le lieu du domicile de la victime constitue, en outre, le lieu de matérialisation du dommage ( 17 ).

    25.

    Sur la base de ces éléments et en les combinant, la Cour a élaboré des lignes directrices pour l’interprétation de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 en ce qui concerne le « lieu de matérialisation du dommageable », certaines ayant vocation générale et d’autres étant limitées à des domaines spécifiques :

    De manière générale, et pour ce qui nous intéresse ici, la Cour a écarté certaines catégories de dommages non pertinentes : aux fins de la disposition en cause, seul importe le dommage initial, et non le dommage consécutif ( 18 ) ; seul importe le dommage subi par la victime directe, et non celui subi par les victimes « par ricochet » ( 19 ).

    En ce qui concerne certains domaines spécifiques (par exemple, la responsabilité pour atteinte aux droits de la personnalité sur Internet), la Cour a admis le critère du centre des intérêts principaux de la victime ( 20 ). Elle a ainsi cherché à trouver en faveur du titulaire du droit un équilibre compensant la globalité d’Internet ( 21 ).

    26.

    Lorsque le dommage allégué est purement économique, la Cour a établi certains critères auxquels je me référerai plus tard.

    B. Réponse à la question préjudicielle

    27.

    Pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, qui est similaire à celle qui se posait en son temps dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Universal, il convient de déterminer tout d’abord la nature du dommage allégué, à savoir si ce dommage est initial ou consécutif et s’il est matériel ou purement économique ( 22 ). Il faut également établir si les personnes qui ont cédé leurs droits à VKI, en tant que créanciers de l’indemnisation demandée, sont des victimes directes ou indirectes.

    28.

    Puis, en fonction de la qualification du dommage, il conviendra de préciser le lieu pertinent aux fins de la compétence juridictionnelle.

    29.

    La juridiction de renvoi demande, en outre, s’il faudrait corriger le résultat obtenu lors de l’opération précédente en tenant compte de considérations de prévisibilité et de proximité. J’estime qu’il est important d’indiquer, d’emblée, qu’une réponse affirmative à cette question impliquerait un changement substantiel dans l’interprétation et l’application de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 qui prévalent aujourd’hui.

    30.

    Dans leurs observations, les parties intervenantes ont exprimé d’autres hésitations quant à l’interprétation de la disposition en cause, mais comme celles‑ci ne figurent pas dans la décision de renvoi, je ne me prononcerai pas à leur égard ( 23 ).

    1.   La nature du dommage : initial ou consécutif, matériel ou patrimonial. Victimes directes ou indirectes

    31.

    Pour la juridiction de renvoi, le dommage réside dans le logiciel lui‑même, qui, intégré au véhicule, constitue un vice de celui‑ci. Elle le qualifie de dommage initial, la diminution du patrimoine des acquéreurs n’étant qu’un dommage consécutif ( 24 ).

    32.

    Elle évoque également les personnes ayant subi le dommage, en demandant s’il s’agit des consommateurs représentés par VKI ou de tous les acquéreurs de véhicules, à commencer par les premiers concessionnaires et importateurs. Dans cette seconde hypothèse, les personnes dont VKI défend les droits, les dernières de la chaîne, ne seraient pas des victimes directes.

    33.

    Lorsque l’on s’interroge sur la nature du dommage, il convient de distinguer le domaine des faits générateurs de celui des conséquences (les préjudices) qu’ils produisent :

    La fabrication d’un objet, avec ou sans vice, relève du premier domaine. C’est ainsi que la Cour l’a compris dans l’arrêt Zuid‑Chemie, s’agissant de la responsabilité pour des dommages causés par un produit défectueux ( 25 ).

    Les dommages (rectius, les préjudices) sont les conséquences négatives des faits dans la sphère des intérêts juridiques protégés d’un demandeur ( 26 ).

    34.

    En partant de cette prémisse, en l’espèce, le fait générateur consisterait en l’installation, au cours du processus de fabrication du véhicule, du logiciel qui modifie les données relatives aux émissions de gaz de celui‑ci.

    35.

    À mon avis, le dommage résultant de ce fait est de nature initiale et patrimoniale.

    36.

    Dans des circonstances normales (en l’absence de tout vice), l’acquisition d’un objet apporte au patrimoine dans lequel il s’intègre une valeur au moins équivalente à la valeur de ce qui en sort (et qui, dans le cas d’une vente, est représentée par le prix payé pour l’objet).

    37.

    Lorsque la valeur du véhicule est inférieure au prix payé, déjà au moment de l’achat, parce qu’il est acheté avec un vice d’origine, le prix payé ne correspond pas à la valeur reçue. La différence entre le prix payé et la valeur du bien matériel reçu en contrepartie génère un désavantage patrimonial concomitant à l’acquisition du véhicule (désavantage qui ne sera toutefois découvert que plus tard).

    38.

    L’existence du véhicule, en tant qu’objet matériel, empêche-t-elle que l’atteinte soit qualifiée de patrimoniale ? Je ne le pense pas. Lorsque les véritables caractéristiques du véhicule automobile sont devenues publiques, ses acheteurs n’ont pas découvert qu’ils avaient un véhicule moindre ou un autre véhicule, mais un véhicule de moindre valeur, en somme, un patrimoine inférieur. Le véhicule, en tant qu’objet physique, symbolise la diminution du patrimoine et permet d’identifier l’origine de ce désavantage. Mais il ne modifie pas, dans ce cas, la nature immatérielle du préjudice que la manipulation du logiciel a causé aux acheteurs.

    39.

    Cette perte patrimoniale est, je le répète, initiale et non consécutive : elle dérive directement du fait générateur (la manipulation du moteur) et non d’un dommage antérieur subi par le demandeur et qui trouve son origine dans ce même fait.

    40.

    En ce qui concerne la qualité des victimes, je comprends que les personnes qui ont acheté les voitures (et qui ont cédé leurs droits à VKI pour leur défense en justice) sont des victimes directes au sens de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012. La perte qu’elles allèguent n’est pas une conséquence d’un préjudice antérieur subi par d’autres personnes avant elles.

    41.

    En effet, la diminution de la valeur des véhicules ne s’est pas concrétisée avant que la manipulation des moteurs ait été rendue publique. Les demandeurs peuvent être, dans certains cas, des utilisateurs finals qui ont reçu le véhicule d’un autre acquéreur antérieur, mais celui‑ci n’a pas subi de quelconque préjudice puisque le dommage, latent à ce moment-là, ne s’est déclaré que plus tard, affectant le propriétaire suivant. C’est pourquoi il n’est pas question de parler d’une répercussion des dommages des premiers acheteurs sur les suivants.

    2.   Le lieu où s’est produit le fait à l’origine du dommage

    42.

    La juridiction nationale ne s’interroge que sur la détermination du lieu où le dommage s’est matérialisé, et non sur le lieu où s’est produit le fait qui l’a causé. Dans la décision de renvoi, elle indique clairement que, selon elle, le fait qui a déclenché les dommages (le fait générateur) s’est produit là où les véhicules manipulés ont été fabriqués, c’est‑à‑dire en Allemagne.

    43.

    Par conséquent, conformément à la règle générale, le constructeur des véhicules, en tant que personne ayant son siège en Allemagne, serait en principe soumis aux juridictions de cet État membre. Mais comme la demande trouve son origine dans un délit ou un quasi-délit, cette personne peut également être attraite dans un autre État membre, plus précisément devant les juridictions du lieu où le dommage s’est matérialisé.

    3.   Le lieu où le dommage se matérialise

    a)   Le cadre général

    1) La localisation d’un préjudice purement économique dans la jurisprudence de la Cour

    44.

    La demande de VKI n’est pas fondée, ainsi que je l’ai déjà indiqué, sur une atteinte matérielle à une personne ou à une chose, mais sur un préjudice purement économique.

    45.

    Dans la jurisprudence de la Cour, le lieu de la matérialisation du dommage est celui où les conséquences négatives d’un fait se manifestent concrètement ( 27 ).

    46.

    L’absence d’atteinte physique rend difficile l’identification d’un tel lieu et génère des incertitudes, même au début du processus. En même temps, cette absence soulève des doutes quant à l’opportunité de retenir ce lieu comme règle de compétence aux fins de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012. Il n’est guère surprenant que, à l’occasion de demandes de décisions préjudicielles antérieures à celle‑ci, il ait été suggéré à la Cour d’abandonner l’option entre le lieu du fait dommageable et le lieu du dommage pour les hypothèses de dommage uniquement patrimonial ( 28 ).

    47.

    Il est vrai qu’il existe des arguments en faveur d’une telle proposition. Le dédoublement du for n’est pas un impératif dans l’application de la disposition en cause ; il est justifié parce que et si l’attribution de la compétence répond à un « besoin objectif du point de vue de la preuve ou de l’organisation du procès » ( 29 ). L’interprétation consacrée par l’arrêt Bier ne cherchait pas à additionner les juridictions compétentes pour les demandes en matière de responsabilité extracontractuelle, mais plutôt à ne pas écarter des points de rattachement pertinents dans l’analyse des éléments significatifs pour ces demandes, à savoir le fait et le dommage.

    48.

    À cet égard, l’option du « lieu où se matérialise le dommageable » ne devrait peut-être pas s’appliquer dans certaines hypothèses ( 30 ) : a) lorsque la nature du dommage ne permet pas de déterminer où celui‑ci s’est produit en appliquant un critère simple ( 31 ) ; b) lorsque la localisation devrait être établie en recourant à des fictions ( 32 ) ; et c) lorsque l’examen tend à aboutir à un lieu fortuit ou pouvant être manipulé par le demandeur ( 33 ).

    49.

    À cet égard, je rappellerai que, dans l’arrêt du 19 février 2002 Besix, la Cour a exclu l’application de l’article 5, point 1), de la convention de Bruxelles [devenu l’article 7, point 1), du règlement no 1215/2012] à l’égard d’une obligation qui « n’est susceptible ni d’être localisée à un endroit précis ni d’être rattachée à une juridiction qui serait particulièrement apte à connaître du différend relatif à cette obligation » ( 34 ).

    50.

    Étant donné que les points 1) et 2) de l’article 7 du règlement no 1215/2012 poursuivent les mêmes objectifs de proximité et de prévisibilité, la solution qui s’applique pour le point 1) de l’article 7 de ce règlement pourrait valoir également pour le point 2) dudit règlement.

    51.

    Certes, la Cour n’a pas exclu la compétence des juridictions du lieu où le dommage s’est matérialisé, lorsque celui‑ci est uniquement patrimonial ( 35 ). Cependant, si elle ne refuse pas catégoriquement de conserver cette option, elle se rapproche parfois de cette solution. L’argumentation employée n’est pas univoque, ainsi qu’on le perçoit dans les affaires dans lesquelles la perte patrimoniale est le résultat d’infractions au droit de la concurrence ( 36 ), par rapport à celles où elle découle d’un investissement douteux.

    52.

    Parfois, la Cour associe au dommage une omission ou un fait causés par l’activité du défendeur, qui précèdent immédiatement et logiquement le préjudice, et dont la capacité à être appréciés par les sens, quoique n’étant pas absolue, est plus grande, comme c’est le cas lorsque le dommage résulte de quelque chose qui ne se produit pas.

    Tel a été le cas dans l’arrêt du 21 décembre 2016, Concurrence, dans le contexte d’un réseau de distribution sélective : le préjudice que le distributeur pouvait invoquer se traduisait par la réduction du volume des ventes et par la perte de profits subséquente ( 37 ).

    Dans la même veine, l’arrêt du 5 juillet 2018, AB flyLAL-Lithuanian Airlines, examine la perte économique en conjonction avec la baisse des ventes de la compagnie ( 38 ).

    Dans l’arrêt du 29 juillet 2019, Tibor-Trans, il a été considéré que le dommage consistait en des surcoûts payés pour l’achat de camions en raison d’un prix artificiellement élevé : la Cour a retenu non pas le lieu où les surcoûts avaient été effectivement payés, mais l’acquisition du camion sur un marché affecté par les pratiques collusoires ( 39 ).

    53.

    La présentation du dommage patrimonial par référence à une activité ou à un fait apparents aide à le rattacher physiquement à un territoire ou, directement, évite d’avoir à le faire. Je ne vois pas pourquoi cette méthode ne pourrait pas être généralisée ( 40 ), bien qu’il me paraisse opportun de mettre en garde contre ses risques : rattacher le dommage patrimonial à son antécédent matériel le plus proche peut conduire à des discussions baroques sur les catégories de dommage « initial » et « consécutif » ( 41 ).

    54.

    La perte patrimoniale elle‑même est passée au premier plan dans d’autres arrêts, dans lesquels la Cour a admis que la matérialisation du préjudice se produit sur le compte qui enregistre au niveau comptable la perte économique. Tel est généralement le cas en matière d’investissements ( 42 ).

    55.

    Dans de tels cas toutefois, des raisons de proximité entre le litige et le for ou la prévisibilité pour les parties exigent que des éléments de l’affaire autres que le lieu de matérialisation du dommage confirment, appréciés dans leur ensemble, l’aptitude de ce lieu aux fins de l’attribution de compétence. La localisation de ces éléments permettra de confirmer (ou, le cas échéant, d’infirmer) la certitude sur le site retenu comme siège du dommage économique.

    56.

    Dans cette jurisprudence (récente) de la Cour qui, à ce jour, se résume à trois arrêts ( 43 ), la ligne argumentative suivie dans le cadre de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 comporte deux étapes, la recherche du lieu de matérialisation du dommage ne constituant que l’une d’elles. Ce lieu, une fois identifié, ne présente pas automatiquement la proximité et la prévisibilité requises, mais constitue plutôt un point de départ qui doit être corroboré par les autres circonstances particulières du litige, dans une appréciation d’ensemble ( 44 ).

    57.

    Bien que ce raisonnement soit complexe et s’écarte de celui appliqué à d’autres types de dommages, il ne me semble pas que le discours de la Cour ait changé de manière substantielle. L’analyse ne place pas au premier plan la proximité ou la prévisibilité, et elle n’autorise pas l’interprète à se contenter d’effectuer une mise en balance des circonstances de l’affaire afin d’identifier le for le plus approprié à la lumière de ces paramètres. Cet aspect ayant suscité des doutes au sein de la juridiction de renvoi ( 45 ), je l’aborderai plus en détail dans la suite.

    2) Portée du critère des « circonstances particulières »

    58.

    Dans sa jurisprudence actuelle, la Cour a recours aux « circonstances particulières » de l’affaire pour préciser le critère de compétence relatif au « lieu du dommage ».

    59.

    Ainsi que je l’ai expliqué, cette opération oblige à vérifier la coïncidence des éléments garantissant que le lieu identifié comme étant celui « du dommage » est proche et prévisible, conformément aux critères du règlement no 1215/2012. Cela répond ainsi aux exigences de protection juridictionnelle des deux parties et à celles relatives à la gestion du procès. La nécessité de cette vérification n’est pas générale, pour tous les types de dommages ; elle existe, ou peut exister, pour les dommages purement patrimoniaux.

    60.

    Ce critère ne permet pas non plus à la juridiction saisie du litige de comparer le « lieu du fait générateur » et le « lieu du dommage » et de choisir le plus approprié d’entre eux.

    61.

    Je ne conteste pas que l’équivalence, en termes de proximité et de prévisibilité, entre les lieux du fait générateur et du dommage, consacrée par l’arrêt Bier, est théorique ou idéale. Ce même arrêt indique qu’il n’est pas opportun de retenir l’un d’eux et d’exclure l’autre, car chacun peut, « selon les circonstances » ( 46 ), fournir des indications utiles du point de vue de la preuve et de l’organisation du procès.

    62.

    Toutefois, la singularité des circonstances de l’espèce n’est pas un critère valable (et la Cour ne l’a pas adopté) pour trancher entre la juridiction du lieu du fait générateur et celle du dommage. Une telle option a été consciemment laissée entre les mains du demandeur, ce qui implique d’accepter que celui‑ci agira, avant tout, à sa propre convenance.

    63.

    La nature relative des objectifs de proximité et de sécurité juridique est d’ailleurs une caractéristique structurelle du système de répartition des compétences du règlement no 1215/2012. Chacun des fors prévus à l’article 7 de ce règlement reflète une mise en balance réalisée ex ante, dans l’abstrait, par le législateur entre les exigences de prévisibilité et celles de proximité.

    64.

    Le résultat de cette mise en balance exprime un équilibre raisonnable entre les deux principes, qu’il convient de préserver lors de la mise en œuvre de la règle. Ainsi, dans le passé, la Cour a rappelé qu’il n’est pas possible d’écarter le résultat auquel conduit l’application du critère formellement établi par l’article 7 du règlement no 1215/2012, même si, dans le cas concret, il désigne une juridiction dépourvue de lien avec le litige. Le défendeur peut être attrait devant la juridiction du lieu désigné par cette disposition, même si le for ainsi déterminé n’est pas celui qui présente le lien le plus étroit avec le litige ( 47 ).

    65.

    La référence à « la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis » ( 48 ) n’implique pas, ni du point de vue de la méthode ni de celui du résultat, une comparaison entre les différentes juridictions qui pourraient être compétentes au titre du lieu du fait et du dommage afin d’identifier dans chaque cas le for le mieux placé.

    66.

    Cette expression traduit la mise en balance effectuée entre la sécurité juridique et la proximité par rapport au litige, qui se cristallise dans le critère de compétence consacré dans la disposition juridique en cause. Dans d’autres arrêts, la Cour utilise des expressions différentes, comme celle de « lien de rattachement particulièrement étroit » ( 49 ), qui n’incluent pas l’idée de comparaison. Ces autres expressions sont, à mon avis, plus appropriées, en ce qu’elles n’induisent pas d’erreur sur la mission de l’autorité qui applique la norme en cause.

    3) Précisions sur les « autres circonstances particulières »

    67.

    La question de savoir quelles sont les « autres circonstances particulières » qui doivent coïncider au soutien du lieu de manifestation du dommage, lorsque celui‑ci est purement économique, dépend bien entendu de chaque litige : cette expression contient l’idée de contingence et se réfère au cas concret. Toutefois, à mon avis, en termes généraux, ces circonstances peuvent être décrites comme telles :

    les éléments pertinents pour la bonne administration de la justice et l’organisation utile du procès ;

    les facteurs qui ont pu servir à former la conviction des parties quant au lieu de l’action en justice ou quant à celui où elles peuvent éventuellement être attraites du fait de leurs actes ( 50 ).

    68.

    Cela explique mieux les éléments énumérés par la Cour dans l’arrêt Löber ( 51 ), qui est le paradigme de cette nouvelle approche. Ces éléments comprennent l’origine des paiements (la localisation des comptes bancaires personnels et de compensation) ; le marché de diffusion du prospectus, de commercialisation et d’acquisition des certificats ; la localisation des partenaires directs de l’investisseur, et même le domicile de celui‑ci.

    69.

    Il peut être supposé que ces éléments contribueront à la preuve du comportement illicite, du dommage et de la relation de causalité entre ceux‑ci. Il s’agit d’ailleurs de circonstances qui prennent en compte le point de vue des parties au litige : pour Mme Löber, la partie demanderesse, ces circonstances indiquaient que son investissement ne présentait pas de caractère transfrontalier ( 52 ) ; pour la Barclays Bank, la partie défenderesse, elles devaient mettre en garde contre la possibilité que, dans certains États membres, des particuliers insuffisamment informés fassent des investissements qui entraîneraient des dommages.

    b)   Dans le présent litige

    1) Le lieu de matérialisation du dommage

    70.

    Compte tenu de ce qui précède, il convient d’être circonspect si l’on veut étendre à toute demande d’indemnisation pour des dommages purement patrimoniaux une approche qui, lors de l’application de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012, oblige d’abord à identifier le lieu de matérialisation du dommage puis à confirmer (ou non) le caractère idoine de celui‑ci en tant que critère de compétence judiciaire, dans une appréciation d’ensemble des circonstances spécifiques de l’affaire.

    71.

    En ce qui concerne le présent litige, je comprends qu’il existe des parallélismes avec les affaires qui ont donné lieu aux arrêts Kolassa, Universal ou Löber. J’estime également que l’élément qui pourrait justifier l’application de la même méthode n’est pas le véhicule.

    72.

    Lorsque la perte patrimoniale est symbolisée par un objet physique spécifique, on pourrait penser que cet objet et sa localisation servent de point de départ pour établir la compétence judiciaire dans le cadre de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 ( 53 ). Toutefois, l’endroit où se trouve physiquement l’objet au moment où se produit la perte ( 54 ) est, comme dans le cas du compte bancaire, insuffisant, et ce d’autant plus qu’il s’agit de quelque chose de mobile.

    73.

    L’emplacement du véhicule est imprévisible, du point de vue du défendeur. En ce qui concerne la proximité entre la juridiction compétente et le litige, la voiture compte moins que la preuve de sa propriété et du moment où elle a été achetée, en particulier si, comme indiqué dans la décision de renvoi, l’examen de chaque automobile n’est pas nécessaire pour évaluer le dommage (car celui‑ci a été estimé à un même pourcentage du prix pour toutes les personnes concernées) ( 55 ).

    74.

    Le point de départ correct réside cependant dans l’acte par lequel le bien est devenu partie intégrante du patrimoine de la personne concernée et a causé la perte. Le lieu de matérialisation du dommage est celui où une telle transaction a été conclue ; les juridictions de ce lieu seront compétentes (sur le plan international et territorial) si les autres circonstances spécifiques de l’affaire coïncident également pour attribuer cette compétence.

    75.

    Ces circonstances, qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’identifier et de mettre en balance, devraient inclure non seulement celles relatives à la victime ( 56 ), mais aussi certaines indications de l’intention du défendeur de vendre ses véhicules dans l’État membre dont la compétence juridictionnelle fait débat ( 57 ) (et, si possible, dans des circonscriptions données de cet État) ( 58 ).

    2) Les « autres circonstances particulières » et la compétence des juridictions autrichiennes

    76.

    J’ai déjà signalé qu’il n’est guère aisé de définir dans l’abstrait quelles sont les circonstances qui doivent coïncider au soutien du lieu « du dommage » ou les lignes directrices pour effectuer l’analyse d’ensemble. Toutefois, l’absence de certitude sur les unes ou les autres comporte le risque d’une application non uniforme de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 et conduit même à une confusion sur la méthode. Cela est mis en évidence dans les observations finales de la décision de renvoi.

    77.

    En effet, la juridiction saisie doute que l’achat et la livraison des véhicules en Autriche soient suffisants pour établir la compétence des juridictions autrichiennes. Selon elle, d’autres éléments, appartenant à la sphère des faits, plaideraient en faveur des juridictions du lieu où le fait générateur s’est produit (les juridictions allemandes). Ces dernières seraient « [s]ous l’angle de l’organisation utile du procès, et en particulier de la proximité avec l’objet du litige et de la facilitation de l’administration de la preuve […] objectivement mieux à même de déterminer la responsabilité au titre des préjudices invoqués » ( 59 ).

    78.

    Selon la juridiction de renvoi, les arrêts de la Cour dans le domaine des dommages purement économiques, qui consacrent l’obligation de prendre en compte, aux fins de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012, le contexte et les circonstances particulières de l’affaire, lui permettraient de faire pencher la balance en faveur de la compétence des juridictions d’un autre État (l’Allemagne). Elle ajoute que le fait de retenir le lieu d’acquisition et de livraison des véhicules compromet la prévisibilité du for pour le défendeur, d’autant plus que, dans cette affaire, certaines voitures ont été achetées d’occasion.

    79.

    Je partage l’avis du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) selon lequel, dans le cadre de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012, il ne suffirait pas que l’Autriche ait été le territoire où les véhicules automobiles ont été achetés et livrés si Volkswagen ne pouvait raisonnablement pas supposer qu’un tel achat pouvait avoir lieu dans cet État membre.

    80.

    Je ne suis toutefois pas d’accord avec son approche de l’analyse des « circonstances particulières » de cette affaire :

    D’une part, un constructeur automobile tel que Volkswagen est facilement en mesure de prévoir que ses véhicules seront commercialisés en Autriche ( 60 ).

    D’autre part, l’examen d’ensemble des circonstances en cause doit avoir pour seul but de corroborer (ou d’écarter) la compétence de la juridiction du lieu du dommage, identifiée de la manière indiquée ci‑dessus. Cet examen ne doit cependant pas servir à choisir quelle juridiction (la juridiction de renvoi ou les juridictions du lieu où le fait générateur s’est produit) devrait statuer sur le fond de l’affaire en raison du fait qu’elle est plus proche et plus prévisible.

    IV. Conclusion

    81.

    Compte tenu de ce qui précède, je propose de répondre comme suit au Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche) :

    1)

    L’article 7, point 2), du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un acte illicite commis dans un État membre consiste en la manipulation d’un produit, dont la réalité est dissimulée et qui ne se manifeste que postérieurement à l’acquisition de ce produit, dans un autre État membre, à un prix supérieur à sa valeur réelle :

    l’acquéreur de ce produit, qui le conserve dans son patrimoine lorsque le vice est rendu public, constitue une victime directe ;

    le lieu où le fait générateur s’est produit est le lieu où s’est produit le fait qui a détérioré le produit lui‑même, et

    le dommage se matérialise au lieu, situé dans un État membre, où la victime a acquis le produit auprès d’un tiers, à condition que les autres circonstances corroborent l’attribution de compétence aux juridictions de cet État. Il est impératif que, parmi ces circonstances, il y en ait une ou plusieurs ayant permis au défendeur de prévoir raisonnablement qu’une action en responsabilité civile imputable à ses actes pourrait être intentée contre lui par de futurs acquéreurs du produit dans ce lieu.

    2)

    L’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas la juridiction du lieu où le dommage s’est matérialisé à établir ou à décliner sa compétence sur la base d’une mise en balance des autres circonstances de l’espèce visant à déterminer quelle juridiction – à savoir cette même juridiction ou la juridiction du lieu du fait générateur – est la mieux placée, en termes de proximité et de prévisibilité, pour statuer sur l’affaire.


    ( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

    ( 2 ) Convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32) (ci‑après la « convention de Bruxelles »).

    ( 3 ) Arrêt du 30 novembre 1976, Bier (21/76, ci‑après l’« arrêt Bier , EU:C:1976:166).

    ( 4 ) Voir, notamment, arrêts du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba (C‑220/88, ci‑après l’« arrêt Dumez , EU:C:1990:8), du 19 septembre 1995, Marinari (C‑364/93, ci‑après l’« arrêt Marinari , EU:C:1995:289), et du 10 juin 2004, Kronhofer (C‑168/02, ci‑après l’« arrêt Kronhofer , EU:C:2004:364). Plus récemment, voir arrêts du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, ci‑après l’« arrêt Kolassa , EU:C:2015:37), du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, ci‑après l’« arrêt CDC , EU:C:2015:335), du 16 juin 2016, Universal Music International Holding (C‑12/15, ci‑après l’« arrêt Universal , EU:C:2016:449), et du 12 septembre 2018, Löber (C‑304/17, ci‑après l’« arrêt Löber , EU:C:2018:701).

    ( 5 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

    ( 6 ) Selon VKI, les moteurs comportaient un dispositif de désactivation non autorisé au sens du règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1), qui a eu pour effet de faire apparaître, lors des essais, le rejet de gaz d’échappement « propres », c’est‑à‑dire respectant les valeurs maximales imposées. En revanche, lors de l’utilisation du véhicule sur la route, le volume de gaz polluants était supérieur à ces valeurs limites.

    ( 7 ) Tel est le cas pour le règlement no 1215/2012, comme cela était le cas pour la convention de Bruxelles de 1968 et pour l’instrument qui lui a succédé, le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1). En ce qui concerne la relation entre ces instruments, le considérant 34 du règlement no 1215/2012 rappelle la nécessité d’une continuité dans l’interprétation, ce qui permet, en règle générale, de transposer à l’article 7, point 2), de ce règlement la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5, point 3), de la convention de Bruxelles et celle relative à l’article 5, point 3), du règlement no 44/2001.

    ( 8 ) Le rapport de M. P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1) explique (p. 26) qu’à l’époque le modèle était celui des accidents de la route. Il n’était donc pas possible d’imaginer que l’espace numérique puisse constituer le cadre de la commission de l’acte illicite ou le lieu où le dommage est subi.

    ( 9 ) La seule modification du libellé depuis l’adoption du texte réside dans l’inclusion explicite de la référence au lieu où le fait dommageable « risque de se produire », précisant que le texte a vocation à s’appliquer aux demandes de mesures préventives.

    ( 10 ) Arrêt du 5 juin 2014, Coty Germany (C‑360/12, ci‑après l’« arrêt Coty Germany , EU:C:2014:1318 point 45), et arrêt Universal, point 25. L’interprétation doit être non pas être restrictive, mais stricte.

    ( 11 ) Voir, en premier lieu, arrêt Marinari, point 19 ; plus récemment, arrêt du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a. (C‑51/97, EU:C:1998:509, point 15), et arrêt Coty Germany, notamment, point 43.

    ( 12 ) Arrêts Bier (points 11 et 17), du 22 janvier 2015, Hejduk (C‑441/13, EU:C:2015:28, point 19), et du 17 octobre 2017, Bolagsupplysningen et Ilsjan (C‑194/16, EU:C:2017:766, point 26).

    ( 13 ) Arrêts Bier (points 20 et 23), et du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie (C‑189/08, ci‑après l’« arrêt Zuid-Chemie , EU:C:2009:475, point 31).

    ( 14 ) Et tel n’est pas non plus le cas en matière de dommage purement économique. Voir note 28 des présentes conclusions.

    ( 15 ) Règle qui est illustrée par l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.

    ( 16 ) Arrêts du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec (C‑133/11, EU:C:2012:664, point 46), et du 16 janvier 2014, Kainz (C‑45/13, EU:C:2014:7, point 31).

    ( 17 ) Arrêt Kolassa, point 50. Dans l’arrêt Löber, point 32, il a été admis que le domicile, situé en Autriche, du titulaire du compte bancaire (qui avait fait l’objet du désavantage patrimonial) conférait compétence aux juridictions autrichiennes du « lieu du dommage » en tant qu’il constituait un élément supplémentaire corroborant une telle compétence.

    ( 18 ) Arrêt Marinari, points 14 et 15. En réalité, un dommage peut être « consécutif » à deux sens différents : a) en tant qu’il découle d’un autre dommage antérieur (le fait a causé une lésion effectivement survenue ailleurs : arrêt Marinari, points 14 et 15, il est « accessoire à un dommage […] survenu et subi par une victime directe », selon les termes employés par l’avocat général Léger dans ses conclusions du 14 janvier 2004 dans l’affaire Kronhofer, C‑168/02, EU:C:2004:24, point 45) ; et b) en tant qu’il est subi par une victime « par ricochet », c’est‑à‑dire par une victime indirecte (arrêt Dumez, points 14 et 22). Dans les présentes conclusions, j’utilise le terme au premier sens mentionné.

    ( 19 ) Arrêt Dumez, points 14 et 22. L’expression imagée « par ricochet » apparaît occasionnellement dans la jurisprudence de la Cour pour faire une distinction entre les personnes qui ont le droit à être indemnisées du dommage qu’elles ont subi personnellement et les personnes distinctes de la « victime directe », qui peuvent « obtenir réparation du dommage qui [leur] est causé “par ricochet”, à la suite du dommage subi par la personne lésée ». Voir arrêt du 10 décembre 2015, Lazar (C‑350/14, EU:C:2015:802, point 27).

    ( 20 ) Arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C‑509/09 et C‑161/10, ci‑après l’arrêt  eDate , EU:C:2011:685).

    ( 21 ) Arrêt eDate, point 47.

    ( 22 ) La question est formulée en ce sens que cet aspect ne fait pas de doute pour la juridiction autrichienne. Cependant, le contraire semble découler du contenu de la décision de renvoi.

    ( 23 ) Ces doutes portent sur le lieu où le fait dommageable s’est produit et sur l’option entre ce lieu et celui de la matérialisation du dommage lorsque la demande est formée non pas par les victimes elles‑mêmes, mais par une association qui est subrogée dans leurs droits.

    ( 24 ) Les doutes de la juridiction autrichienne ne concernent pas la demande de déclaration de responsabilité pour les dommages futurs ou non encore quantifiables que VKI impute à une actualisation du logiciel postérieure à la date à laquelle a été commise la manipulation initiale des moteurs. Dès lors que la question préjudicielle n’a pas trait à de tels doutes, je m’abstiendrai de les commenter. En revanche, je ne peux m’empêcher de signaler que la compétence des juridictions autrichiennes sur le fondement du lieu de matérialisation du dommage, au titre de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012, serait discutable pour différentes raisons.

    ( 25 ) Arrêt Zuid-Chemie, point 27 : « [L]e lieu de la survenance du dommage ne saurait se confondre avec celui où s’est réalisé le fait ayant endommagé le produit lui‑même, ce lieu étant, en effet, celui où l’événement causal est intervenu. »

    ( 26 ) En Allemagne, un débat intense a eu lieu sur la question de savoir si les propriétaires de véhicules à moteur manipulés peuvent exercer un recours de nature délictuelle contre le fabricant (c’est‑à‑dire sur la question de savoir s’ils sont ou non titulaires d’un intérêt juridique protégé en tant que tel). Des décisions judiciaires à la solution divergente mettent ce débat en lumière : la réponse était affirmative dans les jugements du Landgericht Stuttgart (tribunal régional de Stuttgart, Allemagne) du 17 janvier 2019 (23 O 180/18), du Landgericht Frankfurt (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) du 29 avril 2019 (2‑07 O 350/18) et de l’Oberlandesgericht Koblenz (tribunal régional supérieur de Coblence, Allemagne) du 12 juin 2019 (no 5 U 1318/18), faisant actuellement l’objet d’un recours devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) ; elle était négative dans le jugement du Landgericht Braunschweig (tribunal régional de Brunswick, Allemagne) du 29 décembre 2016 (1 O 2084/15).

    ( 27 ) Arrêt Zuid-Chemie, point 47, et arrêt CDC, point 52, notamment.

    ( 28 ) Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Universal Music International Holding (C‑12/15, EU:C:2016:161, point 38) : « Dans certaines situations, les notions de “Handlungsort” et d’“Erfolgsort” ne peuvent être distinguées. » Il s’agit également d’une opinion soutenue dans la doctrine : Hartley, T. C., « Jurisdiction in Tort Claims for Non-Physical Harm under Brussels 2012, Article 7(2) », International Comparative Law Quarterly, octobre 2018, vol. 67, p. 987 à 1003 ; et Oberhammer, P., « Deliktsgerichsstand am Erfolgsort reiner Vermögensschäden », JBl 2018, p. 750 à 768.

    ( 29 ) Arrêt Kronhofer, point 18.

    ( 30 ) Dans ses conclusions dans l’affaire CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2014:2443, point 47), l’avocat général Jääskinen a soutenu que l’article 5, point 3), du règlement no 44/2001 ne devrait pas s’appliquer lorsque les victimes des dommages invoqués sont dispersées dans un grand nombre d’États membres, car cela entraînerait une multiplication de procédures parallèles, avec le risque de décisions contradictoires, ce qui serait contraire à l’objectif général de ce règlement. La Cour n’a pas suivi cette proposition, qui aurait été intéressante également dans la présente affaire, compte tenu du nombre de personnes concernées, du fait que la cession de leurs droits ne modifie pas l’attribution de la compétence judiciaire et du fait que l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 détermine la compétence territoriale, outre la compétence internationale. Le critère d’éviter les procédures multiples ne doit donc pas prévaloir sur l’application de la disposition en cause, en imposant l’exclusion préventive de juridictions proches du litige, prévisibles pour les parties et habilitées à se prononcer par le texte juridique lui‑même. La pluralité de procédures simultanées devra être corrigée par les mécanismes de la litispendance ou de la connexité, qui sont également prévus par le règlement no 1215/2012 (ou par des mécanismes nationaux, pour des procédures multiples dans un même État).

    ( 31 ) Dans l’arrêt Universal, la Cour a suivi un raisonnement qui aurait, en principe, conduit à localiser le dommage là où le demandeur a contracté l’obligation qui a définitivement grevé son patrimoine (points 31 et 32). À mon avis, recourir au « lieu où l’obligation est contractée » n’aide pas beaucoup à localiser le dommage, si cela s’entend en ce sens qu’il est requis de consulter le droit applicable. Le règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6) garantit en théorie que le résultat d’une telle consultation sera identique dans tous les États membres, mais des écarts ne sauraient être exclus, ne serait-ce qu’en raison de ce qu’il peut exister dans chaque État une approche différente de la preuve du droit étranger, et de la solution subsidiaire à retenir en cas d’absence de preuve. Toutefois, il s’agit de difficultés qui sont connues et assumées dans l’application d’autres critères de compétence prévus par le règlement no 1215/2012 et par les instruments qui l’ont précédé.

    ( 32 ) Comme celle du « centre du patrimoine de la victime », qui répond à l’idée de dommage avec effet simultané sur l’ensemble du patrimoine du demandeur. Ce lien a été écarté dans l’arrêt Kronhofer.

    ( 33 ) Par exemple, dans le cas de comptes bancaires du demandeur que celui‑ci peut choisir postérieurement à la naissance de l’obligation à laquelle il associe le dommage patrimonial : voir arrêt Universal, point 38. La Cour admet que le lieu où se trouve le compte sur lequel est enregistrée l’opération est le lieu où se matérialise le préjudice patrimonial direct, mais, comme je l’expliquerai, elle estime que cela ne suffit pas à justifier l’option de l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012.

    ( 34 ) Arrêt du 19 février 2002, Besix (C‑256/00, EU:C:2002:99, point 49). Cette affaire portait sur une obligation de ne pas faire sans limitation géographique.

    ( 35 ) Voir la jurisprudence citée en note 4 des présentes conclusions. La question de savoir s’il est possible de qualifier de « lieu où le fait dommageable s’est produit » le lieu de survenance d’un dommage qui n’est, à ce stade, qu’un dommage patrimonial a été soumise à la Cour dans l’arrêt Zuid-Chemie dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux. Dès lors qu’un préjudice matériel s’était produit dans cette affaire, la Cour a considéré que la question était hypothétique et n’y a donc pas répondu. Il ne peut être déduit de cette absence de réponse que, dans une affaire impliquant à la fois un dommage patrimonial et un dommage physique (subséquent et non consécutif), la localisation du second se déplace à celle du premier pour établir la compétence judiciaire internationale.

    ( 36 ) Dans ce contexte, l’arrêt CDC apparaît comme un cas isolé. L’avocat général Jääskinen, dans ses conclusions (EU:C:2014:2443, point 50), avait identifié comme l’un des lieux de production du dommage, d’un point de vue économique, le lieu d’exécution des contrats dont le contenu avait été faussé par l’entente. Le lieu finalement retenu par la Cour – le siège social de chacune des personnes concernées, qui était l’autre possibilité avancée par l’avocat général – n’est pas repris dans les arrêts ultérieurs.

    ( 37 ) Arrêt du 21 décembre 2016, Concurrence (C‑618/15, EU:C:2016:976, point 33) : « […] en cas de violation, par l’intermédiaire d’un site Internet, des conditions d’un réseau de distribution sélective, le dommage qu’un distributeur peut faire valoir est la réduction du volume de ses ventes en conséquence de celles réalisées en violation des conditions du réseau et la perte de profits qui s’ensuit ».

    ( 38 ) Arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑27/17, EU:C:2018:533, ci‑après l’arrêt « flyLAL », points 35 et 36).

    ( 39 ) Arrêt du 29 juillet 2019, Tibor-Trans (C‑451/18, EU:C:2019:635, ci‑après l’« arrêt Tibor-Trans », points 30, 32 et 33).

    ( 40 ) Dans l’arrêt Universal, points 31 et 32, apparaît également ce réflexe qui tend à rechercher un soutien dans des activités plus ou moins perceptibles (en l’occurrence, dans la conclusion d’une transaction en République tchèque, dans le cadre d’un arbitrage qui s’y était déroulé).

    ( 41 ) Dans ses conclusions dans l’affaire flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑27/17, EU:C:2018:136, point 70), l’avocat général Bobek a attiré l’attention sur le fait que la diminution des ventes et le manque à gagner qui en découle ne se produisent pas nécessairement dans le même lieu. Il a qualifié celle-là de « dommage initial » et celui‑ci de dommage « consécutif ». La Cour n’a pas admis cette thèse, du moins explicitement.

    ( 42 ) Pas uniquement : voir arrêt Universal, où le fait dommageable était la négligence de l’avocat qui avait établi un contrat contraignant pour son client.

    ( 43 ) Arrêts Kolassa, Universal et, surtout, Löber.

    ( 44 ) Arrêt Löber, points 31 et 36, ainsi que le dispositif.

    ( 45 ) Voir p. 9 et 10 de la décision de renvoi.

    ( 46 ) Point 17 (mise en italique par mes soins).

    ( 47 ) Arrêt du 29 juin 1994, Custom Made Commercial (C‑288/92, EU:C:1994:268, point 17, lu en combinaison avec les points 16 et 21). L’arrêt porte sur le for spécial en matière contractuelle, mais le principe est le même dans le point concernant les demandes fondées sur la responsabilité délictuelle. Voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a. (C‑51/97, EU:C:1998:509, points 34 et 35).

    ( 48 ) Voir, notamment, arrêt du 16 janvier 2014, Kainz (C‑45/13, EU:C:2014:7, point 24).

    ( 49 ) Arrêt FlyLAL, point 27.

    ( 50 ) Le choix de l’un ou de l’autre variera en fonction, au moins, de l’acte susceptible d’engager la responsabilité délictuelle et de la configuration du procès. Lorsqu’une infraction a été constatée dans une instance antérieure et que l’objet du litige est donc de déterminer si et comment elle a affecté un demandeur donné, le cas est, logiquement, différent de celui dans lequel la constatation elle‑même n’a pas encore été établie. En outre, les attentes des parties en relation avec les conséquences juridiques de leurs actes sont définies par référence à des catégories et à leur régulation dans un ordre juridique.

    ( 51 ) Arrêt Löber, points 32 et 33.

    ( 52 ) Dans sa jurisprudence relative à l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012, la Cour lie la protection juridique des personnes établies dans l’Union à deux objectifs : que le demandeur puisse facilement identifier la juridiction à saisir et que le défendeur puisse raisonnablement prévoir où une action pourrait être intentée contre lui (voir, notamment, arrêts Kolassa, point 56, et Löber, point 35). Il semblerait que la personne qui occupe la position active dans le procès ne bénéficie que d’une protection ex post facto et que, pour le défendeur, en revanche, le point de référence serait antérieur. En réalité, tel n’est pas le cas : chacun doit pouvoir prévoir (raisonnablement) les conséquences de ses actes, avant de les accomplir ; la sphère de la protection juridictionnelle ne peut être restreinte en raison d’une qualité – celle de demandeur ou, au contraire, de défendeur – qui est inconnue au moment où le comportement en cause est adopté ou omis. Ainsi, dans l’arrêt Löber, plusieurs des « circonstances particulières » concernaient Mme Löber (la demanderesse) et ses actions antérieures à la manifestation du dommage.

    ( 53 ) Les observations de VKI, de la Commission ou du Royaume‑Uni, qui vont jusqu’à qualifier le dommage d’« hybride » (par opposition à purement patrimonial), semblent aller dans ce sens, bien qu’il n’apparaisse pas clairement quelles conséquences ils tirent de cette qualification pour attribuer la compétence judiciaire internationale.

    ( 54 ) Il s’agit du moment où le véhicule a été acheté par celui qui est son propriétaire lorsque le vice du moteur est devenu public.

    ( 55 ) Décision de renvoi, p. 9.

    ( 56 ) Du point de vue de la victime, à la lumière de l’arrêt Löber, pourraient constituer des circonstances pertinentes, entre autres, le fait que la négociation de l’achat a été faite au même lieu, et que celui‑ci a été aussi le lieu de livraison du véhicule et (toujours selon l’arrêt Löber) celui du domicile de l’acheteur.

    ( 57 ) Du point de vue du défendeur, pourraient constituer des circonstances pertinentes, entre autres, le fait d’avoir introduit (directement ou par l’intermédiaire d’un importateur général qui lui est lié) les véhicules dans l’État dans lequel il est attrait ; la commercialisation dans cet État par des concessionnaires ou distributeurs officiels ; la promotion des ventes au moyen d’une publicité effectuée par lui ou pour son compte dans cet État ; ou la délivrance de certificats de conformité traduits par lui dans la langue de cet État.

    ( 58 ) Je rappelle que l’article 7, point 2), du règlement no 1215/2012 est conçu pour conférer la compétence judiciaire internationale, ainsi que la compétence territoriale, à une juridiction concrète au sein de l’État désigné.

    ( 59 ) Décision de renvoi, p. 9 et 10.

    ( 60 ) Voir, en ce sens, note 57 des présentes conclusions.

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