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Document 62017CJ0380

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 7 novembre 2018.
K et B contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Raad van State (Pays-Bas).
Renvoi préjudiciel – Compétence de la Cour – Directive 2003/86/CE – Droit au regroupement familial – Article 12 – Non‑respect du délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale – Bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire – Rejet d’une demande de visa.
Affaire C-380/17.

Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:877

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

7 novembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Compétence de la Cour – Directive 2003/86/CE – Droit au regroupement familial – Article 12 – Non-respect du délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale – Bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire – Rejet d’une demande de visa »

Dans l’affaire C‑380/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 21 juin 2017, parvenue à la Cour le 26 juin 2017, dans la procédure

K,

B

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Malenovský, L. Bay Larsen (rapporteur), M. Safjan et D. Šváby, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 mars 2018,

considérant les observations présentées :

pour K et B, par Mmes C. J. Ullersma et M. L. van Leer, advocaten,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. G. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 juin 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant K et B, ressortissants de pays tiers, au Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (secrétaire d’État à la Sécurité et à la Justice, Pays-Bas) (ci‑après le « secrétaire d’État ») au sujet du rejet par ce dernier d’une demande de visa pour un séjour de plus de trois mois au titre du regroupement familial.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2003/86

3

Le considérant 8 de la directive 2003/86 est ainsi rédigé :

« La situation des réfugiés devrait demander une attention particulière, à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie en famille normale. À ce titre, il convient de prévoir des conditions plus favorables pour l’exercice de leur droit au regroupement familial. »

4

L’article 3, paragraphe 2, sous c), de cette directive prévoit :

« La présente directive ne s’applique pas lorsque le regroupant est un ressortissant de pays tiers :

[...]

c)

autorisé à séjourner dans un État membre en vertu de formes subsidiaires de protection, conformément aux obligations internationales, aux législations nationales ou aux pratiques des États membres, ou demandant l’autorisation de séjourner à ce titre et dans l’attente d’une décision sur son statut. »

5

L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive énumère les membres de la famille du regroupant dont les États membres autorisent l’entrée et le séjour conformément à la même directive.

6

L’article 5, paragraphe 5, de la directive 2003/86 énonce :

« Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. »

7

L’article 7, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit :

« Lors du dépôt de la demande de regroupement familial, l’État membre concerné peut exiger de la personne qui a introduit la demande de fournir la preuve que le regroupant dispose :

a)

d’un logement considéré comme normal pour une famille de taille comparable dans la même région et qui répond aux normes générales de salubrité et de sécurité en vigueur dans l’État membre concerné ;

b)

d’une assurance maladie couvrant l’ensemble des risques normalement couverts pour ses propres ressortissants dans l’État membre concerné, pour lui-même et les membres de sa famille ;

c)

de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné. [...] »

8

Les articles 10 et 11 de ladite directive énoncent des règles que les États membres doivent appliquer aux réfugiés qu’ils reconnaissent comme tels.

9

L’article 12 de la même directive dispose :

« 1.   Par dérogation à l’article 7, les États membres ne peuvent pas imposer au réfugié et/ou aux membres de la famille de fournir, en ce qui concerne les demandes relatives aux membres de la famille visés à l’article 4, paragraphe 1, des éléments de preuve attestant qu’il répond aux conditions visées à l’article 7.

[...]

Les États membres peuvent exiger du réfugié qu’il remplisse les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, si la demande de regroupement familial n’est pas introduite dans un délai de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié.

2.   Par dérogation à l’article 8, les États membres n’imposent pas au réfugié d’avoir séjourné sur leur territoire pendant un certain temps avant de se faire rejoindre par des membres de sa famille. »

10

L’article 17 de la directive 2003/86 prévoit :

« Les États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non‑renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille. »

La directive 2004/83/CE

11

La directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12), énonce, à son considérant 25 :

« Il convient de fixer les critères que doivent remplir les demandeurs d’une protection internationale pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. Ces critères devraient être définis sur la base des obligations internationales au titre des instruments relatifs aux droits de l’homme et des pratiques déjà existantes dans les États membres. »

La directive 2011/95/UE

12

La directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), énonce, à son considérant 34 :

« Il convient de fixer les critères communs que doivent remplir les demandeurs d’une protection internationale pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. Ces critères devraient être définis sur la base des obligations internationales au titre des instruments relatifs aux droits de l’homme et des pratiques déjà existantes dans les États membres. »

Le droit néerlandais

13

L’article 29, paragraphes 1, 2 et 4, de la Vreemdelingenwet 2000 (loi de 2000 sur les étrangers) dispose :

« 1.   Le permis de séjour à durée limitée [...] peut être accordé au ressortissant étranger qui :

a)

a le statut de réfugié ; ou

b)

établit à suffisance qu’il a des raisons valables de supposer qu’il court, en cas d’expulsion, un risque réel d’être soumis à :

1°.

la peine de mort ou à une exécution ;

2°.

la torture ou à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ; ou

3°.

des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

2.   Le permis de séjour à durée limitée visé à l’article 28 peut en outre être accordé aux membres de la famille énumérés ci-dessous si, au moment de l’arrivée du ressortissant étranger concerné, ils faisaient partie de sa famille et qu’ils sont soit entrés en même temps que lui aux Pays-Bas, soit l’ont rejoint dans un délai de trois mois après qu’il s’est vu délivrer un permis de séjour à durée limitée [...]

[...]

4.   Le permis de séjour à durée limitée [...] peut également être accordé à un membre de la famille au sens du paragraphe 2 qui n’a simplement pas rejoint le ressortissant étranger visé au paragraphe 1 dans les trois mois suivant la délivrance à ce dernier d’un permis de séjour [...] si, dans ce délai de trois mois, une demande de visa pour un séjour de plus de trois mois a été introduite par ou au bénéfice de ce membre de la famille. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

F. G., ressortissant d’un pays tiers, est bénéficiaire, depuis le 23 septembre 2014, aux Pays‑Bas, du statut conféré par la protection subsidiaire.

15

Il a déposé, le 22 janvier 2015, une demande visant à obtenir un visa au titre du regroupement familial pour K et B, qui seraient respectivement son épouse et sa fille mineure.

16

Le 20 avril 2015, le secrétaire d’État a rejeté cette demande au motif que celle‑ci avait été introduite plus de trois mois après l’obtention par F. G. d’un titre de séjour aux Pays-Bas, sans que ce retard soit excusable.

17

À la suite d’une réclamation introduite par K et B, le secrétaire d’État a, par une décision du 8 novembre 2015, maintenu sa décision initiale.

18

K et B ont introduit un recours contre cette décision devant le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam, Pays-Bas). Par un jugement du 24 juin 2016, cette juridiction a rejeté ce recours.

19

K et B ont interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

20

Cette juridiction estime que, conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/86, la situation en cause au principal ne relève pas du champ d’application de cette directive, dans la mesure où le regroupant est un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire.

21

Les règles de ladite directive s’appliqueraient néanmoins, de manière directe et inconditionnelle, aux bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire, dès lors que le législateur néerlandais a choisi de leur appliquer ces règles en vue de leur assurer un traitement identique à celui qui est garanti aux réfugiés.

22

Si, de ce fait, la juridiction de renvoi considère que l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86 est décisive pour l’issue du litige au principal, elle se demande toutefois, au regard de l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638), si la Cour est compétente pour répondre à une question préjudicielle en interprétation de cette disposition dans une situation telle que celle en cause au principal.

23

Dans l’hypothèse d’une réponse positive, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec cette disposition des règles encadrant le dépôt d’une demande au titre du regroupement familial prévues par la législation néerlandaise.

24

Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Compte tenu de l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive [2003/86] et de l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638), la Cour est-elle compétente pour répondre aux questions préjudicielles des juridictions néerlandaises relatives à l’interprétation des dispositions de cette directive dans une affaire portant sur le droit de séjour d’un membre de la famille d’un bénéficiaire [du statut conféré par] la protection subsidiaire si, dans le droit néerlandais, cette directive a été déclarée directement et inconditionnellement applicable aux bénéficiaires [du statut conféré par] la protection subsidiaire ?

2)

Le régime de la directive [2003/86] s’oppose-t-il a une règle nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une demande de prise en considération en vue d’un regroupement familial sur la base des dispositions plus favorables du chapitre V de cette directive peut être rejetée au seul motif qu’elle n’a pas été introduite dans le délai mentionné à son article 12, paragraphe 1, troisième alinéa ?

Pour la réponse à cette question, est-il important qu’il soit possible, en cas de dépassement dudit délai, d’introduire, que ce soit ou non après un rejet, une demande de regroupement familial, dans le cadre de laquelle le respect des conditions posées par l’article 7 de la directive [2003/86] est évalué et les intérêts et circonstances mentionnés à l’article 5, paragraphe 5, ainsi qu’à l’article 17 du même texte sont pris en compte ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

25

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86 dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle cette juridiction est appelée à se prononcer sur le droit au regroupement familial d’un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, lorsque cette disposition a été rendue applicable à une telle situation, de manière directe et inconditionnelle, par le droit national.

26

L’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/86 précise, notamment, que cette directive ne s’applique pas lorsque le regroupant est un ressortissant d’un pays tiers autorisé à séjourner dans un État membre en vertu de formes subsidiaires de protection, conformément aux obligations internationales, aux législations nationales ou aux pratiques des États membres.

27

Il résulte certes du libellé même de cette disposition que celle-ci vise les formes subsidiaires de protection accordées sur une base internationale ou nationale, sans se référer directement au statut conféré par la protection subsidiaire prévu par le droit de l’Union.

28

Cependant, il ne saurait en être déduit que la directive 2003/86 est applicable dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle le regroupant bénéficie de ce statut.

29

En effet, il importe de rappeler, en premier lieu, que le statut conféré par la protection subsidiaire prévu par le droit de l’Union a été institué par la directive 2004/83, laquelle a été adoptée postérieurement à la directive 2003/86. L’absence d’une référence directe à ce statut dans cette directive ne peut, dans ces conditions, être considérée comme déterminante.

30

En deuxième lieu, il ressort de la proposition modifiée de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial [COM(2000) 624 final], présentée par la Commission le 10 octobre 2000 (JO 2001, C 62 E, p. 99), que le cas d’exclusion figurant à l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/86, y a précisément été introduit dans la perspective de l’instauration future d’un statut de protection subsidiairecommun aux États membres, à l’occasion de laquelle la Commission entendait proposer d’introduire des dispositions relatives au regroupement familial adaptées aux ressortissants de pays tiers bénéficiaires d’un tel statut, ce qui tend à indiquer que ce cas d’exclusion a bien été prévu en vue d’exclure ces ressortissants de pays tiers du champ d’application de ladite directive.

31

En troisième lieu, il ressort tant du considérant 25 de la directive 2004/83 que du considérant 34 de la directive 2011/95 que les critères que doivent remplir les demandeurs d’une protection internationale pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire devraient être définis sur la base des obligations internationales ainsi que des pratiques déjà existantes dans les États membres.

32

Dès lors que les critères communs pour l’octroi de la protection subsidiaire ont ainsi été inspirés des régimes existants dans les États membres qu’ils visent à harmoniser, le cas échéant en les remplaçant, l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/86 serait largement privé de son effet utile s’il devait être interprété comme ne visant pas les bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire prévu par le droit de l’Union.

33

Il découle de ce qui précède que la directive 2003/86 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’applique pas à des ressortissants de pays tiers membres de la famille d’un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, tel que les requérants au principal.

34

Il ressort toutefois d’une jurisprudence constante de la Cour que celle-ci est compétente pour statuer sur une demande de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union, dans des situations dans lesquelles, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du champ d’application de ce droit, les dispositions dudit droit ont été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, Cicala, C‑482/10, EU:C:2011:868, point 17 ; du 18 octobre 2012, Nolan, C‑583/10, EU:C:2012:638, point 45, et du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 53).

35

En effet, dans de telles situations, il existe un intérêt certain de l’Union européenne à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2012, Nolan, C‑583/10, EU:C:2012:638, point 46, et du 22 mars 2018, Jacob et Lassus, C‑327/16 et C‑421/16, EU:C:2018:210, point 34).

36

Ainsi, une interprétation par la Cour de dispositions du droit de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celles-ci se justifie lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent du champ d’application desdites dispositions (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, Cicala, C‑482/10, EU:C:2011:868, point 19 ; du 18 octobre 2012, Nolan, C‑583/10, EU:C:2012:638, point 47, et du 7 novembre 2013, Romeo, C‑313/12, EU:C:2013:718, point 33).

37

En l’occurrence, la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par l’article 267 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C‑28/95, EU:C:1997:369, point 33, et du 14 juin 2017, Online Games e.a., C‑685/15, EU:C:2017:452, point 45), a précisé que le législateur néerlandais avait choisi d’assurer aux bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire un traitement plus favorable que celui prévu par la directive 2003/86 en leur appliquant les règles relatives aux réfugiés prévues par cette directive. Cette juridiction en a déduit qu’elle était tenue, en vertu du droit néerlandais, d’appliquer l’article 12, paragraphe 1, de ladite directive dans l’affaire en cause en principal.

38

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, comme le relève également le gouvernement néerlandais, cette disposition a été rendue applicable, d’une manière directe et inconditionnelle, par le droit néerlandais, à des situations telles que celle en cause au principal et qu’il existe donc un intérêt certain de l’Union à ce que la Cour se prononce sur la demande préjudicielle.

39

Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2003/86 exclut expressément les situations telles que celle en cause au principal du champ d’application de cette directive.

40

En effet, il ressort des points 36 à 43 de l’arrêt de ce jour, C et A (C‑257/17), qu’une telle circonstance n’est pas de nature à remettre en cause la compétence de la Cour pour se prononcer sur une demande de décision préjudicielle dans le cadre défini par la jurisprudence constante de la Cour rappelée aux points 34 à 36 du présent arrêt.

41

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que la Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer sur le droit au regroupement familial d’un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, lorsque cette disposition a été rendue applicable à une telle situation, de manière directe et inconditionnelle, par le droit national.

Sur la seconde question

42

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86 s’oppose à une réglementation nationale qui permet de rejeter une demande de regroupement familial introduite pour un membre de la famille d’un réfugié, sur la base des dispositions plus favorables applicables aux réfugiés figurant au chapitre V de cette directive, au motif que cette demande a été introduite plus de trois mois après l’octroi du statut de réfugié au regroupant, tout en offrant la possibilité d’introduire une nouvelle demande dans le cadre d’un autre régime.

43

L’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/86 prévoit que, par dérogation à l’article 7 de cette directive, les États membres ne peuvent imposer au réfugié ou aux membres de sa famille de fournir, en ce qui concerne les demandes relatives aux membres de la famille visés à l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, des éléments de preuve attestant que le regroupant répond aux conditions visées à l’article 7 de la même directive.

44

Cependant, si, comme l’indique le considérant 8 de la directive 2003/86, celle‑ci prévoit, pour les réfugiés, des conditions plus favorables pour l’exercice du droit au regroupement familial, parmi lesquelles figure le régime institué à l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, il n’en demeure pas moins que les États membres ont la faculté de subordonner le bénéfice de ce régime à la condition que la demande soit introduite dans un certain délai.

45

Ainsi, l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de ladite directive précise que les États membres peuvent exiger du réfugié qu’il remplisse les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, de la même directive si la demande de regroupement familial n’est pas introduite dans un délai de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié.

46

Il résulte de l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2003/86 que le législateur de l’Union a autorisé les États membres à appliquer, en ce qui concerne les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/86, le régime de droit commun en lieu et place du régime de faveur normalement applicable aux réfugiés lorsque la demande de regroupement familial a été introduite au-delà d’un certain délai après l’octroi du statut de réfugié.

47

Il est donc loisible aux États membres, s’ils l’estiment opportun, de ne pas traiter les demandes de regroupement familial présentées par les réfugiés selon le régime de faveur prévu à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86, mais selon le régime de droit commun applicable aux demandes de regroupement familial lorsque ces demandes sont introduites au-delà du délai énoncé à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de cette directive.

48

L’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2003/86 ne saurait être interprété comme imposant aux États membres de considérer que le dépassement, sans raison valable, du délai d’introduction d’une demande de regroupement familial présentée au titre du régime de faveur prévu à l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive ne constitue qu’un élément devant être pris en compte parmi d’autres dans l’appréciation globale du bien-fondé de cette demande et pouvant être contrebalancé par d’autres considérations.

49

En effet, d’une part, retenir cette interprétation, qui ne peut s’appuyer sur la lettre de l’article 12 de ladite directive, priverait de son efficacité et de sa clarté la règle de délimitation des champs d’application respectifs des régimes applicables aux demandes de regroupement familial présentées par les réfugiés que les États membres ont la faculté d’instaurer sur la base du délai fixé à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la même directive.

50

D’autre part, le dépassement du délai d’introduction d’une demande de regroupement familial visé à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2003/86 n’a pas d’implication directe sur l’autorisation de l’entrée ou du séjour des membres de la famille du regroupant, mais permet seulement de déterminer le cadre dans lequel cette demande doit être examinée. L’appréciation du bien-fondé d’une telle demande ne pouvant, en pratique, être menée qu’une fois déterminé le régime applicable à celle-ci, la constatation du dépassement de ce délai ne saurait être mise en balance avec des considérations relatives au bien‑fondé de cette demande.

51

L’article 5, paragraphe 5, et l’article 17 de la directive 2003/86 ne sauraient justifier une solution différente.

52

En effet, la décision d’un État membre exigeant que les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive soient remplies ne fait pas obstacle à ce que le bien-fondé du regroupement familial sollicité soit, par la suite, examiné en prenant dûment en considération, conformément à l’article 5, paragraphe 5, et à l’article 17 de ladite directive, l’intérêt supérieur de l’enfant mineur, la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales dans son pays d’origine.

53

Dans ce contexte, l’État membre concerné sera en mesure de respecter l’exigence d’individualisation de l’examen de la demande de regroupement familial résultant de l’article 17 de la directive 2003/86 (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, K et A, C‑153/14, EU:C:2015:453, point 60), laquelle impose notamment de tenir compte des spécificités liées à la qualité de réfugié du regroupant. Ainsi, comme le rappelle le considérant 8 de cette directive, la situation des réfugiés demande une attention particulière, dès lors qu’ils ne peuvent pas envisager de mener une vie familiale normale dans leur pays d’origine, qu’ils ont pu être séparés de leur famille durant une longue période avant que le statut de réfugié ne leur soit octroyé et que l’obtention des conditions matérielles requises à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive peut présenter, pour eux, une difficulté accrue par rapport à d’autres ressortissants de pays tiers.

54

Il découle de ce qui précède que l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2003/86, exposée au point 48 du présent arrêt, n’empêche pas la prise en compte, avant l’adoption d’une décision finale sur le regroupement familial sollicité, de l’ensemble des éléments visés à l’article 5, paragraphe 5, et à l’article 17 de cette directive.

55

Cela étant, si le législateur de l’Union a autorisé les États membres à exiger le respect des conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive dans le cas visé à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de celle-ci, il n’a pas déterminé pour autant comment il convenait, sur le plan procédural, de traiter une demande introduite tardivement au titre du régime de faveur prévu à l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive.

56

Dans ces conditions, en l’absence de règles fixées par le droit de l’Union à cet égard, il appartient, selon une jurisprudence constante de la Cour, à l’ordre juridique interne de l’État membre concerné de régler ces modalités en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2018, INEOS Köln, C‑572/16, EU:C:2018:100, point 42 et jurisprudence citée).

57

En ce qui concerne le principe d’équivalence, il ne ressort d’aucun élément du dossier soumis à la Cour et il n’a nullement été allégué dans le cadre de la présente procédure que des situations similaires de nature interne seraient traitées différemment en droit néerlandais.

58

S’agissant du principe d’effectivité, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, chaque cas dans lequel se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et des particularités de celle-ci, devant les diverses instances nationales (voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2018, INEOS Köln, C‑572/16, EU:C:2018:100, point 44, et jurisprudence citée).

59

En l’occurrence, une réglementation nationale qui permet de rejeter une demande de regroupement familial introduite pour un membre de la famille d’un réfugié, sur la base des dispositions plus favorables figurant au chapitre V de la directive 2003/86, au motif que cette demande a été introduite plus de trois mois après l’octroi du statut de réfugié au regroupant, tout en offrant la possibilité d’introduire une nouvelle demande dans le cadre d’un autre régime, n’est pas, en tant que telle, de nature à rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice du droit au regroupement familial conféré par la directive 2003/86.

60

En effet, le rejet de la demande de regroupement familial introduite dans le cadre d’un régime national mis en place pour donner effet à l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive n’implique pas que le droit au regroupement familial ne pourra pas être garanti, ce regroupement pouvant être accordé dans le cadre d’un autre régime, à la suite de l’introduction d’une demande à cette fin.

61

Si le retard et les contraintes administratives que suppose l’introduction d’une nouvelle demande peuvent constituer un inconvénient certain pour la personne concernée, il n’en reste pas moins que celui-ci n’est pas d’une ampleur telle qu’il puisse être considéré, par principe, comme empêchant, en pratique, cette personne de faire valoir efficacement son droit au regroupement familial.

62

Toutefois, il en irait différemment, tout d’abord, si le rejet de la première demande de regroupement familial pouvait intervenir dans des situations dans lesquelles des circonstances particulières rendent objectivement excusable l’introduction tardive de cette demande.

63

Ensuite, dès lors qu’une réglementation nationale impose aux réfugiés de faire valoir leurs droits rapidement après l’octroi du statut de réfugié, à un moment où leur connaissance de la langue et des procédures de l’État membre d’accueil peut être assez faible, les personnes concernées doivent impérativement être pleinement informées des conséquences de la décision de rejet de leur première demande et des mesures qu’il leur appartient de prendre pour faire valoir efficacement leur droit au regroupement familial.

64

Enfin, il importe de souligner que l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2003/86 permet uniquement aux États membres de déroger à l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, en exigeant du réfugié qu’il remplisse les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive.

65

Partant, un réfugié qui a introduit sa demande de regroupement familial plus de trois mois après l’octroi du statut de réfugié doit tout de même se voir appliquer les conditions plus favorables pour l’exercice du droit au regroupement familial applicables aux réfugiés, énoncées aux articles 10 et 11 ou à l’article 12, paragraphe 2, de la même directive.

66

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui permet de rejeter une demande de regroupement familial introduite pour un membre de la famille d’un réfugié, sur la base des dispositions plus favorables applicables aux réfugiés figurant au chapitre V de cette directive, au motif que cette demande a été introduite plus de trois mois après l’octroi du statut de réfugié au regroupant, tout en offrant la possibilité d’introduire une nouvelle demande dans le cadre d’un autre régime, pour autant que cette réglementation :

prévoit qu’un tel motif de refus ne peut pas être retenu dans des situations dans lesquelles des circonstances particulières rendent objectivement excusable l’introduction tardive de la première demande ;

prévoit que les personnes concernées sont pleinement informées des conséquences de la décision de rejet de leur première demande et des mesures qu’il leur appartient de prendre pour faire valoir efficacement leur droit au regroupement familial, et

garantit que les regroupants reconnus comme réfugiés continuent de bénéficier des conditions plus favorables pour l’exercice du droit au regroupement familial applicables aux réfugiés, énoncées aux articles 10 et 11 ou à l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive.

Sur les dépens

67

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

La Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer sur le droit au regroupement familial d’un bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire, lorsque cette disposition a été rendue applicable à une telle situation, de manière directe et inconditionnelle, par le droit national.

 

2)

L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/86 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui permet de rejeter une demande de regroupement familial introduite pour un membre de la famille d’un réfugié, sur la base des dispositions plus favorables applicables aux réfugiés figurant au chapitre V de cette directive, au motif que cette demande a été introduite plus de trois mois après l’octroi du statut de réfugié au regroupant, tout en offrant la possibilité d’introduire une nouvelle demande dans le cadre d’un autre régime, pour autant que cette réglementation :

prévoit qu’un tel motif de refus ne peut pas être retenu dans des situations dans lesquelles des circonstances particulières rendent objectivement excusable l’introduction tardive de la première demande ;

prévoit que les personnes concernées sont pleinement informées des conséquences de la décision de rejet de leur première demande et des mesures qu’il leur appartient de prendre pour faire valoir efficacement leur droit au regroupement familial, et

garantit que les regroupants reconnus comme réfugiés continuent de bénéficier des conditions plus favorables pour l’exercice du droit au regroupement familial applicables aux réfugiés, énoncées aux articles 10 et 11 ou à l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.

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