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Document 62017CC0387

    Conclusions de l'avocat général M. N. Wahl, présentées le 13 septembre 2018.
    Presidenza del Consiglio dei Ministri contre Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte suprema di cassazione.
    Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Aides existantes et aides nouvelles – Qualification – Règlement (CE) no 659/1999 – Article 1er, sous b), iv) et v) – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Applicabilité – Subventions octroyées avant la libéralisation d’un marché initialement fermé à la concurrence – Action en dommages et intérêts contre l’État membre intentée par un concurrent de la société bénéficiaire.
    Affaire C-387/17.

    Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:712

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. NILS WAHL

    présentées le 13 septembre 2018 ( 1 )

    Affaire C‑387/17

    Presidenza del Consiglio dei Ministri

    contre

    Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA

    [demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie)]

    « Renvoi préjudiciel – Aides accordées par les États – Aides existantes et aides nouvelles – Qualification – Aides instituées avant la libéralisation d’un marché initialement fermé à la concurrence – Action en réparation d’un concurrent de l’entreprise bénéficiaire des mesures d’aides en l’absence d’une décision de la Commission – Opposabilité des règles en matière de prescription prévues par le règlement (CE) no 659/1999 »

    Introduction

    1.

    La présente affaire s’inscrit dans une série de renvois préjudiciels qui concernent les versements, non notifiés à la Commission européenne, de subventions effectuées par la République italienne en faveur de l’entreprise de transport maritime Tirrenia di Navigazione SpA (ci-après « Tirrenia ») au cours de la période 1976‑1980.

    2.

    Cette « saga » jurisprudentielle s’explique très certainement par la circonstance que les autorités italiennes ont fait montre d’une certaine inertie – et, dans ce contexte, ont rivalisé d’inventivité audacieuse dans l’élaboration d’arguments juridiques – pour tirer toutes les conséquences de la qualification des mesures litigieuses d’aides d’État illégalement octroyées. En témoigne notamment la position qu’elles entendent défendre en l’espèce.

    3.

    Le litige au principal a trait à une demande en dommages et intérêts introduite par une entreprise concurrente de Tirrenia, Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA (ci-après « FTDM »), à l’encontre de la République italienne, en vue d’obtenir réparation du préjudice prétendument subi du fait de l’octroi de ces subventions. Ces dernières, qui ont été qualifiées d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE par la juridiction de renvoi, n’ont, en revanche, pas fait l’objet d’une décision de la Commission quant à leur légalité et leur compatibilité au regard des règles de l’Union européenne (situation de « stand-alone private enforcement »).

    4.

    Se pose notamment la question de savoir si, aux fins de la qualification des mesures d’aides « existantes » ou d’aides « nouvelles », est pertinente la circonstance que les subventions en cause ont été versées à une entreprise opérant dans un marché non encore formellement libéralisé. La Cour est également interrogée sur le point de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure, les règles contenues dans le règlement (CE) no 659/1999 en matière de prescription de l’action de la Commission ( 2 ) ont vocation à avoir une influence sur le bien-fondé d’une action en réparation telle que celle visée au principal. L’affaire offre ainsi l’occasion de rappeler certains principes clefs du système de contrôle des aides d’État et du rôle que les juridictions nationales sont appelées à jouer dans ce contexte.

    Cadre juridique

    Le droit de l’Union

    5.

    L’article 1er, intitulé « Définitions », du règlement no 659/1999 disposait :

    « Aux fins du présent règlement, on entend par :

    […]

    b)

    “aide existante” :

    […]

    iv)

    toute aide réputée existante conformément à l’article 15 ;

    v)

    toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation ;

    […] »

    6.

    L’article 15, intitulé « Délai de prescription », du règlement no 659/1999 prévoyait :

    « 1.   Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

    2.   Le délai de prescription commence le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure devant la Cour de justice des Communautés européennes.

    3.   Toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante. »

    Le droit italien

    7.

    Les subventions en cause au principal ont été octroyées à Tirrenia, entreprise de navigation concurrente de FTDM, en vertu de la legge n. 684 – Ristrutturazione dei servizi maritimi di preminente interesse nazionale (loi no 684, portant restructuration des services maritimes d’intérêt national prééminent), du 20 décembre 1974 (GURI no 336, du 24 décembre 1974, p. 9008, ci-après la « loi no 684 »), et plus précisément de l’article 19 de celle-ci.

    8.

    L’article 7 de la loi no 684 prévoit :

    « Le ministre de la Marine marchande est autorisé à octroyer des subventions destinées à la prestation des services énoncés à l’article précédent, par la conclusion de conventions ad hoc annuelles, en concertation avec les ministres du Trésor et des Participations de l’État.

    Les subventions indiquées à l’alinéa précédent doivent garantir pendant les trois ans la gestion des services dans des conditions d’équilibre économique. Ces subventions sont établies préalablement sur la base des recettes nettes, de l’amortissement des investissements, des coûts d’exploitation, des frais de fonctionnement et des frais financiers.

    […] »

    9.

    L’article 8 de la loi no 684 dispose :

    « Les services de liaison avec les îles majeures et mineures, indiqués à l’article 1er, sous c), ainsi que les éventuels prolongements techniquement et économiquement nécessaires, doivent garantir la satisfaction des exigences liées au développement économique et social des régions concernées et en particulier du Mezzogiorno.

    Le ministre de la Marine marchande est par conséquent autorisé à accorder des subventions destinées à la prestation desdits services, par la conclusion d’une convention ad hoc, en concertation avec les ministres du Trésor et des Participations de l’État, pour une période de vingt ans. »

    10.

    Aux termes de l’article 9 de la loi no 684 :

    « La convention prévue à l’article précédent doit indiquer :

    1)

    la liste des liaisons à assurer ;

    2)

    la fréquence de chaque liaison ;

    3)

    les types de navires à affecter à chaque liaison ;

    4)

    la subvention qui doit être fixée en fonction des recettes nettes, de l’amortissement des investissements, des coûts d’exploitation, des frais de fonctionnement et des frais financiers.

    Avant le 30 juin de chaque année, il est procédé à l’adaptation de la subvention à verser pour ladite année si, durant l’année précédente, au moins l’une des composantes économiques indiquées dans la convention a subi des modifications excédant le vingtième de la valeur prise en compte pour le même poste lors de la fixation de la subvention précédente. »

    11.

    L’article 18 de la loi no 684 dispose :

    « La charge financière qui résulte de l’application de la présente loi est couverte à hauteur de 93 milliards de lires par les fonds déjà inscrits au chapitre 3061 de l’état prévisionnel des dépenses du ministère de la Marine marchande pour l’exercice 1975 et par ceux qui seront inscrits dans les chapitres correspondants des exercices financiers suivants. »

    12.

    L’article 19 de la loi no 684 énonce :

    « Jusqu’à la date d’approbation des conventions prévues par la présente loi, le ministre de la Marine marchande, en accord avec celui du Trésor, verse, par mensualités différées, des acomptes dont le montant cumulé ne représente pas plus de [90 %] du montant total indiqué à l’article 18. »

    13.

    La loi no 684 a fait l’objet d’une mesure d’exécution, le decreto del presidente della Repubblica n. 501 – Regolamento di esecuzione della legge 20 dicembre 1974, n. 684 (décret du président de la République italienne no 501, portant règlement d’exécution de la loi no 684), du 1er juin 1979 (GURI no 285, du 18 octobre 1979, p. 8531), dont l’article 7 précise que les acomptes visés à l’article 19 de ladite loi sont versés aux sociétés fournissant des services d’intérêt national prééminent jusqu’à la date d’enregistrement, par la Cour des comptes, des actes relatifs à la conclusion des nouvelles conventions.

    Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

    14.

    Ainsi qu’il ressort des arrêts du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391), et du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo (C‑140/09, EU:C:2010:335), qui font suite à des demandes de décisions préjudicielles introduites dans le cadre du litige au principal et auxquels il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieurs auxdits arrêts, FTDM et Tirrenia sont deux entreprises de transport maritime qui, dans les années 1970, effectuaient des liaisons maritimes régulières entre l’Italie continentale et les îles de Sardaigne et de Sicile.

    15.

    En 1981, FTDM a assigné Tirrenia devant le Tribunale di Napoli (tribunal de Naples, Italie) aux fins d’obtenir réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait de la politique de bas prix pratiquée par cette dernière entre 1976 et 1980 dans le cadre de ses services de liaisons maritimes. FTDM soutenait notamment que cette politique de bas prix avait été rendue possible grâce au versement de subventions publiques en violation des règles communautaires en matière d’aides d’État.

    16.

    FTDM a été déboutée de sa demande par jugement du 26 mai 1993, confirmé par arrêt de la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie) du 13 décembre 1996.

    17.

    Le pourvoi formé contre cet arrêt par le curateur de la faillite de FTDM, société entre-temps mise en liquidation, a été rejeté par arrêt de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) du 19 avril 2000, qui a notamment refusé de déférer à la demande de l’auteur du pourvoi de soumettre à la Cour des questions d’interprétation du droit de l’Union, au motif que la solution retenue par les juges du fond respectait les dispositions pertinentes et était conforme à la jurisprudence de la Cour.

    18.

    Par acte du 15 avril 2002, le curateur de la faillite de FTDM a attrait la République italienne devant le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes, Italie), en engageant la responsabilité de cet État à divers titres : dans sa fonction législative, pour avoir versé des aides, au titre de la loi no 684, incompatibles avec le traité CE ; dans sa fonction juridictionnelle, pour avoir manqué, par la décision de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) du 19 avril 2000, à l’obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles portant sur la conformité au droit de l’Union de la loi no 684 ; et, enfin, dans sa fonction administrative, pour avoir omis d’informer la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) de l’ouverture d’une procédure d’infraction devant la Commission, en ce qui concerne cette loi, manquant ainsi aux obligations de coopération loyale avec les institutions européennes.

    19.

    Ainsi, FTDM a demandé la condamnation de la République italienne à la réparation du préjudice subi qui a été évalué à 9 240 000 euros.

    20.

    Le 14 avril 2003, le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes) a saisi la Cour de la demande de décision préjudicielle qui a donné lieu à l’arrêt du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391).

    21.

    À la suite de cet arrêt, le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes) a, par jugement du 27 février 2009, constaté « l’existence de l’illégalité commise par l’État juge » et ordonné la poursuite de la procédure, par une ordonnance séparée, pour qu’il soit statué sur la demande en réparation des dommages résultant de cette illégalité. C’est à ce stade de ladite procédure que, s’interrogeant sur l’interprétation du droit de l’Union relatif aux aides d’État, cette juridiction a saisi à nouveau la Cour, ce qui a donné lieu à l’arrêt du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo (C‑140/09, EU:C:2010:335), par lequel la Cour a dit pour droit :

    « Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que des subventions versées dans les circonstances caractérisant le litige au principal, en vertu d’une législation nationale prévoyant le versement d’acomptes avant l’approbation d’une convention, constituent des aides d’État si ces subventions sont susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et faussent ou menacent de fausser la concurrence, ce qu’il incombe au juge national de vérifier. »

    22.

    Le 30 juillet 2012, le Tribunale di Genova (tribunal de Gênes) a condamné la République italienne au paiement, en faveur de FTDM, de la somme de 2330355,78 euros, majorée de la réévaluation monétaire et des intérêts légaux, à titre de réparation du préjudice subi en raison du comportement illicite de l’État dans sa fonction juridictionnelle.

    23.

    Cette décision a également été attaquée, à titre principal, par la République italienne, et, à titre incident, par FTDM.

    24.

    La Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes, Italie), par arrêt du 24 juillet 2014, a annulé l’arrêt rendu en première instance et a statué sur le fond de l’affaire.

    25.

    Cette juridiction, tout en rejetant les demandes de réparation de FTDM fondées sur la responsabilité de la République italienne dans ses fonctions juridictionnelle et administrative, a fait droit à celle fondée sur la responsabilité de cet État membre dans sa fonction législative, en raison de l’adoption par le Parlement italien de la loi no 684, en condamnant donc ledit État membre à la réparation du préjudice subi par FTDM, évalué à 2330355,78 euros majorés de la réévaluation monétaire et des intérêts légaux.

    26.

    La Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) a notamment considéré que les aides d’État concernées, en ce qu’elles n’étaient pas antérieures à l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté européenne, devaient être considérées comme des « aides nouvelles » soumises à l’obligation de notification au titre de l’article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE, puis article 108, paragraphe 3, TFUE), de sorte que, en l’absence d’une telle notification, devait être constatée une violation du droit de l’Union.

    27.

    L’arrêt de la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) a été attaqué devant la juridiction de renvoi par la Presidenzia del Consiglio dei Ministri (Présidence du Conseil des ministres). Cette dernière soutient notamment que les aides accordées à Tirrenia ont été erronément qualifiées d’aides nouvelles et non d’aides existantes.

    28.

    La juridiction de renvoi fait observer que, aux fins de la qualification juridique d’une aide d’État versée dans le contexte d’un marché non libéralisé, telle que celle en cause au principal, d’aide existante ou d’aide nouvelle, il convient, tout d’abord, d’examiner l’applicabilité ratione temporis de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, ainsi que son champ d’application.

    29.

    Ensuite, cette juridiction souligne l’importance d’une des caractéristiques du marché pertinent, à savoir son absence de libéralisation. Ainsi, elle estime que, au point 143 de son arrêt du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission (T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, EU:T:2000:151) (ci-après l’« arrêt Alzetta »), le Tribunal a dégagé un principe selon lequel un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence devait être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant. Cette affirmation du Tribunal aurait été confirmée aux points 66 à 69 de l’arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, EU:C:2004:240). Dès lors, aux fins de la qualification juridique des aides d’État en cause au principal d’aides existantes ou d’aides nouvelles, il conviendrait d’examiner également le champ d’application dudit principe.

    30.

    Enfin, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à l’applicabilité de la disposition de l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999, lue en combinaison avec l’article 15 de ce règlement, à des aides d’État octroyées avant l’entrée en vigueur dudit règlement. Selon cette juridiction, il ressort de l’arrêt du 16 avril 2015, Trapeza Eurobank Ergasias (C‑690/13, EU:C:2015:235), que ces dispositions pourraient être applicables aux faits antérieurs à l’entrée en vigueur du même règlement.

    31.

    C’est dans ces conditions que la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Aux fins de la qualification des aides en cause (comme aides “existantes”, et donc pas “nouvelles”), faut-il appliquer, et dans quelle mesure, l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 qui vise : “toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation”, ou bien faut-il appliquer, et dans quelle mesure, le principe (dont la portée est formellement différente de celui du droit positif susmentionné) – dégagé par le Tribunal [au point 143 de l’arrêt Alzetta], et confirmé, pour ce qui nous intéresse aux fins de la décision dans la présente affaire, par la Cour, dans son arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, EU:C:2004:240, points 66 à 69) – selon lequel “[…] un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence doit être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant, dans la mesure où il ne relevait pas, au moment de son institution, du champ d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité [CE, devenu l’article 87, paragraphe 1, CE], uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte, relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence” ?

    2)

    En tout état de cause, et toujours aux fins de la qualification des aides susmentionnées, faut-il appliquer, et dans quelle mesure, l’article 1, sous b), iv), du règlement no 659/1999 qui définit les aides existantes comme étant “toute aide réputée existante conformément à l’article 15” – cette dernière disposition établissant quant à elle un délai de prescription de dix ans pour la récupération des aides accordées illégalement –, ou bien faut-il appliquer, et dans quelle mesure (analogue ou non par rapport au principe exprimé dans la disposition de droit positif susmentionnée), les principes, constamment affirmés par la Cour, de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique ? »

    32.

    Des observations écrites ont été déposées par FTDM, les gouvernements italien et français ainsi que par la Commission. Une audience, à laquelle ont participé ces intéressés, s’est tenue le 7 juin 2018.

    Analyse

    33.

    Comme je l’indiquais en introduction des présentes conclusions et ainsi que cela ressort de l’exposé des faits repris ci-dessus, les autorités italiennes ont fait montre d’une certaine inertie aux fins d’échapper à leur responsabilité du fait de l’octroi des subventions litigieuses, et ce, à mon sens, au mépris des règles en matière d’aides d’État.

    34.

    La singularité de la présente affaire tient au fait que, nonobstant la circonstance que la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) a accueilli la demande en réparation de FTDM au motif notamment que les aides litigieuses devaient être qualifiées d’aides « nouvelles » illégalement octroyées, les autorités italiennes ont, devant la juridiction de renvoi, continué à faire valoir que ces aides devaient, en réalité, être qualifiées d’aides « existantes ». Ces autorités soutiennent que lesdites aides, premièrement, avaient été accordées à une époque où l’activité de cabotage maritime n’était pas encore libéralisée et, deuxièmement, n’avaient pas été contestées par la Commission dans le délai de prescription de dix ans visé par l’article 15 du règlement no 659/1999 [voir article 1er, sous b), iv), de ce règlement].

    35.

    Alors même que, au soutien du premier motif avancé pour qualifier les aides en cause d’existantes, les autorités italiennes indiquent qu’il convient d’écarter la définition contenue à l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 en ce que celle-ci ne refléterait pas l’état du droit applicable à la date d’octroi des mesures litigieuses, elles font, en revanche, valoir, à l’appui du second motif avancé, que ces aides correspondent à la définition contenue à l’article 1er, sous b), iv), de ce règlement ( 3 ).

    36.

    Aussi, et avant d’examiner une à une les questions posées par la juridiction de renvoi, il me semble opportun de procéder à certains rappels élémentaires sur la portée et l’importance de la distinction aides existantes/aides nouvelles et, dans ce contexte particulier, sur l’influence que sont susceptibles d’avoir les définitions contenues dans le règlement no 659/1999 aux fins de la qualification d’aides nouvelles ou existantes.

    Propos liminaires sur la distinction aides existantes/aides nouvelles et sur la portée du règlement no 659/1999 à cet égard

    37.

    Il est bien acquis que la qualification d’une mesure étatique d’aide « nouvelle » ou d’aide « existante » emporte certaines conséquences juridiques importantes, notamment en termes de traitement procédural.

    38.

    S’agissant des aides nouvelles, celles-ci doivent, en premier lieu, être notifiées par les États membres à la Commission et être autorisées par cette dernière avant d’être mises en œuvre. Il résulte également de l’article 108, paragraphes 2 et 3, TFUE que la Commission est chargée, que ce soit au stade de la procédure d’examen préliminaire ou à celui de la procédure formelle d’examen, de contrôler la compatibilité des aides nouvelles avec le marché intérieur. Les articles 2 à 7 du règlement no 659/1999 (devenus articles 2 à 7 du règlement 2015/1589) précisent, à des fins notamment de sécurité juridique, les modalités de mise en œuvre du contrôle exercé par la Commission sur les projets d’aides nouvelles.

    39.

    En second lieu, il est bien établi que, dès lors que des aides dites nouvelles sont accordées sans autorisation de la Commission, elles deviennent illégales [voir article 1er, sous f), du règlement no 659/1999, devenu article 1er, sous f), du règlement 2015/1589]. Cette qualification d’aides nouvelles emporte deux séries de conséquences. D’une part, la Commission est tenue d’examiner les mesures en cause et, dans le cas où elle conclut à leur incompatibilité, elle devra ordonner leur récupération. D’autre part, les juridictions nationales, qui ne sont pas habilitées à se prononcer sur la compatibilité de mesures d’aides, peuvent cependant et sous certaines conditions ordonner la récupération de ces mesures ( 4 ).

    40.

    Les aides dites « existantes » sont soumises à un traitement procédural différent aux termes même de l’article 108, paragraphe 1, TFUE. Cette disposition prévoit en effet que la Commission procède avec les États membres à l’examen des régimes d’aides existant dans ces États et qu’elle peut proposer à ces États les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché intérieur selon un régime défini notamment aux articles 17 à 19 du règlement no 659/1999 (devenus articles 21 à 23 du règlement 2015/1589).

    41.

    Selon ce régime, les aides existantes peuvent être mises à exécution tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité ( 5 ). À la différence des aides nouvelles, les aides existantes n’ont donc pas à être notifiées à la Commission et ne peuvent être qualifiées d’illégales. En outre, les mesures utiles que la Commission est amenée à prendre à l’égard des régimes d’aides existants ne peuvent tendre qu’à la modification ou à la suppression pour l’avenir de tels régimes et en aucun cas exiger leur récupération.

    42.

    Bien qu’elle engendre des conséquences juridiques importantes, la distinction aide existante/aide nouvelle n’est pas toujours d’appréhension aisée.

    43.

    Il y a lieu, en effet, de souligner que la notion d’aide « existante » (et, à défaut, d’aide « nouvelle »), qui trouve sa source dans les traités, n’y est pas en tant que telle définie, ce qui exige notamment de se reporter aux définitions contenues dans les actes de droit dérivé, et plus précisément à ceux régissant les règles de procédure en matière d’aides d’État, à savoir le règlement no 659/1999 mis en cause en l’espèce (et le règlement 2015/1589 qui lui a succédé), et aux précisions fournies par la Cour et le Tribunal à l’occasion des affaires dont ils sont saisis.

    44.

    Ces règlements « procédure » visent à codifier et préciser la pratique décisionnelle de la Commission, afin non seulement d’assurer le bon fonctionnement et l’efficacité des procédures prévues par les dispositions des traités ( 6 ) mais également de répondre à un souci de transparence et de sécurité juridique ( 7 ). Leur objectif premier est de clarifier et de régir les pouvoirs et les modalités d’action de la Commission dans le domaine des aides d’État.

    45.

    Lesdits règlements apportent ainsi d’importantes précisions tant sur les catégories d’aides qui doivent être considérées comme existantes (et, à défaut, nouvelles) que sur le régime auquel sont soumises ces différentes catégories d’aides étatiques dans le cadre de l’examen centralisé des mesures d’aides par la Commission.

    46.

    Si ces règlements reprennent des orientations en grande partie conformes aux enseignements qu’il convient de tirer de la jurisprudence des juridictions de l’Union – jurisprudence qui, dans ce domaine, constitue toujours la référence principale pour l’interprétation des dispositions du traité ( 8 ) –, ils peuvent également avoir, sur certains aspects, une nature innovante.

    47.

    Tel est en particulier le cas s’agissant des catégories d’aides existantes visées par le règlement no 659/1999.

    48.

    Ainsi que la Cour l’a précisément indiqué dans la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur du règlement no 659/1999, il ressort tant du contenu que des finalités des dispositions de l’article 93 du traité CE (devenu article 108 TFUE) que devaient être regardées comme des aides existantes au sens du paragraphe 1 de cet article les aides qui existaient avant la date d’entrée en vigueur du traité (aides dites « pré-adhésion ») et celles qui ont pu être mises régulièrement à exécution dans les conditions prévues à l’article 93, paragraphe 3, du traité CE, y compris celles résultant de l’interprétation de cet article donnée par la Cour dans l’arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, EU:C:1973:152, points 4 à 6) ( 9 ).

    49.

    Il en ressort que trois des cinq catégories d’aides existantes visées par l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999 reprennent ainsi celles qui avaient d’ores et déjà été identifiées par le juge de l’Union, à savoir les aides mises à exécution avant l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné [article 1er, sous b), i)] ainsi que les deux catégories d’aides dites autorisées [article 1er, sous b), ii) et iii)].

    50.

    Présentent, en revanche, un caractère novateur par rapport à ce qui pouvait ressortir des textes du traité, lus à la lumière de la jurisprudence de la Cour, les deux catégories d’aides restantes, à savoir les aides à l’égard desquelles le délai de prescription a expiré [article 1er, sous b), iv), lu en combinaison avec l’article 15 du règlement no 659/1999] ainsi que les mesures à l’égard desquelles il peut être établi qu’elles ne constituaient pas des aides au moment de leur mise en vigueur, mais qu’elles le sont devenues à la suite de l’évolution du marché [article 1er, sous b), v), du même règlement].

    51.

    La présente affaire nous conduit précisément à aborder la portée de ces hypothèses. La première question porte, en effet, sur la catégorie d’aides existantes visée à l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999. La seconde question porte, quant à elle, sur la nature des aides à l’égard desquelles il peut être considéré que le délai de prescription a expiré [voir article 1er, sous b), iv), et article 15 du règlement no 659/1999].

    52.

    Or, l’application ratione temporis du règlement no 659/1999 – et donc l’opposabilité dans l’action en réparation visée au principal des dispositions innovantes qu’il contient en matière de définition des aides « existantes » – me semble clairement prêter à discussion s’agissant de subventions versées antérieurement à l’entrée en vigueur de cet acte ( 10 ).

    53.

    S’il est indéniable que le règlement no 659/1999 reprend en grande partie l’acquis communautaire relatif aux modalités d’application des dispositions des traités en matière d’aides d’État et qu’il a, en outre, une portée essentiellement procédurale – ce qui implique, en principe, qu’il est censé s’appliquer à la date à laquelle il est entré en vigueur ( 11 ) –, il n’en reste pas moins que la définition contenue à l’article 1er, sous b), dudit règlement des circonstances dans lesquelles une aide doit être considérée comme existante apparaît plus large que celle qui découlait jusqu’alors de la jurisprudence de la Cour ( 12 ).

    54.

    En l’occurrence, je doute que les autorités italiennes puissent, en tout état de cause, se prévaloir des catégories d’aides existantes visées respectivement à l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999 et à l’article 1er, sous b), v), de ce règlement pour faire obstacle aux actions en réparation engagées par FTDM destinées à sanctionner la violation de l’obligation de notification des mesures litigieuses, dont tout portait à croire qu’elles constituaient, à l’époque des faits pertinents, des aides nouvelles.

    55.

    Il est, à cet égard, significatif de constater que ce n’est qu’à un stade déjà très avancé de l’examen par les juridictions nationales des actions en réparation engagées par FTDM – examen qui s’est étalé sur plusieurs décennies – que les autorités italiennes ont estimé opportun d’invoquer ces dispositions.

    56.

    Enfin, il me semble important de rappeler que les dispositions du règlement no 659/1999 (et du règlement 2015/1589 qui lui a succédé) ont pour vocation première de clarifier la pratique et les règles de procédure qui seront suivies par la Commission dans son examen des mesures d’aides. Ces règlements n’ont, a priori, pas pour objet de régir l’examen par les juridictions nationales des mesures d’aides dont elles ont à connaître ( 13 ), même si les définitions énoncées dans ceux-ci peuvent guider le juge national ( 14 ).

    57.

    C’est en gardant à l’esprit l’ensemble de ces considérations, qui auront toute leur importance dans l’hypothèse où la Cour devait considérer que les aides litigieuses sont de nature à être qualifiées d’aides existantes en vertu des dispositions de l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999 – ce qui, ainsi que je l’expliquerai par la suite, ne me semble pas être le cas –, que j’examinerai les questions préjudicielles.

    Sur la première question préjudicielle : critère pertinent pour la qualification d’aides nouvelles ou existantes dans le cas d’un marché non encore libéralisé

    58.

    Par sa première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le critère pertinent aux fins de la qualification des aides étatiques visées dans l’affaire au principal d’aides « nouvelles » ou « existantes » dans le cas d’un marché non encore formellement libéralisé.

    59.

    Selon la juridiction de renvoi, il existerait une opposition entre le critère visé à la première phrase de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 et celui qui aurait été dégagé par le Tribunal au point 143 de l’arrêt Alzetta.

    60.

    À mon sens et indépendamment du point de savoir si une telle opposition existe réellement, cette question repose sur une prémisse erronée ( 15 ).

    61.

    Pour bien comprendre la portée de la catégorie d’aide existante visée à l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, il convient de se référer aux termes du considérant 4 de ce règlement, qui dispose que « l’achèvement et l’approfondissement du marché intérieur constituent un processus graduel, ce qui se reflète dans l’évolution constante de la politique en matière d’aides d’État ; […] du fait de cette évolution, certaines mesures qui, au moment de leur mise en œuvre, ne constituaient pas une aide d’État, peuvent être devenues une telle aide» ( 16 ).

    62.

    Conformément à l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, la date de libéralisation d’une activité par le droit de l’Union doit, par conséquent, être prise en considération aux seules fins d’exclure que, à la suite de cette date, une mesure qui ne constituait pas une aide avant cette libéralisation soit qualifiée, par la suite, d’aide existante. En revanche, la seule présence d’une date de libéralisation, résultant de l’entrée en vigueur d’une réglementation européenne, ne suffit pas à exclure qu’une mesure puisse être qualifiée d’aide nouvelle si, sur la base du critère de l’évolution du marché, il peut être prouvé que la mesure avait été adoptée sur un marché qui était déjà, en tout ou partie, ouvert à la concurrence avant la date de libéralisation de l’activité concernée par le droit de l’Union ( 17 ).

    63.

    Autrement dit, aux fins de l’application de cette disposition, il est présupposé que les mesures étatiques en cause, au moment de leur adoption, ne constituaient pas des aides d’État, précisément parce qu’elles ne répondaient pas aux conditions d’affectation des échanges entre États membres et de distorsion de la concurrence.

    64.

    Cette présupposition est tout aussi présente dans l’arrêt Alzetta. Dans cet arrêt, le Tribunal avait en effet tenu compte, pour exclure que les mesures litigieuses pussent être qualifiées d’aides nouvelles, de ce que « les régimes d’aides en cause ne relevaient pas, lors de leur institution en 1981 et en 1985, en ce qui concerne les aides allouées dans le secteur du transport local, régional ou national, du champ d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité [devenu article 107, paragraphe 1, TFUE]» ( 18 ).

    65.

    À cet égard, il convient de rappeler que, pour pouvoir être qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, une mesure doit satisfaire à quatre conditions cumulatives. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 19 ).

    66.

    S’agissant des marchés non encore ouverts à la concurrence, s’il est vrai qu’une aide d’État peut, en principe, être réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, notamment en raison de l’absence de libéralisation dans ces marchés, la Cour a déjà dit pour droit qu’une telle absence de libéralisation n’exclut pas nécessairement que des aides d’État sont susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et qu’elles sont capables de fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 20 ).

    67.

    Aussi, la circonstance que le marché de cabotage maritime en cause dans la présente affaire n’ait été libéralisé par voie réglementaire que bien postérieurement au versement des subventions litigieuses ( 21 ) ne permet pas d’exclure que celles-ci constituaient des aides satisfaisant aux conditions rappelées ci-dessus.

    68.

    En particulier, ainsi qu’il ressort du point 50 de l’arrêt rendu dans l’affaire Fallimento Traghetti del Mediterraneo, il ne peut être exclu, d’une part, que Tirrenia ait été en concurrence avec des entreprises d’autres États membres sur les lignes internes concernées et, d’autre part, qu’elle ait été en situation de concurrence avec de telles entreprises sur des lignes internationales. Il ne peut davantage être exclu que, en l’absence de comptabilité séparée pour ses différentes activités, il ait existé un risque de subventions croisées, c’est-à-dire, en l’occurrence, un risque que les recettes tirées de son activité de cabotage ayant bénéficié des subventions en cause au principal aient été utilisées au profit d’activités exercées par elle sur lesdites lignes internationales ( 22 ).

    69.

    Ainsi que l’a d’ailleurs mentionné la juridiction de renvoi, il ressort d’une série d’affaires concernant les entreprises du Gruppo Tirrenia di Navigazione qui ont donné lieu aux arrêts du 10 mai 2005, Italie/Commission (C‑400/99, EU:C:2005:275), du 20 juin 2007, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission (T‑246/99, non publié, EU:T:2007:186), et du 4 mars 2009, Tirrenia di Navigazione e.a./Commission (T‑265/04, T‑292/04 et T‑504/04, non publié, EU:T:2009:48), que l’absence de libéralisation formelle du marché du cabotage maritime était sans pertinence pour la qualification de certaines des mesures étatiques en cause dans ces affaires d’aides nouvelles.

    70.

    Par conséquent, la circonstance que les aides d’État concernées étaient destinées à soutenir des entreprises dans des marchés non encore libéralisés n’exonérait pas les autorités étatiques concernées du respect des dispositions du traité relatives aux aides d’État nouvelles.

    71.

    Pour autant qu’une mesure nationale relève, au moment de sa mise en vigueur, de la notion d’aide d’État en raison du fait qu’elle remplit toutes les conditions énoncées plus haut, et qu’il est constant, notamment, qu’elle est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser ou de menacer de fausser la concurrence, cette mesure ne peut, en principe, être qualifiée d’aide existante uniquement en raison d’une absence formelle de libéralisation du marché pertinent.

    72.

    En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que la juridiction de renvoi a bien vérifié que les conditions de qualification des subventions en cause d’aides d’État étaient réunies. Cette juridiction a, selon toute vraisemblance, entériné l’appréciation de la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) selon laquelle le marché concerné était, à l’époque des faits pertinents, un marché concurrentiel. En particulier, il ressort des points 22 et 54 de la décision de renvoi, notamment, que, selon cette juridiction, les subventions accordées à Tirrenia étaient susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et « qu’elles étaient potentiellement propres à affecter les échanges et la libre concurrence ». La juridiction de renvoi estime donc elle-même que ces subventions étaient propres à fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 23 ).

    73.

    Dès lors, aux fins de la réponse à la première question, il convient de considérer que les subventions en cause au principal ne peuvent être qualifiées d’aides d’État existantes en raison de la seule absence formelle de libéralisation, dans la mesure où il est constant, d’une part, que ces aides étaient susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et, d’autre part, qu’elles faussaient ou menaçaient de fausser la concurrence.

    74.

    Aussi, ni l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 ni le principe dégagé par le Tribunal dans l’arrêt Alzetta ne me semblent applicables au cas d’espèce.

    75.

    Je partage donc pleinement la position de la Commission selon laquelle, aux fins de la réponse à la première question, il convient de considérer que les subventions en cause au principal ne peuvent être qualifiées d’aides d’État existantes en raison de la seule absence formelle de libéralisation, dans la mesure où il est constant, d’une part, que ces aides étaient susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et, d’autre part, qu’elles faussaient ou menaçaient de fausser la concurrence.

    76.

    Eu égard à l’ensemble de ces considérations et sans qu’il y ait dès lors lieu d’examiner plus avant si les dispositions du règlement no 659/1999 sont applicables ratione temporis, il convient de répondre à la première question que, aux fins de la qualification des aides d’État en cause au principal d’aides existantes ou d’aides nouvelles, il n’y a lieu d’appliquer ni la règle de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999 ni le principe dégagé dans l’arrêt Alzetta selon lequel les aides versées à des entreprises opérant dans un marché non encore libéralisé devraient être considérées comme des aides existantes.

    Sur la seconde question préjudicielle : applicabilité de l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999 ou des principes de confiance légitime et de sécurité juridique

    77.

    Par sa seconde question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, aux fins de la qualification des aides litigieuses dans l’affaire au principal d’aides existantes ou nouvelles, il lui est possible de se fonder sur l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999, qui définit les aides existantes comme étant « toute aide réputée existante conformément à l’article 15 » de ce règlement, ou s’il y a plutôt lieu de se référer aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.

    Sur la possible référence à l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999

    78.

    Il importe de relever que l’affaire au principal a trait à une action en engagement de la responsabilité de l’État pour violation des dispositions applicables en matière d’aides d’État, et en particulier de son obligation de notification préalable de mesures d’aides en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. La requérante au principal, entreprise concurrente du bénéficiaire de l’aide, entend obtenir réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’octroi illégal des subventions litigieuses.

    79.

    Il ressort, en outre, du dossier soumis à la Cour que la Commission n’a pas adopté de décision relative à la légalité et à la compatibilité des aides d’État en cause au principal (situation de stand-alone private enforcement).

    80.

    Or, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le préciser dans l’arrêt Transalpine Ölleitung in Österreich, si les règles de nature procédurale contenues dans le règlement no 659/1999 s’appliquent à toutes les procédures administratives en matière d’aides d’État pendantes devant la Commission au moment où ce règlement est entré en vigueur, à savoir le 16 avril 1999, ce règlement ne contient, en revanche, aucune disposition relative aux pouvoirs et aux obligations des juridictions nationales, lesquels restent régis par les dispositions du traité, telles qu’interprétées par la Cour ( 24 ).

    81.

    Il est, en effet, de jurisprudence bien établie que, dans le cadre du contrôle du respect par les États membres des obligations mises à leur charge par les articles 107 et 108 TFUE, les juridictions nationales et la Commission remplissent des rôles complémentaires et distincts. Tandis que l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aides avec le marché commun relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions communautaires, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde des droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable des aides d’État à la Commission désormais prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE ( 25 ).

    82.

    Dans l’exercice de leurs fonctions de sauvegarde des droits des justiciables, les juridictions nationales jouissent d’une certaine indépendance et autonomie par rapport à l’intervention de la Commission.

    83.

    Tel est notamment le cas lorsqu’elles sont appelées à statuer sur des demandes d’indemnisation, introduites par les concurrents des entreprises bénéficiaires de mesures d’aides, des dommages prétendument causés par l’octroi illégal de ces mesures.

    84.

    Ainsi, la possibilité de réclamer des dommages et intérêts est, en principe, indépendante de toute procédure d’examen parallèle menée par la Commission relative à l’aide en cause.

    85.

    À cet égard, la Cour a déjà considéré, à maintes reprises, que l’ouverture par la Commission de la procédure formelle d’examen des aides d’État ne saurait décharger les juridictions nationales de leur obligation de sauvegarder les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ( 26 ).

    86.

    De même, il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne le niveau d’autonomie des juridictions nationales, que, sous peine de porter atteinte à l’effet direct de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE et de méconnaître les intérêts des justiciables que ces juridictions ont pour mission de préserver, une décision de la Commission déclarant une aide non notifiée compatible avec le marché intérieur n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui sont invalides du fait qu’ils ont été pris en méconnaissance de l’interdiction visée par cette disposition. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, de ladite disposition et la priverait de son effet utile ( 27 ).

    87.

    Partant, lorsqu’un requérant peut établir devant la juridiction nationale qu’il a subi un dommage causé par la mise en exécution prématurée de l’aide et, plus spécifiquement, par l’avantage concurrentiel illégal qu’en a retiré le bénéficiaire, l’action en dommages et intérêts peut être accueillie quand bien même, au moment où la juridiction nationale statue sur la demande, la Commission aurait déjà approuvé l’aide en cause.

    88.

    Cette conclusion s’applique, mutatis mutandis, dans la situation où, comme en l’espèce, la Commission n’aurait pas adopté de décision se prononçant expressément sur la légalité des mesures d’aides en cause. De la même manière qu’une décision admettant la compatibilité d’aides illégales ultérieurement à leur octroi n’a pas pour conséquence de régulariser a posteriori les actes d’exécution de ces aides – qui étaient à l’origine invalides en ce qu’ils avaient été adoptés en méconnaissance des obligations de notification et de suspension (standstill) prévues par le traité, l’absence de prise de décision de la Commission sur des mesures d’aides ne peut, a fortiori, avoir pour effet de régulariser, par l’effet du temps, de telles mesures.

    89.

    Dans ce contexte et eu égard notamment au rôle que jouent les juridictions nationales lorsqu’elles sont saisies par de telles actions en dommages et intérêts en situation de « stand-alone » ainsi qu’au niveau d’indépendance de ces juridictions par rapport à la Commission, il apparaît que la notion d’aides existantes au sens de l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999 est intimement liée aux règles en matière de prescription définies à l’article 15 de ce règlement, règles qui se rapportent, ainsi qu’il ressort du paragraphe 1 de ce dernier article, aux « pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide ».

    90.

    Cette notion, telle que définie à l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999, désigne toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription de dix ans, auquel sont soumis les pouvoirs spécifiques de la Commission en matière de récupération de l’aide, a expiré. Cette règle de prescription vise à assurer que toute prise de décision par la Commission le soit dans un délai raisonnable, à défaut de quoi elle est de nature à fonder une confiance légitime dans le chef de personnes concernées ( 28 ).

    91.

    L’expiration du délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ne fait que limiter dans le temps les pouvoirs de la Commission en ce qui concerne la récupération de l’aide illégale. La limitation subjective du pouvoir d’action suspensive prévue au paragraphe 2 de cet article indique, à mon sens, clairement que le délai en question ne fait que définir les limites temporelles des pouvoirs de récupération des aides illégales de la Commission ( 29 ).

    92.

    En revanche, cette limitation temporelle des pouvoirs de la Commission n’affecte pas la possibilité pour les juridictions nationales de constater qu’une aide est illégale. Le fait que l’aide puisse devenir une aide existante en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 659/1999 ne remédie pas à l’illégalité commise par l’État du fait de l’absence de notification.

    93.

    En d’autres termes, l’expiration du délai de prescription ne saurait avoir pour effet de créer une régularisation absolue et rétroactive des aides d’État concernées en les transformant en aides existantes, avec pour conséquence la suppression postérieure du fondement juridique d’un recours introduit contre l’État membre concerné par des particuliers et des concurrents affectés par l’octroi de l’aide illégale.

    94.

    Toute autre interprétation reviendrait à amoindrir la portée de l’obligation de notification des mesures d’aides qui pèsent sur les États membres ( 30 ) et, ainsi, à priver l’article 108, paragraphe 3, TFUE de son effet utile.

    95.

    Cela entraînerait, en outre, une affectation des droits des particuliers qui sont également bénéficiaires et destinataires immédiats de la protection conférée par cette disposition. Il n’y a, à mon sens, aucune raison que les particuliers, qui ont éventuellement été lésés par l’octroi d’aides illégales en ce que ces dernières ont engendré, à leur détriment, une distorsion de concurrence, voient leurs actions en dédommagement compromises du fait de l’inaction ou de la non-prise de décision de la Commission à l’égard des mesures en question.

    96.

    En l’occurrence, le fait de qualifier les mesures en question d’aides existantes en vertu de l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999 aurait pour effet de réduire l’efficacité du contrôle juridictionnel sur les mesures d’aides d’État illégalement octroyées à Tirrenia, ce qui affecterait les attentes légitimes de FTDM qui a introduit un recours en réparation contre l’État italien en se fiant aux principes et aux orientations qui constituaient l’acquis communautaire à l’époque où les aides d’État ont été versées.

    97.

    En l’espèce, les subventions annuelles dont Tirrenia a bénéficié de 1976 à 1980 constituaient des aides d’État qui doivent être qualifiées d’aides nouvelles. En tant qu’aides nouvelles, la République italienne aurait dû les notifier avant de les mettre en exécution, en vertu de l’article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 108, paragraphe 3, TFUE). Or, cette notification préalable n’ayant pas été faite, les aides dont Tirrenia a bénéficié de 1976 à 1980 devaient être qualifiées d’aides d’État illégales.

    98.

    La circonstance que l’aide puisse devenir une aide existante en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 659/1999 ne remédierait pas à l’illégalité commise lors de la mise à exécution de l’aide.

    99.

    Les seules règles de prescription qui sont éventuellement d’application devant le juge national sont celles qui découlent du droit national, interprétées à la lumière des principes d’effectivité et d’équivalence ( 31 ).

    100.

    Une dernière précision s’impose dans ce contexte quant à l’invocabilité des dispositions du règlement no 659/1999 devant le juge national.

    101.

    La juridiction de renvoi a, en effet, estimé que la Cour a déjà considéré, dans son arrêt du 16 avril 2015, Trapeza Eurobank Ergasias (C‑690/13, EU:C:2015:235), que le règlement no 659/1999 est notamment applicable aux fins de l’appréciation par une juridiction nationale de la question de savoir si les aides d’État concernées ont été effectivement des aides existantes, même dans une situation où les aides ont été octroyées avant l’entrée en vigueur de ce règlement.

    102.

    Or, il est fait observer que, dans cette affaire, la Cour était notamment interrogée sur le point de savoir si, lorsque des privilèges, tels que ceux en cause dans ladite affaire, relèvent du champ d’application de cette disposition, l’État membre qui les a instaurés est tenu de suivre la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE (devenu article 108, paragraphe 3, TFUE) relative aux aides nouvelles. L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ne concernait pas une action en dommages et intérêts, mais l’inapplication éventuelle des dispositions nationales instituant des privilèges potentiellement incompatibles avec les règles du droit des aides d’État.

    103.

    Il ne saurait, dès lors, être tiré argument de cette jurisprudence pour se prévaloir de l’opposabilité dans le cadre de l’examen de la demande d’indemnisation visée en l’espèce de la définition contenue à l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999.

    104.

    Il résulte de l’ensemble de ces considérations que la définition d’aide existante contenue à l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999 n’est pas applicable à une situation telle que celle en cause au principal. En d’autres termes, les dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État s’opposent à ce que l’expiration du délai de prescription en matière de récupération de l’aide visé à l’article 15 du règlement no 659/1999 fasse obstacle à l’engagement devant le juge national de la responsabilité de l’État pour violation de l’obligation de notification préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

    105.

    Il reste encore à examiner, ainsi que la juridiction de renvoi nous y invite dans la seconde partie de sa seconde question, si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, les autorités italiennes peuvent se prévaloir, dans le cadre de l’action en réparation dirigée contre elles, des principes de confiance légitime et de sécurité juridique.

    Sur l’invocabilité du principe de confiance légitime et de sécurité juridique

    106.

    En l’occurrence, en l’absence de décision de la Commission à l’égard des subventions litigieuses, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer, en se plaçant à la date à laquelle l’État a décidé d’octroyer ces subventions, si, eu égard aux seules circonstances de l’affaire au principal, les aides en question doivent être qualifiées d’aides existantes ou d’aides nouvelles et, dans cette dernière hypothèse, de définir si ces aides sont illégales ou non.

    107.

    Dans le cas où il serait confirmé que les mesures d’aides litigieuses ont été accordées en violation de l’obligation, en principe absolue et inconditionnelle, de notification préalable, je suis d’avis que les autorités étatiques en cause ne sauraient se prévaloir des principes de confiance légitime et de sécurité juridique pour se soustraire à leurs obligations dans le cadre d’une action en réparation introduite par une entreprise concurrente du bénéficiaire des aides.

    108.

    S’agissant, tout d’abord, du principe de confiance légitime, il suffit de rappeler que le droit de s’en prévaloir, qui est en principe ouvert à toute personne dans l’esprit de laquelle une institution a fait naître des espérances fondées, est hors de propos en l’occurrence, dès lors qu’il n’existe pas d’assurances précises fournies par celle-ci.

    109.

    En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que la protection de la confiance légitime ne saurait être invoquée par une personne ayant violé le droit en vigueur ( 32 ). Il est ainsi bien établi que les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 108 TFUE. Cette conclusion est encore plus valable à l’égard des entités étatiques ayant précisément octroyé l’aide, qui ne sauraient en aucun cas tirer profit de l’inaction ou de la non-prise de décision de la Commission à l’égard de ladite aide ( 33 ).

    110.

    Ces autorités ne sauraient davantage se prévaloir du principe de sécurité juridique.

    111.

    Certes, la Cour a jugé que, même en l’absence de délai de prescription fixé par le législateur de l’Union, l’exigence fondamentale de la sécurité juridique s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs ( 34 ). À cet égard, un retard pris par la Commission pour décider qu’une aide est illégale et qu’elle doit être supprimée et récupérée par un État membre, peut, dans certaines circonstances, fonder chez les bénéficiaires de ladite aide une confiance légitime de nature à empêcher la Commission d’enjoindre audit État membre d’ordonner la restitution de cette aide ( 35 ).

    112.

    Cependant, outre le fait que cette jurisprudence était destinée à sauvegarder la confiance légitime du bénéficiaire de l’aide – qui est, en principe, hors de propos dans le cadre d’une action indemnitaire dirigée contre les autorités étatiques dispensatrices de l’aide –, elle se rapportait à des circonstances exceptionnelles ( 36 ), qui ne me semblent pas présenter de similitude avec la situation en cause dans l’affaire au principal.

    113.

    En définitive, il me semble que, si le principe de sécurité juridique peut, le cas échéant, être amené à jouer un rôle dans le cas où l’État concerné a dûment notifié les mesures d’aides qu’il entend mettre en œuvre, tel n’est pas le cas de la situation où ledit État ne s’est pas conformé à l’obligation de notification préalable en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, alors même que des doutes raisonnables pouvaient être nourris sur la légalité de ces mesures au regard du droit des aides d’État.

    114.

    En conséquence, ni le principe de confiance légitime – qui ne peut être, en tout état de cause, être invoqué par une personne ayant violé le droit en vigueur – ni le principe de sécurité juridique – qui ne peut s’appliquer dans une situation de non-notification par les autorités nationales compétentes de mesures d’aides nouvelles – ne viennent au secours de la position défendue par les autorités italiennes.

    115.

    Il est donc proposé de répondre à la seconde question préjudicielle que l’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999 n’est pas applicable à une situation telle que celle en cause au principal. Par ailleurs, dans la mesure où les aides en cause au principal n’ont pas été accordées dans le respect de l’obligation de notification des aides d’État à la Commission, l’État membre ne saurait invoquer les principes de protection de confiance légitime et de sécurité juridique pour se soustraire à l’obligation de restitution dans le cadre d’une action en dommages et intérêts.

    Conclusion

    116.

    Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) de la manière suivante :

    1)

    Ni l’article 1er, sous b), v), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE], ni la règle dégagée au point 143 de l’arrêt du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission (T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, EU:T:2000:151) ne trouvent à s’appliquer à une mesure nationale constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, lorsque, au moment de sa mise en œuvre, une telle mesure était susceptible d’affecter les échanges entre États membres et d’influencer le jeu de la concurrence.

    2)

    L’article 1er, sous b), iv), du règlement no 659/1999, n’est pas applicable à une situation telle que celle en cause au principal. En d’autres termes, les dispositions du traité FUE en matière d’État s’opposent à ce que l’expiration du délai de prescription en matière de récupération de l’aide visé à l’article 15 du règlement no 659/1999 fasse obstacle à l’engagement devant le juge national de la responsabilité de l’État pour violation de l’obligation de notification préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Par ailleurs, dans la mesure où les aides en cause au principal n’ont pas été accordées dans le respect de l’obligation de notification des aides d’État à la Commission prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, l’État membre ne saurait invoquer les principes de protection de confiance légitime et de sécurité juridique pour écarter l’engagement de responsabilité dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite par des particuliers pour violation du droit de l’Union.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Règlement du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1). Le règlement no 659/1999 a été supprimé et remplacé par le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9).

    ( 3 ) Cette dernière disposition serait, selon les autorités italiennes, applicable à l’ensemble des mesures d’aides y compris celles accordées antérieurement à l’entrée en vigueur (voir arrêt du 10 avril 2003, Scott/Commission, T‑366/00, EU:T:2003:113, point 53).

    ( 4 ) Voir arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C‑199/06, EU:C:2008:79).

    ( 5 ) Voir, par exemple, arrêt du 15 mars 1994, Banco Exterior de España (C‑387/92, EU:C:1994:100, point 20).

    ( 6 ) Voir considérant 2 du règlement no 659/1999.

    ( 7 ) Voir, notamment, considérants 3, 4, 7, 11, 14, 17 et 21 du règlement no 659/1999.

    ( 8 ) Voir, en ce sens, communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (JO 2016, C 262, p. 1, point 3).

    ( 9 ) Voir arrêts du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, EU:C:1994:311, point 13), et du 17 juin 1999, Piaggio (C‑295/97, EU:C:1999:313, point 48).

    ( 10 ) Cette question est notamment débattue par FTDM qui soutient, en substance, que les dispositions du règlement no 659/1999 ne sauraient être appliquées rétroactivement pour qualifier d’aides existantes des mesures qui, à l’époque de leur institution, ne pouvaient être qualifiées comme telles.

    ( 11 ) Voir notamment arrêt du 26 mars 2015, Commission/Moravia Gas Storage (C‑596/13 P, EU:C:2015:203, point 33 et jurisprudence citée).

    ( 12 ) Voir, notamment, arrêt du 17 juin 1999, Piaggio (C‑295/97, EU:C:1999:313, point 48), prononcé peu de temps avant l’entrée en vigueur du règlement no 659/1999.

    ( 13 ) En ce sens, on relèvera que l’article 23 bis du règlement no 659/1999 (devenu article 29 du règlement 2015/1589) prévoit précisément des mécanismes de coopération avec les juridictions nationales qui sont notamment destinées à assurer une application cohérente des articles 107 et 108 TFUE.

    ( 14 ) Voir, notamment, en ce sens, s’agissant de la qualification d’aide existante au sens de l’article 1er, sous b), i), du règlement no 659/1999, arrêts du 18 juillet 2013, P (C‑6/12, EU:C:2013:525, points 42 à 44), et du 19 mars 2015, OTP Bank (C‑672/13, EU:C:2015:185, point 61).

    ( 15 ) C’est ce qui a notamment et finalement été admis lors de l’audience par la République française, initialement intervenue au soutien de la République italienne sur ce point.

    ( 16 ) Soulignement ajouté par mes soins.

    ( 17 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 16 janvier 2018, EDF/Commission (T‑747/15, EU:T:2018:6, point 369), actuellement sous pourvoi pendant devant la Cour (affaire C‑221/18 P).

    ( 18 ) Voir point 146 de l’arrêt Alzetta.

    ( 19 ) Voir, notamment, arrêts du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 40), du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53), ainsi que du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania (C‑74/16, EU:C:2017:496, point 38).

    ( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo (C‑140/09, EU:C:2010:335, point 49).

    ( 21 ) Le règlement (CEE) no 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO 1992, L 364, p. 7), a libéralisé les services de transport maritime à compter du 1er janvier 1993. L’article 6, paragraphe 2, de ce règlement prévoyait notamment que les services de cabotage avec les îles de la Méditerranée étaient temporairement exemptés de l’application dudit règlement jusqu’au 1er janvier 1999.

    ( 22 ) Arrêt du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo (C‑140/09, EU:C:2010:335, points 49 et 50).

    ( 23 ) Lors de l’audience, la République italienne a toutefois maintenu qu’il ne pouvait pas être question de distorsion de concurrence sur le marché en cause ; ce qu’elle aurait, par différents griefs, précisément contesté devant la juridiction de renvoi.

    ( 24 ) Arrêt du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, EU:C:2006:644, points 34 et 35).

    ( 25 ) Voir arrêt du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, EU:C:2006:644, points 37 et 38 et jurisprudence citée).

    ( 26 ) Voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C‑39/94, EU:C:1996:285, point 44), et du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa (C‑284/12, EU:C:2013:755, point 32).

    ( 27 ) Voir arrêts du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (C‑354/90, EU:C:1991:440, point 16), du 21 octobre 2003, van Calster e.a. (C‑261/01 et C‑262/01, EU:C:2003:571, point 63), et du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, EU:C:2006:644, point 41).

    ( 28 ) Voir, notamment, arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, EU:C:1987:502, point 17).

    ( 29 ) Voir, notamment, arrêt du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission (T‑195/01 et T‑207/01, EU:T:2002:111, point 130).

    ( 30 ) Voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2003, van Calster e.a. (C‑261/01 et C‑262/01, EU:C:2003:571, point 60), du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, EU:C:2006:644, points 41 et 42), et du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C‑199/06, EU:C:2008:79, point 40).

    ( 31 ) Voir, par analogie, arrêt du 24 mars 2009, Danske Slagterier (C‑445/06, EU:C:2009:178, points 31 à 46).

    ( 32 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission (C‑65/02 P et C‑73/02 P, EU:C:2005:454, point 41).

    ( 33 ) Voir, notamment, arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano (C‑148/04, EU:C:2005:774, point 104 et jurisprudence citée).

    ( 34 ) Voir arrêts du 14 juillet 1972, Geigy/Commission (52/69, EU:C:1972:73, points 20 et 21), du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission (C‑74/00 P et C‑75/00 P, EU:C:2002:524, points 140 et 141), et du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter (C‑408/04 P, EU:C:2008:236, point 100).

    ( 35 ) Voir arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, EU:C:1987:502, point 17).

    ( 36 ) La mesure en cause concernait un secteur qui, depuis plusieurs années, était bénéficiaire d’aides d’État autorisées par la Commission et elle était destinée à faire face aux coûts supplémentaires d’une opération qui avait déjà bénéficié d’une aide autorisée [arrêt du 28 janvier 2003, Allemagne/Commission (C‑334/99, EU:C:2003:55, point 44)].

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