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Document 62017CJ0045

Arrêt de la Cour (dixième chambre) du 18 janvier 2018.
Frédéric Jahin contre Ministre de l'Économie et des Finances et Ministre des Affaires sociales et de la Santé.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).
Renvoi préjudiciel – Libre circulation des capitaux – Articles 63 et 65 TFUE – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 11 – Prélèvements sur les revenus du capital participant au financement de la sécurité sociale d’un État membre – Exemption pour les ressortissants de l’Union européenne affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre – Personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers – Différence de traitement – Restriction – Justification.
Affaire C-45/17.

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:18

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

18 janvier 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des capitaux – Articles 63 et 65 TFUE – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 11 – Prélèvements sur les revenus du capital participant au financement de la sécurité sociale d’un État membre – Exemption pour les ressortissants de l’Union européenne affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre – Personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers – Différence de traitement – Restriction – Justification »

Dans l’affaire C‑45/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 25 janvier 2017, parvenue à la Cour le 30 janvier 2017, dans la procédure

Frédéric Jahin

contre

Ministre de l’Économie et des Finances,

Ministre des Affaires sociales et de la Santé,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. A. Borg Barthet, faisant fonction de président de chambre, Mme M. Berger et M. F. Biltgen (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour M. Jahin, par Me E. d’Onorio di Meo, avocat,

pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et R. Coesme, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et L. Malferrari, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 63 à 65 TFUE ainsi que de l’article 11 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Frédéric Jahin au ministre de l’Économie et des Finances (France) ainsi qu’au ministre des Affaires sociales et de la Santé (France) au sujet du paiement de plusieurs contributions et prélèvements fiscaux au titre des années 2012 à 2014, portant sur des revenus patrimoniaux perçus en France.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le règlement no 883/2004 a abrogé, à partir du 1er mai 2010, le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1) (ci-après le « règlement no 1408/71 »). Les dispositions du règlement no 883/2004 pertinentes pour la présente affaire n’ont cependant pas connu de modification substantielle par rapport à celles qui correspondaient à celles-ci dans le règlement abrogé.

4

L’article 2 du règlement no 883/2004, intitulé « Champ d’application personnel », dispose, à son paragraphe 1 :

« Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation de l’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants. »

5

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement :

« Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :

a)

les prestations de maladie ;

b)

les prestations de maternité et de paternité assimilées ;

c)

les prestations d’invalidité ;

d)

les prestations de vieillesse ;

e)

les prestations de survivant ;

f)

les prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles ;

g)

les allocations de décès ;

h)

les prestations de chômage ;

i)

les prestations de préretraite ;

j)

les prestations familiales. »

6

L’article 11, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :

« Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. [...] »

7

Le règlement no 883/2004 s’applique à l’ensemble des États membres de l’Espace économique européen (EEE) en vertu de la décision no 76/2011 du Comité mixte de l’EEE, du 1er juillet 2011, modifiant l’annexe VI (Sécurité sociale) et le protocole 37 de l’accord EEE (JO 2011, L 262, p. 33).

8

Par ailleurs, s’agissant de la Confédération suisse, en vertu de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 (JO 2002, L 114, p. 6), entré en vigueur le 1er juin 2002, les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II de cet accord, la coordination des systèmes de sécurité sociale. Par la décision no 1/2012 du comité mixte institué par l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, du 31 mars 2012, remplaçant l’annexe II dudit accord sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2012, L 103, p. 51), entrée en vigueur le 1er avril 2012, la section A de ladite annexe a été mise à jour et fait désormais référence au règlement no 883/2004.

Le droit français

9

En vertu de l’article 1600-0 C du code général des impôts, dans sa version applicable aux faits au principal :

« La contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine est établie, contrôlée et recouvrée conformément aux dispositions de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. »

10

L’article L.136-6 du code de la sécurité sociale, tel que modifié par la loi no 2012-958, du 16 août 2012, est libellé comme suit :

« I. – Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l’établissement de l’impôt sur le revenu [...]

I bis. – Sont également assujetties à la contribution les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du code général des impôts à raison du montant net des revenus, visés au a du I de l’article 164 B du même code, retenu pour l’établissement de l’impôt sur le revenu.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

M. Jahin, ressortissant français, réside en Chine depuis l’année 2003. Il y exerce une activité professionnelle et y est affilié à un régime privé de sécurité sociale.

12

Entre les années 2012 et 2014, il a été soumis, en France, à divers prélèvements portant sur des revenus fonciers ainsi que sur une plus-value réalisée à la suite de la cession d’un immeuble.

13

Ayant déjà été saisie d’un renvoi préjudiciel par la juridiction de renvoi, le Conseil d’État (France), dans une autre affaire relative à des prélèvements identiques et ayant donné lieu à l’arrêt du 26 février 2015, de Ruyter (C‑623/13, EU:C:2015:123), la Cour a jugé, en substance, que de tels prélèvements, dans la mesure où ils présentent un lien direct et pertinent avec certaines branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement no 1408/71, relèvent du champ d’application de ce règlement et sont soumis au principe d’unicité de la législation applicable, prévu à l’article 13, paragraphe 1, dudit règlement, alors même qu’ils sont assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle.

14

À la suite de cet arrêt, la juridiction de renvoi a jugé, par décision du 27 juillet 2015, que toute personne physique affiliée à un régime de sécurité sociale dans un autre État membre est fondée à demander la décharge des prélèvements auxquels ont été assujettis, en France, les revenus de son patrimoine.

15

Les modalités de remboursement des prélèvements opérés en violation du droit de l’Union ont été précisées par deux communiqués de presse du 20 octobre 2015 émis, d’une part, par le secrétaire d’État chargé du Budget (France) et, d’autre part, par le directeur général des Finances publiques (France). Il y est notamment précisé que le droit au remboursement est réservé aux seules personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État autre que la République française situé dans l’Union européenne, l’EEE ou la Confédération suisse, excluant ainsi les personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale dans un État tiers.

16

En date du 11 mars 2016, M. Jahin a introduit, devant la juridiction de renvoi, un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ces communiqués de presse, en faisant valoir que cette exclusion est contraire au règlement no 883/2004 et au principe de libre circulation des capitaux garanti par l’article 63 TFUE.

17

Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« Les articles 63, 64 et 65 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens que :

1)

la circonstance qu’une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d’un État tiers à l’Union [...], autre que les États membres de l’[EEE] ou la [Confédération suisse], soit soumise, comme les personnes affiliées à la sécurité sociale en France, aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française entrant dans le champ du règlement [no 883/2004], alors qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État membre autre que la [République française] ne peut, compte tenu des dispositions de ce règlement, y être soumise, constitue une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers en principe interdite par l’article 63 TFUE ;

2)

en cas de réponse positive à la première question, une telle restriction aux mouvements de capitaux, qui découle de la combinaison d’une législation française, qui soumet aux prélèvements en litige l’ensemble des titulaires de certains revenus du capital sans opérer par elle-même aucune distinction selon le lieu de leur affiliation à un régime de sécurité sociale, et d’un acte de droit dérivé de l’Union [...] peut être regardée comme compatible avec les stipulations dudit article du [traité FUE], notamment :

au regard du paragraphe premier de l’article 64 [TFUE], pour les mouvements de capitaux qui entrent dans son champ, au motif que la restriction découlerait de l’application du principe d’unicité de législation prévu à l’article 11 du règlement [no 883/2004], introduit dans le droit de l’Union par l’article 13 du règlement [règlement no 1408/71], soit à une date antérieure au 31 décembre 1993, alors même que les prélèvements sur les revenus du capital en cause ont été institués ou rendus applicables après le 31 décembre 1993 ;

au regard du paragraphe premier de l’article 65 du traité, au motif que la législation fiscale française, appliquée de manière conforme au règlement du 29 avril 2004, établirait une distinction entre des contribuables ne se trouvant pas dans la même situation au regard du critère tiré de l’affiliation à un régime de sécurité sociale ;

au regard de l’existence de raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre circulation des capitaux, tirées de ce que les dispositions qui seraient regardées comme constitutives d’une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers répondent à l’objectif, poursuivi par le règlement [no 883/2004], de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union [...] ? »

Sur les questions préjudicielles

18

Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un ressortissant de cet État membre, qui réside dans un État tiers, autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse, et qui y est affilié à un régime de sécurité sociale, est soumis, dans ledit État membre, à des prélèvements sur les revenus du capital au titre d’une cotisation au régime de sécurité sociale instauré par celui-ci, alors qu’un ressortissant de l’Union relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre en est exonéré en raison du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, tel que prévu à l’article 11 du règlement no 883/2004, en ce qu’une telle législation nationale constitue une restriction prohibée aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers.

19

Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’article 63 TFUE met en œuvre la libre circulation des capitaux, d’une part, entre les États membres et, d’autre part, entre les États membres et les pays tiers.

20

À cet effet, l’article 63 TFUE, qui figure sous le chapitre 4 du titre IV du traité FUE, intitulé « Les capitaux et les paiements », dispose que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres ainsi qu’entre les États membres et les États tiers sont interdites.

21

Il en découle que le champ d’application territorial de la libre circulation des capitaux visée à l’article 63 TFUE ne se limite pas aux mouvements de capitaux entre les États membres, mais s’étend également à de tels mouvements entre les États membres et les États tiers.

22

S’agissant du champ d’application matériel de l’article 63 TFUE, si le traité FUE ne définit pas la notion de « mouvements de capitaux », il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que de tels mouvements, au sens de cet article comprennent, entre autres, les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d’un État membre (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2001, Stefan, C‑464/98, EU:C:2001:9, point 5 ; du 5 mars 2002, Reisch e.a., C‑515/99, C‑519/99 à C‑524/99 et C‑526/99 à C‑540/99, EU:C:2002:135, point 30, ainsi que du 8 septembre 2005, Blanckaert, C‑512/03, EU:C:2005:516, point 35).

23

Il découle de ce qui précède que des prélèvements, tels que ceux opérés en vertu de la législation nationale en cause dans l’affaire au principal, en ce qu’ils portent sur des revenus fonciers et sur une plus-value réalisée à la suite de la cession d’un immeuble perçus dans un État membre par une personne physique qui possède la nationalité de cet État, mais qui réside dans un État tiers autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse, relèvent de la notion de « mouvements de capitaux », au sens de l’article 63 TFUE.

24

Il convient de déterminer, ensuite, si le traitement fiscal réservé par la législation nationale en cause à ses ressortissants qui résident dans un État tiers autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse et qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale de cet État tiers constitue une restriction aux mouvements de capitaux, au sens de l’article 63 TFUE.

25

Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents à faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents dudit État membre d’en faire dans d’autres États [arrêts du 23 février 2006, van Hilten‑van der Heijden, C‑513/03, EU:C:2006:131, point 44 ; du 26 mai 2016, NN (L) International, C‑48/15, EU:C:2016:356, point 44, et du 2 juin 2016, Pensioenfonds Metaal en Techniek, C‑252/14, EU:C:2016:402, point 27].

26

En l’occurrence, il est constant que la législation française traite de la même manière, d’une part, ses ressortissants qui résident dans un État tiers, autre que les États membres de l’EEE ou la Confédération suisse, et qui y sont affiliés à un régime de sécurité sociale, et, d’autre part, les ressortissants français qui résident en France et y sont affiliés à un régime de sécurité sociale, dès lors que dans les deux cas de figure, ils sont soumis de la même manière aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par cette législation nationale.

27

En revanche, un traitement fiscal plus favorable est réservé aux ressortissants de l’Union qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre, d’un État membre de l’EEE ou de la Confédération suisse, étant donné qu’ils sont exonérés desdits prélèvements.

28

Or, une telle différence de traitement est susceptible de dissuader les personnes physiques qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers autre que les États membres de l’EEE ou la Confédération suisse de procéder à des investissements immobiliers dans l’État membre dont elles possèdent la nationalité et est, partant, de nature à freiner la circulation des capitaux de tels États tiers vers ledit État membre.

29

Dès lors, une législation nationale, telle que celle en cause au principal, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux entre un État membre et un État tiers, qui est, en principe, interdite par l’article 63 TFUE.

30

Enfin, il importe d’apprécier si une telle restriction à la libre circulation des capitaux est susceptible d’être justifiée.

31

Aux termes de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, « l’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres [...] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ».

32

Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que cette disposition, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident est automatiquement compatible avec le traité (arrêts du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 42, et du 7 novembre 2013, K, C‑322/11, EU:C:2013:716, point 34).

33

En effet, la dérogation prévue à l’article 65, paragraphe 1, TFUE est elle-même limitée par le paragraphe 3 du même article, qui prévoit que les dispositions nationales visées audit paragraphe 1 « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 » (arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 43).

34

Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux qui sont permis au titre de l’article 65, paragraphe 1, TFUE des discriminations arbitraires qui sont interdites en vertu du paragraphe 3 de ce même article. Il ressort, à cet égard, d’une jurisprudence constante de la Cour que, pour qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêts du 6 juin 2000, Verkooijen, C‑35/98, EU:C:2000:294, point 43 ; du 7 septembre 2004, Manninen, C‑319/02, EU:C:2004:484, points 28 et 29, ainsi que du 8 septembre 2005, Blanckaert, C‑512/03, EU:C:2005:516, point 42).

35

La question se pose dès lors de savoir si, en ce qui concerne la perception de prélèvements tels que ceux en cause au principal, il existe une différence de situation objective, du point de vue de leur résidence, entre un ressortissant de l’Union et relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État membre autre que celui de l’État membre concerné et un ressortissant de cet État membre affilié à un régime de sécurité sociale dans un État tiers, autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse.

36

À cet égard, il importe de relever que le critère retenu par la réglementation nationale en cause au principal pour différencier la situation entre les personnes physiques contribuables n’est certes pas explicitement lié à leur résidence, mais se fonde sur leur affiliation à un régime de sécurité sociale.

37

Néanmoins, dans la mesure où des personnes physiques non affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État membre sont, le plus souvent, des non-résidents de ce même État, un tel critère conduit en réalité à opérer une distinction des personnes physiques contribuables en fonction de leur résidence (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2005, Blanckaert, C‑512/03, EU:C:2005:516, point 38).

38

Il convient, dès lors, de vérifier si un ressortissant de l’Union affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre se trouve, au regard de l’objectif ainsi que de l’objet et du contenu de la législation de cet État membre, dans une situation comparable à celle d’un ressortissant dudit État membre, mais qui réside dans un État tiers, autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse et y est affilié à un régime de sécurité sociale (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2016, Pensioenfonds Metaal en Techniek, C‑252/14, EU:C:2016:402, point 48).

39

S’agissant, en l’occurrence, de l’objectif de la législation française, il importe de rappeler, ainsi qu’il a été relevé aux points 13 à 15 du présent arrêt, que les communiqués de presse en cause au principal se limitent à préciser les modalités de remboursement des prélèvements opérés en violation du droit de l’Union à l’égard des personnes physiques percevant des revenus du capital en France, mais relevant du régime de sécurité sociale d’un autre État membre.

40

En effet, conformément au principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, tel que prévu à l’article 11 du règlement no 883/2004, il n’est pas permis à un État membre de procéder, à l’égard des ressortissants de l’Union qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre, à des prélèvements, tels que ceux en cause au principal, qui, bien qu’étant qualifiés d’impôt par la législation nationale, présentent un lien directement et suffisamment pertinent avec les législations relatives aux branches de sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, et qui sont affectés spécifiquement au financement d’un régime de sécurité sociale du premier État membre (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, de Ruyter, C‑623/13, EU:C:2015:123, points 23, 24, 26 et 39).

41

Ce principe d’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale vise, en ce qui concerne les ressortissants de l’Union qui se déplacent à l’intérieur de l’Union, à éviter les complications qui peuvent résulter de l’application simultanée de plusieurs législations nationales et à supprimer les inégalités de traitement qui seraient la conséquence d’un cumul partiel ou total des législations applicables (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2015, de Ruyter, C‑623/13, EU:C:2015:123, point 37 et jurisprudence citée).

42

Il résulte des considérations qui précèdent qu’il existe une différence objective entre, d’une part, la situation d’un ressortissant de l’État membre concerné qui réside dans un État tiers autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse et y est affilié à un régime de sécurité sociale et, d’autre part, la situation d’un ressortissant de l’Union affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre, dans la mesure où seule ce dernier est susceptible de bénéficier du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale, prévu à l’article 11 du règlement no 883/2004, en raison de son déplacement à l’intérieur de l’Union.

43

En revanche, il n’existe aucune différence objective entre la situation d’un ressortissant d’un État membre, qui réside dans un État tiers, autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse, et y est affilié à un régime de sécurité sociale, et celle d’un ressortissant de ce même État membre, qui y réside et y est affilié à un régime de sécurité sociale, en ce que, dans les deux cas de figure, ils n’ont pas fait usage de la liberté de circulation au sein de l’Union et ne sauraient, dès lors, invoquer le bénéfice du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale.

44

Il s’ensuit qu’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, est susceptible d’être justifiée, au regard de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, par la différence de situation objective qui existe entre une personne physique, ressortissant d’un État membre, mais résidant dans un État tiers, autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse, et qui y est affiliée à un régime de sécurité sociale, et un ressortissant de l’Union résidant et affilié à un régime de sécurité sociale dans un autre État membre.

45

En tout état de cause, il convient d’ajouter qu’une interprétation différente reviendrait à faire bénéficier un ressortissant d’un État membre, résidant dans un État tiers, autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse, tel que M. Jahin, du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, prévu à l’article 11 du règlement no 883/2004, alors même que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, celui-ci ne s’applique qu’aux ressortissants d’un des États membres qui sont soumis à la législation sociale d’un ou de plusieurs États membres.

46

Or, étant donné que le traité FUE ne comporte aucune disposition étendant la libre circulation des travailleurs aux personnes qui migrent vers un État tiers, il convient d’éviter que l’interprétation de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en ce qui concerne les relations avec les pays tiers, autres que les États membres de l’EEE ou la Confédération suisse, permette à des personnes qui ne rentrent pas dans les limites du champ d’application territorial de la libre circulation des travailleurs, de tirer profit de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, C‑35/11, EU:C:2012:707, point 100).

47

Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un ressortissant de cet État membre, qui réside dans un État tiers autre qu’un État membre de l’EEE ou la Confédération suisse, et qui y est affilié à un régime de sécurité sociale, est soumis, dans ledit État membre, à des prélèvements sur les revenus du capital au titre d’une cotisation au régime de sécurité sociale instauré par celui-ci, alors qu’un ressortissant de l’Union relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre en est exonéré en raison du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale en vertu de l’article 11 du règlement no 883/2004.

Sur les dépens

48

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

Les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un ressortissant de cet État membre, qui réside dans un État tiers autre qu’un État membre de l’Espace économique européen (EEE) ou la Confédération suisse, et qui y est affilié à un régime de sécurité sociale, est soumis, dans ledit État membre, à des prélèvements sur les revenus du capital au titre d’une cotisation au régime de sécurité sociale instauré par celui-ci, alors qu’un ressortissant de l’Union relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre en est exonéré en raison du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale en vertu de l’article 11 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

 

Borg Barthet

Berger

Biltgen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2018.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président faisant fonction de la Xème chambre

A. Borg Barthet


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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