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Document 62016CC0393

    Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 20 juillet 2017.
    Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne contre Aldi Süd Dienstleistungs-GmbH & Co.OHG.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof.
    Renvoi préjudiciel – Organisation commune des marchés des produits agricoles – Protection des appellations d’origine protégée (AOP) – Règlement (CE) no 1234/2007 – Article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), sous b) et c) – Règlement (UE) no 1308/2013 – Article 103, paragraphe 2), sous a), ii), sous b) et c) – Champ d’application – Exploitation de la réputation d’une AOP – Usurpation, imitation ou évocation d’une AOP – Indication fausse ou fallacieuse – AOP “Champagne” utilisée dans la dénomination d’une denrée alimentaire – Dénomination “Champagner Sorbet” – Denrée alimentaire contenant du champagne en tant qu’ingrédient – Ingrédient conférant à la denrée alimentaire une caractéristique essentielle.
    Affaire C-393/16.

    Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2017:581

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

    présentées le 20 juillet 2017 ( 1 )

    Affaire C‑393/16

    Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne

    contre

    Aldi Süd Dienstleistungs-GmbH & Co. OHG, représenté par Aldi Süd Dienstleistungs-GmbH, anciennement Aldi Einkauf GmbH & Co. OHG Süd

    avec l’intervention de :

    Galana NV,

    [demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

    « Renvoi préjudiciel – Organisation commune des marchés de produits agricoles – Protection des appellations d’origine protégées – Notion d’exploitation de la réputation d’une appellation d’origine, d’usurpation, d’imitation ou d’évocation et d’indications fausses ou fallacieuses – Denrée alimentaire dont l’appellation correspond aux habitudes du public visé – Possibilité d’induire en erreur le public visé en ce qui concerne l’origine géographique d’un produit »

    1.

    Une chaîne de supermarchés allemande vend un sorbet qui contient du champagne, distribué sous le nom Champagner Sorbet. Cette manière de procéder est-elle légale, ou le fabricant et distributeur du sorbet profitent-ils en réalité de la réputation du vin mousseux français doté d’une appellation d’origine protégée (AOP) ?

    2.

    C’est en résumé la question que pose le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) dans sa demande de décision préjudicielle, à la suite de laquelle il aura à juger si le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC), qui défend les intérêts de cette AOP, est habilité à demander l’arrêt de la vente du sorbet.

    3.

    Dans des conclusions récentes ( 2 ), j’ai rappelé que la Cour a produit une jurisprudence foisonnante sur les AOP et sur les indications géographiques protégées (IGP). Cette affaire lui offre l’occasion d’élargir cette jurisprudence aux situations dans lesquelles un vin mousseux (champagne) protégé par une AOP est utilisé scomme ingrédient dans une denrée alimentaire – et est inclus dans sa présentation.

    4.

    Pour répondre à la juridiction a quo, la Cour devra tenir compte du fait que, selon celle-ci, Champagner Sorbet est le nom habituellement utilisé en Allemagne pour décrire un type de dessert glacé qui contient du champagne. En outre, elle devra se livrer à l’interprétation de règles hétérogènes (les règles relatives aux AOP, d’une part, et celles qui concernent l’étiquetage des produits comestibles, d’autre part) afin de trouver l’équilibre entre les droits des titulaires des AOP et ceux des producteurs de la denrée alimentaire, qui souhaitent indiquer sa composition sur l’emballage.

    I. Le cadre juridique

    5.

    Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) cite à la fois le règlement (CE) no 1234/2007 ( 3 ) et le règlement (UE) no 1308/2013 ( 4 ), modifiant le précédent, bien que ce dernier ne soit pas applicable ratione temporis au litige. L’interprétation du règlement no 1308/2013 serait nécessaire, dans la mesure où l’action en cessation introduite pourrait avoir des effets pro futuro, si les circonstances factuelles devaient être jugées en vertu de ce dernier.

    6.

    Bien que je ne conteste pas ce point de vue, je me limiterai à citer les dispositions du règlement no 1234/2007, en tant que règlement applicable au moment des faits contestés et parce que les deux articles pertinents en l’espèce (l’article 118 quaterdecies du règlement no 1234/2007, et l’article 103 du règlement no 1308/2013) sont analogues. Il ne me semble aucunement problématique de transposer, mutatis mutandis, au second, l’interprétation qui sera donnée au premier.

    A. Le règlement no 1234/2007

    7.

    En vertu de l’article 118 quaterdecies (« Protection ») :

    « 1.

    Les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges correspondant.

    2.

    Les appellations d’origine protégées, les indications géographiques protégées et les vins qui font usage de ces dénominations protégées en respectant les cahiers des charges correspondants sont protégés contre :

    a)

    toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination protégée :

    i)

    pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou

    ii)

    dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;

    b)

    toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, “goût”, “manière” ou d’une expression similaire ;

    c)

    toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine ;

    d)

    toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

    3.

    Les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées ne deviennent pas génériques dans la Communauté au sens de l’article 118 duodecies, paragraphe 1.

    […] »

    8.

    Le considérant 97 du règlement no 1308/2013, qui reprend le considérant 32 du règlement (CE) no 479/2008 ( 5 ), dans lequel ont été adoptées les dispositions de protection des appellations d’origine introduites par la suite dans le règlement no 1234/2007 par le règlement (CE) no 491/2009 ( 6 ), dispose comme suit :

    « Il convient de protéger les appellations d’origine et les indications géographiques contre toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits répondant aux exigences correspondantes. Pour favoriser une concurrence loyale et ne pas induire en erreur les consommateurs, il peut être nécessaire que cette protection concerne également des produits et services ne relevant pas du présent règlement, y compris ceux qui ne sont pas visés à l’annexe I du traité. »

    B. La directive 2000/13/CE ( 7 )

    9.

    En matière d’étiquetage des produits alimentaires, la règle en vigueur lorsque les faits en cause se sont produits était la directive qui donne son titre à la présente section ( 8 ). Son article 3, paragraphe 1, dispose, pour ce qui nous intéresse ici :

    « 1.   L’étiquetage des denrées alimentaires comporte, dans les conditions et sous réserve des dérogations prévues aux articles 4 à 17, les seules mentions obligatoires suivantes :

    1)

    la dénomination de vente ;

    2)

    la liste des ingrédients ;

    3)

    la quantité de certains ingrédients ou catégories d’ingrédients conformément aux dispositions de l’article 7 ;

    […] »

    10.

    Aux termes de son article 5, paragraphe 1 :

    « 1.   La dénomination de vente d’une denrée alimentaire est la dénomination prévue pour cette denrée dans les dispositions communautaires qui lui sont applicables.

    a)

    En l’absence de dispositions communautaires, la dénomination de vente est la dénomination prévue par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables dans l’État membre où s’effectue la vente au consommateur final ou aux collectivités.

    À défaut, la dénomination de vente est constituée par le nom consacré par les usages de l’État membre où s’effectue la vente au consommateur final ou aux collectivités, ou par une description de la denrée alimentaire et, si nécessaire, de son utilisation, qui soit suffisamment précise pour permettre à l’acheteur d’en connaître la nature réelle et de la distinguer des produits avec lesquels elle pourrait être confondue.

    […] »

    11.

    L’article 6, paragraphe 5, est libellé comme suit :

    « La liste des ingrédients est constituée par l’énumération de tous les ingrédients de la denrée alimentaire, dans l’ordre décroissant de leur importance pondérale au moment de leur mise en œuvre. Elle est précédée d’une mention appropriée comportant le mot “ingrédients”.

    […] »

    12.

    L’article 7, paragraphes 1 et 5, dispose :

    « 1.   La quantité d’un ingrédient ou d’une catégorie d’ingrédients qui a été utilisée dans la fabrication ou la préparation d’une denrée alimentaire est mentionnée conformément au présent article.

    […]

    5.   La mention visée au paragraphe 1 figure soit dans la dénomination de vente de la denrée alimentaire, soit à proximité immédiate de cette dénomination, soit sur la liste des ingrédients en rapport avec l’ingrédient ou la catégorie d’ingrédients dont il s’agit. »

    C. Les lignes directrices sur l’étiquetage des denrées alimentaires utilisant des appellations d’origine protégées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) comme ingrédients ( 9 )

    13.

    Le point 2.1 (« Recommandations concernant l’utilisation de la dénomination enregistrée ») dispose :

    « 1.

    Selon la Commission [européenne], une dénomination enregistrée en tant qu’AOP ou IGP pourrait légitimement être indiquée dans la liste des ingrédients d’une denrée alimentaire.

    2.

    De surcroît, la Commission considère qu’une dénomination enregistrée en tant qu’AOP ou IGP pourrait être mentionnée au sein, ou à proximité, de la dénomination de vente d’une denrée alimentaire incorporant des produits bénéficiant de la dénomination enregistrée, ainsi que dans l’étiquetage, la présentation et la publicité de cette denrée alimentaire, dès lors que les conditions suivantes sont réunies.

    Ainsi, il serait approprié que ladite denrée alimentaire ne contienne aucun autre “ingrédient comparable”, autrement dit aucun autre ingrédient substituable totalement ou partiellement à l’ingrédient bénéficiant d’une AOP ou IGP. À titre illustratif et non limitatif de la notion d’“ingrédient comparable”, la Commission estime qu’un fromage à pâte persillée (ou communément : “fromage bleu”) serait comparable au “roquefort”.

    En outre, cet ingrédient devrait être utilisé en quantité suffisante afin de conférer une caractéristique essentielle à la denrée alimentaire concernée. La Commission ne saurait cependant, compte tenu de l’hétérogénéité des cas de figure potentiels, suggérer un pourcentage minimal uniformément applicable. En effet, à titre d’exemple, l’incorporation d’une quantité minime d’une épice bénéficiant d’une AOP ou IGP dans une denrée alimentaire pourrait, le cas échéant, suffire en vue de conférer une caractéristique essentielle à ladite denrée alimentaire. En revanche, l’incorporation d’une quantité minime de viande bénéficiant d’une AOP ou IGP dans une denrée alimentaire ne saurait a priori conférer une caractéristique essentielle à la denrée alimentaire.

    Enfin, le pourcentage d’incorporation d’un ingrédient bénéficiant d’une AOP ou d’une IGP devrait, idéalement, être indiqué au sein ou à proximité immédiate de la dénomination de vente de la denrée alimentaire concernée, ou à défaut sur la liste des ingrédients, en relation directe avec l’ingrédient considéré. »

    II. Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

    14.

    À la fin de l’année 2012, Aldi Süd Dienstleistungs-GmbH & Co. OHG (ci‑après « Aldi Süd »), société de distribution de denrées alimentaires et d’autres biens de consommation dans les supermarchés, a mis en vente un produit fabriqué par Galana NV ( 10 ) appelé Champagner Sorbet qui comporte parmi ses ingrédients 12 % de champagne. L’image de son emballage est la suivante :

    Image

    15.

    Le CIVC a introduit devant le Landgericht München (tribunal régional de Munich, Allemagne) un recours visant à obtenir qu’Aldi Süd cesse d’utiliser l’AOP champagne pour son produit surgelé, dans la mesure où cela constituait une violation de cette AOP.

    16.

    La demande de condamnation, qui était fondée sur l’article 118 quaterdecies du règlement no 1234/2007, a été accueillie en première instance, mais elle a été rejetée en appel par l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne).

    17.

    Le CIVC a formé un pourvoi devant la juridiction de renvoi contre l’arrêt rendu en appel. Celle-ci tend à reconnaître que l’utilisation de l’AOP champagne pour un produit surgelé relève du champ d’application de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007, dès lors que le terme « champagne » est utilisé à des fins commerciales pour désigner un dessert qui ne respecte pas le cahier des charges des vins protégés par l’AOP champagne.

    18.

    En outre, elle fait valoir que la réputation de l’AOP champagne peut avoir un effet favorable dans l’expression « Champagner Sorbet ». Elle se demande toutefois s’il y a lieu de parler d’exploitation de l’AOP, au sens de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007, étant donné que cette expression concorde avec les habitudes du public pour désigner le dessert, qui contient du vin de Champagne en quantité suffisante pour lui conférer une caractéristique essentielle. De plus, il conviendrait d’exclure l’existence d’une exploitation de la réputation de l’AOP si, ainsi que l’a conclu la juridiction en appel, un intérêt légitime justifiait son utilisation.

    19.

    Étant donné que le recours du CIVC pourrait être fondé sur l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1234/2007, la juridiction de renvoi nourrit également des doutes sur la question de savoir si l’utilisation qui est faite de l’AOP est susceptible de constituer une usurpation, une imitation ou une évocation illégale. Elle affirme que l’utilisation doit être illégale et que, par conséquent, en présence d’un intérêt légitime qui la justifie, la violation de l’AOP serait exclue.

    20.

    Enfin, s’agissant de l’argument du CICV selon lequel Aldi Süd utiliserait l’indication Champagner Sorbet de manière fallacieuse, au sens de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1234/2007, la juridiction de renvoi souhaite savoir si cette norme couvre uniquement les cas dans lesquels l’indication fallacieuse crée dans l’esprit du public une impression erronée sur l’origine géographique du produit ou si elle concerne les indications fallacieuses sur les qualités substantielles de ce produit.

    21.

    C’est sur ces fondements que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007 et l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013 doivent-ils être interprétés en ce sens que relève également de leur champ d’application le cas dans lequel l’appellation d’origine protégée est utilisée comme partie du nom d’une denrée alimentaire ne répondant pas au cahier des charges du produit, à laquelle a été ajouté un ingrédient répondant audit cahier des charges ?

    2)

    Si la première question appelle une réponse affirmative : L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007 et l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013 doivent-ils être interprétés en ce sens que l’utilisation d’une appellation d’origine protégée comme partie du nom d’une denrée alimentaire ne répondant pas au cahier des charges du produit, à laquelle a été ajouté un ingrédient répondant audit cahier des charges, constitue une exploitation de la réputation de ladite appellation, lorsque le nom de ladite denrée alimentaire correspond aux habitudes de dénomination du public visé et que l’ingrédient a été ajouté en quantité suffisante pour conférer au produit une caractéristique essentielle ?

    3)

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1234/2007 et l’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 doivent-ils être interprétés en ce sens que l’utilisation d’une appellation d’origine protégée dans les conditions décrites dans la deuxième question préjudicielle constitue une usurpation, imitation ou évocation illégale ?

    4)

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1234/2007 et l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils ne sont applicables qu’aux indications fausses ou fallacieuses qui sont de nature à créer, chez le public visé, une impression erronée sur l’origine géographique d’un produit ? »

    III. La procédure devant la Cour

    22.

    La décision de renvoi a été déposée au greffe de la Cour le 14 juillet 2016.

    23.

    Ont présenté des observations écrites : le CIVC, Galana, les gouvernements français et portugais, ainsi que la Commission.

    24.

    Le 18 mai 2017 s’est tenue une audience publique, à laquelle ont assisté les représentants du CIVC, de Galana, du gouvernement français et de la Commission.

    IV. Résumé des observations des parties

    A. Sur la première question préjudicielle

    25.

    Toutes les parties s’accordent à dire qu’il doit être répondu par l’affirmative à la première question préjudicielle. Pour le CIVC, les règles de l’Union européenne protègent les AOP contre toute utilisation commerciale, directe ou indirecte, visant à exploiter leur réputation. Cette protection couvre l’utilisation de l’AOP, qu’elle soit intégrée au nom d’un produit ou qu’elle désigne une denrée alimentaire ne répondant pas au cahier des charges. En se fondant sur l’arrêt Bureau National Interprofessionnel du Cognac ( 11 ), le CIVC soutient qu’il existe une utilisation commerciale directe de l’AOP champagne lorsqu’elle apparaît, telle quelle ou traduite, comme partie de l’expression « Champagner Sorbet ».

    26.

    Pour le gouvernement français, bien que le règlement applicable ne fasse pas expressément mention de l’utilisation des AOP comme ingrédients, leur protection et la cohérence entre les règles du secteur des vins et les règles relatives aux produits agricoles et alimentaires portent à penser que ces règlements s’appliquent également à cette utilisation.

    27.

    Le gouvernement portugais ajoute que « champagner » est, dans cette affaire, l’élément verbal le plus important du produit alors que le terme « sorbet » est de nature générique, c’est-à-dire qu’il est dépourvu d’influence aux fins de déterminer si l’AOP a effectivement été utilisée.

    B. Sur la deuxième question préjudicielle

    28.

    Le CIVC préconise également qu’il soit répondu par l’affirmative à la deuxième question. Il rappelle, en accord avec le gouvernement portugais, que le terme « exploiter » équivaut à faire usage ou à utiliser n’importe quelle chose, à condition de tirer profit de la réputation de l’AOP. Ce serait le cas du sorbet, lequel, au moyen de l’introduction du terme « champagne », tirerait profit de l’image de qualité ou de prestige de ce vin mousseux, protégé par l’AOP. Il écarte l’application par analogie de l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 110/2008 ( 12 ), qui est circonscrit aux boissons spiritueuses et que le législateur n’a pas souhaité étendre aux vins, mais il trouve des éléments pertinents dans les lignes directrices de la Commission.

    29.

    Comme Galana et le gouvernement français, le CIVC estime qu’il est sans pertinence que la désignation de la denrée alimentaire qui contient une AOP concorde avec la forme habituelle sous laquelle elle est connue du public. Si l’on admettait le contraire, l’AOP risquerait de devenir générique, à l’opposé de ce que l’on souhaite éviter au moyen de sa protection.

    30.

    Le CIVC préconise de vérifier si la quantité de champagne contenue dans le sorbet suffit à lui conférer une caractéristique essentielle. Ce n’est pas le cas en l’espèce, dans la mesure où les traits essentiels du champagne (ses bulles fines et persistantes ainsi que son goût, rafraîchissant, fruité et légèrement acide) ne se retrouvent pas dans le sorbet. La proportion de champagne employée (12 %) pour l’élaboration de la denrée alimentaire ne justifie pas non plus l’utilisation de l’AOP.

    31.

    Galana estime qu’il n’est pas pertinent de recourir à l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007, étant donné que le nom du sorbet reflète la réalité, qu’il est clair et qu’il n’induit pas le public en erreur. La quantité de champagne ajoutée comme ingrédient suffit pour donner au sorbet une caractéristique essentielle. En outre, la denrée alimentaire est conforme aux lignes directrices, qui confirmeraient son approche.

    32.

    Selon le gouvernement français, l’utilisation d’une AOP comme partie de la désignation d’une denrée alimentaire n’est pas, en principe, interdite, dans la mesure où elle ne revient pas à elle seule à exploiter sa réputation. Comme la Commission, il insiste sur le fait qu’« exploiter » implique, conformément à la jurisprudence de la Cour, de permettre à l’opérateur de profiter de manière indue de la réputation d’une indication géographique d’origine ( 13 ).

    33.

    Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si les conditions requises par les lignes directrices sont réunies et, éventuellement, d’évaluer d’autres critères d’appréciation comme la proportionnalité de l’utilisation faite par un opérateur économique de ladite AOP, au moyen d’images et de références, ainsi que la typographie qui apparaît sur l’emballage ou la publicité du produit.

    34.

    Selon le gouvernement portugais, le Champagner Sorbet profite de manière indue du prestige de l’AOP champagne. Les AOP doivent être protégées contre toute forme d’utilisation, afin d’empêcher l’exploitation de leur prestige ; il convient notamment d’éviter la dégradation ou la dilution de leur force distinctive.

    35.

    La Commission propose de répondre par la négative à la deuxième question. Elle préconise l’interprétation cohérente du règlement (UE) no 1151/2012 ( 14 ) (qui mentionne les lignes directrices) et des règlements no 1169/2011 et no 110/2008, notamment l’article 10, paragraphe 1, de celui-ci, en ce qui concerne la mention d’une boisson spiritueuse dans le nom d’une denrée alimentaire. Elle attire l’attention sur le fait que l’usage de l’AOP champagne remplit ces conditions en l’espèce et respecte l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), l’article 17, paragraphe 1, ainsi que les articles 18 et 22, du règlement no 1169/2011.

    C. Sur la troisième question préjudicielle

    36.

    Le CIVC propose également qu’il soit répondu par l’affirmative à cette question. Il estime en substance, comme le gouvernement portugais, que « Champagner Sorbet » évoque l’AOP champagne, au sens de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1234/2007, même si cette expression est conforme aux habitudes du public et si l’ingrédient est ajouté en quantité suffisante pour conférer une caractéristique essentielle au sorbet. La notion d’« évocation » couvrirait une situation dans laquelle la désignation de la denrée alimentaire inclurait une AOP en conduisant le consommateur à lier ce produit avec l’ingrédient protégé par celle-ci.

    37.

    Galana et le gouvernement français considèrent que l’usage de l’AOP ne constitue pas, en l’espèce, une usurpation, une imitation ou une évocation. Ces notions impliquent l’existence d’une copie du produit, ou de termes inspirés de l’AOP, ou une référence à cette dernière, sans que le produit réponde au cahier des charges, alors qu’il s’agit ici d’une utilisation directe de l’AOP.

    38.

    Pour la Commission, « Champagner Sorbet » décrit volontairement et directement le contenu, ce qui exclut toute évocation, imitation ou tout autre forme d’appropriation de l’AOP. Le consommateur n’est pas non plus induit en erreur en ce qui concerne la provenance du sorbet, dans la mesure où il est clairement informé que ce dernier contient une quantité substantielle de champagne provenant de cette région française.

    D. Sur la quatrième question préjudicielle

    39.

    Pour le CIVC, il convient de répondre par la négative à cette question. Il estime, comme le gouvernement français, que l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1234/2007 s’applique tant aux indications fausses sur la nature du produit qu’à celles sur ses caractéristiques essentielles.

    40.

    Galana, comme la Commission, exclut l’applicabilité de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1234/2007, dans la mesure où il ne couvrirait que les produits vitivinicoles. À titre subsidiaire, elle estime qu’il pourrait être étendu aux indications fausses ou fallacieuses susceptibles d’induire en erreur le public destinataire en ce qui concerne l’origine géographique du produit.

    41.

    Le gouvernement portugais estime que les indications fausses ou fallacieuses peuvent donner au public une impression erronée quant à l’origine géographique du produit et il considère que les noms qui contiennent ces indications ne doivent pas être autorisés.

    V. Analyse juridique

    A. Sur la première question préjudicielle

    42.

    La juridiction de renvoi demande que soit précisé, préalablement, le champ d’application de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007. Concrètement, elle souhaite qu’il soit répondu à la question de savoir s’il couvre des situations telles que celle de l’espèce, dans laquelle l’AOP champagne constitue une partie du nom d’un sorbet qui contient une certaine quantité de ce vin mousseux.

    43.

    Toutes les parties qui ont présenté des observations dans la présente procédure préjudicielle pensent comme la juridiction de renvoi qu’il convient de répondre par l’affirmative à sa première question. Les doutes exposés dans l’ordonnance de renvoi ont surgi dans le sillage de la thèse défendue par une partie de la doctrine allemande, selon laquelle cette disposition ne serait applicable qu’à l’usage de l’AOP en des termes identiques. L’usage de termes similaires relèverait en revanche de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1234/2007.

    44.

    Je pense que cette thèse ( 15 ) ne saurait être admise, pour plusieurs raisons. En premier lieu, ainsi que le fait observer le gouvernement français, cet article définit un champ d’application très large, conforme à la protection qu’il souhaite donner aux AOP. Il ne serait pas correct de procéder à une interprétation qui, par exemple, exclurait l’utilisation de la traduction d’une AOP, ce qui s’opposerait à l’interdiction de tout usage direct et indirect.

    45.

    En deuxième lieu, ainsi que l’indique la Commission, la Cour a déjà affirmé, dans l’arrêt Bureau National Interprofessionnel du Cognac ( 16 ), que l’usage d’une marque contenant une indication géographique, ou un terme correspondant à cette indication et sa traduction, pour des produits (en l’occurrence des boissons spiritueuses) ne répondant pas aux spécifications correspondantes, constitue une utilisation commerciale directe de cette indication géographique.

    46.

    Enfin, l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1234/2007 définit les modalités d’utilisation (directe et indirecte) et les produits (comparables et différents) ( 17 ) auxquels il convient d’opposer la protection donnée par l’AOP. Dans le cas des produits comparables, il convient de leur opposer l’AOP lorsqu’ils s’écartent du cahier des charges, alors que pour ce qui est des produits qui ne sont pas comparables, il y a lieu de prouver qu’ils exploitent la réputation de l’AOP. En revanche, l’article 118 quaterdecies, sous b) – et probablement aussi les deux lettres suivantes – fait référence à certains comportements déloyaux contre lesquels les titulaires des AOP peuvent se défendre, conformément aux obligations qui découlent des conventions internationales dont font partie l’Union et les États membres ( 18 ). Dans le cadre de ces utilisations, l’intention d’exploiter ladite réputation est présumée.

    47.

    Partant, j’estime que l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007 est applicable, de sorte qu’il convient de répondre par l’affirmative à la première question préjudicielle posée.

    B. Sur la deuxième question préjudicielle

    48.

    La juridiction de renvoi souhaite savoir si l’utilisation d’une AOP comme partie du nom d’une denrée alimentaire, qui ne répond pas au cahier des charges du produit et à laquelle un ingrédient a été ajouté (en l’espèce du champagne), lequel répond en revanche audit cahier des charges, relève de l’interdiction de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007, lorsque :

    la dénomination de l’aliment est conforme aux habitudes du public destinataire ; et que

    la quantité de l’ingrédient ajouté est suffisante pour conférer au produit une caractéristique essentielle.

    49.

    La juridiction en appel a conclu que le distributeur avait un intérêt légitime à l’utilisation de l’AOP champagne, justement pour ces deux raisons : a) dans la langue allemande et dans la littérature culinaire, « Champagner Sorbet » est une expression habituelle pour désigner un dessert surgelé qui contient ledit vin mousseux français ; et b) le produit de Galana contient 12 % de champagne, quantité qui serait suffisante pour conférer au sorbet une caractéristique essentielle de ce vin mousseux (concrètement, son goût).

    50.

    Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) ne semble pas partager l’avis de la juridiction en appel, laquelle, selon lui, aurait admis les faits décrits sous a) et b) du point précédent sans se livrer aux appréciations nécessaires. Toutefois, la juridiction de renvoi indique qu’il est possible que cet intérêt légitime découle de la réglementation de l’Union sur l’étiquetage ( 19 ) lue conjointement avec la réglementation relative à la qualité des produits agricoles et alimentaires ( 20 ).

    51.

    Partant, aux fins de répondre à la deuxième question préjudicielle, il convient d’analyser à la fois les dispositions relatives à la protection des AOP et celles qui concernent l’étiquetage des denrées alimentaires.

    1.   Sur le fait d’exploiter la réputation de l’AOP

    52.

    En cas d’acceptation de l’existence d’une utilisation commerciale directe (en réponse à la première question), la juridiction de renvoi reconnaît que l’utilisation de l’AOP champagne remplirait, en l’espèce, la condition requise par l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007 (c’est-à-dire qu’elle exploiterait la réputation de cette AOP), si la défenderesse agissait sans intérêt légitime.

    53.

    Depuis l’affaire « Sekt-Weinbrand » ( 21 ), la Cour a précisé la fonction des AOP : informer et assurer que le produit désigné possède effectivement des qualités et des caractéristiques dues à la localisation géographique de sa provenance. Était exigé, déjà dans les années 70, un double lien spatial et qualitatif, qui allait être repris postérieurement par la réglementation en matière de produits agricoles et alimentaires ( 22 ) ainsi que par la réglementation relative au secteur vitivinicole ( 23 ).

    54.

    L’objectif du règlement no 1234/2007, en ce qui concerne les AOP relatives aux vins, est de garantir aux consommateurs et, d’un autre point de vue, également aux titulaires des dénominations respectives, que les produits protégés répondent à un niveau élevé de qualité sur la base de leur provenance géographique ( 24 ).

    55.

    Lorsqu’elle est faite en vue de la commercialisation d’une denrée alimentaire, l’incorporation du nom complet d’une AOP à la désignation de ce produit tend, en vertu de sa propre logique, à exploiter le prestige et la réputation de la qualité protégée. C’est pour cela qu’il convient en principe de considérer ce comportement comme illicite.

    56.

    Toutefois, il est acceptable que, dans le commerce de marchandises élaborées, il soit possible à une personne démontrant l’existence d’un intérêt légitime d’utiliser une AOP comme partie du nom de son produit. La juridiction de renvoi a justement formulé sa question, posée dans le cadre d’une utilisation commerciale directe, sur la base de la dichotomie « utilisation exploitant la réputation de l’AOP/intérêt légitime », de sorte que, en l’absence de ce dernier, il conviendra de constater que la réputation de l’AOP est exploitée.

    57.

    L’intérêt légitime peut avoir pour origine tant le fait d’être titulaire d’un droit antérieur (par exemple, d’un autre type de propriété intellectuelle), que le respect d’un impératif légal. Même en marge de cette hypothèse, et en dehors de l’environnement commercial direct, je pense comme le gouvernement français qu’il doit exister des cas dans lesquels il est légitime que l’AOP soit utilisée par des tiers ( 25 ), c’est‑à‑dire des situations dans lesquelles l’utilisation de l’AOP peut relever d’une sorte de ius usus inocui.

    58.

    De fait, dans d’autres types de propriété intellectuelle, la Cour a reconnu l’existence de havres dans le cadre desquels l’utilisation par des tiers de signes ou d’œuvres protégés ne viole pas les droits de leurs titulaires. Ainsi, en droit des marques, elle a autorisé les utilisations descriptives pour faire connaître les caractéristiques du produit proposé à la vente aux clients potentiels, qui connaît celles des produits revêtus de la marque ( 26 ). Elle a également admis les utilisations dans le cadre desquelles le consommateur ne perçoit pas le signe comme une indication que les produits qui le contiennent proviennent de l’entreprise titulaire de la marque ( 27 ).

    59.

    Dans le domaine des droits d’auteur et des droits voisins, à la lumière de l’article 5, paragraphes 1 et 5, de la directive 2001/29/CE ( 28 ), elle a accepté la licéité des copies en cache et des copies sur écran d’œuvres protégées par le droit d’auteur ( 29 ) ; celle des actes éphémères de reproduction qui rendent possible un fonctionnement correct du décodeur satellitaire et de l’écran de télévision, en rendant possible la réception des émissions contenant des œuvres protégées ( 30 ) ; et la rédaction d’une synthèse d’articles de presse, bien qu’elle ne soit pas autorisée par les titulaires des droits d’auteur sur ces articles ( 31 ).

    60.

    Cette approche est par ailleurs conforme à la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle le fait de profiter de la réputation d’une indication géographique doit être effectué de « manière indue » ( 32 ). Bien que ces arrêts aient été rendus en ce qui concerne l’article 16 du règlement no 110/2008 (sur les indications géographiques des boissons spiritueuses), la similitude de cette disposition avec l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1234/2007 valide la transposition de cette interprétation au domaine vitivinicole ( 33 ). Ainsi, en présence d’un intérêt légitime, l’utilisation de l’AOP ne devra pas être qualifiée d’indue.

    61.

    Pour en revenir à l’espèce, et compte tenu du fait que Galana n’a invoqué aucun type de droit antérieur, il convient de déterminer si l’utilisation de l’AOP champagne dans le nom du sorbet qu’elle fabrique répond à un impératif légal ou peut être considérée comme inoffensive.

    2.   Sur l’intérêt légitime à utiliser l’AOP

    62.

    Ainsi que je l’ai déjà exposé, la juridiction de renvoi pose la question de la pertinence de deux éléments spécifiques, qui pourraient donner lieu à autant d’intérêts légitimes : a) le nom du produit est en adéquation avec les habitudes du public destinataire ; et b) le sorbet contient une quantité suffisante de champagne, ce qui lui confère une caractéristique essentielle.

    63.

    Il convient donc d’apprécier les deux éléments séparément, sans préjudice du fait que, selon moi, ils ne sont peut-être pas les seuls éléments pertinents pour déterminer s’il a été indûment tiré profit de l’AOP.

    a)   Le nom du produit qui contient l’AOP et les habitudes du public

    64.

    Toutes les parties, à part la Commission, s’accordent à dire que les habitudes du consommateur allemand ne justifient pas l’utilisation de l’AOP champagne dans la présentation commerciale du sorbet. Le fait d’admettre le contraire reviendrait à convertir cette AOP en un terme générique, dont l’utilisation serait ouverte à tout opérateur économique.

    65.

    Je suis du même avis, étant donné que l’un des objectifs principaux de la protection des AOP pour les vins est d’empêcher qu’elles ne deviennent génériques ( 34 ). L’usage sans discrimination de l’AOP pour des produits qui lui sont étrangers pourrait porter le public à croire que les noms caractéristiques des AOP peuvent être étendus à ceux qui sont produits en dehors du territoire correspondant à l’AOP. Cela entraînerait ainsi l’utilisation de l’AOP comme une simple mention générique, y compris si ce phénomène était circonscrit à un pays en particulier. Il convient de ne pas oublier que la protection des AOP doit être la même dans tous les États membres, sans fragmentation découlant des habitudes des consommateurs de certains d’entre eux ( 35 ).

    66.

    Du point de vue légal, les AOP de vins, une fois enregistrées, bénéficient d’une protection perpétuelle en vertu de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 3, du règlement no 1234/2007, bien qu’elles puissent être annulées. Leur protection serait mise en péril, également dans les pays tiers ( 36 ), si, en raison de leur dégénérescence, les noms propres des AOP passaient en réalité dans le domaine public, dès lors que les dénominations qui ont acquis un caractère générique ne sont pas enregistrables ( 37 ). Le fait de prévenir les utilisations qui tendent à vulgariser les dénominations devient ainsi une nécessité impérieuse, plus qu’une simple aspiration des producteurs de vins protégés par une AOP.

    67.

    Le fait que l’expression « Champagner Sorbet » soit celle qui est habituellement utilisée pour désigner un sorbet, dans un ou plusieurs États membres, ne suffit donc pas à conférer au distributeur un intérêt légitime lui permettant d’inclure dans la présentation commerciale de ce produit le nom de l’AOP champagne.

    b)   L’attribution de la caractéristique essentielle de l’ingrédient doté d’une AOP au moyen de l’utilisation d’une quantité suffisante

    68.

    Je partage l’avis de la Commission selon lequel, en l’espèce, il convient d’interpréter la réglementation générale de l’Union relative à l’étiquetage des denrées alimentaires (principalement contenue dans la directive 2000/13 et dans le règlement no 1169/2011 qui la modifie), dans la mesure où le sorbet – qui est de toute évidence l’une de ces denrées – n’est pas couvert par une AOP ( 38 ).

    69.

    Conformément à la directive 2000/13, l’étiquetage des denrées alimentaires doit contenir « la dénomination de vente ; la liste des ingrédients ; la quantité de certains ingrédients […] » ( 39 ). Par « dénomination de vente » ( 40 ), il y a lieu de comprendre celle qui est prévue dans les dispositions de l’Union applicables ou, en l’absence de celles-ci, dans les dispositions nationales. À défaut, c’est « le nom consacré par les usages de l’État membre où s’effectue la vente au consommateur final » qui prévaut.

    70.

    À première vue, le Champagner Sorbet semble respecter les règles sur l’étiquetage, ce qui donnerait à Galana un intérêt légitime pour désigner ainsi sa denrée alimentaire. Toutefois, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 1151/2012, les AOP enregistrées sont également protégées lorsqu’elles sont utilisées comme ingrédients. Il convient par conséquent d’apprécier la portée de cette protection.

    71.

    En vertu de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2000/13 ( 41 ), le fabricant doit inclure sur l’étiquette une liste contenant la totalité des ingrédients. Lorsque l’ingrédient apparaît dans la « dénomination de vente » de la denrée alimentaire (comme c’est le cas en l’espèce), sa quantité doit être exprimée en pourcentage, ainsi que cela est prévu par l’article 7, paragraphe 4, de cette directive ( 42 ).

    72.

    Ni la directive 2000/13 ni le règlement no 1169/2011 ne font directement référence aux ingrédients protégés par une AOP. Afin de pallier cette situation et de contribuer à la préciser, la Commission a publié en 2010 les lignes directrices (auxquelles renvoie le considérant 32 du règlement no 1151/2012). Elles sont dépourvues de force réglementaire contraignante ( 43 ), mais il convient d’en tenir compte dès lors qu’elles reflètent le point de vue de cette institution.

    73.

    En vertu de ces lignes directrices, en plus de figurer sur la liste citée des ingrédients, le nom caractéristique d’une AOP peut être mentionné « au sein, ou à proximité, de la dénomination de vente d’une denrée alimentaire incorporant des produits bénéficiant de la dénomination enregistrée, ainsi que dans l’étiquetage, la présentation et la publicité de cette denrée alimentaire », dès lors que les conditions que j’ai citées au point 13 des présentes conclusions sont réunies.

    74.

    Il appartient aux juridictions nationales, qui se trouvent dans la meilleure position pour apprécier les faits du litige et procéder à leur qualification juridique, de se prononcer sur la réunion de ces trois conditions en l’espèce. Je me limiterai donc à exposer certaines réflexions qui pourraient les aider dans cette tâche.

    75.

    La première condition (selon laquelle il ne doit pas exister d’« ingrédients comparables » à celui qui est protégé par une AOP) est facile à apprécier et suffisamment objective. Rien ne semble indiquer que le Champagner Sorbet contienne d’autres ingrédients similaires au vin mousseux protégé par l’AOP, qui pourraient remplacer ce dernier.

    76.

    La deuxième condition (selon laquelle l’ingrédient doit être utilisé en quantité suffisante pour conférer une caractéristique essentielle au produit alimentaire) est plus complexe. Contrairement à l’opinion du CIVC, il ne s’agit pas de retrouver dans la denrée alimentaire les caractéristiques essentielles de l’ingrédient protégé, mais de constater que cette denrée a une caractéristique essentielle liée à l’AOP ( 44 ).

    77.

    Toutefois, cette règle n’est pas non plus suffisamment sûre. Le facteur quantitatif n’est pas toujours le plus pertinent aux fins d’attribuer une caractéristique essentielle à la denrée alimentaire ( 45 ). Normalement, celle-ci sera donnée, s’agissant d’aliments, par l’arôme et le goût qui leur seront apportés par l’ingrédient protégé par l’AOP, mais d’autres facteurs significatifs peuvent exister ( 46 ). Une nouvelle fois, il appartiendra à la juridiction nationale, sur la base des preuves présentées ( 47 ) et de sa propre appréciation des faits, de décider si l’ajout de vin de Champagne confère au sorbet une caractéristique essentielle, au sens que je viens d’exposer.

    78.

    La troisième condition présente plus de problèmes d’interprétation. Le fait qu’elle respecte l’article 7, paragraphe 5, de la directive 2000/13 ( 48 ) est tout d’abord discutable. En tout état de cause, sa rédaction, en utilisant l’adverbe « idéalement », la prive de force, y compris à titre d’orientation. La spécification du pourcentage de l’ingrédient dans la denrée alimentaire devient donc un facteur dont l’importance doit être évaluée à la lumière de la directive 2000/13 elle‑même.

    79.

    Dans ce contexte, je le répète, il appartiendra aux juridictions nationales de déterminer si l’ingrédient couvert par une AOP, qui est ajouté à une denrée alimentaire, lui confère une caractéristique essentielle, de sorte qu’il doit figurer sur son étiquetage.

    c)   La présence d’autres éléments qui participent à l’exploitation de la réputation de l’AOP

    80.

    La réponse donnée à la juridiction de renvoi serait incomplète si elle se limitait à la simple existence d’un intérêt légitime du distributeur, découlant de son respect des lignes directrices, qui l’autoriserait à mentionner sur l’étiquetage de ses denrées alimentaires des ingrédients protégés par une AOP.

    81.

    En effet, les trois conditions prévues par ces lignes directrices ne sont pas dissociables de certaines notions préalables (la notion de bonne foi et celle de ne pas induire en erreur le consommateur) auxquelles elles font référence au point 1.1 lors de l’exposé de leur contexte.

    82.

    Aux fins de juger s’il est indûment tiré profit de l’AOP (si sa réputation est exploitée de manière illicite), il conviendra certainement de partir de la présence d’une quantité suffisante d’un ingrédient protégé par cette AOP, qui confère à la denrée alimentaire une caractéristique essentielle. Cette circonstance ne rendra toutefois pas légitime l’utilisation de l’AOP dans le sorbet qui fait l’objet du litige s’il existe d’autres éléments (notamment dans la présentation de l’étiquetage) qui révèlent une intention d’exploiter le prestige de l’AOP, en s’appropriant sa réputation.

    83.

    En l’espèce, l’étiquette visible pour le consommateur qui se voit proposer les bacs de Champagner Sorbet représente, en premier plan, un bouchon dans le muselet qui le maintient à la bouteille, une flûte à moitié pleine et une boisson dont il est présumé qu’il s’agit de champagne. En second plan, bien qu’elle soit parfaitement reconnaissable, se trouve une bouteille du vin mousseux français.

    84.

    Je ne crois pas qu’il soit possible de négliger l’importance que revêtent ces éléments lors de l’appréciation de la question de savoir si le fabricant ou le distributeur de l’aliment exploitent la réputation de l’ingrédient protégé par l’AOP champagne ( 49 ). Le juge national peut, et il doit le faire, tenir compte de ces facteurs pour juger de l’exploitation indue de l’AOP.

    85.

    Le règlement no 1308/2013 et la directive 2000/13 ( 50 ) cherchent à éviter que le consommateur soit induit en erreur, et la Cour a précisé que la circonstance selon laquelle la liste des ingrédients figure sur l’emballage du produit en cause au principal ne permet pas d’exclure, à elle seule, que l’étiquetage de ce produit et les modalités selon lesquelles celui-ci est réalisé puissent être de nature à induire l’acheteur en erreur ( 51 ).

    86.

    En effet, la Cour a déjà jugé que, aux fins de l’appréciation de la capacité d’un étiquetage à induire l’acheteur en erreur, le juge national doit essentiellement se fonder sur l’attente présumée, au regard de cet étiquetage, dudit consommateur, quant à l’origine, la provenance et la qualité liée à la denrée alimentaire, l’essentiel étant de ne pas induire le consommateur en erreur et de ne pas l’amener à considérer, de façon erronée, que le produit a une origine, une provenance ou une qualité différentes de ce qu’elles sont en réalité ( 52 ).

    87.

    La juridiction compétente devra ainsi établir si l’emploi de ces éléments graphiques sur l’étiquette du Champagner Sorbet ne traduit pas le désir d’établir une connexion démesurée avec le vin mousseux protégé par l’AOP. En d’autres termes, elle devra répondre à la question de savoir si le dessein qui sous-tend la présentation commerciale du produit alimentaire est, véritablement, de le lier à la réputation du vin mousseux de Champagne, en prétendant étendre ses qualités au sorbet.

    C. Sur la troisième question préjudicielle

    88.

    Il sera peut-être superflu de répondre aux troisième et quatrième questions si, à partir de la réponse à la deuxième question, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) estimait que l’AOP champagne a été exploitée de manière indue. En tout état de cause, je procéderai à l’analyse des deux questions.

    89.

    Au moyen de la troisième question préjudicielle, il est en résumé demandé si l’utilisation du nom caractéristique d’une AOP dans des circonstances telles que celles de l’espèce constitue une usurpation, une imitation ou une évocation de l’AOP elle-même.

    90.

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1234/2007 cite une série de comportements, identifiés en raison de leur caractère commercialement déloyal, qui impliquent une utilisation de l’AOP d’intensité décroissante, à partir de l’usurpation, en passant par l’imitation et jusqu’à l’évocation.

    91.

    L’usurpation implique l’utilisation du nom complet de l’AOP pour des produits similaires. Il ne me semble pas que cela soit le cas en l’espèce, dans la mesure où le sorbet est vendu surgelé, ce qui ne saurait être le cas pour le vin ( 53 ). Je ne pense pas non plus que l’on puisse véritablement parler d’imitation, dès lors que la désignation du Champagner Sorbet contient l’AOP dans sa totalité.

    92.

    La question de savoir s’il est possible de parler d’évocation constitue un problème plus complexe, dont la solution exige que l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour, qui a établi certains des profils juridiques de ce troisième type de comportement déloyal ( 54 ).

    93.

    En vertu de cette jurisprudence, la notion d’« évocation » recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit qui incorpore une partie d’une AOP, de sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’appellation ( 55 ).

    94.

    L’allusion à l’utilisation partielle de l’AOP découlait des faits de chacune des affaires résolues par les arrêts respectifs, dans lesquels l’évocation des AOP était due au chevauchement partiel des noms ou des marques des produits en cause (« Gorgonzola/Cambozola » ( 56 ), « Parmigiano Reggiano/Parmesan » ( 57 ) et « Verlados/Calvados » ( 58 )).

    95.

    De fait, en analysant, dans le cadre du règlement no 110/2008, le cas d’une marque qui contenait sous sa forme complète l’élément « cognac », la Cour a préféré le traiter comme une « évocation » plutôt que comme une « usurpation », bien qu’il s’agisse de boissons spiritueuses qui ne répondaient pas au cahier des charges de l’AOP ( 59 ).

    96.

    Les règles déduites pour les AOP des boissons spiritueuses peuvent être transposées, par analogie, à l’évocation mentionnée à l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1234/2007 ( 60 ). Les considérants 92 et 97 du règlement no 1308/2013 expliquent comment la protection des AOP vise non seulement à éviter les pratiques fallacieuses et à favoriser la transparence du marché et la concurrence loyale, mais également à atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs.

    97.

    Dans cette même ligne, il convient également de tenir compte des critères jurisprudentiels qui, pour déterminer l’existence d’une évocation, en appellent à la perception d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, comme manifestation du principe de proportionnalité ( 61 ).

    98.

    C’est encore une fois au juge de renvoi (ou, le cas échéant, aux juridictions inférieures) qu’il appartiendra, sur la base de cette jurisprudence, de décider s’il existe en l’espèce une évocation de l’AOP champagne ( 62 ). Pour fonder son arrêt, il pourra se baser non seulement sur le nom du sorbet mais également sur le reste des éléments, que j’ai déjà cités, avec lesquels cette denrée alimentaire est proposée à la vente.

    99.

    Sans vouloir m’attribuer la compétence de la juridiction de renvoi, et sous réserve du fait qu’elle seule est à même d’apprécier pleinement les faits en cause, j’estime toutefois que la présence de ces éléments graphiques sur l’emballage du produit contribue à renforcer l’évocation de l’AOP champagne. Par leur utilisation, en plus de celle du nom Champagner Sorbet, le producteur et le distributeur souhaitent que viennent à l’esprit du consommateur la qualité et le prestige associés à cette AOP, qu’ils tentent d’étendre au sorbet.

    D. Sur la quatrième question préjudicielle

    100.

    Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) pose la question de savoir si l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1234/2007 n’est applicable qu’aux indications fausses ou fallacieuses qui sont de nature à créer, chez le public visé, une impression erronée sur l’origine géographique d’un produit.

    101.

    Afin de mieux comprendre la question, il est nécessaire de se référer aux points 62 et suivants de l’ordonnance de renvoi. Il en découle que le doute naît de l’argument invoqué par le CIVC, selon lequel l’interdiction de ces indications serait générale et ne concernerait pas uniquement celles qui créent dans l’esprit du public une impression erronée sur l’origine géographique du produit.

    102.

    La juridiction de renvoi semble pencher pour l’interprétation la plus réductrice de la disposition, c’est-à-dire pour la circonscrire aux cas dans lesquels le public est trompé ou induit en erreur sur l’origine du produit, à travers l’utilisation de l’AOP.

    103.

    Je suis d’avis toutefois que la protection que le législateur de l’Union a voulu fournir aux AOP est large et que, au-delà de la confusion sur l’origine des produits, il s’agit également d’éviter le risque de généralisation, par la dilution des AOP en raison de leur utilisation sans discrimination.

    104.

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, du règlement no 1234/2007 contient une échelle des comportements déloyaux, à laquelle j’ai fait référence ci‑dessus. S’il se limite sous a) aux actes d’exploitation de la réputation des AOP, et sous b) à ceux d’usurpation, d’imitation ou d’évocation, la lettre c) élargit le périmètre protégé en y incorporant les « indications » (c’est-à-dire les informations qui sont fournies aux consommateurs) figurant sur le conditionnement ou sur l’emballage, ou sur la publicité du produit, lesquelles, bien que n’étant pas réellement évocatrices de l’AOP, sont fausses ou fallacieuses en ce qui concerne les liens du produit avec cette dernière.

    105.

    J’estime que la ratio de cette lettre c) n’est pas dénaturée si l’information commerciale de la denrée alimentaire associée à l’AOP, qui parvient directement au consommateur, est susceptible de le laisser penser que ce produit bénéficie de la même protection et de la même qualité que l’AOP, alors qu’en réalité ce n’est pas le cas. Une indication fausse ou fallacieuse peut bien évidemment concerner l’origine du produit, mais également ses caractéristiques essentielles (par exemple, son goût).

    106.

    En somme, la protection dispensée par la disposition citée dans la quatrième question ne se limite pas aux cas dans lesquels le consommateur est induit en erreur sur l’origine géographique d’un produit.

    VI. Conclusion

    107.

    Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit en réponse aux questions posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) :

    1)

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, est applicable lorsque l’AOP champagne est utilisée, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, pour désigner une denrée alimentaire commercialisée sous le nom Champagner Sorbet.

    2)

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1234/2007 doit être interprété en ce sens que, aux fins d’apprécier si la denrée alimentaire Champagner Sorbet, qui contient 12 % de vin de Champagne, exploite la réputation de l’AOP champagne, la juridiction de renvoi doit apprécier s’il existe un intérêt légitime justifiant l’utilisation, dans sa présentation commerciale, de cette AOP.

    Constituent des facteurs permettant d’évaluer l’existence de cette exploitation le fait que l’ingrédient, protégé par l’AOP champagne et ajouté à la denrée alimentaire, lui confère une caractéristique essentielle, et le fait que les éléments de l’emballage et de l’étiquetage induisent le consommateur à lier ce produit à l’AOP champagne.

    3)

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1234/2007 doit être interprété en ce sens que, aux fins d’apprécier si le produit Champagner Sorbet évoque, au sens de cette disposition, l’AOP champagne, la juridiction de renvoi doit vérifier si, compte tenu de sa désignation et de sa présentation commerciale, le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, est porté à penser que ce produit bénéficie de la qualité et du prestige inhérents à la dénomination protégée.

    4)

    L’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1234/2007 n’est pas seulement applicable aux indications fausses ou fallacieuses pouvant générer dans l’esprit du public destinataire une impression incorrecte sur l’origine géographique d’un produit.


    ( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

    ( 2 ) Lues le 18 mai 2017 dans l’affaire EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto (C‑56/16 P, EU:C:2017:394).

    ( 3 ) Règlement du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement « OCM unique ») (JO 2007, L 299, p. 1).

    ( 4 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671).

    ( 5 ) Règlement du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole, modifiant les règlements (CE) no 1493/1999, (CE) no 1782/2003, (CE) no 1290/2005 et (CE) no 3/2008, et abrogeant les règlements (CEE) no 2392/86 et (CE) no 1493/1999 (JO 2008, L 148, p. 1).

    ( 6 ) Règlement du Conseil du 25 mai 2009 modifiant le règlement (CE) no 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (JO 2009, L 154, p. 1).

    ( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 2000, L 109, p. 29).

    ( 8 ) En effet, la directive 2000/13 n’a été abrogée que le 13 décembre 2014, c’est-à-dire plus de deux ans après les faits objet de la procédure au principal, conformément à la disposition dérogatoire du règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission (JO 2011, L 304, p. 18).

    ( 9 ) Communication de la Commission (JO 2010, C 341, p. 3 ; ci-après les « lignes directrices »).

    ( 10 ) Galana intervient au soutien d’Aldi Süd dans la procédure au principal.

    ( 11 ) Arrêt du 14 juillet 2011 (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 55).

    ( 12 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 janvier 2008 concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO 2008, L 39, p. 16, correction des erreurs au JO 2009, L 228, p. 47).

    ( 13 ) Arrêt du 14 juillet 2011, Bureau National Interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 46), et arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 45).

    ( 14 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1).

    ( 15 ) Si je la comprends bien, elle propose une interprétation de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1234/2007, selon laquelle il serait applicable aux utilisations des AOP sous une forme identique à celle de leur enregistrement, alors que le paragraphe 2, sous b), concernerait l’utilisation d’appellations similaires, qui se différencieraient plus ou moins de l’AOP enregistrée. Voir le point 29 de l’ordonnance de renvoi.

    ( 16 ) Arrêt du 14 juillet 2011 (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 55). Bien que cet arrêt ait été rendu en lien avec le règlement no 110/2008, la possibilité de le transposer à l’espèce par analogie ne fait aucun doute, compte tenu de la similitude existant, tant des points de vue littéral que téléologique, entre l’article 16 de ce règlement et l’article 118 quaterdecies du règlement no 1234/2007.

    ( 17 ) Le Goffic, C., La protection des indications géographiques, éd. LITEC, Paris, 2010, p. 137.

    ( 18 ) Comparez la teneur de l’article 118 quaterdecies, paragraphe 2, sous b), c) et d), du règlement no 1234/2007 avec l’article 3 de l’arrangement de Lisbonne sur la protection des appellations d’origine et des indications géographiques du 31 octobre 1958 (tel que modifié le 28 septembre 1979) et avec l’article 22, paragraphe 2, sous b), de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) (DO 1994, L 336, p. 214), reproduit à l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, du 15 avril 1994 (OMC) (DO 1994, L 336, p. 3), qui renvoie à l’article 10 bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, dans sa version modifiée en 1967 à Stockholm.

    ( 19 ) Elle fait notamment référence aux articles 5 et 7 de la directive 2000/13, en vigueur au moment des faits (voir points 9 et suiv. des présentes conclusions), sans préjudice de la valeur interprétative des articles 9, paragraphe 1, sous a), et 17 du règlement no 1169/2011. Ce dernier a abrogé la directive 2000/13 à partir du 13 décembre 2014 et il n’est donc pas applicable ratione temporis à l’espèce.

    ( 20 ) Il s’agit concrètement de l’article 13, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 1151/2012, dont le considérant 32 renvoie aux lignes directrices.

    ( 21 ) Arrêt du 20 février 1975, Commission/Allemagne (12/74, non publié, EU:C:1975:23).

    ( 22 ) Voir les explications sur l’origine des AOP dans les conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Allemagne et Danemark/Commission (C‑465/02 et C‑466/02, EU:C:2005: 636), points 5 et suiv.).

    ( 23 ) Par exemple, aux considérants 27 et 32 du règlement no 479/2008, cité à la note 5. Bien que ce texte réglementaire ait déjà été abrogé, le contenu de ces deux considérants se retrouve, avec de légères variations, dans ceux du règlement no 1308/2013.

    ( 24 ) Je renvoie en ce sens au point 63 de mes conclusions dans l’affaire EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto (C‑56/16 P, EU:C:2017:394).

    ( 25 ) Je pense à la carte d’un restaurant sur laquelle figure, parmi les desserts, un sorbet au champagne, ou à la publication d’une recette pour le préparer. Lors de l’audience, le représentant de Galana a présenté comme exemple une publicité pour des verres (flûtes) à champagne qui utilise cette expression.

    ( 26 ) Arrêt du 14 mai 2002, Hölterhoff (C‑2/00, EU:C:2002:287, point 16). Il portait sur une négociation commerciale dans laquelle M. Hölterhoff avait proposé à un client de lui vendre des pierres semi-précieuses et décoratives dont il appelait la taille Spirit Sun et Context Cut, marques enregistrées au nom d’un concurrent.

    ( 27 ) Arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel (C‑48/05, EU:C:2007:55, point 24), et conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans cette affaire (EU:C:2006:154, points 35 et suiv.). Il faisait référence à l’utilisation du logo de la marque Opel sur la calandre de modèles réduits d’automobiles vendus par AUTEC, entreprise qui n’est pas liée à Opel.

    ( 28 ) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).

    ( 29 ) Arrêt du 5 juin 2014, Public Relations Consultants Association (C‑360/13, EU:C:2014:1195, points 26 et 27).

    ( 30 ) Arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, points 170 à 172).

    ( 31 ) Ordonnance du 17 janvier 2012, Infopaq International (C‑302/10, EU:C:2012:16, points 44 et 45).

    ( 32 ) Arrêt du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 46), et arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 45).

    ( 33 ) En ce sens, le considérant 32 du règlement no 479/2008, qui a introduit à l’article 45 la rédaction actuelle de l’article 118 quatordecies en cause en l’espèce, commence en disposant qu’il « convient de protéger les appellations d’origine […] contre toute utilisation visant à profiter abusivement de la réputation associée aux produits répondant aux exigences correspondantes » (mis en italique par mes soins).

    ( 34 ) Je renvoie aux points 87 à 89 de mes conclusions dans l’affaire EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto (C‑56/16 P, EU:C:2017:394).

    ( 35 ) Il a été question lors de l’audience de la manière dont il a fallu modifier les habitudes implantées dans certains États membres, dans lesquels étaient jusqu’alors utilisés comme noms génériques ceux qui, à partir de l’approbation des règles de l’Union, allaient ensuite devenir des AOP vinicoles (le cas du champagne est un paradigme). C’est également le cas de la protection extracommunautaire des AOP européennes, au moyen des traités bilatéraux ou multilatéraux.

    ( 36 ) Bien que l’article 12 de l’acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne relatif aux appellations d’origine et aux indications géographiques (adopté le 20 mai 2015) prévoie également la protection perpétuelle, ce traité n’est pas encore entré en vigueur.

    ( 37 ) Il est disposé ainsi à l’article 118 duodecies, paragraphe 1, du règlement no 1234/2007, transcrit par la suite à l’article 101, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013.

    ( 38 ) En revanche, l’étiquetage des produits vitivinicoles est soumis aux articles 117 à 123 du règlement no 1308/2013, et celui des indications géographiques de boissons spiritueuses au règlement no 110/2008. Les deux jouent le rôle de lex specialis par rapport à la règle générale pour les denrées alimentaires.

    ( 39 ) Article 3, paragraphe 1, alinéas 1, 2 et 3. La disposition équivalente dans le règlement no 1169/2011, en vigueur depuis le 13 décembre 2014, est l’article 9, paragraphe 1, sous a), b) et d).

    ( 40 ) Article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/13, équivalent à l’article 17 du règlement no 1169/2011.

    ( 41 ) Son équivalent ultérieur est l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 1169/2011. La directive 2000/13 est applicable, sur ce point, au secteur vitivinicole, ainsi que le rappelle l’article 118 du règlement no 1308/2013.

    ( 42 ) Le législateur a confié au fabricant de la denrée alimentaire la décision de choisir à quel endroit il précise la quantité de l’ingrédient en pourcentage : a) dans la dénomination de vente ; b) à côté de cette dénomination ; ou c) dans la liste des ingrédients. En l’espèce, cette liste se trouve sur la partie inférieure de l’emballage.

    ( 43 ) Il est indiqué dans ces lignes directrices que leur application est volontaire et qu’elles « ne sauraient constituer une interprétation juridiquement contraignante de la législation de l’Union européenne relative aux AOP et aux IGP ou de la directive “Étiquetage”».

    ( 44 ) La Commission s’est à juste titre abstenue de suggérer dans les lignes directrices un pourcentage d’utilisation uniforme. Elle laisse toutefois entrevoir une règle en vertu de laquelle plus la quantité d’un ingrédient couvert par une AOP est importante, plus grandes sont les probabilités qu’il confère cette caractéristique essentielle.

    ( 45 ) Il existe par exemple des produits protégés par une AOP, comme certaines variétés de truffes, lesquels, incorporés à une denrée alimentaire en quantité réduite, sont immédiatement reconnaissables à l’odeur et laissent une trace indélébile dans le palais.

    ( 46 ) Il serait donc possible de mentionner l’ingrédient sur l’étiquetage de la denrée alimentaire, au sein ou à proximité de sa « dénomination de vente », si le produit avait l’arôme et/ou le goût de l’ingrédient protégé par l’AOP. D’autres facteurs tels que la texture ou la couleur ne semblent toutefois pas exclus, bien que je considère qu’ils ne sont pas aussi décisifs en matière de denrées alimentaires que les deux facteurs cités ci-dessus.

    ( 47 ) Dans ce type d’affaires, il se peut que soient utiles les témoignages d’experts en gastronomie expliquant les qualités d’un sorbet au champagne, ou les rapports s’appuyant sur des enquêtes auprès des consommateurs pour établir que le sorbet a le goût de ce vin mousseux. La jurisprudence des États membres est très riche en ce sens : voir, précisément en ce qui concerne le champagne, l’arrêt rendu le 15 mars 2013 par la Cour d’appel de Paris, dans l’affaire SAS Euralis Gastronomie/CIVC, confirmé par la Cour de cassation (France) le 25 novembre 2014.

    ( 48 ) Cet article offre au fabricant qui utilise un ingrédient couvert par une AOP trois possibilités d’indiquer, en pourcentage, la quantité de cet ingrédient contenue dans sa denrée alimentaire (voir point 12 des présentes conclusions). Toutefois, les lignes directrices semblent limiter la possibilité de montrer ce pourcentage aux cas dans lesquels l’ingrédient n’est pas mentionné au sein ou à proximité de la dénomination de vente (c’est ainsi que je comprends l’ajout de « à défaut »). Le fabricant est lié par la directive 2000/13, et non par les lignes directrices, de sorte que les choix que celle-ci lui offre restent inchangés.

    ( 49 ) Lors de l’audience, les parties ont admis que l’affaire au principal ne se limitait pas à l’utilisation de l’AOP dans la dénomination du sorbet.

    ( 50 ) Article 2, paragraphe 1, sous a), i).

    ( 51 ) Arrêt du 4 juin 2015, Teekanne (C‑195/14, EU:C:2015:361, point 38).

    ( 52 ) Arrêt du 4 juin 2015, Teekanne (C‑195/14, EU:C:2015:361, point 36 et jurisprudence citée).

    ( 53 ) L’appréciation aurait peut-être pu être différente si le nom du produit avait pris une autre forme, en suggérant au consommateur qu’il s’agissait de champagne surgelé, à même d’être dégusté comme sorbet.

    ( 54 ) Dans mes conclusions dans l’affaire EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto (C‑56/16 P, EU:C:2017:394, points 94 et suiv.), j’ai également traité de la notion d’« évocation », qui s’appliquait alors à l’utilisation de l’AOP Porto/Port par la marque de l’Union européenne Port Charlotte.

    ( 55 ) Arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 21 et jurisprudence citée), en lien avec l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008.

    ( 56 ) Arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 25).

    ( 57 ) Arrêt du 26 février 2008, Commission/Allemagne (C‑132/05, EU:C:2008:117, point 44).

    ( 58 ) Arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35).

    ( 59 ) Arrêt du 14 juillet 2011, Bureau National Interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 58).

    ( 60 ) Arrêt du 14 juillet 2011, Bureau National Interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, points 22 à 27).

    ( 61 ) Arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, points 26 à 28).

    ( 62 ) Au point 31 de l’arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35), la Cour a rappelé que c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient « d’apprécier si la dénomination “Verlados” pour une eau-de-vie de cidre constitue une “évocation” au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, de l’indication géographique protégée “Calvados” ».

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