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Document 62013CJ0440

    Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 11 décembre 2014.
    Croce Amica One Italia Srl contre Azienda Regionale Emergenza Urgenza (AREU).
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia.
    Renvoi préjudiciel – Marchés publics de services – Directive 2004/18/CE – Directive 89/665/CEE – Situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire – Attribution du marché à titre provisoire – Enquêtes pénales engagées contre le représentant légal de l’adjudicataire – Décision du pouvoir adjudicateur de ne pas procéder à l’attribution définitive du marché et de retirer l’appel d’offres – Contrôle juridictionnel.
    Affaire C-440/13.

    Recueil – Recueil général

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2014:2435

    ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

    11 décembre 2014 ( *1 )

    «Renvoi préjudiciel — Marchés publics de services — Directive 2004/18/CE — Directive 89/665/CEE — Situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire — Attribution du marché à titre provisoire — Enquêtes pénales engagées contre le représentant légal de l’adjudicataire — Décision du pouvoir adjudicateur de ne pas procéder à l’attribution définitive du marché et de retirer l’appel d’offres — Contrôle juridictionnel»

    Dans l’affaire C‑440/13,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie), par décision du 10 juillet 2013, parvenue à la Cour le 2 août 2013, dans la procédure

    Croce Amica One Italia Srl

    contre

    Azienda Regionale Emergenza Urgenza (AREU),

    en présence de:

    Consorzio Lombardia Sanità,

    LA COUR (cinquième chambre),

    composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas, E. Juhász (rapporteur) et D. Šváby, juges,

    avocat général: M. P. Cruz Villalón,

    greffier: Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 septembre 2014,

    considérant les observations présentées:

    pour Croce Amica One Italia Srl, par Mes M. Sica et M. Protto, avvocati,

    pour l’Azienda Regionale Emergenza Urgenza (AREU), par Mes V. Avolio et V. Luciano, avvocati,

    pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme C. Colelli et de M. L. D’Ascia, avvocati dello Stato,

    pour le gouvernement norvégien, par MM. M. Emberland et H. Røstum ainsi que par Mme I. Jansen, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par MM. G. Conte et A. Tokár, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions des articles 41, paragraphe 1, 43 et 45 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Croce Amica One Italia Srl (ci‑après «Croce Amica One») à l’Azienda Regionale Emergenza Urgenza (AREU) (service régional d’intervention sanitaire d’urgence), au sujet de la régularité de la décision de cette dernière entité, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, de ne pas procéder à l’attribution définitive du marché en cause à Croce Amica One, qui avait était déclarée adjudicataire à titre provisoire, et de retirer l’appel d’offres.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    L’article 41 de la directive 2004/18, intitulé «Information des candidats et des soumissionnaires», prévoit à son paragraphe 1:

    «Les pouvoirs adjudicateurs informent dans les meilleurs délais les candidats et les soumissionnaires des décisions prises concernant [...] l’adjudication d’un marché [...], y compris des motifs pour lesquels ils ont décidé de renoncer [...] à passer un marché pour lequel il y a eu mise en concurrence [...]; cette information est donnée par écrit si la demande en est faite aux pouvoirs adjudicateurs.»

    4

    Aux termes de l’article 43 de cette directive, intitulé «Contenu des procès‑verbaux»:

    «Pour tout marché, [...] les pouvoirs adjudicateurs établissent un procès-verbal comportant au moins:

    [...]

    h)

    le cas échéant, les raisons pour lesquelles le pouvoir adjudicateur a renoncé à passer un marché [...]

    [...]»

    5

    L’article 45 de ladite directive, intitulé «Situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire», dispose:

    «1.   Est exclu de la participation à un marché public tout candidat ou soumissionnaire ayant fait l’objet d’une condamnation prononcée par un jugement définitif, dont le pouvoir adjudicateur a connaissance, pour une ou plusieurs des raisons énumérées ci-dessous:

    a)

    participation à une organisation criminelle telle que définie à l’article 2, paragraphe 1, de l’action commune 98/773/JAI du Conseil [(JO 1998, L 351, p. 1)];

    b)

    corruption, telle que définie respectivement à l’article 3 de l’acte du Conseil du 26 mai 1997 [(JO C 195, p. 1)] et à l’article 3, paragraphe 1, de l’action commune 98/742/JAI du Conseil [(JO 1998, L 358, p. 2)];

    c)

    fraude au sens de l’article 1er de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes [(JO 1995, C 316, p. 48)];

    d)

    blanchiment de capitaux tel que défini à l’article 1er de la directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux [(JO L 166, p. 77), telle que modifiée par la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 décembre 2001 (JO L 344, p. 76)].

    Les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d’application du présent paragraphe.

    [...]

    2.   Peut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique:

    [...]

    c)

    qui a fait l’objet d’un jugement ayant autorité de chose jugée selon les dispositions légales du pays et constatant un délit affectant sa moralité professionnelle;

    d)

    qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier;

    [...]

    g)

    qui s’est rendu gravement coupable de fausses déclarations en fournissant les renseignements exigibles en application de la présente section ou qui n’a pas fourni ces renseignements.

    Les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d’application du présent paragraphe.

    [...]»

    6

    L’article 1er de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO L 335, p. 31, ci‑après la «directive 89/665»), intitulé «Champ d’application et accessibilité des procédures de recours», énonce à son paragraphe 1, troisième alinéa:

    «Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application de la directive 2004/18/CE, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.»

    Le droit italien

    7

    La directive 2004/18 a été transposée dans l’ordre juridique italien par le décret législatif no 163/2006, du 12 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 100, du 2 mai 2006), qui porte codification des règles en matière de marchés publics.

    8

    L’article 38 de ce décret législatif prévoit:

    «1.   Sont exclues de la participation aux procédures d’octroi [...] des marchés publics de travaux, de fournitures et de services [...] et ne peuvent conclure les contrats y afférents les personnes:

    [...]

    c)

    qui ont fait l’objet d’un arrêt de condamnation passé en force de chose jugée ou d’une ordonnance pénale devenue définitive en raison de délits graves commis au préjudice de l’État ou de la Communauté affectant leur moralité professionnelle; [...]

    [...]

    f)

    qui, selon l’appréciation motivée du pouvoir adjudicateur, se sont rendues coupables de grave négligence ou de mauvaise foi dans l’exécution des prestations qui leur ont été attribuées par le pouvoir adjudicateur ayant publié l’avis de marché; ou qui ont commis une erreur grave dans l’exercice de leur activité professionnelle, constatée par tout moyen de preuve par le pouvoir adjudicateur;

    [...]»

    9

    L’article 78, paragraphe 1, dudit décret législatif prévoit:

    «Pour tout marché [...], les pouvoirs adjudicateurs établissent un procès-verbal comportant au moins les informations suivantes:

    [...]

    h)

    le cas échéant, les raisons pour lesquelles l’administration a renoncé à attribuer un marché [...]»

    10

    L’article 79, paragraphe 1, du même décret législatif dispose:

    «Les pouvoirs adjudicateurs informent rapidement les candidats et les soumissionnaires des décisions prises concernant [...] l’adjudication d’un marché [...], y compris des motifs de la décision [...] de ne pas passer un marché pour lequel il y a eu mise en concurrence [...]»

    11

    À l’article 11, paragraphe 9, du décret législatif no 163/2006, il est fait spécifiquement référence au pouvoir de l’administration de retirer, de suspendre ou de modifier ses propres actes dans les termes suivants:

    «L’adjudication définitive ayant pris effet, et sans préjudice de l’exercice du pouvoir de l’administration de retirer, de suspendre ou de modifier ses propres actes dans les cas autorisés par les dispositions en vigueur, la conclusion du marché public [...] a lieu dans un délai de soixante jours.»

    12

    Le pouvoir de l’administration de retirer ses propres actes est prévu, en tant que principe général applicable à toutes les procédures administratives, à l’article 21 quinquies de la loi no 241, portant nouvelles dispositions relative à la procédure administrative et au droit d’accès aux documents administratifs (legge n. 241 – Nuove norme in materia di procedimento amministrativo e di diritto di accesso ai documenti amministrativi), du 7 août 1990 (GURI no 192, du 18 août 1990, p. 7). Cet article est ainsi libellé:

    «Lorsqu’interviennent des motifs d’intérêt public ou en cas de modification de la situation de fait ou encore d’une nouvelle évaluation de l’intérêt public initial, la mesure administrative aux effets durables peut être retirée par l’organe qui l’a adoptée, ou par un autre organe prévu par la loi; par l’effet du retrait, la mesure retirée devient inefficace.»

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    13

    Par décision du 28 décembre 2010, l’AREU a lancé une procédure ouverte pour l’attribution d’un marché concernant le «service de transport par véhicule roulant d’organes, de tissus et d’échantillons biologiques, ainsi que de transfert des équipes chirurgicales et de patients aux fins de l’activité de transplantation». Ce marché devait être conclu pour une durée de deux ans, avec une prorogation éventuelle de douze mois, et être attribué selon le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse.

    14

    Parmi les quatre sociétés ayant participé à la procédure de passation de ce marché, trois ont été écartées par le comité de sélection lors de l’évaluation des offres techniques. La seule société restée en lice, à savoir Croce Amica One, a été déclarée adjudicataire, à titre provisoire, par décision inscrite dans un procès‑verbal du 10 mai 2011. Cependant, étant donné que les conditions prévues par la réglementation nationale aux fins de la «vérification dite ‘obligatoire’ de l’anomalie de l’offre» étaient en l’occurrence réunies, dès lors que la notation attribuée pour le prix et celle attribuée pour les autres éléments d’appréciation étaient égales ou supérieures aux quatre cinquièmes des seuils maximaux correspondants prévus par l’appel d’offres, le pouvoir adjudicateur a demandé des justificatifs relatifs à l’offre technique présentée par Croce Amica One. Après avoir effectué cette vérification, le comité de sélection a, par décision inscrite dans un procès‑verbal du 23 juin 2011, conclu à l’anomalie de l’offre.

    15

    En même temps, dans le cadre d’enquêtes préliminaires pénales engagées, notamment, contre le représentant légal de Croce Amica One pour des infractions d’escroquerie et de faux intellectuel, les services compétents ont placé des documents relatifs à cette société sous séquestre probatoire.

    16

    Par une note du 21 juillet 2011, l’AREU a informé Croce Amica One, ainsi qu’une autre société ayant participé à la procédure d’adjudication en cause au principal, de l’engagement, en vertu du pouvoir dont dispose l’administration de retirer, de suspendre ou de modifier ses propres actes, d’une procédure en vue de l’annulation de l’appel d’offres.

    17

    Par acte du 8 septembre 2011, le directeur général de l’AREU a décidé de ne pas procéder à l’attribution définitive du marché à Croce Amica One et, en même temps, d’annuler l’ensemble de la procédure d’appel d’offres. Par cette mesure, le pouvoir adjudicateur a «estimé que, dans le contexte décrit, au-delà de l’anomalie de l’offre, l’AREU ne [pouvait], en tout état de cause, décider, pour des raisons évidentes d’opportunité et des motifs liés aux principes de bonne administration, d’attribuer le service au soumissionnaire Croce Amica One [...] et que, eu égard au caractère indispensable du service, elle ne [pouvait] non plus attendre, pour l’attribuer, l’issue de la procédure pénale ou même la conclusion de l’instruction en cours».

    18

    Le pouvoir adjudicateur n’a pas engagé de nouvelle procédure pour l’attribution du marché public en cause au principal et a confié le service sur lequel portait ce marché, par prorogation, à deux associations.

    19

    Par recours déposé le 2 novembre 2011, Croce Amica One a attaqué, devant la juridiction de renvoi, la décision du pouvoir adjudicateur du 8 septembre 2011 visée au point 17 du présent arrêt, en demandant l’annulation et la suspension provisoire de celle-ci. Elle a, en outre, introduit une action en réparation du préjudice résultant, selon elle, de cette décision.

    20

    Par décision du 14 mai 2013, le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) a prononcé la mise en accusation du représentant légal de Croce Amica One, conjointement avec une autre personne poursuivie, notamment pour le délit d’obstruction aux procédures publiques d’appels d’offres en ce que, afin de se voir attribuer le marché, l’intéressé aurait présenté quinze fausses attestations de participation au cours de conduite sûre d’ambulances.

    21

    La juridiction de renvoi considère que, d’une manière générale, sans préjudice de l’exercice du pouvoir dont dispose l’administration de retirer, de suspendre ou de modifier ses propres actes dans le cadre des marchés publics, le pouvoir adjudicateur concerné, poursuivant, en apparence, des motifs d’opportunité administrative découlant de l’existence d’une enquête pénale en cours dirigée contre le représentant légal de la société qui avait été déclarée adjudicataire à titre provisoire, a méconnu l’article 45 de la directive 2004/18, au regard, en particulier, de la «situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire», évoquée dans cette disposition.

    22

    La juridiction de renvoi estime ainsi que, en vertu de ladite disposition, l’exclusion d’un soumissionnaire ne peut intervenir qu’en cas de condamnation de ce dernier par un jugement passé en force de chose jugée.

    23

    La juridiction de renvoi s’interroge également, sous l’angle du droit de l’Union, sur l’étendue de sa propre compétence à cet égard, en estimant que cette compétence ne saurait être limitée au contrôle des vices externes entachant l’exercice du pouvoir de l’administration. Elle considère que le fait de ne pas reconnaître au juge administratif un pouvoir étendu de contrôle sur les faits ou sur les concepts juridiques tels que, en l’espèce, l’absence de constatation définitive de la responsabilité pénale du représentant légal de la société qui avait été déclarée provisoirement adjudicataire est en contradiction totale avec la lettre et la ratio legis de l’article 45 de la directive 2004/18.

    24

    Eu égard à ces considérations, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «1)

    Est-il conforme au droit communautaire que le pouvoir adjudicateur, dans l’exercice d’un pouvoir de retrait en matière de marchés publics, en application de l’article 21 quinquies de la loi [no 241 du 7 août 1990], puisse décider de ne pas procéder à l’adjudication définitive d’un marché pour la seule raison qu’une enquête pénale est en cours à l’encontre du représentant légal de la société provisoirement adjudicataire?

    2)

    Une dérogation au principe du caractère définitif de la constatation de la responsabilité pénale, tel qu’exprimé à l’article 45 de la directive [2004/18], pour des raisons d’opportunité administrative, dont l’appréciation est réservée à l’administration, est-elle conforme au droit communautaire?

    3)

    Une dérogation au principe du caractère définitif de la constatation de la responsabilité pénale, tel qu’exprimé à l’article 45 de la directive [2004/18], dans l’hypothèse où l’enquête pénale en cours concerne un délit lié à la procédure d’appel d’offres faisant l’objet de la mesure prise par l’administration en vertu de son pouvoir de retirer, de suspendre ou de modifier ses propres actes, est-elle conforme au droit communautaire?

    4)

    Est-il conforme au droit communautaire que les mesures adoptées par un pouvoir adjudicateur en matière de marchés publics puissent être soumises à un contrôle de pleine juridiction par la juridiction administrative nationale, dans l’exercice d’une compétence de contrôle attribuée à ladite juridiction en matière de marchés publics, et ce sous l’angle de la fiabilité et de la conformité de l’offre, et donc outre les seules hypothèses du caractère illogique manifeste, de l’irrationalité, de la motivation insuffisante ou de l’erreur de fait?»

    Sur les questions préjudicielles

    Sur les première à troisième questions

    25

    Par ces questions, qu’il convient d’examiner conjointement, il est en substance demandé si l’article 45 de la directive 2004/18, lorsque les conditions pour l’application des causes d’exclusion prévues à cet article ne sont pas remplies, fait obstacle à l’adoption, par un pouvoir adjudicateur, d’une décision de renoncer à passer un marché public pour lequel une mise en concurrence a eu lieu et de ne pas procéder à l’attribution définitive de ce marché au seul soumissionnaire qui était resté en lice et avait été déclaré adjudicataire à titre provisoire.

    26

    La formulation de ces questions et la référence à l’article 45 de la directive 2004/18 trouvent leur origine dans le fait que, le 8 septembre 2011, le directeur général de l’AREU a décidé, d’une part, de ne pas procéder à l’attribution définitive du marché en cause au principal à Croce Amica One et, d’autre part, d’annuler la procédure d’appel d’offres correspondante.

    27

    Il convient de relever d’emblée que, nonobstant la référence, dans la demande de décision préjudicielle, à l’article 45 de la directive 2004/18, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’acte litigieux au principal constitue une décision du pouvoir adjudicateur portant retrait de l’appel d’offres et annulation de la procédure d’adjudication. Cette décision est distincte de celle concernant l’exclusion d’un soumissionnaire en vertu de l’article 45 de cette directive.

    28

    Dans ce contexte, il y a lieu d’observer que, si les motifs exacts du retrait de l’appel d’offres en cause au principal n’ont pas été portés à la connaissance de la Cour, la juridiction de renvoi paraît lier le comportement du représentant légal de Croce Amica One aux seules causes d’exclusion qui se rapportent au droit pénal et qui impliquent une condamnation par un jugement devenu définitif, à savoir celles prévues à l’article 45, paragraphes 1 et 2, sous c), de la directive 2004/18. À cet égard, il est utile de préciser que les causes d’exclusion prévues à l’article 45, paragraphe 2, sous d) et g), de cette directive donnent également aux pouvoirs adjudicateurs le pouvoir d’exclure tout opérateur économique qui a commis une faute grave en matière professionnelle, constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier, ou s’est rendu gravement coupable de fausses déclarations ou n’a pas fourni les renseignements exigibles pour la sélection qualitative des offres, sans qu’il soit requis que l’opérateur économique ait fait l’objet d’une condamnation prononcée par jugement définitif.

    29

    S’agissant d’une décision de retrait d’un appel d’offres pour un marché public, celle-ci doit respecter les articles 41, paragraphe 1, et 43 de la directive 2004/18.

    30

    L’article 41, paragraphe 1, de la directive 2004/18 prévoit l’obligation d’informer d’une telle décision, dans les meilleurs délais, les candidats et les soumissionnaires ainsi que d’en indiquer les motifs, et l’article 43 de cette directive impose l’obligation de mentionner ces motifs dans le procès‑verbal qui doit être établi pour tout marché public. Or, la directive 2004/18 ne contient aucune disposition relative aux conditions de fond ou de forme d’une telle décision.

    31

    À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), disposition analogue à celle de l’article 41, paragraphe 1, de la directive 2004/18, ne prévoit pas que la renonciation du pouvoir adjudicateur à passer un marché public soit limitée aux cas exceptionnels ou soit nécessairement fondée sur des motifs graves (arrêt Fracasso et Leitschutz, C‑27/98, EU:C:1999:420, points 23 et 25).

    32

    De même, la Cour a relevé que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), disposition également analogue à celle de l’article 41, paragraphe 1, de la directive 2004/18, tout en imposant au pouvoir adjudicateur, dans le cas où il décide de retirer l’appel d’offres relatif à un marché public, de communiquer les motifs de sa décision aux candidats et aux soumissionnaires, n’implique pas, pour ce pouvoir adjudicateur, une obligation de mener à son terme la procédure d’adjudication (voir arrêt HI, C‑92/00, EU:C:2002:379, point 41).

    33

    La Cour a toutefois pris soin de souligner que l’exigence de communication des motifs sous‑tendant la décision de retrait d’un appel d’offres est dictée par le souci de garantir un niveau minimal de transparence dans les procédures d’adjudication des marchés publics, auxquels s’appliquent les règles du droit de l’Union et, partant, le respect du principe d’égalité de traitement, qui constitue la base de ces règles (voir, en ce sens, arrêt HI, EU:C:2002:379, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

    34

    La Cour a également jugé que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 exige que la décision du pouvoir adjudicateur de retirer l’appel d’offres pour un marché public puisse faire l’objet d’une procédure de recours et être annulée, le cas échéant, au motif qu’elle a violé le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit. En outre, la Cour a considéré que, même dans les cas où les pouvoirs adjudicateurs bénéficient, en vertu de la réglementation nationale applicable, d’un large pouvoir d’appréciation quant au retrait de l’appel d’offres, les juridictions nationales doivent pouvoir, en vertu de la directive 89/665, vérifier la compatibilité d’une décision de retrait avec les règles pertinentes du droit de l’Union (voir arrêt HI, EU:C:2002:379, points 55 et 62).

    35

    Ainsi, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que les États membres prévoient, dans leur législation, la possibilité d’adopter une décision de retrait d’un appel d’offres. Les motifs d’une telle décision de retrait peuvent ainsi être fondés sur des raisons qui ont notamment un rapport avec l’appréciation de l’opportunité, du point de vue de l’intérêt public, de mener à terme une procédure d’adjudication, compte tenu, entre autres, de la modification éventuelle du contexte économique ou des circonstances factuelles, ou encore des besoins du pouvoir adjudicateur concerné. Une telle décision peut également être motivée par le niveau insuffisant de concurrence, en raison du fait que, à l’issue de la procédure de passation du marché concerné, un seul soumissionnaire demeurait apte à exécuter ce marché.

    36

    Par conséquent, sous réserve du respect des principes de transparence et d’égalité de traitement, un pouvoir adjudicateur ne saurait être tenu de mener à terme une procédure d’adjudication engagée et de passer le marché en cause, même avec le seul soumissionnaire resté en lice.

    37

    Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que les articles 41, paragraphe 1, 43 et 45 de la directive 2004/18 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque les conditions d’une application des causes d’exclusion prévues à cet article 45 ne sont pas remplies, ce dernier article ne fait pas obstacle à l’adoption, par un pouvoir adjudicateur, d’une décision de renoncer à passer un marché public pour lequel une mise en concurrence a eu lieu et de ne pas procéder à l’attribution définitive de ce marché au seul soumissionnaire qui était resté en lice et avait été déclaré adjudicataire à titre provisoire.

    Sur la quatrième question

    38

    Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, conformément au droit de l’Union, la juridiction nationale compétente peut exercer sur la décision d’un pouvoir adjudicateur un contrôle de pleine juridiction, à savoir un contrôle lui permettant de tenir compte de la fiabilité et de la conformité des offres des soumissionnaires et de substituer sa propre appréciation à l’évaluation du pouvoir adjudicateur concernant l’opportunité de procéder au retrait de l’appel d’offres.

    39

    Il y a lieu de souligner que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la décision de retrait d’un appel d’offres pour un marché public fait partie des «décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs», à l’égard desquelles les États membres sont tenus, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 89/665, de mettre en place, dans le droit national, des procédures de recours destinées à assurer le respect des règles matérielles pertinentes du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des dispositions nationales transposant ces règles (voir, en ce sens, arrêts HI, EU:C:2002:379, points 53 à 55, ainsi que Koppensteiner, C‑15/04, EU:C:2005:345, point 29).

    40

    La directive 89/665, se bornant à coordonner les mécanismes existants dans les États membres afin de garantir l’application pleine et effective des directives fixant les règles matérielles relatives aux marchés publics, ne définit pas expressément la portée des voies de recours que les États membres doivent mettre en place à cet effet. Par conséquent, la question de l’étendue du contrôle juridictionnel exercé dans le cadre des procédures de recours visées par la directive 89/665 doit être examinée au regard de la finalité de celle-ci et en veillant à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à son efficacité (arrêt HI, EU:C:2002:379, points 58 et 59).

    41

    Il convient de rappeler, à cet égard, que la fonction du système de recours est réglementée à l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 89/665, selon lequel les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application de la directive 2004/18, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs puissent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

    42

    Il s’ensuit que les procédures de recours prévues par cette disposition servent à assurer le respect des règles pertinentes du droit de l’Union, en particulier celles de la directive 2004/18, ou des dispositions nationales transposant ces règles.

    43

    Il importe de souligner que ce contrôle de légalité ne peut être limité à l’examen du caractère arbitraire des décisions du pouvoir adjudicateur (voir, en ce sens, arrêt HI, EU:C:2002:379, point 63).

    44

    Dès lors, ces recours visent l’exercice d’un contrôle de légalité et non pas d’un contrôle d’opportunité.

    45

    En l’absence de réglementation de l’Union spécifique en la matière, les modalités du contrôle juridictionnel doivent être fixées par des règles de procédure nationales, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt HI, EU:C:2002:379, point 68). Ainsi, le législateur national peut accorder aux juridictions nationales compétentes des pouvoirs plus étendus, aux fins d’exercer un contrôle d’opportunité.

    46

    Dès lors, il convient de répondre à la quatrième question que le droit de l’Union en matière de marchés publics et, notamment, l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 89/665 doivent être interprétés en ce sens que le contrôle prévu à cette disposition constitue un contrôle de légalité des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs, qui vise à assurer le respect des règles pertinentes du droit de l’Union ou des dispositions nationales transposant ces règles sans que ce contrôle puisse être limité au seul examen du caractère arbitraire des décisions du pouvoir adjudicateur. Toutefois, cela n’exclut pas la faculté, pour le législateur national, d’accorder aux juridictions nationales compétentes le pouvoir d’exercer un contrôle d’opportunité.

    Sur les dépens

    47

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

     

    1)

    Les articles 41, paragraphe 1, 43 et 45 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque les conditions d’une application des causes d’exclusion prévues à cet article 45 ne sont pas remplies, ce dernier article ne fait pas obstacle à l’adoption, par un pouvoir adjudicateur, d’une décision de renoncer à passer un marché public pour lequel une mise en concurrence a eu lieu et de ne pas procéder à l’attribution définitive de ce marché au seul soumissionnaire qui était resté en lice et avait été déclaré adjudicataire à titre provisoire.

     

    2)

    Le droit de l’Union en matière de marchés publics et, notamment, l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, doivent être interprétés en ce sens que le contrôle prévu à cette disposition constitue un contrôle de légalité des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs, qui vise à assurer le respect des règles pertinentes du droit de l’Union ou des dispositions nationales transposant ces règles sans que ce contrôle puisse être limité au seul examen du caractère arbitraire des décisions du pouvoir adjudicateur. Toutefois, cela n’exclut pas la faculté, pour le législateur national, d’accorder aux juridictions nationales compétentes le pouvoir d’exercer un contrôle d’opportunité.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure: l’italien.

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