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Document 62023CC0797

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 10 juillet 2025.


ECLI identifier: ECLI:EU:C:2025:552

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 juillet 2025 (1)

Affaire C797/23

Meta Platforms Ireland Limited

contre

Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni,

en présence de

Federazione Italiana Editori Giornali (FIEG),

Società italiana degli autori ed editori (SIAE),

Gedi Gruppo Editoriale SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale Amministrativo Regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive (UE) 2019/790 – Article 15 – Protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne – Législation nationale prévoyant le versement d’une compensation équitable – Obligations imposées aux prestataires de services de la société de l’information – Pouvoirs conférés à une autorité administrative indépendante – Mise en balance des droits fondamentaux – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 17, paragraphe 2 – Droit fondamental à la protection de la propriété intellectuelle – Article 16 – Liberté d’entreprise – Article 11 – Liberté d’expression et d’information »






 Introduction

1.        Parmi les secteurs de l’économie affectés par la révolution numérique et l’avènement de l’internet, et peu d’entre eux ne le sont pas, le secteur des médias, plus particulièrement, celui de la presse écrite, occupe une place de choix. En effet, ce secteur est confronté à d’importants bouleversements. Ces bouleversements trouvent leur origine, en premier lieu, dans l’évolution des habitudes des utilisateurs, qui non seulement remplacent la presse papier par un accès en ligne des contenus, mais également diversifient les sources de ces contenus, leur choix étant presque illimité dans l’environnement numérique. En deuxième lieu, ils sont provoqués par l’apparition des services de revue de presse, souvent proposés par les grandes plateformes en ligne. Ces services créent un « effet de substitution », en permettant aux utilisateurs de prendre connaissance, bien que de manière superficielle, des contenus journalistiques sans accéder aux sources originales, c’est-à-dire les sites des journaux et des périodiques. En troisième lieu, ils ont trait à la concurrence exercée vis-à-vis des médias traditionnels par les nouveaux canaux de distribution de l’information rendus possibles par l’internet, notamment les « médias sociaux ».

2.        Ces bouleversements ont conduit à une baisse drastique des revenus des éditeurs de presse, qui ne sont plus en mesure de supporter les coûts liés à leur modèle économique traditionnel. Cette baisse tient tant à l’effondrement des ventes d’exemplaires papiers des journaux et des périodiques qu’à la perte des revenus publicitaires, désormais captés, notamment, par les grandes plateformes en ligne.

3.        Les conséquences de la crise des médias traditionnels ne sont cependant pas seulement économiques. Les médias jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement des sociétés démocratiques : ils constituent à la fois la principale source d’information fiable pour le grand public et l’outil le plus efficace pour assurer le contrôle par l’opinion publique du comportement des acteurs de la vie politique. Leur affaiblissement et leur remplacement par de nouveaux acteurs, dont la qualité de l’information est pour le moins variable, contribuent fortement à de graves problèmes sociétaux et politiques.

4.        Pour cette raison, des initiatives d’intervention législative en faveur des éditeurs de presse ont été prises dans des pays tiers (2), mais également dans des États membres, à savoir en Allemagne et en Espagne. Ces dernières mesures n’ont cependant pas tenu leurs promesses du fait de problèmes liés tant à leur légalité qu’à leur inefficacité (3).

5.        La situation des éditeurs de presse vis-à-vis des plateformes en ligne n’est, en effet, pas aussi simple qu’il y paraît à première vue. Si ces plateformes nuisent aux intérêts des éditeurs, notamment par l’« effet de substitution » et la concurrence qu’elles constituent, elles produisent aussi un « effet d’expansion » positif en attirant un nouveau public. Or, il s’avère que les habitudes des utilisateurs ont changé à tel point qu’une partie très significative d’entre eux n’accède aujourd’hui à des contenus journalistiques que par l’intermédiaire des différentes plateformes. Les éditeurs sont donc en grande partie dépendants de ces plateformes pour gagner de nouveaux clients, ce qui rend la présence de leurs contenus sur celles-ci indispensable. En revanche, le contraire n’est pas vrai : la présence de ces contenus n’est pas cruciale pour les plateformes en ligne. Les éditeurs se trouvent donc en position de vulnérabilité vis-à-vis de ces plateformes, ce qui rend les tentatives de remédier à la situation par l’octroi de nouveaux droits de propriété intellectuelle auxdits éditeurs peu efficaces. Par ailleurs, les éditeurs de presse ne sont pas tous concernés de la même façon : si les grands titres sont davantage touchés par l’effet de substitution, les petits éditeurs, notamment locaux, profitent plutôt de l’effet d’expansion en accédant à un public qu’ils n’auraient pas pu atteindre par les moyens traditionnels.

6.        Il n’est donc pas étonnant que les dispositions du droit de l’Union faisant l’objet de la présente affaire, qui instaurent un droit de propriété intellectuelle nouveau pour les éditeurs, aient fait l’objet de virulentes critiques, tant lors de la procédure de leur adoption qu’après leur entrée en vigueur (4). La situation a même été comparée à celle du fameux conte de Hans Christian Andersen « Les habits neufs de l’empereur » (5).

7.        Lors de la transposition des dispositions du droit de l’Union en question, certains États membres ont néanmoins pris des mesures, telles que les mesures italiennes en cause au principal, en vue de renforcer la position de négociation des éditeurs de presse et de vêtir ainsi l’empereur de véritables habits. La tâche de la Cour consiste maintenant à définir les limites imposées par le droit de l’Union que ces mesures ne doivent pas dépasser.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

8.        L’article 15 de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (6) dispose, notamment :

« 1.      Les États membres confèrent aux éditeurs de publications de presse établis dans un État membre les droits prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE[(7)] pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse par des fournisseurs de services de la société de l’information.

Les droits prévus au premier alinéa ne s’appliquent pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels.

La protection accordée en vertu du premier alinéa ne s’applique pas aux actes d’hyperliens.

[...]

4.      Les droits prévus au paragraphe 1 expirent deux ans après que la publication de presse a été publiée. Cette durée est calculée à partir du 1er janvier de l’année suivant la date à laquelle la publication de presse a été publiée.

[...] »

 Le droit italien

9.        L’article 43 bis de la legge n. 633 – Protezione del diritto d’autore e di altri diritti connessi al suo esercizio (loi no 633 portant protection du droit d’auteur et des autres droits liés à son exercice), du 22 avril 1941 (8), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi no 633/1941 »), prévoit, notamment :

« 1.      Les éditeurs de publications de presse, individuellement, en association ou en consortium, se voient accorder, pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information [...], y compris les sociétés de surveillance des médias et de revue de presse, les droits exclusifs de reproduction et de communication visés aux articles 13 et 16.

[...]

6.      Les droits prévus au paragraphe 1 ne s’appliquent pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels, ni aux actes d’hyperliens, ni en ce qui concerne l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse.

[...]

8.      Pour l’utilisation en ligne des publications de presse, les prestataires de services de la société de l’information versent une compensation équitable aux entités visées au paragraphe 1. Dans un délai de soixante jours à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente disposition, l’Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni [(Autorité de tutelle des communications, Italie) (ci-après l’“AGCOM”)] adopte un règlement pour définir les critères de référence aux fins de la détermination de la compensation équitable visée dans la première phrase, en tenant compte, entre autres, du nombre de consultations en ligne de l’article, des années d’activité et de l’importance sur le marché des éditeurs visés au paragraphe 3, et du nombre de journalistes employés, ainsi que des coûts encourus pour les investissements technologiques et infrastructurels par les deux parties, et des avantages économiques découlant, pour les deux parties, de la publication en termes de visibilité et de recettes publicitaires.

9.      La négociation, en vue de la conclusion du contrat d’utilisation des droits visés au paragraphe 1, entre les prestataires de services de la société de l’information, y compris les sociétés de surveillance des médias et de revue de presse, et les éditeurs visés au paragraphe 3, est également menée en tenant compte des critères définis par le règlement visé au paragraphe 8. Au cours de la négociation, les prestataires de services de la société de l’information ne limitent pas la visibilité des contenus des éditeurs dans les résultats de recherche. La limitation injustifiée de ces contenus au stade de la négociation peut être évaluée dans le cadre de la vérification du respect de l’obligation de bonne foi prévue à l’article 1337 du code civil.

10.      Sans préjudice du droit de saisir la juridiction ordinaire visée au paragraphe 11, si aucun accord sur le montant de la compensation n’est conclu dans les trente jours suivant la demande d’ouverture des négociations par l’une des parties concernées, l’une ou l’autre des parties peut s’adresser à l’[AGCOM] pour la détermination de la compensation équitable, en expliquant dans sa demande sa proposition économique. Dans un délai de soixante jours à compter de la demande de la partie intéressée, y compris lorsqu’une partie, bien que dûment convoquée, ne s’est pas présentée, l’[AGCOM] indique, sur la base des critères établis par le règlement visé au paragraphe 8, laquelle des propositions économiques formulées est conforme auxdits critères ou, si elle considère qu’aucune des propositions n’est conforme, elle indique d’office le montant de la compensation équitable.

11.      Lorsque, après la détermination de la compensation équitable par l’[AGCOM], les parties ne parviennent pas à conclure le contrat, chacune d’elles peut saisir la chambre de la juridiction ordinaire spécialisée en matière d’entreprises [...], y compris pour intenter le recours visé à l’article 9 de la loi no 192 du 18 juin 1998.

12.      Les prestataires de services de la société de l’information, dont les sociétés de surveillance des médias et de revue de presse, sont tenus de mettre à disposition, à la demande de la partie intéressée, y compris par l’intermédiaire des organismes de gestion collective ou des entités de gestion indépendantes [...], s’ils sont mandatés, ou de l’[AGCOM], les données nécessaires pour déterminer le montant de la compensation équitable. Le respect de l’obligation énoncée dans la première phrase ne dispense pas les éditeurs visés au paragraphe 3 de respecter la confidentialité des informations à caractère commercial, industriel et financier dont ils ont eu connaissance. L’[AGCOM] veille au respect de l’obligation d’information pesant sur les prestataires de services. En cas de non communication de ces données dans les trente jours suivant la demande visée dans la première phrase, l’Autorité inflige une sanction pécuniaire administrative au contrevenant, pouvant aller jusqu’à un pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours du dernier exercice clos avant la notification de la contestation [...]

[...]

14.      Les droits prévus au présent article expirent deux ans après la publication de l’œuvre journalistique [...] »

10.      La delibera n. 3/23/CONS (décision no 3/23/CONS), adoptée par l’AGCOM le 19 janvier 2023, dont l’annexe A contient le regolamento in materia di individuazione dei criteri di riferimento per la determinazione dell’equo compenso per l’utilizzo online di pubblicazioni di carattere giornalistico di cui all’articolo 43-bis della Legge 22 aprile 1941, n. 633 (règlement portant définition des critères de référence aux fins de la détermination de la compensation équitable pour l’utilisation en ligne de publications de presse visée à l’article 43 bis de la loi no 633/1941) :

–        établit les critères pour déterminer le montant de la compensation équitable, qui incluent la définition d’une base de calcul fondée sur les recettes publicitaires des prestataires de services de la société de l’information provenant de l’utilisation en ligne des publications de presse de l’éditeur, déduction faite des recettes de l’éditeur provenant de la redirection du trafic sur son site Internet (article 4) ;

–        fixe un taux allant jusqu’à 70 % à appliquer au montant de base pour déterminer le montant de la compensation équitable, en se fondant sur un certain nombre de critères supplémentaires définis à son article 4, paragraphe 2 ;

–        détaille les obligations de mise à disposition des données, définit les pouvoirs d’inspection de l’AGCOM et prévoit l’applicabilité d’une sanction pécuniaire administrative à l’encontre du contrevenant pouvant aller jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires réalisé sur le marché national au cours du dernier exercice clos avant la notification de la contestation (article 5) ;

–        réglemente la procédure permettant de demander à l’AGCOM de déterminer le montant de la compensation équitable et les dispositions y afférentes, avec la possibilité pour l’AGCOM de décider unilatéralement de ce montant (articles 8 à 12).

 Le litige au principal, la procédure et les questions préjudicielles

11.      La société Meta Platforms Ireland Limited (ci-après « Meta »), établie en Irlande, fournit des services de la société de l’information, notamment en tant qu’opérateur du réseau social en ligne Facebook.

12.      Par requête introduite devant la juridiction de renvoi, le Tribunale Amministrativo Regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), Meta a formé un recours tendant à l’annulation de la décision no 3/23/CONS ainsi que de ses annexes.

13.      À l’appui de son recours, Meta fait notamment valoir que l’article 43 bis de la loi no 633/1941 et la décision litigieuse sont contraires à l’article 15 de la directive 2019/790, qui consacre non pas des droits de rémunération, mais des droits de nature exclusive. Par ailleurs, en raison des obligations imposées aux prestataires de services de la société de l’information, des limitations significatives de la liberté contractuelle des opérateurs économiques ainsi que du rôle et des pouvoirs confiés à l’AGCOM, cette réglementation serait également contraire à la liberté d’entreprise, garantie à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), et, en particulier, au principe de libre concurrence. Meta souligne, devant la juridiction de renvoi, l’absence de proportionnalité et d’adéquation des mesures adoptées par le législateur italien qui entravent ou, à tout le moins, rendent nettement moins attrayante, en Italie, la prestation de services par des sociétés établies dans d’autres États membres.

14.      C’est dans ces conditions que le Tribunale Amministrativo Regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 15 de la [directive 2019/790] peut-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’introduction de dispositions nationales – telles que celles prévues à l’article 43 bis de la loi [no 633/1941] et celles figurant dans la décision no 3/23/CONS de l’[AGCOM] – dans la mesure où celles-ci :

a)      mettent à la charge des [prestataires de services de la société de l’information (PSSI)] des obligations de rémunération (compensation équitable), en sus des droits exclusifs visés à l’article 15 de la directive 2019/790, en faveur des éditeurs ;

b)      imposent à ces [PSSI] des obligations :

–        d’entamer des négociations avec les éditeurs,

–        de fournir aux éditeurs eux-mêmes et à l’[AGCOM] les informations nécessaires à la détermination de la compensation équitable, et

–        de ne pas limiter la visibilité des contenus de l’éditeur dans les résultats de recherche en attendant la fin des négociations ;

c)      confèrent à l’[AGCOM] :

–        un pouvoir de surveillance et de sanction,

–        le pouvoir de définir les critères de référence aux fins de la détermination de la compensation équitable,

–        le pouvoir de déterminer, en cas d’absence d’accord entre les parties, le montant exact de la compensation équitable ?

2)      L’article 15 de la directive 2019/790 s’oppose-t-il à des dispositions nationales, telles que celles visées dans la première question, qui imposent aux [PSSI] une obligation de divulgation de données soumise au contrôle de l’[AGCOM] et dont le non-respect entraîne l’application de sanctions administratives ?

3)      Les principes [...] de la liberté d’entreprise, visé aux articles 16 et 52 de la [Charte], de libre concurrence, visé à l’article 109 TFUE, et de proportionnalité, visé à l’article 52 de la [Charte], s’opposent-ils à des dispositions nationales, telles que celles énoncées ci-dessus, qui :

a)      introduisent des droits à rémunération, en sus des droits exclusifs prévus à l’article 15 de la directive 2019/790, dont la mise en œuvre s’accompagne de l’introduction d’une obligation, déjà rappelée, imposant aux [PSSI] d’entamer des négociations avec les éditeurs, de fournir aux éditeurs et/ou à l’[AGCOM] les informations nécessaires pour déterminer une compensation équitable, et de ne pas restreindre la visibilité des contenus de l’éditeur dans les résultats de recherche dans l’attente de ces négociations ;

b)      confèrent à l’[AGCOM] :

–        un pouvoir de surveillance et de sanction,

–        le pouvoir de définir les critères de référence aux fins de la détermination de la compensation équitable,

–        le pouvoir de déterminer, en cas d’absence d’accord entre les parties, le montant exact de la compensation équitable ? »

15.      La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 21 décembre 2023. Des observations écrites ont été déposées par Meta, par la Federazione Italiana Editori Giornali (FIEG), par les gouvernements italien, belge, danois et français ainsi que par la Commission européenne. Meta, la FIEG, la Società italiana degli autori ed editori (SIAE, société italienne des auteurs et éditeurs), Gedi Gruppo Editoriale SpA, les gouvernements italien, français et polonais, ainsi que la Commission, ont participé à l’audience qui s’est tenue le 10 février 2025.

 Analyse

16.      La juridiction de renvoi pose dans la présente affaire trois questions préjudicielles. Les deux premières questions, que j’analyserai conjointement, visent la compatibilité avec l’article 15 de la directive 2019/790 de différentes mesures adoptées par le législateur italien et concernant la nature de la rémunération due aux éditeurs de presse, les obligations pesant sur les fournisseurs des services de la société de l’information (ci-après les « FSSI ») qui utilisent des publications de presse, ainsi que les pouvoirs de l’AGCOM. La troisième question concerne la compatibilité de ces mesures avec les articles 16 et 52 de la Charte ainsi qu’avec l’article 109 TFUE.

17.      À titre de remarque liminaire concernant l’ensemble des questions soulevées, j’observe que tant le litige au principal que la demande de décision préjudicielle ainsi que les observations déposées dans la présente procédure révèlent un profond désaccord entre les intéressés quant à l’interprétation à donner aux dispositions du droit italien en cause au principal. Ce désaccord oppose, d’un côté, Meta, dont l’interprétation semble être partagée par la juridiction de renvoi, et de l’autre côté le gouvernement italien, les organisations des éditeurs intervenantes, ainsi que, selon les informations fournies par la Commission, l’AGCOM. Il porte, d’une part, sur la nature de la rémunération des éditeurs de presse prévue par ces dispositions et, d’autre part, sur le caractère contraignant des obligations imposées aux FSSI ainsi que des pouvoirs conférés à l’AGCOM. Dans le cadre de la procédure préjudicielle, la Cour ne pourra que définir les conditions sous lesquelles lesdites dispositions peuvent être considérées conformes au droit de l’Union, l’interprétation des dispositions du droit interne relevant de la seule compétence des juridictions nationales. Je soulignerai ce principe dans les présentes conclusions tout en rappelant à la juridiction de renvoi l’obligation qui incombe à toute juridiction d’un État membre d’interpréter son droit national, dans la mesure du possible, en conformité avec le droit de l’Union.

 Sur les première et deuxième questions préjudicielles

18.      Par ses deux premières questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à vérifier la compatibilité avec l’article 15 de la directive 2019/790 : 1) de l’obligation de rémunération équitable des éditeurs de presse prétendument imposée aux FSSI [première question, sous a)], 2) d’autres obligations imposées aux FSSI [première question, sous b)] et 3) des pouvoirs de l’AGCOM dans le processus des négociations entre les FSSI et les éditeurs de presse [première question, sous c) et deuxième question]. Avant d’entamer l’analyse de ces différents aspects, je souhaite formuler quelques remarques générales sur l’article 15 de la directive 2019/790.

 Sur l’article 15 de la directive 2019/790

19.      En premier lieu, s’agissant de la nature des droits conférés aux éditeurs de presse à l’article 15 de la directive 2019/790, le paragraphe 1, premier alinéa, de cet article mentionne les « droits prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive [2001/29] ». Pour rappel, ces dernières dispositions confèrent, respectivement, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de reproduction de l’objet protégé (le droit de reproduction) et le droit exclusif de mettre à la disposition du public des objets protégés de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement (le droit de mise à la disposition du public).

20.      Selon Meta, cette formulation de l’article 15 de la directive 2019/790, faisant référence aux dispositions de la directive 2001/29, implique que les droits des éditeurs de presse ont exactement la même nature que les droits voisins visés par cette directive, c’est-à-dire des droits exclusifs permettant aux titulaires d’interdire ou d’autoriser, moyennant éventuellement une rémunération, l’utilisation des objets protégés, à des personnes souhaitant les utiliser, sur la base de la liberté contractuelle des deux parties et sans aucune intervention des pouvoirs publics.

21.      Je ne suis cependant pas persuadé que l’article 15 de la directive 2019/790 doive être interprété de cette manière. En effet, si l’objectif du législateur de l’Union avait simplement été de créer de nouveaux droits voisins du droit d’auteur au profit des éditeurs de presse, il lui suffisait d’élargir les listes des titulaires figurant à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29, et d’adapter éventuellement la durée de la protection des droits exclusifs ainsi établis dans la directive 2006/116/CE (9). Or, à mon sens, l’objectif de cet article 15 ne se limite pas à cela.

22.      En effet, la directive 2019/790 a pour finalité, ainsi qu’il ressort, notamment, de son considérant 3, de compléter le droit d’auteur de l’Union sur plusieurs points distincts, en vue de résoudre des problèmes particuliers liés, notamment, aux rapides développements technologiques et économiques dans l’environnement numérique. En ce qui concerne, plus particulièrement, les motifs de l’adoption de l’article 15 de cette directive, ceux-ci sont exposés, notamment, aux considérants 54 et 55 de celle-ci, selon lesquels la première préoccupation du législateur de l’Union a été de remédier aux difficultés mentionnées dans l’introduction des présentes conclusions.

23.      Il est certes vrai que, à cette fin, ce législateur a choisi d’accorder aux éditeurs de presse des droits exclusifs de reproduction et de mise à la disposition du public et que, selon le considérant 57 de la directive 2019/790, ces droits doivent « avoir la même portée que les droits [respectifs] prévus dans la directive [2001/29] ». Cette dernière affirmation est cependant contredite par le libellé même de l’article 15 de cette directive.

24.      En effet, si le droit de reproduction, au sens de l’article 2 de la directive 2001/29, concerne « la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie » de l’objet protégé et si le droit de mise à la disposition du public, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive englobe tout acte de mise à la disposition du public de l’objet protégé de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement, les droits des éditeurs de presse, prévus à l’article 15 de la directive 2019/790, ont une portée bien plus limitée. Ainsi, ces droits concernent uniquement l’utilisation en ligne des publications des éditeurs de presse par des FSSI. Sont explicitement exclues les utilisations faites par des utilisateurs individuels de ces services à titre privé ou non commercial, ainsi que les « actes d’hyperliens » (10). Par ailleurs, les droits des éditeurs de presse ne s’appliquent pas à l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de leurs publications, limitation qui ne semble pas s’appliquer à d’autres droits voisins du droit d’auteur (11). En revanche, toutes les exceptions et limitations applicables en vertu de l’article 5 de la directive 2001/29 sont également applicables aux droits des éditeurs de presse. Enfin, la durée de la protection de ces droits, qui est de deux ans, est nettement plus courte que celle d’autres droits voisins, qui sont en principe protégés pendant cinquante ans (12).

25.      Les droits des éditeurs de presse n’ont donc pas le caractère général des droits d’auteur ou d’autres droits voisins, mais sont ciblés sur la réalisation de l’objectif de l’article 15 de la directive 2019/790. Or, cet objectif consiste non pas simplement à permettre aux éditeurs de presse de s’opposer à l’utilisation de leurs publications par les FSSI sans contrepartie financière, car cela aurait été potentiellement plus préjudiciable pour les éditeurs que pour les FSSI, mais à établir les conditions dans lesquelles ces publications sont effectivement utilisées, tout en permettant aux éditeurs de percevoir une partie équitable des revenus tirés par les FSSI de cette utilisation. Par conséquent, si ces droits restent, en substance, des droits exclusifs et préventifs d’autoriser ou d’interdire, je suis d’avis que les États membres doivent disposer, lors de leur mise en œuvre, d’une marge d’appréciation étendue leur permettant de prendre en compte l’objectif de l’article 15 de la directive 2019/790, avec toutes les difficultés liées à sa réalisation, et de prévoir des mesures allant au-delà de ce qui est normalement prévu pour la mise en œuvre des droits d’auteur et des droits voisins, notamment par la directive 2004/48/CE (13).

26.      En second lieu, il me semble utile de donner quelques précisions s’agissant de l’applicabilité de l’article 15 de la directive 2019/790 aux FSSI tels que Meta, c’est-à-dire aux prestataires de services dits « média sociaux ». En effet, le débat ayant eu lieu à ce sujet, à la suite d’une question posée par la Cour aux participants à l’audience, me semble avoir révélé certains malentendus. Or, s’il est vrai, comme le souligne la Commission, que la procédure au principal concerne non pas un cas d’application concret des dispositions du droit italien prises pour mettre en œuvre l’article 15 de cette directive, mais le contrôle abstrait de leur légalité, ces précisions permettront, me semble-t-il, de mieux comprendre la portée de cet article ainsi que les enjeux liés à sa mise en œuvre.

27.      Ainsi, il est certes clair que le service de réseau social tel que Facebook, proposé par Meta, répond à la définition de « service de la société de l’information », contenue à l’article 2, point 5, de la directive 2019/790, lu conjointement avec l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive (UE) 2015/1535 (14). Cependant, le modèle de fonctionnement de ce service est fondé sur les contenus téléversés par les utilisateurs. Or, l’article 15, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2019/790 exclut du champ d’application des droits des éditeurs de presse les utilisations de leurs publications par les utilisateurs des services de la société de l’information à titre privé ou non commercial. Dans ce contexte se pose la question de savoir dans quelle mesure l’utilisation des publications de presse dans le cadre d’un réseau social doit être considérée comme étant couverte par les droits prévus à l’article 15 de cette directive.

28.      Les utilisateurs d’un réseau social sont susceptibles de partager sur leurs comptes des publications de presse. Lorsque cela est fait à titre privé (c’est-à-dire quand le contenu n’est visible que pour un cercle limité de destinataires pouvant être qualifié de privé) ou non commercial (c’est-à-dire sans lien avec une activité lucrative de l’utilisateur en cause), ces actes ne relèvent pas des droits exclusifs des éditeurs de presse, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2019/790.

29.      Cependant, comme l’ont souligné plusieurs participants à l’audience, le réseau Facebook ne se limite pas à être un lieu passif de partage de contenus entre utilisateurs. À l’aide d’algorithmes sophistiqués, il propose aux utilisateurs des contenus concrets en fonction de leurs centres d’intérêt supposés, sans que ces utilisateurs n’aient effectué de recherche sur ces contenus ou que ceux-ci leurs soient proposés par d’autres utilisateurs. Facebook est donc un véritable fournisseur de contenus autonome, dont la spécificité est que les contenus ne sont ni créés ni acheté par lui : ils sont téléversés par les utilisateurs et c’est ensuite Facebook qui se charge de proposer ces contenus aux utilisateurs. Une telle utilisation ne saurait, à mon avis, être attribuée aux utilisateurs, mais doit être considérée comme effectuée par le FSSI qu’est Meta et, par conséquent, dans la mesure où elle concerne des publications de presse, comme relevant des droits exclusifs des éditeurs.

30.      En revanche, lorsque les éditeurs de presse partagent eux-mêmes leurs propres publications sur un réseau social comme Facebook, ils ne sauraient prétendre à aucune rémunération au titre des droits prévus à l’article 15 de la directive 2019/790, y compris pour les utilisations subséquentes de ces publications par le réseau social dans le cadre prévu dans les conditions de fourniture du service en cause. Cela découle de la nature de ces droits en tant que droits exclusifs. Le titulaire d’un tel droit ayant lui-même mis à la disposition du public l’objet protégé sur un réseau social ou tout autre service de la société de l’information devrait en effet être supposé avoir donné son autorisation pour les utilisations de cet objet conformes aux conditions de fourniture du service en cause (15).

 Sur le droit à une compensation équitable

31.      Par sa première question, sous a), la juridiction de renvoi demande si l’article 15 de la directive 2019/790 s’oppose à ce que soit octroyé aux éditeurs de presse le droit à une « compensation équitable » qui s’ajouterait au droit exclusif établi à cet article, ou le remplacerait. En effet, Meta soutient, dans son recours au principal ainsi que dans ses observations en l’espèce, qu’un tel droit a été instauré par les dispositions du droit italien prises pour transposer cet article. La juridiction de renvoi semble partager ce point de vue. En revanche, le gouvernement italien affirme que cette interprétation des dispositions nationales en cause est erronée, la « compensation équitable » dont il y est question n’étant que le résultat des négociations menées entre les éditeurs de presse et les FSSI relatives à l’utilisation des publications de presse par ces derniers.

32.      Il est vrai que l’emploi du terme « compensation équitable », à l’article 43 bis, paragraphe 8, de la loi no 633/1941, n’est pas opportun, dans la mesure où ce terme évoque non pas un droit exclusif de nature préventive, tel que ceux établis à l’article 15 de la directive 2019/790, mais un simple droit à rémunération ou à compensation, sans possibilité pour le titulaire de s’opposer à l’utilisation de l’objet protégé (16). Or, il est de jurisprudence désormais constante que les titulaires d’un droit exclusif de nature préventive, que celui-ci relève du droit d’auteur ou des droits voisins, ne sauraient être privés, même moyennant une contrepartie financière, de la faculté de donner, ou non, leur autorisation préalablement à toute utilisation des objets protégés, sous réserve des exceptions et des limitations à ce droit prévues par les dispositions du droit de l’Union pertinentes (17). Si les modalités de cette autorisation peuvent être aménagées, y compris par le recours à la gestion collective des droits ou à des présomptions (réfragables), le principe du consentement préalable persiste (18). Ainsi, dans la mesure où les droits des éditeurs de presse, prévus à l’article 15 de la directive 2019/790, sont des droits exclusifs de nature préventive, transformer ces droits en un simple droit d’obtenir une compensation équitable au titre de l’utilisation des publications des éditeurs par les FSSI, sans possibilité pour les éditeurs de s’opposer à cette utilisation, serait contraire à cette disposition.

33.      Par ailleurs, à l’instar d’autres dispositions du droit de l’Union établissant des droits voisins du droit d’auteur, l’article 15 de la directive 2019/790 doit, à mon avis, être interprété comme une mesure d’harmonisation complète du contenu matériel des droits qui y sont conférés (19). Il n’est donc pas loisible aux États membres de prévoir le droit à une compensation équitable additionnel à ces droits. Notamment, les FSSI ne sauraient être tenus de verser une telle compensation lorsqu’ils n’utilisent pas des publications de presse protégées au titre de cette disposition.

34.      Enfin, le considérant 82 de la directive 2019/790 énonce qu’aucune disposition de celle-ci ne devrait être interprétée comme faisant obstacle à ce que les titulaires des droits d’auteur et des droits voisins autorisent l’utilisation, à titre gracieux, de leurs œuvres ou d’autres objets protégés. À supposer que cela concerne aussi les droits prévus à l’article 15 de cette directive, cet article devrait être interprété en ce sens que les éditeurs de presse sont libres d’octroyer des licences pour l’utilisation de leurs publications sans exiger de compensation pécuniaire. Cela est inhérent à la nature même d’un droit exclusif, qui ne comporte pas de droit inaliénable à rémunération.

35.      Cependant,  c’est à la lumière de l’ensemble des dispositions de l’article 43 bis de la loi no 633/1941, ainsi que des dispositions d’exécution, que doit être lu le paragraphe 8 de cet article. Or, s’agissant du système établi par ces dispositions, il semble qu’une autorisation préalable des éditeurs de presse est requise pour l’utilisation de leurs publications par les FSSI, cette autorisation devant être donnée au terme des négociations libres, bien qu’assistées, entre les parties. Par ailleurs, ledit article ne semble pas s’opposer, notamment, à ce que les éditeurs refusent de donner leur autorisation, ni à ce qu’ils la donnent à titre gratuit. Quant à l’obligation qui incombe aux FSSI de conclure un contrat avec les éditeurs de presse, elle semble être liée à l’utilisation effective des publications de presse par les FSSI ou, à tout le moins, l’intention d’une telle utilisation. Il n’y est donc pas question d’un payement sans utilisation.

36.      Ainsi, il semble ressortir de la lecture des dispositions italiennes en cause que le terme « compensation équitable » désigne, conformément à ce que soutient le gouvernement italien, la rémunération que les éditeurs de presse peuvent obtenir de la part des FSSI pour l’utilisation de leurs publications couvertes par les droits protégés en vertu de l’article 15 de la directive 2019/790. En effet, le législateur italien serait parti du principe que cette rémunération devrait être équitable.

37.      En tout état de cause, l’article 15 de la directive 2019/790 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des dispositions internes d’un État membre qui prévoient le droit, pour les éditeurs de presse, d’obtenir une rémunération équitable en contrepartie de leur autorisation d’utilisation de leurs publications par les FSSI, sous réserve que ces dispositions, d’une part, ne privent pas les éditeurs de la possibilité de refuser de donner leur autorisation ou de la donner à titre gratuit, et, d’autre part, n’imposent aux FSSI aucun payement sans lien avec une utilisation effective ou envisagée des publications de presse. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces conditions sont réunies, en tenant compte de l’obligation qui incombe à toute juridiction d’un État membre d’interpréter son droit national, dans la mesure du possible, en conformité avec le droit de l’Union.

 Sur les obligations incombant aux FSSI

38.      Par sa première question, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15 de la directive 2019/790 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les FSSI aient l’obligation d’entamer des négociations avec les éditeurs, de fournir les informations nécessaires à la détermination de la rémunération due et de ne pas limiter la visibilité des contenus des éditeurs durant la période des négociations. Les doutes de la juridiction de renvoi tiennent au fait que le législateur italien est allé au-delà du contenu normatif de cette disposition et qu’il a introduit des mécanismes d’intervention publique dans un domaine qui devrait être, selon elle, régi par la seule volonté des parties intéressées exprimée lors des négociations libres.

39.      Il ne me semble cependant pas que cela soit suffisant pour conclure à l’incompatibilité de la législation italienne avec l’article 15 de la directive 2019/790.

40.      En effet, si, comme je l’ai déjà mentionné, les dispositions du droit d’auteur de l’Union établissant des droits protégés, telle que l’article 15 de la directive 2019/790, doivent être considérées comme constituant une mesure d’harmonisation complète du contenu matériel de ces droits (20), il n’en va pas de même des mesures de mise en œuvre desdits droits. En effet, les directives lient les État membres en ce qui concerne le résultat à atteindre, en leur laissant le choix de la forme et des moyens.

41.      Si les États membres l’estiment nécessaire, ils ont donc la faculté d’aménager l’exercice des droits exclusifs de manière à en assurer l’efficacité. Il en est ainsi, notamment, des droits instaurés à l’article 15 de la directive 2019/790, dont l’objectif est de déterminer les conditions  permettant aux éditeurs de presse d’obtenir une rémunération pour les utilisations en ligne de leurs publications (21). Compte tenu du déséquilibre significatif existant, sur le marché, entre ces éditeurs et les FSSI, les États membres sont en droit d’adopter des mesures afin d’y remédier en imposant, notamment, aux fournisseurs des obligations concrètes en ce qui concerne la poursuite des négociations en vue d’obtenir l’autorisation d’utiliser ces publications.

42.      De telles obligations additionnelles ne sont donc pas contraires à l’article 15 de la directive 2019/790, à condition qu’elles n’affectent pas, notamment, le caractère des droits établis à cette disposition en tant que droits exclusifs de nature préventive. Les obligations imposées aux FSSI, visées par la première question, sous b), ne me semblent pas être en contradiction avec cette condition.

43.      Ainsi, l’obligation d’entamer des négociations avec les éditeurs de presse, qui, selon Meta, ressort de la lecture de l’article 43 bis, paragraphes 8 à 10, de la loi no 633/1941, ne semble s’appliquer que dans le cas d’une utilisation effective ou envisagée des publications de presse par un FSSI. Dans la mesure où l’article 15 de la directive 2019/790 accorde aux éditeurs des droits exclusifs pour de telles utilisations, il est naturel que les FSSI doivent obtenir l’autorisation préalable des éditeurs, dont les modalités d’octroi doivent être négociées entre les intéressés.

44.      En revanche, cette disposition du droit national ne saurait être interprétée en conformité avec l’article 15 de la directive 2019/790 en ce sens qu’elle imposerait aux FSSI de négocier l’autorisation des éditeurs de presse pour des utilisations que les FSSI n’envisagent pas, ou d’utiliser les publications des éditeurs lorsqu’ils ne le souhaitent pas.

45.      Une telle obligation ne semble, notamment, pas ressortir de l’interdiction pour les FSSI, lors des négociations en question, de dissimuler les publications des éditeurs de presse dans les résultats de recherche. En effet, en premier lieu, s’il est question des publications qui apparaissent dans les résultats de recherche, il est permis de présumer qu’elles sont utilisées dans les conditions visées à l’article 15 de la directive 2019/790. En second lieu, dès lors que cette interdiction s’applique dans le cadre des négociations entre les fournisseurs et les éditeurs, ces négociations semblent constituer l’évènement préalable au déclenchement de cette interdiction. Il n’est donc pas question d’une obligation générale pour les FSSI d’utiliser les publications de presse de manière relevant des droits exclusifs établis à cet article.

46.      Cette interdiction semble donc destinée uniquement à prévenir tout comportement abusif des FSSI qui, du fait de leur position dominante sur le marché, pourraient tenter d’exercer une pression sur les éditeurs ou dissimuler la valeur économique que représente pour eux l’utilisation des publications de presse.

47.      Enfin, l’obligation de divulguer certaines informations a clairement pour objectif de palier au déséquilibre, à cet égard, entre les éditeurs de presse et les FSSI. En effet, seuls les FSSI disposent d’informations permettant d’évaluer la valeur économique que représente l’utilisation en ligne des publications de presse. Or, dans un marché où le pur jeu de l’offre et de la demande ne peut accomplir son rôle, du fait de la situation de quasi-monopole des plus importants FSSI et de la dépendance des éditeurs envers ces fournisseurs, la transparence concernant l’accès à ces informations paraît indispensable afin de garantir le caractère équitable des négociations concernant l’autorisation des éditeurs d’utiliser leurs publications.

48.      Une telle obligation n’est en revanche nullement incompatible avec le caractère exclusif et préventif des droits conférés aux éditeurs de presse à l’article 15 de la directive 2019/790. En effet, le fait que les titulaires soient libres d’autoriser l’utilisation de leurs objets protégés et que les utilisateurs potentiels le soient de solliciter une telle autorisation n’empêche pas le législateur d’adopter des mesures afin d’assurer le caractère équitable des négociations, une fois que les parties intéressées décident de les entamer.

49.      Pour conclure, l’article 15 de la directive 2019/790 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas aux différentes obligations imposées aux FSSI par les dispositions italiennes en cause au principal, sous réserve du respect des conditions mentionnées au point 37 des présentes conclusions.

 Sur les pouvoirs de l’AGCOM

50.      Par sa première question, sous c), ainsi que sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15 de la directive 2019/790 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales qui, dans le cadre des négociations menées en vue de l’octroi, par les éditeurs de presse, de l’autorisation d’utilisation de leurs publications par les FSSI, confèrent à une entité publique telle que l’AGCOM certaines compétences, à savoir le pouvoir de surveillance et de sanction, celui de définir les critères de référence aux fins de la détermination de la rémunération due par les FSSI aux éditeurs, celui de déterminer le montant exact d’une telle compensation en cas d’absence d’accord entre les parties et, enfin, celui de sanctionner le non-respect par un FSSI de l’obligation de divulgation d’informations.

51.      Comme dans le cadre de la question des obligations imposées aux FSSI, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la compatibilité d’un tel pouvoir d’ingérence d’une entité publique avec le principe des négociations libres entre les parties découlant, selon elle, du caractère exclusif et préventif des droits conférés aux éditeurs de presse à l’article 15 de la directive 2019/790.

52.      De nouveau, je ne pense pas qu’un tel pouvoir d’ingérence puisse être considéré comme contraire à cette disposition. De manière générale, en effet, du fait de la large marge de manœuvre dont ils disposent dans la transposition des dispositions d’une directive, telle que l’article 15 de la directive 2019/790, les États membres peuvent prévoir des mesures d’intervention publique concernant les négociations en vue de l’octroi des autorisations d’utilisation, à condition que cette intervention ne prive pas les parties de la liberté de solliciter, d’octroyer et de déterminer les conditions d’octroi de ces autorisations. Par conséquent, les dispositions nationales en cause au principal, pour être conformes à cet article, doivent être interprétées comme conférant à l’autorité publique – en l’occurrence, l’AGCOM – non pas des compétences de contrainte en ce qui concerne la conclusion du contrat et les termes de celui-ci, mais uniquement des compétences d’assistance aux parties et, éventuellement, de contrôle du respect par celles-ci des obligations qui leur incombent.

53.      Plus particulièrement, les critères établis par l’AGCOM pour déterminer le montant de la rémunération que doivent verser les FSSI, ainsi que le montant pouvant être éventuellement déterminé d’office par cette autorité en l’absence d’accord entre les parties, ne me semblent pas être contraignants pour celles-ci qui restent libres de conclure, ou non, le contrat sur la base de ces propositions ou de fixer un montant différent pour cette rémunération. Une telle intervention publique, limitée à des mesures d’assistance aux parties, me paraît justifiée, dès lors qu’il s’agit de droits nouvellement créés, dont la valeur sur le marché n’est donc pas encore bien déterminée, et d’un marché sur lequel il existe une relation de dominance et de dépendance entre les acteurs. En outre, dans la mesure où les parties restent libres de déterminer de manière définitive les termes de leurs relations, cette intervention ne me paraît pas incompatible avec le caractère exclusif et préventif des droits accordés aux éditeurs de presse à l’article 15 de la directive 2019/790.

54.      En ce qui concerne le pouvoir de contrôle et de sanction de l’AGCOM eu égard au respect de l’obligation de divulgation d’informations qui incombe aux FSSI, je rappelle (22) que, selon moi, cette obligation est conforme à l’article 15 de la directive 2019/790. Un pouvoir de contrôle du respect de cette obligation par une autorité publique, assorti de sanctions éventuelles en cas de son non-respect, ne saurait par conséquent être regardé comme contraire à cette disposition, sous réserve du respect du principe de proportionnalité.

55.      Ainsi, l’article 15 de la directive 2019/790 doit être interprété en ce sens que, tout comme dans le cas des obligations imposées aux FSSI, il ne s’oppose pas aux pouvoirs de l’AGCOM prévus par les dispositions italiennes en cause au principal, dès lors que ceux-ci ne privent pas les parties intéressées de la liberté de solliciter et d’octroyer une autorisation pour utiliser en ligne des publications de presse ainsi que de déterminer le montant d’une éventuelle rémunération au titre de cette autorisation.

 Remarques finales concernant l’article 15 de la directive 2019/790 et réponse aux questions

56.      Deux remarques me semblent nécessaires afin de compléter l’analyse de l’article 15 de la directive 2019/790.

57.      D’une part, j’observe que, en vertu de l’article 43 bis, paragraphe 11, de la loi no 633/1941, lorsque les parties ne parviennent pas à trouver un accord même sur la base du montant de la rémunération déterminé par l’AGCOM, chacune d’elles peut intenter un recours en justice. Cette question n’ayant pas été soulevée par la juridiction de renvoi, l’objet d’un tel recours n’est pas tout à fait clair. Il est vrai que cette disposition vise un recours spécifique du droit italien qui, selon le gouvernement de cet État membre, permet uniquement de faire constater un abus par l’une des parties de la dépendance économique de l’autre partie. Cette indication est cependant précédée des termes « y compris » (23), ce qui pourrait suggérer que des recours ayant d’autres objets sont également possibles.

58.      Or, il serait à mon avis problématique si l’une des parties intéressées, en particulier un FSSI, pouvait contraindre, par la voie juridictionnelle, l’autre partie à conclure un contrat et à donner son autorisation pour utiliser des publications de presse. Une telle possibilité serait en effet en contradiction avec le caractère exclusif des droits conférés aux éditeurs de presse à l’article 15 de la directive 2019/790. Pour être conforme à cette disposition, le droit interne d’un État membre doit donc être interprété comme excluant une telle possibilité.

59.      D’autre part, Meta soutient dans ses observations que les mesures prises par le législateur italien pour la mise en œuvre de l’article 15 de la directive 2019/790 départent à tel point du libellé de cet article, ainsi que des mesures prises à cette fin par d’autres États membres, qu’elles aboutissent à une fragmentation du marché intérieur en ce qui concerne les droits des éditeurs de presse, mettant ainsi en péril l’objectif d’harmonisation visé par le législateur de l’Union.

60.      Il me semble cependant qu’une certaine fragmentation du marché intérieur est inhérente au droit d’auteur et aux droits voisins, en tout cas au stade actuel du développement du droit de l’Union dans ce domaine. En effet, l’octroi des licences d’exploitation des objets protégés se fait normalement pour un État membre donné et la gestion collective de ces droits est organisée sur une base nationale. Ainsi, l’harmonisation dans ce domaine concerne principalement le contenu des droits protégés (24), tandis que les modalités d’exploitation de ces droits restent régies par les systèmes juridiques nationaux et peuvent donc différer d’un État membre à l’autre.

61.      Les droits des éditeurs de presse, visés à l’article 15 de la directive 2019/790, ne sont pas ici une exception. Les autorisations pour utiliser des publications de presse doivent être négociées et obtenues selon les règles en vigueur dans chaque État membre, nécessairement différentes de celles des autres États membres. Je ne pense cependant pas que cela nuit à l’objectif d’harmonisation visé à cet article, qui concerne le contenu des droits des éditeurs. Par ailleurs, la République italienne n’est pas, à ma connaissance, le seul État membre ayant adopté des règles allant au-delà de la simple affirmation des droits exclusifs au profit des éditeurs de presse (25).

62.      Je propose donc de répondre aux première et deuxième questions que l’article 15 de la directive 2019/790 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas aux dispositions internes d’un État membre qui

–        prévoient, pour les éditeurs de presse, le droit d’obtenir une rémunération équitable en contrepartie de l’autorisation pour utiliser leurs publications par les FSSI,

–        imposent aux FSSI souhaitant utiliser de telles publications certaines obligations en matière de négociations avec lesdits éditeurs, de divulgation d’information et de bonne foi lors des négociations,

–        confèrent à une entité publique le pouvoir de réglementation, de contrôle et de sanction, y compris la possibilité de proposer des critères pour déterminer la rémunération due aux éditeurs ou le montant de cette rémunération,

sous réserve que ces dispositions ne privent pas les éditeurs de la possibilité de refuser de donner une telle autorisation ni de la donner à titre gratuit, qu’elles n’imposent aux FSSI aucun payement sans lien avec une utilisation effective ou envisagée de telles publications, et qu’elles ne limitent pas de manière contraignante la liberté contractuelle des parties. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces conditions sont réunies, en tenant compte de l’obligation qui incombe à toute juridiction d’un État membre d’interpréter son droit national, dans la mesure du possible, en conformité avec le droit de l’Union.

 Sur la troisième question préjudicielle

63.      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 16 et 52 de la Charte, ainsi que « [l]e principe [...] de libre concurrence visé à l’article 109 TFUE » doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions nationales, telles que décrites au point 62 des présentes conclusions, prises pour la transposition de l’article 15 de la directive 2019/790.

64.      Il y a lieu de remarquer d’emblée que l’article 109 TFUE ne contient pas un tel principe, car il concerne les compétences des institutions de l’Union pour prendre des mesures d’exécution des articles 107 et 108 TFUE, relatifs aux aides d’État. En revanche, dans les motifs de sa décision, la juridiction de renvoi vise, notamment, l’article 119 TFUE comme source de ce principe. Meta se réfère aussi, dans ses observations, à cette dernière disposition. Cependant, s’il est vrai que l’article 119 TFUE mentionne, à deux reprises, une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre », il se trouve dans la partie introductive du titre VIII, intitulé « La politique économique et monétaire » du traité FUE, et traite de la façon dont les États membres doivent coordonner leurs politiques économiques. Cet article n’est donc pas pertinent pour contrôler les mesures prises par les États membres pour transposer des dispositions d’harmonisation dans un domaine tel que le droit d’auteur.

65.      Dès lors que ni l’article 119 TFUE ni, d’autant moins, l’article 109 TFUE ne sont pertinents aux fin du contrôle de la conformité des dispositions nationales en cause au principal, je limiterai l’analyse de la troisième question aux seules dispositions de la Charte.

66.      L’article 16 de la Charte dispose que « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales » (26). La Cour a déjà eu l’occasion d’observer que, eu égard au libellé de cette disposition, qui se distingue de celui des autres libertés fondamentales consacrées au titre II de la Charte tout en étant proche de celui de certaines dispositions du titre IV de celle-ci, la liberté d’entreprise peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique et doit être prise en considération par rapport à sa fonction dans la société. Cette circonstance trouve notamment son reflet dans la manière dont il convient de mettre en œuvre le principe de proportionnalité en vertu de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (27). Par ailleurs, un juste équilibre doit être assuré entre la liberté d’entreprise et d’autres droits fondamentaux, notamment la protection de la propriété intellectuelle, consacrée à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte (28).

67.      Concernant le contenu de la liberté d’entreprise, la Cour a jugé que celle-ci comporte, notamment, la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre (29).

68.      Ainsi, les limitations de la liberté d’entreprise introduites dans un but d’intérêt général ne peuvent être considérées comme contraires à cette liberté qu’à titre exceptionnel, à savoir lorsqu’elles sont manifestement démesurées ou portent atteinte à sa substance (30).

69.      À mon avis, tel n’est pas le cas des mesures nationales en cause en l’espèce, comme décrites au point 62 des présentes conclusions, dès lors qu’elles satisfont aux conditions qui y sont énumérées. Ces mesures ont été prises dans l’objectif d’intérêt général, reconnu par le législateur de l’Union lors de l’adoption de la directive 2019/790, de renforcer la position des éditeurs de presse, acteurs importants dans toute société démocratique, face aux FSSI. Dans la mesure où les dispositions italiennes n’imposent pas aux intéressés de conclure des relations commerciales à des conditions déterminées de manière contraignante, je ne vois pas en quoi elles porteraient atteinte à la substance de la liberté d’exercer une activité économique ou à celle de la liberté contractuelle. Les différentes obligations imposées aux FSSI ainsi que les pouvoirs dont dispose l’AGCOM ne me paraissent pas, non plus, manifestement disproportionnés eu égard aux difficultés que rencontrent les éditeurs de presse pour percevoir les revenus dus pour l’utilisation de leurs publications en ligne.

70.      En ce qui concerne la libre concurrence, élément de la liberté d’entreprise auquel font référence Meta et la juridiction de renvoi, il convient d’observer qu’elle comporte, notamment, l’interdiction de l’abus de position dominante sur le marché, consacrée en droit de l’Union à l’article 102 TFUE. Or, les FSSI jouent un double rôle envers les éditeurs de presse : ils sont à la fois leurs fournisseurs, s’agissant des différents services de communication en ligne, et leurs concurrents, tant sur le marché de la diffusion de l’information que sur celui de la publicité. En cette double qualité, les FSSI sont donc particulièrement susceptibles de commettre des abus de leur éventuelle position dominante sur différents marchés sur lesquels sont également actifs les éditeurs de presse. Ainsi, les mesures destinées à renforcer le pouvoir de négociation des éditeurs doivent être considérées non pas comme portant atteinte à la libre concurrence, mais comme la favorisant.

71.      Par conséquent, je suis d’avis que l’article 16 de la Charte ainsi que l’article 52 de celle-ci, lequel ne fait que confirmer la possibilité, inhérente à la liberté d’entreprise, de prévoir des limitations aux droits consacrés par la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à des dispositions nationales, telles que décrites au point 62 des présentes conclusions, sous réserve des conditions qui y sont énumérées.

 Conclusion

72.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunale Amministrativo Regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) de la manière suivante :

L’article 15 de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE, ainsi que les articles 16 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas aux dispositions internes d’un État membre qui

–        prévoient pour les éditeurs de presse le droit d’obtenir une rémunération équitable en contrepartie de l’autorisation pour l’utilisation de leurs publications par les fournisseurs des services de la société de l’information,

–        imposent aux fournisseurs des services de la société de l’information souhaitant utiliser de telles publications certaines obligations en matière de négociations avec les éditeurs, de divulgation d’information et de bonne foi lors des négociations,

–        confèrent à une entité publique le pouvoir de réglementation, de contrôle et de sanction, y compris la possibilité de proposer des critères pour déterminer la rémunération due aux éditeurs ou le montant de cette rémunération,

sous réserve que ces dispositions ne privent pas les éditeurs de presse de la possibilité de refuser de donner une telle autorisation ni de celle de la donner à titre gratuit, qu’elles n’imposent aux fournisseurs des services de la société de l’information aucun payement sans lien avec une utilisation effective ou envisagée de telles publications, et qu’elles ne limitent pas de manière contraignante la liberté contractuelle des parties.


1      Langue originale : le français.


2      L’exemple du News Media Bargaining Code australien est souvent cité comme une référence.


3      Voir, parmi d’autres, Rosati, E., « Neighbouring Rights for Publishers : are National and (possible) EU Initiatives Lawful? », International review of intellectual property and competition law, 2016, vol. 47(5), p. 569. Les dispositions allemandes ont d’ailleurs fait l’objet d’une procédure judiciaire en raison de l’absence de leur notification en tant que règles relatives aux services (voir arrêt du 12 septembre 2019, VG Media, C‑299/17, EU:C:2019:716). En revanche, les éditeurs espagnols se sont heurtés au chantage exercé par l’opérateur du plus grand moteur de recherche sur Internet qui a arrêté d’inclure leurs publications dans son service d’agrégation.


4      Voir, notamment, IVIR Institute for Information Law, Academics Against Press Publishers’ Right, lettre ouverte du 24 avril 2018 (https://www.ivir.nl/academics-against-press-publishers-right) ; Geiger, Ch., Bulayenko, O., Frosio, G. F., « The Introduction of a Neighbouring Right for Press Publishers at EU Level : the Unneeded (and Unwanted) Reform », European Intellectual Property Review, 2017, vol. 39(4), p. 202 ; Colangelo, G., Torti, V., « Copyright, Online News Publishing and Aggregators : a Law and Economics Analysis of the EU Reform », International Journal of Law and Information Technology, 2019, vol. 27(1), p. 75 ; Sganga, C., Contardi, M., « When Harmonisation Leads to Fragmentation (and Potential Invalidity Claims) : Snapshots from the Implementation of the New Press Publishers’ Right », European Intellectual Property Review, 2022, vol. 44(8), p. 472, ainsi que, récemment, Balasingham, B., Kozak, M., Ruiz Palacios, T. A., « Fair P(l)ay in the Digital Arena – In Search of a Balanced Relationship Between Press Publishers and Digital News Aggregators », International Review of Intellectual Property and Competition Law, 6 mai 2025.


5      Furgał, U., « The Emperor Has No Clothes : How the Press Publishers’ Right Implementation Exposes Its Shortcomings », GRUR International, 2023, vol. 72(7), p. 650.


6      JO 2019, L 130, p. 92.


7      Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).


8      GURI no 166, du 16 juillet 1941.


9      Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO 2006, L 372, p. 12).


10      Sans qu’il soit précisé s’il s’agit aussi d’hyperliens qui, en vertu de l’arrêt du 8 septembre 2016, GS Media (C‑160/15, EU:C:2016:644), constituent des actes de communication au public, au sens de l’article 3 de la directive 2001/29.


11      Voir arrêt du 29 juillet 2019, Pelham e.a. (C‑476/17, EU:C:2019:624, point 1 du dispositif).


12      Article 3 de la directive 2006/116.


13      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45).


14      Directive du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1).


15      Voir, par analogie, arrêt du 16 novembre 2016, Soulier et Doke (C‑301/15, EU:C:2016:878, points 35 et suiv.).


16      Selon certains auteurs de la doctrine, ce « glissement terminologique » s’explique par l’association faite avec la compensation au titre de l’exception pour copie privée. Voir Sganga, C., Contardi, M., « The new Italian Press Publishers’ Right : Creative, Fairness-oriented … and Invalid? », Journal of Intellectual Property Law & Practice, 2022, no 5, p. 421 à 428. En effet, la « compensation équitable » est mentionnée à l’article 16 de la directive 2019/790, qui prévoit que les éditeurs de presse ont le droit de percevoir une partie de cette compensation versée au titre des œuvres dont ces éditeurs ont acquis les droits d’utilisation.


17      Voir, en dernier lieu, arrêt du 6 mars 2025, ONB e.a. (C‑575/23, EU:C:2025:141, points 105 et 106 ainsi que jurisprudence citée).


18      Voir arrêt du 14 novembre 2019, Spedidam (C‑484/18, EU:C:2019:970, points 42 et 43).


19      Voir, par analogie, arrêt du 29 juillet 2019, Pelham e.a. (C‑476/17, EU:C:2019:624, point 5 du dispositif).


20      Arrêt du 29 juillet 2019, Pelham e.a. (C‑476/17, EU:C:2019:624, point 5 du dispositif).


21      Voir point 25 des présentes conclusions.


22      Voir points 47 et 48 des présentes conclusions.


23      Pour rappel, selon cette disposition, « [l]orsque, après la détermination de la compensation équitable par l’[AGCOM], les parties ne parviennent pas à conclure le contrat, chacune d’elles peut saisir la chambre de la juridiction ordinaire spécialisée en matière d’entreprises [...], y compris pour intenter le recours visé à l’article 9 de la loi no 192 du 18 juin 1998 ».


24      Ainsi que, dans une moindre mesure, leur protection et leur gestion collective.


25      Des mesures en ce sens ont été prises, notamment, en Belgique, en France et en Espagne (voir : Furgał, U., op. cit.).


26      Mise en italique par mes soins.


27      Arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich (C‑283/11, EU:C:2013:28, points 45 à 47).


28      Voir, notamment, arrêt du 15 septembre 2016, Mc Fadden (C‑484/14, EU:C:2016:689, points 81 à 83).


29      Arrêt du 2 juin 2022, Skeyes (C‑353/20, EU:C:2022:423, point 48).


30      Voir en ce sens, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis (C‑201/15, EU:C:2016:972, points 82 à 88).

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