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Document 62008CC0229

    Conclusions de l'avocat général Bot présentées le 3 septembre 2009.
    Colin Wolf contre Stadt Frankfurt am Main.
    Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Frankfurt am Main - Allemagne.
    Directive 2000/78/CE - Article 4, paragraphe 1 - Interdiction de discriminations fondées sur l’âge - Disposition nationale fixant à 30 ans l’âge maximal de recrutement de fonctionnaires dans le cadre d’emploi des pompiers - Objectif poursuivi - Notion d’‘exigence professionnelle essentielle et déterminante’.
    Affaire C-229/08.

    Recueil de jurisprudence 2010 I-00001

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2009:509

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. YVES BOT

    présentées le 3 septembre 2009 ( 1 )

    Affaire C-229/08

    Colin Wolf

    contre

    Stadt Frankfurt am Main

    «Directive 2000/78/CE — Article 4, paragraphe 1 — Interdiction de discriminations fondées sur l’âge — Disposition nationale fixant à 30 ans l’âge maximal de recrutement de fonctionnaires dans le cadre d’emploi des pompiers — Objectif poursuivi — Notion d’‘exigence professionnelle essentielle et déterminante’»

    1. 

    Dans la présente demande de décision préjudicielle, le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (Allemagne) cherche principalement à savoir si une disposition nationale, qui fixe à 30 ans l’âge maximal pour être recruté dans le service technique intermédiaire des pompiers, est une mesure justifiée au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 2 ).

    2. 

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Wolf à la Stadt Frankfurt am Main (ville de Francfort-sur-le-Main) à propos du refus de cette dernière de prendre en compte la candidature de M. Wolf à un recrutement dans le service technique intermédiaire des pompiers, en raison du fait qu’il avait dépassé la limite d’âge de 30 ans.

    3. 

    Dans les présentes conclusions, nous expliquerons pourquoi nous considérons que la réglementation allemande prévoyant une telle limite d’âge est justifiée au regard des articles 4, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

    I — Le cadre juridique

    A — La directive 2000/78

    4.

    Aux termes de son article 1er, la directive 2000/78 a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

    5.

    Selon le dix-huitième considérant de cette directive, celle-ci «ne saurait, notamment, avoir pour effet d’astreindre les forces armées ainsi que les services de police, pénitentiaires ou de secours à embaucher ou à maintenir dans leur emploi des personnes ne possédant pas les capacités requises pour remplir l’ensemble des fonctions qu’elles peuvent être appelées à exercer au regard de l’objectif légitime de maintenir le caractère opérationnel de ces services».

    6.

    L’article 2 de ladite directive énonce:

    «1.   Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

    2.   Aux fins du paragraphe 1:

    a)

    une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

    […]»

    7.

    L’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 précise:

    «Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

    a)

    les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion.»

    8.

    L’article 4, paragraphe 1, de cette directive est libellé ainsi:

    «Nonobstant l’article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.»

    9.

    L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive dispose:

    «Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

    Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

    a)

    la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

    b)

    la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;

    c)

    la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite.»

    10.

    L’article 17 de la directive 2000/78 est libellé ainsi:

    «Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues qui peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. […]»

    B — La réglementation nationale

    1. La réglementation du Land de Hesse

    11.

    Le règlement sur les carrières des fonctionnaires des services d’intervention des pompiers professionnels du Land de Hesse (Hessische Feuerwehrlaufbahnverordnung), du 21 décembre 1994 ( 3 ), prévoit, à son article 3, paragraphe 1, point 1, que peut être recrutée dans la carrière du service intermédiaire toute personne qui est âgée de 30 ans au plus.

    12.

    Les articles 194 et 197 de la loi sur la fonction publique du Land de Hesse (Hessisches Beamtengesetz), du 21 mars 1962 ( 4 ), sont rédigés ainsi:

    «Article 194 — Mise à la retraite

    (1)   Les agents de police à vie sont mis à la retraite à la fin du mois au cours duquel ils atteignent soixante ans révolus (limite d’âge).

    (2)   Dans l’intérêt du service et à la demande de l’agent de police, la mise à la retraite peut être reportée au-delà de l’âge de soixante ans révolus, pour une durée définie qui ne peut dépasser une année à chaque fois, au maximum jusqu’à l’âge de soixante-deux ans révolus.

    […]

    Article 197 — Statut juridique

    (1)   Les dispositions des articles 187 et 192 à 194 s’appliquent par analogie aux fonctionnaires des services d’intervention des pompiers professionnels.

    […]»

    2. La réglementation fédérale

    13.

    La loi sur la pension des fonctionnaires et des juges fédéraux et régionaux (Gesetz über die Versorgung der Beamten und Richter in Bund und Ländern), du 24 août 1976 ( 5 ), dispose, à ses articles 4 et 14, dans leur version applicable au jour des faits au principal:

    «Article 4 — Ouverture et calcul du droit à pension

    (1)   Une pension n’est octroyée qu’à condition que le fonctionnaire

    1.

    ait effectué une période de service d’au moins cinq années

    […]

    Article 14 — Montant de la pension

    (1)   Pour chaque année de service ouvrant droit à la pension, la pension s’élève à 1,79375% des traitements ouvrant droit à la pension (article 5), sans toutefois dépasser au total 71,75%.

    […]

    (4)   La pension s’élève au moins à 35% des traitements ouvrant droit à la pension (article 5).

    […]»

    14.

    La loi générale sur l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz), du 14 août 2006 ( 6 ), a transposé la directive 2000/78.

    15.

    L’article 15 de l’AGG est libellé ainsi:

    «Article 15 — Indemnisation et dommages et intérêts

    (1)   En cas de violation de l’interdiction de discrimination, l’employeur est tenu de procéder à l’indemnisation du préjudice causé. Il n’en va pas ainsi si l’employeur n’est pas responsable de la violation.

    (2)   Le travailleur peut demander une indemnisation pécuniaire appropriée pour un préjudice non patrimonial. En cas de non-recrutement, l’indemnisation ne peut dépasser trois salaires mensuels si le travailleur n’aurait pas été recruté en cas de sélection non discriminatoire.

    (3)   En cas d’application d’accords collectifs, l’employeur n’est tenu de procéder à l’indemnisation qu’au cas où il agit intentionnellement ou par négligence grave.

    […]»

    II — Le litige au principal et les questions préjudicielles

    16.

    Par lettre parvenue le 4 octobre 2006 à la direction des services d’incendie de la Stadt Frankfurt am Main, M. Wolf, né le , s’est porté candidat pour un recrutement dans le service technique intermédiaire des pompiers.

    17.

    Le 13 novembre 2006, la Stadt Frankfurt am Main a informé M. Wolf que le prochain recrutement aurait lieu le . Cette date a cependant été reportée au avec une procédure de sélection au mois d’août 2007.

    18.

    Par lettre du 28 février 2007, la Stadt Frankfurt am Main a informé M. Wolf qu’elle ne pouvait pas prendre en compte sa candidature en raison du fait qu’il dépassait la limite d’âge de 30 ans.

    19.

    Le 12 avril 2007, M. Wolf a demandé à la Stadt Frankfurt am Main une indemnité sur le fondement de l’article 21 de l’AGG. Le montant des dommages et intérêts réclamés correspondait au triple du salaire mensuel qu’il aurait perçu en cas de recrutement.

    20.

    Cette demande ayant été rejetée par décision du 4 mai 2007, confirmée le , M. Wolf a saisi le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main pour obtenir l’annulation des décisions des et ainsi que la condamnation de la Stadt Frankfurt am Main au paiement de dommages et intérêts.

    21.

    Devant cette juridiction, il a soutenu que la FeuerwLVO est contraire à l’AGG.

    22.

    La juridiction de renvoi, ayant des doutes quant à la compatibilité de la législation allemande avec les articles 6 et 17 de la directive 2000/78, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les dix questions préjudicielles suivantes:

    «1)

    Dans l’exercice de la marge de manœuvre ouverte par l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, le législateur national dispose-t-il en général d’un pouvoir d’appréciation et d’organisation étendu ou cette marge de manœuvre est-elle en tout cas limitée à ce qui est nécessaire en ce qui concerne la fixation d’un âge maximal de recrutement compte tenu de la nécessité d’une période d’emploi minimale avant la retraite, conformément à l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de ladite directive?

    2)

    L’exigence de nécessité au sens de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de la directive 2000/78 précise-t-elle l’exigence de caractère approprié de la mesure mentionnée à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive et restreint-elle ainsi le champ d’application de cette règle formulée de manière générale?

    3)

    a)

    Le fait que, grâce à un âge maximal de recrutement, un employeur poursuive son intérêt à une période de service actif la plus longue possible pour les fonctionnaires à recruter constitue-t-il un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78?

    b)

    La réalisation d’un tel objectif est-elle déjà inappropriée si elle a pour conséquence que les fonctionnaires se trouvent en service plus longtemps que ce qui est requis pour l’ouverture du droit à la pension minimale garantie par la loi en cas de départ anticipé à la retraite à l’issue de cinq années de service?

    c)

    La réalisation d’un tel objectif ne devient-elle inappropriée que si elle a pour conséquence que les fonctionnaires se trouvent en service plus longtemps que le temps de service nécessaire, du point de vue mathématique, pour l’obtention de la pension minimale garantie par la loi en cas de départ à la retraite anticipé — actuellement 19,51 années?

    4)

    a)

    Le fait, grâce à un âge maximal de recrutement le moins élevé possible, de limiter le plus possible le nombre global de fonctionnaires à recruter afin de restreindre autant que possible le nombre de prestations individuelles telles que l’assurance accident ou l’assurance maladie (allocations, également pour les membres de la famille) constitue-t-il un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78?

    b)

    À cet égard, quelle importance présente le fait que, avec l’âge, les prestations d’assistance sociale en cas d’accident ou les allocations en cas de maladie (également pour les membres de la famille) deviennent plus élevées que pour les jeunes fonctionnaires, de sorte que, en cas de recrutement de fonctionnaires plus âgés, les frais totaux relatifs à ces postes de dépenses pourraient s’accroître?

    c)

    À cet égard, des pronostics ou statistiques sûrs doivent-ils être disponibles ou des probabilités générales suffisent-elles?

    5)

    a)

    Le fait qu’un employeur souhaite appliquer un certain âge maximal de recrutement afin de garantir ‘une structure des âges équilibrée dans les différentes carrières’ constitue-t-il un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78?

    b)

    Le cas échéant, à quelles exigences doivent répondre les considérations relatives à la configuration d’une telle structure des âges afin de satisfaire aux conditions d’existence d’un élément de justification (caractère approprié et nécessaire)?

    6)

    Concernant l’âge maximal de recrutement, le fait que l’employeur indique qu’il est généralement possible de remplir les conditions matérielles de recrutement pour une formation dans les services intermédiaires des pompiers, à savoir une formation scolaire correspondante et une formation professionnelle, jusqu’à ce que cet âge soit atteint constitue-t-il une considération légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78?

    7)

    Quels sont les critères permettant d’apprécier si une période minimale d’emploi avant la retraite est appropriée ou nécessaire?

    a)

    La nécessité d’une période minimale d’emploi peut-elle être justifiée exclusivement en tant que compensation pour l’obtention d’une qualification auprès de l’employeur, financée exclusivement par ce dernier (qualification pour la carrière des services intermédiaires des pompiers), afin de garantir par la suite une période d’emploi appropriée auprès de cet employeur, compte tenu de cette qualification, de sorte que les coûts de formation soient ainsi progressivement remboursés par le fonctionnaire?

    b)

    Quelle est la durée maximale de la période d’emploi suivant la période de formation? Peut-elle dépasser cinq ans et, dans l’affirmative, dans quelles conditions?

    c)

    Indépendamment de la réponse à la septième question, sous a), le caractère approprié ou nécessaire d’une période minimale d’emploi peut-il être justifié par la considération selon laquelle, pour les fonctionnaires dont la retraite est financée exclusivement par l’employeur, la période d’emploi actif prévisible entre la date de recrutement et la date probable de retraite doit être suffisante pour garantir l’obtention de la pension minimale garantie par la loi qui est actuellement mathématiquement acquise à l’issue d’une période d’emploi de 19,51 années?

    d)

    À l’inverse, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, le refus de recrutement n’est-il justifié que lorsque l’intéressé serait recruté à un âge qui conduirait, eu égard à la date probable de retraite, à ce que la pension minimale devrait être versée bien qu’elle n’ait pas été acquise du point de vue mathématique?

    8)

    a)

    Pour l’appréciation de la notion de retraite au sens de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de la directive 2000/78, convient-il de s’orienter par rapport à la limite d’âge fixée par la loi pour la retraite avec perception ultérieure d’une pension, ou faut-il s’orienter par rapport à l’âge moyen de retraite d’une catégorie professionnelle ou de fonctionnaires déterminée?

    b)

    Le cas échéant, dans quelle proportion convient-il de tenir compte du fait que, pour certains fonctionnaires, la retraite normale peut être retardée d’une durée pouvant atteindre deux ans? Cette circonstance conduit-elle, dans une proportion correspondante, à une augmentation de l’âge maximal de recrutement?

    9)

    Pour le calcul de la période d’emploi minimale dans le contexte de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, la formation qui doit d’abord être achevée dans le cadre de la relation de travail de fonctionnaire peut-elle être prise en compte? À cet égard, la question de savoir si la durée de formation doit être intégralement prise en compte comme période d’emploi ouvrant droit à pension ou si cette période de formation doit être déduite de la période d’emploi minimale que l’employeur peut exiger au sens de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de la directive 2000/78 présente-t-elle une importance?

    10)

    Les dispositions de l’article 15, paragraphe 1, in fine, et paragraphe 3, de [l’AGG] sont-elles compatibles avec l’article 17 de la directive 2000/78?»

    III — Analyse

    23.

    Nous proposons d’examiner ensemble les neuf premières questions. Par ces questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de dire pour droit si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 permet de justifier une réglementation nationale qui prévoit une limite d’âge de 30 ans pour le recrutement dans le service technique intermédiaire des pompiers.

    24.

    Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi envisage différents objectifs qui pourraient être attribués à la différence de traitement fondée sur l’âge contenue dans l’article 3, paragraphe 1, point 1, de la FeuerwLVO, qui est, en principe, prohibée par l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78. Il ne nous paraît pas nécessaire, pour proposer une réponse utile à cette juridiction, d’examiner l’ensemble de ces objectifs.

    25.

    En effet, à la lumière des réponses précises et détaillées que le gouvernement allemand a apportées aux questions posées par la Cour durant la procédure, l’analyse du présent renvoi préjudiciel mérite, à notre avis, d’être recentrée sur ce qui constitue la finalité essentielle de la limite d’âge de 30 ans, à savoir l’établissement d’une structure des âges équilibrée permettant de garantir le caractère opérationnel et le bon fonctionnement du corps des pompiers.

    26.

    Il ressort des explications fournies par le gouvernement allemand que les membres du service technique intermédiaire des pompiers sont amenés à intervenir sur le terrain. Contrairement aux fonctions de direction et d’encadrement du service technique des pompiers, les activités du service technique intermédiaire des pompiers sont majoritairement caractérisées par leur nature physique.

    27.

    Les différents domaines d’activités du service technique intermédiaire des pompiers sont la lutte contre les incendies, les secours aux personnes, les tâches liées à la protection de l’environnement et à la gestion des dégâts résultant d’intempéries, le secours aux animaux et la capture d’animaux dangereux, ainsi que des tâches de soutien telles que l’entretien et le contrôle des équipements de protection et des véhicules d’intervention.

    28.

    Chacun de ces domaines d’activités exige des capacités physiques différentes. Ainsi, dans les deux premiers domaines d’activités que constituent la lutte contre les incendies et les secours aux personnes, les fonctionnaires du service technique intermédiaire des pompiers doivent répondre à des exigences physiques exceptionnellement élevées. Il faut, à cet égard, noter que les vêtements de protection pèsent déjà 30 kilogrammes environ.

    29.

    En raison de ces exigences de capacité physique, ces deux domaines d’activités sont caractérisés par une structure des âges qui se situe entre 30 et 50 ans maximum. En effet, en raison de la perte des capacités physiques de l’homme avec l’âge, presque plus aucun fonctionnaire n’est actif après un âge compris entre 45 et 50 ans dans le domaine de la lutte contre les incendies ainsi que dans celui des secours aux personnes.

    30.

    Les fonctionnaires qui dépassent cet âge sont alors affectés aux autres tâches que doit remplir le service technique intermédiaire des pompiers, qui présentent des exigences physiques moindres.

    31.

    Ainsi placée dans son contexte, la raison d’être de la limite d’âge de 30 ans pour le recrutement dans le service technique intermédiaire des pompiers apparaît clairement. Il s’agit de garantir que les fonctionnaires de ce service puissent correctement remplir les missions qui présentent des exigences physiques particulièrement élevées, et ce pour une période raisonnablement longue. Si l’on tient compte du fait qu’il faut ajouter une durée de formation de 2 ans à la limite d’âge de 30 ans, celle-ci permet qu’un fonctionnaire du service technique intermédiaire des pompiers soit actif durant 18 ans (si l’on prend pour référence l’âge de 50 ans) ou 13 ans (si l’on prend pour référence l’âge de 45 ans) dans les domaines d’activités qui nécessitent des capacités physiques particulièrement élevées.

    32.

    La bonne organisation du service technique intermédiaire des pompiers exige que, lorsqu’ils sont affectés à des domaines d’activités physiquement moins exigeants, les fonctionnaires plus âgés soient remplacés, dans les domaines d’activités plus exigeants du point de vue physique, par des fonctionnaires plus jeunes qui pourront être actifs dans ces domaines d’activités durant une période raisonnablement longue. Une limite d’âge de 30 ans pour le recrutement dans le service technique intermédiaire des pompiers se comprend alors aisément, car elle permet que la fluctuation du personnel entre les postes physiquement les plus exigeants et ceux qui le sont moins soit toujours compensée par l’arrivée de jeunes fonctionnaires aptes à remplir des tâches telles que la lutte contre les incendies et les secours aux personnes pendant une durée suffisamment longue.

    33.

    Le gouvernement allemand a assorti ses explications de données qui résultent d’études menées en matière de médecine du travail et du sport. Selon ce gouvernement, l’objectif qui consiste à garantir une durée raisonnable d’emploi des fonctionnaires dans les domaines d’activités qui présentent des exigences physiques particulièrement élevées et pour lesquels la limite médicale et biologique se situe aux environs de 45 ou 50 ans reflète des données médicales et biologiques avérées. Il ressort de ces études que l’augmentation de l’âge implique des limitations des capacités du système cardiovasculaire, des poumons, de la musculature et de la résistance du corps humain. Or, ce sont justement ces fonctions physiques qui présentent une importance déterminante dans le service technique intermédiaire des pompiers.

    34.

    Par ailleurs, lesdites études décrivent un phénomène de vieillissement prématuré lorsque des travailleurs sont soumis à des conditions de travail difficiles. Il en découle que les fonctionnaires du service technique intermédiaire des pompiers sont soumis à des contraintes physiques liées à l’environnement (par exemple, la chaleur, l’humidité et le bruit), à des exigences physiques particulières (par exemple, soulever et porter des charges lourdes, travailler dans une posture forcée), ainsi qu’au travail de nuit et par roulement, ce qui peut conduire à une accélération du processus de vieillissement de cette catégorie professionnelle. Ce phénomène accentue, à notre avis, la nécessité de garantir que des fonctionnaires jeunes, aptes à remplir les missions les plus difficiles pendant une période suffisamment longue, viendront remplacer les fonctionnaires qui ne sont plus en mesure d’assurer de telles missions.

    35.

    Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il ne fait, à nos yeux, aucun doute qu’une limite d’âge de 30 ans pour être recruté dans le service technique intermédiaire des pompiers est justifiée, que ce soit au regard de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 ou bien de l’article 6, paragraphe 1, de cette dernière.

    36.

    S’agissant, d’abord, de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78, nous rappelons que, aux termes de celui-ci, «[n]onobstant l’article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée».

    37.

    Or, nous avons vu que la nature de plusieurs des domaines d’activités dans lesquels les pompiers du service technique intermédiaire sont amenés à intervenir ainsi que les conditions d’exercice de leurs missions principales exigent des capacités physiques particulièrement élevées. Dans la mesure où ces capacités physiques sont naturellement amenées à diminuer avec l’âge, celui-ci constitue, à notre avis, une caractéristique qui est consubstantielle au bon exercice des activités de cette profession qui sont les plus exigeantes physiquement. Dès lors, une limite d’âge de 30 ans peut, selon nous, être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante afin de garantir le caractère opérationnel du service technique intermédiaire des pompiers.

    38.

    Le caractère légitime d’un tel objectif résulte clairement du dix-huitième considérant de la directive 2000/78 qui, rappelons-le, précise que celle-ci «ne saurait […] avoir pour effet d’astreindre les forces armées ainsi que les services de police, pénitentiaires ou de secours à embaucher ou à maintenir dans leur emploi des personnes ne possédant pas les capacités requises pour remplir l’ensemble des fonctions qu’elles peuvent être appelées à exercer au regard de l’objectif légitime de maintenir le caractère opérationnel de ces services» ( 7 ). De plus, une telle exigence présente un caractère proportionné, car, comme les explications fournies par le gouvernement allemand le démontrent, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que les pompiers du service technique intermédiaire puissent remplir correctement les missions qui sont les plus exigeantes physiquement pendant une durée suffisamment longue.

    39.

    Il découle de ces éléments que, selon nous, une limite d’âge de 30 ans pour être recruté dans le service technique intermédiaire des pompiers est justifiée au regard de ce que prévoit l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

    40.

    Concernant, ensuite, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, il convient de rappeler que, aux termes de cet article, «des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires».

    41.

    Les objectifs pouvant être considérés comme «légitimes» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 et, par voie de conséquence, aptes à justifier qu’il soit dérogé au principe d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge sont des objectifs relevant de la politique sociale, tels que ceux liés à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle ( 8 ).

    42.

    À notre avis, l’objectif visant à établir une structure des âges équilibrée permettant de garantir le caractère opérationnel et le bon fonctionnement du corps des pompiers constitue un objectif de politique de l’emploi qui présente un caractère «légitime» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. L’établissement d’une structure des âges équilibrée au sein du corps des pompiers peut, en effet, être appréhendé comme faisant partie de la définition d’une politique de l’emploi à l’intérieur de ce corps, dont les paramètres découlent des missions que celui-ci doit remplir, et qui répond à un impératif d’intérêt général.

    43.

    Concernant le point de savoir si les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif sont «appropriés et nécessaires» au sens de cet article, il convient de rappeler que les États membres disposent incontestablement d’une large marge d’appréciation dans le choix des mesures susceptibles de réaliser leurs objectifs en matière de politique sociale et d’emploi ( 9 ).

    44.

    Le dix-huitième considérant de la directive 2000/78 a pour effet de renforcer cette large marge d’appréciation dès lors qu’il s’agit de définir une politique de l’emploi au sein des services de police, pénitentiaires et de secours.

    45.

    Dans ces conditions, et eu égard aux éléments de contexte qui ressortent des explications fournies par le gouvernement allemand et que nous avons précédemment exposés, nous estimons que l’article 3, paragraphe 1, point 1, de la FeuerwLVO, en prévoyant une limite d’âge de 30 ans pour pouvoir être recruté dans le service technique intermédiaire des pompiers, ne va pas au-delà de ce qui est approprié et nécessaire afin d’établir une structure des âges équilibrée permettant de garantir le caractère opérationnel et le bon fonctionnement du corps des pompiers.

    46.

    Enfin, dans la mesure où il n’y a, dans la présente affaire, aucune violation de l’interdiction des discriminations en raison de l’âge en application de la directive 2000/78, une réponse à la dixième question, qui concerne les conséquences d’une telle violation, n’apparaît pas nécessaire.

    IV — Conclusion

    47.

    Eu égard à l’ensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de dire pour droit:

    «Les articles 2, paragraphe 2, sous a), 4, paragraphe 1, ainsi que 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une limite d’âge de 30 ans pour le recrutement dans le service technique intermédiaire des pompiers.»


    ( 1 ) Langue originale: le français.

    ( 2 ) JO L 303, p. 16.

    ( 3 ) Ci-après la «FeuerwLVO».

    ( 4 ) GVBl. I, p. 26.

    ( 5 ) BGBl. I, p. 3839.

    ( 6 ) BGBl. 2006 I, p. 1897, ci-après l’«AGG».

    ( 7 ) Souligné par nous.

    ( 8 ) Arrêt du 18 juin 2009, Hütter (C-88/08, Rec. p. I-5325, point 41 et jurisprudence citée).

    ( 9 ) Ibidem (point 45 et jurisprudence citée).

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