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Document 62002TO0338

Ordonnance du Tribunal de première instance (deuxième chambre) du 7 juin 2004.
Segi et autres contre Conseil de l'Union européenne.
Recours en indemnité - Justice et affaires intérieures - Position commune du Conseil - Mesures relatives aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme - Incompétence manifeste - Recours manifestement non fondé.
Affaire T-338/02.

Recueil de jurisprudence 2004 II-01647

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2004:171

Ordonnance du Tribunal

Affaire T-338/02


Segi e.a.
contre
Conseil de l'Union européenne


« Recours en indemnité – Justice et affaires intérieures – Position commune du Conseil – Mesures relatives aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme – Incompétence manifeste – Recours manifestement non fondé »

Ordonnance du Tribunal (deuxième chambre) du 7 juin 2004
    

Sommaire de l'ordonnance

1.
Recours en indemnité – Objet – Demande d’indemnisation d’un dommage imputable à une position commune – Incompétence du juge communautaire – Absence de recours juridictionnel effectif – Déclaration du Conseil relative à un droit à réparation – Absence d’incidence – Compétence du juge communautaire pour connaître d’un recours en indemnité fondé sur la méconnaissance par le Conseil des compétences de la Communauté

(Art. 5 UE, 34 UE et 46 UE)

2.
Union européenne – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Base juridique – Article 34 UE – Obligation de respecter les dispositions communautaires

[Art. 61, e), CE ; art. 34 UE ; position commune du Conseil 2001/931/PESC, art. 4]

1.
Le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours en indemnité visant à la réparation du préjudice éventuellement causé par une position commune fondée sur l’article 34 UE dès lors que, en vertu de l’article 46 UE, aucune voie de recours indemnitaire n’est prévue dans le cadre du titre VI du traité UE.

Même s’il est probable qu’il en résulte une absence de recours juridictionnel effectif, cette situation ne saurait fonder par elle-même un titre de compétence communautaire propre dans un système juridique fondé sur le principe des compétences d’attribution, tel qu’il résulte de l’article 5 UE.

Est également inopérante la déclaration du Conseil, figurant au procès-verbal de la réunion durant laquelle a été adoptée une position commune relative au droit à réparation, dans la mesure où cette déclaration ne trouve aucune expression dans le texte en cause. De plus, cette déclaration ne peut viser un recours devant les juridictions communautaires sans contredire le système juridictionnel organisé par le traité UE.

En revanche, le Tribunal est compétent pour connaître d’un tel recours en indemnité pour autant que les requérantes invoquent une méconnaissance des compétences de la Communauté. En effet, les juridictions communautaires sont compétentes pour procéder à l’examen du contenu d’un acte adopté dans le cadre du traité UE afin de vérifier si cet acte n’affecte pas les compétences de la Communauté.

(cf. points 33-34, 36, 38-41)

2.
L’adoption par le Conseil d’une position commune ne pourrait être illégale pour empiètement sur les compétences de la Communauté que si elle était intervenue en lieu et place d’un acte fondé sur une disposition du traité CE dont l’adoption aurait été obligatoire, alternativement ou concomitamment.

Il ne saurait être considéré qu’une position commune prévoyant une assistance policière et judiciaire entre États membres au titre de l’article 34 UE est incompatible avec le régime de compétences communautaires aménagées par le traité CE dès lors que, indépendamment de la question de savoir si des mesures de cette nature pourraient être fondées sur l’article 308 CE, l’article 61, sous e), CE prévoit explicitement que le Conseil arrête des mesures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale conformément aux dispositions du traité UE.

(cf. points 45-46)




ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
7 juin 2004(1)

« Recours en indemnité – Justice et affaires intérieures – Position commune du Conseil – Mesures relatives aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme – Incompétence manifeste – Recours manifestement non fondé »

Dans l'affaire T-338/02,

Segi,Araitz Zubimendi Izaga, demeurant à Hernani (Espagne),Aritza Galarraga, demeurant à Saint Pée sur Nivelle (France),représentés par Me D. Rouget, avocat,

parties requérantes,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. M. Vitsentzatos et M. Bauer, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

soutenu parRoyaume d'Espagne, représenté par son agent, ayant élu domicile à Luxembourg,et parRoyaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté initialement par Mme P. Ormond, puis par Mme C. Jackson, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande en indemnité visant à obtenir la réparation du préjudice prétendument subi par les requérants du fait de l'inscription de Segi sur la liste des personnes, groupes ou entités visés à l'article 1er de la position commune 2001/931/PESC du Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93), de la position commune 2002/340/PESC du Conseil, du 2 mai 2002, portant mise à jour de la position commune 2001/931 (JO L 116, p. 75), et de la position commune 2002/462/PESC du Conseil, du 17 juin 2002, portant mise à jour de la position commune 2001/931 et abrogeant la position commune 2002/340 (JO L 160, p. 32),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),



composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. H. Jung,

rend la présente



Ordonnance




Antécédents du litige

1
Il ressort du dossier que Segi est une organisation se donnant pour but la défense des revendications de la jeunesse basque, de l’identité, de la culture, de la langue basques. Selon les requérants, cette organisation a été créée le 16 juin 2001 et est établie à Bayonne (France) et à Donostia (Espagne). Elle aurait désigné Mme Araitz Zubimendi Izaga et M. Aritza Galarraga porte-parole. Aucune documentation officielle n’a été apportée à cet égard.

2
Le 28 septembre 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1373 (2001), par laquelle il a, notamment, décidé que tous les États se prêteraient mutuellement la plus grande assistance lors des enquêtes criminelles et autres procédures portant sur le financement d’actes de terrorisme ou sur l’appui dont ces actes auront bénéficié, y compris l’assistance en vue de l’obtention des éléments de preuve qui seraient en leur possession et qui seraient nécessaires à la procédure.

3
Le 27 décembre 2001, considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil a adopté la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93). Cette position commune a été adoptée sur la base de l’article 15 UE, relevant du titre V du traité UE intitulé « Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune » (PESC), et de l’article 34 UE, relevant du titre VI du traité UE intitulé « Dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale » (communément appelé justice et affaires intérieures) (JAI).

4
Les articles 1er et 4 de la position commune 2001/931 disposent :

« Article premier

1. La présente position commune s’applique, conformément aux dispositions des articles qui suivent, aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme et dont la liste figure à l’annexe.

[…]

6. Les noms des personnes et entités reprises sur la liste figurant à l’annexe feront l’objet d’un réexamen à intervalles réguliers, au moins une fois par semestre, afin de s’assurer que leur maintien sur la liste reste justifié. »

« Article 4

Les États membres s’accordent mutuellement, par le biais de la coopération policière et judiciaire en matière pénale dans le cadre du titre VI du traité [UE], l’assistance la plus large possible pour prévenir et combattre les actes de terrorisme. À cette fin, pour les enquêtes et les poursuites effectuées par leurs autorités concernant une des personnes, un des groupes ou une des entités dont la liste figure à l’annexe, ils exploitent pleinement, sur demande, les pouvoirs qu’ils détiennent conformément aux actes de l’Union européenne et à d’autres accords, arrangements et conventions internationaux liant les États membres. »

5
L’annexe de la position commune 2001/931 indique dans son point 2 consacré aux « groupes et entités » :

« * – Euskadi Ta Askatasuna/Tierra Vasca y Libertad/Pays basque et liberté (ETA)

(les organisations ci-après font partie du groupe terroriste ETA : K.a.s, Xaki, Ekin, Jarrai-Haika-Segi, Gestoras pro-amnistía). »

6
La note de bas de page de cette annexe indique que « [l]es personnes dont le nom est accompagné d’un * sont uniquement soumises à l’article 4 ».

7
Le 27 décembre 2001, le Conseil a également adopté la position commune 2001/930/PESC relative à la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 90), le règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 70) et la décision 2001/927/CE établissant la liste prévue à l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 (JO L 344, p. 83). Aucun de ces textes ne cite les requérants.

8
Aux termes de la déclaration du Conseil inscrite en annexe du procès-verbal lors de l’adoption de la position commune 2001/931 et du règlement n° 2580/2001 (ci‑après la « déclaration du Conseil relative au droit à réparation ») :

« Le Conseil rappelle au sujet de l’article 1, paragraphe 6, de la position commune [2001/931] que toute erreur quant aux personnes, groupes ou entités visés donne le droit à la partie lésée de demander réparation en justice. »

9
Par ordonnances du 5 février et du 11 mars 2002, le juge central d’instruction n° 5 de l’Audiencia Nacional sise à Madrid (Espagne) a, respectivement, déclaré illégales les activités de Segi et ordonné l’emprisonnement de certains dirigeants présumés de Segi, au motif que cette organisation faisait partie intégrante de l’organisation indépendantiste basque ETA.

10
Par décision du 23 mai 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté comme irrecevable le recours introduit par les requérants à l’encontre des quinze États membres, relatif à la position commune 2001/931, au motif que la situation dénoncée ne leur conférait pas la qualité de victimes d’une violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

11
Les 2 mai et 17 juin 2002, le Conseil a adopté, en vertu des articles 15 UE et 34 UE, les positions communes 2002/340/PESC et 2002/462/PESC portant mise à jour de la position commune 2001/931 (JO L 116, p. 75, et JO L 160, p. 32). Les annexes de ces deux positions communes contiennent le nom de Segi, inscrit dans les mêmes termes que ceux figurant dans la position commune 2001/931.


Procédure et conclusions des parties

12
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 novembre 2002, les requérants ont introduit le présent recours.

13
Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 12 février 2003, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, sur laquelle les requérants ont déposé leurs observations.

14
Par ordonnance du 5 juin 2003, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis les interventions du Royaume d’Espagne et du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord au soutien des conclusions du Conseil. Le Royaume-Uni a renoncé à présenter ses observations sur l’exception d’irrecevabilité. Le Royaume d’Espagne a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité dans les délais impartis.

15
Dans son exception d’irrecevabilité, le Conseil, soutenu par le Royaume d’Espagne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;

condamner la « requérante » aux dépens.

16
Dans leurs observations sur cette exception, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

admettre la recevabilité du recours en indemnité ;

à titre subsidiaire, constater la violation par le Conseil des principes généraux du droit communautaire ;

en toute hypothèse, condamner le Conseil aux dépens.


En droit

Arguments des parties

17
Le Conseil et le Royaume d’Espagne font valoir, en premier lieu, que Segi n’a pas la capacité d’agir en justice. Ils ajoutent que Mme  Zubimendi Izaga et M. Galarraga n’ont ni le pouvoir de représenter Segi ni, selon le Royaume d’Espagne, intérêt pour agir devant le Tribunal.

18
En deuxième lieu, le Conseil et le Royaume d’Espagne avancent que l’article 288, deuxième alinéa, CE implique que le préjudice invoqué résulte d’un acte de la Communauté (arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Société des grands moulins des Antilles/Commission, 99/74, Rec. p. 1531, point 17). Or, le Conseil ayant agi au titre de ses compétences en matière de PESC et de JAI, l’existence d’un acte communautaire ferait défaut.

19
En troisième lieu, le Conseil et le Royaume d’Espagne allèguent que la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la preuve de l’illégalité du comportement reproché à l’institution. Or, le Tribunal ne serait pas compétent, conformément aux articles 35 UE et 46 UE, pour apprécier la légalité d’un acte relevant de la PESC ou de la JAI.

20
À titre liminaire, les requérants soulignent qu’il est particulièrement choquant que le Conseil nie l’existence et la capacité juridique de l’association requérante aux seules fins de l’empêcher de contester son inscription dans l’annexe de la position commune 2001/931 et d’obtenir réparation. Cela constituerait une violation des principes généraux du droit communautaire tels que formulés, notamment, par l’article 1er, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 13 de la CEDH.

21
S’agissant de l’association requérante, les requérants avancent que les droits des États membres, le droit communautaire et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme admettent la capacité d’une association de fait à ester en justice, en particulier lorsqu’elle agit pour défendre ses droits (arrêts de la Cour du 8 octobre 1974, Syndicat général du personnel des organismes européens/Commission, 18/74, Rec. p. 933, et du 28 octobre 1982, Groupement des agences de voyages/Commission, 135/81, Rec. p. 3799, point 11 ; arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, Sinochem Heilongjiang/Conseil, T‑161/94, Rec. p. II‑695, point 34). Par la déclaration du Conseil relative au droit à réparation, le Conseil aurait reconnu la capacité à agir en réparation des « groupes » et des « entités » visés par cette position commune. De plus, en l’incluant dans la liste en cause, le Conseil aurait traité l’association requérante comme une entité juridique indépendante.

22
S’agissant des deux personnes physiques comprises parmi les requérants, ces derniers font valoir qu’elles agissent valablement à un double titre, en tant que requérants individuels et en tant que représentants de l’association.

23
Ils avancent que, dans une Communauté de droit, appliquant les droits fondamentaux, notamment ceux de la CEDH, ils doivent disposer d’un recours effectif afin de faire constater leur préjudice et d’obtenir réparation. Dans le cas contraire, ils se trouveraient en présence d’un déni de justice, lequel signifierait que les institutions, lorsqu’elles interviennent dans le cadre de l’Union, agissent dans l’arbitraire le plus total.

24
Les requérants estiment que le Conseil a frauduleusement choisi la base juridique de l’acte en cause afin d’éviter tout contrôle démocratique, juridictionnel ou non juridictionnel. Ce détournement de procédure aurait été clairement condamné par le Parlement européen, notamment dans sa résolution P5_TA(2002)0055 du 7 février 2002. Le choix de bases juridiques différentes pour les textes relatifs au terrorisme adoptés par le Conseil le 27 décembre 2001 aurait eu pour but de priver certaines catégories de personnes, en particulier celles visées par l’article 4 de la position commune 2001/931, du droit à un recours effectif, contrairement à celles visées par le règlement n° 2580/2001. Le Tribunal serait compétent pour sanctionner un tel détournement de procédure dans le cadre d’un recours en indemnité.

25
S’agissant de la déclaration du Conseil relative au droit à réparation, il appartiendrait au Tribunal d’en définir l’interprétation et la portée juridique. La responsabilité des États membres serait à cet égard indivisible, premièrement, car il s’agit d’un acte du Conseil, deuxièmement, car les juridictions nationales sont incompétentes pour connaître des dommages causés par le Conseil et, troisièmement, car il serait déraisonnable d’imposer à la partie lésée de devoir agir devant les quinze États membres. Cette déclaration donnerait compétence au Tribunal pour statuer à l’égard de la catégorie de personnes visées par l’article 4 de la position commune 2001/931, à l’égal des personnes visées par le règlement n° 2580/2001 et l’article 3 de cette position commune, qui peuvent se prévaloir d’une action de la Communauté. L’erreur évoquée dans cette déclaration serait constitutive d’une faute et serait constituée, en l’espèce, par des erreurs de fait, de qualification juridique, de droit et par un détournement de pouvoir.

26
Si le Tribunal devait se déclarer incompétent pour connaître du présent recours, les requérants estiment qu’il conviendrait alors de constater la violation par le Conseil des principes généraux du droit communautaire, formulés notamment par l’article 1er, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 13 de la CEDH.

27
S’agissant des dépens, les requérants font valoir qu’il serait inéquitable de les leur faire supporter, dès lors qu’ils tentent, dans un contexte juridique complexe et difficile, d’obtenir réparation du dommage allégué.

Appréciation du Tribunal

28
En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

29
En vertu de l’article 111 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

30
Le Tribunal estime, en l’espèce, être suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

31
Il doit être rappelé tout d’abord que, par leur recours, les requérants visent à voir réparer le préjudice subi du fait de l’inscription de Segi sur la liste annexée à la position commune 2001/931, mise à jour par les positions communes 2002/340 et 2002/462.

32
Il convient de relever ensuite que les actes dont il est soutenu qu’ils sont à l’origine du préjudice prétendument subi par les requérants sont des positions communes adoptées sur la base des articles 15 UE, relevant du titre V du traité UE relatif à la PESC, et 34 UE, relevant du titre VI du traité UE relatif à la JAI.

33
Il y a lieu de constater enfin que les requérants ne sont affectés que par l’article 4 de la position commune 2001/931, ainsi que le précise expressément la note de bas de page de l’annexe de cette position commune. Or, cet article indique que les États membres s’accordent l’assistance la plus large possible par le biais de la coopération policière et judiciaire en matière pénale dans le cadre du titre VI du traité UE et n’implique aucune mesure relevant de la PESC. Dès lors, l’article 34 UE est la seule base juridique pertinente en ce qui concerne les actes dont il est prétendu qu’ils sont à l’origine du préjudice allégué.

34
Force est de constater qu’aucune voie de recours indemnitaire n’est prévue dans le cadre du titre VI du traité UE.

35
En effet, dans le cadre du traité UE, dans sa version résultant du traité d’Amsterdam, les compétences de la Cour de justice sont énumérées limitativement par l’article 46 UE. S’agissant des dispositions pertinentes en l’espèce, non modifiées par le traité de Nice, cet article dispose :

« Les dispositions du traité instituant la Communauté européenne, du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique qui sont relatives à la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes et à l’exercice de cette compétence ne sont applicables qu’aux dispositions suivantes du présent traité :

[...]

b)
les dispositions du titre VI, dans les conditions prévues à l’article 35 [UE] ;

[...]

d)
l’article 6, paragraphe 2, [UE] en ce qui concerne l’action des institutions, dans la mesure où la Cour est compétente en vertu des traités instituant les Communautés européennes et du présent traité ;

[...] »

36
Il résulte de l’article 46 UE que, dans le cadre du titre VI du traité UE, les seules voies de recours prévues sont inscrites dans l’article 35 UE, paragraphes 1, 6 et 7, et correspondent au renvoi préjudiciel, au recours en annulation et au règlement des différends entre États membres.

37
Il convient encore de relever que la garantie du respect des droits fondamentaux prévue par l’article 6, paragraphe 2, UE n’est pas pertinente en l’espèce, dès lors que l’article 46, sous d), UE n’offre aucun titre de compétence supplémentaire à la Cour de justice.

38
S’agissant de l’absence de recours effectif invoquée par les requérants, force est de constater que ces derniers ne disposent probablement d’aucun recours juridictionnel effectif, que ce soit devant les juridictions communautaires ou devant les juridictions nationales à l’encontre de l’inscription de Segi sur la liste des personnes, groupes ou entités impliqués dans des actes de terrorisme. En effet, contrairement à ce que soutient le Conseil, rien ne servirait aux requérants de mettre en cause la responsabilité individuelle de chaque État membre pour les actes nationaux pris en exécution de la position commune 2001/931, alors qu’ils cherchent à obtenir réparation éventuelle du préjudice prétendument causé par l’inscription de Segi dans l’annexe de cette position commune. Quant à la mise en cause de la responsabilité individuelle de chaque État membre devant les juridictions nationales pour sa participation à l’adoption des positions communes en cause, une telle action paraît peu effective. En outre, toute mise en cause de la légalité de l’inscription de Segi dans cette annexe, notamment en vertu d’un renvoi préjudiciel en validité, est rendue impossible par le choix d’une position commune et non, par exemple, par celui d’une décision au titre de l’article 34 UE. Toutefois, l’absence de recours juridictionnel ne saurait fonder par elle-même un titre de compétence communautaire propre dans un système juridique fondé sur le principe des compétences d’attribution, tel qu’il résulte de l’article 5 UE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, points 44 et 45).

39
Les requérants invoquent encore la déclaration du Conseil relative au droit à réparation, aux termes de laquelle « toute erreur quant aux personnes, groupes et entités visés donne le droit à la partie lésée de demander réparation en justice ». Selon une jurisprudence constante, les déclarations figurant dans un procès-verbal ont une valeur limitée, en ce sens qu’elles ne peuvent être prises en considération pour l’interprétation d’une disposition de droit communautaire lorsque le contenu de cette déclaration ne trouve aucune expression dans les textes de la disposition en cause et n’a, dès lors, pas de portée juridique (arrêts de la Cour du 26 février 1991, Antonissen, C‑292/89, Rec. p. I‑745, point 18, et du 29 mai 1997, VAG Sverige, C‑329/95, Rec. p. I‑2675, point 23). Force est de constater que la déclaration en cause ne précise ni les voies de recours ni, a fortiori, les conditions d’ouverture de celles‑ci. En toute hypothèse, elle ne peut viser un recours devant les juridictions communautaires, car elle contredirait alors le système juridictionnel organisé par le traité UE. Dès lors, en l’absence de toute compétence dévolue au Tribunal par ledit traité, une telle déclaration ne saurait le conduire à examiner le présent recours.

40
Il résulte de ce qui précède que le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître du présent recours en indemnité en ce qu’il vise à la réparation du préjudice éventuellement causé par l’inscription de Segi sur la liste annexée à la position commune 2001/931, telle que mise à jour par les positions communes 2002/340 et 2002/462.

41
En revanche, le Tribunal est compétent pour connaître du présent recours en indemnité pour autant que les requérants invoquent une méconnaissance des compétences de la Communauté. En effet, les juridictions communautaires sont compétentes pour procéder à l’examen du contenu d’un acte adopté dans le cadre du traité UE afin de vérifier si cet acte n’affecte pas les compétences de la Communauté (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 14 janvier 1997, Centro‑Com, C‑124/95, Rec. p. I‑81, point 25, et du 12 mai 1998, Commission/Conseil, C‑170/96, Rec. p. I‑2763, point 17).

42
Pour autant que les requérants invoquent un détournement de procédure commis par le Conseil agissant dans le domaine de la JAI consistant en un empiètement sur les compétences de la Communauté ayant abouti à les priver de toute protection juridictionnelle, le présent recours relève donc de la compétence des juridictions communautaires en vertu des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE.

43
Le Tribunal estime opportun de se prononcer d’abord sur le fond du présent recours, dans la seule mesure précisée au point 42 ci-dessus.

44
Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité des Communautés suppose la réunion d’un ensemble de conditions concernant l’illégalité du comportement reproché, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué.

45
En l’espèce, l’illégalité invoquée fait manifestement défaut. En effet, ainsi qu’il découle du point 42 ci-dessus, le comportement illégal allégué ne pourrait consister que dans l’absence d’un acte fondé sur une disposition du traité CE dont l’adoption était obligatoire, alternativement ou concomitamment à la position commune 2001/931. Or, ainsi qu’il a été constaté au point 33 ci-dessus, les requérants ne sont concernés que par l’article 4 de la position commune 2001/931, telle que confirmée par les positions communes 2002/340 et 2002/462. Cette disposition comporte l’obligation, pour les États membres, d’exploiter pleinement les actes adoptés par l’Union européenne ainsi que les autres accords, arrangements et conventions internationaux existants, pour les enquêtes et poursuites concernant les personnes, groupes ou entités visés, et de s’accorder, dans le cadre de la coopération en vertu du titre VI du traité UE, l’assistance la plus large possible. Le contenu de cette disposition relève donc du titre VI du traité UE et la base juridique pertinente pour son adoption est l’article 34 UE.

46
Les requérants sont restés en défaut de citer une quelconque base juridique dans le traité CE qui aurait été méconnue. Toutefois, pour autant qu’ils évoquent à cet égard le fait que le Conseil a adopté, le 27 décembre 2001, divers types d’acte en vue de lutter contre le terrorisme et, notamment, le règlement n° 2580/2001 fondé sur les articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, il ne saurait être considéré que l’assistance policière et judiciaire entre États membres prévue par l’article 4 de la position commune 2001/931 méconnaît ces dispositions du traité CE. En effet, ces dispositions visent clairement à mettre en œuvre, lorsque nécessaire, des actes adoptés dans le domaine de la PESC et ne visent pas ceux adoptés dans le domaine de la JAI. S’agissant de l’article 308 CE, cette disposition permet, certes, l’adoption de dispositions communautaires appropriées lorsqu’une action apparaît nécessaire pour réaliser l’un des objets de la Communauté sans que le traité CE ait prévu les pouvoirs d’action à cet effet. Or, si l’article 61, sous e), CE envisage l’adoption de mesures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, il prévoit explicitement que le Conseil arrête ces mesures conformément aux dispositions du traité UE. Dans ces conditions, et indépendamment du point de savoir si, le cas échéant, des mesures de cette nature pourraient être fondées sur l’article 308 CE, l’adoption de l’article 4 de la position commune 2001/931 sur la seule base de l’article 34 UE n’est pas incompatible avec le régime des compétences communautaires aménagé par le traité CE. Quant à la résolution du Parlement du 7 février 2002, dans laquelle celui-ci déplore le choix d’une base juridique relevant du domaine de la JAI pour la constitution de la liste des organisations terroristes, il doit être constaté que cette critique porte sur un choix politique et ne met pas en cause, en tant que telle, la légalité de la base juridique choisie ou la méconnaissance des compétences de la Communauté. Dès lors, s’il résulte de l’insertion dans une position commune de la liste des personnes, groupes ou entités impliqués dans un acte de terrorisme que les personnes visées sont privées d’un recours juridictionnel devant le juge communautaire, un tel résultat ne constitue pas, en tant que tel, une méconnaissance des compétences de la Communauté.

47
Pour autant que le recours s’appuie sur une méconnaissance par le Conseil agissant dans le domaine de la JAI des compétences de la Communauté, il convient donc de le rejeter comme manifestement non fondé, sans qu’il soit besoin de statuer à cet égard sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil (arrêt de la Cour du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, Rec. p. I‑1873, point 52).

48
La demande subsidiaire des requérants visant à voir constater, malgré le rejet de leur recours, la violation par le Conseil des principes généraux du droit communautaire doit également être rejetée. En effet, le contentieux communautaire ne connaît pas de voie de droit permettant au juge de prendre position, par le biais d’une déclaration générale, sur une question dont l’objet dépasse le cadre du litige. Dès lors, le Tribunal est également manifestement incompétent pour connaître de la présente demande.


Sur les dépens

49
Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supportera ses propres dépens pour des motifs exceptionnels. En l’espèce, il convient de rappeler que les requérants ont demandé que le Conseil supporte les entiers dépens, même en cas de rejet de leur recours. À cet égard, il y a lieu de relever, d’une part, que la déclaration du Conseil relative au droit à réparation a pu induire les requérants en erreur et, d’autre part, qu’il était légitime pour ces derniers de rechercher une juridiction compétente pour connaître de leurs griefs. Dans ces circonstances, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

50
Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Les parties intervenantes supporteront donc leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)
Le recours est rejeté.

2)
Chaque partie supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 7 juin 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung


1
Langue de procédure : le français.

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