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Document 52017AE6154

Avis du Comité économique et social européen sur la «Recommandation de décision du Conseil autorisant l’ouverture de négociations relatives à une convention instituant un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d’investissements» [COM(2017) 493 final]

EESC 2017/06154

JO C 110 du 22.3.2019, p. 145–155 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

22.3.2019   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 110/145


Avis du Comité économique et social européen sur la «Recommandation de décision du Conseil autorisant l’ouverture de négociations relatives à une convention instituant un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d’investissements»

[COM(2017) 493 final]

(2019/C 110/27)

Rapporteur:

Philippe DE BUCK

Corapporteure:

Tanja BUZEK

Consultation

13.12.2017 (Commission européenne)

Base juridique

Article 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Compétence

REX

Adoption en section spécialisée

23.11.2018

Adoption en session plénière

12.12.2018

Session plénière no

539

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

206/3/3

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Le Comité économique et social européen (CESE) reconnaît pleinement que le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) dans les accords commerciaux et d’investissement est de plus en plus sujet à controverse pour un certain nombre de parties prenantes, et ce, en ce qui concerne les questions de légitimité, de cohérence et de transparence. Sans être exhaustives, ces critiques incluent des considérations à la fois de procédure et de fond.

1.2.

Le CESE a participé activement à l’entièreté du débat sur la réforme et la modernisation de la protection des investissements. Il a adopté les avis REX/464 et REX/411, dans lesquels il exprime un certain nombre de préoccupations et formule des recommandations.

1.3.

Par conséquent, le CESE accueille favorablement les efforts de la Commission européenne en vue d’une réforme multilatérale du RDIE sous les auspices de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et considère qu’il est essentiel que l’Union européenne (UE) reste ouverte à toutes les approches et idées qui ont émergé en ce qui concerne la réforme du RDIE.

1.4.

Le CESE se félicite tout particulièrement de l’engagement accru pris en faveur de la transparence, en permettant aux organisations non gouvernementales d’assister aux discussions et même d’y participer.

1.5.

Le CESE considère qu’il est essentiel que le groupe de travail III de la CNUDCI accueille favorablement les contributions de tous les acteurs concernés pour viser à accroître l’inclusion, et demande que les invitations adressées à ces derniers soient émises sur une base qui soit améliorée et plus équilibrée. Par ailleurs, le CESE invite la Commission à intensifier ses efforts pour associer activement le CESE aux travaux du groupe de travail III.

1.6.

Le CESE a toujours reconnu que les investissements directs étrangers (IDE) sont d’importants contributeurs à la croissance économique et que les investisseurs étrangers doivent être protégés à l’échelle mondiale contre l’expropriation directe, ne faire l’objet d’aucune discrimination et enfin bénéficier de droits équivalents à ceux des investisseurs nationaux.

1.7.

Toutefois, le CESE a également toujours fait valoir qu’il convient de préserver le droit des États à réglementer dans l’intérêt public.

1.8.

Dans le cadre de la mise en place d’un tribunal multilatéral des investissements (TMI), le CESE souligne qu’un certain nombre de questions fondamentales doivent être abordées: le champ d’application, la protection de l’intérêt public, l’accessibilité et les relations avec les juridictions nationales.

1.9.

Le champ d’application — Bien que le CESE estime qu’une approche plus globale couvrant l’ensemble des préoccupations concernant les aspects de fond et de procédure de la protection des investissements serait préférable, il relève que le champ d’application mandaté se limite aux aspects de procédure du règlement des différends entre investisseurs et États.

1.10.

L’intérêt public — Le CESE considère qu’il est essentiel que le TMI n’affecte en rien la capacité de l’Union et de ses États membres à répondre aux obligations qui sont les leurs en vertu des accords internationaux relatifs à l’environnement, aux droits de l’homme et au travail ainsi que de la protection des consommateurs, et également à disposer de garanties procédurales contre les recours visant une législation nationale d’intérêt public. C’est pourquoi le CESE estime que cet objectif ne pourrait être suffisamment atteint que par l’insertion d’une clause de hiérarchie et d’une exception d’intérêt public.

1.11.

Droits des tiers et demandes reconventionnelles — Bien que le CESE considère l’autorisation des communications d’amicus curiae comme une première étape qui doit toutefois essentiellement garantir qu’ils sont dûment pris en considération par les juges, il se félicite de l’inclusion dans le mandat de la possibilité d’intervention de tiers et recommande d’examiner le rôle des tiers qui peuvent être des résidents locaux, des travailleurs, des syndicats, des groupes de protection de l’environnement ou des consommateurs.

1.12.

Relations avec les tribunaux nationaux — Le CESE considère que le TMI ne peut en aucun cas affecter le système judiciaire de l’Union ni l’autonomie du droit européen. Il prend acte du fait que la question de la relation entre les tribunaux nationaux et le TMI est envisagée différemment selon les parties intéressées, mais encourage la Commission à examiner plus avant la question de l’épuisement des voies de recours nationales ainsi que la manière dont ce principe pourrait s’exercer dans le cadre du TMI.

1.13.

L’indépendance et la légitimité des juges — La nomination de juges à titre permanent est un facteur clé pour entamer l’élaboration d’une jurisprudence et améliorer la prévisibilité. Par ailleurs, il convient d’exiger de leur part une expertise démontrable dans un large éventail de domaines juridiques. Le CESE se félicite des engagements pris concernant l’établissement de critères clairs et exigeants afin de garantir l’état de droit et la confiance des citoyens, et demande que le processus de sélection soit transparent et soumis aux principes de contrôle public.

1.14.

Un système efficace — Tandis qu’il convient de charger un secrétariat de la gestion efficace du TMI, des ressources suffisantes doivent être garanties afin d’assurer son fonctionnement, et les frais administratifs doivent être couverts par les parties sur une base équitable qui tienne compte de différents critères. Les petites et moyennes entreprises (PME) doivent bénéficier du même niveau de protection et l’accès au règlement des différends à des conditions et des coûts raisonnables et toutes les décisions du TMI doivent être exécutoires et rendues publiques.

1.15.

Haut niveau de protection et période de transition éventuelle — Il est important de noter qu’aucun des accords conclus par l’Union européenne ou ses États membres ne sera automatiquement soumis à la juridiction d’un TMI et que, au cours d’une éventuelle période de transition, les procédures de règlement des différends convenues doivent continuer à s’appliquer afin de garantir un niveau élevé de protection des investissements, compte tenu de la constitutionnalité et de la viabilité d’un TMI au regard du droit de l’Union.

2.   Contexte

2.1.

Étayé par plus de 3 200 traités depuis les années 70, le système de protection des investissements comprend des clauses portant sur le fond de la protection des investissements ainsi que sur les procédures de règlement des différends, lesquelles prévoient un mécanisme par lequel les investisseurs étrangers peuvent introduire des recours contre les États d’accueil («RDIE») conformément aux dispositions juridiques prévues dans les traités.

2.2.

Le CESE attire l’attention sur une publication signée récemment par Joachim Pohl, analyste politique, dans la série des Documents de travail de l’Organisation de coopération et de développement économiques sur l’investissement international, intitulée Societal benefits and costs of international investment agreements — A critical review of aspects and available empirical evidence (Coûts et avantages pour la société des accords internationaux en matière d’investissements — Un examen critique des différents aspects et données empiriques disponibles) (1).

2.3.

Au cours des dernières années, la réforme du règlement des différends entre investisseurs et États a joué un rôle central dans le débat autour de la politique d’investissement de l’Union européenne, dans un contexte où le système de protection des investissements était de plus en plus la cible de controverses de la part d’un certain nombre d’acteurs sur des questions de légitimité, de cohérence et de transparence. Sans être exhaustives, ces critiques comprennent des considérations à la fois de procédure et de fond.

2.4.

Ces préoccupations ont été notamment exprimées au cours de deux consultations publiques organisées par la Commission européenne — la première en 2014, lors des négociations portant sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) (2), et la seconde en 2017, dans le cadre des efforts de réforme multilatérale du règlement des différends en matière d’investissement (3).

2.5.

Le 8 juillet 2015, dans sa résolution sur le PTCI, le Parlement a demandé à la Commission de «remplacer le système RDIE par un nouveau système de règlement des différends entre investisseurs et États, soumis aux principes et contrôle démocratiques, où les affaires éventuelles seront traitées dans la transparence par des juges professionnels indépendants, nommés par les pouvoirs publics, en audience publique, et qui comportera un mécanisme d’appel, dispositif qui garantira la cohérence des décisions de justice et le respect de la compétence des juridictions de l’Union européenne et de ses États membres et qui évitera que les objectifs de politique publique soient compromis par des intérêts privés» (4).

Évolution de la situation au niveau de l’Union

2.6.

En réponse aux critiques formulées à l’encontre du système actuel de RDIE, et face à la pression de la société civile soulignant la nécessité de le réformer, la Commission a proposé d’introduire le système juridictionnel des investissements (SJI), un système de règlement des différends entre investisseurs et États inclus dans l’accord économique et commercial global UE-Canada (AECG), ainsi que dans les accords de libre-échange UE-Singapour et UE-Vietnam.

2.7.

Dans ce contexte, l’AECG prévoit une disposition spécifique à l’article 8.29, appelant les parties à envisager la possibilité d’établir à l’avenir un tribunal multilatéral des investissements: «Les Parties s’emploient à créer, de concert avec d’autres partenaires commerciaux, un tribunal multilatéral des investissements et un mécanisme d’appel connexe aux fins du règlement des différends relatifs aux investissements. Dès la création d’un tel mécanisme multilatéral, le Comité mixte de l’AECG adopte une décision établissant que les différends relatifs aux investissements relevant de la présente section seront tranchés dans le cadre du mécanisme multilatéral, et prend les dispositions transitoires appropriées.»

2.8.

Cependant, aucun des accords susmentionnés n’est encore ratifié, sachant que, par ailleurs, une affaire relative à l’inclusion du SJI dans l’AECG est toujours en instance devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (5). La décision ne devrait pas être connue avant plusieurs mois.

2.9.

Le CESE note qu’aucun chapitre sur la protection des investissements n’a été inclus à l’accord de partenariat économique UE-Japon à cause du fait que la proposition de l’Union relative au SJI n’était pas acceptable pour le Japon.

Participation du CESE

2.10.

Tout au long de ce processus, le Comité économique et social européen a pris une part active au débat autour de la modernisation et de la réforme de la protection des investissements et, en particulier, du système de RDIE, en organisant également deux auditions publiques en juin 2016 (6) et, plus récemment, en février 2018 (7). Il convient de citer dans ce contexte l’avis REX/464 adopté par le CESE relatif à «La position du CESE sur des questions clés spécifiques soulevées dans le cadre des négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI)» (8), ainsi que l’avis REX/411 sur «La protection des investisseurs et le règlement des différends entre investisseurs et États dans les accords de commerce et d’investissement de l’Union européenne avec des pays tiers» (9).

2.11.

Le CESE reconnaît que les investissements directs étrangers sont d’importants contributeurs à la croissance économique et que les investisseurs étrangers doivent être protégés à l’échelle mondiale contre l’expropriation directe, ne faire l’objet d’aucune discrimination et enfin bénéficier de droits équivalents à ceux des investisseurs nationaux.

2.12.

Dans le même temps, le CESE souligne que le droit d’un État à réglementer dans l’intérêt public est primordial et ne saurait être fragilisé par les dispositions d’un accord international d’investissement (AII) quel qu’il soit. Il est vital qu’une clause dépourvue de toute ambiguïté consacre ce droit de manière transversale.

2.13.

En conclusion, le CESE a estimé que la proposition de la Commission concernant le système juridictionnel des investissements constituait un pas dans la bonne direction, mais que pour fonctionner comme un organe judiciaire international indépendant, ce système devait encore être amélioré dans un certain nombre de domaines. De plus, le CESE a pris note que certaines parties intéressées remettent en question la nécessité d’un système d’arbitrage des investissements distinct si les systèmes juridiques nationaux fonctionnent correctement et sont hautement développés.

2.14.

Le CESE a fait part d’un certain nombre de préoccupations concernant plus spécifiquement le RDIE dans son avis sur «La protection des investisseurs et le règlement des différends entre investisseurs et États dans les accords de commerce et d’investissement de l’Union européenne avec des pays tiers» (10). Parmi celles-ci figuraient les conflits d’intérêts et la partialité des arbitres; les recours abusifs; la nature du secteur de l’arbitrage; le recours au RDIE sans avoir tenté d’autres voies de recours; l’utilisation inutile du RDIE entre pays dotés de systèmes judiciaires développés; l’incompatibilité potentielle du RDIE avec la législation européenne et enfin, l’opacité des procédures.

Au niveau multilatéral

2.15.

Dans le même temps, des discussions sur une réforme du RDIE sont également en cours au niveau multilatéral. Le 10 juillet 2017, à la demande officielle de bon nombre de ses membres, y compris les États membres de l’Union européenne (11), la CNUDCI a décidé de créer un groupe de travail III piloté par les gouvernements qui a reçu le mandat suivant: 1) recenser et évaluer les préoccupations concernant le RDIE; 2) examiner si une réforme est souhaitable à la lumière des problèmes repérés; et 3) dans l’hypothèse où le groupe de travail arrive à la conclusion qu’une réforme s’avère souhaitable, élaborer toutes les solutions susceptibles d’être recommandées en l’espèce à la Commission (12).

2.16.

D’un point de vue plus général, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) contribue également au débat actuel sur la réforme du RDIE, en proposant une analyse du système en vigueur des AII, ainsi que des recommandations pour la modernisation de ces accords. Ceux-ci comprennent la promotion d’interprétations conjointes des dispositions du traité, la modification ou le remplacement des traités obsolètes, la mention de normes mondiales, l’engagement multilatéral, et l’engagement à mettre fin ou à se retirer des anciens traités (13).

2.17.

Selon les statistiques de la CNUCED mises en évidence lors de l’audition publique du CESE du mois de février 2018, ce sont, ces dernières années, quelque 107 accords d’investissement contenant des mécanismes de RDIE qui ont été résiliés sans être remplacés. L’an dernier, le nombre d’accords d’investissement résiliés était plus élevé que celui des accords conclus (14). Le CESE fait observer que certains pays ont commencé à reconsidérer leur approche du RDIE.

2.18.

Outre la réforme du système de RDIE, le CESE souhaiterait souligner que différents instruments politiques peuvent également contribuer à garantir un environnement viable pour les investissements, et notamment:

le renforcement du pouvoir judiciaire national,

la fourniture d’une assurance aux investisseurs, par l’intermédiaire de l’Agence multilatérale de garantie des investissements de la Banque mondiale,

la prévention des différends,

des formes plus conciliantes de règlement des différends, telles que la médiation,

la promotion des investissements, et

le règlement des différends entre États.

2.19.

Enfin, le CESE prend notre de la résolution 26/9 du 26 juin 2014 du Conseil des droits de l’homme des Nations unies par laquelle ce dernier «décide de créer un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme, qui sera chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises» (15). Ce traité qualifié de traité contraignant des Nations unies, qui est actuellement examiné par les membres de cette organisation, entend codifier les obligations internationales en matière de droits de l’homme en ce qui concerne les activités des sociétés transnationales. Le CESE fait observer que des effets sont susceptibles de se manifester à l’avenir dans le cadre des traités sur le commerce et les investissements.

Mandat de la Commission

2.20.

Le 13 septembre 2017, la Commission européenne a publié sa «recommandation de décision du Conseil autorisant l’ouverture de négociations relatives à une convention instituant un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d’investissements» (16). Le mandat, tel que modifié par les États membres, a été adopté par le Conseil le 20 mars 2018 (17).

2.21.

Les directives de négociation adoptées visent à instituer un tribunal permanent composé de juges indépendants capables d’adopter des décisions constantes, prévisibles et cohérentes concernant les différends entre investisseurs et États relatifs à des investissements, fondés sur des accords bilatéraux ou multilatéraux, lorsque les deux parties (ou au moins deux) parties à ces accords ont accepté de les placer sous la juridiction du tribunal. Il est également prévu de former une instance d’appel. Dans l’ensemble, le tribunal doit fonctionner d’une manière qui soit d’un bon rapport coût-efficacité, transparente et efficace, notamment en ce qui concerne la nomination des juges. Le tribunal doit également tenir compte des interventions de tiers (y compris, par exemple, des organisations environnementales ou professionnelles).

3.   Observations générales

3.1.

Le CESE se félicite des efforts de la Commission en faveur d’une réforme multilatérale du système de règlement des différends entre investisseurs et États. Le CESE prend acte également de la dynamique plus large de la réforme du RDIE, des efforts multilatéraux déployés dans le cadre de la CNUDCI ainsi que des différentes initiatives nationales.

3.2.

Le CESE juge essentiel que l’Union reste ouverte à toutes les options de réforme du RDIE, notamment à la lumière de plusieurs autres approches et idées qui ont émergé à propos de ladite réforme. Les propositions élaborées par d’autres pays et organisations devraient être examinées et évaluées en particulier par le groupe III de la CNUDCI.

3.3.

Dans ce contexte, le CESE prend note du fait que la consultation publique de la Commission sur «la réforme multilatérale du règlement des différends en matière d’investissements» a principalement porté sur des questions techniques entourant l’établissement d’un TMI permanent. Le CESE tient à souligner que les parties intéressées ont des opinions très variables quant à la question de la prise en compte des autres points de vue dans le cadre de l’évaluation de la Commission.

3.4.

Bien que le processus de négociation sur l’établissement d’un TMI n’ait pas encore été lancé — un processus qui sera probablement long et complexe —, le CESE se félicite de l’engagement accru de la Commission en faveur de la transparence, laquelle passe en particulier par la publication du projet de mandat de négociation. Le CESE félicite le Conseil d’avoir publié le mandat final approuvé par les États membres. Il s’agit là d’une étape importante pour garantir que les discussions et les négociations potentielles se déroulent d’une manière transparente, responsable et inclusive.

3.5.

Le fait de discuter sous l’égide de la CNUDCI constitue, en matière de transparence notamment, un pas dans la bonne direction, sachant que celle-ci permet aux organisations non gouvernementales de suivre et même de participer aux débats. Néanmoins, le CESE observe que les parties intéressées n’ont pas encore toutes accès aux procédures et qu’il conviendrait que la CNUDCI invite un plus grand nombre d’organisations — représentant les entreprises, les syndicats et autres organisations d’intérêt public — dans le cadre du groupe de travail III. Le processus décisionnel devrait être pleinement transparent et reposer sur le consensus.

3.6.

Le CESE considère qu’il est essentiel que le groupe de travail accueille la contribution de toutes les parties intéressées dans un souci d’accroître sa dimension inclusive et que la procédure de sélection des parties intéressées soit améliorée et mieux équilibrée. Dans ce contexte, nous demandons à la Commission européenne de garantir la participation plus active du CESE.

3.7.

L’instauration d’un TMI est un projet de longue haleine qui nécessite l’engagement d’une masse critique d’États ayant la volonté d’en devenir parties. Par conséquent, l’Union européenne devrait déployer tous les efforts diplomatiques nécessaires pour convaincre les pays tiers de s’engager dans ces négociations. Le CESE juge particulièrement important que ce projet soit également réalisé et soutenu par les pays en développement.

3.8.

Un éventuel futur TMI devrait se donner pour objectif de rationaliser la procédure de règlement des différends dans des affaires opposant investisseurs et États se trouvant engagés dans un grand nombre d’accords internationaux en matière d’investissement. En dépit d’un certain degré de similitude entre les clauses de protection des investissements portant sur le fond qui figurent dans les traités bilatéraux d’investissement TBI ou les accords de libre-échange comportant des chapitres sur la protection des investissements, une harmonisation complète du système est difficilement réalisable.

3.9.

Une telle ambition nécessiterait une réforme plus vaste. Bien qu’il n’ait pas encore été mis en œuvre comme prévu dans l’accord économique et commercial global UE-Canada (18), les accords de libre-échange UE-Singapour (19), UE-Vietnam et UE-Mexique, et comme il le sera dans les autres accords à venir (20), et bien qu’il soit toujours en cours d’examen par la Cour de justice de l’Union européenne, le SJI pourrait apporter son expérience et contribuer à l’élaboration de règles pour un TMI.

3.10.

L’objectif de la recommandation de la Commission est de mettre en place un nouveau système de règlement des différends entre investisseurs et États. Le CESE reconnaît que le nouveau système permettrait de répondre à des préoccupations exprimées par la société civile. Néanmoins, un certain nombre de questions fondamentales restent ouvertes et demandent à être clarifiées.

Questions fondamentales

3.11.

Reconnaissant que le processus de réforme multilatéral du RDIE n’en est encore qu’au stade initial, un certain nombre de questions fondamentales sont soulevées par les parties intéressées dans le contexte de la création d’un TMI. Elles se concentrent sur les aspects relatifs au champ d’application — savoir si, relativement à la protection des investissements, la réforme doit couvrir des éléments de fond ou de procédure, ou les deux à la fois; accessibilité — savoir si la possibilité d’engager des recours dans le cadre d’un TMI sera réservée aux investisseurs ou si elle sera également ouverte à des tiers; et l’épuisement des voies de recours nationales — savoir si les voies de recours nationales disponibles devront être préalablement épuisées avant qu’un investisseur ne puisse entamer une procédure dans le cadre d’un futur TMI. Le présent avis se propose d’explorer ces différentes questions.

3.12.

À l’examen de ces dernières, le CESE souhaite souligner que la création éventuelle d’un TMI devrait tenir compte aussi bien du principe de subsidiarité que de l’article premier du TUE, lequel dispose que «les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens» (21).

3.13.

Le CESE prend note des préoccupations liées au fait que le TMI pourrait aboutir à une expansion du système de RDIE, sans avoir dûment tenu compte des inquiétudes existantes concernant le SJI, notamment sa compatibilité avec le droit européen. Le CESE estime lui aussi qu’une juridiction internationale en matière d’investissements ne devrait, en aucun cas, être amenée à jouer un rôle de substitut général en matière de règlement de différends nationaux dans des pays déjà dotés des systèmes judiciaires adéquats.

3.14.

Plusieurs parties intéressées se sont déclarées très préoccupées face à l’éventualité d’une réforme de la procédure intervenant avant que n’ait été évalué quel droit matériel serait appliqué par un futur TIM, et avant qu’une structure multilatérale institutionnalisée n’ait été habilitée à interpréter lesdites normes. De même, il est à craindre qu’une telle initiative ne crée en soi la base d’une compétence juridique nouvelle. D’autres parties intéressées approuvent la Commission lorsqu’elle affirme que le droit matériel est défini dans les accords correspondants.

4.   Champ d’application de la proposition de réforme entre les clauses de protection de fond et la procédure de règlement des différends

4.1.

Le CESE fait observer que le champ d’application de la réforme multilatérale proposée a été limité aux aspects procéduraux du règlement des différends entre investisseurs et États.

4.2.

Bien que le CESE estime qu’une approche plus globale couvrant l’ensemble des préoccupations concernant les aspects de fond et de procédure de la protection des investissements serait préférable, il reconnaît la complexité d’une telle approche et la nécessité d’obtenir un soutien politique au niveau multilatéral.

4.3.

Pour ce qui est des discussions menées sous les auspices de la CNUDCI, un certain nombre de défis ont été relevés par le groupe de travail III. Se trouve ainsi posée la question de savoir s’il est possible de progresser sur la voie d’une réforme procédurale du règlement des différends entre investisseurs et États avant qu’une réforme portant sur la substance ne soit engagée. La CNUDCI estime qu’il s’agit là d’une tâche ardue, mais nullement insurmontable. Dans ce contexte, le groupe de travail III se penchera sur les questions susceptibles d’être liées à la procédure mais qui, en même temps, peuvent significativement affecter la légitimité et la cohérence du système dans son ensemble, et notamment celles relatives à un code de conduite pour les adjudicateurs, au financement par des tiers et aux procédures parallèles.

4.4.

La protection de fond des investissements est ordinairement garantie par un certain nombre de principes, parmi lesquels: le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée, le traitement juste et équitable et la garantie des transferts de capitaux. Toutefois, des limitations s’appliquent aux recours que les investisseurs étrangers peuvent introduire en matière de règlement des différends. Par exemple, les recours ne peuvent reposer uniquement sur un manque à gagner ou sur une simple modification de la législation nationale.

4.5.

Les États adoptent différentes mesures pour répondre aux préoccupations exprimées. Celles-ci vont d’approches plus globales, telles que l’élaboration de nouveaux modèles d’accords visant à réformer à la fois les éléments de fond et de procédure concernant la protection des investissements, à des approches plus ciblées se concentrant sur l’un ou l’autre de ces aspects de la protection des investissements. Le CESE fait observer que l’Union a déjà commencé à promouvoir une approche plus globale, au niveau bilatéral au moins, par l’intermédiaire du SJI.

4.6.

L’objectif avancé par la Commission vise à ce que, une fois établi, un TMI puisse servir de modèle ordinaire au règlement de différends en matière d’investissement dans tous les accords futurs de l’Union européenne, dans la mesure où celui-ci devrait aussi, à terme, remplacer les mécanismes procéduraux à l’œuvre dans les accords existants de l’Union aussi bien que des États membres en matière d’investissements.

4.7.

Dans ce contexte, s’il aboutit, l’établissement d’un TMI devrait réformer le système actuel de RDIE d’une manière qui, d’une part, assure une protection efficace des investissements directs étrangers et, d’autre part, réponde pleinement aux préoccupations soulevées par les parties intéressées. Nous souhaiterions souligner, à cet égard, que d’immenses progrès ont été accomplis, notamment dans le contexte des accords de libre-échange modernes les plus récents négociés par l’Union européenne.

5.   L’intérêt public

5.1.

Le CESE considère qu’il est essentiel que le TMI n’affecte en rien la capacité de l’Union et de ses États membres à répondre aux obligations qui sont les leurs en vertu des accords internationaux dans les domaines de l’environnement, des droits de l’homme, du travail ainsi que de la protection des consommateurs.

5.2.

D’abord et avant tout, l’accord établissant le TMI devrait contenir une clause de hiérarchie qui garantisse qu’en cas d’incompatibilité entre un accord international d’investissement et un accord international en matière environnementale, sociale ou de droits de l’homme ayant valeur contraignante pour une des parties d’un différend, ce soient les obligations découlant dudit accord international en matière environnementale, sociale ou de droits de l’homme qui prévalent, et ce afin d’éviter que la priorité ne soit accordée aux accords des investisseurs (22). Cette clause est particulièrement importante pour garantir que les parties au TMI disposent de la liberté nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris, ce qui nécessite un changement réglementaire important pour parvenir à une transition énergétique réussie.

5.3.

Des garanties procédurales contre des recours visant une législation d’intérêt public national sont nécessaires pour s’assurer que le droit d’une des parties à réglementer à sa guise dans l’intérêt du public est garanti face à des considérations relevant de la protection de l’investisseur. Le CESE estime que celles-ci ne pourraient être suffisamment assurées par l’insertion d’une exception d’intérêt public. Cependant, elles pourraient être assorties de garanties appropriées permettant d’éviter qu’elles ne soient utilisées de manière abusive pour des motifs protectionnistes. Dans ces conditions, le droit de réglementation dans le domaine de la protection sociale doit mentionner explicitement les conventions collectives, y compris les conventions tripartites et/ou générales (erga omnes), afin d’exclure la possibilité qu’elles soient soumises à interprétation, en violation des attentes légitimes d’un investisseur (23).

5.4.

Le CESE fait observer que l’article 8.18, paragraphe 3, de l’AECG interdit à un investisseur de déposer un recours si l’investissement a été effectué en usant de déclarations frauduleuses, de dissimulation, de corruption ou de toute autre conduite équivalant à un abus de procédure. Tout futur accord éventuel établissant le TMI devrait veiller à ce que cette clause soit étendue au droit applicable en matière de fraude, de violation des droits de l’homme ou de violations du droit (international) en matière d’environnement, de protection sociale ou de consommation.

5.5.

Des critères stricts visant à prévenir les recours abusifs ainsi qu’à garantir le rejet anticipé des prétentions non fondées devraient également être intégrés au règlement intérieur du TMI. L’existence de procédures rapides pour rejeter les recours abusifs est d’autant plus important qu’il répondra à l’une des critiques les plus couramment formulées à l’encontre du système actuel, en garantissant que les usages à mauvais escient ne seront à l’avenir plus possibles. En outre, une telle procédure accélérée pour des recours dépourvus de fondement juridique contribuera à la réduction des coûts de fonctionnement du tribunal.

5.6.

Le CESE fait observer que l’un des sujets de préoccupation soulevé lors de son audition publique avait trait à la possibilité d’un financement des différends par des tiers. Le financement par des tiers peut ne pas servir les objectifs initiaux des accords d’investissement et donner lieu à des incitations induisant des effets pervers. Le CESE recommande par conséquent d’examiner l’impact et le caractère nécessaire d’un financement par des tiers, ainsi que sa réglementation dans le cadre du TMI (24).

6.   Droits des tiers et demandes reconventionnelles

6.1.

Le CESE envisage d’autoriser des communications d’amicus curiae (25), qui sont déjà possibles actuellement dans le cadre de nombreuses procédures de RDIE, posant ainsi les premiers jalons d’un système équilibré et équitable. Toutefois, le CESE estime qu’il est essentiel de veiller à ce que la convention instaurant le TMI ne se contente pas de permettre les communications d’amicus curiae sur le strict plan de la recevabilité, mais de faire en sorte aussi qu’elle garantisse que les juges soient tenus de les prendre dûment en considération dans leurs délibérations.

6.2.

Le CESE se félicite donc de l’inclusion dans le mandat du TMI de la possibilité d’interventions de tiers. Toutefois, le CESE recommande d’étudier le rôle des tiers au-delà du règlement actuel de la CNUDCI afin de garantir un système équilibré et équitable ainsi que des droits effectifs pour les tiers concernés, lesquels pourront être des résidents locaux, des travailleurs, des syndicats, des groupes de protection de l’environnement ou des consommateurs.

6.3.

Le CESE se félicite des efforts déployés par la Commission dans le contexte de la proposition de tribunal des investissements dans le cadre du PTCI en ce qui concerne la possibilité d’interventions de tiers ainsi que la clarification du fait que, dans le mandat, ces interventions seront ouvertes à toutes les parties intéressées ayant un intérêt juridique dans une affaire. Le CESE demande à la Commission de veiller à ce que les critères de recours fixés dans le cadre du TMI ne soient pas inutilement contraignants et permettent un accès équitable aux procédures, et ce en s’inscrivant pleinement dans le droit fil et dans l’esprit des obligations qui incombent à l’Union européenne au titre de la convention d’Aarhus.

6.4.

Certaines parties intéressées soutiennent le point de vue selon lequel le TMI devrait également pouvoir être saisi par des tiers ainsi que recevoir des demandes reconventionnelles déposées par un État à l’encontre des investisseurs, dans la continuité des évolutions observées dans l’ancien système de RDIE. Cette question soulève un certain nombre de questions juridiques et pratiques qui doivent être examinées avec prudence. Par exemple, cette possibilité dépend du droit applicable, soit, en d’autres termes, des dispositions de fond figurant dans les accords passés relevant de la juridiction du tribunal.

6.5.

Le CESE demande à la Commission de veiller à ce que le TMI, à tout le moins, ne ferme pas la porte à des recours introduits par des tiers affectés par des investisseurs étrangers. À cet égard, la convention établissant le TMI pourrait contenir des dispositions qui permettraient de tels recours lorsque des parties à un accord international auront reconnu la compétence du TMI lors de tels différends.

7.   Relations avec les tribunaux nationaux

7.1.

Le CESE considère que le TMI ne peut en aucun cas affecter le système judiciaire de l’Union ainsi que l’autonomie du droit européen. Le CESE rappelle que, dans son avis REX/411, il a considéré que la manière dont les décisions prises dans le cadre du RDIE s’agençaient avec l’ordre juridique de l’Union suscitait de vives préoccupations tant vis-à-vis du traité sur l’Union européenne que du droit constitutionnel. C’est pourquoi il estime qu’il est «absolument essentiel que la conformité du RDIE avec le droit de l’Union fasse l’objet d’un contrôle par la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une procédure formelle de demande d’avis, avant que les institutions compétentes n’arrêtent leur décision et avant que n’entre provisoirement en vigueur tout AII négocié par la Commission».

7.2.

Dans ce contexte, le CESE souhaiterait attirer l’attention sur deux affaires examinées par la CJUE, qui se fondaient sur l’ancien système d’arbitrage de RDIE et qui sont pertinentes pour le débat. D’abord, dans son avis 2/15 du 16 mai 2017 relatif à l’accord de libre-échange UE-Singapour, la CJUE a établi que l’Union n’avait pas de compétence exclusive en matière de RDIE, observant que ledit RDIE «soustrait des différends à la compétence juridictionnelle des États membres». Ensuite, dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire C-284/16, Slowakische Republik contre Achmea BV sur la question des accords d’investissement au sein de l’Union, la CJUE a constaté que le RDIE soustrait des différends à la compétence juridictionnelle des États membres de l’Union et aussi, par conséquent, au système de recours juridictionnels dans le système juridique de l’Union.

7.3.

Le CESE félicite le gouvernement belge pour sa demande d’avis, conformément à l’article 218, paragraphe 11, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sur la compatibilité du système juridictionnel des investissements dans l’AECG avec les traités européens, comme l’avait demandé le CESE dans son avis exposant sa position sur des questions clés spécifiques soulevées dans le cadre des négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (26). Le CESE formule l’espoir que l’avis 1/17 de la CJUE donnera aux institutions européennes les orientations indispensables sur des questions importantes de droit constitutionnel européen.

7.4.

Le CESE reconnaît que certaines parties intéressées considèrent que la manière la plus efficace de préserver les compétences des juridictions nationales consisterait à restreindre le droit d’agir devant le tribunal multilatéral des investissements aux seuls États et organisations internationales telles que l’Union. Le règlement des différends entre États est également le mécanisme de règlement des différends en droit international public; il a déjà été utilisé dans plusieurs accords d’investissement, et il devrait donc être préféré en ce qui concerne la législation relative aux investissements. Le CESE note que d’autres parties intéressées considèrent que le règlement des différends entre investisseurs et États constitue une option plus efficace dans le cas des investissements, en ce qu’il offre, selon eux, un règlement des différends neutre, dépolitisé et d’un bon rapport coût-efficacité. Depuis son établissement il y a plusieurs dizaines d’années, celui-ci constitue le système par défaut pour le règlement des différends relatifs à l’investissement.

7.5.

Le CESE observe que la question de l’articulation entre les juridictions nationales et le tribunal multilatéral des investissements est envisagée différemment par les diverses parties intéressées. Si certaines d’entre elles estiment que le tribunal multilatéral des investissements devrait être considéré comme une solution de dernier recours après épuisement des voies de recours nationales obligatoires, d’autres soutiennent que l’approche dite du «non-retour» (No U-turn) actuellement suivie par la Commission offre également une bonne base dans le contexte du tribunal multilatéral des investissements.

7.6.

Dans le cadre de l’approche du «non-retour», un investisseur a le droit de s’adresser directement, soit aux tribunaux locaux soit au SJI/TMI. Toutefois, lorsque l’affaire aura été jugée par une enceinte, un investisseur ne pourra obtenir qu’elle soit rouverte par une autre. Certaines parties intéressées estiment que cette approche répond positivement aux préoccupations liées au fait que, pour une même infraction présumée, les investisseurs ont la possibilité de demander réparation auprès de plusieurs enceintes. Ils notent également que plusieurs accords d’investissement internationaux suivent cette approche (27). Selon une analyse produite par la CNUCED (28), la clause de «non-retour» viserait à empêcher qu’un investisseur engage un recours à l’échelle internationale en alléguant une violation d’un accord international d’investissement et, simultanément, par l’intermédiaire d’une filiale, des procédures nationales dénonçant une infraction à un contrat ou à une législation au niveau national.

7.7.

L’obligation d’épuiser préalablement les recours nationaux est un principe fondamental du droit international coutumier comme du droit international en matière de droits de l’homme. Il existe également plusieurs accords d’investissement conclus par des États membres de l’Union avec des pays tiers qui obligent expressément les demandeurs à épuiser les voies de recours nationales (29). Cette règle se justifie en ce qu’elle permet à l’État où l’infraction a été commise d’obtenir par ses propres moyens réparation dans le cadre de son système juridique national, et celle-ci s’applique lorsque des procédures internationales ou nationales visent à obtenir un résultat identique (30). La Cour internationale de justice juge que cette règle revêt une telle importance qu’elle ne saurait être interprétée comme ayant été implicitement annulée par un accord international (31). C’est pourquoi certaines parties intéressées estiment qu’il est important qu’elle soit explicitement mentionnée dans l’accord portant création du TMI.

7.8.

Au vu du débat susmentionné, le CESE encourage la Commission à examiner plus avant la question de l’épuisement des voies de recours nationales ainsi que la manière dont ce principe pourrait s’exercer dans le cadre du TMI.

8.

Indépendance et légitimité des juges

8.1.

Quelle que soit la structure institutionnelle (une organisation internationale autonome ou liée à une institution existante) qui sera la sienne, l’indépendance du TMI devrait être préservée. La nomination de juges à titre permanent est donc considérée comme un facteur clé pour entamer l’élaboration d’une jurisprudence, et partant, pour améliorer la prévisibilité et se détourner de l’approche du RDIE, qui est souvent considérée comme fonctionnant selon un principe ad hoc.

8.2.

Si l’on veut que le TMI se développe, l’existence de juges permanents devrait être l’objectif ultime. Lors des phases initiales de la mise en place de la juridiction, compte tenu du volume de cas traités par le tribunal, celle-ci devrait pouvoir s’organiser elle-même. Ce volume dépendra du nombre de parties initiales à la convention établissant le tribunal ainsi que du nombre d’accords qui seront soumis à la juridiction du tribunal.

8.3.

Bien que la méthode de nomination des juges ne soit pas prévue dans les recommandations de la Commission quant au mandat, le CESE se félicite des engagements pris concernant la fixation de critères à la fois clairs et exigeants, notamment par rapport aux qualifications des candidats et au respect d’un code de conduite, comme la Magna Carta des juges (32), qui assure l’absence de conflits d’intérêts et l’indépendance des juges. Ces différents aspects sont essentiels pour garantir l’état de droit et la confiance du public.

8.4.

En ce qui concerne les qualifications des juges, il conviendrait d’exiger non seulement une expertise démontrable dans le domaine du droit international public, mais également dans ceux relevant du droit de l’investissement, du droit de la protection des consommateurs, du droit de l’environnement, des droits de l’homme et du droit du travail et enfin, dans celui du règlement des différends. Ce point est crucial pour s’assurer que les juges auront l’expérience nécessaire pour traiter les différents types d’affaires et soient en mesure de comprendre et d’apprécier pleinement le contexte juridique spécifique aux différents secteurs et types d’investissements qui seront soumis à la juridiction du tribunal.

8.5.

En outre, le CESE est favorable à une procédure de nomination des juges qui soit transparente et qui respecte des critères propres à garantir une représentation équitable de toutes les parties à la convention instituant le tribunal. Le processus de sélection devrait être transparent et soumis aux principes du contrôle public.

8.6.

Le fait de garantir la transparence, l’accessibilité de l’information au grand public, ainsi que l’accessibilité aux parties intéressées, par exemple au moyen de l’accréditation, constitue un autre facteur crucial pour améliorer la crédibilité et la légitimité du système. Le règlement de la CNUDCI sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités et sur la convention des Nations unies sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités («la convention de Maurice sur la transparence dans l’arbitrage») devraient servir de base minimale aux règles sur la transparence dans le cadre d’un futur TMI.

9.   Un système efficace

9.1.

Un secrétariat devrait se voir confier la charge d’administrer efficacement le TMI. Même si l’on ne sait pas encore clairement si le tribunal prendra la forme d’une institution nouvelle ou s’il sera rattaché à une organisation internationale existante, celui-ci doit être assuré de se voir allouer les ressources suffisantes permettant le bon fonctionnement de son secrétariat.

9.2.

Le projet de mandat propose que les coûts administratifs soient couverts par les parties sur une base équitable, en tenant compte de différents critères, notamment le niveau de développement économique des parties, le nombre d’accords couverts par partie, ainsi que le volume des flux ou valeurs d’investissements internationaux de chaque partie.

9.3.

En ce qui concerne la répartition des coûts relatifs au jugement des affaires (à l’exclusion de la rémunération des juges qui, selon la proposition, doit être fixe), le projet de mandat n’en fait aucune mention. Le CESE demande des éclaircissements sur ce point.

9.4.

Une part importante de l’IDE est réalisée par des PME qui doivent bénéficier du même niveau de protection et pouvoir accéder au règlement des différends à des conditions et à des coûts raisonnables.

9.5.

La possibilité de proposer un mécanisme de conciliation qui aurait pour objectif d’aider les parties à résoudre un différend à l’amiable doit également être prise en considération.

9.6.

Toutes les décisions du TMI devraient être exécutoires et rendues publiques.

10.   Haut niveau de protection et période de transition éventuelle

10.1.

Il est important de noter que préalablement à la soumission d’un accord à la juridiction du tribunal, il est essentiel que les parties donnent leur consentement. Dans les faits, ce principe signifie qu’aucun des accords signés par l’Union ou ses États membres ne sera automatiquement placé sous la juridiction du tribunal, sauf si la tierce partie l’a également acceptée.

10.2.

À cet égard, durant la période de transition éventuelle entre l’actuel système de RDIE et le SJI, et jusqu’à la mise en place du TMI, les procédures de règlement des différends convenues continuent de s’appliquer pour garantir un niveau élevé de protection des investissements, eu égard à leur constitutionnalité et à leur viabilité au regard du droit européen, dans l’attente des conclusions de l’affaire introduite par la Belgique devant la Cour de justice de l’Union européenne (33).

Bruxelles, le 12 décembre 2018.

Le président du Comité économique et social européen

Luca JAHIER


(1)  Http://www.oecd-ilibrary.org/finance-and-investment/societal-benefits-and-costs-of-international-investment-agreements_e5f85c3d-en

(2)  http://trade.ec.europa.eu/consultations/index.cfm?consul_id=179

(3)  http://trade.ec.europa.eu/consultations/index.cfm?consul_id=233

(4)  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0252+0+DOC+XML+V0//FR

(5)  Le 6 septembre 2017, la Belgique a demandé un avis à la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité du SJI avec 1) la compétence exclusive de la CJUE sur l’interprétation définitive du droit de l’Union européenne; 2) le principe général d’égalité et l’exigence d’«effet utile» du droit de l’Union européenne; 3) le droit d’accès aux tribunaux et 4) le droit de pouvoir recourir à un pouvoir judiciaire indépendant et impartial (https://diplomatie.belgium.be/sites/default/files/downloads/ceta_summary.pdf).

(6)  https://www.eesc.europa.eu/fr/node/47646

(7)  https://www.eesc.europa.eu/en/agenda/our-events/events/multilateral-investment-court-hearing

(8)  Voir «La position du CESE sur des questions clés spécifiques soulevées dans le cadre des négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI)» (JO C 487 du 28.12.2016, p. 30).

(9)  Voir l’avis d’initiative du CESE sur la protection des investisseurs et le règlement des différends entre investisseurs et États dans les accords de commerce et d’investissement de l’Union européenne avec des pays tiers (JO C 332 du 8.10.2015, p. 45). L’avis comporte également une annexe qui fait référence à un possible instrument multilatéral pour régler les différends entre investisseurs et États.

(10)  Voir la note 9 de bas de page.

(11)  L’Union européenne n’étant pas un État, elle ne peut bénéficier du statut de membre de la CNUDCI mais elle dispose du statut d’observateur renforcé.

(12)  http://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=A/CN.9/WG.III/WP.142&Lang=F

(13)  http://unctad.org/en/PublicationsLibrary/diaepcb2017d3_en.pdf

(14)  Note thématique de la CNUCED sur les AII, «Recent Developments in the International Investment Regime» (mai 2018), disponible (en anglais) http://investmentpolicyhub.unctad.org/Publications/Details/1186

(15)  http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/WGTransCorp/Pages/IGWGOnTNC.aspx

(16)  http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52017PC0493&from=EN

(17)  http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12981-2017-ADD-1-DCL-1/fr/pdf

(18)  https://www.eesc.europa.eu/fr/agenda/our-events/events/tribunal-multilateral-des-investissements

(19)  Dans son avis 2/15 du 16 mai 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a fourni un certain nombre d’éclaircissements quant à la nature de l’accord de libre-échange UE-Singapour, en établissant une répartition entre les dispositions de l’accord qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union, et celles qui relèvent d’une compétence partagée, nécessitant de ce fait une ratification des parlements nationaux. https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2017-05/cp170052fr.pdf

(20)  À titre d’exemple, citons l’accord de libre-échange UE-Chili (en cours de mise à jour), l’accord de partenariat économique UE-Japon (conclu en 2017, celui-ci ne contient aucun chapitre sur la protection des investissements, les parties ayant toutefois convenu que la question serait examinée plus en détail et réglée ultérieurement), ainsi que les futurs accords de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

(21)  En outre, cette règle s’inscrit également dans le cadre des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment la Convention européenne des droits de l’homme.

(22)  Pour une analyse critique des anciennes affaires judiciaires du RDIE, voir Andreas Kulick, Global Public Interest in International Investment Law (Cambridge University Press 2012), p. 225-306.

(23)  Voir la note 8 de bas de page.

(24)  http://ccsi.columbia.edu/work/projects/third-party-funding-in-investor-state-dispute-settlement/

(25)  Amicus curiae: littéralement «ami du tribunal». Une personne démontrant un vif intérêt ou des points de vue sur l’objet d’un recours, mais qui n’est pas partie à ce recours, peut requérir du tribunal l’autorisation de soi-disant représenter une partie, mais en réalité entend présenter une justification correspondant à son propre point de vue. Pour davantage d’informations: https://legal-dictionary.thefreedictionary.com/amicus+curiae

(26)  Voir la note 8 de bas de page.

(27)  De nombreux accords conclus par les États-Unis et le Canada ne contiennent pas de dispositions de «non-retour». Voir par exemple l’article 26 de l’accord de libre-échange entre le Canada et la Jordanie (2009) en ce qui concerne les conditions préalables à l’introduction d’une demande d’arbitrage.

(28)  Série de la CNUCED «Issues in International Investment Agreements II, Investor-State Dispute Settlement» (UNCTAD, 2014): http://unctad.org/en/PublicationsLibrary/diaeia2013d2_en.pdf

(29)  Voir par exemple, l’article 5 du traité bilatéral d’investissement (TBI) Allemagne-Israël de 1976, l’article 8 du TBI Égypte-Suède de 1978, l’article 7 du TBI Roumanie-Sri Lanka de 1981, l’article 8 du TBI Albanie-Lituanie de 2007, l’article XI du TBI Uruguay-Espagne de 1992, l’article X du TBI Uruguay-Pologne de 1991.

(30)  Affaire de l’Interhandel (Suisse c. États-Unis d’Amérique), Exceptions préliminaires, arrêt du 21 mars 1959: C.I.J. Recueil 1959, p. 6. Consultable ici: https://www.icj-cij.org/files/case-related/34/034-19590321-JUD-01-00-FR.pdf, page 27.

(31)  Affaire de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (États-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt du 20 juillet 1989, C.I.J. Recueil 1989, p. 15, paragraphe 50.

(32)  https://rm.coe.int/16807482c6

(33)  Voir la note 5 de bas de page.


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