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Document 62020CC0452

Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 14 October 2021.
PJ v Agenzia delle dogane e dei monopoli - Ufficio dei monopoli per la Toscana and Ministero dell'Economia e delle Finanze.
Request for a preliminary ruling from the Consiglio di Stato.
Reference for a preliminary ruling – Approximation of laws – Directive 2014/40/EU – Article 23(3) – World Health Organisation Framework Convention on Tobacco Control – Prohibition on selling tobacco products to minors – Rules on penalties – Effective, proportionate and dissuasive penalties – Obligation on sellers of tobacco products to verify the buyer’s age when selling those products – Fine – Operation of a tobacconist’s shop – Suspension of trading licence for a period of 15 days – Principle of proportionality – Precautionary principle.
Case C-452/20.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section ;

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:855

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 14 octobre 2021 ( 1 )

Affaire C‑452/20

PJ

contre

Agenzia delle dogane e dei monopoli – Ufficio dei monopoli per la Toscana,

Ministero dell’Economia e delle Finanze

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Fabrication, présentation et vente des produits du tabac et des produits connexes – Coopération et contrôle de la mise en œuvre – Régime de sanctions – Sanctions effectives, proportionnées et dissuasives – Obligation, pour les vendeurs de produits du tabac, de s’assurer que les acheteurs ont atteint l’âge fixé par la législation nationale pour l’achat de produits de tabac – Suspension de la licence d’exploitation pour une période de quinze jours »

I. Introduction

1.

Par sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour des clarifications afin de lui permettre d’évaluer la conformité du régime de sanctions applicable aux violations de l’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs au droit de l’Union et, plus spécifiquement, au principe de proportionnalité. A priori, cette demande semble s’inscrire parfaitement dans la ligne des affaires classiques relatives à l’interprétation du droit de l’Union.

2.

Toutefois, il y a lieu de relever, en l’espèce, l’existence d’une particularité qui tient à la source de l’interdiction dont les violations sont sanctionnées par le régime contesté dans l’affaire au principal.

3.

En effet, si la juridiction de renvoi interroge la Cour sous l’angle de la directive 2014/40/UE ( 2 ), l’obligation pour les États membres d’adopter des mesures en vue d’empêcher la vente des produits du tabac aux mineurs, en cause en l’espèce, est établie non pas dans cette directive, mais dans un accord international auquel les États membres ainsi que l’Union sont parties.

4.

En conséquence, la question préalable soulevée par la présente demande de décision préjudicielle est celle de savoir si, et, le cas échéant, sur quelle base, le principe de proportionnalité restreint la marge de manœuvre dont disposent des États membres en ce qui concerne le régime de sanctions en cause dans l’affaire au principal.

II. Le cadre juridique

A. La CCLAT

5.

La convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] pour la lutte antitabac, signée à Genève le 21 mai 2003 (ci-après la « CCLAT »), a été approuvée au nom de l’Union par la décision 2004/513/CE ( 3 ).

6.

L’article 16, paragraphes 1 et 6, de la CCLAT prévoit :

« 1.   Chaque partie adopte et applique des mesures législatives, exécutives, administratives ou autres mesures efficaces au niveau gouvernemental approprié pour interdire la vente de produits du tabac aux personnes qui n’ont pas atteint l’âge prévu en droit interne ou fixé par la législation nationale, ou l’âge de dix-huit ans. Ces mesures peuvent comprendre :

a)

l’exigence pour tous les vendeurs de produits du tabac d’afficher visiblement et en évidence dans leur point de vente un avis d’interdiction de la vente de tabac aux mineurs et, en cas de doute, de demander à chaque acheteur de prouver par des moyens appropriés qu’il a atteint l’âge légal ;

b)

l’interdiction de vendre des produits du tabac en les rendant directement accessibles, par exemple sur les étagères des magasins ;

c)

l’interdiction de la fabrication et de la vente de confiseries, en-cas, jouets ou autres objets ayant la forme de produits du tabac attrayants pour les mineurs, et

d)

des mesures prises pour s’assurer que les distributeurs automatiques de produits du tabac placés sous sa juridiction ne soient pas accessibles aux mineurs et ne fassent pas de promotion pour la vente de ces produits aux mineurs.

[...]

6.   Chaque partie adopte et applique des mesures législatives, exécutives, administratives ou autres mesures efficaces, y compris des sanctions à l’encontre des vendeurs et des distributeurs, afin d’assurer le respect des obligations énoncées aux paragraphes 1 à 5 du présent article. »

B. La directive 2014/40

7.

Les considérants 7, 8, 21, et 60 de la directive 2014/40 énoncent :

« (7)

L’action législative au niveau de l’Union est également nécessaire pour mettre en œuvre la [CCLAT], à laquelle sont parties l’Union et ses États membres, et pour lesquels les dispositions de cette convention-cadre sont contraignantes. Il convient de tenir tout particulièrement compte des dispositions de la CCLAT portant sur la réglementation de la composition des produits du tabac, la réglementation des informations sur les produits du tabac à communiquer, le conditionnement et l’étiquetage des produits du tabac, la publicité et le commerce illicite des produits du tabac. Les parties à la CCLAT, comprenant l’Union et ses États membres, ont adopté une série de directives sur l’application des dispositions de la CCLAT par consensus lors de différentes conférences.

(8)

Conformément à l’article 114, paragraphe 3, [TFUE], il y a lieu de prendre pour base un niveau de protection élevé en matière de santé pour les propositions législatives, et, en particulier, toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques devrait être prise en compte. Les produits du tabac ne sont pas des denrées ordinaires et, au vu des effets particulièrement nocifs du tabac sur la santé humaine, il convient de mettre l’accent sur la protection de la santé afin de réduire notamment la prévalence du tabagisme chez les jeunes.

[...]

(21)

Conformément à l’objet de la présente directive, à savoir faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé, notamment chez les jeunes, et conformément à la recommandation 2003/54/CE [ ( 4 )], il convient d’encourager les États membres à empêcher la vente de ces produits aux enfants et aux adolescents en adoptant des mesures appropriées visant à fixer des limites d’âge et à les faire respecter.

[...]

(60)

Étant donné que les objectifs de la présente directive, à savoir le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente du tabac et des produits connexes, ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres mais peuvent, en raison de leurs dimensions et effets, l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’il est énoncé audit article, la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs, »

8.

L’article 1er de cette directive dispose :

« La présente directive a pour objectif le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant :

a)

les ingrédients et émissions des produits du tabac et les obligations de déclaration y afférentes, notamment les niveaux d’émissions maximaux de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone pour les cigarettes ;

b)

certains aspects de l’étiquetage et du conditionnement des produits du tabac, notamment les avertissements sanitaires devant figurer sur les unités de conditionnement et sur tout emballage extérieur, ainsi que les dispositifs de traçabilité et de sécurité qui s’appliquent aux produits du tabac afin de garantir le respect de la présente directive par ceux-ci ;

c)

l’interdiction de mettre sur le marché les produits du tabac à usage oral ;

d)

la vente à distance transfrontalière de produits du tabac ;

e)

l’obligation de soumettre une notification concernant les nouveaux produits du tabac ;

f)

la mise sur le marché et l’étiquetage de certains produits connexes des produits du tabac, à savoir les cigarettes électroniques et les flacons de recharge, et les produits à fumer à base de plantes ;

en vue de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes, et de respecter les obligations de l’Union découlant de la [CCLAT]. »

9.

L’article 23, paragraphe 3, de ladite directive prévoit :

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicable aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de ces sanctions. Les sanctions prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives. Toute sanction administrative financière qui peut être imposée suite à une infraction intentionnelle peut être de nature à neutraliser l’avantage financier obtenu grâce à l’infraction. »

C. Le droit italien

10.

L’article 25, deuxième alinéa, du regio decreto n. 2316 – Testo unico delle leggi sulla protezione ed assistenza della maternità ed infanzia (décret royal no 2316 – codification des lois relatives à la protection de la mère et de l’enfant) ( 5 ), du 24 décembre 1934, tel que remplacé par l’article 24, paragraphe 3, du decreto legislativo n. 6 Recepimento della direttiva 2014/40/UE sul ravvicinamento delle disposizioni legislative, regolamentari e amministrative degli Stati membri relative alla lavorazione, alla presentazione e alla vendita dei prodotti del tabacco e dei prodotti correlati e che abroga la direttiva 2001/37/CE (décret législatif no 6 portant transposition de la directive 2014/40) ( 6 ), du 12 janvier 2016 (ci-après la « disposition nationale contestée »), dispose :

« Toute personne qui vend des produits du tabac, des cigarettes électroniques ou des flacons de recharge contenant de la nicotine, ou encore des nouveaux produits du tabac, est tenue d’exiger de l’acheteur qu’il produise un document d’identité lors de son achat sauf s’il est évident que ce dernier est majeur.

Toute personne qui vend ou fournit des produits du tabac, des cigarettes électroniques ou des flacons de recharge contenant de la nicotine, ou encore des nouveaux produits du tabac, à des mineurs de moins de dix-huit ans est passible d’une amende administrative de 500 à 3000 euros et d’une suspension de sa licence d’exploitation d’une durée de quinze jours. En cas de récidive, la personne est passible d’une amende administrative de 1000 à 8000 euros et d’un retrait de sa licence d’exploitation. »

III. Les faits au principal, la procédure et la question préjudicielle

11.

Le requérant au principal est titulaire d’une licence d’exploitation d’un bar-tabac l’autorisant à vendre des produits du tabac qui sont soumis à un monopole d’État en Italie.

12.

Au mois de février 2016, lors d’un contrôle de l’agence des douanes, celle-ci a constaté que le requérant au principal avait vendu des cigarettes à un mineur.

13.

En application de la disposition nationale contestée, l’agence des douanes a infligé au requérant au principal une amende d’un montant de 1000 euros ainsi qu’une sanction administrative accessoire consistant dans la suspension de sa licence d’exploitation d’un bar-tabac pour une période de quinze jours.

14.

Le requérant au principal a payé sans contestation l’amende qui lui a été infligée. En revanche, il a attaqué devant le Tribunale Amministrativo Regionale per la Toscana (tribunal administratif régional de la Toscane, Italie) la sanction administrative accessoire par laquelle sa licence d’exploitation du bar-tabac a été suspendue.

15.

Le requérant au principal a notamment fait valoir que la suspension de sa licence d’exploitation revêtait un caractère excessif et disproportionné, car cette sanction lui a été imposée à la suite d’une infraction unique commise pour la première fois.

16.

Il a considéré que la disposition nationale contestée était incompatible avec la directive 2014/40 et, pour cette raison, a demandé au Tribunale Amministrativo Regionale per la Toscana (tribunal administratif régional de la Toscane) de poser une question préjudicielle à la Cour.

17.

Par jugement du 27 novembre 2018, cette juridiction a rejeté le recours du requérant au principal, en estimant que l’interprétation du considérant 8 et de l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 ne permettait pas de considérer que la réglementation nationale était incompatible avec le droit de l’Union.

18.

Le requérant au principal a interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). Il a notamment fait valoir de nouveau que la réglementation en cause au principal était incompatible avec la directive 2014/40. Plus particulièrement, il a soutenu que cette réglementation faisait primer le principe de précaution afin de garantir le droit à la santé des mineurs, ce qui entraîne une violation du principe de proportionnalité.

19.

Selon le requérant au principal, le législateur italien a prévu des sanctions allant au-delà de la simple neutralisation de l’avantage financier obtenu par la vente de produits du tabac aux mineurs. Ces sanctions viseraient à garantir le plus haut niveau de protection possible de la santé humaine au détriment des intérêts économiques des commerçants. Ce faisant, le législateur italien aurait altéré l’équilibre entre les différents droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union.

20.

À cet égard, la juridiction de renvoi estime que les considérants 8 et 21 ainsi que l’article 1er, dernier alinéa, de la directive 2014/40 font primer la protection de la santé humaine, en particulier celle des jeunes, sur le droit des opérateurs économiques d’exercer une activité entrepreneuriale.

21.

Selon cette juridiction, lors de l’examen de la proportionnalité des sanctions en cause au principal, il convient de prendre en compte la prépondérance que la directive 2014/40 confère à la protection de la santé des jeunes. Cette prépondérance permettrait de concrétiser et de délimiter le principe de proportionnalité.

22.

Elle estime également que, dans le cadre de la mise en balance entre, d’une part, l’intérêt de protéger la santé des jeunes et, d’autre part, le droit des opérateurs économiques d’exercer une activité commerciale consistant à vendre des produits du tabac, l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 laisse aux États membres le soin de déterminer les régimes de sanctions visant à interdire la consommation de tabac par les mineurs. Cette disposition exigerait seulement que ces sanctions soient effectives, proportionnées et dissuasives. En outre, si ladite disposition prévoit que les sanctions financières infligées peuvent être de nature à neutraliser l’avantage financier obtenu en raison de l’infraction, il n’en reste pas moins que le législateur de l’Union n’a pas exclu la possibilité d’imposer des sanctions administratives autres que pécuniaires. Dès lors, il conviendrait de considérer que l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 énonce, à titre non exhaustif, la possibilité de neutraliser par des sanctions pécuniaires l’avantage économique obtenu par la vente de produits de tabac.

23.

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi estime que, en prévoyant la suspension des licences d’exploitation permettant aux opérateurs économiques de vendre des produits de tabac, le législateur italien a, conformément aux exigences de la directive 2014/40, fait primer la protection de la santé humaine sur le droit des opérateurs économiques de vendre des produits du tabac. Elle souligne que, en tenant compte de la primauté de la protection de la santé des jeunes et de la nécessité que les sanctions soient dissuasives pour que cette protection soit effective, les pertes financières des entrepreneurs sont justifiées et raisonnables, et la sanction en cause dans l’affaire au principal est dissuasive et efficace.

24.

En ce qui concerne la durée pendant laquelle une licence d’exploitation peut être suspendue, la juridiction de renvoi indique que, dans certaines conditions, en vertu du droit italien, la durée maximale de cette suspension pourrait être étendue jusqu’à six mois.

25.

C’est dans ce contexte que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a, par décision du 5 août 2020, parvenue à la Cour le 23 septembre 2020, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 25, deuxième alinéa, du [décret royal no 2316, du 24 décembre 1934], tel que remplacé par [la disposition nationale contestée] – dans la mesure où il dispose que “[t]oute personne qui vend ou fournit des produits du tabac, des cigarettes électroniques ou des flacons de recharge contenant de la nicotine, ou encore des nouveaux produits du tabac, à des mineurs de moins de dix-huit ans est passible d’une amende administrative de 500 à 3000 euros et d’une suspension de sa licence d’exploitation pour une durée de quinze jours” – viole-t-il les principes communautaires de proportionnalité et de précaution visés à l’article 5TUE, à l’article 23, paragraphe 3, de la directive [2014/40] et aux considérants 21 et 60 de [cette directive], en ce qu’il ferait primer le principe de précaution sans le tempérer au moyen du principe de proportionnalité au point de sacrifier les intérêts des opérateurs économiques de manière disproportionnée au profit de la protection de la santé et, ce faisant, n’assurerait pas le juste équilibre qu’il convient de trouver entre les différents droits fondamentaux, en imposant, qui plus est, une sanction qui ne poursuit pas efficacement l’objectif de réduire la prévalence du tabagisme chez les jeunes contrairement à ce qu’énonce le considérant 8 de [ladite directive] ? »

26.

Des observations ont été présentées par le requérant au principal, les gouvernements italien et hongrois, ainsi que par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.

IV. Analyse

27.

Par sa question unique, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le principe de proportionnalité visé à l’article 5 TUE et concrétisé à l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40, ainsi que le principe de précaution, s’opposent à une disposition nationale qui, en cas de violation pour la première fois de l’interdiction de vendre des produits du tabac aux mineurs, prévoit, outre l’infliction d’une amende administrative, la suspension pendant une durée de quinze jours de la licence d’exploitation autorisant l’opérateur économique ayant méconnu cette interdiction à vendre ces produits.

28.

Afin de répondre à cette question, il convient, au préalable, de vérifier si les deux principes auxquels la juridiction de renvoi fait référence sont applicables à la situation en cause dans l’affaire au principal. En effet, ainsi qu’il ressort des observations écrites des parties, l’applicabilité de ces principes à la situation en cause en l’espèce n’est pas évidente.

A. Sur l’applicabilité des principes de proportionnalité et de précaution

1.   Le principe de proportionnalité

29.

En demandant à la Cour des clarifications relatives au principe de proportionnalité, la juridiction de renvoi indique que ce principe est visé à l’article 5TUE et à l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40.

30.

En conséquence, il y a lieu d’examiner, dans un premier temps, si l’article 5 TUE et l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40, en tant que disposition qui concrétise le principe de proportionnalité, s’appliquent à une situation telle que celle en cause au principal. Si tel n’est pas le cas, il conviendrait, dans un second temps, de vérifier si la disposition nationale contestée met en œuvre le droit de l’Union. En effet, le principe de proportionnalité est un principe général du droit de l’Union qui doit être respecté par une réglementation nationale entrant dans le champ d’application du droit de l’Union ou mettant en œuvre ce dernier ( 7 ) ; par ailleurs, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), qui vise également ce principe, s’applique uniquement dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union.

a)   Sur l’applicabilité de l’article 5TUE

31.

Le principe de proportionnalité est prévu à l’article 5, paragraphe 4, TUE. Conformément au premier alinéa de cette disposition, en vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. Le second alinéa de ladite disposition concerne les institutions de l’Union et leur impose de se conformer au principe de proportionnalité lorsqu’elles agissent dans l’exercice d’une compétence. L’article 5, paragraphe 4, TUE concerne donc l’action des institutions de l’Union.

32.

En l’occurrence, le requérant au principal conteste une disposition nationale figurant dans un décret royal adopté par le législateur italien qui détermine les sanctions infligées par l’agence nationale des douanes. La situation en cause au principal ne se rapporte donc pas à l’action des institutions de l’Union et, en conséquence, l’article 5, paragraphe 4, TUE ne s’applique pas en l’espèce ( 8 ).

33.

Il n’y a donc pas lieu de répondre à la question préjudicielle dans la mesure où celle-ci porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 4, TUE.

b)   Sur l’applicabilité de l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40

1) Exposé du problème

34.

L’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 prévoit que les États membres déterminent le régime des sanctions applicable aux violations des dispositions nationales adoptées en application de cette directive.

35.

La directive 2014/40 n’impose cependant pas aux États membres l’obligation d’adopter des mesures en vue d’empêcher la vente des produits du tabac aux mineurs de moins de 18 ans. Cette directive ne prévoit aucune obligation générale pour les vendeurs de produits du tabac de s’assurer que les acheteurs ont atteint l’âge fixé par la législation nationale pour l’achat de ces produits.

36.

L’absence d’une telle obligation dans la directive 2014/40 tient à l’étendue de l’harmonisation réalisée par cette directive. Ainsi que l’a indiqué la Cour, il découle de l’économie générale de ladite directive que celle-ci ne procède pas à une harmonisation exhaustive, notamment en matière de vente des produits du tabac et des produits connexes ( 9 ). Le considérant 48 de la même directive précise que celle-ci n’harmonise pas les modalités de vente et de publicité sur les marchés nationaux, et qu’elle n’introduit pas non plus de limite d’âge pour les cigarettes électroniques ou les flacons de recharge. Ce considérant indique également que les États membres sont libres de légiférer en la matière dans les limites de leur propre juridiction et sont encouragés à le faire.

37.

Bien que l’obligation d’adopter des mesures en vue d’empêcher la vente des produits du tabac aux mineurs ne soit pas énoncée dans la directive 2014/40, une telle obligation pèse néanmoins sur les États membres. En effet, cette obligation figure dans la CCLAT, un accord mixte conclu, signé et ratifié par tous les États membres, et approuvé par l’Union elle-même ( 10 ). L’article 16, paragraphe 1, de la CCLAT impose à toutes les parties à cette convention-cadre d’adopter et d’appliquer des mesures pour interdire la vente de produits du tabac aux personnes qui n’ont pas atteint l’âge prévu en droit interne ou fixé par la législation nationale, ou l’âge de 18 ans.

38.

Afin que l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 soit applicable à la situation en cause au principal, il conviendrait donc de considérer que, lorsqu’une interdiction de la vente de produits du tabac aux mineurs, imposée par l’article 16, paragraphe 1, de la CCLAT, est édictée par un État membre de l’Union, cette interdiction découle d’une disposition nationale adoptée « en application de [cette] directive ».

2) Positions des parties

39.

Le requérant au principal, le gouvernement italien et la Commission sont d’avis que l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 s’applique à la situation en cause au principal.

40.

Selon le requérant au principal, le droit de l’Union se limite à imposer aux États membres l’obligation de fixer des limites d’âge en ce qui concerne la consommation de tabac et de les faire respecter. À l’appui de cette affirmation, il invoque, notamment, l’article 1er et le considérant 21 de la directive 2014/40.

41.

En revanche, le gouvernement italien soutient, en faisant référence au considérant 48 de la directive 2014/40, que celle-ci ne régit pas la vente de tabac aux mineurs. Toutefois, pour ce gouvernement, l’étendue de l’harmonisation réalisée par cette directive ne semble pas faire obstacle à ce qu’une disposition nationale qui détermine une sanction applicable soit examinée à la lumière de l’article 23, paragraphe 3, de ladite directive. En effet, ledit gouvernement invoque cette dernière disposition, ainsi que l’article 5 TUE, dans sa proposition de réponse à la question préjudicielle.

42.

La Commission, quant à elle, indique sans ambiguïté que l’absence de mesures d’harmonisation relatives à l’interdiction de la vente de produits du tabac aux mineurs dans la directive 2014/40 n’empêche pas de vérifier si l’article 23, paragraphe 3, de celle-ci est bien respecté, et ce non pas seulement en ce qui concerne les mesures visant à sanctionner la violation d’obligations spécifiques prévues par cette directive, mais pour toutes les autres mesures adoptées par les États membres dans le but d’atteindre les objectifs de ladite directive et de mettre en œuvre le droit de l’Union. La Commission souligne, à cet égard, que la directive 2014/40 fait directement référence à la CCLAT ( 11 ), qui impose, en son article 16, d’adopter des mesures efficaces pour interdire la vente de produits du tabac aux mineurs. Il existerait donc un lien fonctionnel entre l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40, qui définit les principes que doivent respecter les sanctions adoptées par les États membres pour mettre en œuvre les objectifs de cette directive, et les sanctions prévues par la législation nationale en cause en cas de non‑respect de l’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs.

3) Appréciation

43.

Il est certes vrai que la disposition nationale contestée, qui détermine la sanction applicable aux violations d’une autre disposition nationale interdisant la vente des produits du tabac à des mineurs, figure dans un texte législatif italien dont le titre indique que celui-ci porte sur la transposition de la directive 2014/40. Il est également opportun de relever, à cet égard, que l’article 29, paragraphe 2, de cette directive exige que, lorsque les États membres adoptent les dispositions de transposition, celles-ci contiennent une référence à ladite directive. A priori, cela peut faire penser que l’interdiction de la vente des produits du tabac à des mineurs résulte d’une disposition nationale adoptée en application de la directive 2014/40, de sorte que l’article 23, paragraphe 3, de cette directive devrait s’appliquer également au regard de cette sanction.

44.

Néanmoins, il convient de relever, en premier lieu, que l’article 29 de la directive 2014/40 opère une distinction entre les dispositions nationales mises en vigueur par un État membre pour se conformer à cette directive ( 12 ) et celles adoptées dans le domaine régi par ladite directive ( 13 ). L’harmonisation réalisée par la directive 2014/40 ne couvre pas tous les aspects relevant du domaine régi par celle-ci.

45.

Toujours dans ce contexte, en deuxième lieu, l’harmonisation réalisée par la directive 2014/40 n’englobe pas d’obligation d’adopter des mesures en vue d’empêcher la vente des produits du tabac aux mineurs.

46.

Certes, le considérant 20 de la recommandation 2003/54 indique qu’il est important de garantir la cohérence des mesures contenues dans cette recommandation avec les composantes de la future CCLAT. En accord avec cette indication, l’article 1er de la recommandation 2003/54 préconise l’adoption par les États membres de mesures en vue d’empêcher la vente de produits du tabac aux enfants et aux adolescents.

47.

Ensuite, le considérant 7 de la directive 2014/40 suggère que celle-ci résulte d’une action législative par laquelle la CCLAT a été mise en œuvre au niveau de l’Union.

48.

Par ailleurs, le considérant 21 de la directive 2014/40 élève la recommandation 2003/54 au même niveau que l’objet de cette directive, à savoir de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé, notamment chez les jeunes. En outre, il énonce qu’il convient d’encourager les États membres à empêcher la vente de ces produits aux enfants et aux adolescents en adoptant des mesures appropriées visant à fixer des limites d’âge et à les faire respecter.

49.

Dans le même ordre d’idées, le considérant 48 de la directive 2014/40 confirme que celle-ci n’harmonise pas les modalités de vente et de publicité sur les marchés nationaux, et n’introduit pas non plus de limite d’âge pour les cigarettes électroniques ou les flacons de recharge. Ce considérant indique également que les États membres sont libres de légiférer en la matière, dans les limites de leur propre juridiction, et qu’ils sont encouragés à le faire. Ce faisant, il n’indique nullement que la marge de manœuvre dont disposent les États membre est circonscrite par la directive 2014/40.

50.

Enfin, suivant la même ligne, l’article 1er de la directive 2014/40 clarifie que celle-ci a pour objectif le rapprochement des dispositions des États membres, en vue de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes, et de respecter les obligations de l’Union découlant de la CCLAT.

51.

Toutefois, l’encouragement fait aux États membres, aux considérants 21 et 48 de la directive 2014/40, ne s’est pas traduit dans la directive par une disposition imposant une obligation, telle que celle figurant à l’article 16, paragraphe 1, de la CCLAT ( 14 ). L’obligation générale d’adopter des mesures en vue d’empêcher la vente des produits du tabac aux mineurs fait ainsi défaut. À la lecture des matières couvertes par l’harmonisation réalisée par la directive 2014/40, il est constant que la seule matière qui se rapproche de celle visée à l’article 16, paragraphe 1, de la CCLAT est celle visée à l’article 1er, sous d), et à l’article 18 de cette directive, et concerne la vente à distance transfrontalière de produits du tabac. Conformément à l’article 18, paragraphe 4, de ladite directive, les détaillants pratiquant la vente à distance transfrontalière doivent utiliser un système de contrôle de l’âge permettant de vérifier, au moment de la vente, que le consommateur qui effectue l’achat remplit l’exigence d’avoir l’âge minimal prévu par le droit national de l’État membre de destination.

52.

Par ailleurs, bien que l’article 18 de la directive 2014/40 régisse une matière qui se rapproche de celle visée à l’article 16 de la CCLAT, sa ratio legis semble être bien différente. Dans une certaine mesure, cette différence peut expliquer l’étendue de l’harmonisation réalisée par le législateur de l’Union à travers cette directive qui ne concerne pas la matière ciblée par la CCLAT. En effet, en ce qui concerne la vente à distance transfrontalière de produits du tabac, visée à l’article 18 de la directive 2014/40, la Commission a soutenu, au cours des travaux préparatoires, qu’il était quasiment impossible pour un État membre de réglementer les ventes de tabac en ligne, notamment en ce qui concerne l’âge minimal requis pour l’achat de produits du tabac, si ces transactions ne sont pas réglementées dans d’autres États membres ( 15 ). En revanche, pour la doctrine, les mesures prévues à l’article 16 de la CCLAT sont essentiellement nationales et ne justifient pas de façon claire l’existence d’un traité international ( 16 ). On pourrait arguer que, a fortiori, ces mesures ne justifient pas non plus une intervention du législateur de l’Union.

53.

En troisième lieu, si la directive 2014/40 ne contient pas de disposition reprenant le contenu de l’article 16, paragraphe 1, de la CCLAT, cette convention-cadre contient en revanche une disposition analogue à celle de l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40, à savoir son article 16, paragraphe 6. Cette dernière disposition est plus concise que celle de la directive 2014/40. Il en ressort que les sanctions prévues afin d’assurer le respect de l’obligation d’empêcher la vente de produits du tabac aux enfants et aux adolescents doivent être « efficaces ».

54.

Les États membres ont adhéré à la CCLAT bien avant la date de transposition de la directive 2014/40. Avant cette date, les sanctions applicables aux violations d’une disposition nationale régissant l’interdiction de la vente de produits du tabac aux mineurs devaient être déterminées au regard de l’article 16, paragraphe 6, de cette convention-cadre. Tel est toujours le cas après la transposition de la directive 2014/40.

55.

En quatrième lieu, les dispositions de la CCLAT étant contraignantes non seulement pour les États membres mais également pour l’Union, cette convention constitue donc un accord mixte : ces dispositions font partie intégrante du droit de l’Union. Il est évident que, en l’espèce, il s’agit de dispositions portant sur les aspects ayant une influence sur le fonctionnement du marché intérieur et qui relèvent donc de la compétence de l’Union. Le fait de se conformer aux dispositions de la CCLAT et d’introduire des mesures en vue d’empêcher la vente des produits du tabac aux mineurs de moins de 18 ans résulte donc d’une obligation internationale intégrée dans l’ordre juridique de l’Union. La mise en œuvre de la CCLAT peut donc être considérée comme la mise en œuvre du droit de l’Union, sans nécessairement impliquer la nécessité d’adopter des dispositions visant à mettre en application la directive 2014/40.

56.

Cette considération n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 s’applique à la situation en cause au principal, au motif qu’il existe un lien fonctionnel entre cette disposition et les sanctions prévues par la disposition nationale contestée.

57.

L’argument de la Commission semble reposer, en substance, sur un prétendu parallélisme entre les objectifs visés par la directive 2014/40 et ceux visés par la disposition nationale contestée, s’inspirant de l’arrêt Siragusa ( 17 ), auquel la Commission fait référence. Selon cet arrêt, pour déterminer si une réglementation nationale relève de la mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51 de la Charte, il y a lieu de vérifier, parmi d’autres éléments, si elle a pour but de mettre en œuvre une disposition du droit de l’Union, le caractère de cette réglementation et si celle‑ci ne poursuit pas des objectifs autres que ceux couverts par le droit de l’Union. Or, compte tenu de ces éléments, il y a lieu d’observer que la disposition nationale contestée a plutôt pour but de mettre en œuvre l’article 16 de la CCLAT qui, en tant que disposition d’un accord conclu par l’Union, fait partie intégrante de l’ordre juridique de celle-ci.

c)   Sur l’applicabilité du principe de proportionnalité en tant que principe général du droit de l’Union

58.

Bien que l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 ne soit pas applicable à la situation en cause au principal, le principe de proportionnalité s’applique à cette situation en tant que principe général du droit de l’Union.

59.

En effet, d’une part, le principe de proportionnalité, qui impose aux États membres d’adopter des mesures propres à réaliser les objectifs poursuivis et n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre, doit être respecté par une réglementation nationale entrant dans le champ d’application du droit de l’Union ou mettant en œuvre ce dernier ( 18 ). Les accords internationaux conclus par l’Union, dont les dispositions font partie intégrante de l’ordre juridique de celle-ci, ne sont pas en principe « impénétrables » pour le droit primaire, y compris pour les principes généraux du droit de l’Union ( 19 ). En conséquence, dans le prolongement de cette logique et dans la mesure où la CCLAT fait partie intégrante du droit de l’Union, sa mise en œuvre doit donc respecter le principe de proportionnalité.

60.

D’autre part, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, dans le respect du principe de proportionnalité, toute limitation à l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte ne peut avoir lieu que si elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou, au besoin, de protection des droits et libertés d’autrui. En ce qui concerne leur proportionnalité, il en va de même, en substance, pour les limitations à l’exercice des droits reconnus par la Charte qui font l’objet de dispositions dans les traités (article 52, paragraphe 2, de la Charte) ( 20 ). En tout état de cause, le fait qu’une limitation à l’exercice de tels droits et libertés ait sa source dans une obligation internationale faisant partie intégrante du droit de l’Union ne saurait impliquer que cette limitation puisse ne pas respecter le principe de proportionnalité.

2.   Le principe de précaution

61.

La Commission considère que le principe de précaution n’est pas applicable en l’occurrence, dès lors qu’il n’existe aucune incertitude en ce qui concerne les risques pour la santé humaine associés à la vente de produits du tabac aux mineurs.

62.

Je suis d’accord avec la Commission sur ce point.

63.

En effet, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées ( 21 ). Ce principe n’entre pas en jeu, en revanche, dans une situation dans laquelle il n’y a aucun élément d’incertitude quant à l’existence ou à l’importance d’un risque ( 22 ).

64.

Ainsi qu’il ressort du préambule de la CCLAT, les parties à cette convention ont reconnu que des données scientifiques avaient établi de manière irréfutable que la consommation de tabac et l’exposition à la fumée du tabac sont une cause de décès, de maladie et d’incapacité. Dans cet ordre d’idées, bien que l’encouragement figurant aux considérants 21 et 48 de la directive 2014/40 ne se traduise pas par une disposition reprenant le contenu de l’article 16, paragraphe 1, de la CCLAT, cet encouragement indique que le législateur de l’Union a reconnu la pertinence de ces données. Rien ne suggère que les études ayant conduit à l’adoption de la CCLAT et de la directive 2014/40 présentent des caractéristiques justifiant d’appliquer le principe de précaution.

65.

En conséquence, il n’y a pas lieu de répondre sur cet aspect de la question préjudicielle pour autant que celle-ci porte sur l’interprétation du principe de précaution et dans la mesure où ce principe ne s’applique pas à la situation en cause au principal. Par conséquent, il convient de fournir à la juridiction de renvoi des indications lui permettant d’apprécier la conformité de la disposition nationale contestée au regard du seul principe de proportionnalité en tant que principe général du droit de l’Union.

B. Sur le fond

66.

Le requérant au principal allègue, tout d’abord, que, par la disposition nationale contestée, le législateur italien a altéré l’équilibre qu’il convient de trouver entre les différents droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union.

67.

Ensuite, selon lui, cette disposition ne permet pas de poursuivre efficacement l’objectif de réduire la prévalence du tabagisme chez les jeunes, dès lors qu’elle a pour effet non pas de réduire le tabagisme chez les jeunes mais de nuire à l’exploitation du contrevenant.

68.

Enfin, le système de sanctions prévu par la disposition nationale contestée ne respecterait pas le principe de proportionnalité en raison de la sévérité excessive des sanctions prévues. L’objectif de réduction du tabagisme chez les jeunes aurait pu être atteint par des obligations moins lourdes et moins strictes, au moyen d’un système de sanctions fondé sur des mécanismes de progressivité et de gradation effectives qui ne compromettraient pas la « survie » économique du contrevenant en tant qu’opérateur économique dès la première infraction. Qui plus est, les revendeurs ne seraient pas toujours en mesure de vérifier avec certitude l’âge de l’acheteur.

69.

Eu égard aux allégations du requérant au principal, qui sous-tendent donc la question préjudicielle, et compte tenu du fait que l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 ne s’applique pas à la situation en cause au principal, il convient de comprendre ces allégations en ce sens que la disposition nationale contestée doit être considérée comme une limitation de l’exercice de la liberté d’entreprise et, éventuellement, du droit de propriété également, par laquelle le législateur italien cherche à réaliser l’objectif légitime poursuivi par l’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs, à savoir la protection de la santé humaine afin de réduire, notamment, la prévalence du tabagisme chez les jeunes. À cet égard, la juridiction de renvoi considère que les allégations du requérant au principal relatives à la non-conformité de la disposition nationale contestée ne sont pas fondées. Toutefois, ses décisions ne seraient pas susceptibles d’un recours juridictionnel et la juridiction de renvoi aurait donc été tenue de procéder au renvoi préjudiciel d’une question en interprétation du droit de l’Union.

70.

Dans ces conditions, il y a lieu de rappeler que, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union dans le domaine des sanctions applicables, les États membres demeurent compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées.

71.

Toutefois, un régime de sanctions applicables aux violations de l’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs, tel que celui en cause au principal, doit, comme il résulte des considérations figurant aux points 53 et 58 des présentes conclusions, respecter l’exigence d’efficacité prévue à l’article 16, paragraphe 6, de la CCLAT, ainsi que le principe de proportionnalité ( 23 ).

72.

Par ailleurs, s’il appartient à la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter et appliquer le droit national, d’apprécier si, en l’occurrence, la suspension d’une licence d’exploitation d’un bar-tabac, outre l’amende ayant été infligée, est proportionnée à la réalisation de l’objectif légitime poursuivi par l’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs, à savoir la protection de la santé humaine afin de réduire, notamment, la prévalence du tabagisme chez les jeunes, il n’en demeure pas moins que la Cour peut lui fournir des éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union lui permettant de déterminer si tel est le cas.

73.

Dans ce contexte, en premier lieu, en ce qui concerne les limitations résultant du régime de sanctions applicables aux violations de l’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs, tel que celui en cause au principal, la liberté d’entreprise et le droit de propriété, visés, respectivement, aux articles 16 et 17 de la Charte, sont en jeu.

74.

La liberté d’entreprise et le droit de propriété ne sont pas absolus. Toute limitation à leur exercice ne peut, dans le respect du principe de proportionnalité, être apportée que si elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union. Les objectifs de protection de la santé et de réduction de la prévalence du tabagisme chez les jeunes constituent indéniablement des objectifs d’intérêt général.

75.

Dans ce contexte, dans l’arrêt Swedish Match ( 24 ), la Cour a examiné les effets de l’interdiction de commercialisation des produits du tabac à usage oral exerçant un attrait particulier sur les jeunes, visés à l’article 8 de la directive 2001/37/CE ( 25 ), qui précédait la directive 2014/40. Selon la Cour, l’obstacle au libre exercice d’une activité économique que constitue une mesure d’interdiction ne peut pas être considéré, au regard du but poursuivi de protection de la santé, comme portant une atteinte démesurée au droit à l’exercice de cette liberté ou au droit de propriété. Dans un arrêt constituant le prolongement de cette saga jurisprudentielle ( 26 ), la Cour a considéré, en ce qui concerne une interdiction analogue prévue par la directive 2014/40, que l’objectif de protection de la santé revêt une importance prépondérante par rapport aux intérêts d’ordre économique, l’importance de cet objectif étant susceptible de justifier des conséquences économiques négatives, même d’une ampleur considérable. A fortiori, la suspension temporaire d’une licence d’exploitation d’un bar-tabac ne saurait être considérée comme une atteinte démesurée au droit à l’exercice de la liberté d’entreprise ou au droit de propriété.

76.

En deuxième lieu, quant au point de savoir si la suspension d’une licence d’exploitation d’un bar-tabac peut efficacement permettre d’atteindre l’objectif de réduire la prévalence du tabagisme chez les jeunes, il convient d’observer que, comme le fait valoir le gouvernement italien, une sanction financière infligée de manière isolée ne constitue pas une mesure efficace : en sachant qu’ils peuvent se procurer du tabac dans un établissement donné, les mineurs s’y rendraient, ce qui conduirait à une augmentation considérable des bénéfices du titulaire de l’établissement, et l’État membre devrait déployer des ressources disproportionnées pour effectuer des contrôles quotidiens.

77.

En troisième lieu, en en ce qui concerne les allégations du requérant au principal par lesquelles celui-ci critique la disposition nationale contestée au motif qu’elle n’aurait pas un caractère graduel et progressif, il est certes vrai que le principe de proportionnalité exige que la sanction infligée corresponde à la gravité de l’infraction ( 27 ).

78.

Toutefois, l’exigence que la sévérité d’une sanction doive correspondre à la gravité de l’infraction concernée ne saurait nécessairement conduire à interdire un régime de sanctions qui, en cas d’infraction commise pour la première fois, est dépourvu de caractère graduel et progressif. En effet, chaque violation de l’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs, prise isolément, présente généralement des caractéristiques similaires, tant en ce qui concerne le nombre de produits vendus que les personnes auxquelles ces produits sont mis à disposition. Dans ces circonstances, l’application de la sanction uniforme et standardisée que constitue la suspension de la licence d’exploitation d’un bar-tabac, en cas de violation pour la première fois de cette interdiction, ne semble pas contraire au principe de proportionnalité.

79.

En outre, selon la disposition nationale contestée, contrairement au montant de l’amende qui, lui, peut varier, de 500 à 3000 euros, la suspension de la licence d’exploitation permettant à l’opérateur économique concerné de vendre des produits du tabac est toujours, en cas de première infraction, d’une période fixe de quinze jours. Ainsi, dans le cadre de la disposition nationale contestée, la correspondance entre la sévérité de la sanction et celle de l’infraction concernée est, à tout le moins dans une certaine mesure, assurée par l’amende qui accompagne la suspension de la licence d’exploitation d’un bar-tabac.

80.

Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que le principe de proportionnalité doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, en cas de violation pour la première fois de l’interdiction de vendre des produits du tabac aux mineurs, outre l’infliction d’une amende administrative, l’opérateur économique ayant violé cette interdiction fasse l’objet d’une suspension de sa licence d’exploitation pendant une durée de quinze jours.

V. Conclusion

81.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante à la question préjudicielle posée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) :

Le principe de proportionnalité doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, en cas de violation pour la première fois de l’interdiction de vendre des produits du tabac aux mineurs, outre l’infliction d’une amende administrative, l’opérateur économique ayant violé cette interdiction fasse l’objet d’une suspension de sa licence d’exploitation pendant une durée de quinze jours.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1).

( 3 ) Décision du Conseil du 2 juin 2004 relative à la conclusion de la convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (JO 2004, L 213, p. 8).

( 4 ) Recommandation du Conseil du 2 décembre 2002 relative à la prévention du tabagisme et à des initiatives visant à renforcer la lutte antitabac (JO 2003, L 22, p. 31).

( 5 ) GURI no 47, du 25 février 1935, p. 811.

( 6 ) GURI no 13, du 18 janvier 2016, p. 102.

( 7 ) Arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C‑384/17, EU:C:2018:810, point 40).

( 8 ) Voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, TTL (C‑553/16, EU:C:2018:604, points 33 et 35), et ordonnance du 13 février 2020, МАK ТURS (C‑376/19, non publiée, EU:C:2020:99, points 18 et 19).

( 9 ) Arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a. (C‑547/14, EU:C:2016:325, point 77).

( 10 ) Voir considérant 7, première phrase, de la directive 2014/40. Sur la qualification de la CCLAT en tant qu’accord mixte, voir, également, Klamert, M., « Public Health Policy », dans Koffman, H. C. H., Rowe, G. C., et Türk, A.H. (éd.), Specialized Administrative Law of the European Union : A Sectoral Review, Oxford University Press, Oxford, 2012, p. 422.

( 11 ) Voir considérant 7 de la directive 2014/40.

( 12 ) Voir article 29, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/40.

( 13 ) Voir article 29, paragraphe 3, de la directive 2014/40, qui prévoit que les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.

( 14 ) Voir point 35 des présentes conclusions.

( 15 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente du tabac et de ses produits [COM(2012) 788 final].

( 16 ) Burci, G. L., La convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, United Nations Audiovisual Library of International Law, legal.un.org/avl/, p. 4. Cet auteur relève deux motifs susceptibles d’expliquer l’intérêt d’un traité international, à savoir que le fait d’ériger des mesures en obligations internationales a permis, premièrement, de mettre les États à l’abri des pressions que pourrait exercer l’industrie du tabac et, deuxièmement, de renforcer le pouvoir des ministres de la Santé en leur permettant d’invoquer ces obligations.

( 17 ) Arrêt du 6 mars 2014 (C‑206/13, EU:C:2014:126, point 25).

( 18 ) Arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C‑384/17, EU:C:2018:810, point 40).

( 19 ) Lenaerts, K., et De Smijter, E., « The European Union as an Actor under International Law », Yearbook of European Law, 2000, vol. 19, p. 105.

( 20 ) Le principe de proportionnalité a différentes sources dans le droit de l’Union et trouve diverses expressions en tant que principe général du droit de l’Union. Ce principe garantit, notamment, l’exercice non perturbé des libertés fondamentales du marché intérieur et est visé à l’article 49, paragraphe 3, ainsi qu’à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. En l’espèce, il n'est pas nécessaire de distinguer entre ces sources ou ces expressions.

( 21 ) Voir, notamment, arrêt du 29 avril 2010, Solgar Vitamin’s France e.a. (C‑446/08, EU:C:2010:233, point 70).

( 22 ) Voir, en ce sens, mes conclusions dans l’affaire Deutsche Parkinson Vereinigung (C‑148/15, EU:C:2016:394, point 69).

( 23 ) En revanche, l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2014/40 ne s’applique pas à la situation en cause au principal. Le fait que cette disposition prévoie que toute sanction administrative financière de nature à neutraliser l’avantage financier obtenu grâce à l’infraction peut être imposée à la suite d’une infraction intentionnelle n’influence donc pas directement le résultat de l’examen de la conformité de la disposition nationale contestée au droit de l’Union.

( 24 ) Arrêt du 14 décembre 2004 (C‑210/03, EU:C:2004:802, point 74).

( 25 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2001 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac – Déclaration (JO 2001, L 194, p. 26).

( 26 ) Arrêt du 22 novembre 2018, Swedish Match (C‑151/17, EU:C:2018:938, point 54).

( 27 ) Arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N (C‑384/17, EU:C:2018:810, point 45).

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