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Document 62022CO0230

Beschluss des Gerichtshofs (Sechste Kammer) vom 6. September 2023.
KN u. a. gegen SC Vlad Magic SRL, in Liquidation u. a.
Vorabentscheidungsersuchen des Judecătoria Lehliu-Gară.
Vorlage zur Vorabentscheidung – Art. 53 Abs. 2 und Art. 94 der Verfahrensordnung des Gerichtshofs – Angabe der Gründe, aus denen sich die Notwendigkeit einer Auslegung bestimmter Vorschriften des Unionsrechts durch den Gerichtshof und der Zusammenhang zwischen diesen Vorschriften und dem anwendbaren nationalen Recht ergibt – Unzureichende Angaben – Offensichtliche Unzulässigkeit.
Rechtssache C-230/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:662

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Indication des raisons justifiant la nécessité d’une interprétation de certaines dispositions du droit de l’Union par la Cour ainsi que du lien existant entre ces dispositions et la législation nationale applicable – Précisions insuffisantes – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑230/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Judecătoria Lehliu-Gară (tribunal de première instance de Lehliu-Gară, Roumanie), par décision du 6 décembre 2021, parvenue à la Cour le 29 mars 2022, dans la procédure pénale contre

KN,

LY,

OC,

DW,

en présence de :

SC Vlad Magic SRL, en liquidation,

SC Cometal Instal Construct,

Unitatea Administrativ Teritorială a Comunei Săruleşti,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, M. T. von Danwitz (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement roumain, par Mmes R. Antonie, E. Gane et O.–C. Ichim, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. I. Rogalski et M. Wasmeier, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 TUE ainsi que de l’article 48, paragraphe 2, et de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre KN, LY, OC et DW des chefs, notamment, d’abus de fonction, complicité d’abus de fonction, escroquerie, complicité d’escroquerie et falsification de documents sous seing privé.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit roumain

4        L’article 132 de la Legea nr. 78 pentru prevenirea, descoperirea și sanctionarea faptelor de corupție (loi no 78 relative à la prévention, la découverte et la sanction des faits de corruption), du 8 mai 2000 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 219 du 18 mai 2000), dans sa version applicable aux faits au principal, dispose :

« Le délit d’abus de fonction touchant les intérêts publics, le délit d’abus de fonction touchant les intérêts des personnes et le délit d’abus de fonction ayant pour effet de restreindre certains droits, lorsque le fonctionnaire public a obtenu, pour lui-même ou pour une autre personne, un avantage patrimonial ou moral, sont punis de trois à quinze ans d’emprisonnement. »

5        L’article 248 du codul penal (code pénal), dans sa version applicable aux faits au principal, intitulé « Abus de fonction touchant les intérêts publics », prévoit :

« Le fait du fonctionnaire public qui, dans l’exercice de ses fonctions, s’abstient sciemment d’accomplir un acte ou l’accomplit sciemment de manière défectueuse et cause ainsi un trouble considérable au bon fonctionnement d’un organe ou d’une institution de l’État ou d’une autre entité visée à l’article 145, ou lui cause un préjudice patrimonial est puni de six mois à cinq ans d’emprisonnement. »

 La procédure au principal et la question préjudicielle

6        Par réquisitoire du 21 octobre 2015, le Parchetul de pe lângă Tribunalul Călărași (parquet près le tribunal de grande instance de Călărași, Roumanie) a renvoyé KN, LY, OC et DW devant la Judecătoria Lehliu-Gară (tribunal de première instance de Lehliu-Gară, Roumanie), la juridiction de renvoi.

7        En ce qui concerne plus particulièrement KN, il lui était reproché d’avoir commis, entre autres infractions, celle d’abus de fonction, prévue aux dispositions combinées de l’article 132 de la loi no 78 du 8 mai 2000 ainsi que de l’article 248 du code pénal. En effet, KN aurait, en sa qualité de maire d’une commune roumaine, entre l’année 2009 et l’année 2012, approuvé, au détriment du budget public et avec une intention délictueuse, des ordres de paiement pour des travaux publics et la fourniture de matériaux n’ayant en réalité pas été mis en œuvre et fournis.

8        Lors de l’audience devant la juridiction de renvoi, KN a fait valoir que l’article 248 du code pénal manquait de clarté et de prévisibilité, de sorte que, exprimant des doutes quant à la compatibilité de cet article avec l’article 2 TUE ainsi qu’avec les articles 48 et 49 de la Charte, il a demandé la saisine de la Cour à titre préjudiciel.

9        La juridiction de renvoi fait observer que, conformément à l’article 248 du code pénal, le fait du fonctionnaire public qui, dans l’exercice de ses fonctions, « s’abstient sciemment d’accomplir un acte ou l’accomplit sciemment de manière défectueuse et cause ainsi un trouble considérable au bon fonctionnement d’un organe ou d’une institution de l’État ou d’une autre entité visée à l’article 145, ou lui cause un préjudice patrimonial, est puni de six mois à cinq ans d’emprisonnement ». Ladite juridiction précise que, dans un arrêt du 15 juin 2016, la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) a jugé que les termes « accomplit de manière défectueuse », figurant à l’article 248 du code pénal, doivent être compris comme signifiant « accomplit en violation de la loi ».

10      Or, la juridiction considère que l’expression « accomplit de manière défectueuse » ainsi interprétée par la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) impose en pratique une obligation générale de respecter un nombre indéfini de lois, voire l’ensemble des lois, avec pour conséquence la possible application de sanctions pénales en l’absence d’incrimination de comportements spécifiques. Ainsi que la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) l’aurait jugé, l’article 248 du code pénal manquerait de clarté et de prévisibilité et porterait de ce fait atteinte au principe de légalité et de proportionnalité. La juridiction de renvoi ajoute que cette disposition non seulement ne prévoit pas concrètement les faits entraînant la responsabilité pénale, mais établit de manière indifférenciée pour tous ces faits, quelle que soit leur nature ou leur gravité, la même sanction. Ladite disposition, en ce qu’elle serait formulée en des termes larges et vagues, entraînerait un degré élevé d’imprévisibilité et permettrait une application arbitraire. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme issue de l’arrêt du 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique (CE:ECHR:2000:0622JUD003249296), la juridiction de renvoi semble considérer que l’article 248 du code pénal est contraire à l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, selon lequel la loi pénale ne peut pas être interprétée et appliquée de manière extensive au détriment de l’accusé.

11      La juridiction de renvoi fait enfin observer que l’interprétation des dispositions du droit de l’Union invoquées dans la présente affaire est nécessaire pour rendre une décision pénale qui soit conforme au traité UE.

12      Dans ces conditions, la Judecătoria Lehliu-Gară (tribunal de première instance de Lehliu-Gară) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2 [TUE] (relatif au respect des principes de l’État de droit et au respect des droits de l’homme), lu à la lumière de l’article 48, paragraphe 2, de la [Charte], relatif aux droits de la défense, et de l’article 49 de [celle-ci], relatif au principe de légalité des délits et des peines, s’oppose-t-il à une réglementation nationale qui qualifie d’infraction pénale un comportement consistant à accomplir un acte en violation de toute loi quelle qu’elle soit, sans indiquer expressément les lois ou les dispositions légales dont la violation entraîne l’engagement de la responsabilité pénale ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

13      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

14      Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

15      En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 167 et jurisprudence citée).

16      Selon une jurisprudence également constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20, EU:C:2022:601, point 48 et jurisprudence citée).

17      À cet égard, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle et figurant de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure (arrêt du 11 novembre 2021, Dublin City Council, C‑214/20, EU:C:2021:909, point 28), exigences qui sont, d’ailleurs, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

18      Ainsi, dès lors que la décision de renvoi constitue le fondement de la procédure suivie devant la Cour, il est indispensable que la juridiction nationale explicite, dans cette décision, le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’inscrit le litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation, ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis. Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement [voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

19      Dans ce contexte, il importe de souligner également que les informations contenues dans les demandes de décision préjudicielle servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).

20      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas à l’exigence posée à l’article 94, sous c), du règlement de procédure, selon lequel la demande de décision préjudicielle doit contenir l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.

21      À cet égard, par sa question unique, la juridiction de renvoi demande à la Cour si les principes relatifs au respect de l’État de droit et des droits de l’homme, énoncés à l’article 2 TUE, lu à la lumière de l’article 48, paragraphe 2, et de l’article 49 de la Charte, s’opposent à une disposition nationale qui qualifie d’infraction pénale un comportement consistant à accomplir un acte en violation de toute loi, sans indiquer expressément les lois ou les dispositions légales dont la violation entraîne l’engagement de la responsabilité pénale.

22      Or, s’agissant de l’article 2 TUE, la juridiction de renvoi ne précise ni les motifs qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation de cet article ni le lien qu’elle établit entre celui-ci et la disposition nationale pénale en cause au principal, de sorte qu’il ne ressort pas des éléments dont dispose la Cour que l’interprétation de cette disposition serait nécessaire pour la résolution de l’affaire au principal.

23      En ce qui concerne l’article 48, paragraphe 2, et l’article 49 de la Charte et, plus particulièrement, le principe de légalité des délits et des peines, au regard duquel la juridiction de renvoi motive l’essentiel de sa demande de décision préjudicielle, il y a lieu de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de celles-ci [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78 ainsi que jurisprudence citée].

24      Or, la juridiction de renvoi n’ayant pas indiqué en quoi la situation en cause au principal relèverait du champ d’application du droit de l’Union, la motivation du renvoi préjudiciel ne permet pas à la Cour de déterminer si une législation nationale telle que celle en cause au principal doit être examinée au regard des dispositions de la Charte.

25      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.

26      Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 2 mai 2022, Správa železnic, C‑221/21 et C‑222/21, EU:C:2022:342, point 41).

 Sur les dépens

27      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La demande de décision préjudicielle introduite par la Judecătoria Lehliu-Gară (tribunal de première instance de Lehliu-Gară, Roumanie), par décision du 6 décembre 2021, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.

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