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Document 62020TO0032

Beschluss des Gerichts (Sechste Kammer) vom 19. November 2020.
Jorge Buxadé Villalba u. a. gegen Europäisches Parlament.
Nichtigkeitsklage – Institutionelles Recht – Mitglied des Parlaments – Kenntnisnahme des Parlaments von der Wahl zweier spanischer Gewählter zu Mitgliedern des Europäischen Parlaments – Klagebefugnis dreier anderer Mitglieder des Europäischen Parlaments – Keine unmittelbare Betroffenheit – Antrag auf Erlass eines Feststellungsurteils – Klage, die zum Teil unzulässig ist und zum Teil bei einem Gericht eingebracht wurde, das für die Entscheidung darüber offensichtlich unzuständig ist.
Rechtssache T-32/20.

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2020:552

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

19 novembre 2020 (*)

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Membre du Parlement – Prise d’acte par le Parlement de l’élection en tant que députés européens de deux élus espagnols – Qualité pour agir de trois autres députés européens – Défaut d’affectation directe – Demande visant à obtenir un arrêt déclaratoire – Recours pour partie irrecevable et pour partie porté devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître »

Dans l’affaire T‑32/20,

Jorge Buxadé Villalba, demeurant à Madrid (Espagne),

María Esperanza Araceli Aguilar Pinar, demeurant à Madrid,

Hermann Tertsch Del Valle-Lersundi, demeurant à Madrid,

représentés par Me M. Castro Fuertes, avocate,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Görlitz et Mme C. Burgos, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la prise d’acte, par le Parlement, de l’élection en tant que députés européens de MM. Carles Puigdemont i Casamajó et Antoni Comín i Oliveres, annoncée par le président du Parlement en séance plénière du 13 janvier 2020,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen et C. Iliopoulos (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        MM. Carles Puigdemont i Casamajó et Antoni Comín i Oliveres se sont présentés comme candidats aux élections au Parlement européen qui se sont tenues en Espagne le 26 mai 2019.

2        À l’issue de ces élections, MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres ont été élus au Parlement, ainsi qu’il résulte de la proclamation officielle des résultats électoraux effectuée par la Junta Electoral Central (commission électorale centrale, Espagne) dans une décision du 13 juin 2019, portant « Proclamation des députés élus au Parlement […] aux élections organisées le 26 mai 2019 » (BOE no 142, du 14 juin 2019, p. 62477).

3        Par courrier du 20 juin 2019, la commission électorale centrale a indiqué au Parlement que MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres n’avaient pas respecté la condition exigée par l’article 224, paragraphe 2, de la Ley orgánica 5/1985, de Régimen Electoral General (loi organique 5/1985, portant régime électoral général), du 19 juin 1985 (BOE no 147, du 20 juin 1985, p. 19110), de prononcer le serment ou la promesse de respecter la Constitution espagnole et que, par conséquent, ils n’avaient pas acquis la qualité de membre du Parlement.

4        Par arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), la Cour a dit pour droit qu’il découlait notamment des articles 8 et 12 de l’acte portant élection des membres du Parlement au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 20 septembre 1976 (JO 1976, L 278, p. 1), tel que modifié par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil, du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002 (JO 2002, L 283, p. 1), que la qualité de député européen était acquise au moment de la proclamation officielle des résultats électoraux effectuée par les États membres, soit, en l’espèce, à compter de la proclamation officielle effectuée par la commission électorale centrale le 13 juin 2019 (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, points 71, 74 et 89).

5        Lors de la séance plénière du 13 janvier 2020, le président du Parlement a déclaré que le Parlement prenait acte, à la suite de l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), de l’élection, en tant que députés européens, de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres, avec effet au 2 juillet 2019 (ci-après l’« acte attaqué »).

6        Par le présent recours, les requérants, MM. Jorge Buxadé Villalba et Hermann Tertsch Del Valle-Lersundi et Mme María Esperanza Araceli Aguilar Pinar, trois députés européens de nationalité espagnole, demandent l’annulation de l’acte attaqué.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 janvier 2020, les requérants ont introduit le présent recours.

8        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 11 mai 2020, le Parlement a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

9        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 juillet 2020 les requérants ont présenté leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité.

10      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        annuler l’acte attaqué ;

–        ordonner la cessation de tout effet lié à la qualité de député européen de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres et annuler ceux s’étant déjà produits ;

–        ordonner la résiliation de tout contrat de prestation de services signé par MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres avec des assistants, des conseillers, des stagiaires ou des tiers ;

–        ordonner à MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres de rembourser tous les montants reçus du Parlement en leur qualité illégitime de députés européens, à quelque titre que ce soit et quelle que soit la somme, ainsi que les montants versés par le Parlement à des tiers au titre de quelque contrat que ce soit de prestation de services avec des assistants, des conseillers, des stagiaires ou des tiers ;

–        à titre subsidiaire, constater l’incompatibilité du mandat de député européen avec celui de membre de l’assemblée législative de la communauté autonome de Catalogne (Espagne) et constater que MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres n’avaient le droit de percevoir aucune rémunération à compter du 2 juillet 2019 jusqu’à la date de prise de possession de leurs sièges, en ordonnant, dans le cas où ils auraient perçu un quelconque montant, son remboursement avec paiement d’intérêts de retard ;

–        ordonner à la direction générale de la présidence du Parlement la production des documents suivants : la demande d’avis aux services juridiques quant aux conséquences de l’arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies (C‑502/19, EU:C:2019:1115), avec indication de la date de cette demande ; l’avis établi par les services juridiques du Parlement concernant l’arrêt susmentionné et l’indication de la date à laquelle il a été remis à la présidence du Parlement ; le rapport sur la date exacte à laquelle MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres ont renoncé à leurs fonctions de membres de l’assemblée législative de la communauté autonome de Catalogne ; le document par lequel la commission électorale centrale a transmis au Parlement, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement intérieur de ce dernier, les pouvoirs de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres en tant que députés européens et le document relatif à la vérification des pouvoirs de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín ;

–        ordonner à la direction générale des Finances du Parlement de fournir un rapport indiquant le montant total des rémunérations perçues par MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres à la date à laquelle ledit rapport sera envoyé et le montant total des rémunérations versées par le Parlement à des tiers étant assistants, conseillers, stagiaires et autres du fait de la qualité de député de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín ;

–        ordonner à la commission électorale centrale d’indiquer quel jour et à quelle heure MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres ont satisfait aux conditions visées à l’article 224 de la loi organique 5/1985, portant régime électoral général ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

11      En outre, les requérants demandent au Tribunal de statuer selon une procédure accélérée.

12      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner les requérants aux dépens.

13      Enfin, par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 8 et 20 avril 2020, le Royaume d’Espagne et MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres ont demandé à intervenir au soutien des conclusions du Parlement.

 En droit

14      À titre liminaire, aux termes de l’article 152, paragraphe 1, du règlement de procédure, la demande de procédure accélérée doit être présentée par acte séparé lors du dépôt de la requête ou du mémoire en défense et contenir une motivation précisant l’urgence particulière de l’affaire et les autres circonstances pertinentes.

15      Dans la requête, les requérants ont demandé au Tribunal, en substance, de statuer selon une procédure accélérée, au motif que la nature de l’affaire exigerait son traitement dans de brefs délais.

16      Force est de constater que cette demande n’a pas été présentée par acte séparé et n’est pas suffisamment motivée. Partant, elle ne remplit pas les conditions prévues à l’article 152, paragraphe 1, du règlement de procédure et doit être rejetée.

17      Par ailleurs, en vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. En l’espèce, le Parlement ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure. En outre, en application de l’article 126 de ce même règlement, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

18      Le Parlement conclut à l’irrecevabilité du présent recours au motif que les requérants n’ont pas qualité pour agir. À cet égard, il estime, premièrement, que les requérants ne sont pas les destinataires de l’acte attaqué, deuxièmement, qu’ils ne sont ni directement ni individuellement concernés par cet acte et, troisièmement, que celui-ci n’est pas un acte règlementaire qui les concerne directement.

19      Les requérants concluent au rejet de l’exception d’irrecevabilité en estimant avoir qualité pour agir, d’une part, en tant que destinataires de l’acte attaqué et, d’autre part, en ce qu’ils seraient directement et individuellement affectés par celui-ci. Enfin, ils font valoir que l’acte attaqué est un acte règlementaire de portée générale.

20      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire (ci-après la « première hypothèse »), ou qui la concernent directement et individuellement (ci-après la « deuxième hypothèse »), ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution (ci-après la « troisième hypothèse »).

21      D’emblée, il convient de relever que les requérants ne prétendent pas expressément avoir qualité pour agir en vertu de la troisième hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

22      Toutefois, dans les observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants soutiennent, en substance, que l’acte attaqué est un acte règlementaire de portée générale, qui les concerne directement et individuellement, car ses effets ne seraient pas limités à un destinataire en particulier. Les requérants relèvent, au demeurant, que l’acte attaqué n’a pas été notifié exclusivement et personnellement à un destinataire, mais a été prononcé publiquement en séance plénière du Parlement et a été publié sur le site Internet de cette institution.

23      Le Parlement soutient, au contraire, que l’acte attaqué n’est pas un acte règlementaire qui concerne directement les requérants.

24      Il découle de l’article 288 TFUE que le règlement et la décision sont deux actes distincts. Aux termes de cette disposition, le règlement a une portée générale, il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre (article 288, deuxième alinéa, TFUE), alors que la décision est obligatoire dans tous ses éléments et, lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci (article 288, quatrième alinéa, TFUE). Ainsi, la décision a une portée individuelle, contrairement au règlement qui a une portée générale.

25      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2011:153, point 51 et jurisprudence citée).

26      En l’espèce, force est de constater que l’acte attaqué ne comporte aucune définition générale et abstraite des catégories de personnes à l’égard desquelles il serait censé s’appliquer et produire des effets. Au contraire, il ressort expressément de son contenu que l’acte attaqué concerne exclusivement la question de la qualité de député européen de deux personnes identifiées nommément, à savoir MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres et revêt donc incontestablement une portée individuelle.

27      Partant, contrairement à ce que prétendent les requérants, l’acte attaqué n’est pas un acte règlementaire de portée générale.

28      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les circonstances selon lesquelles l’acte attaqué a été rendu public en séance plénière du 13 janvier 2020 et a été publié sur le site Internet du Parlement (voir point 22 ci-dessus).

29      À cet égard, il suffit de relever que les circonstances mentionnées au point 28 ci-dessus découlent de la forme de l’acte attaqué, c’est-à-dire celle d’une déclaration du président du Parlement effectuée en séance plénière. En revanche, elles ne sauraient démontrer que, par son contenu, l’acte attaqué aurait une portée générale (voir point 26 ci-dessus).

30      Compte tenu de ce qui précède, indépendamment de la question de savoir si l’acte attaqué comporte des mesures d’exécution, il y a lieu de considérer que, puisque l’une des conditions d’application de la troisième hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE fait défaut, à savoir l’existence d’un acte règlementaire (voir point 20 ci-dessus), les requérants n’ont pas qualité pour agir au titre de cette hypothèse (voir, en ce sens, ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream/Parlement et Conseil, T‑530/19, EU:T:2020:213, point 27).

31      Dès lors, en l’espèce, il convient uniquement d’examiner si les requérants ont qualité pour agir au titre de la première et de la deuxième hypothèses rappelées au point 20 ci-dessus.

 Sur la première hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE

32      Il ressort de la jurisprudence que la notion de destinataire de l’acte, au sens de la première hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, doit s’entendre au sens formel, comme visant la personne désignée dans cet acte comme destinataire de celui-ci (arrêt du 21 janvier 2016, SACBO/Commission et INEA, C‑281/14 P, non publié, EU:C:2016:46, point 34).

33      En l’espèce, force est de constater que l’acte attaqué ne désigne pas expressément les requérants comme étant ses destinataires. En outre, les requérants ne sont pas nommément mentionnés dans cet acte, contrairement à MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres.

34      Dès lors, il y a lieu de considérer, à l’instar du Parlement, que les requérants ne disposent pas de la qualité pour agir en vertu de la première hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

35      Les arguments avancés par les requérants ne sauraient infirmer cette conclusion.

36      Premièrement, il y a lieu de rejeter l’argument des requérants selon lequel ils seraient destinataires de l’acte attaqué, car, en substance, il ressortirait de son contenu qu’il produirait des effets juridiques à leur égard.

37      D’une part, il ne ressort pas expressément du contenu de l’acte attaqué qu’il produirait des effets juridiques à l’égard des requérants, qui n’y sont mentionnés ni à titre personnel ni, plus généralement, en leur qualité de député européen (voir points 26 et 33 ci-dessus). D’autre part, cet argument repose sur une interprétation de la notion de « destinataire » d’un acte contraire à la jurisprudence rappelée au point 32 ci-dessus.

38      Au surplus, l’argument des requérants découle d’une confusion entre la notion de « destinataire » d’un acte, pertinente aux fins de la première hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir point 20 ci-dessus), et la notion de « personne individuellement concernée » par un acte dont elle n’est pas le destinataire, laquelle n’est pertinente qu’aux fins de l’examen de la deuxième hypothèse visée dans cette disposition. En effet, c’est uniquement dans le cadre de cette deuxième hypothèse qu’il convient de vérifier si les sujets autres que les destinataires d’une décision peuvent prétendre être concernés individuellement par celle-ci en ce sens qu’elle les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, et du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 46).

39      Deuxièmement, il y a lieu de rejeter l’argument des requérants selon lequel, en substance, leur prétendue qualité de destinataires de l’acte attaqué découlerait de ce que, d’une part, ils étaient présents lors de la déclaration du président du Parlement du 13 janvier 2020 et, d’autre part, cette déclaration avait été effectuée en séance plénière et, partant, devant les 750 députés européens et qu’elle avait été diffusée sur le site Internet de l’institution. En effet, compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 32 ci-dessus et des motifs exposés aux points 26 et 33 ci-dessus, les circonstances susmentionnées ne sauraient conférer aux requérants la qualité de destinataire de l’acte attaqué.

40      Eu égard à ce qui précède, il convient d’examiner si les requérants ont qualité pour agir contre l’acte attaqué, dont ils ne sont pas les destinataires, au titre de la deuxième hypothèse visée l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

 Sur la deuxième hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE

41      Il résulte d’une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, et du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 93).

42      Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la condition de l’affectation directe requiert, premièrement, que la mesure incriminée produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, deuxièmement, qu’elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires de cette mesure qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union européenne, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, EU:C:1998:193, point 43 ; du 29 juin 2004, Front national/Parlement, C‑486/01 P, EU:C:2004:394, point 34, et du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, EU:C:2009:529, point 45).

43      Enfin, il convient de rappeler que les conditions de l’affectation directe et de l’affectation individuelle sont cumulatives (voir, en ce sens, ordonnance du 11 novembre 2014, Nguyen/Parlement et Conseil, T‑20/14, EU:T:2014:955, point 55, et arrêt du 16 mai 2018, Netflix International et Netflix/Commission, T‑818/16, non publié, EU:T:2018:274, point 70). Ainsi, il suffit que l’une de ces conditions fasse défaut pour conclure que le recours est irrecevable au titre de la deuxième hypothèse prévue par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

44      En l’espèce, il convient d’examiner, d’abord, la condition de l’affectation directe et, ensuite, le cas échéant, celle de l’affectation individuelle des requérants.

45      Le Parlement prétend que les requérants ne sont pas directement concernés par l’acte attaqué.

46      Les requérants avancent plusieurs arguments qui, selon eux, établiraient leur affectation directe. Premièrement, ils estiment, en substance, que l’acte attaqué est contraire à la législation électorale en vigueur dans le Royaume d’Espagne, État membre dont ils sont à la fois les ressortissants et les représentants élus du peuple. Deuxièmement, ils indiquent que, pour devenir députés européens, ils ont dû remplir plusieurs conditions exigées par le droit espagnol, alors que, en substance, l’acte attaqué aurait illégalement exempté MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres de l’obligation de remplir ces mêmes conditions, en violation du principe d’égalité de traitement. Troisièmement, les requérants font valoir que l’acte attaqué produit des effets juridiques immédiats sur les exigences de quorum requis pour la constitution et pour l’adoption des décisions en séance plénière et au sein des commissions parlementaires. En outre, l’acte attaqué aurait eu pour effet de modifier les règles régissant la constitution et le fonctionnement du Parlement et, partant, aurait entaché de nullité l’ensemble des règles, des actes et des décisions adoptés par cette institution, que MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres aient ou non participé au vote.  

47      Force est de constater, à l’instar du Parlement, que ces arguments ne démontrent pas que l’acte attaqué affecte directement la situation juridique propre des requérants.

48      Premièrement, les requérants n’expliquent pas les raisons pour lesquelles la prétendue violation de la législation électorale espagnole aurait un quelconque effet sur leur situation juridique propre. À cet égard, force est de constater que les requérants se sont limités à évoquer leur qualité de citoyens espagnols et de représentants élus du peuple espagnol, mais n’ont pas soutenu que cette qualité aurait été directement affectée par l’acte attaqué.

49      Dès lors, l’argument des requérants selon lequel ils auraient été directement affectés par l’acte attaqué en raison de la prétendue violation de la législation électorale espagnole doit être rejeté.

50      Deuxièmement, il y a lieu de rejeter l’argument des requérants selon lequel, pour devenir membres du Parlement, ils auraient dû remplir plusieurs conditions exigées par la législation électorale espagnole, alors que, en substance, l’acte attaqué aurait illégalement exempté MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres de l’obligation de remplir ces mêmes conditions en violation du principe d’égalité de traitement.

51      À cet égard, il suffit de constater, à l’instar du Parlement, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, que l’éventuelle violation du principe d’égalité de traitement par l’acte attaqué est une question qui relève de l’examen de la légalité au fond de cet acte et, partant, n’est pas une circonstance pertinente aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir des requérants.

52      En outre, il y a lieu de rejeter l’argument des requérants selon lequel, puisque la violation du principe d’égalité de traitement concernerait l’examen de la légalité au fond de l’acte attaqué, ils auraient qualité pour agir ainsi que le droit à une protection juridictionnelle effective et à l’obtention d’une décision du Tribunal fondée en droit.  

53      En effet, il ressort de la jurisprudence que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui consacre le droit à une protection juridictionnelle effective, n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités et, notamment, les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union, ainsi qu’il découle également des explications afférentes à cet article, lesquelles doivent, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la charte des droits fondamentaux, être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci (voir arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 97 et jurisprudence citée). Ainsi, les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, sans pour autant aboutir à écarter les conditions expressément prévues par ledit traité (ordonnance du 21 janvier 2020, Telefónica et Telefónica de España/Parlement et Conseil, T‑162/19, non publiée, EU:T:2020:7, point 56).

54      Il s’ensuit que le droit des requérants à une protection juridictionnelle effective ne saurait conduire à déclarer recevable le présent recours en annulation, alors même qu’ils ne rempliraient pas les conditions de recevabilité visées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

55      Enfin et en tout état de cause, le fait que, aux fins d’acquérir la qualité de député européen, MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres se seraient prétendument vu appliquer des conditions plus favorables par rapport aux requérants n’est pas une conséquence de l’acte attaqué produisant des effets sur leur propre situation juridique. Au demeurant, force est de constater que, dans leurs écritures, les requérants n’ont pas démontré, ni même soutenu, que leur qualité de député européen aurait été affectée par l’acte attaqué.

56      Troisièmement, il y a lieu de rejeter l’argumentation des requérants selon laquelle, d’une part, l’acte attaqué produirait des effets juridiques immédiats sur les conditions de quorum pour la constitution et l’adoption des décisions en séance plénière et au sein des commissions parlementaires et, d’autre part, la reconnaissance de la qualité de député européen de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres porterait atteinte aux règles de constitution et de fonctionnement du Parlement et entacherait de nullité l’ensemble des règles, des actes et des décisions adoptés par cette institution.

57      Ainsi que le relève à juste titre le Parlement, les prétendus effets de l’acte attaqué, rappelés au point 56 ci-dessus, concernent directement le Parlement en tant qu’institution, mais n’affectent pas la situation juridique propre des députés européens. Les requérants ne présentent d’ailleurs aucun argument aux fins de démontrer qu’il en serait autrement.

58      Eu égard à ce qui précède, les requérants n’ont pas démontré être directement affectés par l’acte attaqué et, partant, ils ne remplissent pas l’une des deux conditions cumulatives énoncées dans le cadre de la deuxième hypothèse envisagée par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir point 43 ci-dessus).

59      Dès lors, il y a lieu de considérer que les requérants ne disposent pas de la qualité pour agir en vertu de la deuxième hypothèse visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

60      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Parlement et de conclure que le recours est irrecevable en ce qu’il tend à l’annulation de l’acte attaqué.

61      Enfin, il ressort du point 10 ci-dessus que, par le présent recours, les requérants demandent au Tribunal non seulement d’annuler l’acte attaqué, mais également d’opérer des constats et d’ordonner certaines mesures.

62      Premièrement, par le chef de conclusions invoqué « à titre subsidiaire » (voir point 10 ci-dessus), les requérants demandent au Tribunal de constater, d’une part, l’incompatibilité du mandat de député européen avec celui de membre de l’assemblée législative de la communauté autonome de Catalogne et, d’autre part, que MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres n’avaient pas le droit de percevoir une quelconque rémunération à compter du 2 juillet 2019 jusqu’à la date de prise de possession de leurs sièges.

63      Il découle de ce chef de conclusions que les requérants souhaitent que le Tribunal adopte un arrêt déclaratoire.

64      Toutefois, il y a lieu de rappeler que le contentieux de l’Union ne connaît pas de voie de droit permettant au juge de prendre position par le biais d’une déclaration générale ou de principe et que le Tribunal n’est pas compétent pour prononcer des arrêts déclaratoires dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE (voir ordonnance du 21 septembre 2018, Gaki/CEPD, T‑233/18, non publiée, EU:T:2018:629, point 13 et jurisprudence citée).

65      Partant, le chef de conclusions rappelé au point 62 ci-dessus doit être rejeté, le Tribunal étant manifestement incompétent pour en connaître.

66      Deuxièmement, au point 10 ci-dessus, les requérants demandent, notamment, à ce qu’il plaise au Tribunal d’ordonner la cessation de tout effet lié à la qualité de député européen de MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres et d’annuler ceux s’étant déjà produits, d’ordonner la résiliation de tout contrat de prestation de services signé par ceux-ci avec des assistants, des conseillers, des stagiaires ou des tiers, d’ordonner à MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres de rembourser tous les montants reçus du Parlement en leur qualité illégitime de député européen, à quelque titre que ce soit et quelle que soit la somme, ainsi que les montants versés par le Parlement à des tiers au titre de quelque contrat que ce soit de prestation de services avec des assistants, des conseillers, des stagiaires ou des tiers, et, enfin, d’ordonner, dans le cas où ils auraient perçu l’un des montants précités, son remboursement avec paiement d’intérêts de retard.

67      Force est de constater que, par les chefs de conclusions susmentionnés, les requérants demandent au Tribunal, en substance, d’ordonner d’éventuelles mesures d’exécution qu’impliquerait l’annulation de l’acte attaqué.

68      Compte tenu du rejet du chef de conclusions visant l’annulation de l’acte attaqué comme étant irrecevable (voir point 60 ci-dessus), il y a lieu de rejeter par voie de conséquence les chefs de conclusions mentionnés au point 66 ci-dessus, étant rappelé, au demeurant, que le juge de l’Union est, en tout état de cause, incompétent, dans le cas où il accueille un recours en annulation, pour dicter à l’institution, auteur de l’acte attaqué, les mesures que l’arrêt devrait entraîner (voir, en ce sens, ordonnances du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P, EU:C:1995:360, point 24 ; du 12 mars 2014, PAN Europe/Commission, T‑192/12, non publiée, EU:T:2014:152, point 15, et du 18 septembre 2018, eSlovensko/Commission, T‑664/17, non publiée, EU:T:2018:559, point 25).

69      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté, pour partie, comme étant irrecevable et, pour partie, comme porté devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître, sans qu’il soit besoin d’ordonner la production des documents et des informations mentionnés au point 10 ci-dessus, sollicitée par les requérants.

 Sur les demandes d’intervention

70      Aux termes de l’article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’intervention perd son objet lorsque la requête est déclarée irrecevable. Conformément à l’article 144, paragraphe 3, de ce règlement, lorsque la partie défenderesse dépose une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence, visée à l’article 130, paragraphe 1, dudit règlement, il n’est statué sur la demande d’intervention qu’après le rejet ou la jonction de l’exception au fond.

71      En l’espèce, le recours étant rejeté pour partie comme étant irrecevable et pour partie comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes d’intervention présentées, d’une part, par le Royaume d’Espagne et, d’autre part, par MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres.

 Sur les dépens

72      En vertu de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

73      Les requérants ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner, conformément aux conclusions du Parlement, à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement.

74      Enfin, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, le Royaume d’Espagne et MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres supporteront les dépens afférents à leurs demandes d’intervention respectives.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté pour partie comme étant irrecevable et pour partie comme porté devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître.

2)      Il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’intervention du Royaume d’Espagne et de MM. Carles Puigdemont i Casamajó et Antoni Comín i Oliveres.

3)      MM. Jorge Buxadé Villalba et Hermann Tertsch Del Valle-Lersundi et Mme María Esperanza Araceli Aguilar Pinar sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen.



4)      Le Royaume d’Espagne et MM. Puigdemont i Casamajó et Comín i Oliveres supportent les dépens afférents à leurs demandes d’intervention respectives.

Fait à Luxembourg, le 19 novembre 2020.

Le greffier

 

La présidente

E. Coulon

 

A. Marcoulli


*      Langue de procédure : l’espagnol.

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