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Document 62024CO0241
Order of the Court (Sixth Chamber) of 6 November 2024.#Criminal proceedings against M. N. D. and Y. G. Ts.#Request for a preliminary ruling from the Okrazhen sad Pleven.#Case C-241/24.
Order of the Court (Sixth Chamber) of 6 November 2024.
Criminal proceedings against M. N. D. and Y. G. Ts.
Request for a preliminary ruling from the Okrazhen sad Pleven.
Case C-241/24.
Order of the Court (Sixth Chamber) of 6 November 2024.
Criminal proceedings against M. N. D. and Y. G. Ts.
Request for a preliminary ruling from the Okrazhen sad Pleven.
Case C-241/24.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:931
ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
6 novembre 2024 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Exigence de présentation du contexte factuel et réglementaire du litige ou de la procédure au principal ainsi que des raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste »
Dans l’affaire C‑241/24 [Tsenochev] (i),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okrazhen sad – Pleven (tribunal régional de Pleven, Bulgarie), par décision du 3 avril 2024, parvenue à la Cour le 3 avril 2024, dans les procédures pénales contre
M. N. D.,
Y. G. Ts.,
en présence de :
Okrazhna prokuratura – Pleven,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 et l’article 4, paragraphes 2 et 3, TUE, de l’article 4, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 4, de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision‑cadre 2002/629/JAI du Conseil (JO 2011, L 101, p. 1), ainsi que des articles 5, 47 et 54 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de deux procédures pénales engagées respectivement contre M. N. D. et Y. G. Ts. (ci-après, ensemble, les « personnes poursuivies ») au sujet de leur participation, dans le cadre d’une organisation criminelle, à la traite des êtres humains ainsi qu’à sept autres infractions pénales constitutives à différents titres de traite des êtres humains concernant plusieurs personnes de sexe féminin, sur les territoires bulgare et allemand au cours de la période 2019-2023.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 4 de la directive 2011/36, intitulé « Sanctions », dispose, à ses paragraphes 2 et 4 :
« 2. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu’une infraction visée à l’article 2 soit passible d’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement, lorsque l’infraction :
[...]
b) a été commise dans le cadre d’une organisation criminelle au sens de la décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée [(JO 2008, L 300, p. 42)] ;
[...]
4. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les infractions visées à l’article 3 soient passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, qui peuvent comporter la remise. »
Le droit bulgare
Le NK
4 L’article 23 du Nakazatelen kodeks (code pénal) (DV no 26, du 2 avril 1968), dans sa version applicable aux procédures au principal (ci-après le « NK »), dispose, à son paragraphe 1 :
« Si, par un même acte, plusieurs infractions pénales sont commises ou si une personne a commis plusieurs infractions pénales distinctes avant d’être condamnée pour l’une de celles-ci par une décision de condamnation passée en force de chose jugée, la juridiction, après avoir fixé une peine pour chacune de ces infractions pénales considérée individuellement, impose la peine la plus lourde. »
5 L’article 55 du NK prévoit :
« (1) En cas de circonstances atténuantes exceptionnelles ou nombreuses, lorsque même la peine la plus légère prévue par la loi serait disproportionnée, la juridiction :
1. fixe une peine inférieure à la peine minimale ;
[...]
(3) Dans ces cas de figure, la juridiction peut ne pas infliger la sanction plus légère que la loi prévoit en plus de la peine d’emprisonnement. »
Le NPK
6 Le chapitre 29 du Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale) (DV no 86, du 28 octobre 2005), dans sa version applicable aux procédures au principal (ci-après le « NPK »), comporte les dispositions de ce code relatives au règlement d’une affaire pénale par un accord.
7 L’article 381 du NPK dispose :
« (1) À l’issue de l’enquête, sur proposition du procureur ou de l’avocat de la défense, ceux-ci peuvent établir un accord de règlement de l’affaire. Lorsque la personne poursuivie n’a pas désigné d’avocat, le juge de la juridiction de première instance concerné désigne, à la demande du procureur, un avocat avec lequel le procureur négocie l’accord.
(2) Un accord ne peut pas porter sur des infractions pénales intentionnelles graves visées au chapitre premier, au chapitre deuxième, sections I et VIII, au chapitre huitième, section IV, au chapitre onzième, section V, au chapitre douzième, au chapitre treizième, sections VI et VII et au chapitre quarantième de la partie spéciale du [NK]. Un accord ne peut non plus porter sur aucune autre infraction pénale ayant entraîné la mort.
(3) Lorsque l’infraction pénale a causé un préjudice pécuniaire, il est possible de conclure un accord après réparation ou indemnisation de ce préjudice.
(4) L’accord peut fixer la peine dans les conditions prévues à l’article 55 du [NK], même en l’absence de circonstances atténuantes exceptionnelles ou nombreuses.
(5) L’accord doit être établi par écrit et comporter un consensus concernant les questions suivantes :
1. un acte a-t-il été commis, a-t-il été commis par la personne poursuivie et l’a-t-il été fautivement, l’acte constitue-t-il une infraction pénale et quelle est sa qualification juridique ;
2. quelle doit être la nature de la peine et quel doit être son niveau ;
3. quel doit être le régime initial d’exécution de la peine de privation de liberté, lorsque l’article 66 du [NK] ne s’applique pas ; [...]
(6) L’accord est signé par le procureur et l’avocat de la défense. La personne poursuivie signe l’accord si elle y consent, après avoir déclaré qu’elle renonce à ce que l’affaire soit jugée selon la procédure ordinaire.
(7) Lorsque la procédure est dirigée contre plusieurs personnes ou porte sur plusieurs infractions pénales, un accord peut être conclu par certaines de ces personnes ou pour certaines de ces infractions pénales.
(8) Si, par un seul acte, la personne poursuivie a commis plusieurs infractions pénales ou si une seule et même personne poursuivie a commis plusieurs infractions pénales distinctes, seul l’article 23 du [NK] s’applique.
8 L’article 382 du NPK, qui fait partie d’une subdivision de ce code intitulée « Décision de la juridiction sur l’accord », se lit comme suit :
« (1) Le procureur présente l’accord, avec tout le dossier de l’affaire, à la juridiction de première instance compétente immédiatement après que celui-ci a été établi.
(2) La juridiction fixe une date d’examen de l’affaire dans un délai de sept jours à compter du jour où elle a été introduite et l’examine en formation à juge unique.
(3) Participent à l’audience le procureur, l’avocat de la défense et la personne poursuivie.
(4) La juridiction demande à la personne poursuivie si elle a compris l’accusation, si elle reconnaît sa culpabilité, si elle comprend les conséquences de l’accord, si elle y consent et si elle a signé l’accord de son plein gré.
(5) La juridiction peut proposer des modifications de l’accord, lesquelles sont examinées avec le procureur et l’avocat de la défense. La personne poursuivie est entendue en dernier lieu.
(6) Le contenu de l’accord final, qui est signé par le procureur, par l’avocat de la défense et par la personne poursuivie, est consigné dans le procès-verbal d’audience.
(7) La juridiction approuve l’accord pour autant que ce dernier ne soit pas contraire au droit et aux bonnes mœurs.
(8) Lorsque la juridiction n’approuve pas l’accord, elle renvoie l’affaire au procureur. Dans ce cas de figure, la reconnaissance de culpabilité de la personne poursuivie au titre du paragraphe 4 n’a pas valeur probante.
(9) La décision de la juridiction est définitive.
(10) La décision visée au paragraphe 7 est notifiée à la victime ou à ses héritiers en leur indiquant qu’ils peuvent intenter une action civile en réparation du préjudice pécuniaire devant la juridiction civile. »
9 L’article 384 du NPK, qui fait partie d’une subdivision de ce code intitulée « Accord de règlement de l’affaire dans le cadre de la procédure judiciaire », dispose :
« (1) Dans les conditions et suivant les modalités du présent chapitre, la juridiction de première instance peut approuver un accord de règlement de l’affaire atteint après l’ouverture de la procédure judiciaire, mais avant la fin de l’instruction d’audience.
(2) La juridiction désigne un avocat de la défense de la personne poursuivie, lorsque cette dernière n’en a mandaté aucun.
(3) Dans ce cas de figure, l’accord n’est approuvé qu’après obtention du consentement de toutes les parties. »
10 L’article 486 du NPK prévoit :
(1) Le renvoi préjudiciel est opéré par le juge soit d’office, soit à la demande d’une partie.
(2) La juridiction dont la condamnation ou la décision est susceptible de recours peut ne pas donner suite à une demande de renvoi préjudiciel, à moins qu’elle le trouve fondé au regard du paragraphe 4. L’ordonnance est insusceptible de recours.
(3) La juridiction dont la condamnation ou la décision n’est pas susceptible de recours ordonne le renvoi préjudiciel à moins que la réponse à la question découle clairement et sans ambiguïté d’une décision antérieure de la Cour de justice de l’Union européenne ou que le sens et la portée de la disposition ou de l’acte sont suffisamment clairs pour ne susciter aucun doute.
(4) La juridiction est tenue d’opérer un renvoi préjudiciel chaque fois qu’il existe un doute sur la validité de l’acte conformément à l’article 485.
(5) En cas de renvoi préjudiciel, la juridiction transmet une copie de la décision de renvoi à l’unité chargée de la représentation procédurale de la République de Bulgarie devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Les procédures au principal et les questions préjudicielles
11 Les 8 et 10 janvier 2024, des procédures devant l’Okrazhen sad – Pleven (tribunal régional de Pleven, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi, statuant en formation à juge unique, ont été ouvertes à la suite du dépôt, devant cette juridiction, par le procureur de l’Okrazhna prokuratura – Pleven (parquet régional de Pleven, Bulgarie) (ci-après le « procureur »), de deux accords de « règlement de l’affaire et de fixation d’une peine » conclus entre ce dernier et les avocats des personnes poursuivies (ci-après les « accords de règlement en cause au principal »). Par ces accords, les personnes poursuivies ont reconnu leur culpabilité au sujet de leur participation, dans le cadre d’une organisation criminelle, à la traite des êtres humains ainsi qu’à sept autres infractions pénales constitutives à différents titres de traite des êtres humains concernant plusieurs personnes de sexe féminin, « recrutées » en Bulgarie pour y être, contre leur volonté, livrées à la prostitution et exploitées sexuellement en Allemagne, au cours de la période 2019-2023.
12 Par lesdits accords, le procureur et les avocats des personnes poursuivies ont convenu, pour chacune d’elles, d’une peine unique et maximale de deux ans de privation de liberté, conformément aux dispositions de l’article 23 et de l’article 55, paragraphe 1, du NK.
13 Le 15 janvier 2024, après avoir joint les deux procédures au principal, la juridiction de renvoi a saisi le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle, Bulgarie) de questions de conformité, avec la Konstitutsia na Republika Bulgaria (Constitution de la République de Bulgarie), dans sa version applicable à ces procédures (ci-après la « Constitution »), de trois dispositions procédurales nationales qui permettent de clôturer par la voie d’un accord de règlement de l’affaire, pendant la phase préliminaire, une procédure pénale ayant pour objet des infractions pénales de traite des êtres humains, sans la participation de la victime et sans réparation du préjudice pécuniaire causé par l’infraction pénale.
14 Au cours de la procédure devant le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle), la juridiction de renvoi s’est prononcée sur les demandes, présentées par les personnes poursuivies, de modification des mesures de sûreté sous forme de détention prises à leur égard.
15 Le 20 février 2024, l’avocat de M. N. D. a informé la juridiction de renvoi que ce dernier retirait son consentement à l’accord de règlement en cause au principal concerné et a demandé que la procédure correspondante devant cette juridiction soit clôturée. Le même jour, une audience a été tenue afin d’examiner la demande de M. N. D. à cet égard. L’avocat de ce dernier a maintenu sa demande de clôture de la procédure correspondante, faisant valoir que l’envoi d’une demande au Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle) par cette juridiction portait atteinte aux droits de son client.
16 Les 26 février et 1er mars 2024, l’autre personne poursuivie, Y. G. Ts., ainsi que son avocat ont indiqué qu’ils retiraient leur consentement à l’accord de règlement en cause au principal concerné et ont demandé la clôture de la procédure correspondante.
17 La juridiction de renvoi avait initialement prévu de rendre sa décision sur les demandes de clôture des affaires à une audience publique, fixée au 15 mars 2024. Toutefois, eu égard à l’ouverture d’une procédure, le 12 mars 2024, devant l’Apelativen sad Veliko Tarnovo (Cour d’appel de Veliko Tarnovo, Bulgarie), relative à l’appel interjeté contre l’ordonnance de la juridiction de renvoi rejetant la demande de M. N. D. visant la modification de la mesure de sûreté sous forme de détention provisoire prise à son égard en une mesure moins contraignante, cette audience a été reportée jusqu’au renvoi de l’affaire concernée à la juridiction de renvoi.
18 Le 13 mars 2024, le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle) a rejeté la demande qui lui avait été adressée comme étant irrecevable.
19 Par la suite, l’avocat de M. N. D. a saisi le président de la juridiction de renvoi d’une demande, estimant que les actes de procédure pris par cette juridiction étaient contraires au droit procédural national et méconnaissent les droits de la défense, en particulier le droit à être jugé dans un délai raisonnable et le droit à être remis en liberté après un délai de huit mois. Il a notamment souligné que ce retard constituait un motif d’ouverture d’une procédure disciplinaire contre le juge compétent et a saisi le ministère de la Justice d’une demande en ce sens. Il a également demandé que l’affaire concernée soit attribuée à un autre juge.
20 Par une ordonnance du 26 mars 2024, le président de la juridiction de renvoi a demandé au juge saisi de présenter un avis écrit concernant les demandes visées au point précédent.
21 Lors de l’audience publique du 28 mars 2024, l’avocat de Y. G. T.s, a également demandé la récusation du juge chargé de l’affaire au principal concernée, estimant que le non-respect du délai de sept jours prévu pour approuver un accord de règlement de l’affaire, l’absence de décision concernant la demande de clôturer cette affaire après le retrait du consentement de la personne poursuivie et la façon dont sont formulées les questions adressées à la Cour, constituaient des indications de la partialité de ce juge.
22 Le 2 avril 2024, l’Inspektorat na Visshia sadeben savet (Inspection du Conseil supérieur de la magistrature, Bulgarie) a demandé au président de la juridiction de renvoi des informations sur le déroulement de l’affaire au principal concernée.
23 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi souligne, en premier lieu, que l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la mission de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit. Or, pour être à même d’assurer une telle protection, les juridictions nationales devraient être libres de statuer sur des questions d’application ou d’interprétation du droit de l’Union et, ainsi, de faire partie du système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union, garantissant une protection juridictionnelle effective.
24 À cet égard, cette juridiction relève que les personnes poursuivies et leurs avocats ont retiré leur consentement aux accords de règlement en cause au principal après avoir appris qu’elle avait saisi le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle) d’une demande de statuer sur la compatibilité des dispositions procédurales nationales applicables avec la Constitution.
25 Ladite juridiction fait observer, tout d’abord, que le droit procédural national ne prévoit pas la possibilité pour les parties de dessaisir une juridiction, la première occasion pour les personnes poursuivies de déclarer qu’elles ne maintiennent pas les accords de règlement en cause au principal se présentant lors de l’audience au cours de laquelle l’accord de règlement concerné est ou non approuvé. En l’occurrence, ce stade de la procédure n’aurait pas été atteint, eu égard à la suspension de la procédure afin d’interroger tant le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle) que la Cour. Ensuite, permettre aux parties de dessaisir le juge saisi des affaires qui lui ont été confiées, au motif que ce juge fait usage des pouvoirs qui lui sont reconnus, respectivement à l’article 150, paragraphe 2, de la Constitution et à l’article 267 TFUE, ce dernier trouvant une expression légale à l’article 486 du NPK, réduirait, en pratique, la possibilité de garantir le plein effet du droit de l’Union et la défense effective des droits reconnus dans la Charte. Enfin, la demande de récusation du juge chargé de l’affaire au principal concernée aurait été rejetée par ce dernier sur la base de la jurisprudence de la Cour issue, en particulier, des arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581), du 5 juillet 2016, Ognyanov (C‑614/14, EU:C:2016:514), et du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99).
26 En deuxième lieu, il apparaîtrait que les règles procédurales nationales limitant les droits des victimes de la traite des êtres humains dans le cadre d’une procédure négociée au cours de la phase précontentieuse de la procédure pénale sont contraires tant à la Constitution qu’au droit de l’Union. En particulier, la juridiction de renvoi souligne que la règle prévue à l’article 382 du NPK, qui détermine les personnes qui participent à l’audience visée à cette disposition, fait obstacle à la protection effective de la victime de la traite des êtres humains, cette victime étant, en pratique, privée de la possibilité d’exercer effectivement ses droits de telle manière qu’elle obtienne une enquête et des poursuites « objectives, approfondies et complètes » des auteurs de l’infraction.
27 En troisième lieu, l’interprétation demandée, qui fait l’objet des questions posées, serait déterminante indépendamment de la renonciation aux accords de règlement en cause au principal par les personnes poursuivies, car, tout d’abord, selon l’interprétation qui serait retenue par la Cour, les victimes seraient, le cas échéant, convoquées à l’audience au cours de laquelle ce tribunal statuera définitivement sur ces accords de règlement, y compris dans l’hypothèse où les consentements auraient été retirés. Ensuite, même si les accords de règlement en cause au principal n’étaient pas approuvés en raison d’une telle renonciation, il ne serait pas interdit aux parties de remettre à nouveau des accords de règlement identiques à la même juridiction. Enfin, dès lors que d’autres formations de jugement de la juridiction de renvoi, statuant en formation de juge unique, seraient saisies d’accords identiques sans que la question de la compatibilité avec le droit de l’Union des dispositions procédurales nationales ait été soulevée, il existerait un risque que ce droit ne soit pas appliqué correctement.
28 C’est dans ces conditions que l’Okrazhen sad – Pleven (tribunal régional de Pleven) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 et l’article 4, paragraphes 2 et 3, TUE et avec l’article 267 TFUE, doit-il être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale, dûment saisie d’un accord de règlement de l’affaire pendant la phase préliminaire, qui a soulevé des questions préjudicielles relatives à la protection effective des droits des victimes de traite des êtres humains accordés par la directive [2011/36], de ne pas faire droit à des demandes ultérieures des personnes poursuivies et de leurs avocats de clôturer la procédure dans l’affaire, lorsqu’il y a des raisons de douter que ces demandes constituent un abus de droit, au sens de l’article 54 de la [Charte], attendu que[, premièrement,] le droit national ne prévoit pas de possibilité de dessaisir la juridiction après que cette dernière a été saisie d’un accord et, par conséquent, de clôturer l’affaire pour cette raison[, deuxièmement,] l’une des personnes poursuivies et son avocat se sont plaints que la procédure n’a pas été menée à terme dans le délai habituel d’une semaine, au motif qu’une demande adressée au Konstitutsionen sad [...] (Cour constitutionnelle) par la juridiction de céans entraînerait la prolongation injustifiée de la mesure de sûreté sous forme de détention provisoire[, troisièmement,] l’une des personnes poursuivies et son avocat ont demandé au président de la juridiction et au ministre de la Justice d’engager une procédure disciplinaire contre le juge au motif que l’affaire n’a pas été menée à terme dans le délai habituel d’une semaine [, quatrièmement,] l’une des personnes poursuivies a retiré son consentement à l’accord signé “en raison d’un manque de confiance dans le juge chargé d’examiner l’affaire” et a demandé au président de la juridiction, en plus d’engager la responsabilité disciplinaire du juge, de récuser celui-ci et d’attribuer l’affaire à un autre juge [et, cinquièmement,] les autres juges qui ont examiné et approuvé les accords de règlement de l’affaire à l’encontre de dix autres personnes poursuivies dans la même procédure pénale n’ont pas soulevé la question de l’incompatibilité du droit procédural avec l’exigence de protection effective des victimes de traite des êtres humains ?
2) Les dispositions de la directive [2011/36] et l’article 5 de la Charte, lue en combinaison avec les explications qui y sont relatives, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils requièrent que les victimes de traite des êtres humains soient impliquées dans la procédure de fixation de la peine, y compris en cas de conclusion, pendant la phase préliminaire, d’un accord qui doit être approuvé par la juridiction ?
3) Importe-t-il, aux fins de la réponse à la deuxième question, que l’approbation de l’accord soit subordonnée à la condition que, au préalable, le préjudice pécuniaire causé par l’infraction pénale soit réparé ou que la réparation de ce préjudice soit garantie, alors que, conformément à une décision interprétative contraignante pour les juridictions, seul est pris en considération “le préjudice constitutif”, c’est-à-dire le préjudice qui est un élément constitutif de l’infraction pénale, mais non pas “le préjudice non constitutif” ou le manque à gagner subis par les victimes de la traite ?
4) Le droit à un recours effectif, au sens de l’article 47 de la [Charte], des victimes de traite des êtres humains permet-il une disposition nationale, comme l’article 381, paragraphe 2, du [NPK], qui interdit le règlement de l’affaire par un accord pour des infractions pénales graves et intentionnelles au titre de certains chapitres du [NK], dont les infractions pénales visées à la section VIII “Crimes sexuels”, mais ne l’interdit pas pour les infractions pénales visées à la section IX “Traite des êtres humains” ?
5) L’article 4, paragraphe 2, sous b), et l’article 4, paragraphe 4, de la directive [2011/36] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils requièrent de la juridiction nationale, qui examine un accord conclu pendant la procédure préliminaire, qu’elle apprécie si la peine figurant dans l’accord (en l’espèce deux ans de privation de liberté) est “effective, proportionnée et dissuasive”, compte tenu du nombre de cas individuels de traite des êtres humains et de l’existence d’un groupe criminel organisé ?
6) En cas de réponse négative à la cinquième question, afin de garantir l’application des dispositions de la directive [2011/36], la juridiction nationale doit-elle, en vertu du principe d’interprétation conforme, interpréter le droit national, qui lui permet d’approuver l’accord seulement si ce dernier “n’est pas contraire au droit et aux bonnes mœurs”, comme lui donnant également le pouvoir d’apprécier si la peine figurant dans l’accord (en l’espèce deux ans de privation de liberté) est “effective, proportionnée et dissuasive”, compte tenu du nombre de cas individuels de traite des êtres humains et de l’existence d’un groupe criminel organisé, et ce en s’écartant de la jurisprudence constante ?
7) Comment convient-il d’interpréter l’expression “effective, proportionnée et dissuasive”, au sens de l’article 4, paragraphe 4, de la directive [2011/36], et, est-il possible de considérer une peine de privation de liberté de deux ans comme effective, proportionnée et dissuasive, lorsque la personne [poursuivie] a participé à un groupe criminel organisé et a recruté plusieurs personnes, à des fins de prostitution et d’exploitation sexuelle dans d’autres États membres, sans leur consentement et en les trompant ? À cet égard, la “peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement”, lorsque l’infraction : “[...] b) a été commise dans le cadre d’une organisation criminelle, au sens de la décision‑cadre [2008/841]”, doit-elle être interprétée comme étant prévue pour chaque acte individuel de traite [des êtres humains] ou pour l’ensemble de l’activité criminelle comprenant plusieurs actes de traite ? »
La procédure devant la Cour
29 La juridiction de renvoi a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.
30 Par une décision du 24 mai 2024, la première chambre de la Cour, en tant que chambre désignée conformément à l’article 11, paragraphe 2, du règlement de procédure, a, en application de l’article 108 de celui-ci, décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à la demande tendant à ce que la présente affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence, les conditions de l’urgence prévues à l’article 107 de ce règlement de procédure n’étant pas réunies.
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
31 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
32 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
Sur la première question
33 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 2 et l’article 4, paragraphes 2 et 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale, dûment saisie dans le cadre d’une procédure pénale ayant pour objet l’homologation d’accords de règlement de l’affaire conclus entre le procureur, les personnes qui sont poursuivies et leurs avocats, de ne pas tenir compte des demandes de ces derniers visant à mettre fin à cette procédure si cette juridiction, ayant entre-temps saisi la Cour de questions préjudicielles relatives à la protection effective des droits des victimes de la traite des êtres humains, a des doutes raisonnables quant au caractère abusif de ces demandes, au sens de l’article 54 de la Charte.
34 Cette juridiction fait observer, à cet égard, que cette question, relative au principe de l’État de droit et à l’indépendance du juge, est soulevée à la suite des demandes et des actes procéduraux des personnes poursuivies et de leurs avocats, qui ont retiré leur consentement aux accords de règlement en cause au principal sur le fondement, notamment, des articles 381 et 382 du NPK, après avoir appris que ladite juridiction, statuant en formation de juge unique, avait soulevé des questions d’inconstitutionnalité de ces articles, en tant que ces derniers constitueraient un obstacle à la protection effective des victimes dans le procès pénal. La même juridiction ajoute, en substance, qu’il serait possible de considérer que permettre aux parties de priver le juge de sa compétence, au motif que ce juge fait usage des pouvoirs que lui reconnaît la Constitution, réduirait la capacité, pour les juges nationaux, de garantir le plein effet du droit de l’Union et la défense effective des droits reconnus dans la Charte. Dans ce contexte, il incomberait à la juridiction de renvoi de déterminer si, en dépit des demandes des personnes poursuivies de clôturer l’affaire, il lui faut poursuivre la procédure, y compris en demandant à la Cour une interprétation du droit de l’Union.
35 Selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige ou de la procédure qu’elles sont appelées à trancher [voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2024, Presidenza del Consiglio dei ministri e.a. (Rétribution des magistrats honoraires), C‑548/22, EU:C:2024:730, point 26 ainsi que jurisprudence citée].
36 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige ou de la procédure au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige ou à la procédure dont elle est saisie [voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2024, Presidenza del Consiglio dei ministri e.a. (Rétribution des magistrats honoraires), C‑548/22, EU:C:2024:730, point 27 ainsi que jurisprudence citée].
37 À cet égard, il importe de souligner également que les informations figurant dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (ordonnance du 5 octobre 2023, Princess Holdings, C‑25/23, EU:C:2023:786, point 23 et jurisprudence citée).
38 Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 5 octobre 2023, Princess Holdings, C‑25/23, EU:C:2023:786, point 24 et jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).
39 En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond pas à ces exigences en ce qui concerne la première question.
40 En effet, premièrement, il ne ressort ni du libellé de la première question ni des motifs de la décision de renvoi que la juridiction de renvoi serait tenue, en vertu du droit bulgare, de se dessaisir des affaires au principal au motif, d’une part, que cette juridiction a posé des questions au Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle) et, d’autre part, qu’un renvoi préjudiciel est pendant devant la Cour. Au contraire, la juridiction de renvoi relève que les prérogatives dont elle dispose en vertu de l’article 267 TFUE trouvent, dans le droit bulgare, une expression légale à l’article 486 du NPK.
41 Dans ces conditions, il n’apparaît pas que la faculté de la juridiction de renvoi d’adresser à la Cour des questions portant sur l’interprétation ou sur la validité du droit de l’Union soit entravée de quelque manière que ce soit par des règles nationales de nature législative ou jurisprudentielle [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 70 et jurisprudence citée].
42 Deuxièmement, si, certes, la juridiction de renvoi fait valoir que les règles procédurales nationales qui régissent la conclusion des accords de règlement en cause au principal, dans la phase préliminaire, sont contraires aux valeurs fondamentales de l’État de droit en ce qu’elles ne prévoient pas la participation des victimes et, partant, constituent un obstacle à la protection juridictionnelle effective de ces dernières, elle n’expose pas les raisons pour lesquelles une juridiction effectivement saisie de l’homologation d’un tel accord de règlement dans la phase préliminaire du procès pénal serait empêchée de s’assurer de la conformité de cet accord avec le droit applicable, y compris le droit de l’Union, au regard notamment du libellé clair de l’article 382, paragraphe 7, du NPK, cité par cette juridiction, selon lequel la juridiction saisie de l’homologation d’un accord de règlement de l’affaire n’approuve ce dernier que « pour autant que ce dernier ne soit pas contraire au droit et aux bonnes mœurs ».
43 Il importe d’ajouter, à cet égard, qu’il apparaît, au vu du libellé des dispositions procédurales nationales citées par la juridiction de renvoi, que le retrait par les personnes poursuivies de leur consentement à un accord de règlement de l’affaire a pour conséquence que les poursuites pénales sont, en pareille hypothèse, menées selon la procédure ordinaire. Or, cette juridiction ne fait pas valoir que les droits des victimes de la traite des êtres humains sont susceptibles d’être méconnus dans le cadre de cette procédure. En outre, quant à la possibilité pour les personnes poursuivies et leurs avocats de conclure un nouvel accord de règlement de l’affaire avec le procureur, il apparaît que le juge saisi de l’homologation d’un tel accord sera tenu, conformément aux dispositions nationales citées au point précédent, de s’assurer de la conformité au droit de cet accord.
44 Troisièmement, quant à l’atteinte alléguée à l’indépendance du juge, il y a lieu de rappeler que l’exigence d’indépendance des juridictions, dont les États membres doivent, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, assurer le respect, en ce qui concerne les juridictions nationales qui sont appelées à statuer sur des questions liées à l’interprétation et à l’application du droit de l’Union, comporte deux aspects. Le premier aspect, d’ordre externe, requiert que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Le second aspect, d’ordre interne, rejoint, pour sa part, la notion d’« impartialité » et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige ou à la procédure et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Cet aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige ou de la procédure en dehors de la stricte application de la règle de droit [voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, points 108 à 110 et jurisprudence citée].
45 Toutefois, en l’occurrence, une telle atteinte ne ressort pas des motifs de la décision de renvoi. En effet, si la juridiction de renvoi souligne que l’un des prévenus et son avocat ont demandé au président de celle-ci et au ministre de la Justice l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la juridiction de renvoi, statuant en formation de juge unique, pour défaut de classement dans le délai normal d’une semaine, rien n’indique que le régime disciplinaire prévu par la réglementation nationale en cause au principal ne présente pas les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime de nature à porter atteinte à l’indépendance des juridictions. En particulier, il ne ressort de la décision de renvoi ni que cette réglementation permet d’ouvrir une procédure disciplinaire en raison d’un tel défaut de classement ni qu’une telle procédure ait été ouverte et impose à la juridiction de renvoi de clôturer l’affaire. Au demeurant, selon les indications figurant dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi a rejeté la demande de récusation qui lui avait été soumise, pour les motifs qui ont été rappelés au point 25 de la présente ordonnance.
46 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi n’a pas exposé, à suffisance de droit, les raisons pour lesquelles elle considère que l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE est nécessaire pour statuer sur les procédures dont elle est saisie, ainsi que sur le lien qu’elle établit entre cette disposition et la législation nationale applicable à ces procédures, conformément à la jurisprudence rappelée au point 36 de la présente ordonnance.
47 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle doit être déclarée manifestement irrecevable en ce qui concerne la première question.
Sur les deuxième à septième questions
48 Par ses deuxième à septième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2011/36, notamment l’article 4, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 4, de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des dispositions procédurales nationales qui ne prévoient pas la participation de la victime de la traite des êtres humains à l’audience d’examen d’accords de règlement de l’affaire, qui permettent l’homologation de tels accords sans que la réparation du préjudice pécuniaire subi par cette victime ait été effectuée et qui permettent le règlement d’une affaire de traite des êtres humains par la voie d’un tel accord. Cette juridiction se demande également si, dans le cadre de l’examen de cet accord, il lui faut apprécier si la peine prévue par celui-ci est effective, proportionnée et dissuasive, conformément à ces dispositions.
49 Dans sa réponse à la demande d’éclaircissements qui lui a été adressée par la Cour, conformément à l’article 101, paragraphe 1, du règlement de procédure, la juridiction de renvoi, s’agissant de la nécessité d’une réponse de la Cour aux deuxième à septième questions afin de trancher les affaires pendantes devant elle, a fait valoir que, même en cas de retrait du consentement des personnes poursuivies aux accords de règlement en cause au principal, il lui fallait examiner tous les aspects de l’exigence de respect du « droit et des bonnes mœurs » prévue à l’article 382, paragraphe 7, du NPK.
50 Ainsi qu’il est rappelé au point 35 de la présente ordonnance, la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige ou de la procédure dont elles sont saisies.
51 En outre, selon une jurisprudence constante, la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige ou d’une procédure [voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44, ainsi que du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 62 ainsi que jurisprudence citée].
52 Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie [arrêts du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 45, ainsi que du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 63 ainsi que jurisprudence citée].
53 Il ressort ainsi à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige ou une procédure soient effectivement pendants devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel [voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46, ainsi que du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 64 ainsi que jurisprudence citée].
54 Dans le cadre d’une telle procédure, il doit donc exister entre ce litige ou cette procédure et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre [voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 48, ainsi que du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 65 ainsi que jurisprudence citée].
55 À cet égard, la nécessité, au sens de l’article 267 TFUE, de l’interprétation préjudicielle sollicitée de la Cour implique que le juge national qui décide de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel puisse, à lui seul, tirer les conséquences de cette interprétation [voir, en ce sens, arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 69 ainsi que jurisprudence citée].
56 En l’occurrence, il importe de relever, à titre liminaire, que, selon la décision de renvoi, les personnes poursuivies et leurs avocats, après avoir été informés que la juridiction de renvoi nourrissait des doutes sur la compatibilité avec la Constitution de plusieurs dispositions du droit procédural bulgare relatives aux accords de règlement, ont retiré leur consentement aux accords de règlement en cause au principal et ont demandé à la juridiction de renvoi de clôturer les affaires, afin que celles-ci soient jugées selon la procédure ordinaire.
57 Or, ainsi qu’il ressort de l’article 382, paragraphe 4, du NPK, cité par cette juridiction, la juridiction saisie d’une procédure d’homologation d’un accord de règlement ne peut procéder à une telle homologation que si la personne poursuivie consent à un tel accord. En outre, en vertu de l’article 382, paragraphe 7, du NPK, également cité par la juridiction de renvoi, ce n’est que si l’accord de règlement n’est pas contraire au droit et aux bonnes mœurs que la juridiction saisie peut homologuer un tel accord.
58 Il découle ainsi sans ambiguïté du libellé de ces dispositions que les conditions prévues par celles-ci sont cumulatives, de sorte que, en l’absence de consentement des personnes poursuivies, la juridiction saisie ne saurait, en tout état de cause, procéder à l’homologation des accords de règlement en cause au principal.
59 Dans ces conditions, et eu égard à l’absence d’un tel consentement, il n’apparaît pas qu’une réponse de la Cour aux deuxième à septième questions préjudicielles soit nécessaire à la solution des procédures pendantes devant la juridiction de renvoi. En effet, la réponse à ces questions vise à permettre à la juridiction de renvoi de déterminer, notamment, conformément à l’article 382, paragraphe 7, du NPK, si l’accord de règlement en cause au principal concerné n’est pas contraire au droit et, en particulier, si le droit de l’Union s’oppose à des dispositions procédurales nationales qui ne prévoient pas la participation de la victime de la traite des êtres humains à l’audience d’examen d’accords de règlement, qui permettent l’homologation de tels accords sans que la réparation du préjudice pécuniaire subi par cette victime ait été effectuée, et qui permettent le règlement d’une affaire de traite des êtres humains par la voie d’un accord de règlement.
60 Or, il apparaît, au regard des considérations énoncées au point 56 de la présente ordonnance que, en l’absence de consentement des personnes poursuivies aux accords de règlement en cause au principal, les procédures pénales au principal ne pourront être réglées par de tels accords de règlement.
61 Dans ces conditions, il n’apparaît pas qu’une réponse aux deuxième à septième questions soit nécessaire afin de trancher les affaires dont la juridiction de renvoi est saisie, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 51 à 55 de la présente ordonnance. En particulier, il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’il existerait, entre la disposition du droit de l’Union sur laquelle portent les questions préjudicielles et les procédures au principal, un lien de rattachement qui soit propre à rendre l’interprétation sollicitée nécessaire pour que la juridiction de renvoi puisse, en application des enseignements découlant d’une telle interprétation, adopter une décision qui serait requise afin de statuer sur ces procédures (voir, en ce sens, ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher, C‑256/19, EU:C:2020:523, point 50 et jurisprudence citée).
62 Dans la demande de décision préjudicielle et dans sa réponse à la demande d’éclaircissements, la juridiction de renvoi fait valoir toutefois que, indépendamment du retrait par les personnes poursuivies de leur consentement aux accords de règlement en cause au principal, une réponse à ces questions est nécessaire afin de trancher les affaires dont elle est saisie.
63 D’une part, cette juridiction affirme que, si son interprétation du droit de l’Union était confirmée par la Cour, les victimes de la traite des êtres humains en cause au principal devraient être convoquées à l’audience d’examen des affaires concernées.
64 Une telle argumentation ne saurait être retenue. En effet, eu égard aux indications figurant dans la décision de renvoi, il n’apparaît pas qu’une éventuelle participation des victimes de la traite des êtres humains à une audience portant sur l’approbation d’un accord de règlement dans le cadre d’une procédure préliminaire puisse avoir une quelconque incidence sur l’issue des affaires pendantes devant la juridiction de renvoi, eu égard à l’absence de consentement des personnes poursuivies et de leurs avocats aux accords de règlement en cause au principal et, partant, à l’absence d’accords de règlement pouvant être approuvés par la juridiction de renvoi.
65 En effet, à supposer même que le droit de l’Union exige la participation des victimes de la traite des êtres humains à une audience portant sur l’approbation d’un accord de règlement dans le cadre d’une procédure préliminaire, il apparaît, au vu des dispositions du droit procédural bulgare, qu’une telle participation serait sans incidence sur l’issue des affaires pendantes devant la juridiction de renvoi, eu égard à l’absence de consentement des personnes poursuivies et de leurs avocats aux accords de règlement en cause au principal.
66 D’autre part, la juridiction de renvoi souligne que, même en l’absence d’homologation des accords de règlement en cause au principal, rien n’interdirait aux parties de soumettre une nouvelle fois les mêmes accords de règlement à cette juridiction, dans une formation à juge unique différente, afin d’obtenir une telle homologation. À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer qu’une consultation d’office du programme de suivi des affaires dont elle est saisie a révélé que les autres formations de jugement n’ont pas soulevé la question de savoir si le droit bulgare, conformément auquel les victimes ne participent pas à la procédure de règlement de l’affaire par un accord pendant la phase préliminaire, est compatible avec le droit de l’Union, de sorte que, sans interprétation des questions soulevées par cette juridiction, le droit de l’Union risquerait de ne pas être appliqué correctement.
67 Une telle argumentation ne saurait davantage être retenue.
68 En effet, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, c’est au seul juge national qui est saisi du litige ou de la procédure et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, qu’il appartient d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêt du 18 avril 2024, Girelli Alcool, C‑509/22, EU:C:2024:341, point 32 et jurisprudence citée).
69 C’est ainsi aux formations de jugement qui seraient éventuellement saisies de l’homologation des mêmes accords de règlement que ceux en cause au principal qu’il appartiendrait de saisir la Cour à cet égard.
70 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que les deuxième à septième questions doivent être considérées comme visant la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, au sens de la jurisprudence citée au point 51 de la présente ordonnance, de sorte que la demande de décision préjudicielle doit être également déclarée manifestement irrecevable en ce qui concerne ces questions.
71 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, la demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.
Sur les dépens
72 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare :
La demande de décision préjudicielle introduite par l’Okrazhen sad – Pleven (tribunal régional de Pleven, Bulgarie), par décision du 3 avril 2024, est manifestement irrecevable.
Signatures
* Langue de procédure : le bulgare.
i Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.