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Document 62006CJ0337

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 13 décembre 2007.
Bayerischer Rundfunk et autres contre GEWA - Gesellschaft für Gebäudereinigung und Wartung mbH.
Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Düsseldorf - Allemagne.
Directives 92/50/CEE et 2004/18/CE - Marchés publics de services - Organismes de radiodiffusion publics - Pouvoirs adjudicateurs - Organismes de droit public - Condition imposant que l’activité de l’organisme soit ‘financée majoritairement par l’État’.
Affaire C-337/06.

Recueil de jurisprudence 2007 I-11173

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:786

Affaire C-337/06

Bayerischer Rundfunk e.a.

contre

GEWA — Gesellschaft für Gebäudereinigung und Wartung mbH

(demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht Düsseldorf)

«Directives 92/50/CEE et 2004/18 CE — Marchés publics de services — Organismes de radiodiffusion publics — Pouvoirs adjudicateurs — Organismes de droit public — Condition imposant que l’activité de l’organisme soit ‘financée majoritairement par l’État’»

Conclusions de l'avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 6 septembre 2007 

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 13 décembre 2007 

Sommaire de l'arrêt

1.     Rapprochement des législations — Procédures de passation des marchés publics de services — Directive 92/50 — Pouvoirs adjudicateurs — Organisme de droit public

(Directive du Conseil 92/50, art. 1er, b), al. 2, 3e tiret)

2.     Rapprochement des législations — Procédures de passation des marchés publics de services — Directive 92/50 — Champ d'application

(Directive du Conseil 92/50, art. 1er, a), iv))

1.     L’article 1er, sous b), de la directive 92/50, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, prévoit, dans son premier alinéa, que sont considérés comme «pouvoirs adjudicateurs» les organismes de droit public et, dans son deuxième alinéa, qu'on entend par «organisme de droit public» tout organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial (premier tiret), doté de la personnalité juridique (deuxième tiret) et dont soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public (troisième tiret).

S'agissant du troisième tiret, l'expression «financée majoritairement par l'État» doit être interprétée en ce sens qu’il y a un tel financement lorsque les activités d’organismes de radiodiffusion publics, qui sont pourvus de la personnalité juridique, investis d’une mission d’intérêt public, indépendants des pouvoirs étatiques, autogérés et organisés de telle façon qu’une influence des pouvoirs publics soit exclue et qui ne font pas partie de l’organisation de l’État, sont financées majoritairement par une redevance mise à la charge des détenteurs d’un poste récepteur, qui est imposée, calculée et perçue suivant les règles des traités d'État conclus à ces fins et qui ne résulte pas d'une transaction contractuelle conclue entre ces organismes et les consommateurs.

Par ailleurs, en cas de financement de ces activités d'organismes de radiodiffusion publics suivant lesdites modalités, la condition relative au «financement par l’État» n’exige pas l’ingérence directe de l’État ou d’autres pouvoirs publics lors de la passation, par de tels organismes, de marchés publics qui sont sans rapport avec l'accomplissement de la mission de service public proprement dite de ces organismes. En effet, dans la mesure où, eu égard à leur mode de financement, l'existence même des organismes de radiodiffusion publics en question dépend de l'État, le critère de la dépendance de ces organismes à l'égard de l'État est rempli, sans que soit exigée une possibilité d'influence concrète des pouvoirs publics sur les différentes décisions des organismes considérés en matière de passation de marchés.

(cf. points 41, 50, 54-55, 60, disp.1-2)

2.     L’article 1er, sous a), iv), de la directive 92/50, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, qui prévoit la non-application de cette directive aux marchés publics ayant pour objet les services qui touchent à la fonction propre des organismes de radiodiffusion, à savoir la création et la réalisation de programmes, doit être interprété en ce sens que, en vertu de cette disposition, seuls les marchés publics concernant les services y cités sont exclus du champ d’application de ladite directive.

Ladite disposition constituant une exception à l’objectif principal des règles communautaires en matière de passation des marchés publics, à savoir la libre circulation des services et l’ouverture à la concurrence la plus large possible, elle doit être interprétée restrictivement. Dès lors, seuls sont exclus du champ d’application de la directive 92/50 les marchés publics ayant pour objet les services cités à l’article 1er, sous a), iv), de cette directive, à savoir les marchés visant l'achat, le développement, la production ou la coproduction de programmes par des organismes de radiodiffusion et les marchés concernant les temps de diffusion. En revanche, sont pleinement soumis aux règles communautaires les marchés publics de services n’ayant pas de rapport avec les activités qui relèvent de l’accomplissement de la mission de service public proprement dite des organismes de radiodiffusion publics.

(cf. points 62, 64, 67, disp. 3)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 décembre 2007 (*)

«Directives 92/50/CEE et 2004/18 CE – Marchés publics de services – Organismes de radiodiffusion publics – Pouvoirs adjudicateurs – Organismes de droit public – Condition imposant que l’activité de l’organisme soit ‘financée majoritairement par l’État’»

Dans l’affaire C‑337/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne), par décision du 21 juillet 2006, parvenue à la Cour le 7 août 2006, dans la procédure

Bayerischer Rundfunk,

Deutschlandradio,

Hessischer Rundfunk,

Mitteldeutscher Rundfunk,

Norddeutscher Rundfunk,

Radio Bremen,

Rundfunk Berlin-Brandenburg,

Saarländischer Rundfunk,

Südwestrundfunk,

Westdeutscher Rundfunk,

Zweites Deutsches Fernsehen

contre

GEWA – Gesellschaft für Gebäudereinigung und Wartung mbH,

en présence de:

Heinz W. Warnecke, exerçant sous la dénomination commerciale de Großbauten Spezial Reinigung,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. G. Arestis, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur) et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 juin 2007,

considérant les observations présentées:

–       pour Bayerischer Rundfunk, Deutschlandradio, Hessischer Rundfunk, Mitteldeutscher Rundfunk, Norddeutscher Rundfunk, Radio Bremen, Rundfunk Berlin-Brandenburg, Saarländischer Rundfunk, Südwestrundfunk, Westdeutscher Rundfunk, Zweites Deutsches Fernsehen, par Mes B. Mitrenga et K.‑P. Mailänder, Rechtsanwälte, ainsi que par MM. C.-E. Eberle et J. Betz, Justiziare, et Mme N. Hütt, Referentin im Justiziariat,

–       pour GEWA – Gesellschaft für Gebäudereinigung und Wartung mbH, par Mes C. Antweiler et K. P. Dreesen, Rechtsanwälte,

–       pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement autrichien, par M. M. Fruhmann, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement polonais, par Mme E. Ośniecka-Tamecka, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. X. Lewis et B. Schima, en qualité d’agents,

–       pour l’Autorité de surveillance AELE, par M. B. Alterskjær et Mme L. Young, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2007,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, et sous a), iv), de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige portant sur la question de savoir si les organismes publics de radiodiffusion allemands (Landesrundfunkanstalten) constituent des pouvoirs adjudicateurs aux fins de l’application des règles communautaires en matière de passation des marchés publics.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       Aux termes de son article 7, paragraphe 1, la directive 92/50 s’applique aux marchés publics de services dont le montant estimé hors taxe sur la valeur ajoutée égale ou dépasse 200 000 écus.

4       L’article 1er, sous b), de la directive 92/50 dispose:

«sont considérés comme ‘pouvoirs adjudicateurs’, l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.

Par ‘organisme de droit public, on entend tout organisme:

–       créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial

et

–       ayant la personnalité juridique

et

–       dont, soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

Les listes des organismes et des catégories d’organismes de droit public qui remplissent les critères énumérés au deuxième alinéa du présent point figurent à l’annexe I de la directive 71/305/CEE. Ces listes sont aussi complètes que possible et peuvent être révisées selon la procédure prévue à l’article 30 ter de ladite directive».

5       Cette disposition est reprise en des termes quasiment identiques à l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114). Conformément à son premier considérant, la directive 2004/18 procède à une refonte dans un seul texte des directives distinctement applicables aux procédures de passation des marchés publics dans les trois domaines susvisés et, suivant son article 80, elle devait être transposée dans l’ordre juridique des États membres au plus tard le 31 janvier 2006.

6       Les organismes publics de radiodiffusion allemands ne sont mentionnés ni dans l’annexe citée à l’article 1er, sous b), dernier alinéa, de la directive 92/50, ni dans l’annexe III, ayant un contenu analogue, de la directive 2004/18.

7       Aux termes de l’article 1er, sous a), iv), de la directive 92/50, sont exclus de l’application des dispositions de celle-ci:

«les marchés visant l’achat, le développement, la production ou la coproduction de programmes par des organismes de radiodiffusion et [l]es marchés concernant les temps de diffusion».

8       Cette disposition a été reprise en des termes identiques à l’article 16, sous b), de la directive 2004/18.

9       La raison d’être de ladite disposition est exposée au onzième considérant de la directive 92/50, qui énonce:

«considérant que la passation des marchés pour certains services audiovisuels dans le domaine de la radiodiffusion est régie par des considérations qui rendent inadéquate l’application de règles de passation des marchés».

10     Cette raison est davantage explicitée au vingt-cinquième considérant de la directive 2004/18, suivant lequel:

«La passation des marchés publics pour certains services audiovisuels dans le domaine de la radiodiffusion devrait pouvoir tenir compte de considérations revêtant une importance culturelle et sociale, qui rendent inadéquate l’application de règles de passation des marchés. Pour ces motifs, il faut donc prévoir une exception pour les marchés publics de services visant l’achat, le développement, la production ou la coproduction de programmes prêts à l’utilisation et d’autres services préparatoires, tels que ceux relatifs aux scénarios ou aux performances artistiques nécessaires pour la réalisation du programme ainsi que les marchés concernant les temps de diffusion d’émissions. Toutefois, cette exclusion ne devrait pas s’appliquer à la fourniture du matériel technique nécessaire pour la production, la coproduction et l’émission de ces programmes […]»

 La réglementation nationale

11     L’article 1er, sous b), de la directive 92/50, susmentionné, est transposé en droit national par l’article 98, paragraphe 2, de la loi contre les restrictions de la concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen). Le contenu de cette disposition est identique à celui des règles communautaires, à la seule différence que, en ce qui concerne la définition de l’«organisme de droit public», à la condition relative au financement majoritaire de l’activité de l’organisme en cause par les pouvoirs publics, il est ajouté que ce financement peut être effectué «par voie de participation ou autrement».

12     L’article 5, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la Constitution allemande est libellé comme suit:

«La liberté de la presse et la liberté d’informer par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties.»

13     Cette disposition est interprétée de manière constante par les juridictions suprêmes allemandes, notamment par le Bundesverfassungsgericht et le Bundesverwaltungsgericht, comme une interdiction absolue de toute ingérence et de toute intervention des pouvoirs publics dans la gestion et le fonctionnement des organismes de radiodiffusion publics et comme une obligation de neutralité stricte quant aux programmes de ces organismes. Cette disposition constitutionnelle occupe une place capitale dans l’actuelle construction étatique allemande et vise à exclure que la radiodiffusion devienne un instrument de la politique. Elle constitue une garantie constitutionnelle du droit à la liberté d’expression et au pluralisme de l’information ainsi que de l’existence, du financement et du développement des organismes de radiodiffusion publics.

14     Lesdits organismes sont des établissements de droit public, pourvus de la personnalité juridique et investis d’une mission d’intérêt public. Ils sont indépendants des pouvoirs étatiques, autogérés et organisés de telle façon qu’une influence des pouvoirs publics soit exclue. Conformément à la jurisprudence des juridictions suprêmes allemandes, ces organismes ne font pas partie de l’organisation de l’État.

15     Le financement desdits organismes est régi par des traités d’État (Staatsverträge), à savoir des traités conclus entre le pouvoir fédéral (Bund) et les Länder.

16     Le traité d’État sur la radiodiffusion (Rundfunkstaatsvertrag) prévoit à son article 12, paragraphe 1:

«La dotation de fonctionnement doit permettre aux organismes de radiodiffusion publics de remplir leurs missions constitutionnelles et légales; elle doit garantir en particulier l’existence et le développement de la radiodiffusion de droit public.»

17     Conformément à l’article 13 du traité d’État en question, les besoins des organismes publics de radiodiffusion sont financés prioritairement, à savoir pour plus de la moitié, par des redevances payées par les citoyens et, pour le surplus, par des recettes publicitaires et d’autres recettes. Conformément à la jurisprudence du Bundesverfassungsgericht, le financement par la redevance est adapté à la mission de service public de la radiodiffusion, correspond à la garantie constitutionnelle de financement et constitue un mode fonctionnel de financement qui permet de préserver l’autonomie de la programmation d’éventuelles ingérences politiques de l’État.

18     Les modalités de perception de la redevance sont régies par le traité d’État sur la réglementation de la redevance de radiodiffusion (Staatsvertrag über die Regelung des Rundfunkgebührenwesens), du 31 août 1991, tel que modifié le 11 septembre 1996 (GVBl. NRW 1996, p. 431, ci-après le «traité d’État sur la redevance»). Conformément à ce traité d’État, le fait générateur de l’obligation de paiement de la redevance est la détention d’un appareil récepteur de radiodiffusion. Le fait que cet appareil n’est pas effectivement utilisé n’a aucune incidence sur l’obligation de paiement. Les créanciers de la redevance sont formellement les organismes régionaux de radiodiffusion établis dans les territoires respectifs des Länder.

19     La réglementation relative au montant de la redevance, calculé en fonction de la détermination des besoins financiers des organismes de radiodiffusion publics, est constituée par le traité d’État sur le financement de la radiodiffusion (Rundfunkfinanzierungsstaatsvertrag), du 26 novembre 1996 (GVBl. NRW 1996, p. 484). Le montant de la redevance est formellement approuvé par les parlements et les gouvernements des Länder.

20     Les organismes de radiodiffusion publics ont créé, par un arrangement administratif, une centrale de recouvrement des redevances, la Gebühreneinzugszentrale der öffentlich-rechtlichen Rundfunkanstalten (ci-après la «GEZ»). Cette dernière constitue un groupement de droit public ayant notamment pour mission le recouvrement et la facturation de la redevance. Elle n’a pas de personnalité juridique ni de capacité d’agir en justice, mais agit au nom et pour le compte des différents organismes régionaux de radiodiffusion. Toutefois, en ce qui concerne le recouvrement de la redevance auprès des citoyens, elle agit par avis d’imposition, à savoir par voie d’acte d’autorité publique. De même, en cas de non‑paiement de la redevance, le traité d’État sur la redevance prévoit à son article 7, paragraphe 6, que «[l]es avis de rappel de redevance de radiodiffusion font l’objet d’une procédure d’exécution par voie administrative. L’organisme régional de radiodiffusion créancier peut adresser directement la demande d’aide à l’exécution forcée à l’instance compétente pour le lieu du domicile ou de la résidence habituelle des débiteurs de la redevance […]».

21     Le contrôle et la détermination des besoins financiers déclarés par les organismes de radiodiffusion publics sont confiés à une commission indépendante, la Kommission zur Überprüfung und Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten (ci-après la «KEF»). Cette commission, composée de seize experts indépendants, reçoit et examine les estimations des besoins communiquées par les organismes de radiodiffusion publics et les discute avec des représentants de ceux‑ci. Elle rend un rapport au moins tous les deux ans, sur lequel les parlements et les gouvernements des Länder fondent leurs décisions formelles sur le montant de la redevance. Cette procédure, dans laquelle est impliquée actuellement la KEF, a été instaurée à la suite d’un arrêt du Bundesverfassungsgericht du 22 février 1994, qui a jugé que la procédure, suivant laquelle la décision sur le montant de la redevance était prise par les Premiers ministres des Länder sans l’intervention d’une commission indépendante, ne garantissait pas l’indépendance voulue par la Constitution.

22     Les recettes de la redevance sont allouées, notamment, aux organismes de radiodiffusion publics et à l’autorité des médias du Land respectif.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

23     La GEZ a invité par écrit, au cours du mois d’août 2005, onze entreprises de nettoyage à présenter des offres contraignantes en vue de la fourniture de services de nettoyage dans ses locaux situés à Cologne. Aucune procédure formelle de passation de marché conforme aux règles communautaires n’a été organisée. La durée prévue du contrat s’étendait du 1er mars 2006 au 31 décembre 2008 et celui-ci était tacitement reconductible par périodes d’un an. La GEZ a évalué la totalité des dépenses annuelles à plus de 400 000 euros.

24     L’entreprise GEWA – Gesellschaft für Gebäudereinigung und Wartung mbH, une des entreprises de nettoyage contactées dans le cadre de l’appel d’offres, a été informée au mois de novembre 2005 par la GEZ que le marché ne lui était pas attribué. Considérant que, en tant que pouvoir adjudicateur, la GEZ devait soumettre le marché de nettoyage à un appel d’offres suivant les règles communautaires, ladite entreprise a introduit un recours auprès de la chambre des marchés publics de la Bezirksregierung Köln. Cette juridiction a fait droit au recours en jugeant que le marché en cause était étranger à l’activité effective de radiodiffusion et relevait, dès lors, du droit communautaire des marchés publics.

25     Les organismes de radiodiffusion publics ont interjeté appel de cette décision devant la chambre des marchés publics de l’Oberlandesgericht Düsseldorf, en faisant valoir qu’ils ne constituent pas des pouvoirs adjudicateurs, étant donné que le service public de radiodiffusion est financé majoritairement par la redevance payée par les téléspectateurs et qu’il n’y a aucun financement ni contrôle publics à cet égard.

26     La juridiction de renvoi constate que les conditions formulées à l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, premier et deuxième tirets, de la directive 92/50 ainsi qu’à l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, sous a) et b), de la directive 2004/18, relatives à la définition de l’«organisme de droit public», sont remplies en l’occurrence, dans la mesure où les organismes de radiodiffusion publics ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial et sont dotés de la personnalité juridique. Cette juridiction relève par ailleurs que, pour ce qui est des trois hypothèses figurant, respectivement, à l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, de la directive 92/50 et à l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2004/18, les deux dernières ne sont pas satisfaites en l’occurrence, dans la mesure où les pouvoirs publics n’exercent aucun contrôle sur la gestion de ces organismes et n’ont aucune influence sur la désignation des organes de direction de ceux-ci. Reste donc à vérifier si l’activité des organismes en question est financée majoritairement par l’État ou par d’autres pouvoirs adjudicateurs afin qu’ils puissent être considérés comme des «organismes de droit public» et, partant, comme des «pouvoirs adjudicateurs».

27     La juridiction de renvoi relève à cet égard que, conformément à l’un des courants jurisprudentiels et doctrinaux actuels en Allemagne, la condition relative au «financement majoritaire par l’État» requiert un lien de causalité direct entre ledit financement et l’État. Cette approche fait uniquement référence à l’origine étatique ou à la provenance des fonds, à savoir si ceux-ci proviennent du budget de l’État, et ne tient pas compte du fait que l’assujettissement des consommateurs à la redevance est fondé sur un texte réglementaire ni du fait que le recouvrement de cette redevance s’effectue au moyen d’un transfert de prérogatives de puissance publique. Conformément à cette première approche, le financement étatique direct doit également permettre à l’État ou à d’autres pouvoirs publics d’exercer une influence concrète sur les différentes procédures de passation de marchés de l’entité financée.

28     Conformément à un autre courant jurisprudentiel et doctrinal, auquel adhère la juridiction de renvoi, l’existence d’une base légale obligeant les particuliers à payer la redevance est suffisante pour considérer que la condition relative au «financement par l’État» de l’activité des organismes de radiodiffusion en cause au principal est remplie. Les règles communautaires en matière de passation de marchés publics seraient ainsi applicables à ces organismes, qui sont financés par la redevance obligatoire et ne sont donc pas soumis aux lois du marché. Par ailleurs, conformément toujours à ce courant, l’obligation constitutionnelle de neutralité de l’État à l’égard de la gestion et de la programmation de ces organismes ne requiert pas que les marchés publics de ces derniers qui ne sont pas en rapport avec leurs missions principales ne soient pas soumis aux règles communautaires.

29     Eu égard à ces considérations, l’Oberlandesgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La condition relative au ‘financement par l’État’ posée à l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), première hypothèse, de la directive 2004/18 doit‑elle être interprétée en ce sens que le financement indirect d’organismes par un prélèvement obligatoire mis à la charge des détenteurs de récepteurs de radiodiffusion constitue un financement au sens de cette condition, compte tenu de l’obligation constitutionnelle incombant à l’État de garantir l’indépendance du financement et l’existence de ces organismes?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), première hypothèse, de la directive 2004/18 doit-il être interprété en ce sens que la condition relative au ‘financement par l’État’ exige l’ingérence directe de l’État lors de la passation de marchés par l’organisme qu’il finance?

3)      En cas de réponse négative à la deuxième question, l’article 1er, paragraphe 9, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2004/18 doit-il être interprété à la lumière de l’article 16, sous b), [de cette directive], en ce sens que seuls les services visés audit article 16, sous b), sont exclus du champ d’application de ladite directive et que les autres services, qui ne relèvent pas spécifiquement de ce régime mais qui ont un caractère subsidiaire et connexe, entrent dans le champ d’application de la [même] directive (interprétation a contrario)?»

 Sur les questions préjudicielles

Observations préliminaires

30     Les questions posées par la juridiction de renvoi se réfèrent aux dispositions pertinentes de la directive 2004/18. Étant donné, toutefois, que les faits de l’affaire au principal relèvent ratione temporis de la directive 92/50, l’examen et les réponses de la Cour porteront sur les dispositions correspondantes de la directive 92/50, à la lumière de certains éclaircissements apportés par la directive 2004/18. En tout état de cause, les dispositions de cette dernière directive, ainsi que les principes qui les sous-tendent, ont un contenu identique à celui des dispositions et des principes des directives précédentes et la directive 2004/18 constitue une refonte des dispositions déjà existantes. Ainsi, il n’y a pas de raison qui puisse justifier une autre approche sous l’empire de cette nouvelle directive.

31     Il convient de relever en outre que, même si le régime allemand de financement des organismes de radiodiffusion publics exclut par principe que les pouvoirs publics puissent exercer une influence politique quelconque sur ces organismes, cette circonstance ne suffit pas à justifier que la présente affaire soit examinée uniquement sous l’angle de l’impossibilité, par définition, de l’exercice d’une telle influence par l’État. Aux fins de l’interprétation et de l’application uniformes du droit communautaire ainsi que de la réalisation des objectifs du traité CE la Cour doit, en effet, tenir également compte d’autres considérations telles que la liberté de circulation et l’ouverture du marché.

 Sur la première question

32     Par cette question, la Cour est invitée à interpréter la notion de «financement majoritaire par l’État» ou par une autre entité publique, contenue à l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, de la directive 92/50, aux fins de la réponse à la question de savoir si cette condition est remplie lorsque les activités d’organismes de radiodiffusion publics tels que ceux en cause au principal sont financées majoritairement par une redevance imposée, calculée et perçue suivant des règles telles que celles en cause au principal.

33     Il y a lieu d’observer tout d’abord que, pour ce qui est du caractère «majoritaire» du financement, il est constant que, conformément à la jurisprudence de la Cour, cette condition est remplie en l’occurrence dans la mesure où les recettes des organismes de radiodiffusion publics en question proviennent pour plus de la moitié de la redevance en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2000, University of Cambridge, C-380/98, Rec. p. I-8035, point 30).

34     Il convient de relever, ensuite, que le libellé de l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, de la directive 92/50 ne contient aucune précision sur les modalités suivant lesquelles doit être effectué le financement dont il est question dans cette disposition. Ainsi, notamment, celle-ci n’exige pas que l’activité des organismes considérés soit financée directement par l’État ou par une autre entité publique afin que la condition y relative soit remplie. L’examen des modalités de financement ne doit donc pas se limiter à celles mises en avant par diverses parties intéressées dans la présente affaire.

35     Aux fins d’interpréter la notion de «financement par l’État» ou par d’autres entités publiques, il convient de se référer à l’objectif des directives communautaires en matière de marchés publics, tel qu’il est relevé dans la jurisprudence de la Cour.

36     Conformément à cette jurisprudence, l’objectif des directives en matière de passation des marchés publics est d’exclure à la fois le risque qu’une préférence soit donnée aux soumissionnaires ou candidats nationaux lors de toute passation de marché effectuée par les pouvoirs adjudicateurs et la possibilité qu’un organisme financé ou contrôlé par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public se laisse guider par des considérations autres qu’économiques (arrêt University of Cambridge, précité, point 17 et jurisprudence citée).

37     La Cour a repris ces objectifs, en ajoutant que, à la lumière de ceux-ci, la notion de «pouvoir adjudicateur», y compris celle d’«organisme de droit public», doit recevoir une interprétation fonctionnelle (arrêt du 1er février 2001, Commission/France, C-237/99, Rec. p. I-939, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

38     En effet, la Cour a jugé que la coordination au niveau communautaire des procédures de passation des marchés publics vise à supprimer les entraves à la libre circulation des services et des marchandises et donc à protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d’offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre (arrêts précités University of Cambridge, point 16, et Commission/France, point 41).

39     Pour ce qui est plus particulièrement des marchés publics de services, la Cour a mis en exergue ce même objectif principal, à savoir la libre circulation des services et l’ouverture à la concurrence non faussée et la plus large possible dans les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C-26/03, Rec. p. I‑1, points 44 et 47).

40     C’est à la lumière de ces objectifs et en fonction de ces critères qu’il faut apprécier un mode de financement des organismes de radiodiffusion publics tel que celui de l’espèce au principal, ce qui implique que la notion de «financement par l’État» doit recevoir également une interprétation fonctionnelle.

41     Il convient de relever, tout d’abord, à cet égard que la redevance qui assure le financement majoritaire de l’activité des organismes en question trouve son origine dans le traité d’État sur la radiodiffusion, c’est-à-dire dans un acte de l’État. Elle est prévue et imposée par la loi et ne résulte pas d’une transaction contractuelle conclue entre ces organismes et les consommateurs. L’assujettissement à ladite redevance est généré par le simple fait de la détention d’un appareil récepteur et n’est pas la contrepartie de la jouissance effective des services fournis par les organismes en question.

42     Il y a lieu d’observer ensuite que la fixation du montant de la redevance n’est pas non plus le fruit d’une relation contractuelle entre les organismes de radiodiffusion en cause au principal et les consommateurs. Conformément au traité d’État sur le financement de la radiodiffusion, ce montant est fixé par une décision formelle des parlements et des gouvernements des Länder, adoptée sur la base d’un rapport établi par la KEF en fonction des besoins financiers déclarés par ces organismes eux-mêmes. Les parlements et les gouvernements des Länder peuvent ne pas suivre les recommandations de la KEF, tout en respectant le principe de la liberté de la radiodiffusion, pour des raisons toutefois limitées, à savoir lorsque le montant de la redevance constitue pour les consommateurs une charge financière démesurée eu égard à la situation économique et sociale générale, susceptible de porter préjudice à leur accès à l’information (voir arrêt du Bundesverfassungsgericht du 11 septembre 2007, BvR 2270/05, BvR 809/06 et BvR 830/06).

43     Même dans l’hypothèse où les parlements et les gouvernements des Länder devraient suivre sans modifications les recommandations de la KEF, il n’en resterait pas moins que ce mécanisme de fixation du montant de la redevance serait établi par l’État, qui aurait transféré ainsi à une commission d’experts des prérogatives de puissance publique.

44     Pour ce qui est des modalités de perception de la redevance, il ressort du traité d’État sur la redevance que le recouvrement de celle-ci est effectué par la GEZ qui agit, pour le compte des organismes de radiodiffusion publics, par avis d’imposition, à savoir par acte d’autorité publique. De même, en cas de retard de paiement, les avis de rappel font l’objet d’une procédure d’exécution par voie administrative, l’organisme de radiodiffusion public concerné, en tant que créancier, pouvant adresser directement la demande d’aide à l’exécution forcée à l’instance compétente. Dès lors, les organismes en question jouissent à cet égard de prérogatives de puissance publique.

45     Les ressources ainsi allouées auxdits organismes sont versées sans contre‑prestation spécifique, au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt University of Cambridge, précité, points 23 à 25). En effet, aucune contrepartie contractuelle n’est liée à ces versements, dans la mesure où ni l’assujettissement à la redevance ni le montant de celle-ci ne constituent le résultat d’un accord entre les organismes de radiodiffusion publics et les consommateurs, ces derniers étant obligés de payer la redevance du seul fait de la détention d’un poste récepteur, indépendamment de l’utilisation du service proposé par ces organismes. Dès lors, les consommateurs doivent acquitter la redevance, même s’ils ne font jamais appel aux services desdits organismes.

46     Il faut souligner qu’est inopérant l’argument des parties requérantes au principal, suivant lequel le fait que la redevance soit prévue dans un texte réglementaire n’est pas déterminant, sinon tous les médecins, avocats et architectes établis en Allemagne seraient «financés par l’État», puisque les tarifs de leurs honoraires sont fixés par l’État. En effet, même si ces tarifs sont réglementés par l’État, le consommateur entre toujours de sa libre volonté dans une relation contractuelle avec les membres de ces professions et reçoit toujours un service effectif. En outre, le financement des activités des membres des professions libérales en question n’est ni assuré ni garanti par l’État.

47     Il y a lieu de relever, en dernier lieu, que, à la lumière de l’approche fonctionnelle susmentionnée, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission des Communautés européennes, il ne saurait y avoir une différence d’appréciation selon que les moyens financiers transitent par le budget public, l’État percevant d’abord la redevance et mettant ensuite les recettes provenant de celle-ci à la disposition des organismes de radiodiffusion publics, ou que l’État accorde auxdits organismes le droit de percevoir eux-mêmes la redevance.

48     Il convient donc de conclure qu’un financement tel que celui en cause au principal, qui trouve sa genèse dans un acte de l’État, est garanti par l’État et est assuré par un mode d’imposition et de perception qui relève de prérogatives de puissance publique, remplit la condition de «financement par l’État», aux fins de l’application des règles communautaires en matière de passation de marchés publics.

49     Ce mode de financement indirect suffit pour que la condition relative au «financement par l’État» prévue dans la réglementation communautaire soit remplie, sans qu’il soit nécessaire que l’État établisse ou désigne lui-même un organisme public ou privé chargé du recouvrement de la redevance.

50     Il convient donc de répondre à la première question posée que l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens qu’il y a financement majoritaire par l’État lorsque les activités d’organismes de radiodiffusion publics tels que ceux en cause au principal sont financées majoritairement par une redevance mise à la charge des détenteurs d’un poste récepteur, qui est imposée, calculée et perçue suivant des règles telles que celles en cause au principal.

 Sur la deuxième question

51     Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens que, en cas de financement d’un organisme de radiodiffusion public suivant les modalités exposées dans le cadre de la première question préjudicielle, la condition relative au «financement par l’État» exige l’ingérence directe de l’État ou d’autres pouvoirs publics lors de la passation d’un marché tel que celui en cause au principal par un tel organisme.

52     Aux fins de répondre à cette question, il convient de relever en premier lieu qu’une ingérence directe de l’État, ou d’une autre entité publique, lors de la procédure de passation d’un marché public donné n’est pas exigée par le libellé de la disposition considérée pour que la condition relative au «financement par l’État» soit remplie.

53     S’agissant, en second lieu, du critère de dépendance d’un organisme à l’égard des pouvoirs publics, développé par la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne les trois hypothèses figurant à l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, de la directive 92/50 (voir, en ce sens, arrêt du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., C‑44/96, Rec. p. I‑73, point 20), la juridiction de renvoi se réfère à l’approche, susmentionnée, adoptée par un courant jurisprudentiel et doctrinal en Allemagne, suivant laquelle cette dépendance implique que les pouvoirs publics puissent exercer une influence concrète sur les différentes procédures de passation de marchés.

54     Il y a lieu de relever d’abord, à cet égard, que la question de la dépendance à l’égard des pouvoirs publics des organismes de radiodiffusion en cause au principal ne se pose que pour la passation des marchés qui sont sans rapport avec l’accomplissement de la mission de service public proprement dite de ces organismes, telle qu’elle est garantie par la Constitution allemande, à savoir la création et la réalisation de programmes. Le marché en cause au principal ne touche pas à cette fonction propre desdits organismes.

55     Il convient de souligner ensuite que, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des considérations développées dans le cadre de la première question, l’existence même des organismes de radiodiffusion publics en question dépend de l’État. Le critère de la dépendance de ces organismes à l’égard de l’État est ainsi rempli, sans que soit exigée une possibilité d’influence concrète des pouvoirs publics sur les différentes décisions des organismes considérés en matière de passation de marchés.

56     En effet, cette dépendance au sens large n’exclut pas le risque, en l’absence d’observation des règles communautaires en matière de passation des marchés publics, que les organismes de radiodiffusion en cause au principal se laissent guider par des considérations autres qu’économiques, notamment en favorisant les soumissionnaires ou candidats nationaux. Lesdits organismes peuvent avoir une telle attitude sans contrevenir aux exigences prévues par la Constitution allemande, qui ne l’interdit pas. Ainsi que le fait observer pertinemment la juridiction de renvoi, l’obligation de neutralité de l’État quant à l’établissement des programmes des organismes en question, telle que garantie par la Constitution allemande et interprétée par le Bundesverfassungsgericht, ne requiert pas la neutralité desdits organismes en matière de passation de marchés. Un tel risque serait contraire aux objectifs des règles communautaires en matière de passation des marchés publics relevés aux points 38 et 39 du présent arrêt.

57     La juridiction de renvoi se demande, en outre, dans quelle mesure est pertinente, aux fins de la réponse à la deuxième question posée, la position adoptée par la Cour au point 21 de l’arrêt University of Cambridge, précité, suivant laquelle, si le mode de financement d’un organisme donné peut être révélateur d’une dépendance étroite de cet organisme par rapport à un autre pouvoir adjudicateur, ce critère n’a pas toutefois une portée absolue. Tous les versements effectués par un pouvoir adjudicateur n’ont pas pour effet de créer ou d’approfondir un lien spécifique de subordination ou de dépendance. Seules les prestations qui financent ou soutiennent, au moyen d’une aide financière versée sans contre-prestation spécifique, les activités de l’entité concernée peuvent être qualifiées de «financement public».

58     Il y a lieu de relever à cet égard que, pour ce qui est des rapports entre les organismes en question et les consommateurs, il ressort des points 23 à 25 de l’arrêt University of Cambridge, précité, que peuvent être qualifiés de «financement public» les versements publics auxquels n’est liée aucune contrepartie contractuelle. Or, comme il a été constaté au point 45 du présent arrêt, aucune contrepartie contractuelle n’est liée, en l’occurrence, aux ressources allouées aux organismes de radiodiffusion en cause au principal, dans la mesure où ni l’assujettissement à la redevance ni le montant de celle-ci ne constituent le résultat d’un accord entre ces organismes et les consommateurs, ces derniers étant obligés de payer la redevance du seul fait de la détention d’un poste récepteur, même s’ils ne font jamais appel aux services desdits organismes.

59     De même, il n’y a en l’occurrence aucune contrepartie spécifique à l’égard de l’État, étant donné que, comme le souligne pertinemment la juridiction de renvoi, le financement en cause au principal sert à compenser les charges nées de l’accomplissement de la mission de service public de l’État qui consiste à assurer une information audiovisuelle pluraliste et objective des citoyens. Dans cette mesure, les organismes de radiodiffusion en cause au principal ne diffèrent pas d’un autre service public qui reçoit une subvention de l’État pour accomplir sa tâche d’intérêt public.

60     Il convient donc de répondre à la deuxième question posée que l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens que, en cas de financement des activités d’organismes de radiodiffusion publics tels que ceux en cause au principal suivant les modalités exposées dans le cadre de l’examen de la première question préjudicielle, la condition relative au «financement par l’État» n’exige pas l’ingérence directe de l’État ou d’autres pouvoirs publics lors de la passation, par de tels organismes, d’un marché tel que celui en cause au principal.

 Sur la troisième question

61     Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 1er, sous a), iv), de la directive 92/50 doit être interprété, à la lumière de l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, de cette directive, en ce sens que seuls les marchés publics concernant les services auxquels se réfère cette première disposition sont exclus du champ d’application de ladite directive.

62     L’article 1er, sous a), iv), de la directive 92/50 prévoit la non-application de cette directive aux marchés publics ayant pour objet les services qui touchent à la fonction propre des organismes de radiodiffusion, à savoir la création et la réalisation de programmes, pour des motifs d’ordre culturel et social évoqués au onzième considérant de la directive 92/50 et, de manière plus explicite, au vingt-cinquième considérant de la directive 2004/18, qui rendent inadéquate une telle application.

63     Cette disposition, comme le laisse entendre M. l’avocat général au point 80 de ses conclusions, reflète le même souci que celui qui est exprimé dans la Constitution allemande, à savoir la garantie de l’accomplissement de la mission de service public des organismes de radiodiffusion publics en toute indépendance et impartialité.

64     La disposition en question constituant une exception à l’objectif principal des règles communautaires en matière de passation des marchés publics, tel qu’il a été relevé au point 39 du présent arrêt, à savoir la libre circulation des services et l’ouverture à la concurrence la plus large possible, elle doit être interprétée restrictivement. Dès lors, seuls sont exclus du champ d’application de la directive 92/50 les marchés publics ayant pour objet les services cités à l’article 1er, sous a), iv), de cette directive. En revanche, sont pleinement soumis aux règles communautaires les marchés publics de services n’ayant pas de rapport avec les activités qui relèvent de l’accomplissement de la mission de service public proprement dite des organismes de radiodiffusion publics.

65     Cette approche est confirmée par le vingt-cinquième considérant de la directive 2004/18, susmentionné, qui énonce, à titre indicatif, à son avant-dernière phrase, que l’exclusion de l’application de cette directive ne devrait pas s’appliquer à la fourniture du matériel technique nécessaire pour la production, la coproduction et l’émission des programmes.

66     Il y a lieu de préciser, toutefois, que ces considérations ne trouvent à s’appliquer que s’il s’agit, dans un cas concret, d’un marché passé par un organisme considéré comme «pouvoir adjudicateur» au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 92/50.

67     Il convient donc de répondre à la troisième question posée que l’article 1er, sous a), iv), de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens que, en vertu de cette disposition, seuls les marchés publics concernant les services y cités sont exclus du champ d’application de ladite directive.

Sur les dépens

68     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, doit être interprété en ce sens qu’il y a financement majoritaire par l’État lorsque les activités d’organismes de radiodiffusion publics tels que ceux en cause au principal sont financées majoritairement par une redevance mise à la charge des détenteurs d’un poste récepteur, qui est imposée, calculée et perçue suivant des règles telles que celles en cause au principal.

2)      L’article 1er, sous b), deuxième alinéa, troisième tiret, première hypothèse, de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens que, en cas de financement des activités d’organismes de radiodiffusion publics tels que ceux en cause au principal suivant les modalités exposées dans le cadre de l’examen de la première question préjudicielle, la condition relative au «financement par l’État» n’exige pas l’ingérence directe de l’État ou d’autres pouvoirs publics lors de la passation, par de tels organismes, d’un marché tel que celui en cause au principal.

3)      L’article 1er, sous a), iv), de la directive 92/50 doit être interprété en ce sens que, en vertu de cette disposition, seuls les marchés publics concernant les services y cités sont exclus du champ d’application de ladite directive.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.

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