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Document 62003CJ0466

    Arrêt de la Cour (première chambre) du 28 juin 2007.
    Albert Reiss Beteiligungsgesellschaft mbH contre Land Baden-Württemberg.
    Demande de décision préjudicielle: Landgericht Baden-Baden - Allemagne.
    Directive 69/335/CEE - Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux - Réglementation nationale prévoyant la perception des émoluments notariaux pour l'authentification des transferts de parts sociales dans des sociétés à responsabilité limitée - Décision d'imposition - Qualification comme 'imposition similaire au droit d’apport' - Formalité préalable - Taxes sur la transmission des valeurs mobilières - Droits ayant un caractère rémunératoire.
    Affaire C-466/03.

    Recueil de jurisprudence 2007 I-05357

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:385

    Affaire C-466/03

    Albert Reiss Beteiligungsgesellschaft mbH

    contre

    Land Baden-Württemberg

    (demande de décision préjudicielle et une demande complémentaire de décision préjudicielle, introduites par le Landgericht Baden-Baden)

    «Directive 69/335/CEE — Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux — Réglementation nationale prévoyant la perception des émoluments notariaux pour l'authentification des transferts de parts sociales dans des sociétés à responsabilité limitée — Décision d'imposition — Qualification comme 'imposition similaire au droit d’apport' — Formalité préalable — Taxes sur la transmission des valeurs mobilières — Droits ayant un caractère rémunératoire»

    Sommaire de l'arrêt

    Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux

    (Directive du Conseil 69/335, art. 10, c), et 12, § 1, a) et e))

    L'article 10, sous c), de la directive 69/335, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, s'oppose à la perception des émoluments notariaux pour l'authentification d'un transfert de parts sociales dans une société, effectué en tant qu'apport dans le cadre d'une augmentation du capital social d'une société de capitaux, et ce dans un système caractérisé par le fait que les notaires sont des fonctionnaires et que les émoluments sont, au moins en partie, versés à l'État pour supporter des dépenses publiques.

    Le fait que les notaires soient eux-mêmes créanciers des émoluments en cause et que la partie qu'ils doivent transférer à l'État est relativement modérée n'a pas d'incidence sur la qualification des émoluments comme «imposition» au sens de la directive 69/335.

    Lesdits émoluments ne peuvent constituer une taxe sur la transmission des valeurs mobilières au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 69/335. Cette disposition doit en effet recevoir une interprétation restrictive et ne saurait être comprise comme s'étendant à des impositions autres que des «taxes sur la transmission des valeurs mobilières» au sens propre de ces termes.

    Ces émoluments ne revêtent pas non plus un caractère rémunératoire au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335 dès lors que leur montant augmente directement en proportion de la valeur des parts sociales transférées, donc de l'opération économique sous-jacente et sans qu'aucune limite n'ait été instituée. Ne sauraient être qualifiées de «droits ayant un caractère rémunératoire» que des rétributions dont le montant est calculé sur la base du coût du service rendu. En revanche, une rétribution dont le montant est dénué de tout lien avec le coût de ce service particulier ou dont le montant est calculé non en fonction du coût du service dont elle est la contrepartie, mais en fonction de l'ensemble des coûts de fonctionnement et d'investissement de l'administration doit être regardée comme une imposition interdite au titre des articles 10 et 11 de cette directive.

    (cf. points 44, 46, 58-59, 62, 64-66 et disp.)




    ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

    28 juin 2007 (*)

    «Directive 69/335/CEE – Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux – Réglementation nationale prévoyant la perception des émoluments notariaux pour l’authentification des transferts de parts sociales dans des sociétés à responsabilité limitée – Décision d’imposition – Qualification comme ‘imposition similaire au droit d’apport’ – Formalité préalable – Taxes sur la transmission des valeurs mobilières – Droits ayant un caractère rémunératoire»

    Dans l’affaire C-466/03,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle et une demande complémentaire de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Landgericht Baden-Baden (Allemagne), par décisions des 20 octobre 2003 et 10 octobre 2005, parvenues à la Cour respectivement les 6 novembre 2003 et 31 octobre 2005, dans la procédure

    Albert Reiss Beteiligungsgesellschaft mbH

    contre

    Land Baden-Württemberg,

    LA COUR (première chambre),

    composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. K. Lenaerts, E. Juhász, M. Ilešič et E. Levits, juges,

    avocats généraux: M. L. A. Geelhoed, puis Mme V. Trstenjak,

    greffiers: M. R. Grass, greffier, puis M. B. Fülöp, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 novembre 2006,

    considérant les observations présentées:

    –        pour Albert Reiss Beteiligungsgesellschaft mbH, par Mes A. Feber et H. Sandweg, Rechtsanwälte,

    –        pour le Land Baden-Württemberg, par MM. K. Ehmann, M. Steindorfner et F. Mauch, en qualité d’agents,

    –        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et K. Gross, en qualité d’agents,

    ayant entendu les avocats généraux en leurs conclusions aux audiences des 16 juin 2005 et 8 mars 2007,

    rend le présent

    Arrêt

    1        La demande de décision préjudicielle et son complément portent sur l’interprétation des articles 10 et 12 de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23, ci-après la «directive 69/335»).

    2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre d’un litige opposant la société Albert Reiss Beteiligungsgesellschaft mbH (ci-après la «société Reiss») au Land Baden-Württemberg, au sujet du paiement d’émoluments notariaux pour l’authentification d’un transfert de parts sociales dans une société à responsabilité limitée en faveur de la société Reiss, ce transfert ayant été effectué en tant qu’apport dans le cadre d’une augmentation du capital social de cette dernière.

     Le cadre juridique

     La réglementation communautaire

    3        Ainsi qu’il ressort de ses premier et deuxième considérants, la directive 69/335 tend à promouvoir la libre circulation des capitaux, liberté fondamentale considérée comme essentielle à la création d’un marché intérieur. À ce titre, elle vise à éliminer des obstacles fiscaux dans le domaine des rassemblements de capitaux dont, notamment, les apports en société, à savoir les apports effectués par les associés ou les actionnaires à leurs sociétés de capitaux.

    4        À cet effet, les articles 1er à 9 de la directive 69/335 prévoient la perception d’un droit harmonisé sur les apports en société (ci‑après le «droit d’apport»).

    5        L’article 4 de la directive 69/335 détermine la liste des opérations que les États membres peuvent ou doivent, selon le cas, soumettre à un tel droit d’apport.

    6        Ainsi, l’article 4, paragraphe 1, sous c), de cette directive dispose que les États membres soumettent au droit d’apport «l’augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport de biens de toute nature».

    7        En outre, la directive 69/335 prévoit à son article 10, lu à la lumière du dernier considérant de celle-ci, la suppression des impositions présentant les mêmes caractéristiques que le droit d’apport (ci-après les «impositions similaires au droit d’apport»).

    8        Ainsi, aux termes de l’article 10, sous c), de cette directive, en dehors du droit d’apport, les États membres ne perçoivent, en ce qui concerne les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs, aucune imposition, sous quelque forme que ce soit, pour l’immatriculation ou pour toute autre formalité préalable à l’exercice d’une activité, à laquelle une société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs peut être soumise en raison de sa forme juridique.

    9        Toutefois, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et e), de la directive 69/335:

    «Par dérogation aux dispositions des articles 10 et 11, les États membres peuvent percevoir:

    a)       des taxes sur la transmission des valeurs mobilières, perçues forfaitairement ou non;

    […]

    e)       des droits ayant un caractère rémunératoire;

    […]»

    10      S’agissant des taxes sur la transmission des valeurs mobilières, l’exposé des motifs de la proposition de directive de la Commission du 14 décembre 1964 [COM(64) 526 final], qui a conduit à l’adoption de la directive 69/335, explique:

    «Parmi les impôts [indirects frappant les mouvements de capitaux], on peut distinguer, d’une part, ceux qui frappent les rassemblements de capitaux et, d’autre part, ceux qui frappent les transactions sur titres. Le présent projet de directive porte sur les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, cette catégorie d’impôts comprenant le droit d’apport sur les capitaux propres des sociétés, le droit de timbre sur les titres nationaux, le droit de timbre perçu à l’occasion de l’introduction ou de l’émission sur le marché national des titres d’origine étrangère, ainsi que d’autres impositions indirectes qui ont les mêmes caractéristiques. Quant aux impôts indirects frappant les transactions sur titres, tels que les taxes sur les opérations de Bourse, ils feront ultérieurement l’objet d’un autre projet de directive. La proposition est donc sans incidence à leur égard.»

     La réglementation nationale

    11      L’article 15, paragraphe 3, de la loi allemande relative aux sociétés à responsabilité limitée (Gesetz betreffend die Gesellschaften mit beschränkter Haftung), du 20 avril 1892 (RGBl. 1892 I p. 477, ci-après le «GmbH-Gesetz»), dans sa version applicable à l’affaire au principal, prévoit que «la cession de leurs parts par les associés requiert un contrat conclu sous forme notariée».

    12      Le montant des émoluments pouvant être perçus par les notaires est fixé par la loi relative aux frais de procédure (Kostenordnung), du 26 juillet 1957 (BGBl. 1957 I, p. 960, ci-après la «Kostenordnung»), dans sa version applicable à l’affaire au principal.

    13      L’article 32, paragraphe 1, de la Kostenordnung prévoit que le droit de base pour les opérations d’une valeur jusqu’à 1 000 euros s’élève à 10 euros. Ce droit de base est majoré:

    –        pour les opérations jusqu’à une valeur de 5 000 euros, de 8 euros par tranche supplémentaire de 1 000 euros,

    –        pour les opérations jusqu’à une valeur de 50 000 euros, de 6 euros par tranche supplémentaire de 3 000 euros,

    –        pour les opérations jusqu’à une valeur de 5 000 000 euros, de 15 euros par tranche supplémentaire de 10 000 euros,

    –        pour les opérations jusqu’à une valeur de 25 000 000 euros, de 16 euros par tranche supplémentaire de 25 000 euros,

    –        pour les opérations jusqu’à une valeur de 50 000 000 euros, de 11 euros par tranche supplémentaire de 50 000 euros,

    –        pour les opérations jusqu’à une valeur de plus de 50 000 000 euros, de 7 euros par tranche supplémentaire de 250 000 euros.

    14      En vertu de l’article 36, paragraphe 2, de la Kostenordnung, «le double du droit de base est perçu pour l’authentification des contrats».

    15      Dans le Land Baden-Württemberg, les relations internes entre les notaires fonctionnaires et la Staatskasse (Trésor public) sont précisées notamment dans la loi du Land relative au financement de la justice (Landesjustizkostengesetz), du 15 janvier 1993 (GBl. p. 110, ci-après le «Landesjustizkostengesetz»).

    16      Initialement cette loi prévoyait que les notaires fonctionnaires exerçant dans le ressort de l’Oberlandesgericht Karlsruhe n’étaient pas les créanciers directs des émoluments dus pour l’établissement d’un acte notarié, mais que ces émoluments revenaient directement au Land. Les notaires fonctionnaires bénéficiaient de leur traitement de fonctionnaire, auquel s’ajoutait un montant variable, correspondant à une fraction des émoluments qu’ils généraient. Ainsi, s’agissant par exemple des émoluments perçus pour l’authentification des contrats mentionnés à l’article 15, paragraphe 3, du GmbH-Gesetz, ils avaient droit à 50 % du montant de ces émoluments.

    17      Ce régime a été modifié, avec effet rétroactif au 1er juin 2002, par la loi du 28 juillet 2005 (GBl. n° 12 du 5 août 2005, p. 580).

    18      Ainsi, aux termes de l’article 10 du Landesjustizkostengesetz tel que modifié:

    «1)       Les émoluments et les frais afférant à l’activité des notaires sont perçus au profit du Trésor public.

    2)       Les notaires sont créanciers des émoluments et des frais afférant à leur activité en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la loi du Land relative à la juridiction gracieuse [(Landesgesetz über die freiwillige Gerichtsbarkeit)] ainsi que des éventuels intérêts en vertu de l’article 154 bis de la Kostenordnung. […]

    3)       Les notaires perçoivent les émoluments, les frais et les intérêts visés au paragraphe 2, première phrase, […] en sus de la rémunération qui leur revient en vertu de la loi du Land relative à la rémunération des fonctionnaires [(Landesbesoldungsgesetz)].»

    19      L’article 11, paragraphe 1, du Landesjustizkostengesetz tel que modifié dispose que le Trésor public ne touche, en principe, plus que 15 % des émoluments que les notaires fonctionnaires du Land perçoivent pour l’authentification des actes au titre des dispositions impératives du droit des sociétés.

     Le litige au principal et les questions préjudicielles

    20      La société Reiss a décidé, le 30 juillet 2002, d’augmenter son capital social par un apport en nature pour le porter à 100 000 euros. À cet effet, l’associé unique de cette société, M. Reiss, a transféré, par acte notarié du 30 juillet 2002 (dressé par un notaire fonctionnaire dans le ressort de l’Oberlandesgericht Karlsruhe), à la société Reiss, la part sociale unique qu’il détenait dans une autre société à responsabilité limitée, la société Arku Maschinenbau GmbH (ci‑après la «société Arku»).

    21      Le 4 novembre 2002, l’augmentation du capital social de la société Reiss a fait l’objet d’une inscription au registre du commerce de l’Amtsgericht Baden‑Baden. Indépendamment d’autres redevances, le fonctionnaire chargé de la perception des droits a exigé de la société Reiss, pour l’authentification du transfert de la part sociale unique dans la société Arku, le paiement d’émoluments notariaux d’un montant de 11 424 euros. Ce montant a été calculé sur la base d’une valeur de l’opération de 3 763 443,90 euros.

    22      La société Reiss a introduit un recours par lequel elle a contesté le bien‑fondé de cette imposition à la lumière du droit communautaire.

    23      Ce recours ayant été rejeté par l’Amtsgericht Baden-Baden, la société Reiss a fait appel de la décision rendue par ce dernier devant la juridiction de renvoi.

    24      Dans ces circonstances, le Landgericht Baden-Baden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

    «L’article 10, sous c), de la directive [69/335] vise-t-il également les droits relatifs à l’établissement de l’acte notarié constatant la cession de parts [dans] une société à responsabilité limitée?»

    25      Dans le cadre de l’examen de cette affaire, la Cour a d’abord décidé de statuer par voie d’ordonnance au titre de l’article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure. Toutefois, à la suite d’objections formées par le Land Baden-Württemberg, selon lequel certains aspects de la réponse à la question préjudicielle ne pouvaient pas être clairement déduits de la jurisprudence existante, elle a réexaminé la question et décidé de se prononcer sur la demande de décision préjudicielle par un arrêt.

    26      Par décision du 10 octobre 2005, le Landgericht Baden-Baden a envoyé une question complémentaire à la Cour, afin de tenir compte de la modification législative intervenue par la loi du 28 juillet 2005:

    «Les émoluments notariaux perdent-ils leur qualité d’impôt au sens de la directive 69/335 lorsque l’État renonce certes à prélever sa part sur l’acte juridique et laisse, par conséquent, les émoluments au notaire fonctionnaire lui-même – sous déduction d’une compensation forfaitaire des frais de 15 % – mais que le notaire reste par ailleurs intégré dans l’organisation administrative et est rémunéré par l’État pour l’exercice de fonctions publiques?»

    27      Par acte déposé au greffe de la Cour le 16 mars 2007, la société Reiss a demandé à la Cour d’ordonner la réouverture de la procédure orale, en application de l’article 61 du règlement de procédure, en vue de fixer des mesures d’instruction au sens des articles 45 et suivants du règlement de procédure aux fins de rapporter la preuve des faits mentionnés au point 50 des conclusions de Mme l’avocat général Trstenjak.

     Sur les demandes tendant à la réouverture de la procédure orale et à la fixation de mesures d’instruction

    28      La société Reiss souhaite une réouverture de la procédure orale afin que les constatations faites par Mme l’avocat général Trstenjak dans ses conclusions sur le risque économique et la responsabilité des notaires fonctionnaires puissent être vérifiées.

    29      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir arrêts du 19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, Rec. p. I‑1577, point 42, et du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, Rec. p. I‑11893, point 25).

    30      Cependant, en l’espèce, la Cour, l’avocat général entendu, considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de réouverture de la procédure orale.

    31      Dans ces conditions, il convient également de rejeter la demande de fixation des mesures d’instruction.

     Sur les questions préjudicielles

    32      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si la directive 69/335 s’oppose à la perception des émoluments notariaux pour l’authentification d’un transfert de parts sociales dans une société, effectué en tant qu’apport dans le cadre d’une augmentation du capital social d’une société de capitaux, et ce dans un système caractérisé par le fait que les notaires sont des fonctionnaires et que les émoluments sont, au moins en partie, versés à l’État pour supporter des dépenses publiques.

     Sur la recevabilité

    33      Soutenant qu’une réponse négative devrait être apportée à la première question, à savoir que les émoluments en cause au principal ne relèvent pas du champ d’application de la directive 69/335, et notamment de l’article 10, sous c), de celle-ci, le gouvernement du Land Baden‑Württemberg estime que la juridiction de renvoi n’a en réalité pas besoin de réponse à la question complémentaire et que celle-ci est donc irrecevable.

    34      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le rejet d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique ou que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, Rec. p. I‑403, point 24 et la jurisprudence citée).

    35      Or, tel n’est pas le cas dans l’affaire au principal. En effet, il n’apparaît pas de manière manifeste que les émoluments en cause soient exclus du champ d’application de la directive 69/335 et que, dès lors, la question complémentaire devrait être considérée comme étant sans rapport avec l’objet du litige au principal.

    36      La question de savoir si lesdits émoluments tombent ou non dans le champ d’application de la directive 69/335 n’est pas, par ailleurs, une question de recevabilité, mais relève du fond et doit être examinée dans ce dernier cadre.

    37      Partant, il convient de répondre à la question complémentaire.

     Sur le fond

    38      Il convient d’examiner, d’abord, si des émoluments, tels que ceux en cause au principal, constituent une «imposition» au sens de la directive 69/335, ensuite, si ces émoluments tombent sous l’interdiction de l’article 10 de la directive 69/335 et, enfin, le cas échéant, s’ils relèvent éventuellement d’une des dispositions prévues à l’article 12 de celle-ci.

     Sur la qualification d’«imposition» au sens de la directive 69/335

    39      Il ressort de la jurisprudence que, eu égard aux objectifs poursuivis par la directive 69/335, la notion d’«imposition» au sens de cette directive doit, en principe, recevoir une interprétation large (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2002, Commission/Grèce, C‑426/98, Rec. p. I‑2793, point 25, et du 10 mars 2005, Optiver e.a., C‑22/03, Rec. p. I‑1839, points 30 et 31).

    40      Selon la jurisprudence, les émoluments notariaux doivent être qualifiés d’«imposition» au sens de la directive 69/335 lorsqu’ils sont perçus pour une opération relevant de ladite directive par des notaires qui sont des fonctionnaires de l’État et, au moins en partie, versés à l’État pour supporter des dépenses publiques (voir, en ce sens, ordonnance du 21 mars 2002, Gründerzentrum, C‑264/00, Rec. p. I-3333, point 27; arrêts du 30 juin 2005, Längst, C‑165/03, Rec. p. I‑5637, point 37, et du 7 septembre 2006, Organon Portuguesa, C‑193/04, Rec. p. I‑7271, point 17).

    41      S’agissant des émoluments en cause dans l’affaire au principal, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que ces conditions étaient remplies dans le cadre du système qui était précédemment en vigueur dans le ressort de l’Oberlandesgericht Karlsruhe, dont relève l’Amtsgericht Baden-Baden, où les notaires étaient des fonctionnaires et où les droits perçus pour l’établissement d’un acte notarié étaient en partie versés à l’État pour financer les missions qui lui incombent (voir, en ce sens, ordonnance Gründerzentrum, précitée, point 28).

    42      Or, il n’apparaît pas que les changements apportés à ce système par la loi du 28 juillet 2005 soient de nature à justifier, dans l’affaire au principal, une conclusion différente.

    43      En effet, d’une part, les notaires demeurent des fonctionnaires employés par l’État. D’autre part, ils restent tenus de verser une partie desdits émoluments à l’État. Par ailleurs, cette loi précise explicitement que les émoluments et les frais afférant à l’activité des notaires sont perçus au profit du Trésor public.

    44      Cette constatation ne saurait être infirmée par le fait que les notaires fonctionnaires exerçant dans le ressort de l’Oberlandesgericht Karlsruhe sont devenus, depuis la loi du 28 juillet 2005, eux-mêmes créanciers des émoluments en cause et que la partie qu’ils doivent transférer à l’État est relativement modérée, à savoir 15 % du montant de ces émoluments.

    45      D’une part, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 29 septembre 1999, Modelo, dit «Modelo I» (C‑56/98, Rec. p. I-6427, points 19 et 23), et du 21 septembre 2000, Modelo, dit «Modelo II», (C‑19/99, Rec. p. I-7213, points 19 et 23) ainsi que Längst et Organon Portuguesa, précités (voir, respectivement, points 41 à 43, ainsi que 11 et 17), les émoluments en question étaient également perçus, dans un premier temps, par les notaires fonctionnaires, pour être, dans un second temps, transférés en partie à l’État.

    46      D’autre part, dans ces mêmes affaires ainsi que dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Gründerzentrum, précitée, les émoluments en question ont été qualifiés d’«imposition» au sens de la directive 69/335 indépendamment du montant de la partie transférée à l’État. En effet, si on peut déduire des faits décrits dans l’arrêt Längst, précité, que l’État recevait environ 66 % des émoluments, cette circonstance n’a pas été relevée par la Cour comme un élément pertinent aux fins de ladite qualification. De même, aucun des autres arrêts précités ne précise le montant de la partie transférée à l’État. Par conséquent, la question du montant spécifique de la partie à transférer, par un notaire fonctionnaire, à l’État n’a, a priori, pas d’incidence sur la qualification des émoluments comme «imposition».

    47      Il s’ensuit que, à la lumière de la jurisprudence précitée, des émoluments tels que ceux en cause au principal constituent une «imposition» au sens de la directive 69/335.

     Sur l’interdiction des impositions similaires au droit d’apport [article 10, sous c), de la directive 69/335]

    48      Il convient de rappeler au préalable que l’article 10 de la directive 69/335, lu à la lumière du dernier considérant de celle-ci, prohibe les impositions qui présentent les mêmes caractéristiques que le droit d’apport (voir, notamment, arrêts du 20 avril 1993, Ponente Carni et Cispadana Costruzioni, C‑71/91 et C‑178/91, Rec. p. I‑1915, point 29, et du 11 juin 1996, Denkavit Internationaal e.a., C‑2/94, Rec. p. I‑2827, point 23).

    49      Sont ainsi notamment visées à l’article 10, sous c), de la directive 69/335 les impositions qui, quelle que soit leur forme, sont dues pour l’immatriculation ou toute autre formalité préalable à l’exercice d’une activité, à laquelle une société peut être soumise en raison de sa forme juridique.

    50      Cette interdiction s’ajoute à celles visées à l’article 10, sous a) et b), de cette directive, qui se réfèrent aux cas de figure décrits à l’article 4 de celle-ci, et se justifie par le fait que, si ces impositions ne frappent pas les apports en société en tant que tels, elles sont néanmoins perçues en raison des formalités essentielles liées à la forme juridique de la société, c’est-à-dire de l’instrument utilisé pour rassembler des capitaux, de sorte que leur maintien risquerait de mettre également en cause les buts poursuivis par ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2006, Badischer Winzerkeller, C‑264/04, Rec. p. I‑5275, point 19 et la jurisprudence citée).

    51      La Cour en a déduit que l’article 10, sous c), de la directive 69/335 doit, en principe, être interprété de manière large comme visant non seulement les procédures formelles préalables à l’exercice de l’activité d’une société de capitaux, mais également les formalités qui conditionnent l’exercice et la poursuite de l’activité d’une telle société (voir, en ce sens, arrêts du 2 décembre 1997, Fantask e.a., C‑188/95, Rec. p. I‑6783, point 22; du 5 mars 1998, Solred, C‑347/96, Rec. p. I‑937, point 22, et Badischer Winzerkeller, précité, point 25).

    52      À cet égard, la Cour a constaté à maintes reprises que, lorsqu’une opération effectuée par une société de capitaux, telle que, par exemple, l’augmentation de son capital social, la modification de ses statuts, ou l’acquisition de biens immobiliers à la suite d’une fusion, doit, en droit national, obligatoirement faire l’objet d’une formalité juridique, cette formalité conditionne l’exercice et la poursuite de l’activité de cette société (voir, en ce sens, arrêt Badischer Winzerkeller, précité, points 26 et 27 ainsi que la jurisprudence citée).

    53      Ainsi, la Cour a, par exemple, jugé illicites au sens de l’article 10, sous c), de la directive 69/335 des impositions frappant l’immatriculation d’une nouvelle société (arrêts précités Ponente Carni et Cispadana Costruzioni, points 30 et 31, ainsi que Fantask e.a., point 22), l’authentification de la constitution d’une nouvelle société (ordonnance Gründerzentrum, précitée, point 30), l’enregistrement de l’augmentation du capital social (arrêts Fantask e.a., précité, point 22; du 26 septembre 2000, IGI, C‑134/99, Rec. p. I‑7717, point 25, et du 21 juin 2001, SONAE, C‑206/99, Rec. p. I-4679, point 31), l’authentification d’une augmentation du capital social (arrêt Modelo I, précité, point 26), ainsi que l’authentification du versement du capital social restant à apporter (arrêt Solred, précité, point 23).

    54      Dans l’affaire au principal, ainsi que le relève également M. l’avocat général Geelhoed aux points 20 à 23 de ses conclusions, les émoluments en cause ont été imposés pour l’authentification d’un transfert de parts sociales dans une société (Arku), effectué en tant qu’apport en nature dans le cadre d’une augmentation du capital social d’une société de capitaux (société Reiss). L’authentification en question atteste donc d’une opération dont dépend l’augmentation du capital social d’une société de capitaux. De telles opérations de transfert de parts devant, en droit allemand, obligatoirement faire l’objet d’une authentification, cette authentification doit être considérée comme une formalité qui conditionne l’exercice et la poursuite de l’activité de la société de capitaux en question (société Reiss). L’authentification en question est donc bien une formalité préalable à laquelle une société de capitaux est soumise en raison de sa forme juridique.

    55      Il s’ensuit que des émoluments, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, relèvent de l’article 10, sous c), de la directive 69/335, ce qui implique que leur perception est, en principe, interdite.

    56      Il convient cependant de vérifier encore si de tels émoluments ne tombent pas dans le champ d’application d’une des dispositions prévues à l’article 12 de la directive 69/335.

     Sur la disposition autorisant la perception de taxes sur la transmission de valeurs mobilières [article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 69/335]

    57      L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 69/335 précise que les États membres demeurent libres à percevoir des taxes sur la transmission des valeurs mobilières.

    58      Or, l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 69/335 limitant les interdictions prévues aux articles 10 et 11 de cette même directive, ladite disposition doit recevoir une interprétation restrictive et ne saurait être comprise comme s’étendant à des impositions autres que des «taxes sur la transmission des valeurs mobilières» au sens propre de ces termes.

    59      Il en résulte que, dans la mesure où les émoluments en cause au principal constituent non pas une taxe sur la transmission des valeurs mobilières, mais, au contraire, des émoluments notariaux relevant de l’article 10, sous c), de la directive 69/335, ils ne tombent pas dans le champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 69/335.

     Sur la dérogation autorisant les droits ayant un caractère rémunératoire [article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335]

    60      L’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335 prévoit que les États membres peuvent percevoir des droits ayant un caractère rémunératoire.

    61      À cet égard, il y a lieu de relever que les «droits ayant un caractère rémunératoire» sont des droits perçus pour la rétribution d’un service rendu (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2002, Commission/Grèce, C‑426/98, Rec. p. I‑2793, point 36).

    62      Partant, ainsi que l’a constaté M. l’avocat général Geelhoed au point 32 de ses conclusions, ne sauraient être qualifiées de «droits ayant un caractère rémunératoire» au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335 que des rétributions dont le montant est calculé sur la base du coût du service rendu. En revanche, une rétribution dont le montant est dénué de tout lien avec le coût de ce service particulier ou dont le montant est calculé non en fonction du coût du service dont elle est la contrepartie, mais en fonction de l’ensemble des coûts de fonctionnement et d’investissement de l’administration devrait être regardée comme une imposition interdite au titre des articles 10 et 11 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt Ponente Carni et Cispadana Costruzioni, précité, points 41 et 42, ainsi que ordonnance Gründerzentrum, précitée, point 31).

    63      Ainsi, un droit, dont le montant se détermine par rapport à la valeur de l’opération économique sous-jacente et qui augmente directement et sans limites en proportion de cette valeur, ne saurait, par sa nature même, constituer un «droit ayant un caractère rémunératoire» au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335. Même s’il peut exister, dans certains cas, un lien entre la complexité du service rendu par l’administration et la valeur de l’opération économique sous‑jacente, le montant d’un tel droit sera, en général, sans rapport avec les frais concrètement exposés par l’administration (voir, en ce sens, arrêts précités Modelo I, point 30, et IGI, point 31).

    64      Dans l’affaire au principal, le montant des émoluments en cause augmente directement en proportion de la valeur des parts sociales transférées, donc de l’opération économique sous-jacente. En outre, étant donné que ces émoluments sont perçus sans qu’aucune limite n’ait été instituée, ils sont susceptibles d’atteindre un montant total considérable, lequel montant n’a même pas été défendu par le gouvernement allemand comme correspondant aux coûts du service rendu.

    65      Dans ces circonstances, lesdits émoluments ne revêtent pas un caractère rémunératoire au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335.

    66      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 10, sous c), de la directive 69/335 s’oppose à la perception des émoluments notariaux pour l’authentification d’un transfert de parts sociales dans une société, effectué en tant qu’apport dans le cadre d’une augmentation du capital social d’une société de capitaux, et ce dans un système caractérisé par le fait que les notaires sont des fonctionnaires et que les émoluments sont, au moins en partie, versés à l’État pour supporter des dépenses publiques.

     Sur les dépens

    67      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

    L’article 10, sous c), de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985, s’oppose à la perception des émoluments notariaux pour l’authentification d’un transfert de parts sociales dans une société, effectué en tant qu’apport dans le cadre d’une augmentation du capital social d’une société de capitaux, et ce dans un système caractérisé par le fait que les notaires sont des fonctionnaires et que les émoluments sont, au moins en partie, versés à l’État pour supporter des dépenses publiques.

    Signatures


    * Langue de procédure: l’allemand.

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