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Document 62023CC0217
Opinion of Advocate General Richard de la Tour delivered on 5 September 2024.###
Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 5 septembre 2024.
Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 5 septembre 2024.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:709
Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. JEAN RICHARD DE LA TOUR
présentées le 5 septembre 2024 (1)
Affaire C‑217/23 [Laghman] (i)
Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl
contre
A N
[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche)]
« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique commune en matière d’asile – Directive 2011/95/UE – Conditions pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale ou de la protection subsidiaire – Statut de réfugié – Article 2, sous d) – Motifs de la persécution – Article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret – Notion d’appartenance à un “certain groupe social” – Notion d’“d’identité propre” dans le pays d’origine – Perception d’un groupe comme étant différent par la société environnante – Critères d’appréciation – Demandeur de protection internationale, membre d’une famille impliquée dans une vendetta ayant cours dans son pays d’origine »
I. Introduction
1. Un demandeur de protection internationale, membre d’une famille impliquée dans une vendetta (2) ayant cours dans son pays d’origine, peut-il être considéré comme étant exposé à un acte de persécution en raison de son appartenance à un « certain groupe social », au sens de l’article 2, sous d), et de l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, de la directive 2011/95/UE (3) ?
2. La réponse à cette question ne s’impose pas, d’emblée, avec évidence.
3. Elle exige de distinguer les actes et les menaces graves découlant d’une vendetta, qui se conforme à des principes de droit coutumier reconnus et admis par certaines sociétés traditionnelles et auxquels s’exposent, de génération en génération, les membres d’une famille en raison des responsabilités considérées comme engagées par d’autres membres de cette famille, des actes et des menaces strictement personnels poursuivant d’autres motivations, provenant de criminels de droit commun ou de la mafia. Si le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) (4) et l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) (5) ont émis des recommandations sur ce sujet, force est de constater que les autorités nationales adoptent des approches différentes lorsqu’il s’agit d’établir l’appartenance d’un tel demandeur à un certain groupe social (6).
4. En effet, en droit de l’Union, une demande de protection internationale fondée sur l’appartenance à un « certain groupe social » exige non seulement d’établir que les membres du groupe partagent une caractéristique innée ou une caractéristique ou une croyance essentielle pour leur identité ou leur conscience, ou encore une histoire commune qui ne peut être modifiée [première condition d’identification énoncée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, premier tiret, de la directive 2011/95], mais également de démontrer que le groupe a une « identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante » [seconde condition d’identification énoncée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de cette directive].
5. Si la Cour a déjà eu l’occasion de préciser la portée du motif de persécution tiré de l’appartenance à un certain groupe social à l’égard de personnes homosexuelles et, plus récemment, de femmes victimes de violences domestiques ou s’identifiant à des valeurs telles que l’égalité entre les sexes (7), la présente affaire l’invite à apporter des précisions supplémentaires concernant la seconde condition d’identification, relative à la perception sociale du groupe dans le pays d’origine dans le contexte particulier d’une vendetta.
6. Dans un premier temps de mon raisonnement, j’expliquerai, d’abord, que la notion de « société environnante », visée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95, se réfère à l’environnement humain et social dans lequel évolue le groupe concerné, de sorte que l’« identité propre » du groupe s’apprécie au regard non pas de la perception isolée de l’acteur de la persécution, mais de la perception collective de cette société. Ensuite, je préciserai que l’autorité nationale compétente doit, dans le cadre de son appréciation individualisée, tenir compte de la représentation ou de l’image que la société environnante a du groupe concerné et de la mesure dans laquelle l’opinion ou le jugement associé à celle-ci le différencie ou le distingue du reste de cette société. À cet égard, les comportements, les actes ou les mesures qui sont adoptés en raison de cette perception peuvent constituer des indications pertinentes afin de démontrer que le groupe est perçu comme étant différent.
7. Dans un second temps de mon raisonnement et après avoir replacé la vendetta dans le système juridique et la tradition dans lesquels ce phénomène s’inscrit, je proposerai à la Cour de dire pour droit, que, en fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, le membre d’une famille impliquée dans une vendetta ayant cours dans ce pays peut être considéré comme appartenant à un « certain groupe social », en tant que motif de persécution susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié.
II. Le droit de l’Union
8. L’article 2 de la directive 2011/95, intitulé « Définitions » prévoit, au point d) :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
d) “réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [...] et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12. »
9. L’article 4 de cette directive, intitulé « Évaluation des faits et circonstances », dispose, à son paragraphe 3 :
« Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :
a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;
b) les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves ;
c) le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;
[...] »
10. L’article 10 de ladite directive, intitulé « Motifs de la persécution », énonce, à son paragraphe 1, sous d), premier alinéa :
« Lorsqu’ils évaluent les motifs de la persécution, les États membres tiennent compte des éléments suivants :
[...]
d) un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier :
– ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et
– ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. »
III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles
11. A N, un ressortissant afghan appartenant à l’ethnie pachtoune, a déposé une demande de protection internationale en Autriche le 4 novembre 2015. À l’appui de cette demande, A N a soutenu qu’il serait exposé à un risque de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine, au motif que sa famille serait impliquée dans une vendetta depuis le meurtre de son père et de son frère à la suite d’un litige foncier les opposant aux cousins de son père.
12. Si le Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Office fédéral pour le droit des étrangers et le droit d’asile, Autriche) a rejeté cette demande par une décision du 21 juin 2017, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) a, en revanche, fait droit au recours introduit contre cette décision et, par un arrêt du 26 juillet 2022, a jugé qu’A N devait bénéficier du statut de réfugié. Cette juridiction a reconnu l’existence et la gravité des risques encourus par l’intéressé en raison de son appartenance familiale en cas de retour dans son pays d’origine ainsi que l’incapacité des autorités afghanes à le protéger des risques générés par cette vendetta. S’agissant des possibilités de protection à l’intérieur du pays, ladite juridiction a, en outre, considéré que, même à supposer qu’il ne soit pas menacé dans d’autres régions d’Afghanistan, A N risquerait de ne pas pouvoir satisfaire à ses besoins vitaux essentiels et nécessaires.
13. L’Office fédéral pour le droit des étrangers et le droit d’asile a formé un recours en Révision contre cette décision devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), la juridiction de renvoi. Il a soutenu que ladite décision reposait, de manière erronée, sur la prémisse selon laquelle une famille peut être considérée comme un « certain groupe social », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95, sans qu’il ait été déterminé si une telle famille est perçue comme étant différente par la société environnante, en violation de cette disposition.
14. Selon la juridiction de renvoi, la « question centrale » pour résoudre l’affaire au principal est celle de savoir « si les membres d’une famille qui sont menacés de vendetta uniquement en raison de leur appartenance à une famille dont l’un des membres est [ou était] impliqué [...] dans un différend à l’origine de la vendetta doivent être considérés comme un groupe social », au sens l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95. À cette fin, elle demande, en substance, à la Cour de clarifier le contenu et la portée de la seconde condition d’identification dont dépend l’existence d’un « certain groupe social », prévue au premier alinéa, second tiret, de cette disposition.
15. La juridiction de renvoi doute que, en l’occurrence, la famille d’A N puisse être perçue par la société environnante comme étant différente du fait de son implication dans une vendetta, dans la mesure où cette société est attachée à la tradition pachtoune bien établie, au moins dans une large partie du territoire afghan, de régler certains litiges familiaux par la voie de la vendetta.
16. Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’expression “ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante”, qui figure à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 [...], doit-elle être interprétée en ce sens que, dans le pays en question, un groupe ne possède une identité propre que s’il est considéré comme étant différent par la société environnante, ou est-il nécessaire d’examiner l’existence d’une “identité propre” de manière autonome et indépendamment de la question de savoir si le groupe est perçu comme étant différent par la société environnante ?
2) Si, selon la réponse à la première question, l’existence d’une “identité propre” doit être examinée de manière autonome, selon quels critères convient-il de vérifier l’existence d’une “identité propre” au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 ?
3) Indépendamment de la réponse aux première et deuxième questions, pour déterminer si un groupe est perçu comme étant différent “par la société environnante”, au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95, faut-il se fonder sur le point de vue de l’[acteur] de la persécution ou bien sur celui de l’ensemble ou d’une partie significative de la société d’un pays ou d’une partie de ce pays ?
4) Selon quels critères apprécie-t-on si un groupe est perçu comme étant “différent” au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95 ? »
17. A N, les gouvernements autrichien, allemand et néerlandais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.
IV. Analyse
18. Par ses questions préjudicielles, que je propose d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que le membre d’une famille impliquée dans une vendetta ayant cours dans son pays d’origine peut être considéré, en fonction des conditions qui prévalent dans ce pays, comme appartenant à un « certain groupe social », en tant que motif de persécution susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié.
19. À cette fin, cette juridiction demande à la Cour de préciser le sens et la portée de la seconde condition d’identification de l’appartenance à un « certain groupe social », énoncée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de cette directive.
20. À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 2, sous d), de ladite directive, le réfugié est, notamment, un ressortissant d’un pays tiers qui se trouve hors du pays dont il a la nationalité parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.
21. Le ressortissant concerné doit ainsi, en raison de circonstances existant dans son pays d’origine et du comportement des acteurs des persécutions, être confronté à la crainte fondée d’une persécution exercée sur sa personne pour au moins l’un des cinq motifs énumérés à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2011/95, parmi lesquels figure son appartenance à un « certain groupe social » dans ce pays.
22. Le législateur de l’Union a défini cette notion à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de cette directive, adoptant une approche sensiblement différente de celle prônée par le HCR (8).
23. Premièrement, les membres du groupe doivent partager une « caractéristique innée » ou une « histoire commune qui ne peut être modifiée », ou encore une « caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ».
24. En l’occurrence, il n’est pas contesté dans le litige au principal que cette condition est satisfaite. En effet, les membres d’une même famille partagent, en raison de leur lien de parenté, que ce lien découle de liens de sang, d’une adoption ou d’un mariage, par exemple, une caractéristique innée, qui est également essentielle pour l’identité et/ou une histoire commune qui ne peut être modifiée (9).
25. J’ajoute que, en application de la jurisprudence de la Cour, les membres d’une même famille peuvent partager un trait commun supplémentaire comme, par exemple, une autre caractéristique innée, ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, telle une situation familiale particulière (10). Or, dans ce contexte, la circonstance que les membres d’une famille, et en particulier les hommes et les garçons de cette famille, se trouvent soumis, du fait de leur ascendance, à une vendetta, au motif que celle-ci se transmet de génération en génération, en lignée patrilinéaire, relève d’« une histoire commune qui ne peut être modifiée ».
26. Au regard de ces éléments, les membres d’une famille impliquée dans une vendetta ayant cours dans le pays d’origine, et en particulier les hommes et les jeunes garçons de celle-ci, satisfont sans difficulté à la première condition d’identification d’un « certain groupe social », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, premier tiret, de la directive 2011/95.
27. Deuxièmement, ce groupe doit avoir son « identité propre » dans le pays concerné « parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante ».
28. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’« identité propre » du groupe constitue une condition qui doit être appréciée de manière distincte et autonome par rapport à la perception de la société environnante. En effet, elle souligne que l’emploi de la locution « da » dans la version en langue allemande de l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95 pourrait revêtir un sens autre qu’un simple sens de causalité (11). Le cas échéant, elle demande à la Cour, par sa deuxième question, de préciser les éléments sur lesquels il conviendrait alors d’apprécier l’« identité propre » d’un groupe.
29. Les doutes de cette juridiction me semblent pouvoir être facilement écartés.
30. En effet, d’une part, d’un point de vue textuel, il ressort des différentes versions linguistiques de la disposition en cause, telles que les versions en langues anglaise (« because »), française (« parce que ») ou encore italienne (« perché »), que le législateur de l’Union a bien entendu exprimer un rapport de causalité entre la notion d’« identité propre » et celle de « société environnante ». L’« identité propre » du groupe « dans le pays en question » résulte du fait que ce groupe « est perçu comme étant différent par la société environnante ».
31. D’autre part, il ressort de l’économie de l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, de la directive 2011/95, que l’intention du législateur de l’Union était de distinguer, au premier tiret de cette disposition, l’« identité individuelle » du membre du groupe concerné, en ce qu’elle vise notamment les caractères physiques, culturels ou religieux qu’il a en commun avec tous les membres de ce groupe et, au second tiret de celle-ci, l’« identité collective » ou l’« identité sociale » du groupe, en ce qu’elle vise la manière dont ce groupe est perçu par les autres membres de la société. Considérer que l’« identité propre » du groupe dans le pays en question serait distincte de la perception qu’en a la société environnante méconnaîtrait donc la distinction que ce législateur a souhaité opérer entre les éléments individuels et les éléments sociaux de l’identité des membres du groupe concerné.
32. Au regard de ces éléments, l’« identité propre » du groupe, visée à l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95, constitue, par conséquent, une condition qui doit être appréciée non pas de manière distincte et autonome par rapport à la perception de la société environnante, mais en lien avec celle-ci (12).
33. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle.
34. Il convient, à présent, d’examiner les troisième et quatrième questions préjudicielles, par lesquelles la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser la manière dont il convient d’apprécier si un groupe « est perçu comme étant différent par la société environnante ».
35. En premier lieu, s’agissant de la notion de « société environnante », celle-ci constitue le cadre de référence pour établir l’existence d’une « identité propre » du groupe. L’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95 se réfère manifestement à un espace collectif, c’est-à-dire à l’environnement humain et social dans lequel les membres de ce groupe évoluent. Par conséquent, la perception de la société environnante est une perception collective et, pour répondre à la juridiction de renvoi, je partage le point de vue du gouvernement autrichien dans ses observations, selon lequel elle ne saurait être confondue avec la perception isolée de l’acteur de la persécution, au sens de l’article 6 de cette directive, ou même avec la seule perspective de l’entourage immédiat de la personne concernée.
36. La juridiction de renvoi invite la Cour à préciser l’étendue géographique de cette « société », mais le législateur de l’Union la précise expressément en visant la société « environnante ». Cette société correspond donc à l’environnement dans lequel évoluent les membres du groupe concerné. Cet environnement est constitué de structures et embrasse des normes morales, culturelles, sociales, économiques, politiques, religieuses et juridiques particulières, dont il convient de comprendre le fonctionnement aux fins de l’évaluation individuelle de la demande. Il n’y a pas lieu, à mon sens, de préciser davantage cette étendue géographique, sauf à vouloir déterminer un périmètre en méconnaissance de l’organisation sociopolitique de ladite société et de ses réalités, qu’elles soient culturelles, ethniques, linguistiques ou religieuses. Comme l’a reconnu la Cour dans une jurisprudence constante, c’est à l’autorité nationale compétente qu’il appartient de déterminer la « société environnante » qui est pertinente pour apprécier l’existence d’un certain groupe social, cette société pouvant coïncider avec l’ensemble du pays d’origine du demandeur de protection internationale ou être plus circonscrite, par exemple à une partie du territoire ou de la population de ce pays tiers (13). Ainsi, un groupe social identifié en tant que groupe disposant d’une « identité propre » dans un pays donné, au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95, ne sera pas nécessairement considéré comme un « groupe social » dans d’autres pays.
37. En second lieu, la reconnaissance d’une « identité propre » du groupe dans le pays d’origine du demandeur implique que ce groupe soit « perçu » comme étant « différent » par la société environnante.
38. Je relève, d’emblée, que le législateur de l’Union se réfère à la notion de « perception sociale », qui est une notion se distinguant de celle de « comportement social ». En effet, la « perception » est la capacité qui permet à un organisme de guider ses actions et de connaître son environnement sur la base des informations fournies par ses sens (14). La notion de « perception sociale » recouvre donc, selon son sens commun, le processus mental par lequel les individus organisent et interprètent leurs impressions afin de donner un sens à leur environnement, et ce indépendamment des actions que ces derniers peuvent entreprendre (15).
39. La notion de « différence » (16) est, quant à elle, définie comme le « caractère (une différence) ou [un] ensemble de caractères (la différence) qui distingue une chose d’une autre, un être d’un autre » (17). La différence s’oppose donc à la similitude avec autrui. La différence suppose, d’évidence, l’altérité des personnes ou des éléments entre lesquels elle est établie ou constatée (18). L’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95 ne précise ni la nature de cette différence, celle-ci pouvant dès lors se loger dans nombre d’attributs des membres du groupe concerné, ni l’importance de celle-ci, de sorte que la « différence » à laquelle se réfère le législateur de l’Union ne vise pas nécessairement une échelle de valeurs.
40. Je déduis de ces éléments que, dans le contexte de l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95, la condition relative à l’« identité propre » d’un groupe suppose que, dans le cadre de l’évaluation individuelle de la demande, l’autorité nationale compétente apprécie la mesure dans laquelle la société environnante a une représentation ou une image du groupe concerné à laquelle sont associés une opinion ou un jugement différenciant ou distinguant ce groupe du reste de la société.
41. Cette appréciation doit être menée au regard de l’ensemble des informations dont celle-ci dispose en application de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/95. La perception sociale est subjective et dépend de nombreux facteurs relatifs tant aux caractéristiques du groupe concerné (tels que son apparence, ses attributs physiques, son genre, ses origines sociales ou ses rôles sociaux, ses comportements, ses attitudes, ses opinions, ou bien encore ses capacités, etc.) qu’aux normes gouvernant la société de référence (qu’il s’agisse de normes morales, sociales ou juridiques, ou bien encore de normes culturelles, économiques, politiques ou religieuses), et de leur combinaison à un moment donné. Il est entendu que les mêmes qualités ou les mêmes attributs pourront engendrer des impressions différentes selon les circonstances et selon l’environnement dans lesquels évolue le groupe de personnes concerné (19).
42. Si, aux fins de cette appréciation, le législateur de l’Union n’exige pas de démontrer que le groupe est traité, mais seulement qu’il est perçu d’une manière différente par la société environnante, tous les comportements, tous les actes ou toutes les mesures qui sont adoptés en raison de la perception sociale du groupe peuvent toutefois constituer des indications utiles afin de démontrer l’« identité propre » de ce groupe dans le pays d’origine. C’est le sens de la jurisprudence de la Cour. Celle-ci considère, en effet, que, si « l’appartenance à un certain groupe social doit être constatée indépendamment des actes de persécution, au sens de l’article 9 de [la] directive [2011/95], dont les membres de ce groupe peuvent être victimes dans le pays d’origine » (20), « [i]l n’en demeure pas moins qu’une discrimination ou une persécution subie par des personnes partageant une caractéristique commune peut constituer un facteur pertinent lorsque [...] il y a lieu d’apprécier si le groupe en cause apparaît comme distinct au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause » (21).
43. L’égalité étant la règle et la non-discrimination le principe, la différence peut donc se traduire par une rupture de l’égalité et par l’adoption d’actes, de mesures ou de pratiques discriminatoires à l’égard du groupe. La Cour a ainsi jugé que, selon les circonstances prévalant dans le pays d’origine, les femmes peuvent être perçues d’une manière différente par la société environnante et se voir reconnaître une « identité propre » dans cette société en raison, notamment, de normes sociales, morales ou juridiques ayant cours dans leur pays d’origine (22). Dans l’arrêt du 7 novembre 2013, X e.a. (23), la Cour a, en outre, considéré que l’existence d’une législation pénale visant spécifiquement les personnes homosexuelles permet de constater que ces personnes constituent un groupe à part qui est perçu par la société environnante comme étant différent (24). De la même façon, les autorités nationales compétentes peuvent constater le fait qu’un groupe concerné est perçu de manière différente en raison de mesures de stigmatisation ou encore d’ostracisme dirigées contre ses membres, par exemple les mesures de stigmatisation des jeunes femmes refusant de se soumettre à l’excision dans une communauté dans laquelle une telle pratique est la norme. En revanche, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’établir que les membres du groupe concerné sont mis à l’écart ou au ban de la société environnante puisque la notion de « différence » n’implique pas d’opposer ce groupe à la société dans laquelle il évolue (25).
44. En l’occurrence, la juridiction de renvoi émet des doutes quant à l’appartenance à un certain groupe social des membres d’une famille menacée de vendetta. En effet, ces derniers ne seraient pas perçus différemment par la société environnante, d’une part, parce que seuls l’acteur de la persécution – c’est-à-dire la famille « vengeresse » – ainsi que les proches et les connaissances de la famille ciblée auraient connaissance de la vendetta pesant sur celle-ci et, d’autre part, parce qu’il serait conforme à la tradition du « Pachtounwali » suivie dans la région d’origine de l’intéressé, de procéder au règlement des litiges par la vendetta. En d’autres termes, la vendetta serait un mécanisme de règlement des conflits central et répandu dans le système juridique traditionnel du « Pachtounwali ».
45. Ces arguments n’emportent pas ma conviction, car, du fait de cette approche, on risquerait d’exclure la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social de demandeurs de protection internationale au seul motif que le code ou la pratique traditionnels auxquels ils sont soumis seraient répandus dans leur pays ou leur région d’origine (26).
46. Une telle appréciation impose à l’évidence de procéder à une évaluation individuelle de la demande de protection internationale émanant d’un membre de la famille menacée, conformément à l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/95 (27).
47. Dans ce contexte, il est essentiel de replacer la vendetta dans le système juridique et la tradition dans lesquels elle s’inscrit et de la distinguer de la criminalité de droit commun ou de la criminalité organisée.
48. La vendetta, qui signifie « prise (ou reprise) du sang » ou « vengeance », est définie comme un phénomène séculaire régi par un droit coutumier reconnu et admis par certaines sociétés traditionnelles comme un droit coexistant de façon parallèle au système juridique en vigueur (28). Ainsi, il est admis que la vendetta fait partie intégrante des lois coutumières des Pachtounes vivant dans les zones rurales de l’Afghanistan (le « Pachtounwali ») (29), mais également des sociétés vivant dans les régions montagneuses du nord de l’Albanie (le « Kanun ») (30) ou dans le sud-est de la Turquie. Dans son rapport d’information sur l’Afghanistan publié au mois de mai 2024, l’AUEA distingue la vendetta du simple litige foncier duquel elle peut tirer son origine (31). En effet, la vendetta dicte un mode de règlement des litiges qui s’inscrit dans le cadre d’une action collective, en vertu de laquelle le châtiment d’un meurtre ou d’une injure est du ressort non pas de la justice d’État, mais de la famille, du clan, de la tribu ou du groupe ethnique de l’offensé (32). La vendetta peut répondre à des règles strictes puisqu’elle peut définir les crimes concernés et les catégories de victimes à venger. Le degré selon lequel celle-ci impose la vengeance par la commission d’actes de violence ou non diffère selon les codes, selon les régions ou les tribus auxquels ces derniers s’appliquent et selon l’origine de la vendetta. Ainsi, selon le « Pachtounwali », l’accomplissement de la vengeance n’est pas seulement un droit, mais également un devoir, une obligation sociale, dont le manquement peut entraîner, pour celui qui s’y dérobe, qui s’y refuse ou qui le néglige, le déshonneur, voire des atteintes à sa personne. Le droit de vengeance peut se transmettre de génération en génération (33). Traditionnellement, il s’exerce sur tout homme de la famille en lignée patrilinéaire, en tenant compte de son statut et des responsabilités que ce dernier endosse au sein de celle-ci (34). Dans ce contexte, la persécution d’un homme et de son fils depuis sa prime jeunesse, au motif que ce dernier appartient à la même famille que son grand-père paternel est aussi arbitraire à mon sens qu’une persécution pour des motifs liés à la race ou à la religion.
49. Enfin, une vendetta peut, en raison des principes du droit coutumier qui la gouvernent, impliquer pour la famille ciblée des mesures d’isolement ou de claustration volontaires, dont la durée et la gravité varient selon les cas (35). Dans les situations les plus graves, ces mesures peuvent aboutir à la déscolarisation des plus jeunes, en particulier des garçons, ainsi qu’à une privation des revenus de la famille (36), toute aide apportée à celle-ci pouvant être considérée comme une insulte faite à l’autre famille, avec le risque de déclenchement d’une vendetta que cela peut induire.
50. Il en résulte que, même dans le cadre d’une société où la vendetta constitue un mécanisme de règlement des conflits encore répandu, rien n’exclut que, en raison des normes sociales et morales sur lesquelles cette société repose, les membres d’une famille impliquée dans une vendetta, en particulier les membres de sexe masculin, puissent être perçus différemment par ladite société soit parce qu’ils sont contraints de se cloîtrer et de s’isoler de la même société afin d’échapper à la vengeance, soit parce qu’ils refusent de sauver l’honneur et la réputation de la famille en exerçant un droit de vengeance que ce droit coutumier leur impose d’exercer. Certaines autorités nationales disposent d’ailleurs de bases de données référençant les vendettas en cours ainsi que les familles impliquées, ce qui témoigne de la visibilité de ce groupe dans la société (37). En outre, certains pays ont adopté des législations pénales particulières en reconnaissant le caractère aggravant d’un meurtre commis en lien avec une vendetta et tentent, par ailleurs, d’endiguer ce phénomène par des mesures de prévention et par l’instauration de comités de réconciliation des familles en conflit.
51. Sous réserve d’une évaluation des faits et des circonstances propres à chaque cas d’espèce, je ne vois aucune raison s’opposant à ce qu’une autorité nationale compétente considère qu’un membre, en particulier de sexe masculin, d’une famille impliquée dans une vendetta ayant cours dans son pays d’origine appartient à un groupe ayant son « identité propre » dans ce pays, en raison des règles auxquelles ce dernier serait soumis en application d’un code coutumier. Contrairement aux craintes qu’expose la Commission dans ses observations, je ne pense pas qu’un tel groupe social serait identifié par l’acte de persécution auquel le membre de la famille serait exposé dans son pays d’origine (38).
52. En effet, ce groupe social serait identifié par l’application, à son égard, d’un droit coutumier justifié par des liens de sang et impliquant non seulement la soumission des membres de ce groupe à des règles particulières gouvernant leur vie dans la société, mais également leur exposition à un risque de menaces graves contre leur personne (39).
53. Au regard de ces considérations, je pense que l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, de la directive 2011/95 doit être interprété en ce sens que, en fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, le membre d’une famille impliquée dans une vendetta ayant cours dans ce pays peut être considéré comme appartenant à un « certain groupe social », en tant que motif de persécution susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié.
54. La reconnaissance de ce statut exigera encore d’établir que les actes auxquels cette personne risque d’être exposée dans son pays d’origine sont le fait d’acteurs non étatiques, au sens de l’article 6, sous c), de la directive 2011/95, ce qui impliquera de démontrer que les acteurs de la protection, visés à l’article 7 de cette directive, dont notamment l’État, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection effective contre ces actes (40).
55. En outre, la reconnaissance dudit statut supposera, conformément à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2011/95, lu en combinaison avec l’article 6, sous c), et l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci et à la lumière du considérant 29 de cette directive, qu’un lien soit établi ou bien entre le motif de persécution mentionné à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de ladite directive et les actes de persécution, au sens de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de celle-ci, ou bien entre ce motif de persécution et l’absence de protection contre de tels actes de persécution perpétrés par des acteurs non étatiques (41).
56. Enfin, la reconnaissance du statut de réfugié exigera de s’assurer qu’il n’existe aucun motif d’exclusion à l’adresse de l’intéressé.
V. Conclusion
57. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) de la manière suivante :
L’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection,
doit être interprété en ce sens que :
– l’« identité propre » du groupe est une condition qui doit être examinée à la lumière de la perception qu’en a la société environnante.
– La « société environnante » se définit comme l’environnement humain et social dans lequel évolue ce groupe, que l’autorité nationale compétente estime pertinent aux fins de son évaluation individuelle de la demande de protection internationale. La perception de la société environnante se réfère non pas à la perception isolée de l’acteur de la persécution, mais à une perception collective.
– La circonstance que le groupe est perçu comme étant différent par la société environnante doit être examinée au regard de la représentation ou de l’image que celle-ci a de ce groupe, à laquelle peuvent être associés une opinion ou un jugement le différenciant ou le distinguant du reste de la société. Les comportements, les actes ou encore les mesures qui sont adoptés en raison de cette perception peuvent constituer, à cette fin, des indications pertinentes.
– En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, le membre d’une famille impliquée dans une vendetta ayant cours dans ce pays peut être considéré comme appartenant à un « certain groupe social », en tant que motif de persécution susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié.
1 Langue originale : le français.
i Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.
2 Selon le dictionnaire La Langue française, le terme « vendetta » est emprunté à l’italien « vendetta », du latin « vindicta », et revêt deux significations. Il vise soit l’animosité héréditaire et meurtrière entre deux familles, typique des régions méditerranéennes et balkaniques, motivée par le désir de venger des offenses ou des crimes perpétrés entre ces familles, soit la quête de vengeance personnelle ou collective visant à réparer une injustice ressentie ou un préjudice subi.
3 Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).
4 Voir position de l’UNHCR sur les demandes de statut de réfugié dans le cadre de la Convention [relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, entrée en vigueur le 22 avril 1954, Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, no 2545, 1954, p. 150, ci-après la « convention de Genève »], fondées sur une crainte de persécution en raison de l’appartenance d’un individu à une famille ou à un clan impliqué dans une vendetta, du 17 mars 2006 (ci-après la « position du HCR relative à l’appartenance d’un individu à une famille ou à un clan impliqué dans une vendetta »).
5 Voir AUEA, Country guidance : Afghanistan, mai 2024, point 3.18, intitulé « Individus impliqués dans des vendettas et dans des litiges fonciers » (traduction libre).
6 Voir, à titre d’illustration d’une décision rejetant la demande du statut de réfugié et octroyant la protection subsidiaire, décision du Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif d’Helsinki, Finlande), du 3 septembre 2013 (Hehao 13/1012/3) ; décisions de la Cour nationale du droit d’asile (France), du 17 décembre 2009, T. (641626/09000446), et du 21 décembre 2009, K. (644277/09003107). Voir, s’agissant de l’octroi du statut de réfugié, arrêts du Conseil du contentieux des étrangers (Belgique), du 9 janvier 2014, X, X et X/I (no 116 642), et du 26 août 2021, X/V (no 259 620), et arrêts de l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber) [tribunal supérieur (chambre de l’immigration et de l’asile), Royaume-Uni], EH (blood feuds) Albania CG [2012] UKUT 00348 (IAC), du 16 octobre 2012 (notamment points 6 et 7), et Mohammed [N], du 25 septembre 2020 (PA/04415/2019).
7 Voir, respectivement, arrêts du 7 novembre 2013, X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720) ; du 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2024:47), et du 11 juin 2024, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Femmes s’identifiant à la valeur de l’égalité entre les sexes) (C‑646/21, EU:C:2024:487).
8 En effet, si, en droit de l’Union, deux conditions d’identification doivent être nécessairement remplies, en revanche, une seule de ces conditions suffit en application des principes directeurs sur la protection internationale no 2 : « L’appartenance à un certain groupe social » dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de [Genève] et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés, du 8 juillet 2008 (points 11 à 13). S’agissant de la doctrine, voir Goodwin-Gill, G. S., et McAdam, J., The Refugee in International Law, 3e éd., Oxford University Press, Oxford, 2007, p. 73 ; Hathaway, J. C., et Foster, M., « Membership of a Particular Social Group : Discussion Paper no 4 Advanced Refugee Law Workshop International Association of Refugee Law Judges Auckland, New Zealand, October 2002 », International Journal of Refugee Law, vol. 15, no 3, Oxford University Press, Oxford, 2003, p. 477 à 491 ; Aleinikoff, T. A., « Protected characteristics and social perceptions : an analysis of the meaning of “membership of a particular social group” », Refugee Protection in International Law : UNHCR’s Global Consultations on International Protection, Cambridge University Press, Cambridge, 2003, p. 263 à 311, et Parish, T. D., « Membership in a Particular Social Group under the Refugee Act of 1980 : Social Identity and the Legal Concept of the Refugee », Columbia Law Review, no 4, Columbia Law Review Association, New York, 1992, p. 923 à 953.
9 Cette position est partagée par l’AUEA dans son Guide sur l’appartenance à un certain groupe social, mars 2020, p. 13, ainsi que par le HCR dans sa position relative à l’appartenance d’un individu à une famille ou à un clan impliqué dans une vendetta, point 18.
10 Voir, par analogie, arrêt du 11 juin 2024, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Femmes s’identifiant à la valeur de l’égalité entre les sexes) (C‑646/21, EU:C:2024:487, point 43 et jurisprudence citée).
11 La version en langue allemande est rédigée comme suit : « die Gruppe in dem betreffenden Land eine deutlich abgegrenzte Identität hat, da sie von der sie umgebenden Gesellschaft als andersartig betrachtet wird » (italique ajouté par mes soins).
12 Voir, à cet égard, AUEA, Guide sur l’appartenance à un certain groupe social, mars 2020, en particulier partie intitulée « Analyse juridique », titre C, relatif à l’« [i]dentité propre », p. 14.
13 Voir arrêt du 11 juin 2024, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Femmes s’identifiant à la valeur de l’égalité entre les sexes) (C‑646/21, EU:C:2024:487, point 50 et jurisprudence citée).
14 Voir Bonnet, C., « Les trois étapes de la perception », Le cerveau et la pensée : le nouvel âge des sciences cognitives, Éditions Sciences Humaines, Auxerre, 2014, p. 213 à 221.
15 Voir Girandola, F., Demarque, C., et Lo Monaco, G., « La perception sociale : formation d’impression, stéréotypes, préjugés et discrimination », Psychologie sociale, Armand Colin, Paris, 2019, p. 198 à 219.
16 Le terme de « différence » n’est pas employé dans la version en langue allemande de l’article 10, paragraphe 1, sous d), premier alinéa, second tiret, de la directive 2011/95, dans laquelle il est indiqué que le groupe est considéré par la société environnante comme n’étant pas du même genre/pas de la même nature (« von der sie umgebenden Gesellschaft als andersartig betrachtet wird »), ce qui revient à une différence.
17 Voir dictionnaire Le Robert.
18 Selon le dictionnaire Trésor de la langue française, le terme « autre » « [p]ermet de distinguer, de différencier, par rapport à une première partie donnée ou connue [...] servant de point de référence, une ou plusieurs personnes, un ou plusieurs éléments à l’intérieur d’une seconde partie ».
19 Il convient de préciser que la persécution pourra également, selon les cas, être appréhendée sous l’angle d’un autre motif de persécutions visé à l’article 10 de la directive 2011/95, tel que la religion ou les opinions politiques.
20 Voir arrêt du 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2024:47, point 55).
21 Voir arrêt du 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2024:47, point 56).
22 Voir arrêt du 11 juin 2024, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Femmes s’identifiant à la valeur de l’égalité entre les sexes) (C‑646/21, EU:C:2024:487, point 49 et jurisprudence citée).
23 C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720.
24 Voir arrêt du 7 novembre 2013, X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, point 48).
25 Goodwin-Gill, G. S., et McAdam, J., op. cit., p. 85.
26 Je pense, par exemple, aux femmes et aux jeunes filles qui sont soumises à des mutilations génitales féminines, qui sont des pratiques très répandues dans certains pays ou certaines régions.
27 Pour une illustration d’une appréciation au cas par cas devant la Cour européenne des droits de l’homme, voir décision d’irrecevabilité du 20 septembre 2007, Elezaj c. Suède (CE:ECHR:2007:0920DEC001765405), concernant la légalité de l’expulsion par les autorités suédoises de ressortissants albanais impliqués dans une vendetta familiale dont l’origine remontait aux années 1950.
28 Voir Rouland, N., Aux confins du droit : anthropologie juridique de la modernité, Éditions Odile Jacob, Paris, 1991, en particulier partie intitulée « Le corset du droit de la vengeance », p. 84 et suiv.
29 Voir, notamment, Acheson, B., The Pashtun Tribes in Afghanistan, Pen and Sword Books, Barnsley, 2023, et AUEA, Rapport d’information sur les pays d’origine : Afghanistan – Individus ciblés par les normes sociétales et juridiques, décembre 2017, point 7 « Vendettas et meurtres commis par vengeance ».
30 Voir, par exemple, AUEA, Country of Origin Information Report : Albania – Country focus, novembre 2016, point 5.3.3 ; Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), Rapport de mission en République d’Albanie du 3 au 13 juillet 2013, 2014, point 1, et Gjeloshaj Hysaj, K., « La “reprise du sang” chez les Albanais : comment sortir du Moyen-Âge ? », Confluences Méditerranée, vol. 3, no°62, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 87 à 94.
31 AUEA, Country guidance : Afghanistan, op. cit., en particulier, point 3.18.1, intitulé « Vendettas » : « Par exemple, les membres d’une famille impliquée dans une vendetta peuvent avoir une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à un certain groupe social, fondée sur leurs caractéristiques innées (c’est-à-dire être un membre de leur famille) et du fait que les familles sont connues et peuvent avoir une identité propre dans la société environnante » (traduction libre) (p. 90), et point 3.18.2, intitulé « Litiges fonciers » : « Les informations disponibles indiquent que, dans le cas de violence engendrée dans le cadre de litiges fonciers, il n’existe, en général, aucun lien avec un motif de persécution au sens de la convention [de Genève]. Cela est sans préjudice des cas individuels dans lesquels un lien pourrait être établi sur la base d’autres circonstances (par exemple, l’ethnicité eu égard au fait que les Talibans prennent parti sur la base de l’origine ethnique de la personne, le litige foncier impliquant une vendetta, etc.) » (traduction libre) (p. 92).
32 Voir Ellenberger, H. F., « La vendetta », Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique, vol. XXXIV, no 2, Polymedia, Morges, 1981, p. 125 à 142, en particulier p. 125.
33 Voir Acheson B., op. cit., p. 88 à 93.
34 Voir Bardhoshi, N., « De l’anthropologie de la vendetta en temps de “crise totale” », Ethnologie française, vol. 47, no 2, Presses universitaires de France, Paris, 2017, p. 331 à 340. Dans sa position relative à l’appartenance d’un individu à une famille ou à un clan impliqué dans une vendetta, le HCR souligne, néanmoins, que, plus récemment, « il a été signalé que des femmes et des enfants ont également été pris pour cibles dans le cadre de vendettas. Ils peuvent également être tués ou blessés en cas d’attaque contre des membres masculins de la famille » (point 3).
35 Voir AUEA, Country of Origin Information Report : Albania – Country focus, novembre 2016, point 5.3.3, intitulé « Victims of blood feuds » : « Un effet secondaire des vendettas est le sort des familles menacées qui restent isolées pendant une période de temps assez longue pour éviter les violences. Cela affecte également les enfants, qui ne peuvent pas aller à l’école. En 2013, on aurait dénombré 67 familles isolées en raison de vendettas et 33 enfants, la plupart dans les régions du Nord, qui ne pouvaient pas aller à l’école pour cette raison » (traduction libre).
36 Dans sa position relative à l’appartenance d’un individu à une famille ou à un clan impliqué dans une vendetta, le HCR souligne que « les enfants peuvent être retenus chez eux et privés d’école pendant des durées prolongées, leurs familles craignant qu’ils ne soient tués, attaqués ou enlevés. Ainsi, même si les hommes d’âge adulte sont la principale cible d’une vendetta, d’autres membres de la famille peuvent également être en danger de mort ou subir des violations des droits de l’homme » (point 3). Voir, dans le même sens, COI Focus – Albania, Blood Feuds in contemporary Albania : Characterisation, Prevalence and Response by the State, du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (Belgique), du 29 juin 2017.
37 Voir, par exemple, Third periodic report submitted by Albania under article 19 of the [UN Convention against torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment (convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984, Recueil des traités des Nations unies, vol. 1465, no 24841, 1987, p. 85], 19 juillet 2021, du Comité contre la torture des Nations unies, dans lequel le gouvernement albanais a signalé que 75 familles étaient impliquées dans une vendetta, aboutissant au confinement de 159 personnes, dont 25 enfants (point 194).
38 Je rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, l’appartenance à un certain groupe social doit être constatée indépendamment des actes de persécution, au sens de l’article 9 de la directive 2011/95, dont les membres de ce groupe peuvent être victimes dans le pays d’origine [voir arrêt du 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2024:47, point 55)].
39 Ainsi, dans sa position relative à l’appartenance d’un individu à une famille ou à un clan impliqué dans une vendetta, le HCR souligne que, « [d]ans les cas de vendetta, un individu n’est pas agressé de façon aléatoire ; au contraire, il ou elle est ciblé(e) car il ou elle appartient à une famille particulière et sur la base d’un code établi de longue date. Comparativement à d’autres situations où une personne craint d’être agressée ou même tuée, par exemple, si elle doit de l’argent ou est poursuivie par la Mafia, les personnes craignant de subir des persécutions dans le cadre de vendettas ne sont pas visées en raison de leurs propres actions, mais en raison des responsabilités considérées comme engagées par d’autres membres de la famille (vivants ou morts). Par conséquent, elles ne sont pas simplement des victimes d’une vendetta isolée, mais du code qui régit cette tradition de vendetta » (point 14).
40 Voir arrêt du 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2024:47, points 64 et 65).
41 Voir arrêt du 16 janvier 2024, Intervyuirasht organ na DAB pri MS (Femmes victimes de violences domestiques) (C‑621/21, EU:C:2024:47, points 66 à 69).