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Document 62022CC0119

Conclusions de l'avocat général M. N. Emiliou, présentées le 6 juin 2024.


ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:472

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 6 juin 2024 (1)

Affaires jointes C119/22 et C149/22

Teva BV,

Teva Finland Oy

contre

Merck Sharp & Dohme Corp.

[demande de décision préjudicielle formée par le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande)]

et

Merck Sharp & Dohme Corp

contre

Clonmel Healthcare Limited

[demande de décision préjudicielle formée par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Certificat complémentaire de protection (CCP) – Règlement CCP– Produits consistant en une composition de principes actifs – Conditions de délivrance – Article 3 – sous a) – le produit est “ protégé ” par un brevet de base – sous c) – le produit “ n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat ” – Justes critères pour apprécier ces conditions »






I.      Introduction

1.        Les présentes demandes de décision préjudicielle, introduites respectivement par le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande) et par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), portent sur les conditions de délivrance d’un certificat complémentaire de protection (ci-après « CCP ») pour les médicaments, énoncées à l’article 3 du règlement (CE) n° 469/2009 (2) (ci-après le « règlement CCP »). En substance, ces juridictions se demandent si, et dans quelle mesure, un CCP peut être délivré pour une composition de principes actifs utilisée dans un tel produit, alors qu’un précédent CCP a déjà été délivré pour l’un de ces principes. Dans ce contexte, elles sollicitent des orientations sur l’interprétation de deux de ces conditions imposant respectivement qu’une telle composition soit « protégée par un brevet de base en vigueur » [article 3, sous a)] et qu’elle « n’a[it] pas déjà fait l’objet d’un [CCP] » [article 3, sous c)].

2.        Comme il sera expliqué dans les présentes conclusions, ces questions peuvent difficilement être considérées comme nouvelles. En effet, elles ont déjà fait l’objet de plusieurs décisions de la Cour, dont les arrêts Actavis I (3), Actavis II (4) et Teva I (5). En dépit (ou, comme certains commentateurs peu charitables diraient, en raison) de ces décisions, les autorités nationales chargées de la délivrance des CCP et les juridictions appelées à en contrôler la validité ont toujours du mal à établir, avec certitude, les critères régissant les conditions en cause. Cette incertitude entraîne des difficultés et des divergences d’appréciation quant à la possibilité pour certains produits de bénéficier d’un CCP (les compositions de principes actifs étant l’un d’entre eux).

3.        Dans ce contexte, les juridictions de renvoi cherchent à savoir quel devrait être le juste critère aux fins de l’appréciation de chaque condition. Elles s’interrogent, à cet égard, sur certains passages ambigus des arrêts Actavis I, Actavis II et Teva I, et sur la manière dont les deux premiers arrêts interagissent avec le troisième. Leurs interrogations offrent à la Cour une nouvelle occasion d’apporter une réponse claire – une fois pour toutes, espérons-le.

II.    Le cadre juridique

4.        L’article 3 du règlement CCP, intitulé « Conditions d’obtention du [CCP] », dispose :

« Le [CCP] est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande :

a)      le produit est protégé par un brevet de base en vigueur ;

b)      le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité […] ;

c)      le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un [CCP] ;

d)      l’autorisation mentionnée au point b) est la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament. »

III. Les faits, les procédures nationales et les questions préjudicielles

A.      L’affaire C119/22

5.        Merck Sharp & Dohme Corp. (ci-après « Merck ») est une entreprise pharmaceutique. Elle est titulaire du brevet européen EP 1 412 357, délivré par l’Office européen des brevets (ci-après l’« OEB »), le 22 mars 2006, notamment pour la Finlande, avec une date de priorité au 5 juillet 2002 (ci-après le « brevet de base dans l’affaire C‑119/22 »). Ce brevet était valable jusqu’au 5 juillet 2022.

6.        Le brevet en cause a pour titre « Beta-amino-tétrahydroimidazo (1,2-a) pyrazines et Beta-amino-tétrahydrotrioazolo (4,3-a) pyrazines utilisées en tant qu’inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase dans le traitement ou la prévention du diabète ». La section « Résumé de l’invention » de la description du brevet en cause indique que, selon le brevet de base, l’invention visée par le brevet couvre des substances inhibitrices de l’enzyme dipeptidyl peptidase-IV (ci-après les « inhibiteurs de DP-IV ») et qui, en tant que tels, sont utiles pour le traitement ou la prévention des maladies dans lesquelles l’enzyme de dipeptidyl peptidase-IV est impliquée, telles que le diabète et en particulier le diabète de type 2. En outre, cette section précise que l’invention porte également sur les compositions pharmaceutiques contenant ces substances et sur l’utilisation desdites substances et compositions dans le traitement ou la prévention de maladies impliquant l’enzyme dipeptidyl peptidase-IV.

7.        Ce brevet contient au total 30 revendications. La revendication 1 est une revendication de produit pour une substance, qui est rédigée sous la forme de la formule dite de Markush. Les revendications 15, 26 et 28 se réfèrent plus particulièrement à certaines substances relevant de cette formule, représentées sous la forme de formules chimiques structurelles, dont une substance qui est devenue par la suite connue sous le nom de « sitagliptine ». En outre, les revendications 20, 25 et 30 concernent (a) des combinaisons constituées (i) d’une des substances revendiquées et (ii) d’une ou plusieurs autres substances, choisies dans un groupe énuméré dans ces revendications, qui sont également utilisées pour le traitement du diabète, ainsi que (b) des compositions pharmaceutiques comprenant une telle combinaison. En particulier, la revendication 30 concerne une composition pharmaceutique constituée d’une combinaison (i) d’une des substances revendiquées dans le brevet et (ii) d’une substance connue sous le nom de « metformine » (qui est un médicament relevant du domaine public, également utilisé pour le traitement du diabète) (6).

8.        Le 21 mars 2007, Merck a obtenu une autorisation de mise sur le marché pour le médicament « Januvia », un médicament qui est utilisé pour traiter le diabète de type 2 et qui contient de la sitagliptine comme seul principe actif.

9.        Le 31 août 2008, Merck a obtenu une autre autorisation de mise sur le marché pour le médicament « Janumet », un autre médicament qui est utilisé pour traiter le diabète de type 2, mais qui contient de la sitagliptine et du chlorhydrate de metformine (qui est un sel acceptable sur le plan pharmaceutique de la metformine) en tant que composition de principes actifs.

10.      Le 13 mars 2012, Merck a obtenu un CCP en Finlande (à savoir, le CCP no 343) pour la sitagliptine sur la base (i) du brevet de base en cause dans l’affaire C‑119/22, et (ii) de l’autorisation de mise sur le marché du « Januvia ». Ce CCP a expiré le 23 septembre 2022.

11.      Le 20 mars 2012, un autre CCP a été délivré à Merck en Finlande (à savoir le CCP no 342) pour la combinaison de sitagliptine et de metformine sur le fondement (i) du même brevet et (ii) de l’autorisation de mise sur le marché du « Janumet ». Ce CCP était valable jusqu’au 8 avril 2023.

12.      Par la suite, Teva B.V. et Teva Finland Oy (ci-après dénommées collectivement « Teva »), société pharmaceutique productrice de médicaments génériques, a introduit devant le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) un recours dirigé contre Merck tendant à l’annulation du second CCP (le CCP no 342). Teva soutient que ce certificat a été délivré en violation des conditions prévues à l’article 3 du règlement CCP.

13.      Plus précisément, Teva affirme, entre autres, que le CCP attaqué a été délivré en violation de l’article 3, sous a), du règlement CCP, car le « produit » pour lequel il a été délivré, à savoir la combinaison de sitagliptine et de metformine, n’était pas « protégé » (au sens de cette disposition) par le brevet de base dans l’affaire C‑119/22.

14.      Teva soutient également que le CCP no 342 a été délivré en violation de l’article 3, sous c), du règlement CCP. Un premier CCP (dans ce cas, le CCP no 343) ayant déjà été délivré en Finlande pour la sitagliptine, cette disposition s’opposait à la délivrance d’un autre CCP pour ce principe actif en combinaison avec la metformine.

15.      Merck s’est opposée aux conclusions de Teva et a conclu au rejet du recours. Concernant l’article 3, sous c), du règlement CCP, Merck a fait valoir que l’argument de Teva était fondé sur un critère erroné pour l’appréciation de cette condition. Conformément au juste critère, la combinaison de sitagliptine et de metformine était bien « protégée » (au sens de cette disposition) par le brevet de base dans l’affaire C‑119/22. En ce qui concerne l’article 3, sous c), de ce règlement, Merck a fait valoir que la délivrance antérieure d’un CCP pour la sitagliptine (le CCP no 343) ne s’opposait pas à la délivrance d’un autre CCP pour une composition de sitagliptine et de metformine (le CCP no 342), cette composition étant, au sens de cette disposition, un « produit » différent et distinct de la seule sitagliptine.

16.      C’est dans ces conditions que le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1.      Quels sont les critères à appliquer afin de décider quand un produit n’a pas déjà fait l’objet d’[un CCP] au sens de l’article 3, sous c), du [règlement CCP] ?

2.      Doit-il être considéré que la condition prévue à l’article 3, sous c), du [règlement CCP] s’apprécie différemment de celle prévue à l’article 3, sous a), de ce règlement et, si tel est le cas, dans quelle mesure ?

3.      Ce qui a été énoncé dans les arrêts [Teva I] et [Royalty Pharma (7)] s’agissant de l’interprétation de l’article 3, sous a), du [règlement CCP] doit-il être considéré comme étant pertinent aux fins de l’appréciation de la condition prévue à l’article 3, sous c), de ce règlement et, si tel est le cas, dans quelle mesure ? À cet égard, une attention particulière est attirée sur ce qui a été jugé dans ces arrêts s’agissant de l’article 3, sous a), dudit règlement, en ce qui concerne :

–        l’importance essentielle des revendications et

–        l’appréciation de l’affaire du point de vue de l’homme du métier et sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet de base.

4.      Les notions d’« activité inventive centrale », de « cœur de l’activité inventive » et/ou d’« objet de l’invention » du brevet de base sont-elles pertinentes aux fins de l’interprétation de l’article 3, sous c), du [règlement CCP] et, si tel est le cas pour l’une ou plusieurs d’entre elles, comment doivent-elles être comprises dans le contexte de l’interprétation de cette disposition ? Existe-t-il une quelconque différence pour l’application de ces notions entre l’hypothèse d’un produit constitué d’un seul principe actif (« mono-produit ») et celle d’un produit constitué d’une composition de principes actifs (« produit composé ») et, si tel est le cas, dans quelle mesure ? Comment cette question doit-elle être appréciée dans un cas de figure où le brevet de base contient, d’une part, une revendication pour un mono-produit et, d’autre part, une revendication pour un produit composé et où cette dernière revendication porte sur une composition de principes actifs constituée du principe actif relatif au mono-produit et, en outre, d’un ou plusieurs principes actifs relevant du niveau d’une technique connue ? »

B.      L’affaire C149/22

17.      Merck est également titulaire du brevet européen EP 0 720 599, délivré par l’OEB le 19 mai 1999 pour, notamment, l’Irlande, avec une date de priorité au 21 septembre 1993 (ci-après le « brevet de base dans l’affaire C‑149/22 »). Ce brevet a expiré en septembre 2014.

18.      Le brevet en cause a pour titre « Composés d’azétidinone hydroxy-substitués efficaces en tant qu’agents hypocholestérolémiques ». La description du brevet indique que certaines substances appelées « azétidinones » ont pour effet d’inhiber l’absorption du cholestérol dans la circulation sanguine au niveau de la bordure en brosse de l’intestin grêle. À ce titre, ces substances sont utiles pour le traitement et la prévention de l’athérosclérose (8).

19.      Les revendications 1 à 8 de ce brevet portent sur des molécules uniques, y compris une substance connue sous le nom d’« ézétimibe ». En revanche, les revendications 9, 12, 15 et 16 couvrent des utilisations de l’ézétimibe en combinaison avec d’autres molécules, y compris des statines (qui sont également des substances utilisées pour le traitement de l’hypercholestérolémie) (9). Par ailleurs, la revendication 17 fait référence à une combinaison d’ézétimibe et de l’une des statines énumérées dans cette revendication, notamment la simvastatine (qui est une substance relevant du domaine public).

20.      En 2003, Merck a obtenu une autorisation de mise sur le marché pour un médicament dénommé « Ezetrol », un médicament diminuant l’absorption du cholestérol qui contient l’ézétimibe comme seul principe actif.

21.       La même année, Merck s’est vu délivrer un CCP en Irlande (le CCP n° 2003/014) pour l’ézétimibe, sur la base (i) du brevet de base en cause dans l’affaire C‑149/22 et (ii) de l’autorisation de mise sur le marché de l’« Ezetrol ». Ce CCP a expiré en avril 2018.

22.      En 2004, Merck a obtenu une autorisation de mise sur le marché pour un autre médicament dénommé « Inegy », un médicament qui est également un hypocholestérolémiant, mais qui contient de l’ézétimibe et de la simvastatine en tant que composition de principes actifs.

23.      En 2005, Merck s’est vu délivrer un autre CCP en Irlande (le CCP n° 2005/01) pour la combinaison d’ézétimibe et de simvastatine, sur la base (i) du brevet de base en cause dans l’affaire C‑149/22 et (ii) de l’autorisation de mise sur le marché de l’« Inegy ». Ce CCP a expiré en avril 2019.

24.      Après l’expiration du CCP pour l’ézétimibe, mais alors que le CCP pour l’ézétimibe et la simvastatine était toujours valable, Clonmel Healthcare Limited (ci-après « Clonmel »), une entreprise pharmaceutique produisant des médicaments génériques, a lancé une version générique de l’« Inegy ».

25.      Estimant que la production et la commercialisation de ce médicament générique violaient le second CCP, Merck a engagé une action en contrefaçon contre Clonmel devant la High Court (Haute Cour, Irlande), en vue d’obtenir une injonction de cessation et des dommages et intérêts.

26.      Dans le cadre de sa défense dans cette procédure, Clonmel a fait valoir que le CCP pour l’ézétimibe et la simvastatine était nul, au motif qu’il avait été délivré en violation des conditions prévues à l’article 3 du règlement CCP. En substance, Clonmel a fait valoir, premièrement, que la composition de principes actifs en question n’était pas « protégée » [au sens de l’article 3, sous a), de ce règlement] par le brevet de base dans l’affaire C‑149/22 et, deuxièmement, que la délivrance d’un premier CCP pour l’ézétimibe s’opposait, en vertu de l’article 3, sous c), dudit règlement, à la délivrance d’un second CCP pour ce principe actif en combinaison avec la simvastatine.

27.      Le 29 novembre 2019, la High Court (Haute Cour) a conclu que le CCP pour l’ézétimibe et la simvastatine était nul en vertu de l’article 3, sous a) et c), du règlement CCP et a donc rendu une ordonnance annulant ce CCP. Le 24 février 2021, la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande) a confirmé cette décision.

28.      Le 24 mai 2021, Merck a demandé l’autorisation de former un pourvoi contre l’arrêt de la Court of Appeal (Cour d’appel), qui a été accordée par la Supreme Court (Cour suprême) le 4 août 2021.

29.      Constatant que la question centrale dans l’affaire au principal concerne la validité du CCP délivré pour la combinaison d’ézétimibe et de simvastatine qui, à son tour, dépend de l’interprétation correcte de l’article 3, sous a) et c), du règlement CCP, et que cette question n’a pas (encore) été clarifiée dans la jurisprudence de la Cour, la Supreme Court (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1.       a) Aux fins de la délivrance d’[un CCP], et de la validité juridique de ce CCP, conformément à l’article 3, sous a), du [règlement CCP], suffit-il que le produit pour lequel le CCP est délivré soit expressément identifié dans les revendications du brevet et couvert par ce dernier ; ou est-il nécessaire, aux fins de la délivrance d’un CCP, que le titulaire du brevet, qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché, démontre également la nouveauté ou l’inventivité ou le fait que le produit relève d’une notion plus étroite décrite comme étant l’invention couverte par le brevet ?

b) S’il s’agit du dernier cas, à savoir l’invention couverte par le brevet, que doivent établir le titulaire du brevet et le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché pour obtenir un CCP valide ?

2.       Lorsque, comme dans le cas d’espèce, le brevet porte sur un médicament particulier, l’ézétimibe, et que les revendications du brevet enseignent que son application en médecine humaine peut consister en l’utilisation de ce médicament seul ou en combinaison avec un autre médicament, en l’occurrence la simvastatine, qui relève du domaine public, un CCP peut-il être délivré en vertu de l’article 3, sous a), du [règlement CCP] uniquement pour un produit comprenant l’ézétimibe, une monothérapie, ou un CCP peut-il également être accordé pour l’un ou l’ensemble des produits composés identifiés dans les revendications du brevet ?

3.       Lorsqu’une monothérapie, le médicament A, en l’espèce l’ézétimibe, se voit accorder un CCP, ou lorsque toute thérapie combinée se voit d’abord accorder un CCP pour les médicaments A et B en tant que thérapie combinée, qui font partie des revendications du brevet, bien que seul le médicament A soit lui‑même nouveau et donc breveté, les autres médicaments étant déjà connus ou dans le domaine public, l’octroi d’un CCP est‑il limité à la première mise sur le marché de cette monothérapie du médicament A ou de cette première thérapie combinée bénéficiant d’un CCP, A+B, de sorte que, après la délivrance de ce premier CCP, il ne saurait y avoir une deuxième ou une troisième délivrance d’un CCP pour la monothérapie ou toute thérapie combinée autre que cette première combinaison bénéficiant d’un CCP ?

4.       Si les revendications d’un brevet couvrent à la fois une nouvelle molécule unique et une combinaison de cette molécule avec un médicament existant et connu, se trouvant peut-être dans le domaine public, ou s’il existe plusieurs revendications de ce type pour une combinaison, l’article 3, sous c), du [règlement CCP] limite-t-il l’octroi d’un CCP :

      a) uniquement à la molécule unique si elle est commercialisée en tant que produit ;

      b) à la première commercialisation d’un produit couvert par le brevet, qu’il s’agisse de la monothérapie du médicament couvert par le brevet de base en vigueur ou de la première thérapie combinée, ou

      c) soit a) soit b) au choix du titulaire du brevet, indépendamment de la date de l’autorisation de mise sur le marché ?

Si la réponse à l’une des propositions précitées est affirmative, pour quelle raison ? »

IV.    La procédure devant la Cour

30.      Teva, Merck, l’Irlande, les gouvernements français, letton, hongrois et néerlandais ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites dans l’affaire C‑119/22. Merck, Clonmel, l’Irlande, les gouvernements français, hongrois, néerlandais et polonais ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites dans l’affaire C‑149/22.

31.      Par décision du président de la Cour du 17 janvier 2023, les affaires C‑119/22 et C‑149/22 ont été jointes aux fins de l’audience et de l’arrêt.

32.      Teva, Clonmel, Merck, l’Irlande, les gouvernements français, letton, hongrois et néerlandais ainsi que la Commission ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 8 mars 2023.

V.      Analyse

33.      Comme cela a été indiqué dans l’introduction, les présentes affaires portent sur les conditions dans lesquelles des CCP peuvent être délivrés dans l’Union pour les compositions de substances actives utilisées dans les médicaments. Avant d’analyser les questions posées à la Cour, je considère qu’il convient de fournir au lecteur, qui peut ne pas être au fait des subtilités de ce domaine complexe du droit, un aperçu du contexte et des règles pertinentes.

34.      Lorsque l’on découvre (généralement, une entreprise pharmaceutique), par la recherche, qu’une substance donnée (ou une famille de substances, combinaison de substances, etc.) a un certain effet sur le corps humain, ce qui la rend utile pour traiter, prévenir ou gérer une maladie ou une affection déterminée (ou plusieurs maladies ou affections, etc.), on peut, dans certaines circonstances, protéger le fruit de cette recherche contre la concurrence par le truchement du système du brevet. En Europe, on peut, en particulier (10), demander un « brevet européen » à l’OEB à Munich (Allemagne), conformément à la procédure centralisée établie par la CBE (11). Pour qu’un tel brevet puisse être délivré, certaines conditions doivent être remplies (« conditions de brevetabilité ») : l’idée d’utiliser la substance en question comme un médicament doit constituer une « invention » qui, notamment, est « nouvelle » et implique une « activité inventive » (12). Aux fins de la présente analyse, il suffit de relever que, à supposer que ces conditions soient remplies, un tel brevet est délivré (en général, pour une période de vingt ans) (13) et confère à son titulaire certains droits exclusifs (essentiellement un monopole commercial) sur l’« invention » brevetée dans plusieurs ou tous les pays européens parties à la CBE (14). Ainsi, le titulaire du brevet peut empêcher des tiers de fabriquer et de proposer à la vente un médicament utilisant l’« invention » en cause sur le territoire de ces États. En échange de cette protection de vingt ans contre la concurrence, le titulaire du brevet doit « divulguer » son invention dans le brevet (15), c’est-à-dire la dévoiler au public afin que chacun soit libre de l’utiliser (y compris en préparant une copie ou une version générique (16) d’un tel médicament) après l’expiration du brevet (17).

35.      Néanmoins, pour que le titulaire du brevet puisse mettre sur le marché une telle invention pharmaceutique brevetée en tant que médicament à l’intérieur de l’Union, il doit obtenir une autorisation de mise sur le marché pour ce médicament auprès des autorités compétentes (18). Dans ce contexte, des essais précliniques et cliniques approfondis doivent être réalisés pour démontrer la sécurité et l’efficacité du médicament. Dès lors, la procédure pour l’octroi d’une telle autorisation prend généralement des années. De fait, la période pendant laquelle le titulaire du brevet est en mesure de commercialiser son invention sous la protection du brevet et de tirer profit de son monopole est réduite en conséquence.

36.      Dans ce contexte, le législateur de l’Union a jugé opportun d’indemniser les entreprises pharmaceutiques pour ces retards réglementaires en leur accordant, dans certaines circonstances, une période supplémentaire d’exclusivité commerciale. À cet effet, il a créé le système du CCP.

37.      Ce système n’est pas un mécanisme simple de prorogation du brevet, tel que ceux qui existent dans d’autres États, permettant de prolonger directement la validité d’un brevet pour un certain nombre d’années. En effet, si le CCP a été conçu pour servir d’extension aux droits de brevet (car, comme son nom l’indique, il fournit une protection qui est « complémentaire » à ce dernier), la réalité juridique est malheureusement plus complexe que cela. En fait, un CCP est un droit de propriété intellectuelle sui generis, ayant un objet et un mode de fonctionnement assez sophistiqués.

38.      En substance, un CCP peut être délivré pour un « produit » qui est « protégé » par un brevet donné (appelé, dans ce contexte, « brevet de base ») (19), et pour lequel une autorisation de mise sur le marché a été délivrée pour la première fois (20). Conformément à la définition énoncée à l’article 1er, sous b), du règlement CCP, un tel « produit » peut être « le principe actif » (21), ou la « composition de principes actifs », en tant que telle, d’un médicament. Le titulaire d’un brevet européen qui « protège » un tel « produit » peut déposer, pour ce dernier, une demande de CCP dans un délai de six mois à compter de la date de délivrance de l’autorisation de mise sur le marché (22). Le CCP étant un titre national, le titulaire du brevet doit le faire, individuellement, devant les ONB de tous les États membres pour lesquels ce brevet européen a été délivré et cette autorisation a été obtenue. Une fois délivré, un CCP produit effet au terme de la durée de vingt ans du « brevet de base », pour une durée égale à la période nécessaire à l’obtention de cette autorisation de mise sur le marché, et qui ne peut, en tout état de cause, être supérieure à cinq ans (23). Pendant sa durée de vie, le CCP confère les mêmes droits exclusifs que le brevet de base (tels que définis par le droit applicable à ce brevet), mais uniquement à l’égard du « produit » spécifique pour lequel ce certificat a été délivré (24). De fait, le CCP garantit au titulaire du brevet jusqu’à cinq années supplémentaires de monopole commercial sur le « produit » en question.

39.      Le système de CCP, et la (forme de) prorogation de brevet qu’il permet, bien que limité à première vue dans ses effets, revêt, en réalité, une importance singulière dans la pratique. En effet, ce système doit être considéré à la lumière des intérêts économiques importants (et divergents) des acteurs du secteur pharmaceutique. D’une part, le modèle commercial des entreprises pharmaceutiques qui développent de nouveaux médicaments (ci‑après l’« industrie du princeps ») dépend fortement des monopoles conférés par les brevets sur leurs médicaments (et des revenus élevés qu’ils en tirent). Logiquement, ces sociétés cherchent à étendre ces monopoles autant que possible. D’autre part, le modèle commercial des fabricants de médicaments génériques consiste à mettre sur le marché les équivalents génériques de médicaments princeps à succès, dont ils peuvent également tirer des revenus considérables. Toutefois, ces sociétés ne peuvent légalement le faire tant qu’un tel monopole existe. Ces intérêts économiques divergents expliquent pourquoi la période entourant l’expiration des brevets qui protègent les médicaments princeps est souvent conflictuelle et pourquoi, en particulier, l’octroi de CCP génère souvent des contentieux.

40.      Les affaires au principal illustrent les considérations qui précèdent. Aux fins de mon analyse, les caractéristiques pertinentes de ces affaires sont essentiellement les mêmes et peuvent être résumées comme suit.

41.      Dans chaque affaire, Merck a découvert, à un moment donné, qu’une famille de substances déterminée (les pyrazines dans l’affaire C‑119/22 et les azétidinones dans l’affaire C‑149/22) avait un certain effet sur le corps humain (les pyrazines inhibent l’enzyme dipeptidyl peptidase-IV et les azétidinones inhibent l’absorption du cholestérol dans la circulation sanguine). Par la suite, dans les années 1990, Merck a obtenu un brevet européen (couvrant différents États membres) pour une invention consistant dans l’idée innovante d’utiliser des substances appartenant à cette famille, compte tenu de leur effet sur le corps humain, comme médicament pour le traitement de certaines maladies ou affections (les pyrazines en lien, notamment, avec le diabète, et les azétidinones en lien avec l’hypercholestérolémie et l’athérosclérose). Le brevet en question faisait également référence à l’idée d’utiliser ces substances en combinaison avec d’autres substances, qui étaient déjà utilisées pour le traitement de ces maladies ou affections au moment du dépôt de la demande de brevet (la metformine en lien avec le diabète, et les statines en lien avec l’hypercholestérolémie et l’athérosclérose).

42.      Merck a demandé et obtenu une autorisation de mise sur le marché pour un premier médicament pour le traitement des maladies ou affections concernées, contenant une substance appartenant à la famille brevetée en question en tant que seul principe actif (la sitagliptine dans l’affaire C‑119/22 et l’ézétimibe dans l’affaire C‑149/22). Par souci de simplicité, dans la suite des présentes conclusions, je désignerai généralement cette substance sous l’appellation de « A ». Par la suite, pour compenser le temps nécessaire à l’obtention de cette autorisation, Merck s’est vu délivrer un premier CCP pour A (dans différents États membres).

43.      Plus tard, Merck a développé et obtenu une autorisation de mise sur le marché pour un autre médicament pour le traitement des mêmes maladies ou affections, qui avait, comme principes actifs, A en combinaison avec l’une des autres substances déjà utilisées à cet effet, comme cela était envisagé dans le brevet de Merck (la metformine dans l’affaire C‑119/22 et les statines dans l’affaire C‑149/22). Par souci de simplicité, dans la suite des présentes conclusions, je désignerai généralement cette autre substance connue sous l’appellation de « B » et, partant, cette composition de principes actifs sous l’appellation de « A+B ». Merck a, par la suite, demandé, et obtenu (de nouveau, dans différents États membres), un second  CCP pour A+B.

44.      Ce second  CCP (dans sa version nationale délivrée respectivement en Finlande et en Irlande) est au cœur des affaires au principal. Pour l’essentiel, les fabricants de médicaments génériques (Teva dans l’affaire C‑119/22 et Clonmel dans l’affaire C‑149/22), qui étaient empêchés de produire et de commercialiser des versions génériques des médicaments de Merck par cette nouvelle extension de son monopole, contestent la validité de ce CCP devant les juridictions de renvoi.

45.      Ces fabricants soutiennent, dans chaque affaire, que le second CCP était nul au motif qu’il avait été délivré en méconnaissance des conditions cumulatives (25) prévues à l’article 3 du règlement CCP (26). Leur contestation de la validité concerne les conditions énoncées à l’article 3, sous a) et c), de ce règlement. Je rappelle que la première disposition exige que « le produit [soit] protégé par un brevet de base en vigueur » et, la seconde, que « le produit n’a[it] pas déjà fait l’objet d’un [CCP] ». Selon elles, le CCP litigieux ne répondait pas à ces exigences, ce que Merck conteste.

46.      Le désaccord entre les parties au litige repose sur une interprétation divergente de ces conditions. Dans ce contexte, d’une part, les première et deuxième questions dans l’affaire C‑149/22 (27), qu’il convient d’examiner conjointement, concernent l’article 3, sous a), du règlement CCP. D’autre part, toutes les questions dans l’affaire C‑119/22, ainsi que les troisième et quatrième questions dans l’affaire C‑149/22, qu’il convient également d’examiner conjointement, concernent l’article 3, sous c), de ce règlement. Comme cela a été indiqué en introduction, ces nombreuses questions portent, en substance, sur les critères qu’il convient d’appliquer pour apprécier chaque condition et, en définitive, sur le point de savoir si (et, le cas échéant, dans quelle mesure) l’une ou l’autre (ou les deux) s’oppose à la délivrance d’un CCP pour une composition de principes actifs (A+B), notamment dans l’hypothèse, en cause au principal, où le titulaire du brevet a déjà obtenu un CCP pour l’un de ces principes (A).

47.      Bien que cela puisse sembler contre-intuitif, je commencerai par aborder les questions liées à l’article 3, sous c), du règlement CCP. En effet, plusieurs intervenants ont soutenu, devant la Cour, qu’il renferme la clé pour résoudre les présentes affaires. Je ne suis pas d’accord et souhaite fournir, à cet égard, quelques clarifications (de toute évidence nécessaires) et une réponse (relativement) rapide d’emblée (section A). À mon avis, la clé de la résolution de ces affaires réside en réalité dans l’interprétation correcte de l’article 3, sous a), de ce règlement, qui requiert une discussion plus substantielle (section B).

A.      L’article 3, sous c), du règlement CCP (première à quatrième questions dans l’affaire C119/22, et troisième et quatrième questions dans l’affaire C149/22)

48.      Je rappelle que, parmi les conditions cumulatives de délivrance d’un CCP, l’article 3, sous c), du règlement CCP exige que « le produit n’a[it] pas déjà fait l’objet d’un [CCP] ».

49.      À cet égard, les juridictions de renvoi souhaitent savoir (i) de manière générale, quel est le juste critère pour déterminer si cette condition est remplie dans toute affaire donnée, et (ii) en particulier, si, en appliquant ce juste critère, ladite condition s’oppose à la délivrance d’un CCP pour une composition de principes actifs (A+B) lorsqu’un CCP a déjà été délivré pour l’un de ces principes (A).

50.      Le critère à suivre pour apprécier la condition énoncée à l’article 3, sous c), du règlement CCP est (censé être) simple. Comme le soutient Merck, et comme cela découle du libellé clair de cette disposition, il consiste (i) à définir « le produit » pour lequel la demande de CCP examinée est introduite, ou pour lequel le CCP litigieux a été délivré et (ii) à vérifier si le titulaire du brevet avait déjà obtenu un CCP, à une date antérieure, pour le même « produit ».

51.      Aux fins, notamment, de ladite disposition, je rappelle que l’article 1er, sous b), du règlement CCP fournit une définition de la notion de « produit » couvrant « le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament » (mise en exergue par mes soins).

52.      Dans chacune des affaires au principal, le CCP litigieux avait été délivré pour A+B. Selon la définition reprise au point précédent, une telle composition de principes actifs constitue, en soi, un « produit ». Ainsi, comme le fait valoir Merck, aux fins de l’appréciation de la condition énoncée à l’article 3, sous c), du règlement CCP, conformément au critère expliqué au point 50 ci-dessus, (i) le « produit » concerné est la composition A+B, et (ii) l’examinateur doit vérifier si le titulaire du brevet a déjà obtenu un CCP pour cette composition. En l’espèce, il est constant qu’aucun CCP n’avait été délivré pour A+B. Cette condition est donc remplie.

53.      Cette conclusion n’est pas (ou, du moins, ne devrait pas être) remise en cause par le fait que, dans chaque cas, Merck avait obtenu un précédent CCP pour A. En effet, selon la définition figurant à l’article 1er, sous b), du règlement CCP, A, en tant que principe actif unique, est un « produit » distinct de A+B, en tant que composition de principes actifs. Ainsi, en vertu de l’article 3, sous c), de ce règlement, la délivrance d’un CCP pour A ne devrait pas empêcher la délivrance d’un autre CCP pour A+B (28).

54.      Cela étant, les doutes des juridictions de renvoi concernant l’interprétation de l’article 3, sous c), du règlement CCP découlent de deux décisions de la Cour, à savoir les arrêts Actavis I et Actavis II, mentionnés en introduction, dans lesquels la Cour s’est écartée de la logique simple décrite ci-dessus.

55.      Les affaires ayant donné lieu à ces arrêts présentaient une certaine proximité factuelle avec les présentes affaires. Dans chacune de ces précédentes affaires, (i) un premier CCP avait été délivré à un titulaire de brevet pour un principe actif (A) sur la base d’un brevet et d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament contenant ce principe actif, et (ii) un second CCP avait ensuite été délivré pour la combinaison de ce principe actif avec un autre principe actif relevant du domaine public (A+B). Dans chaque affaire, une juridiction britannique devait déterminer la validité du second CCP et avait déféré à la Cour, à cette fin, plusieurs questions relatives à l’interprétation correcte, entre autres, de l’article 3, sous a) et de l’article 3, sous c), du règlement CCP.

56.      La Cour a suivi, pour l’essentiel, le même raisonnement dans les deux arrêts. En substance, elle a estimé que l’article 3, sous c), du règlement CCP s’opposait à la délivrance du CCP pour A+B. À cet égard, elle a souligné que seul A était « protégé » (au sens de l’article 3, sous a), de ce règlement) par le brevet de base en cause, puisque ce principe actif était le « cœur de l’activité inventive » (pour reprendre les termes de la Cour dans l’arrêt Actavis I (29)) ou constituait « seul l’objet de l’invention » (pour reprendre les termes de la Cour dans l’arrêt Actavis II (30)) dans le cadre de ce brevet. En revanche, B était un principe actif connu, relevant du domaine public. Dans de telles circonstances, la délivrance d’un CCP pour la composition de A+B équivaudrait à délivrer un second CCP pour A, en violation de l’article 3, sous c), de ce règlement (31).

57.      La Cour a ajouté que cette interprétation de l’article 3, sous c) était conforme aux objectifs poursuivis par le règlement CCP. En effet, le système de CCP a été conçu pour compenser les retards réglementaires auxquels les titulaires de brevets doivent faire face (comme cela est expliqué aux points 35 et 36 ci-dessus) avant de pouvoir commercialiser leurs inventions pharmaceutiques. Dans les affaires en question, du point de vue de la Cour, seul A constituait une telle invention. Ainsi, le premier CCP octroyé pour A avait déjà rempli cette fonction. En revanche, si le titulaire du brevet pouvait obtenir un nouveau CCP à chaque fois qu’il met sur le marché son invention (A) « sous toutes les formes possibles », y compris sous la forme de combinaisons de médicaments comprenant d’autres principes actifs connus (B), cela favoriserait indûment les intérêts de l’industrie pharmaceutique au détriment des fabricants de génériques et, en définitive, de la santé publique (alors que, dans le règlement CCP, le législateur souhaitait concilier tous ces intérêts) (32). Cela pourrait également faciliter les stratégies d’« evergreening » (33), par lesquelles les entreprises pharmaceutiques pourraient prolonger, de manière excessive, leur monopole en commercialisant un premier médicament contenant A, puis un médicament contenant A+B, puis un autre composé de A+C, etc. (34).

58.      Comme on peut le comprendre, Teva, Clonmel, les gouvernements intervenants (à l’exception du gouvernement hongrois) et la Commission soutiennent que la Cour devrait interpréter l’article 3, sous c), du règlement CCP de la même manière dans les présentes affaires. Pour ma part, je ne le pense pas.

59.      Pour être clair, j’ai beaucoup de sympathie pour le raisonnement pragmatique et téléologique exposé dans les arrêts Actavis I et Actavis II. En fait, je suis d’accord avec les considérations d’ordre politique avancées par la Cour. Même si, comme cela est indiqué au point 38 des présentes conclusions, le règlement CCP prévoit expressément la possibilité d’obtenir des CCP pour les compositions de principes actifs, il aurait été contraire à l’esprit de ce règlement de l’admettre dans ce cas. Dans certaines circonstances, qui seront examinées plus avant dans la section suivante, il serait excessif de permettre à des titulaires de brevets d’obtenir un CCP pour de telles compositions. Toutefois, à mon avis, l’interprétation de l’article 3, sous c), du règlement CCP retenue dans ces décisions n’est pas la voie à suivre en la matière.

60.      D’une part, il me semble que l’article 3, sous c), du règlement CCP ne se prête pas à une telle interprétation téléologique. En effet, cette disposition n’est ni ambiguë ni vague quant à la nature de la condition qui y est énoncée. Aux fins de ladite disposition, la définition de la notion de « produit » figurant à l’article 1er, sous b), de ce règlement est également limpide en ce qu’un « principe actif » et une « composition de principes actifs » sont deux choses différentes. En outre, dans l’arrêt Santen (35), la Cour a considéré que cette définition est « stricte ». À mon avis, en ignorant ladite définition dans les arrêts Actavis I et Actavis II, la Cour, aussi louable que soit son intention, a passé outre au libellé clair dudit règlement.

61.      De surcroît, dans ces arrêts, la Cour a également dénaturé le système prévu à l’article 3 du règlement CCP. En effet, alors que cet article énonce quatre conditions cumulatives, ayant chacune une logique et une finalité, et qui devraient dès lors être appréciées de manière autonome, la Cour a fini par confondre deux d’entre elles. En effet, elle a essentiellement exigé de l’examinateur qu’il vérifie ce qu’un brevet « protège » (A, B, et/ou A+B ?) pour décider si deux CCP délivrés sur cette base concernent le même « produit ». Ce faisant, la Cour a importé, dans l’article 3, sous c), de ce règlement une analyse qui se rapporte, par nature, à l’article 3, sous a), dudit règlement (36). Cette situation crée une confusion regrettable, les autorités nationales se demandant si elles sont censées effectuer une analyse identique ou différente au titre des deux conditions (37).

62.      D’autre part, comme le gouvernement hongrois le fait remarquer, même interprété tel que dans les arrêts Actavis I et Actavis II, l’article 3, sous c), du règlement CCP est en fait insuffisant pour empêcher que des CCP soient délivrés pour des compositions de principes actifs contrairement à l’esprit de ce règlement. En premier lieu, l’application de cette disposition dépendrait de la délivrance antérieure d’un CCP pour l’un des principes entrant dans cette composition et, en second lieu, l’interdiction énoncée dans cette disposition, à la suite de l’arrêt Biogen (38), peut être facilement contournée par les groupes pharmaceutiques (39).

63.      Par conséquent, dans la présente espèce, la Cour devrait, à mon avis, retenir l’interprétation simple et littérale de l’article 3, sous c), du règlement CCP, énoncée au point 52 ci-dessus. Elle devrait rétablir l’intégrité du système qui y est prévu en réservant toute discussion sur ce qu’un brevet « protège » à l’appréciation de la condition prévue à l’article 3, sous a), de ce règlement. C’est dans ce contexte qu’il convient d’examiner les considérations formulées par la Cour dans les arrêts Actavis I et Actavis II sur cette question (en particulier les notions de « cœur de l’activité inventive » et d’« objet de l’invention »).

64.      Contrairement à ce que soutiennent Teva, Clonmel et le gouvernement lituanien, une telle application littérale de l’article 3, sous c), du règlement CCP n’ouvrirait pas la voie à des abus du système de CCP. En fait, comme le gouvernement hongrois, je considère que les préoccupations politiques légitimes évoquées par la Cour dans les arrêts Actavis I et Actavis II concernant l’octroi de CCP pour les compositions de principes actifs peuvent être traitées d’une manière qui soit à la fois plus efficace et plus respectueuse du libellé et du système du règlement CCP, par le truchement d’une interprétation appropriée et une application stricte de la dernière condition, comme cela sera expliqué dans la section suivante.

B.      Article 3, sous a), du règlement CCP (première et deuxième questions dans l’affaire C149/22)

65.      L’article 3, sous a), du règlement CCP indique, je le rappelle, que, pour qu’un « produit » donné puisse bénéficier d’un CCP, il doit être « protégé par un brevet de base en vigueur ».

66.      Dans chacune des affaires au principal, il n’est pas contesté que le « brevet de base » pertinent, c’est-à-dire le brevet européen désigné par Merck aux fins des procédures d’obtention du second CCP, litigieux, était « en vigueur » au moment de la demande de ce CCP.

67.      En revanche, les parties au litige s’opposent très largement sur la question de savoir si le « produit » pour lequel ce CCP a été délivré (qui, je le rappelle, est A+B, en tant que composition de principes actifs (40)) était « protégé » par ce brevet. La réponse à cette question dépend de ce que « protégé » signifie.

68.      Étant donné que ce terme n’est pas défini dans le règlement CCP, les juridictions nationales ont interrogé la Cour sur son interprétation à plusieurs reprises, souvent en relation avec des « produits » constitués de compositions de principes actifs, comme c’est le cas en l’espèce. La jurisprudence qui en résulte évoque « The Long and Winding Road » (route longue et sinueuse) décrite par les Beatles. Dans une première série de décisions, la Cour a fourni des explications quelque peu divergentes en la matière (section 1). Étant donné que ces méandres jurisprudentiels sont devenus source d’insécurité juridique, il y a quelques années, la Cour, réunie en grande chambre, a tenté de clarifier sa jurisprudence et de fournir un critère définitif dans son arrêt Teva I (section 2). Néanmoins, l’incertitude subsiste. En effet, cet arrêt (et le critère qui y est énoncé) nécessitent des éclaircissements importants (section 3). Dans l’hypothèse où la Cour fournirait ces éclaircissements dans l’arrêt à venir dans les présentes affaires, les praticiens du droit des brevets et les autorités nationales impliquées dans les affaires de CCP atteindront, espérons-le, enfin la « porte » à laquelle mène cette « route ».

1.      La jurisprudence de la Cour précédant l’arrêt Teva I

69.      La toute première affaire dans laquelle la Cour a été invitée à préciser la signification du terme « protégé » utilisé à l’article 3, sous a), du règlement CCP est l’affaire Farmitalia (41). Il n’est pas nécessaire de rappeler les faits de cette affaire. Il suffit de relever que la Cour a fourni une réponse simple, selon laquelle, « en l’absence d’harmonisation communautaire du droit des brevets, l’étendue de la protection du brevet ne peut être déterminée qu’au regard des règles non communautaires qui régissent ce dernier ». Dès lors, la question de savoir si un « produit » donné est « protégé » par un brevet au sens de cette disposition devait être déterminée non pas par le droit de l’Union, mais uniquement par le droit des brevets (national ou CBE) (42).

70.      Ainsi, dans l’arrêt Farmitalia, la Cour semblait avoir entièrement déféré cette question aux règles (nationales ou internationales) du droit des brevets qui concernent la portée (ou l’« étendue ») de la protection conférée par un brevet (une question cruciale, en particulier dans les procédures en contrefaçon), telles que l’article 69 de la CBE. En vertu de cette disposition et de son protocole interprétatif, l’« étendue de la protection » conférée par le brevet européen est déterminée par les revendications, lesquelles doivent être interprétées à la lumière de la description (et des dessins potentiels) figurant dans le brevet. L’application de ce critère tiré de l’« étendue de la protection » dans le contexte de l’article 3, sous a), du règlement CCP signifierait qu’un « produit », y compris une composition de principes actifs (A+B), serait considéré comme « protégé » par un brevet s’il est couvert par les revendications, interprétées de cette manière.

71.      Cependant, malgré cette première réponse, la Cour, dans des affaires ultérieures, a énoncé deux critères (apparemment autonomes et fondés sur le droit de l’Union) pour déterminer si un « produit » donné est « protégé » par un brevet au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP.

72.      D’une part, la Cour a énoncé, à cette fin, ce que j’appellerai un critère d’« identification » dans ses arrêts Medeva (43) et Eli Lilly (44). Dans lesdits arrêts, après avoir indiqué initialement que la question relevait du droit national (tout en faisant même expressément référence aux règles relatives à l’« étendue de la protection » et, en particulier, à l’article 69 de la CBE dans le dernier arrêt), la Cour a jugé qu’un « produit » peut être considéré comme « protégé » par un brevet au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP uniquement s’il « figure dans le libellé des revendications » (Medeva (45)) ou, tout au moins, s’il est « mentionné » dans les revendications, explicitement ou « implicitement mais nécessairement […] et ce de manière spécifique » (Eli Lilly (46)). Comme le critère de l’« étendue de la protection » examiné au point 70 ci‑dessus, le critère d’« identification » dépend du libellé des revendications du brevet de base, tout en étant plus exigeant à cet égard (47). Conformément à ce dernier critère, en particulier, une composition de principes actifs (A+B) pourrait bénéficier d’un CCP uniquement si elle était nommément mentionnée (par son nom chimique ou sa formule structurelle) à ou, à tout le moins, identifiable, avec un degré de spécificité suffisant, dans ces revendications.

73.      D’autre part, la Cour a parallèlement énoncé ce que je qualifierai de critère d’« invention » dans les arrêts Actavis I et Actavis II. Comme cela a été expliqué dans la section précédente, dans chacune de ces affaires, sur la base du même brevet (i) un premier CCP avait été délivré à un titulaire de brevet pour un principe actif (A) et (ii) un second CCP avait ensuite été délivré pour la combinaison de ce principe actif avec un autre principe actif relevant du domaine public (A+B). La validité du CCP composition était contestée. Dans les passages pertinents de chaque arrêt, la Cour a indiqué que, selon elle, le brevet de base « protégeait » uniquement A (et donc pas A+B). La Cour n’a pas fait référence aux revendications de ce brevet, mais a plutôt fondé son raisonnement sur le fait que A était « le cœur de l’activité inventive » (Actavis I (48)) ou constituait « seul l’objet de l’invention » (Actavis II (49)) dans le cadre dudit brevet. En outre, la Cour a laissé entendre que la composition de A+B n’aurait pu être considérée comme « protégée » que si elle avait constitué une « innovation […] distincte » (de A probablement) (50). En résumé, dans ces arrêts, la Cour a semblé indiquer que, indépendamment de la question de savoir si les revendications du brevet de base répondent au critère d’« identification » (51) examiné dans les points précédents (qu’elle n’a même pas mentionné), un « produit » donné, et en particulier une composition de principes actifs, ne peut bénéficier d’un CCP que s’il correspond à l’« invention » pour laquelle ce brevet a été délivré.

2.      Sur le « critère définitif » énoncé dans l’arrêt Teva I

74.      Compte tenu des incertitudes suscitées par les indications divergentes données dans les arrêts examinés dans la section précédente, la Cour, réunie en grande chambre, a saisi, dans l’arrêt Teva I, la possibilité que lui offrait un autre renvoi préjudiciel concernant l’article 3, sous a), du règlement CCP pour clarifier sa jurisprudence.

75.      Une fois de plus, l’affaire ayant donné lieu à cette décision concernait l’éligibilité à un CCP d’une composition de principes actifs. En substance, Gilead Science Inc. avait obtenu un brevet pour une invention consistant dans l’utilisation d’une famille de substances pour le traitement, notamment, du VIH. Les revendications de ce brevet mentionnaient, entre autres, (i) l’une de ces substances (A) et (ii) une composition pharmaceutique contenant une telle substance « et, le cas échéant, d’autres ingrédients thérapeutiques ». Gilead Science Inc. avait demandé et obtenu une autorisation de mise sur le marché pour un médicament contenant A+B, en tant que composition de principes actifs (B étant une substance relevant du domaine public, également utile au traitement du VIH). Elle avait ensuite obtenu un CCP pour la combinaison de A+B, dont Teva UK Ltd avait contesté la validité devant les juridictions britanniques. Dans ce contexte, le juge national s’est demandé si le critère de l’« identification » énoncé dans les arrêts Medeva et Eli Lilly était respecté dans les circonstances de l’espèce et si, outre (ou peut-être en lieu et place de) ce critère, le critère de l’« invention » découlant des arrêts Actavis I et Actavis II devait être respecté pour que la combinaison A+B soit considérée comme « protégée » par le brevet de base au titre de l’article 3, sous a), du règlement CCP.

76.      Là encore, la Cour a commencé par indiquer, aux points 31 à 33 de l’arrêt Teva I, que la question relevait du droit national des brevets et, plus précisément, des règles d’« étendue de la protection », telles que l’article 69 de la CBE. Néanmoins, après avoir exposé de manière détaillée son raisonnement, qui sera examiné dans la section suivante, la Cour a précisé son « critère définitif » au point 57 et dans le dispositif de son arrêt comme suit :

« […] un produit composé de plusieurs principes actifs [ (52)] ayant un effet combiné est “protégé par un brevet de base en vigueur”, au sens de cette disposition, dès lors que la combinaison des principes actifs qui le composent, même si elle n’est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base, est nécessairement et spécifiquement visée dans ces revendications. À cette fin, du point de vue de l’homme du métier et sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet de base :

–        la combinaison de ces principes actifs doit relever nécessairement, à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, de l’invention couverte par celui-ci et

–        chacun desdits principes actifs doit être spécifiquement identifiable, à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet. »

3.      Les incertitudes résultant de l’arrêt Teva I et les clarifications nécessaires

77.      Malgré l’arrêt Teva I, la controverse demeure quant aux conditions à satisfaire pour qu’un « produit » puisse être considéré comme « protégé » par un brevet au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP. Les présentes affaires illustrent cette controverse.

78.      En toute objectivité, Teva, Clonmel et Merck (ainsi que les autres parties intervenantes) s’accordent sur un point. Il semble clair que, contrairement à ce qui est indiqué dans l’arrêt Farmitalia, le terme « protégé » utilisé dans l’article 3, sous a), du règlement CCPn’est pas défini par référence aux règles (nationales ou internationales) régissant les brevets, telles que l’article 69 de la CBE. Bien que la Cour y ait malheureusement fait une nouvelle allusion au début de son arrêt Teva I, cela ne peut pas être le cas. Sinon, la Cour aurait mis fin à son raisonnement après le point 33 de cet arrêt.

79.      La circonstance qu’elle ne l’ait pas fait, mais qu’elle ait au contraire poursuivi et ajouté une série de considérations et d’exigences concernant l’interprétation de l’article 3, sous a), du règlement CCP, démontre qu’en réalité, la Cour a donné au terme « protégé » utilisé dans cette disposition une signification autonome en droit de l’Union (qui ne coïncide que partiellement avec l’interprétation de « l’étendue de la protection » d’un brevet au sens de l’article 69 de la CBE).

80.      Cette approche est, à mon avis, judicieuse. Après tout, il est de jurisprudence constante que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui, à l’instar de l’article 3, sous a), du règlement CCP, ne comporte aucun renvoi exprès au droit national (ou international) pour déterminer son sens et sa portée, doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme, en tenant compte du contexte dans lequel ils ont été utilisés et des objectifs poursuivis par l’instrument dont ils font partie (53).

81.      Cela est d’autant plus nécessaire que l’article 3, sous a), du règlement CCP pose une condition essentielle à la délivrance des CCP dans les États membres. À cet égard, l’enjeu ne réside pas tant dans l’impératif que les CCP soient octroyés dans les mêmes conditions dans toute l’Union (54). En effet, la portée d’un brevet européen est déterminée, en vertu de l’article 69 de la CBE, de la même manière dans tous les États membres (55). En revanche, une interprétation autonome du terme « protégé » utilisé à l’article 3, sous a), du règlement CCP, à la lumière du contexte spécifique et de l’objectif poursuivi par cet instrument, est nécessaire (56) pour garantir que les CCP ne soient délivrés que lorsque cela est conforme à l’esprit de cet instrument. L’application pure et simple, aux fins de cette disposition, des règles relatives à « l’étendue de la protection » des brevets, telles que l’article 69 de la CBE, ne garantirait pas toujours un tel résultat, comme je l’expliquerai plus loin.

82.      Ainsi, pour déterminer si un « produit » est « protégé » par un brevet au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP, un critère autonome doit être appliqué qui diffère (partiellement) du critère de « l’étendue de la protection » appliqué dans le cadre du droit des brevets (57). Il est également clair que le premier est plus strict que le second. Effectivement, certains « produits » peuvent être considérés comme protégés par un brevet du point de vue du droit des brevets, sans toutefois être considérés comme « protégés » par ce brevet aux fins de l’article 3, sous a), de ce règlement. Une reconnaissance claire par la Cour de cet état de fait (pour l’instant implicite) dans l’arrêt à intervenir dans les présentes affaires constituerait déjà une clarification bienvenue de l’arrêt Teva I.

83.      La controverse commence ici. En effet, comme le souligne la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑149/22, il existe deux manières de comprendre le critère énoncé au point 57 (et dans le dispositif) de l’arrêt Teva I et son interaction avec la jurisprudence antérieure de la Cour.

84.      En application d’une première lecture, défendue par Merck, dans l’affaire Teva I, la Cour a approuvé et affiné le critère de l’« identification » énoncé dans les arrêts Medeva et Eli Lilly. Ainsi, un « produit », y compris une composition de principes actifs, doit être considéré comme « protégé » par un brevet de base au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP lorsqu’il est « explicitement mentionné dans les revendications [de ce] brevet » (premier cas de figure) ou lorsqu’il est « nécessairement et spécifiquement visé dans les revendications de ce brevet » (second cas de figure). Dans le premier cas de figure (qui n’était pas en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Teva I), la condition prévue par cette disposition est automatiquement remplie. En effet, la Cour n’a pas exigé d’examiner plus avant si un « produit » mentionné explicitement était « le cœur de l’activité inventive » ou constituait « seul l’objet de l’invention » dans le cadre de ce brevet. Ainsi, la Cour a implicitement écarté le critère de l’« invention » énoncé dans les arrêts Actavis I et Actavis II et a reviré ces derniers arrêts. En revanche, dans le second cas de figure (qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Teva I), les deux tirets figurant à la fin du point 57 de cet arrêt I revêtent davantage d’importance. Ils constituent une sorte de « sous-critère » conçu « [aux] fin[s] » (58) de déterminer si les revendications du brevet peuvent être considérées comme visant « nécessairement et spécifiquement » un « produit » qu’elles ne mentionnent pas explicitement (59).

85.      Selon une seconde lecture de l’arrêt Teva I, défendue par Teva, Clonmel, les gouvernements intervenants et la Commission, la Cour a retenu à la fois le critère de l’« identification » et celui de l’« invention ». Elle les a affinés et les a remplacés par le nouveau critère en deux volets, énoncé au point 57 de cet arrêt, qui doit être suivi dans tous les cas pour déterminer si un « produit » est « protégé » par un brevet aux fins de l’article 3, sous a), du règlement CCP. Cela signifie que, pour être considéré comme tel, le « produit » doit non seulement être explicitement mentionné dans les revendications ou, à tout le moins, être « spécifiquement identifiable » par l’homme du métier (second volet), mais également « relever […] de l’invention », c’est-à-dire correspondre à l’innovation pour laquelle le brevet a été délivré (premier volet).

86.      La juridiction de renvoi dans l’affaire C‑149/22 invite la Cour à préciser quelle est la lecture correcte de l’arrêt Teva I. Outre le fait que la nature équivoque de cet arrêt a apparemment conduit à des décisions divergentes au niveau national, cette précision est cruciale pour l’issue de l’affaire au principal. En effet, cette juridiction nationale a établi que la combinaison de l’ézétimibe et de la simvastatine faisant l’objet du second CCP litigieux, était « expressément mentionnée » dans une revendication du brevet de base concerné (60).

87.      À mon avis, la seconde lecture de l’arrêt Teva I est la bonne. En effet, si je suis d’accord sur le fait que, pris au pied de la lettre, le point 57 et le dispositif de cette décision pourraient être lus de la manière suggérée par Merck (ce qui, il faut l’admettre, est regrettable), les raisons suivantes m’ont convaincu du contraire.

88.      Au début de l’arrêt Teva I (plus précisément au point 30), la Cour a annoncé ses intentions. À l’invitation de la juridiction de renvoi, elle devait préciser si, pour qu’un « produit » soit considéré comme « protégé » par un brevet au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP, il suffisait qu’il respecte le critère d’« identification » énoncé dans les arrêts Medeva et Eli Lilly, ou si, de surcroît, « un critère additionnel » devait être respecté. Il s’agissait, à l’évidence, d’une référence au « cœur de l’activité inventive » et à « l’objet de l’invention » figurant dans les arrêts Actavis I et Actavis II, expressément mentionnée par le juge de renvoi (61).

89.      Certes, la réponse donnée par la Cour dans la suite du raisonnement n’est pas tout à fait simple. Elle se disperse quelque peu. Toutefois, lorsque l’on recompose les pièces du puzzle, on obtient une image complète, et, à mon avis, claire.

90.      D’une part, la Cour a consacré une partie importante de son raisonnement à réaffirmer que, pour qu’un « produit » soit considéré comme « protégé » par un brevet de base au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP, il doit satisfaire au critère d’« identification » initialement énoncé dans les arrêts Medeva et Eli Lilly. La Cour a réitéré l’affirmation figurant dans le dernier arrêt, selon laquelle un tel « produit » ne peut être considéré comme « protégé » de la sorte que lorsqu’il est « explicitement mentionné », ou, à tout le moins, « nécessairement et spécifiquement visé » dans les revendications de ce brevet (62).

91.      En outre, la Cour a précisé les circonstances dans lesquelles un produit peut être considéré comme « nécessairement et spécifiquement » visé dans les revendications d’un brevet (point qu’elle avait très largement laissé ouvert à l’interprétation dans l’arrêt Eli Lilly). Tel est le cas lorsque ce ‘produit’ est « spécifiquement identifiable » par l’homme du métier à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par le brevet de base (en particulier par la description) (63) et de l’état de la technique à la date de dépôt de la demande de brevet ou à la date de priorité de ce brevet. Il s’agit, en réalité, du second volet du critère énoncé à la fin du point 57 et dans le dispositif de l’arrêt Teva I (64).

92.      La Cour a également expliqué la raison d’être de cette exigence. Eu égard à l’objectif de la période d’exclusivité supplémentaire accordée par un CCP, qui « vise à permettre un amortissement des investissements effectués [par le titulaire du brevet de base] dans [la] recherche », ce volet du critère tend à garantir que les CCP ne soient délivrés que pour les « produits » qui avaient été développés, grâce à une telle recherche, au moment du dépôt de la demande du brevet de base. En effet, il serait contraire à la finalité des CCP que le titulaire d’un brevet puisse obtenir, sur la base de revendications formulées de manière large (y compris de définitions fonctionnelles génériques couvrant une vaste famille de substances), un tel certificat pour une substance qui n’était pas connue au moment du dépôt de la demande de brevet, mais qui a été développée à l’issue de recherches plus approfondies, éventuellement effectuées par un tiers (65).

93.      D’autre part, à mon sens, plusieurs déclarations formulées dans l’arrêt Teva I indiquent clairement que, pour qu’un « produit » soit considéré comme « protégé » par un brevet au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP, il ne suffit pas qu’il soit « explicitement mentionné […] dans les revendications de ce brevet » ou qu’il soit « nécessairement et spécifiquement visé dans les revendications de ce brevet », et que le « critère additionnel » annoncé au point 30 de cet arrêt doit, effectivement, être respecté.

94.      Plus particulièrement, au point 43 de l’arrêt Teva I, la Cour a indiqué que les revendications du brevet de base devaient également « être comprises à l’aune des limites de [l’invention couverte par le brevet], telle qu’elle ressort de la description et des dessins de ce brevet ».

95.      À cet égard, la Cour a ajouté, au point 46 de cet arrêt, que « l’objet de la protection conférée par un CCP doit se limiter aux caractéristiques techniques de l’invention couverte par le brevet de base, telles que revendiquées par ce brevet ». Malheureusement, le sens de cette déclaration se perd dans la version en langue anglaise de l’arrêt en raison d’une erreur de traduction. Pour les praticiens du droit des brevets, les termes « technical specifications of the invention » [en français : les spécifications techniques de l’invention] sont, au mieux, dépourvus de sens et, au pire, confus (66). En effet, dans la version en langue française de cet arrêt (qui est la langue dans laquelle il a été rédigé), ce point fait référence aux « caractéristiques techniques de l’invention », c’est-à-dire à ses « technical features » [en anglais] (67).

96.      Par conséquent, comme le soutiennent Teva, Clonmel, les gouvernements intervenants et la Commission, il ressort de ces points que, pour déterminer si un « produit » est « protégé » par un brevet de base, on doit aussi (i) identifier dans les revendications, lues à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, l’objet dudit brevet (l’« invention » et ses caractéristiques techniques, qui constitue une notion plus étroite que celle de l’« étendue de la protection » dont le brevet entoure cet objet (68)), et (ii) déterminer si le « produit » pour lequel un CCP est demandé correspond à cette « invention » (69).

97.      Par la suite, la Cour a conclu qu’un « produit » ne pouvait être considéré comme « protégé » par un brevet que s’il « relève nécessairement de l’invention » pour laquelle ce brevet a été délivré. C’est, effectivement, l’objet du premier volet du critère énoncé à la fin du point 57 et dans le dispositif de l’arrêt Teva I.

98.      Ainsi que le relèvent ces intervenants, ce critère requiert plus qu’une simple référence au « produit » dans les revendications du brevet de base. En particulier, lorsque le « produit » pour lequel un CCP est demandé est une composition de principes actifs, la ou les revendication(s) relative(s) à cette composition doi(ven)t être lue(s) à la lumière de la description et des dessins de ce brevet afin de déterminer si ladite composition correspond à l’« invention » pour laquelle le brevet a été délivré. Ainsi, ce critère est une confirmation, et un affinement, du critère de l’« invention » énoncé dans les arrêts Actavis I et Actavis II.

99.      Contrairement à ce que soutient Merck, cette conclusion n’est, à mon avis, pas remise en cause par le fait que, au point 31 de son arrêt Royalty Pharma, la Cour a indiqué, à la demande de la juridiction de renvoi, que la notion de « cœur de l’activité inventive » (utilisée dans l’arrêt Actavis I) n’est pas (ou plus) pertinente dans le contexte de l’article 3, sous a), du règlement CCP.

100. En effet, si la Cour a écarté ces termes, elle a rappelé, au même point, que « l’objet de la protection conférée par un CCP doit se limiter aux caractéristiques techniques de l’invention couverte par le brevet de base, telles que revendiquées par ce brevet », confirmant ainsi que la nature et l’objet de l’« invention » sont déterminants pour décider si un « produit » est « protégé » par un brevet au sens de cette disposition. Par conséquent, à mon avis, la Cour a voulu, dans le point litigieux, valider un changement de terminologie et non de substance. Elle a substitué la notion d’« invention » à celle de « cœur de l’activité inventive » (ce qu’elle avait, en réalité, déjà fait dans l’arrêt Actavis II), probablement parce que la première est connue des praticiens du droit des brevets et qu’elle véhicule donc mieux le message qu’elle veut faire passer que la seconde (70). Néanmoins, l’idée qui sous-tend tous ces termes est, en substance, la même : la question de savoir si le « produit » correspond à l’« invention » pour laquelle le brevet a été délivré.

101. Les raisons avancées par la Cour concernant la finalité du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Teva I confirment, à mon sens, cette interprétation. Au point 40 de cet arrêt, la Cour a indiqué qu’il serait contraire à l’objectif du règlement CCP, qui est de soutenir l’innovation dans le secteur pharmaceutique, et à la conciliation des intérêts qu’il tend à réaliser en la matière, d’octroyer un CCP pour un « produit » qui ne relève pas de l’« invention » couverte par le brevet de base, « dans la mesure où un tel CCP ne porterait pas sur les résultats de la recherche revendiqués par ce brevet ». Certaines explications s’imposent à cet égard.

102. En substance, ce premier volet a été conçu avec les compositions de principes actifs à l’esprit. À cet égard, il découle clairement de la définition de la notion de « produit » figurant à l’article 1er, sous b), du règlement CCP que, comme le souligne Merck, ce règlement envisage l’octroi de tels certificats pour ces compositions. En effet, il ressort de l’exposé des motifs que les rédacteurs du système de CCP entendaient récompenser le développement de « nouvelle[s] composition[s] de substances contenant un produit nouveau ou connu » (71). Néanmoins, j’aimerais distinguer, en ce qui concerne les compositions de principes actifs, deux situations.

103. D’une part, l’idée d’utiliser certains principes actifs (nouveaux ou connus) dans une composition particulière peut constituer une « invention » qui est « nouvelle » et implique une « activité inventive » et qui, en tant que telle, peut bénéficier d’un CCP. C’est le cas lorsque ces principes actifs, une fois combinés, présentent un « effet synergique » innovant, allant au‑delà de leur simple effet additif, utile pour le traitement de certaines maladies ou affections (72). En général, lorsque c’est le cas, la composition fait l’objet d’un brevet spécifique, divulguant l’effet innovant de cette combinaison. Comme les gouvernements intervenants le font valoir, il s’agit là du type de « nouvelle[s] composition[s] » que le législateur de l’Union avait à l’esprit et entendait favoriser dans le cadre du système des CCP (73). Ainsi, elles devraient être récompensées par un CCP lorsqu’elles sont développées.

104. D’autre part, comme le gouvernement hongrois l’a utilement décrit dans ses observations, il semble relever d’une pratique bien établie que, lorsque des entreprises pharmaceutiques déposent des demandes de brevet relatives au développement de nouveaux principes actifs uniques, elles incluent dans ces demandes, outre les revendications principales dédiées au(x) principe(s) en question (A), une ou plusieurs revendications (dépendantes) (74) pour l’utilisation de ce (ou ces) principe(s) en combinaison avec d’autres substances connues (A+B, A+C, etc.) en tant que « modes de réalisation » particuliers de l’invention. Généralement, la description ne révèle aucun « effet synergique » propre à ces combinaisons. Souvent, la description ne corrobore même pas leur caractère adéquat (capacité à bien fonctionner ensemble, absence d’effets secondaires dangereux, etc.). En fait, de telles revendications de combinaison peuvent être purement spéculatives et sont ajoutées dans le seul but d’élargir l’étendue de la protection conférée par le brevet en vertu de l’article 69 de la CBE.

105. Même si, comme le fait valoir Merck, cette pratique semble admise par l’OEB (il semble d’ailleurs qu’un grand nombre de brevets européens délivrés par cet office contiennent de telles revendications de combinaisons) (75), il est clair que, comme le répondent les autres intervenants, il serait contraire à l’objectif du CCP, et à la conciliation des intérêts qu’il tend à réaliser, d’octroyer un CCP pour des compositions de principes actifs dans la seconde situation.

106. En effet, dans une telle situation, la composition de A+B n’est pas, en soi, l’idée nouvelle et inventive qui est le résultat de la recherche divulguée dans le brevet. A l’est. Dès lors, le développement de A devrait être récompensé par un CCP. En revanche, la combinaison de A+B ne devrait pas être ainsi récompensée simplement parce qu’une revendication spéculative pour cette combinaison a été ajoutée dans le brevet pour A.

107. L’argument de Merck, selon lequel l’octroi d’un CCP pour une telle composition de principes actifs présuppose le développement et la commercialisation d’un médicament incluant cette composition, ce qui nécessite des recherches et des essais (pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché), ne remet pas en cause cette interprétation. Comme cela a été expliqué, dans le scénario décrit au point 104 des présentes conclusions, l’invention divulguée dans le brevet de base est A. Le fait que, après le dépôt de la demande de brevet, des recherches supplémentaires aient prouvé la sécurité et l’utilisé de la composition A+B ne devrait pas être pris en compte. De plus, comme le rappelle le gouvernement hongrois, le système de CCP a été conçu pour récompenser non pas toute recherche pharmaceutique donnant lieu à la commercialisation d’un nouveau médicament, mais celle qui conduit à la découverte, notamment, de nouvelles combinaisons de principes actifs, au sens entendu dans le point 103 des présentes conclusions, à savoir celles présentant un « effet synergique » (76). En revanche, l’innovation (parfois très relative) consistant à mettre dans le même comprimé A et un autre médicament connu (B), chacun ayant un effet indépendant sur le corps humain, pour faciliter l’administration d’un traitement combiné contre une maladie donnée ne mérite pas cette récompense. Comme la Cour l’a jugé dans les arrêts Actavis I et Actavis II, l’objectif poursuivi par le règlement CCP n’est pas de compenser les retards pris par le titulaire d’un brevet en lien avec toutes les formes de commercialisation possibles de son invention, y compris sous la forme de « comprimés combinés » (77).

108. Il convient donc de distinguer le premier type de compositions de principes actifs du second. Cela semble d’autant plus nécessaire que, comme la Cour l’a relevé au point 42 de l’arrêt Teva I (en faisant référence à l’arrêt Actavis II), si le titulaire du brevet pouvait obtenir plusieurs CCP sur la base de la même invention (A) sous la forme de comprimés combinés, cela faciliterait les stratégies d’« evergreening », par lesquelles les entreprises pharmaceutiques pourraient indûment prolonger leur monopole en commercialisant un premier médicament contenant A, puis un médicament contenant A+B, puis un autre composé de A+C, etc. (78).

109. Le critère de l’« invention » énoncé dans les arrêts Actavis I et Actavis II, et affiné dans l’affaire Teva I, est approprié et proportionné à cet égard. En effet, il assure le juste équilibre consistant à autoriser l’octroi de CCP pour des combinaisons qui méritent une protection supplémentaire (en encourageant ainsi l’innovation en la matière), tout en évitant la délivrance de multiples CCP pour des principes actifs uniques présentés dans un nouvel emballage, légèrement modifié, de « composition ».

110. À l’inverse, et malgré l’affirmation de Merck, le critère de l’« identification » n’est pas adapté à une telle fin. Certes, en limitant la délivrance de CCP à des compositions de principes actifs explicitement mentionnées ou, à tout le moins, « spécifiquement identifiables » dans les revendications du brevet de base, ce critère limite la possibilité pour le titulaire du brevet d’obtenir de multiples CCP pour A dans des comprimés combinés. Toutefois, il ne contribuerait que (très) partiellement à cet objectif. En effet, comme Teva le fait valoir, il créerait simplement des incitations pour les entreprises pharmaceutiques, lors de la rédaction de leurs demandes de brevet, à y inclure une liste standard de substances actives (diurétiques, antibiotiques, etc.) qui peuvent être associées aux substances qui font l’objet de ces demandes (79).

111. Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument de Merck selon lequel de telles tentatives d’« evergreening » sont plus théoriques que réelles au motif que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, du règlement CCP, la protection conférée par tout CCP fondé sur le même brevet de base est, en tout état de cause, limitée à cinq ans après l’expiration de ce brevet.

112. En effet, d’une part, comme le soutient Clonmel, compte tenu des intérêts (économiques) en jeu, la possibilité pour un titulaire de brevet d’obtenir ne serait-ce que quelques mois de protection supplémentaire en déposant plusieurs demandes de CCP pour A dans des comprimés combinés peut difficilement être considérée comme une futilité (80). D’autre part, il est assez facile pour les entreprises pharmaceutiques de contourner la limite de cinq ans prévue à l’article 13, paragraphe 2, du règlement CCP. En effet, étant donné que cette limite ne s’applique qu’aux CCP délivrés sur la base du même brevet, une telle entreprise n’a qu’à obtenir, à intervalles réguliers, différents brevets portant sur le même principe actif (pour la famille de substances dont il relève, pour des substances spécifiques de la famille, pour une utilisation spécifique de celui-ci, etc.), dont certains comprennent des revendications spéculatives pour l’utilisation de ce principe actif en combinaison avec d’autres substances, et pour déposer des demandes de CCP sur la base de ces différents brevets (81).

113. Ma conviction n’est pas non plus ébranlée par les affirmations de Merck, selon lesquelles le critère de l’« invention » est complexe, équivalent à une analyse de l’« activité inventive » (alors que le système des CCP a été conçu pour être « simple ») (82), et génère dès lors une incertitude susceptible d’amener les ONB à rendre des décisions divergentes sur des faits essentiellement identiques, contrairement à l’objectif d’uniformité poursuivi par ce règlement.

114. Il ne fait aucun doute que simplement suivre le critère d’« identification » pour déterminer si un « produit » est « protégé » par un brevet, au sens de l’article 3, sous a), du règlement CCP, serait (parfois) plus simple qu’appliquer, en outre, le critère de l’« invention ». Toutefois, cela aboutirait à des résultats contraires à l’esprit de cet instrument, comme cela est expliqué dans les présentes conclusions. Par ailleurs, l’argument tiré de la sécurité juridique doit être relativisé. Les principes actifs isolés satisferont facilement à ce dernier critère. Ce n’est qu’en ce qui concerne les « produits » constitués de compositions de principes actifs qu’une analyse plus approfondie s’impose et, même à cet égard, il me semble que, sauf dans quelques cas limites, les praticiens du droit des brevets pourront prévoir quand ces combinaisons peuvent bénéficier d’un CCP et quand elles ne le peuvent pas.

115.  En effet, le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Teva I n’est pas aussi complexe que Merck l’affirme. S’agissant de la mise en œuvre de ce critère, je rappelle que la Cour a précisé, au point 48 de cet arrêt, qu’un « produit » « relève nécessairement de l’invention couverte par [le] brevet » lorsque « l’homme du métier peut comprendre de façon univoque, sur le fondement de ses connaissances générales et à la lumière de la description et des dessins de l’invention contenus dans le brevet de base, que le produit visé dans les revendications du brevet de base est une caractéristique (83) nécessaire pour la solution du problème technique divulguée par ce brevet. »

116. Si j’admets que l’explication donnée au point précédent fait écho à l’approche « problème-solution » utilisée pour apprécier l’existence d’une « activité inventive » au titre de l’article 56 de la CBE, il ne s’agit pas, en réalité, de déterminer si la composition A+B répond aux conditions de brevetabilité. En fait, il s’agit d’apprécier a posteriori de ce que le brevet (et, en particulier, la description) divulgue. Le brevet décrit-il, en tant qu’invention, l’utilisation de A+B, compte tenu de leur effet synergétique combiné sur le corps humain, pour résoudre un problème technique (médical) donné, de sorte que (selon les termes de la Cour dans l’arrêt Teva I) la combinaison de A et de B serait une « caractéristique nécessaire » pour la solution de ce problème technique ? Ou bien le brevet décrit-il plutôt, en tant qu’invention, l’idée d’utiliser certaines substances isolées (incluant A), compte tenu de leur effet (individuel) sur le corps humain, pour traiter certaines maladies ou affections, tout en ajoutant que ces substances pourraient également être utilisées en combinaison avec d’autres substances (B, C, etc.), sans divulguer d’« effet synergique » propre à cette combinaison ? Dans ce cas, la combinaison de A+B (ou C, etc.) n’est pas une « caractéristique nécessaire » de l’invention. Bien qu’il appartienne à la juridiction de renvoi de le vérifier, il me semble que le litige au principal correspond au second cas de figure (84).

VI.    Conclusions

117. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande) et la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) de la manière suivante :

1)      L’article 3, sous a), du règlement CCP du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments doit être interprété en ce sens que, pour qu’un « produit » soit considéré comme « protégé par un brevet de base » au sens de cette disposition, il doit non seulement être (i) explicitement mentionné ou, à tout le moins, « spécifiquement identifiable » dans les revendications, mais également (ii) relever de l’invention couverte par ce brevet.

2)      L’article 3, sous c), du règlement n° 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la délivrance d’un certificat complémentaire de protection (CCP) pour une composition de principes actifs alors qu’un précédent CCP avait été délivré pour l’un de ces principes. Les notions de « cœur de l’activité inventive » et d’« objet de l’invention » sont dénuées de pertinence aux fins de l’appréciation de la condition prévue dans cette disposition.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO 2009, L 152, p. 1).


3      Arrêt du 12 décembre 2013, Actavis Group PTC et Actavis UK (C‑443/12, ci‑après l’« arrêt Actavis I », EU:C:2013:833).


4      Arrêt du 12 mars 2015, Actavis Group PTC et Actavis UK (C‑577/13, ci-après l’« arrêt Actavis II », EU:C:2015:165).


5      Arrêt du 25 juillet 2018, Teva UK e.a. (C‑121/17, ci-après l’« arrêt Teva I », EU:C:2018:585).


6      La metformine a un effet différent sur le corps et contribue au traitement du diabète d’une manière différente que la sitagliptine. En effet, la metformine fonctionne en diminuant la production de glucose dans le foie, en augmentant la sensibilité à l’insuline des tissus corporels, et en augmentant la sécrétion de GDF15, ce qui réduit l’appétit et l’apport calorique.


7      Arrêt du 30 avril 2020, Royalty Pharma Collection Trust (C‑650/17, ci-après l’« arrêt Royalty Pharma », EU:C:2020:327).


8      L’athérosclérose se caractérise par un durcissement des artères dû à l’accumulation, entre autres, du cholestérol dans et sur les parois artérielles.


9      Les statines ont des effets différents et sont utiles pour traiter l’hypercholestérolémie d’une manière différente des azétidinones. Alors que les azétidinones, y compris l’ézétimibe, agissent comme inhibiteur d’absorption du cholestérol, les statines ont une action favorisant la dégradation du cholestérol dans le foie.


10      Les brevets peuvent également être délivrés par les États à la suite de procédures d’enregistrement menées par leur office national des brevets (ci-après l’« ONB »). Les brevets en cause dans les affaires au principal étant des brevets européens, je me concentrerai sur les règles de la convention sur la délivrance de brevets européens (ci-après la « CBE »). Cependant, les règles applicables aux brevets nationaux dans les États membres sont, pour l’essentiel, les mêmes.


11      La CBE lie 39 parties contractantes, y compris les États membres de l’Union européenne. L’Union elle-même n’est pas partie à cette convention, qui ne fait donc pas partie du droit de l’Union.


12      Voir article 52, paragraphe 1, et articles 54 et 56 de la CBE. L’invention doit également être susceptible d’« application industrielle » (voir article 57 de cette convention), mais je laisse cette condition de côté, car elle est rarement en cause en ce qui concerne les médicaments pharmaceutiques.


13      Calculée à partir de la date de dépôt de la demande (voir article 63, paragraphe 1, de la CBE).


14      À proprement parler, un brevet européen n’est pas un titre unitaire assurant une protection uniforme dans les États pour lesquels il a été délivré, mais prend forme, en substance, comme un ensemble de brevets nationaux [voir mes premières conclusions dans l’affaire BSH Hausgeräte (C‑339/22, EU:C:2024:159, point 21)].


15      Voir article 83 de la CBE.


16      Un médicament générique est un médicament similaire à un médicament original de marque. Il possède notamment les mêmes substances actives que le médicament original.


17      Voir Pila, J., et Torremans, P., European Intellectual Property Law, Oxford University Press, 2016, p. 114.


18      Voir directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67).


19      Voir article 1er, sous c), du règlement CCP, qui définit un « brevet de base » comme « un brevet qui protège un produit en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d’obtention d’un certificat ».


20      Voir, en ce sens, article 2 et article 3, sous a), b) et c), du règlement CCP. Ainsi, seuls les « produits » qui sont « nouveaux », en ce sens qu’ils n’avaient jamais été mis sur le marché auparavant, pour un usage médical quelconque, peuvent bénéficier d’un CCP [voir, à cet égard, arrêt du 6 juillet 2020, Santen (C‑673/18, EU:C:2020:531)].


21      Le(s) « principe(s) actif(s) » d’un médicament, au sens de l’article 1er, sous b), du règlement CCP, est (ou sont) la/les substance(s) ayant un effet thérapeutique propre, à l’exception des substances entrant dans la composition de ce médicament qui n’exercent pas une action propre sur l’organisme humain [voir arrêt du 9 juillet 2020, Santen (C‑673/18, EU:C:2020:531, point 42 et jurisprudence citée)].


22      Voir article 7, paragraphe 1, du règlement CCP.


23      Voir article 13 du règlement CCP.


24      Voir, en ce sens, considérant 10 ainsi que articles 4 et 5 du règlement CCP.


25      Voir arrêt du 15 janvier 2015, Forsgren (C‑631/13, EU:C:2015:13, point 32).


26      Voir, concernant ce motif de nullité, article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement CCP.


27      Bien que la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑119/22 n’ait posé aucune question sur l’article 3, sous a), du règlement CCP, une clarification sur ce point sera également utile à cette juridiction pour trancher le litige au principal dans cette affaire.


28      À cet égard, dans son arrêt du 12 décembre 2013, Georgetown University (C‑484/12, EU:C:2013:828, point 30), la Cour a confirmé que, comme cela découle de son libellé, l’article 3, sous c), du règlement CCP ne s’oppose pas à la délivrance de plusieurs CCP sur le fondement du même brevet lorsque ces certificats ne concernent pas les mêmes produits, mais des « produits » distincts.


29      Points 30 et 41.


30      Points 26, 36, 39 et le dispositif.


31      Voir, en ce sens, les arrêts Actavis I (points 29 et 42) et Actavis II (point 33). Il ressort implicitement du raisonnement de la Cour qu’elle considérait que A+B était le même « produit » que A, ou que le « produit » concerné était A dans tous les CCP. La Cour a laissé entendre que l’analyse aurait été différente si A+B avait été une « innovation […] distincte » (de A probablement) [voir Actavis I (point 42)].


32      Voir, à cet égard, considérant 10 du règlement CCP.


33      Le terme « evergreening » renvoie aux différentes stratégies par lesquelles les entreprises pharmaceutiques cherchent à prolonger la durée de vie des brevets protégeant leurs médicaments afin de retarder la concurrence et de conserver les revenus du monopole (voir, en ce sens, Max Planck Institute for Innovation and Competition, Study on the Legal Aspects of Supplementary Protection Certificates in the EU, Office des publications de l’Union européenne, 2018, p. 115).


34      Voir arrêts Actavis I (points 39 à 41) et Actavis II (points 34 à 37).


35      Arrêt du 9 juillet 2020 (C‑673/18, EU:C:2020:531, points 46 à 52).


36      Qui, je le rappelle, porte sur la question de savoir si « le produit est protégé par un brevet de base en vigueur ». En fait, visiblement consciente de la manière dont elle avait confondu les deux conditions dans l’arrêt Actavis I, la Cour a donné, dans l’arrêt Actavis II, une réponse globale selon laquelle « l’article 3, sous a) et c) » du règlement CCP s’opposait à la délivrance d’un CCP pour une composition de principes actifs dans les circonstances décrites au point 55 ci‑dessus, sans faire de distinction entre les deux dispositions.


37      Voir, à cet égard, les deuxième, troisième et quatrième questions de la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑119/22.


38      Arrêt du 23 janvier 1997 (C‑181/95, EU:C:1997:32).


39      Dans l’arrêt du 23 janvier 1997, Biogen (C‑181/95, EU:C:1997:32, point 28), la Cour a interprété l’article 3, sous c), du règlement CCP comme interdisant la délivrance de plus d’un CCP à un seul titulaire de brevet pour le même « produit ». Lorsque plusieurs entités juridiquement distinctes détiennent plusieurs brevets protégeant un même « produit », elles peuvent chacune obtenir un CCP pour ce dernier, sans que cette disposition entre en ligne de compte. Ainsi, les groupes pharmaceutiques, qui détiennent habituellement de multiples brevets couvrant leurs inventions, pourraient aisément échapper à l’interdiction prévue par cette disposition : la société 1 pourrait demander un CCP pour A sur le fondement d’un premier brevet protégeant A, et la société 2 pourrait alors librement obtenir un CCP pour A+B sur la base d’un autre brevet.


40      Voir article 1er, sous b), du règlement CCP. Ainsi, la question n’est pas de savoir si le brevet de base « protège » A ou B, individuellement, mais de savoir s’il « protège » A+B, en tant que tel.


41      Arrêt du 16 septembre 1999 (C‑392/97, ci-après l’« arrêt Farmitalia », EU:C:1999:416).


42      Arrêt Farmitalia (points 27 et 29, respectivement).


43      Arrêt du 24 novembre 2011, Medeva (C-322/10, ci-après l’« arrêt Medeva », EU:C:2011:773).


44      Arrêt du 12 décembre 2013, Eli Lilly and Company (C‑493/12, ci-après l’« arrêt Eli Lilly », EU:C:2013:835).


45       Points 25 et 28 et le dispositif.


46      Points 38 et 39 et le dispositif.


47      En effet, en vertu de l’article 69 de la CBE, un produit n’a pas à être « mentionné » ni figurer implicitement « mais nécessairement et de manière spécifique » dans les revendications d’un brevet pour être considéré comme couvert par celles-ci. Par exemple, en ce qui concerne les compositions de principes actifs, des termes généraux faisant référence à l’utilisation de « A en combinaison avec d’autres principes actifs » seraient suffisants.


48      Points 30 et 41.


49      Points 26, 36, 39 et le dispositif.


50      Voir arrêt Actavis I (point 42).


51      Dans la première affaire, le brevet de base contenait une revendication relative à l’utilisation de A en combinaison avec d’autres principes actifs, décrits en termes généraux (voir arrêt Actavis I, précité, point 11). En revanche, dans la seconde affaire), le brevet de base contenait une revendication visant spécifiquement la composition A+B. Cela étant, cette revendication a été ajoutée après le dépôt de la demande de CCP pour A+B (voir arrêt Actavis II, précité, points 14 à 18). Toutefois, cette circonstance n’a aucune importance dans le raisonnement de la Cour.


52      Bien que le point 57 de l’arrêt Teva I ne mentionne que les combinaisons de principes actifs, il ressort des points 52 et 53 de cet arrêt que le critère qui y est exposé est également valable pour les « produits » constitués d’un seul principe actif.


53      Voir, notamment, arrêt du 6 juillet 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Crime particulièrement grave) (C‑402/22, EU:C:2023:543, points 23 et 24 ainsi que jurisprudence citée).


54      Voir considérant 7 du règlement CCP et arrêt Medeva (point 24).


55      Même en ce qui concerne les brevets nationaux, les règles nationales relatives à l'« étendue de la protection » sont essentiellement les mêmes dans tous les États membres et reflètent l'article 69 de la CBE.


56      De plus, contrairement à l’article 3, sous c), du règlement CCP (voir le point 60 des présentes conclusions), le terme « protégé » utilisé à l’article 3, sous a), de ce règlement, compte tenu de son caractère vague, se prête à une telle interprétation téléologique.


57      Pour être plus précis, le critère prévu à l’article 3, sous a), de ce règlement pourrait être décrit comme une sorte d’« hybride » entre le droit de l’Union et le droit (national ou international) des brevets. En effet, comme je l’expliquerai plus loin, si la Cour a donné une définition autonome de la notion de « protégé » aux fins de l’article 3, sous a), du règlement CCP, cette définition repose sur certains concepts du droit des brevets, tels que l’« invention ». En outre, pour apprécier si un « produit » donné répond à cette définition autonome, certains principes du droit des brevets doivent être respectés (voir note 63 ci-dessous).


58      Arrêt Teva I (point 38).


59      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Hogan dans les affaires jointes Royalty Pharma Collection Trust e.a. (C‑650/17 et C‑114/18, EU:C:2019:704, points 41 et 49). Selon Merck, conformément à ce critère à deux volets, les revendications du brevet doivent être considérées comme visant « nécessairement et spécifiquement » un « produit » dès lors qu’un homme du métier serait en mesure (i) de comprendre que ce « produit » « relève nécessairement de l’invention couverte par ce brevet », en ce sens que la présence du ou des principe(s) actif(s) en question est requise, et pas uniquement autorisée par le libellé des revendications de ce brevet, et (ii) d’« identifier de façon spécifique » ces principes actifs en lisant ces revendications à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet. Lorsqu’un « produit » est explicitement mentionné dans les revendications d’un brevet, il n’y a pas lieu d’examiner le (sous-)critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Teva I, car il est manifestement rempli. En effet, si ce « produit » est explicitement mentionné dans la revendication, alors (i) sa présence est requise en vertu de ces revendications et (ii) il est « spécifiquement identifiable » puisqu’il est spécifiquement identifié.


60      En revanche, dans le litige au principal dans l’affaire C‑119/22, cette question n’a apparemment pas encore été tranchée par la juridiction de renvoi. Teva conteste le fait que la combinaison de sitagliptine et de metformine faisant l’objet du second CCP dans cette affaire ait été « expressément mentionnée » par le brevet de base pertinent.


61      Voir arrêt Teva I (point 26).


62      Voir arrêt Teva I (points 34 à 36 et 37).


63      En effet, pour la Cour, la réponse à cette question impliquait un exercice d’interprétation des revendications. L’interprétation des revendications obéit à certains principes en droit des brevets (figurant à l’article 1er du protocole relatif à l’article 69 de la CBE). Premièrement, en vertu de ces principes, les revendications d’un brevet doivent être interprétées du point de vue de l’homme du métier (la fiction juridique utilisée en la matière). Deuxièmement, la description et les dessins du brevet de base doivent être pris en compte, comme indiqué à l’article 69 de la CBE et à son protocole [voir arrêt Teva I (points 38 et 47)].


64      Voir arrêt Teva I (points 49 à 51). Dans l’arrêt Royalty Pharma (point 40), la Cour a précisé que la question cruciale est celle de savoir si le « produit » en cause est divulgué dans le brevet de base (voir, pour ce concept, point 34 des présentes conclusions), et que le standard applicable à cet égard consiste à déterminer si l’homme du métier est « en mesure […] de déduire directement et sans équivoque » (mise en exergue par mes soins) le « produit » du fascicule de ce brevet tel qu’il a été déposé. Il s’agit, en fait, de la « norme de référence » de la divulgation, qui est utilisée, en droit des brevets, à diverses fins, et notamment pour déterminer la recevabilité des modifications apportées aux demandes de brevets, en vertu de l’article 123, paragraphe 2, de la CBE. Ainsi, pour déterminer si un « produit » est « spécifiquement identifiable » aux fins du second volet du critère énoncé dans l’arrêt Teva I, les praticiens du droit des brevets peuvent se poser une question à laquelle ils sont habitués : le brevet de base pourrait-il être limité, par une modification, à un tel « produit » sans enfreindre l’article 123, paragraphe 2, de la CBE ? Si tel n’est pas le cas, ce « produit » ne peut pas non plus bénéficier d’un CCP au regard de l’article 3, sous a), du règlement CCP.


65      Voir arrêt Teva I (points 39 à 41 et 50). Voir également arrêts Eli Lilly (points 41 à 43) et Royalty Pharma (points 45 et 46).


66      Ils pourraient être compris comme une référence au « fascicule du brevet », qui est le document juridique accompagnant une demande de brevet et qui contient la description de l’invention. Dans les présentes affaires, Merck joue (sciemment ou accidentellement) sur cette erreur, en soutenant que le point 46 de l’arrêt Teva I reprend simplement l’idée selon laquelle le « produit » doit être « spécifié » dans le brevet.


67      Voir, par exemple, règle 43, point (1), du règlement d’exécution de la Convention sur la délivrance de brevets européens (mise en exergue par mes soins). Malheureusement, cette erreur a été réitérée dans l’arrêt Royalty Pharma (point 31). Pour éviter toute confusion supplémentaire, j’invite la Cour non seulement à clarifier la question dans l’arrêt à intervenir dans les présentes affaires, mais également à rectifier les versions en langue anglaise des arrêts Teva I et Royalty Pharma.


68      En effet, en droit des brevets, les revendications sont utilisées pour définir tant l’invention que la protection recherchée autour de celle-ci. Or, la Cour ne s’intéresse qu’à l’invention. C’est pourquoi elle exige que les revendications soient lues à la lumière de la description et des dessins du brevet, qui représentent également l’invention.


69      Apparemment, la Cour cherche ainsi à assurer une coïncidence entre l’objet du brevet (« l’invention ») et l’objet d’un CCP (« le produit »).


70      Par ailleurs, le « cœur de l’activité inventive » avait peut-être une proximité terminologique trop étroite avec la notion d’« activité inventive » et, partant, avec les conditions de brevetabilité.


71      Voir exposé des motifs de la proposition de règlement (CEE) du Conseil, du 11 avril 1990, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments [COM(90) 101 final] (ci-après l’« exposé des motifs », point 29).


72      La notion d’« effet additif » désigne une situation dans laquelle les effets combinés de deux médicaments sont égaux à la somme des effets des deux médicaments agissant de manière indépendante. En revanche, un « effet synergique » désigne une situation dans laquelle les effets combinés des deux médicaments sont supérieurs à la somme de leur effet individuel.


73      Exposé des motifs, point 29.


74      Voir règle 43, point (1), du règlement d’exécution de la Convention sur la délivrance de brevets européens.


75      En substance, concernant les conditions de brevetabilité de la nouveauté (article 54 de la CBE) et de l’activité inventive (article 56 de la CBE), il apparaît que la revendication (indépendante) pour A et la revendication (dépendante) pour A+B sont généralement appréciées comme un tout. Ainsi, la combinaison de A+B sera supposée nouvelle et inventive simplement parce que A l’est.


76      Voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, Santen (C-673/18, EU:C:2020:531, point 55).


77      Voir arrêts Actavis I (point 40) et Actavis II (point 35).


78      De telles stratégies d’« evergreening » pourraient être particulièrement néfastes pour la santé publique, en particulier. En effet, ainsi que l’a relevé l’avocat général Trstenjak dans ses conclusions dans les affaires jointes Medeva (C‑322/10 et C‑422/10, EU:C:2011:476, point 77), « [l]es systèmes nationaux de santé publique […] ont […] un intérêt particulier à empêcher que de vieux principes actifs ne soient mis sur le marché sous une forme légèrement modifiée, mais sans véritable propriété innovante, tout en bénéficiant de la protection d’un certificat et que cette pratique entraîne une augmentation des dépenses de santé ».


79      Voir Romandini, R. « Art. 3(a) SPC Regulation : An analysis of the CJEU’s ruling in Teva (C‑121/17) and a proposal for its implementation », Journal of Intellectual Property Law & Practice, Vol. 14, no 3, 2019, p. 230 à 251, en particulier p. 245.


80      Par exemple, dans la procédure au principal dans l’affaire C‑149/22, il apparaît que le premier CCP obtenu par Merck pour A lui a conféré une protection supplémentaire de trois ans et sept mois. En obtenant, par la suite, un second CCP pour A+B, Merck a bénéficié d’une année de protection supplémentaire.


81      Voir Romandini, R., précité, p. 245.


82      Voir exposé des motifs, point 16.


83      Précision sans objet pour la version française des conclusions.


84      Voir, en particulier, point 41 ci-dessus.

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