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Document 62021CJ0413

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 20 avril 2023.
Conseil de l'Union européenne contre Aisha Muammer Mohamed El-Qaddafi.
Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Libye – Liste des personnes et des entités auxquelles s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Liste des personnes faisant l’objet de restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union européenne – Maintien du nom de Mme El-Qaddafi sur les listes – Base factuelle suffisamment solide – Obligation de motivation.
Affaire C-413/21 P.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:306

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

20 avril 2023 (*)

« Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Libye – Liste des personnes et des entités auxquelles s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Liste des personnes faisant l’objet de restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union européenne – Maintien du nom de Mme El-Qaddafi sur les listes – Base factuelle suffisamment solide – Obligation de motivation »

Dans l’affaire C‑413/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 6 juillet 2021,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenu par :

République française, représentée par M. J.‑L. Carré, Mme A.‑L. Desjonquères et M. W. Zemamta, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

Aisha Muammer Mohamed El-Qaddafi, demeurant à Mascate (Oman), représentée par Mme S. Bafadhel, barrister,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, M. A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, le Conseil de l’Union européenne demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil (T‑322/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:206), par lequel celui-ci a annulé :

–        la décision d’exécution (PESC) 2017/497 du Conseil, du 21 mars 2017, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2017, L 76, p. 25) ;

–        la décision d’exécution (PESC) 2020/374 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 71, p. 14) ;

–        le règlement d’exécution (UE) 2017/489 du Conseil, du 21 mars 2017, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 5, du règlement (UE) 2016/44 du Conseil concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2017, L 76, p. 3), et

–        le règlement d’exécution (UE) 2020/371 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 5, du règlement (UE) 2016/44 du Conseil concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 71, p. 5),

(ci-après, ensemble, les « actes litigieux »), en ce que ces actes concernent Mme Aisha Muammer Mohamed El-Qaddafi (ci-après « Mme El-Qaddafi »).

 Le cadre juridique et les antécédents du litige

2        Le contexte factuel et juridique de l’espèce, tel qu’exposé aux points 1 à 27 de l’arrêt attaqué, peut être résumé comme suit.

 La résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations unies

3        Le 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1970 (2011), qui instaure des mesures restrictives à l’égard de la Libye et des personnes et des entités ayant participé à la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes, y compris à des attaques, en violation du droit international, contre des populations ou des installations civiles.

4        Les paragraphes 15, 17, 22 et 24 de cette résolution étaient ainsi libellés :

« Le Conseil de sécurité,

[...]

15.      Décide que tous les États Membres doivent prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des individus désignés dans l’annexe I à la présente résolution ou désignés par le Comité créé en application du paragraphe 24 ci‑après, étant entendu qu’aucune des dispositions du présent paragraphe n’oblige un État à refuser à ses propres nationaux l’entrée sur son territoire ;

[...]

17.      Décide que tous les États Membres doivent geler immédiatement tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques se trouvant sur leur territoire qui sont en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect des individus ou entités désignés dans l’annexe II à la présente résolution ou désignés par le Comité créé en application du paragraphe 24 ci-après, ou de tout individu ou entité agissant pour le compte ou sur les ordres de ceux-ci, ou de toute entité en leur possession ou sous leur contrôle, et décide en outre que tous les États Membres doivent veiller à empêcher que leurs nationaux ou aucune personne ou entité se trouvant sur leur territoire ne mettent à la disposition des individus ou entités désignés dans l’annexe II à la présente résolution ou aux individus désignés par le Comité aucuns fonds, avoirs financiers ou ressources économiques ;

[...]

22.      Décide que les mesures prévues aux paragraphes 15 et 17 s’appliquent aux individus et entités désignés par le Comité, conformément aux alinéas b) et c) du paragraphe 24, respectivement :

a)      Qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Jamahiriya arabe libyenne ou sont complices en la matière, y compris en préparant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, notamment des bombardements aériens, contre des populations ou des installations civiles, ou en étant complices en la matière ;

b)      Qui agissent pour des individus ou entités identifiés à l’alinéa a) ou en leur nom ou sur leurs instructions ;

[...]

24.      Décide de créer, conformément à l’article 28 de son règlement intérieur provisoire, un comité du Conseil de sécurité composé de tous ses membres [(ci-après “le Comité” ou le “comité des sanctions”)], qui s’acquittera des tâches ci-après :

a)      Suivre l’application des mesures prévues aux paragraphes 9, 10, 15 et 17 ci-dessus ;

b)      Désigner les personnes passibles des mesures prévues au paragraphe 15 [...] ci-dessus ;

c)      Désigner les personnes passibles des mesures prévues au paragraphe 17 ci‑dessus [...] »

5        Les listes figurant aux annexes I et II de ladite résolution, intitulées respectivement « Interdiction de voyager » et « Gel des avoirs », comportaient le nom de « Aisha Muammar Qadhafi », présentée comme étant la « [f]ille de Muammar QADHAFI » et en « [a]ssociation étroite avec le régime ».

 Le droit de l’Union

 La décision 2011/137/PESC et le règlement (UE) no 204/2011

6        Le 28 février 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/137/PESC, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 53).

7        L’article 5, paragraphe 1, de cette décision est libellé comme suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes inscrites sur la liste figurant à l’annexe I de la résolution 1970 (2011) du [Conseil de sécurité] ainsi que des personnes désignées par le Conseil de [s]écurité ou par le comité conformément au paragraphe 22 de la résolution 1970 (2011) [...], dont le nom figure à l’annexe I ;

[...] »

8        L’article 6, paragraphe 1, de ladite décision prévoit :

« Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle, direct ou indirect :

a)      des personnes et entités figurant sur la liste de l’annexe II de la résolution 1970 (2011) [...] et des autres personnes et entités désignées par le Conseil de sécurité ou le comité conformément au point 22 de la résolution 1970 (2011) [...], ou des individus ou entités agissant pour leur compte ou sur leurs ordres, ou d’entités se trouvant en leur possession ou sous leur contrôle, visés à l’annexe III ;

[...] »

9        Le 2 mars 2011, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 204/2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 1).

10      Conformément à l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement :

« Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III sont gelés. »

11      L’article 6, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :

« L’annexe II comprend les personnes physiques ou morales, entités et organismes désignés par le Conseil de sécurité […] ou par le comité des sanctions conformément au point 22 de la résolution 1970 (2011) [...] »

12      Le nom de Mme El-Qaddafi figure, respectivement, aux annexes I et III de la décision 2011/137 ainsi qu’à l’annexe II du règlement no 204/2011 (ci-après les « listes de 2011 »), avec les informations d’identification et la motivation suivantes :

« KADHAFI, Aisha Muammar

Date de naissance : 1978. Lieu de naissance : Tripoli, Libye.

Fille de Muammar KADHAFI. Association étroite avec le régime.

Date de désignation par les Nations unies : 26 [février] 2011 »

 Les décisions 2013/45/PESC et 2014/380/PESC ainsi que les règlements d’exécution (UE) no 50/2013 et (UE) no 689/2014

13      Le Conseil a, d’une part, le 22 janvier 2013, par la décision 2013/45/PESC, modifiant la décision 2011/137 (JO 2013, L 20, p. 60), ainsi que par le règlement d’exécution (UE) no 50/2013, mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 (JO 2013, L 20, p. 29), et, d’autre part, le 23 juin 2014, par la décision 2014/380/PESC, modifiant la décision 2011/137 (JO 2014, L 183, p. 52), et par le règlement d’exécution (UE) no 689/2014, mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 (JO 2014, L. 183, p. 1), maintenu le nom de Mme El-Qaddafi sur les listes de 2011, et ce sans que la motivation de l’inscription sur ces listes ait été modifiée.

14      Par son arrêt du 28 mars 2017, El-Qaddafi/Conseil (T‑681/14, non publié, EU:T:2017:227), le Tribunal a annulé la décision 2014/380 et le règlement d’exécution no 689/2014 en ce qu’ils maintenaient le nom de Mme El-Qaddafi sur les listes de 2011, au motif, en substance, que la condition selon laquelle le Conseil était tenu de porter à sa connaissance les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considérait que les mesures restrictives devaient être maintenues à son égard n’était pas remplie en l’espèce.

 La décision (PESC) 2015/818 et le règlement (UE) 2015/813

15      Le 4 mai 2015, le Conseil a envoyé une lettre aux représentants de Mme El-Qaddafi, accompagnée d’une série de documents (ci-après la « lettre du 4 mai 2015 »), lettre dans laquelle il relevait que, au cours des années 2011 et 2013, cette dernière avait effectué publiquement des déclarations appelant à renverser les autorités libyennes établies à la suite de la chute du régime instauré par son père et à venger la mort de ce dernier (ci-après les « déclarations litigieuses »).

16      Le 26 mai 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/818, modifiant la décision 2011/137 (JO 2015, L 129, p. 13), et le règlement (UE) 2015/813, modifiant le règlement no 204/2011 (JO 2015, L 129, p. 1), dans le but, notamment, d’élargir les critères de désignation des personnes et des entités devant faire l’objet de mesures restrictives énoncés dans la décision 2011/137 et dans le règlement no 204/2011 (ci-après les « actes de 2011 »).

 La décision (PESC) 2015/1333 et le règlement (UE) 2016/44

17      À la suite du réexamen des listes de 2011, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1333, du 31 juillet 2015, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant la décision 2011/137 (JO 2015, L 206, p. 34), ainsi que le règlement (UE) 2016/44, du 18 janvier 2016, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement no 204/2011 (JO 2016, L 12, p. 1).

18      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2015/1333 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes désignées et soumises à des restrictions en matière de déplacements par le Conseil de sécurité ou par le comité [des sanctions] conformément au paragraphe 22 de la résolution 1970 (2011) [...], dont le nom figure à l’annexe I. »

19      L’article 9, paragraphe 1, de cette décision dispose :

« Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle, direct ou indirect, des personnes et entités désignées et soumises à un gel des avoirs par le Conseil de sécurité ou par le comité [des sanctions] conformément au paragraphe 22 de la résolution 1970 (2011) [...], dont le nom figure à l’annexe III. »

20      L’article 5, paragraphe 1, du règlement 2016/44 prévoit :

« Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III sont gelés. »

21      Conformément à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement :

« L’annexe II comprend les personnes physiques ou morales, les entités et les organismes désignés par le Conseil de sécurité ou par le comité des sanctions conformément au paragraphe 22 de la [résolution] 1970 (2011) [...] »

22      L’annexe I de la décision 2015/1333, intitulée « Liste des personnes visées à l’article 8, paragraphe 1 », et son annexe III, intitulée « Liste des personnes et entités visées à l’article 9, paragraphe 1 », ainsi que l’annexe II du règlement 2016/44, intitulée « Liste des personnes physiques et morales, des entités ou des organismes visés à l’article 6, paragraphe 1 » (ci-après les « listes litigieuses »), comprennent le nom de Mme El-Qaddafi, accompagné des informations d’identification et de la motivation suivantes :

« Nom : Aïcha Mouammar Muhammed Abu Minyar Qadhafi

[...] Date de naissance : 1978[.] Lieu de naissance : Tripoli, Libye[.] Pseudonyme fiable : Aïsha Muhammed Abdul Salam [...] Adresse : Sultanat d’Oman (État/lieu présumé : Sultanat d’Oman)[.] Inscrite le : 26 février 2011[.] Renseignements divers : [I]nscrite en vertu des paragraphes 15 et 17 de la résolution 1970 [(2011)] (interdiction de voyager et gel des avoirs).

Informations supplémentaires

Association étroite avec le régime. A voyagé en violation du paragraphe 15 de la résolution 1970 [(2011)], comme le groupe d’experts sur la Libye l’a indiqué dans son rapport d’activité pour 2013. »

 La décision d’exécution 2017/497 et le règlement d’exécution 2017/489

23      Par la décision d’exécution 2017/497 et le règlement d’exécution 2017/489 (ci-après les « actes de 2017 »), le Conseil a maintenu le nom de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses, et ce avec les informations d’identification et la motivation suivantes :

« Nom : [...] Aisha [...] Muammar Muhammed [...] Abu Minyar [...] Qadhafi

[...] Date de naissance : 1978[.] Lieu de naissance : Tripoli, Libye[.] Pseudonyme fiable : Aisha Muhammed Abdul Salam [...] Adresse : Sultanate of Oman (État/lieu présumé : Sultanat d’Oman)[.] Date d’inscription : 26 février 2011 (modifications les 2 avril 2012, 21 mars 2013, 26 septembre 2014 et 11 novembre 2016)[.] Renseignements divers : Inscrite en application des paragraphes 15 et 17 de la résolution 1970 (2011) (interdiction de voyager, gel des avoirs). Notice spéciale INTERPOL-[Conseil de sécurité ;] site [Internet] : https://www.interpol.int/fr/notice/search/un/5525815 ».

24      Le 25 mars 2019, le Conseil a informé Mme El-Qaddafi qu’il avait adopté les actes de 2017 pour tenir compte des informations mises à jour par le comité des sanctions, comité créé en vertu du paragraphe 24 de la résolution 1970 (2011).

 La décision d’exécution 2020/374 et le règlement d’exécution 2020/371

25      Par la suite, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2020/374 et le règlement d’exécution 2020/371 (ci-après les « actes de 2020 »), par lesquels le nom de Mme El-Qaddafi a été maintenu sur les listes litigieuses, en substance pour les mêmes motifs que ceux figurant dans les actes de 2017.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 mai 2019, Mme El‑Qaddafi a introduit un recours contre les actes de 2017 en tant qu’ils maintenaient son nom sur les listes litigieuses, en invoquant quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation des formes substantielles afférentes au droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, d’une violation des principes d’autorité de la chose jugée et de sécurité juridique ainsi que du droit à un recours effectif, le troisième, d’une insuffisance de motivation de ces actes et d’un défaut de base factuelle justifiant le maintien de son nom sur ces listes, et, le quatrième, d’une violation disproportionnée de ses droits fondamentaux.

27      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 1er septembre 2020, Mme El-Qaddafi a demandé l’adaptation de sa requête pour obtenir également l’annulation des actes de 2020 dans la mesure où ces derniers maintenaient son nom sur lesdites listes.

28      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en se limitant à l’examen du troisième moyen, annulé les actes litigieux en tant qu’ils maintenaient le nom de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses.

29      S’agissant de la première branche de ce moyen, tirée d’un défaut de motivation des actes litigieux, le Tribunal l’a rejetée, aux points 81 à 89 de l’arrêt attaqué, au motif, en substance, que les indications figurant dans ces actes, auxquelles s’ajoutaient d’autres informations fournies par le Conseil, étaient suffisantes pour permettre à Mme El-Qaddafi, d’une part, de comprendre la raison pour laquelle son nom avait été maintenu sur ces listes et, d’autre part, de préparer la contestation desdits actes.

30      En revanche, le Tribunal a jugé, aux points 104 à 117 de l’arrêt attaqué, que la seconde branche dudit moyen, tirée d’un défaut de base factuelle justifiant le maintien du nom de Mme El-Qaddafi sur lesdites listes, était fondée.

31      En effet, le Tribunal a considéré que l’indication « [i]nscrite en application des paragraphes 15 et 17 de la résolution 1970 (2011) (interdiction de voyager, gel des avoirs) », figurant dans les actes litigieux, ne permettait pas de comprendre les raisons individuelles, spécifiques et concrètes pour lesquelles le nom de Mme El-Qaddafi avait été maintenu sur les listes litigieuses. Le Tribunal a ajouté que le Conseil s’était borné à renvoyer aux informations communiquées à Mme El-Qaddafi dans la lettre du 4 mai 2015, en particulier à celles concernant les déclarations litigieuses, sans préciser en quoi ces informations étaient encore d’actualité lors de l’adoption des actes litigieux. En effet, et alors que des changements étaient intervenus dans la situation individuelle de Mme El-Qaddafi depuis l’adoption des actes de 2011, celle-ci ne résidant plus en Libye et le dossier n’ayant fait état ni d’une quelconque participation de sa part à la vie politique libyenne ni de déclarations autres que les déclarations litigieuses, le Conseil n’aurait pas expliqué les raisons pour lesquelles celle-ci représentait toujours, au cours des années 2017 et 2020, une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région.

32      Enfin, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a maintenu les effets de l’article 1er de la décision d’exécution 2020/374 à l’égard de Mme El‑Qaddafi jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi était introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

33      Le Conseil demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de statuer définitivement sur les questions faisant l’objet du présent pourvoi et de rejeter le recours formé par Mme El-Qaddafi, et

–        de condamner Mme El-Qaddafi aux dépens dans le cadre du présent pourvoi et de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt attaqué.

34      Mme El-Qaddafi demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans son intégralité ;

–        de rejeter la demande subsidiaire du Conseil visant à maintenir les effets des actes de 2020 pendant une période de trois mois ;

–        de déclarer l’annulation des actes litigieux ex tunc, et

–        de condamner le Conseil aux dépens exposés dans le cadre du présent pourvoi et de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt attaqué.

35      Par décision du président de la Cour du 13 décembre 2021, la République française a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

 Sur le pourvoi

36      Le Conseil soulève quatre moyens à l’appui de son pourvoi, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation ainsi que d’une interprétation erronée de la décision 2015/1333, le deuxième, d’une interprétation erronée de cette décision et du règlement 2016/44, le troisième, d’une dénaturation de ses arguments, d’une interprétation erronée de ladite décision et de ce règlement ainsi que d’une violation du principe de la foi due aux actes de procédure et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), et, le quatrième, d’une dénaturation des éléments de preuve et d’une violation de l’article 263 TFUE, de l’article 47 de la Charte, de l’obligation de motivation ainsi que du principe de la foi due aux documents écrits et aux actes de procédure.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

37      Par la première branche de son premier moyen, le Conseil fait valoir que le Tribunal a violé l’article 47 de la Charte et l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 53, premier alinéa, de celui-ci, dès lors qu’il n’a pas satisfait à son obligation de motivation, le point 109 de l’arrêt attaqué étant en contradiction avec les points 87 et 88 de cet arrêt en ce qui concerne la question de savoir si Mme El-Qaddafi pouvait comprendre la raison pour laquelle son nom a été maintenu sur les listes litigieuses.

38      Par la deuxième branche de ce moyen, le Conseil avance que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant, sans justification, son argument important, résumé au point 97 de l’arrêt attaqué, selon lequel le Conseil a pris en compte, ainsi qu’il ressort du considérant 3 de la décision 2015/1333, le fait que la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays continuaient d’être mises en danger, notamment par l’exacerbation des divisions actuelles par des personnes et des entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par l’ancien régime de Muammar Qadhafi en Libye ou ayant été autrefois associées d’une autre manière à ce régime.

39      Par la troisième branche dudit moyen, le Conseil soutient que le Tribunal a, aux points 108 et 109 du même arrêt, interprété de manière erronée la décision 2015/1333, ces points reposant sur le postulat que cette institution s’est abstenue d’effectuer une quelconque évaluation de la situation de Mme El-Qaddafi depuis l’inscription initiale de son nom sur les listes de 2011. En effet, contrairement à ce qu’aurait prétendu le Tribunal, le dernier réexamen de la situation de Mme El-Qaddafi ne remonterait pas à l’année 2011, la décision 2015/1333 ayant été rendue après un examen approfondi et n’étant donc pas une simple consolidation de la décision 2011/137. Cet examen aurait été déclenché par les évènements importants survenus en Libye au cours de l’année 2015 et aurait porté sur la situation individuelle de personnes telles que Mme El-Qaddafi, autrefois associées au régime de Muammar Qadhafi, examen à l’issue duquel le Conseil aurait considéré que ces personnes continuaient de représenter une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye et pour la réussite de la transition politique dans ce pays.

40      Mme El-Qaddafi considère que le premier moyen est non fondé dans son intégralité.

 Appréciation de la Cour

41      S’agissant de la première branche du premier moyen, tirée d’une contradiction de motifs entachant l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal lui impose de faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement qu’il a suivi, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (arrêt du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, point 95 et jurisprudence citée).

42      Or, une motivation contradictoire ou inintelligible d’un arrêt du Tribunal équivaut à une absence de motivation (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2016, Debonair Trading Internacional/EUIPO, C‑537/14 P, non publié, EU:C:2016:814, point 36).

43      En l’occurrence, d’une part, le Tribunal a jugé, aux points 87 et 88 de l’arrêt attaqué, que « [Mme El-Qaddafi] a pu comprendre que son nom avait été maintenu sur les listes litigieuses en raison de son inscription, en vertu des paragraphes 15 et 17 de la résolution 1970 (2011), [des déclarations litigieuses] qui font partie du contexte dans lequel les actes [litigieux] s’inséraient et du fait que le Conseil jugeait ces mesures encore nécessaires » et que « [l]es indications figurant dans [ces] actes, [...] étaient donc suffisantes pour permettre à la requérante de se forger une opinion quant à la régularité [desdits] actes et de préparer la contestation de ceux-ci, ce qu’elle a valablement pu faire en l’espèce ». D’autre part, le Tribunal a constaté, au point 109 de cet arrêt, que « l’indication “[i]nscrite en application des paragraphes 15 et 17 de la résolution 1970 (2011) (interdiction de voyager, gel des avoirs)” ne permet pas de comprendre les raisons individuelles, spécifiques et concrètes pour lesquelles le nom de [Mme El-Qaddafi] a été maintenu sur [ces listes] le 21 mars 2017 et le 5 mars 2020 ».

44      Les points 87 et 88 de l’arrêt attaqué s’inscrivent dans le cadre de l’examen de la première branche du troisième moyen de première instance, tirée d’un défaut de motivation des actes litigieux, alors que le point 109 dudit arrêt concerne l’examen de la seconde branche de ce moyen, tirée d’un défaut de base factuelle suffisamment solide.

45      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application de mesures restrictives à l’égard de la personne concernée (arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 55 et jurisprudence citée).

46      Or, la formulation « ne permet pas de comprendre les raisons individuelles, spécifiques et concrètes pour lesquelles le nom de [Mme El‑Qaddafi] a été maintenu sur les listes litigieuses », employée par le Tribunal au point 109 de l’arrêt attaqué, est réservée à la vérification du point de savoir si l’obligation de motivation des actes litigieux a été respectée. En revanche, ainsi qu’il ressort du point précédent du présent arrêt, pour examiner si ces actes reposent sur une base factuelle suffisamment solide, il convient de s’assurer que l’exposé des motifs qui les sous-tend est étayé (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 116 et 119 ainsi que jurisprudence citée).

47      Toutefois, même si la formulation des points 87 et 88 de l’arrêt attaqué semble, à première vue, contredire celle du point 109 de cet arrêt, il convient de relever que, dans la mesure où ces points 87 et 88 figurent dans la réponse du Tribunal à la première branche du troisième moyen, tirée de l’insuffisance de motivation des actes, lesdits points 87 et 88 doivent être lus en ce sens que le Tribunal a considéré que le Conseil avait satisfait à son obligation de faire apparaître de façon claire et non équivoque son raisonnement. En revanche, ce point 109, qui figure dans la réponse à la seconde branche de ce troisième moyen, doit être compris, ensemble avec les points 110 à 116 de l’arrêt attaqué, en ce sens que le Tribunal a entendu souligner le fait que le Conseil n’avait pas satisfait à l’obligation qui lui incombe d’établir, en fournissant des éléments circonstanciés et individuels attestant la réalité des menaces qu’aurait fait peser Mme El-Qaddafi pour la paix et la sécurité internationales dans la région, le bien-fondé des motifs justifiant le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

48      Dans ces conditions, le Conseil ne saurait faire grief au Tribunal d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’une contradiction de motifs.

49      En ce que le Conseil reproche au Tribunal, par la deuxième branche de ce moyen, d’avoir rejeté, sans fournir de justification, son argumentation figurant au point 97 de l’arrêt attaqué, il ressort d’une jurisprudence constante que l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation du Tribunal pouvant donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil, C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 115 ainsi que jurisprudence citée).

50      Or, le point 109 de l’arrêt attaqué, lu conjointement avec le point 110 de celui-ci, permet au Conseil de comprendre les raisons pour lesquelles le Tribunal a estimé qu’il n’avait pas établi en quoi Mme El‑Qaddafi représentait une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région au cours des années 2017 et 2020 et, partant, les motifs pour lesquels il a rejeté, de manière implicite, l’argumentation du Conseil exposée au point 97 de cet arrêt.

51      S’agissant de la troisième branche du premier moyen, il convient de constater que celle-ci repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

52      En effet, contrairement à ce que le Conseil fait valoir, il ne ressort pas des points 108 et 109 de l’arrêt attaqué que le Tribunal serait parti de la prémisse selon laquelle le Conseil s’est abstenu d’effectuer une quelconque évaluation de la situation de Mme El‑Qaddafi depuis l’inscription initiale de son nom sur les listes de 2011. En effet, il ressort des points 107 à 116 de cet arrêt que le Tribunal a considéré que le Conseil n’avait pas établi que le maintien de ce nom sur les listes litigieuses au cours des années 2017 et 2020 reposait sur une base factuelle suffisamment solide.

53      En outre, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir jugé, au point 108 de l’arrêt attaqué, que la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44 avaient été adoptés « dans le but de consolider dans de nouveaux instruments juridiques les mesures restrictives imposées par les actes de 2011 ». En effet, il ressort clairement de cette formulation que le Tribunal a tenu compte du fait que la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44 étaient de nouveaux instruments juridiques abrogeant les actes de 2011 et que le nom de Mme El‑Qaddafi avait été inscrit sur les listes litigieuses par cette décision et ce règlement plutôt que de le maintenir sur les listes de 2011. De surcroît, le Tribunal a lui-même indiqué, aux points 15 et 16 de cet arrêt, que ladite décision et ledit règlement avaient été adoptés à la suite d’un réexamen complet de ces dernières listes.

54      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

55      Par la première branche de son deuxième moyen, le Conseil reproche au Tribunal d’avoir violé l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 1, de la décision 2015/1333 ainsi que l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2016/44, le point 109 de l’arrêt attaqué reposant sur une interprétation erronée de la base juridique du maintien, par les actes litigieux, du nom de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses. En effet, le Tribunal n’aurait prêté aucune attention, d’une part, aux annexes de la résolution 1970 (2011), auxquelles il est fait référence aux paragraphes 15 et 17 de cette résolution, annexes qui spécifient que Mme El-Qaddafi est la fille de Muammar Qadhafi et qu’elle était étroitement associée au régime, ni, d’autre part, au paragraphe 22 de ladite résolution, expressément mentionné dans la décision 2015/1333 et dans le règlement 2016/44, disposition qui précise à quels individus les mesures prévues à ces paragraphes 15 et 17 s’appliquent.

56      Par la seconde branche de ce moyen, le Conseil fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en faisant référence, aux points 110 et 115 de l’arrêt attaqué, au risque que Mme El-Qaddafi représentait pour « la paix et la sécurité internationales dans la région », puisque ce critère n’existe pas dans la base juridique de l’inscription d’un nom sur les listes litigieuses. En outre, le considérant 4 de ce règlement, cité par le Tribunal, ne concernerait pas les critères au regard desquels il convient d’apprécier la légalité des inscriptions individuelles sur ces listes.

57      Selon le Conseil, le Tribunal aurait dû évaluer la pertinence du maintien de ce nom sur lesdites listes au regard du critère de désignation défini au paragraphe 22 de la résolution 1970 (2011). En effet, il ressortirait de l’arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil (C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 104 et jurisprudence citée), qu’il y a lieu de tenir compte du texte et de l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité pour l’interprétation du règlement qui vise à mettre celle-ci en œuvre. Or, ce critère serait clairement satisfait à l’égard de ce maintien, Mme El‑Qaddafi pouvant, en raison des déclarations litigieuses, être considérée comme une personne qui ordonne ou dirige de toute autre manière la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye.

58      Mme El-Qaddafi est d’avis que le deuxième moyen est non fondé dans son intégralité.

 Appréciation de la Cour

59      S’agissant de la première branche du deuxième moyen, il y a lieu de constater que celle-ci repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

60      En effet, contrairement à ce que prétend le Conseil, le fait que le Tribunal a cité, au point 109 de cet arrêt, les motifs concernant Mme El‑Qaddafi figurant dans les listes litigieuses, à savoir la circonstance qu’elle soit « [i]nscrite en application des paragraphes 15 et 17 de la résolution 1970 (2011) », ne signifie pas qu’il ait omis de tenir compte des annexes de cette résolution et de son paragraphe 22 lorsqu’il a examiné si le maintien, par les actes litigieux, de son nom sur ces listes reposait sur une base factuelle suffisamment solide.

61      Au contraire, aux points 106 et 107 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que, si Mme El-Qaddafi avait initialement été inscrite sur les listes de 2011 au motif qu’elle était la fille de Muammar Qadhafi et qu’elle était en association étroite avec le régime, motifs correspondant à ceux figurant aux annexes de la résolution 1970 (2011), il appartenait au Conseil d’établir que le maintien de ce nom sur les listes litigieuses reposait sur une base factuelle suffisamment solide. De surcroît, il convient de constater que les paragraphes 15 et 17 de la résolution 1970 (2011), dispositions dont le Tribunal a tenu compte dans le cadre de l’examen de la base factuelle suffisamment solide de ce maintien, renvoient explicitement à ces annexes.

62      De même, le Tribunal a rappelé, au point 108 de cet arrêt, que les actes de 2011 avaient été adoptés « à l’encontre [...] des personnes et entités ayant participé à la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes, y compris à des attaques, en violation du droit international, contre des populations ou des installations civiles », ce qui correspond, en substance, aux critères de désignation visés par le paragraphe 22 de la résolution 1970 (2011).

63      Par conséquent, l’argumentation du Conseil selon laquelle le point 109 de l’arrêt attaqué repose sur une interprétation erronée du fondement juridique du maintien, par les actes litigieux, du nom de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses est non fondée.

64      Par la seconde branche du deuxième moyen, le Conseil fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il s’est efforcé de vérifier, aux points 110 et 115 de l’arrêt attaqué, si Mme El-Qaddafi représentait encore, lors de l’adoption des actes litigieux, un risque pour la paix et la sécurité internationales dans la région, au lieu de s’appuyer sur les critères de désignation figurant au paragraphe 22 de cette résolution.

65      À cet égard, il convient de rappeler que, s’agissant des actes portant maintien de l’inscription d’une personne sur des listes de gel de fonds, telles que les listes litigieuses, il ressort d’une jurisprudence constante que le juge de l’Union est tenu de vérifier, d’une part, le respect de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE et, partant, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués ainsi que, d’autre part, le point de savoir si ces motifs sont étayés, ce qui implique que ce juge s’assure, au titre du contrôle de la légalité au fond de ces motifs, que ces actes reposent sur une base factuelle suffisamment solide et vérifie les faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend lesdits actes (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 52 et jurisprudence citée).

66      Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 60 à 63 du présent arrêt, il découle du contexte dans lequel s’insèrent les points 110 et 115 de l’arrêt attaqué que le Tribunal ne s’est pas fondé sur un critère erroné pour vérifier la légalité des actes litigieux en ce qui concerne la décision de maintenir le nom de Mme El-Qaddafi sur ces listes aux mois de mars 2017 et 2020.

67      Cela est, du reste, corroboré par le fait que le Tribunal a constaté, au point 114 de cet arrêt, que plusieurs années s’étaient écoulées depuis que les déclarations litigieuses avaient été rapportées dans la presse et portées à la connaissance du Conseil, « sans que ce dernier avance la moindre indication quant aux raisons pour lesquelles le contenu [de ces] déclarations aurait attesté que [Mme El-Qaddafi] représentait encore une menace sanctionnée dans le cadre des objectifs de la résolution 1970 (2011), nonobstant les changements intervenus entre-temps concernant sa situation individuelle ».

68      À cet égard, il suffit de rappeler, d’une part, que, en cas de contestation, il appartient à l’autorité compétente de l’Union européenne d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’égard de la personne concernée et, d’autre part, qu’il importe, à cette fin, que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’égard de la personne concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122).

69      Or, force est de constater que le Conseil a omis de répondre à ces exigences. En effet, en raison, d’une part, de l’importance du laps de temps qui s’est écoulé entre les déclarations litigieuses ayant servi de fondement à l’inscription initiale de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses et l’adoption des actes litigieux ainsi que, d’autre part, des changements intervenus dans la situation individuelle de celle-ci, la décision du Conseil de maintenir le nom de Mme El-Qaddafi sur ces listes au cours des années 2017 et 2020, sur le seul fondement des éléments rappelés par le Tribunal au point 110 de l’arrêt attaqué, à savoir en particulier ces déclarations, sans que le Conseil ait précisé en quoi ces éléments auraient encore été d’actualité lors de l’adoption de ces actes, ne constituait pas une base suffisante pour fonder lesdits actes (voir en ce sens, par analogie, arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 85).

70      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

71      Par la première branche du troisième moyen, le Conseil soutient que le Tribunal, au point 113 de l’arrêt attaqué, a dénaturé ses arguments et violé le principe de la foi due aux actes de procédure, en lui prêtant à tort le propos selon lequel il n’aurait pas été tenu de préciser les raisons pour lesquelles les informations qui avaient été portées à sa connaissance étaient d’actualité au cours des années 2017 et 2020. Le Conseil indique qu’il a seulement précisé, en réponse à un argument avancé par Mme El-Qaddafi, qu’il avait pu s’appuyer sur les informations contenues dans la lettre du 4 mai 2015 lorsqu’il a adopté les actes litigieux.

72      La seconde branche de ce moyen est tirée de ce que le Tribunal aurait, à ce même point 113, interprété de manière erronée la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44 ainsi que violé l’article 47 de la Charte. En effet, il ne résulterait pas de cette décision, de ce règlement ou de l’obligation, au titre de cet article 47, de faire reposer une décision relative à l’adoption ou au maintien de mesures restrictives sur une base factuelle suffisamment solide que le Conseil serait soumis à l’obligation positive de préciser les raisons pour lesquelles les informations sur lesquelles il se fonde pour étayer les motifs de l’inscription du nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes et d’entités faisant l’objet de mesures restrictives sont d’actualité au moment de l’adoption de la décision de maintenir le nom de cette personne ou de cette entité sur une telle liste.

73      Selon Mme El-Qaddafi, le troisième moyen est irrecevable dès lors que les première et seconde branches du troisième moyen se contrediraient. En effet, le Conseil ferait valoir, d’une part, qu’il n’a pas affirmé qu’il n’était pas tenu de préciser les raisons pour lesquelles les informations qui avaient été portées à sa connaissance étaient d’actualité au cours des années 2017 et 2020 pour justifier le maintien du nom de Mme El‑Qaddafi sur les listes litigieuses et, d’autre part, qu’il n’est pas tenu par une obligation positive de préciser ces raisons. En tout état de cause, ce moyen serait non fondé.

 Appréciation de la Cour

74      Il convient de constater, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les arguments de Mme El-Qaddafi concernant l’irrecevabilité du troisième moyen, premièrement, que la première branche de ce moyen repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué dès lors qu’il ne ressort aucunement du point 113 de cet arrêt que le Tribunal aurait attribué au Conseil le propos selon lequel il n’était pas tenu de préciser les raisons pour lesquelles les informations qui avaient été portées à sa connaissance étaient encore d’actualité au cours des années 2017 et 2020. En effet, ce point, lu conjointement avec le point 112 dudit arrêt, comporte l’affirmation selon laquelle le rejet de l’argument de Mme El‑Qaddafi tiré de la violation de l’autorité de la chose jugée était dépourvue d’incidence sur l’obligation du Conseil de préciser ces raisons aux fins de justifier le maintien du nom de cette dernière sur les listes litigieuses.

75      Deuxièmement, s’agissant de la seconde branche dudit moyen, il convient de rappeler que le Conseil peut maintenir une personne sur la liste concernée s’il conclut à la persistance de la raison ayant justifié l’inscription initiale sur cette liste et que, à cet effet, le Conseil est tenu de vérifier si, depuis cette inscription initiale ou le précédent réexamen, la situation factuelle n’a pas changé de telle manière qu’elle ne permet plus de tirer la même conclusion. De surcroît, à la lumière du temps écoulé et en fonction de l’évolution des circonstances de l’espèce, le Conseil peut être tenu de fonder le maintien de cette personne sur ladite liste sur une appréciation actualisée de la situation, tenant compte d’éléments plus récents, démontrant que cette raison subsiste (voir en ce sens, par analogie, arrêts du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 54 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, points 49 et 51 ainsi que jurisprudence citée).

76      Il ressort de la jurisprudence issue des arrêts mentionnés au point précédent du présent arrêt que, pour maintenir le nom de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses, le Conseil devait vérifier si les informations sur lesquelles il s’était appuyé lors du dernier réexamen persistaient encore ou si, en revanche, la situation factuelle avait changé de telle manière qu’elle ne permettait plus de tirer la même conclusion, de sorte qu’il devait fonder ce maintien sur une appréciation actualisée de la situation, tenant compte d’éléments plus récents.

77      Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir jugé, au point 113 de l’arrêt attaqué, que le Conseil devait préciser les raisons pour lesquelles les informations qui avaient été portées à sa connaissance antérieurement à la date d’adoption des actes litigieux étaient encore d’actualité lors de l’adoption de ces derniers.

78      Eu égard aux éléments qui précédent, il convient de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

79      Par la première branche de son quatrième moyen, le Conseil fait valoir que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve et violé le principe de la foi due aux documents écrits et aux actes de procédure en ce qu’il s’est fondé, au point 115 de l’arrêt attaqué, sur les changements intervenus dans la situation individuelle de Mme El-Qaddafi concernant son lieu de résidence et sa prétendue absence de participation à la vie politique libyenne, pour juger que le Conseil n’avait pas démontré qu’elle représentait toujours, au cours des années 2017 et 2020, une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région.

80      D’une part, le fait que Mme El-Qaddafi ne résidait plus en Libye depuis son inscription sur les listes de 2011 serait dénué de pertinence puisque les actes litigieux auraient été fondés sur des faits postérieurs à cette inscription, à savoir sur les déclarations litigieuses. Par ailleurs, Mme El‑Qaddafi aurait quitté la Libye pour se rendre en Algérie au mois d’août 2011, de sorte que le Tribunal ne pouvait valablement considérer son départ de la Libye comme un changement intervenu dans sa situation individuelle postérieurement à la décision 2015/1333 et au règlement 2016/44. Ce départ aurait également été antérieur aux faits sur lesquels le Conseil s’est fondé pour adopter ces actes litigieux, la première déclaration de Mme El-Qaddafi datant du mois de septembre 2011.

81      D’autre part, s’agissant de la participation de Mme El-Qaddafi à la vie politique libyenne, le Conseil fait valoir que le Tribunal aurait dû tenir pleinement compte de la note verbale des autorités omanaises du 9 juin 2015 (ci-après la « note verbale des autorités omanaises »), laquelle révélait les raisons pour lesquelles Mme El-Qaddafi représentait toujours une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye ainsi que pour la réussite de la transition politique dans ce pays. En effet, il découlerait de cette note que l’autorisation de Mme El-Qaddafi de séjourner à Oman avait été subordonnée à son engagement de ne pas mener d’activités politiques. De même, le Conseil fait observer que les autorités omanaises avaient estimé que son séjour à Oman plutôt qu’à proximité immédiate de la Libye « contribuerait à apaiser les tensions dans la région » et, partant, que cette note verbale ne constituait clairement pas un élément de preuve à décharge qui aurait justifié qu’il ne maintînt pas son nom sur les listes litigieuses.

82      La deuxième branche du quatrième moyen est tirée d’une violation de l’obligation de motivation au titre de l’article 36 du statut de la Cour de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 53, premier alinéa, de celui-ci, en ce que le Tribunal aurait omis de répondre à l’argument du Conseil selon lequel la note verbale des autorités omanaises mettait en évidence que Mme El-Qaddafi représentait toujours une menace.

83      Par la troisième branche de ce moyen, le Conseil soutient que le Tribunal a méconnu les critères résultant de la jurisprudence de la Cour concernant l’effet du temps écoulé sur la pertinence des faits qu’il a invoqués. En effet, il ressortirait de l’arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 156), qu’il n’est pas exclu que des faits datant de dix ans puissent être considérés comme suffisants pour justifier l’inscription initiale du nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives. Or, en l’occurrence, la période qui s’est écoulée entre les faits qui lui sont imputés et les actes litigieux n’aurait été respectivement que de quatre et de sept ans.

84      Par la quatrième branche dudit moyen, le Conseil fait valoir que le Tribunal a violé l’article 263 TFUE et l’article 47 de la Charte en se fondant, au point 115 de l’arrêt attaqué, sur le fait que Mme El-Qaddafi ne résidait plus en Libye lorsqu’elle a fait les déclarations litigieuses pour en déduire que le Conseil n’avait pas expliqué la raison pour laquelle le maintien de son nom sur les listes litigieuses était toujours justifié, et ce alors qu’elle n’aurait invoqué aucun argument en ce sens. En effet, il pourrait être déduit de l’arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission (C‑609/13 P, EU:C:2017:46, points 30 à 33), que le contrôle de légalité que doit exercer le juge de l’Union conformément à l’article 263 TFUE est délimité par les moyens et les arguments soulevés par la partie requérante.

85      Mme El-Qaddafi considère que le quatrième moyen est irrecevable. En effet, tout d’abord, par les deux premières branches de ce moyen, le Conseil réitérerait, en violation de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un certain nombre d’arguments concernant la note verbale des autorités omanaises, déjà invoqués en première instance et rejetés par le Tribunal, de sorte que le Conseil devrait être regardé comme sollicitant en réalité un réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échapperait à la compétence de la Cour.

86      Ensuite, s’agissant de la troisième branche dudit moyen, Mme El‑Qaddafi soutient que l’argument du Conseil selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en méconnaissant les critères résultant de la jurisprudence concernant l’effet du temps écoulé sur la pertinence des faits invoqués par cette institution est soulevé pour la première fois au stade du pourvoi.

87      Enfin, dans la quatrième branche du même moyen, le Conseil interpréterait erronément les constatations factuelles du Tribunal figurant au point 115 dudit arrêt, dès lors que, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, cette juridiction n’aurait pas indiqué que les déclarations litigieuses ont été faites par Mme El-Qaddafi pendant qu’elle était en Libye, de sorte à constituer un changement de circonstances. En tout état de cause, le quatrième moyen serait non fondé.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

88      Tout d’abord, s’agissant des deux premières branches du quatrième moyen, il y a lieu de rappeler qu’un pourvoi qui se limite à reproduire les moyens et les arguments déjà présentés devant le Tribunal constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour. Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2022, Hermann Albers/Commission, C‑656/20 P, non publié, EU:C:2022:222, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).

89      En l’occurrence, par ces branches, le Conseil est d’avis, notamment, d’une part, que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve en ce qu’il s’est fondé sur les changements intervenus dans la situation individuelle de Mme El-Qaddafi concernant sa prétendue absence de participation à la vie politique libyenne, pour juger que le Conseil n’avait pas démontré qu’elle représentait toujours, au cours des années 2017 et 2020, une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région, alors qu’il conviendrait, à cet égard, de tenir compte de la note verbale des autorités omanaises, et, d’autre part, qu’il a violé l’obligation de motivation en ce qu’il aurait omis de répondre à l’argument du Conseil selon lequel cette note verbale mettait en évidence que Mme El-Qaddafi représentait toujours une telle menace.

90      Ainsi, contrairement à ce que fait valoir Mme El-Qaddafi concernant lesdites branches, le Conseil ne se limite pas à reproduire les moyens et les arguments qu’il a déjà présentés devant le Tribunal, puisqu’il dénonce les erreurs de droit dont est prétendument entaché le point 115 de l’arrêt attaqué.

91      Ensuite, s’agissant de la troisième branche du quatrième moyen, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant le Tribunal. En revanche, une argumentation qui vise à contester de manière circonstanciée l’interprétation et l’application faite par le Tribunal du droit de l’Union ne constitue pas un moyen nouveau dont la production au stade du pourvoi serait interdite (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, DK/SEAE, C‑851/19 P, EU:C:2021:607, points 35 et 36).

92      En l’occurrence, contrairement à ce que soutient Mme El-Qaddafi, le Conseil conteste, par cette branche, de manière circonstanciée l’application faite par le Tribunal de la jurisprudence qui découle de l’arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 156), concernant l’effet du temps écoulé sur la pertinence des faits invoqués par lui, de sorte que l’argumentation ainsi soulevée ne constitue pas un moyen nouveau dont la production au stade du pourvoi serait interdite.

93      Enfin, en ce que Mme El-Qaddafi soutient que la quatrième branche du quatrième moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué, il convient de constater que cet argument relève de l’appréciation sur le fond de la présente affaire (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2022, Parlement/Moi, C‑246/21 P, non publié, EU:C:2022:1026, point 71).

94      Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen est recevable dans son ensemble.

–       Sur le fond

95      Par la première branche du quatrième moyen, le Conseil avance que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve et qu’il a violé le principe de la foi due aux documents écrits et aux actes de procédure en ce qu’il s’est fondé, au point 115 de l’arrêt attaqué, sur les prétendus changements intervenus dans la situation individuelle de Mme El‑Qaddafi concernant son lieu de résidence et sa participation à la vie politique pour juger qu’il n’avait pas démontré qu’elle représentait toujours une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région au cours des années 2017 et 2020.

96      À cet égard, il résulte de l’article 256 TFUE ainsi que de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue dès lors pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre de l’examen d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit apparaître de manière manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 22 décembre 2022, Parlement/Moi, C‑246/21 P, non publié, EU:C:2022:1026, point 84 et jurisprudence citée).

97      Or, premièrement, si le Conseil soutient que le Tribunal ne pouvait valablement considérer le départ de Mme El-Qaddafi de la Libye comme un changement intervenu dans sa situation individuelle postérieurement à l’adoption de la décision 2015/1333 et du règlement 2016/44, puisque l’intéressée avait quitté ce pays pour se rendre en Algérie au mois d’août 2011, un tel argument repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, il ressort du point 115 de cet arrêt que le Tribunal s’est borné à constater que la situation de Mme El-Qaddafi avait changé dans la mesure où, depuis l’adoption des actes de 2011, elle ne résidait plus en Libye, ce qui correspond d’ailleurs aux faits de l’espèce puisque, comme le Conseil l’a relevé lui-même, Mme El-Qaddafi a quitté la Libye au mois d’août 2011, soit après l’adoption de ces actes de 2011.

98      Deuxièmement, c’est à tort que le Conseil fait grief au Tribunal d’avoir dénaturé les éléments de preuve en ce qu’il a constaté, au point 115 de l’arrêt attaqué, que le dossier ne faisait état ni d’une quelconque participation de Mme El-Qaddafi à la vie politique libyenne ni de déclarations autres que les déclarations litigieuses, alors que la note verbale des autorités omanaises avait révélé qu’elle représentait toujours une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye ainsi que pour la réussite de la transition politique dans ce pays au cours des années 2017 et 2020.

99      En effet, il découle de cette note verbale, d’une part, que les autorités omanaises ont estimé que le séjour de Mme El-Qaddafi à Oman plutôt qu’à proximité immédiate de la Libye contribuerait à apaiser les tensions dans la région ainsi qu’à éviter des risques potentiels pour sa sécurité et, d’autre part, qu’elle a respecté, à tous égards, son engagement consistant à ne pas mener d’activités politiques en Libye pendant la durée de son séjour à Oman.

100    Ainsi, contrairement à ce que prétend le Conseil, il ne saurait être déduit de ladite note verbale que Mme El-Qaddafi participait encore à la vie politique libyenne ou qu’elle avait fait des déclarations autres que les déclarations litigieuses.

101    En tout état de cause, la lecture que le Conseil fait de la note verbale des autorités omanaises, en ce sens que celle-ci révélerait que Mme El‑Qaddafi représentait, au cours des années 2017 et 2020, une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye, n’apparaît pas, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence exposée au point 96 du présent arrêt, de manière manifeste à la lecture de cette note verbale, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves.

102    Par ailleurs, en ce que le Conseil soutient que la note verbale des autorités omanaises ne constitue pas un élément de preuve à décharge qui aurait justifié qu’il ne maintienne pas le nom de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses, il suffit de rappeler, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 68 du présent arrêt, qu’il appartient à l’autorité compétente de l’Union d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’égard de la personne concernée, de sorte que le Conseil doit fournir une justification pour maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, et non lorsqu’il souhaite ne pas maintenir ce nom sur une telle liste.

103    Eu égard à ce qui précède, la première branche du quatrième moyen est non fondée.

104    S’agissant de la deuxième branche de ce moyen, tirée, en substance, d’une violation de l’obligation de motivation, en ce que le Tribunal aurait omis de répondre à l’argument du Conseil selon lequel la note verbale des autorités omanaises mettait en évidence que Mme El-Qaddafi représentait toujours une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région au cours des années 2017 et 2020, il suffit de constater que, en conformité avec la jurisprudence exposée aux points 41 et 49 du présent arrêt, le Tribunal a indiqué de manière suffisamment claire au point 115 de l’arrêt attaqué que le dossier du Tribunal, qui comprenait cette note verbale, ne faisait pas état d’une quelconque participation de Mme El-Qaddafi à la vie politique libyenne et que, malgré cette circonstance, le Conseil n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle représentait encore une telle menace.

105    En ce qui concerne la troisième branche dudit moyen, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir méconnu la jurisprudence de la Cour résultant de l’arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 156), en ce qu’il a jugé que les déclarations litigieuses n’étaient pas suffisantes pour justifier le maintien, par les actes litigieux, du nom de Mme El‑Qaddafi sur les listes litigieuses. En effet, et alors que le Conseil déduit de cette jurisprudence que ces déclarations devaient toujours être considérées comme des faits pertinents au cours des années 2017 et 2020, puisque la période qui s’est écoulée entre lesdites déclarations et les actes de 2017 et de 2020 n’a été respectivement que de quatre et de sept ans, il suffit de constater, d’une part, qu’il découle uniquement de ladite jurisprudence qu’il n’est pas exclu que des faits datant de dix ans puissent être considérés comme suffisants pour justifier l’inscription initiale d’un nom sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives et, d’autre part, qu’une telle appréciation doit être effectuée en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 33). Or, le Tribunal a, aux points 110 à 116 de l’arrêt attaqué, apprécié les circonstances particulières de la présente affaire et en a déduit que les actes litigieux étaient dépourvus de base factuelle suffisamment solide.

106    S’agissant de la quatrième branche du même moyen, il y a lieu de constater que, contrairement à ce qu’allègue le Conseil, il ne découle pas du point 115 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est fondé sur la circonstance que Mme El-Qaddafi ne résidait plus en Libye lorsqu’elle a fait les déclarations litigieuses pour en déduire que le Conseil n’avait pas justifié le maintien de son nom sur les listes litigieuses. En effet, il résulte de ce point, d’une part, que, depuis l’adoption des actes de 2011, elle ne résidait plus en Libye et, d’autre part, que le dossier ne faisait pas état d’une quelconque participation de sa part à la vie politique libyenne ni de déclarations autres que les déclarations litigieuses. Ainsi, à ce point 115, le Tribunal a tenu compte, en les distinguant, de ces deux circonstances différentes, à savoir la date de départ de la Libye et l’absence de participation à la vie politique libyenne de Mme El-Qaddafi.

107    En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, le contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous‑tend cette décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux, considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 33 et jurisprudence citée).

108    Dans ces conditions, le quatrième moyen doit être écarté.

109    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, aucun moyen n’ayant été accueilli, le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur le maintien des effets des actes de 2020

 Argumentation des parties

110    Le Conseil demande, dans l’hypothèse où la Cour confirmerait l’arrêt attaqué en ce qui concerne l’annulation des actes de 2020, que cette dernière ordonne le maintien des effets de ces actes à l’égard de Mme El‑Qaddafi, conformément à l’article 264, deuxième alinéa, TFUE, pendant une période de trois mois à compter de la date de prononcé du présent arrêt. En effet, selon le Conseil, qui se réfère à l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 373), l’annulation desdits actes avec effet immédiat serait susceptible de porter une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’ils imposent et que l’Union se doit de mettre en œuvre, dès lors que, dans l’intervalle précédant leur remplacement par de nouveaux actes, Mme El-Qaddafi pourrait prendre des mesures visant à éviter que des mesures de gel des fonds puissent encore lui être appliquées.

111    Mme El-Qaddafi conclut au rejet de la demande.

 Appréciation de la Cour

112    Aux termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

113    À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lors de l’examen se rapportant au maintien des effets d’un acte annulé, d’une part, il y a lieu de tenir compte du point de savoir si l’annulation de l’acte concerné avec effet immédiat serait susceptible de porter une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’impose cet acte et, d’autre part, il convient de vérifier si la légalité dudit acte est contestée non pas en raison de sa finalité ou de son contenu, mais pour des motifs d’incompétence de son auteur, de violation des formes substantielles ou d’une violation de principes applicables dans le cadre de la procédure suivie lors de l’adoption de ces mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, points 373 et 374, ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 175 ainsi que jurisprudence citée).

114    Or, en l’occurrence, d’une part, le Conseil n’a pas suffisamment étayé son argument selon lequel l’annulation avec effet immédiat des actes de 2020 serait susceptible de porter une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’imposent ces actes. En effet, la simple allégation générale selon laquelle Mme El-Qaddafi pourrait prendre des mesures visant à éviter que des mesures de gel des fonds puissent encore lui être appliquées, sans que le Conseil ne fournisse la moindre information ou explication supplémentaire pour étayer cette affirmation, ne saurait suffire à cette fin. D’autre part, ainsi qu’il ressort des points 30 et 45 du présent arrêt, lesdits actes ont été annulés non pas pour violation de la procédure suivie lors de l’adoption des mesures restrictives ni pour violation des formes substantielles, mais au motif qu’ils étaient dépourvus de base factuelle suffisamment solide justifiant le maintien du nom de Mme El-Qaddafi sur les listes litigieuses et, donc, en raison de l’appréciation de la légalité des mêmes actes sur le fond.

115    Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande du Conseil consistant à maintenir les effets des actes de 2020 pour une période de trois mois à compter de la date de prononcé du présent arrêt.

 Sur les dépens

116    Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

117    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

118    Le Conseil ayant succombé en ses moyens et Mme El-Qaddafi ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de condamner le Conseil aux dépens.

119    Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable, mutatis mutandis, à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République française, ayant participé à la procédure devant la Cour, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens et est condamné à supporter ceux exposés par Mme Aisha Muammer Mohamed El-Qaddafi.

3)      La République française supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.

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