Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62021CJ0354

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 9 mars 2023.
R.J.R. contre Registrų centras VĮ.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Certificat successoral européen – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 1er, paragraphe 2, sous l) – Champ d’application – Article 68 – Contenu du certificat successoral européen – Article 69, paragraphe 5 – Effets du certificat successoral européen – Bien successoral immobilier situé dans un État membre autre que celui de la succession – Inscription de ce bien immobilier dans le registre foncier de cet État membre – Exigences légales relatives à cette inscription prévues par le droit dudit État membre – Règlement d’exécution (UE) no 1329/2014 – Caractère obligatoire du formulaire V figurant à l’annexe 5 de ce règlement d’exécution.
Affaire C-354/21.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:184

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

9 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Certificat successoral européen – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 1er, paragraphe 2, sous l) – Champ d’application – Article 68 – Contenu du certificat successoral européen – Article 69, paragraphe 5 – Effets du certificat successoral européen – Bien successoral immobilier situé dans un État membre autre que celui de la succession – Inscription de ce bien immobilier dans le registre foncier de cet État membre – Exigences légales relatives à cette inscription prévues par le droit dudit État membre – Règlement d’exécution (UE) no 1329/2014 – Caractère obligatoire du formulaire V figurant à l’annexe 5 de ce règlement d’exécution »

Dans l’affaire C‑354/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie), par décision du 2 juin 2021, parvenue à la Cour le 4 juin 2021, dans la procédure

R. J. R.

contre

Registrų centras VĮ,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. D. Gratsias, M. Ilešič (rapporteur), I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2022,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement lituanien, par M. K. Dieninis et Mme V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, U. Bartl, M. Hellmann, R. Kanitz, P.‑L. Krüger et U. Kühne, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par M. I. Herranz Elizalde, en qualité d’agent,

pour le gouvernement français, par Mmes A. Daniel et A.‑C. Drouant, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hongrois, par Mme Z. Biró-Tóth et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. S. L. Kalėda et W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2022,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous l), et de l’article 69, paragraphe 5, du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JO 2012, L 201, p. 107).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant R. J. R. au Registrų centras VĮ (Centre des registres, Lituanie) au sujet de l’inscription, dans un registre foncier, d’un droit de propriété sur un bien successoral immobilier situé en Lituanie dont R. J. R. est l’héritier.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 650/2012

3

Les considérants 7, 8, 18, 67 et 71 du règlement no 650/2012 énoncent :

« (7)

Il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières. Dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

(8)

Afin d’atteindre ces objectifs, le présent règlement devrait regrouper les dispositions sur la compétence, la loi applicable, la reconnaissance – ou, le cas échéant, l’acceptation –, la force exécutoire et l’exécution des décisions, des actes authentiques et des transactions judiciaires ainsi que sur la création d’un certificat successoral européen.

[...]

(18)

Les exigences relatives à l’inscription dans un registre d’un droit immobilier ou mobilier devraient être exclues du champ d’application du présent règlement. Par conséquent, c’est la loi de l’État membre dans lequel le registre est tenu (pour les biens immeubles, la lex rei sitae) qui devrait définir les conditions légales et les modalités de l’inscription, et déterminer quelles sont les autorités, telles que les responsables des cadastres ou les notaires, chargées de vérifier que toutes les exigences sont respectées et que les documents présentés ou établis sont suffisants ou contiennent les informations nécessaires. En particulier, les autorités peuvent vérifier que le droit du défunt sur les biens successoraux mentionnés dans le document présenté pour inscription est un droit qui est inscrit en tant que tel dans le registre ou qui a été attesté d’une autre manière conformément au droit de l’État membre dans lequel le registre est tenu. Afin d’éviter la duplication des documents, les autorités chargées de l’inscription devraient accepter les documents rédigés par les autorités compétentes d’un autre État membre, dont la circulation est prévue par le présent règlement. En particulier, le certificat successoral européen délivré en vertu du présent règlement devrait constituer un document valable pour l’inscription de biens successoraux dans le registre d’un État membre. Cela ne devrait pas empêcher les autorités chargées de l’inscription de solliciter de la personne qui demande l’inscription de fournir les informations supplémentaires ou présenter les documents complémentaires exigés en vertu du droit de l’État membre dans lequel le registre est tenu, par exemple les informations ou les documents concernant le paiement d’impôts. L’autorité compétente peut indiquer à la personne demandant l’inscription la manière dont elle peut se procurer les informations ou les documents manquants.

[...]

(67)

Afin de régler de manière rapide, aisée et efficace une succession ayant une incidence transfrontière au sein de l’Union [européenne], les héritiers, les légataires, les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession devraient être à même de prouver facilement leur statut et/ou leurs droits et pouvoirs dans un autre État membre, par exemple dans un État membre où se trouvent des biens successoraux. À cette fin, le présent règlement devrait prévoir la création d’un certificat uniforme, le certificat successoral européen (ci-après dénommé “certificat”) qui serait délivré en vue d’être utilisé dans un autre État membre. Afin de respecter le principe de subsidiarité, ce certificat ne devrait pas se substituer aux documents internes qui peuvent exister à des fins similaires dans les États membres.

[...]

(71)

Le certificat devrait produire les mêmes effets dans tous les États membres. Il ne devrait pas être, en tant que tel, un titre exécutoire mais devrait avoir une force probante et il devrait être présumé attester fidèlement de l’existence d’éléments qui ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession ou en vertu de toute autre loi applicable à des éléments spécifiques, tels que la validité au fond des dispositions à cause de mort. La force probante du certificat ne devrait pas s’étendre aux éléments qui ne sont pas régis par le présent règlement comme la question de l’affiliation ou la question de l’appartenance d’un actif donné au défunt. [...] »

4

L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose :

« 1.   Le présent règlement s’applique aux successions à cause de mort. Il ne s’applique pas aux matières fiscales, douanières et administratives.

2.   Sont exclus du champ d’application du présent règlement :

[...]

k)

la nature des droits réels ; et

l)

toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, y compris les exigences légales applicables à une telle inscription, ainsi que les effets de l’inscription ou de l’absence d’inscription de ces droits dans un registre. »

5

Le chapitre VI dudit règlement, intitulé « Certificat successoral européen », comporte les articles 62 à 73 de celui-ci.

6

Aux termes de l’article 62 du même règlement, intitulé « Création d’un certificat successoral européen » :

« 1.   Le présent règlement crée un certificat successoral européen (ci-après dénommé “certificat”), qui est délivré en vue d’être utilisé dans un autre État membre et produit les effets énumérés à l’article 69.

2.   Le recours au certificat n’est pas obligatoire.

3.   Le certificat ne se substitue pas aux documents internes utilisés à des fins similaires dans les États membres. Toutefois, dès lors qu’il est délivré en vue d’être utilisé dans un autre État membre, le certificat produit également les effets énumérés à l’article 69 dans l’État membre dont les autorités l’ont délivré en vertu du présent chapitre. »

7

L’article 63 du règlement no 650/2012, intitulé « Finalité du certificat », est libellé comme suit :

« 1.   Le certificat est destiné à être utilisé par les héritiers [...] qui, dans un autre État membre, doivent respectivement invoquer leur qualité ou exercer leurs droits en tant qu’héritiers [...]

2.   Le certificat peut être utilisé, en particulier, pour prouver un ou plusieurs des éléments suivants :

a)

la qualité et/ou les droits de chaque héritier ou, selon le cas, de chaque légataire mentionné dans le certificat et la quote-part respective leur revenant dans la succession ;

b)

l’attribution d’un bien déterminé ou de plusieurs biens déterminés faisant partie de la succession à l’héritier/aux héritiers ou, selon le cas, au(x) légataire(s) mentionné(s) dans le certificat ;

[...] »

8

L’article 67 de ce règlement, intitulé « Délivrance du certificat », énonce, à son paragraphe 1 :

« L’autorité émettrice délivre sans délai le certificat conformément à la procédure fixée dans le présent chapitre lorsque les éléments à certifier ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession ou de toute autre loi applicable à des éléments spécifiques. Elle utilise le formulaire établi conformément à la procédure consultative visée à l’article 81, paragraphe 2. »

9

L’article 68 du même règlement, intitulé « Contenu du certificat », dispose :

« Le certificat comporte les informations suivantes dans la mesure où elles sont nécessaires à la finalité pour laquelle il est délivré :

[...]

l)

la part revenant à chaque héritier et, le cas échéant, la liste des droits et/ou des biens revenant à un héritier déterminé ;

[...] »

10

L’article 69 du règlement no 650/2012, intitulé « Effets du certificat », prévoit :

« 1.   Le certificat produit ses effets dans tous les États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

2.   Le certificat est présumé attester fidèlement l’existence d’éléments qui ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession ou en vertu de toute autre loi applicable à des éléments spécifiques. La personne désignée dans le certificat comme étant l’héritier, [...] est réputée avoir la qualité mentionnée dans ledit certificat et/ou les droits ou les pouvoirs énoncés dans ledit certificat sans que soient attachées à ces droits ou à ces pouvoirs d’autres conditions et/ou restrictions que celles qui sont énoncées dans le certificat.

[...]

5.   Le certificat constitue un document valable pour l’inscription d’un bien successoral dans le registre pertinent d’un État membre, sans préjudice de l’article 1er, paragraphe 2, points k) et l). »

Le règlement d’exécution (UE) no 1329/2014

11

L’article 1er, paragraphe 5, du règlement d’exécution (UE) no 1329/2014 de la Commission, du 9 décembre 2014, établissant les formulaires mentionnés dans le règlement no 650/2012 (JO 2014, L 359, p. 30), énonce :

« Le formulaire à utiliser pour le certificat successoral européen, visé à l’article 67, paragraphe 1, du règlement [no 650/2012], est le formulaire V qui figure à l’annexe 5. »

12

Ce formulaire V, figurant à l’annexe 5 de ce règlement d’exécution, indique les annexes qui peuvent être incluses dans le certificat successoral européen. Au nombre de ces annexes figure l’annexe IV, intitulée « Statut et droits du ou des héritiers ».

13

Le point 9 de cette annexe IV contient la mention « Bien(s) attribué(s) à l’héritier et pour lesquels une certification est demandée (veuillez préciser le ou les biens et indiquer tous les éléments d’identification pertinents) ».

Le droit lituanien

14

Le Lietuvos Respublikos nekilnojamojo turto registro įstatymas Nr. I‑1539 (loi de la République de Lituanie no I‑1539, sur le registre foncier), du 24 septembre 1996 (Žin., 1996, no 100-2261), telle que modifiée par la loi no XII-1833, du 23 juin 2015 (ci‑après la « loi sur le registre foncier »), dispose, à son article 5, paragraphe 2, que l’organisme tenant le registre foncier répond, conformément à la loi, de l’exactitude et de la protection des données rassemblées dans ce registre. Selon cette disposition, cet organisme répond uniquement de ce que les données inscrites dans ledit registre sont conformes aux documents sur la base desquels l’inscription dans le même registre a eu lieu.

15

L’article 22 de cette loi régit les bases juridiques de l’inscription dans le registre foncier de droits réels immobiliers, de limitations de tels droits et de faits juridiques. Il dresse la liste des documents attestant de la naissance de droits réels immobiliers ou de faits juridiques, sur la base desquels ces droits, leurs limitations ou ces faits juridiques sont inscrits dans le registre foncier, en énumérant, notamment, les décisions des autorités publiques, les arrêts, les jugements, les ordonnances et les décisions des tribunaux ainsi que les certificats d’hérédité.

16

L’article 23 de ladite loi définit les modalités de dépôt des demandes d’inscription de droits réels immobiliers, de limitations de tels droits et de faits juridiques. Il prévoit, à son paragraphe 2, que la demande doit être accompagnée de documents attestant de la naissance du droit réel, de la limitation de ce droit ou du fait juridique dont l’inscription est demandée. Cet article 23, paragraphe 3, précise que les documents sur la base desquels des droits réels immobiliers, des limitations de tels droits ainsi que des faits juridiques sont certifiés, naissent, prennent fin, sont cédés ou limités doivent répondre aux exigences légales et contenir les informations nécessaires à l’inscription dans le registre foncier. En vertu dudit article 23, paragraphe 4, les documents sur la base desquels il est demandé de procéder à cette inscription doivent être lisibles et comprendre les prénoms et les noms entiers, les dénominations, les adresses, les numéros d’identification des personnes concernées par ladite inscription ainsi que le numéro unique de l’immeuble concerné, attribué conformément au Lietuvos Respublikos nekilnojamojo turto kadastro nuostatai (statut du cadastre immobilier de la République de Lituanie).

17

Selon l’article 29 de la loi sur le registre foncier, l’organisme tenant le registre foncier refuse d’inscrire dans ce registre des droit réels immobiliers, des limitations de tels droits et des faits juridiques s’il constate, au cours de l’examen de la demande d’inscription, que le document présenté à l’appui de cette demande ne répond pas aux exigences de cette loi ou que ladite demande ou le document fourni à cet organisme ne contient pas les informations, visées par le Nekilnojamojo turto registro nuostatai (statut du registre foncier), nécessaires pour identifier le bien immobilier ou les acquéreurs du droit réel immobilier.

18

Le statut du registre foncier, adopté par le Lietuvos Respublikos vyriausybės nutarimas Nr. 379 « Dėl Nekilnojamojo turto registro nuostatų patvirtinimo » (décret du gouvernement de la République de Lituanie no 379, portant approbation du règlement sur le registre des biens immobiliers), du 23 avril 2014 (TAR, 2014, no 2014-4930), précise, à son point 14.2.2, que les informations identifiant un bien immobilier sont la localité cadastrale, la section cadastrale, le numéro cadastral de la parcelle, le numéro unique (numéro d’identification) de la parcelle, le numéro unique (numéro d’identification) du bâtiment et le numéro unique (numéro d’identification) de l’appartement ou du local.

Le litige au principal et la question préjudicielle

19

Le requérant au principal, R. J. R., réside en Allemagne.

20

Le 6 décembre 2015, la mère de celui-ci (ci-après la « défunte »), dont la résidence habituelle se trouvait alors également en Allemagne, est décédée. Le requérant au principal, unique héritier de celle-ci, a accepté sans réserve la succession de la défunte en Allemagne. Il s’est adressé à la juridiction allemande compétente afin d’obtenir un certificat successoral européen, car cette succession comprenait des biens situés non seulement en Allemagne, mais également en Lituanie.

21

Le 24 septembre 2018, l’Amtsgericht Bad Urach (tribunal de district de Bad Urach, Allemagne) a délivré au requérant au principal, d’une part, le certificat d’hérédité no 1 VI 174/18, dans lequel il était indiqué que G. R., qui était décédé le 10 mai 2014, avait laissé son patrimoine à la défunte, son unique héritière, et, d’autre part, le certificat successoral européen no 1 VI 175/18, dans lequel il était indiqué que la défunte avait laissé son patrimoine au requérant au principal, qui était son unique héritier et acceptait la succession sans réserve.

22

Le 15 mars 2019, le requérant au principal a introduit une demande auprès du centre des registres, l’organisme étatique chargé, notamment, de tenir le cadastre et le registre foncier en Lituanie, afin de faire inscrire dans ce registre son droit de propriété sur les biens immobiliers ayant appartenu à la défunte en Lituanie. À l’appui de sa demande, il a présenté le certificat d’hérédité et le certificat successoral européen mentionnés au point précédent.

23

Par une décision du 20 mars 2019, la section de Tauragė du département « Registre foncier » du service de tenue des registres de biens du centre des registres a rejeté cette demande, au motif que ce certificat successoral européen ne contenait pas les informations nécessaires à l’identification du bien immobilier prévues par la loi sur le registre foncier, à savoir qu’il n’indiquait pas les biens hérités par le requérant au principal.

24

Ce dernier a formé une réclamation contre cette décision de rejet devant la commission d’examen des litiges du bureau d’enregistrement central du centre des registres, qui, par une décision du 9 mai 2019, a confirmé ladite décision de rejet.

25

Le requérant au principal a introduit un recours contre ces décisions devant le Regionų apygardos administracinio teismo Klaipėdos rūmai (section de Klaipėda du tribunal administratif régional des régions, Lituanie), qui, par un jugement du 30 décembre 2019, a rejeté ce recours comme étant non fondé.

26

Le requérant au principal a interjeté appel de ce jugement devant le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie), la juridiction de renvoi. Celle-ci considère que le litige dont elle est saisie soulève des questions relatives à l’interprétation du règlement no 650/2012.

27

Cette juridiction fait observer que, en vertu de l’article 69, paragraphe 5, du règlement no 650/2012, le certificat successoral européen constitue un document valable pour l’inscription d’un bien successoral dans le registre pertinent d’un État membre, sans préjudice de l’article 1er, paragraphe 2, sous k) et l), de ce règlement, c’est-à-dire que ce certificat est sans incidence sur l’application de cet l’article 1er, paragraphe 2, sous l). Selon ladite juridiction, cette dernière disposition, qui exclut du champ d’application dudit règlement toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, implique que l’obtention d’un certificat successoral européen n’a pas en soi pour effet de rendre inapplicables les conditions d’inscription dans le registre foncier, fixées par le droit de l’État membre dans lequel le bien est situé.

28

À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que, en Lituanie, les documents pouvant servir de base à l’inscription de droits réels immobiliers dans le registre sont énumérés à l’article 22 de la loi sur le registre foncier et que l’article 23, paragraphes 2 à 4, de cette loi précise de façon impérative quelles informations et données ces documents doivent certifier. Le centre des registres agirait uniquement en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, laquelle ne lui reconnaît pas celui de constater lui-même la portée des droits de propriété ni celui de rassembler des informations et des preuves attestant l’existence ou non de certains faits.

29

Cette juridiction indique que, par conséquent, en application des normes du droit lituanien, les informations nécessaires à l’inscription dans le registre foncier peuvent uniquement être fournies dans les documents énumérés à l’article 22 de la loi sur le registre foncier et que, lorsque les informations fournies sont incomplètes, le centre des registres n’a pas le pouvoir de tenir compte d’informations autres que celles contenues dans ces documents.

30

Ladite juridiction ajoute que, pour pouvoir produire ses effets, un certificat successoral européen doit être établi en utilisant le formulaire V figurant à l’annexe 5 du règlement d’exécution no 1329/2014. Par conséquent, si les informations visées par les dispositions applicables du règlement no 650/2012 ainsi que du règlement d’exécution no 1329/2014 sont fournies dans le certificat successoral européen, celui-ci serait considéré en Lituanie comme étant un document valable sur la base duquel la dévolution du bien serait inscrite dans le registre foncier, comme le prévoit l’article 69, paragraphe 5, du règlement no 650/2012.

31

La juridiction de renvoi constate que le certificat successoral européen en cause au principal a été établi en utilisant ce formulaire V et qu’il comporte l’annexe IV dudit formulaire, certifiant le statut et les droits de l’héritier. Elle ajoute toutefois que, au point 9 de cette annexe IV, aucune information n’a été fournie afin d’identifier le ou les biens attribués à l’héritier pour lesquels une certification était demandée.

32

Cette juridiction relève qu’il découle des arguments avancés par le requérant au principal ainsi que de la jurisprudence des juridictions allemandes qu’il cite que ce n’est pas par inadvertance que l’autorité ayant délivré ce certificat successoral européen a omis de fournir ces informations. Le requérant au principal ferait valoir, notamment, que le droit des successions allemand est régi par le principe de la succession à titre universel et que, par conséquent, selon ce droit, lorsqu’il y a un seul bénéficiaire, celui-ci recueille l’intégralité du patrimoine du défunt et il n’est pas possible d’indiquer ou de désigner de quelque manière que ce soit les biens successoraux. Ainsi, selon lui, conformément à une jurisprudence constante, les juridictions allemandes laisseraient alors inappliqué l’article 68, paragraphe 1, du règlement no 650/2012, qui dispose que le certificat successoral européen indique la part revenant à chaque héritier et, le cas échéant, la liste des droits et/ou des biens revenant à un héritier déterminé.

33

Compte tenu des objectifs poursuivis par la création du certificat successoral européen et, en particulier, de celui que les successions ayant des incidences transfrontières au sein de l’Union soient réglées de manière rapide, aisée et efficace, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous l), et de l’article 69, paragraphe 5, du règlement no 650/2012, notamment en ce qui concerne l’articulation entre ces dispositions et celles du droit national de l’État membre dans lequel est situé le bien successoral en cause régissant les conditions relatives à l’inscription d’un droit de propriété dans le registre foncier.

34

Dans ces conditions, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 1er, paragraphe 2, sous l), et l’article 69, paragraphe 5, du règlement [no 650/2012] en ce sens qu’ils ne font pas obstacle à des dispositions du droit de l’État membre dans lequel est situé l’immeuble en cause en vertu desquelles un droit de propriété peut être inscrit [dans le] registre foncier sur la base d’un certificat successoral européen uniquement si toutes les informations nécessaires à cette inscription sont indiquées dans ce certificat ? »

Sur la question préjudicielle

35

En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la demande du requérant au principal de faire inscrire au registre foncier lituanien son droit de propriété sur un bien situé en Lituanie a été rejetée au motif que le certificat successoral européen présenté à l’appui de cette demande ne contenait pas d’informations relatives à ce bien. Dans ces conditions, afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de reformuler la question posée afin que celle‑ci porte également sur l’article 68 du règlement no 650/2012, cet article concernant précisément, ainsi qu’il ressort de l’intitulé même de celui‑ci, le contenu d’un tel certificat. En effet, selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2021, Governor of Cloverhill Prison e.a., C‑479/21 PPU, EU:C:2021:929, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

36

Ainsi, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous l), l’article 68, sous l), et l’article 69, paragraphe 5, du règlement no 650/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre prévoyant que la demande d’inscription d’un bien immobilier dans le registre foncier de cet État membre peut être rejetée lorsque le seul document présenté à l’appui de cette demande est un certificat successoral européen qui n’identifie pas ce bien immobilier.

37

Il convient de rappeler d’emblée que l’article 1er du règlement no 650/2012, après avoir défini, à son paragraphe 1, le champ d’application de ce règlement, énumère de manière exhaustive, à son paragraphe 2, les matières exclues de ce champ d’application, au nombre desquelles figure, à cet article 1er, paragraphe 2, sous l), « toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, y compris les exigences légales applicables à une telle inscription, ainsi que les effets de l’inscription ou de l’absence d’inscription de ces droits dans un registre ».

38

L’article 69, paragraphe 5, du règlement no 650/2012 dispose qu’un certificat successoral européen constitue un document valable pour l’inscription d’un bien successoral dans le registre pertinent d’un État membre, sans préjudice de l’article 1er, paragraphe 2, sous k) et l), de ce règlement. Pour sa part, l’article 68 dudit règlement prévoit que ce certificat comporte certaines informations dans la mesure où elles sont nécessaires à la finalité pour laquelle il est délivré et, notamment, conformément à cet article 68, sous l), la part revenant à chaque héritier et, le cas échéant, la liste des droits et/ou des biens revenant à un héritier déterminé.

39

Ainsi, afin d’apprécier si l’obligation de faire figurer, dans un certificat successoral européen, une liste des biens revenant à l’héritier concerné, telle que prévue à l’article 68, sous l), du règlement no 650/2012, s’impose à l’autorité émettrice d’un tel certificat non seulement dans le cas d’une succession concernant de nombreux héritiers, mais également dans le cas d’une succession impliquant un seul et unique héritier, tel que celle en cause au principal, il convient d’interpréter cet article 68, sous l), à la lumière de l’articulation entre l’article 1er, paragraphe 2, sous l), et l’article 69, paragraphe 5, de ce règlement, et ce au regard du cadre général dans lequel ces dispositions s’inscrivent.

40

À cet égard, il convient de rappeler que le certificat successoral européen constitue un instrument autonome de droit de l’Union dont l’utilisation et les effets sont réglementés de manière détaillée dans les dispositions du règlement no 650/2012. En particulier, la Cour a déjà précisé que ce certificat, qui a été créé par ce règlement, jouit d’un régime juridique autonome, établi par les dispositions du chapitre VI dudit règlement (arrêt du 21 juin 2018, Oberle, C‑20/17, EU:C:2018:485, point 46).

41

Les dispositions du règlement no 650/2012 mentionnées au point 39 du présent arrêt doivent être interprétées à la lumière des objectifs poursuivis par ce dernier, qui vise, ainsi qu’il ressort de ses considérants 7 et 8, à aider les héritiers et les légataires, les autres personnes proches du défunt ainsi que les créanciers de la succession à faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontalières ainsi qu’à permettre aux citoyens de l’Union de préparer leur succession (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Oberle, C‑20/17, EU:C:2018:485, point 49).

42

C’est dans cette perspective que, par le règlement no 650/2012, le législateur de l’Union a créé le certificat successoral européen, qui a pour objet, selon le considérant 67 de ce règlement, de permettre, notamment, aux héritiers de prouver facilement leur statut et/ou leurs droits et leurs pouvoirs dans un autre État membre afin de régler de manière rapide, aisée et efficace une succession ayant une incidence transfrontière au sein de l’Union.

43

À cet égard, l’article 63, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 précise que le certificat successoral européen est destiné à être utilisé, notamment, par les héritiers qui, dans un autre État membre, doivent invoquer leur qualité ou exercer leurs droits en tant qu’héritiers. Conformément à cet article 63, paragraphe 2, sous a) et b), ce certificat peut être utilisé, en particulier, pour prouver la qualité et/ou les droits de chaque héritier mentionné dans ledit certificat ainsi que l’attribution d’un bien déterminé ou de plusieurs biens déterminés faisant partie de la succession à l’héritier/aux héritiers.

44

S’agissant des effets du certificat successoral européen, ainsi qu’il ressort de l’article 69, paragraphe 1, et du considérant 71 du règlement no 650/2012, ce certificat devrait produire les mêmes effets dans tous les États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. Conformément à l’article 69, paragraphe 2, de ce règlement, ledit certificat est présumé attester fidèlement l’existence d’éléments qui ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession ou en vertu de toute autre loi applicable à des éléments spécifiques. La personne désignée dans le certificat comme étant l’héritier est réputée avoir la qualité mentionnée dans ce certificat et/ou les droits ou les pouvoirs énoncés dans ledit certificat sans que soient attachées à ces droits ou à ces pouvoirs d’autres conditions et/ou restrictions que celles qui sont énoncées dans le même certificat. Ainsi, dès lors qu’un certificat successoral européen est délivré à un héritier dans l’État membre de la résidence habituelle du défunt, cet héritier peut l’utiliser dans les autres États membres où se situent des biens du défunt.

45

S’agissant, en particulier, d’un cas de figure où le certificat successoral européen est présenté comme le document sur le fondement duquel l’enregistrement d’un bien immeuble hérité est demandé, il importe de souligner que l’article 68 du règlement no 650/2012 prévoit un minimum d’informations devant figurer dans ce certificat. Or, le contenu de ce dernier est susceptible de varier d’un cas à l’autre, en fonction des finalités pour lesquelles il est délivré.

46

À cet égard, il convient de préciser que, conformément à l’article 67, paragraphe 1, du règlement no 650/2012 et ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’autorité émettrice doit obligatoirement utiliser le formulaire V, prévu à l’annexe 5 du règlement d’exécution no 1329/2014, aux fins de délivrer ledit certificat (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2019, Brisch, C‑102/18, EU:C:2019:34, point 30).

47

Cela étant, il convient également de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 38 du présent arrêt, l’article 69, paragraphe 5, du règlement no 650/2012 dispose qu’un certificat successoral européen constitue un document valable pour l’inscription d’un bien successoral dans le registre pertinent d’un État membre, sans préjudice, notamment, de l’article 1er, paragraphe 2, sous l), de ce règlement, cette dernière disposition énonçant, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, que toute inscription dans un registre de droits immobiliers ou mobiliers, y compris les exigences légales applicables à une telle inscription ainsi que les effets de l’inscription ou de l’absence d’inscription de ces droits dans un registre, est exclue du champ d’application dudit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2017, Kubicka, C‑218/16, EU:C:2017:755, point 54).

48

Le fait que de telles exigences légales sont ainsi régies par le droit national ressort également du considérant 18 du règlement no 650/2012, aux termes duquel les exigences relatives à l’inscription dans un registre d’un droit immobilier ou mobilier sont exclues du champ d’application de ce règlement, de telle sorte que c’est la loi de l’État membre dans lequel le registre est tenu qui doit définir les conditions légales et les modalités de cette inscription ainsi que déterminer quelles sont les autorités, telles que les responsables des cadastres ou les notaires, chargées de vérifier que toutes les exigences sont respectées et que les documents présentés ou établis sont suffisants ou contiennent les informations nécessaires.

49

Par conséquent, les dispositions du règlement no 650/2012 établissant le certificat successoral européen et, plus précisément, l’article 69, paragraphe 5, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 2, sous l), de celui-ci, auquel cette première disposition renvoie, n’empêchent pas un État membre de fixer ou d’appliquer les exigences à respecter aux fins de l’enregistrement de droits réels immobiliers.

50

À cet égard, chaque État membre dans lequel un tel enregistrement de droits réels sur les biens immeubles est prévu est libre de déterminer les conditions et les modalités de cet enregistrement, y compris d’imposer une exigence selon laquelle toutes les données d’identification d’un bien immeuble pour lequel une demande d’enregistrement est introduite doivent être fournies dans cette demande ou dans les documents accompagnant celle-ci.

51

Par conséquent, dans une situation où une autorité chargée de l’enregistrement de droits réels immobiliers est saisie d’une demande tendant à l’enregistrement d’un bien immeuble hérité, sans que ce bien soit identifié dans un document sur la base duquel cet enregistrement est demandé, y compris dans le certificat successoral européen présenté, il découle de ce qui précède que cette autorité peut rejeter une telle demande.

52

Il convient de relever, à cet égard, que le rejet d’une demande d’enregistrement d’un bien immobilier dans un registre foncier d’un État membre, fondée sur un certificat successoral européen, au motif que ce dernier ne contient pas de données relatives à l’identification de ce bien, ne remet pas en cause la validité de ce certificat, en tant que tel, en ce qui concerne les autres éléments qu’il certifie, tels que le statut d’héritier.

53

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 2, sous l), l’article 68, sous l), et l’article 69, paragraphe 5, du règlement no 650/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre prévoyant que la demande d’inscription d’un bien immobilier dans le registre foncier de cet État membre peut être rejetée lorsque le seul document présenté à l’appui de cette demande est un certificat successoral européen qui n’identifie pas ce bien immobilier.

Sur les dépens

54

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

L’article 1er, paragraphe 2, sous l), l’article 68, sous l), et l’article 69, paragraphe 5, du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen,

 

doivent être interprétés en ce sens que :

 

ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre prévoyant que la demande d’inscription d’un bien immobilier dans le registre foncier de cet État membre peut être rejetée lorsque le seul document présenté à l’appui de cette demande est un certificat successoral européen qui n’identifie pas ce bien immobilier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le lituanien.

Top