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Document 62021CJ0146

Arrêt de la Cour (septième chambre) du 30 juin 2022.
Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti – Administraţia Sector 1 a Finanţelor Publice contre VB et Direcţia Generalā Regionalā a Finanţelor Publice Bucureşti – Serviciul Soluţionare Contestaţii 1.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti.
Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Décisions d’exécution 2010/583/UE et 2013/676/UE autorisant la Roumanie de déroger à l’article 193 de ladite directive – Mécanisme de l’autoliquidation – Livraisons de produits du bois – Réglementation nationale imposant une condition d’identification à la TVA pour l’application dudit mécanisme – Principe de neutralité fiscale.
Affaire C-146/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:512

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

30 juin 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Décisions d’exécution 2010/583/UE et 2013/676/UE autorisant la Roumanie de déroger à l’article 193 de ladite directive – Mécanisme de l’autoliquidation – Livraisons de produits du bois – Réglementation nationale imposant une condition d’identification à la TVA pour l’application dudit mécanisme – Principe de neutralité fiscale »

Dans l’affaire C‑146/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 9 décembre 2020, parvenue à la Cour le 3 mars 2021, dans la procédure

Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice BucureştiAdministraţia Sector 1 a Finanţelor Publice

contre

VB,

Direcţia Generalā Regionalā a Finanţelor Publice BucureştiServiciul Soluţionare Contestaţii 1,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. Passer, président de chambre, M. F. Biltgen et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour VB, par Mes A. Arseni, C. Chiriac, C.-L. Dobrinescu et S. Ilie, avocați,

pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

pour le gouvernement tchèque, par MM. O. Serdula, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci‑après la « directive TVA »), ainsi que du principe de neutralité fiscale.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice București – Administrația Sector 1 a Finanțelor Publice (Direction générale régionale des finances publiques de Bucarest – administration des finances publiques du secteur 1, Roumanie) à VB et à la Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice București – Serviciul Soluționare Contestații 1 (Direction générale régionale des finances publiques de Bucarest – service du traitement des réclamations no 1, Roumanie) au sujet de la décision de l’administration fiscale compétente de lui imposer le paiement rétroactif de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au titre de ventes de bois sur pied, en lui refusant l’application du mécanisme de l’autoliquidation.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive TVA

3

L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

4

Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de cette directive :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

5

L’article 193 de ladite directive dispose :

« La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202. »

6

Aux termes de l’article 199, paragraphes 1 et 2, de la même directive :

« 1.   Les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est l’assujetti destinataire des opérations suivantes :

[...]

2.   Lorsqu’ils appliquent l’option prévue au paragraphe 1, les États membres peuvent définir les livraisons de biens et les prestations de services couvertes et les catégories de fournisseurs, prestataires, acquéreurs ou preneurs auxquelles ces mesures peuvent s’appliquer. »

7

L’article 213 de la directive TVA prévoit :

« 1.   Tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d’assujetti.

Les États membres autorisent, et peuvent exiger, que la déclaration soit faite, dans les conditions qu’ils déterminent, par voie électronique.

2.   Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, premier alinéa, tout assujetti, ou personne morale non assujettie, qui effectue des acquisitions intracommunautaires de biens non soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, doit déclarer qu’il effectue de telles acquisitions lorsque les conditions pour ne pas le soumettre à la taxe, prévues audit article, ne sont plus remplies. »

8

Aux termes de l’article 214 de cette directive :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que soient identifiées par un numéro individuel les personnes suivantes :

a)

tout assujetti, à l’exception de ceux visés à l’article 9, paragraphe 2, qui effectue sur leur territoire respectif des livraisons de biens ou des prestations de services lui ouvrant droit à déduction, autres que des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles la TVA est due uniquement par le preneur ou le destinataire conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199 ;

b)

tout assujetti, ou personne morale non assujettie, qui effectue des acquisitions intracommunautaires de biens soumises à la TVA conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b), ou qui a exercé l’option prévue à l’article 3, paragraphe 3, de soumettre à la TVA ses acquisitions intracommunautaires ;

c)

tout assujetti qui effectue sur leur territoire respectif des acquisitions intracommunautaires de biens pour les besoins de ses opérations qui relèvent des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et qu’il effectue en dehors de ce territoire.

2.   Les États membres peuvent ne pas identifier certains assujettis qui effectuent des opérations à titre occasionnel telles que prévues à l’article 12. »

9

L’article 395, paragraphe 1, de ladite directive se lit comme suit :

« Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales.

Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global des recettes fiscales de l’État membre perçues au stade de la consommation finale. »

La décision d’exécution 2010/583/UE

10

Les considérants 6 à 8 de la décision d’exécution 2010/583/UE du Conseil, du 27 septembre 2010, autorisant la Roumanie à appliquer une mesure particulière dérogeant à l’article 193 de la directive 2006/112 (JO 2010, L 256, p. 27), énonçaient :

« (6)

La nature du marché roumain du bois et des entreprises concernées entraîne certains problèmes. Le marché se compose d’un nombre élevé de petites entreprises que les autorités roumaines peinent à contrôler. La fraude fiscale la plus courante consiste pour le fournisseur à facturer les livraisons de biens juste avant de disparaître sans acquitter la taxe auprès des autorités compétentes, le client disposant toutefois d’une facture valable lui permettant d’en obtenir la déduction.

(7)

En permettant aux autorités fiscales de désigner le destinataire comme l’assujetti redevable de la TVA dans les cas de livraisons de produits du bois effectuées par des assujettis et de livraisons de biens ou de prestations de services effectuées par des assujettis, à l’exception des détaillants, soumis à une procédure d’insolvabilité, la dérogation permet de résoudre les difficultés rencontrées, sans pour autant modifier le montant de la taxe due. Elle a pour effet d’éviter certaines formes d’évasion ou de fraude fiscales.

(8)

La mesure est proportionnée à l’objectif poursuivi, étant donné qu’elle n’est pas destinée à s’appliquer de manière générale, seuls certains secteurs et transactions posant de réels problèmes de perception de la taxe, voire de fraude ou d’évasion fiscales, étant concernés. »

11

L’article 1er de cette décision d’exécution prévoyait :

« Par dérogation à l’article 193 de la directive [TVA], la Roumanie est autorisée, jusqu’au 31 décembre 2013, à désigner comme la personne redevable du paiement de la TVA l’assujetti destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services visées à l’article 2 de la présente décision. »

12

Aux termes de l’article 2 de ladite décision d’exécution :

« La dérogation prévue à l’article 1er s’applique aux :

a)

livraisons de produits du bois effectuées par des assujettis, comprenant le bois sur pied, le bois de travail rond ou fendu, le bois de chauffage, les dérivés du bois, ainsi que le bois équarri ou en copeaux et le bois brut, le bois transformé ou semi‑manufacturé ;

b)

livraisons de biens et prestations de services effectuées par des assujettis soumis à une procédure d’insolvabilité, à l’exception des détaillants. »

La décision d’exécution 2013/676

13

Le considérant 5 de la décision d’exécution 2013/676/UE du Conseil, du 15 novembre 2013, autorisant la Roumanie à continuer à appliquer une mesure particulière dérogeant à l’article 193 de la directive 2006/112 (JO 2013, L 316, p. 31), telle que modifiée par la décision d’exécution (UE) 2016/1206 du Conseil, du 18 juillet 2016 (JO 2016, L 198, p. 47) (ci-après la « décision d’exécution 2013/676 »), énonce :

« Avant la précédente autorisation d’appliquer le mécanisme d’autoliquidation aux livraisons de bois, la Roumanie avait rencontré des difficultés sur le marché du bois en raison de la nature de ce marché et des entreprises concernées. Le secteur est constitué d’un grand nombre de petites entreprises qui s’avèrent difficiles à contrôler pour les autorités roumaines. La désignation du destinataire comme la personne redevable du paiement de la TVA a eu pour effet, selon les autorités roumaines, d’empêcher la fraude et l’évasion fiscales dans ce secteur et ce dispositif reste dès lors justifié. »

14

L’article 1er de la décision d’exécution 2013/676 dispose :

« Par dérogation à l’article 193 de la directive [TVA], la Roumanie est autorisée, jusqu’au 31 décembre 2019, à désigner l’assujetti destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services, visées à l’article 2 de la présente décision, comme la personne redevable du paiement de la TVA. »

15

Aux termes de l’article 2 de cette décision d’exécution :

« La dérogation prévue à l’article 1er s’applique aux livraisons de produits du bois effectuées par des assujettis, comprenant le bois sur pied, le bois de travail rond ou fendu, le bois de chauffage, les dérivés du bois, ainsi que le bois équarri ou en copeaux et le bois brut, le bois transformé ou semi-manufacturé. »

Le droit roumain

16

L’article 127, paragraphe 1, de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003, portant code des impôts) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003), dans sa rédaction applicable au litige au principal (ci-après le « code des impôts »), prévoit :

« Est considéré comme assujetti quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique telle que celles visées au paragraphe 2, quels que soient le but ou le résultat de cette activité. »

17

L’article 160 du code des impôts dispose :

« 1.   Par dérogation aux dispositions de l’article 150, paragraphe 1, dans le cas des opérations taxables, le redevable de la taxe est le bénéficiaire pour les opérations prévues au paragraphe 2. La condition requise pour l’application de l’autoliquidation est que tant le fournisseur que le bénéficiaire soient identifiés à la TVA [...]

2.   Les opérations pour lesquelles l’autoliquidation s’applique sont les suivantes :

[...]

b) la livraison de bois et matières ligneuses [...]

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

18

VB est propriétaire de terrains forestiers en Roumanie.

19

Au cours des années 2011 à 2017, elle a exploité ces terrains sur la base de contrats de vente de bois sur pied conclus avec plusieurs sociétés spécialisées dans le domaine de l’exploitation forestière.

20

À la suite d’un contrôle fiscal effectué entre le 5 décembre 2017 et le 2 février 2018, l’administration fiscale compétente a constaté que le chiffre d’affaires de VB réalisé au mois de septembre 2011 avait dépassé le plafond établi par le « régime spécial d’exonération » prévu par le code des impôts en faveur des petites entreprises. Il ressort du dossier soumis à la Cour que lorsqu’un assujetti, au cours d’une année civile, atteint ou dépasse ce plafond d’exonération, il est tenu de s’identifier auprès de la TVA dans un délai de dix jours à compter de la fin du mois au cours duquel il a atteint ou dépassé ce plafond.

21

Étant donné que VB ne s’était pas identifiée à la TVA au cours de la période soumise au contrôle fiscal, à savoir entre le 1er octobre 2011 et le 30 septembre 2017, les contrôleurs fiscaux ont révisé, rétroactivement, le calcul de la TVA due à compter du 1er novembre 2011 en appliquant la méthode de calcul inversé, qui consiste à considérer que le prix de vente comprenait également la TVA.

22

Ledit contrôle fiscal a été conclu par l’établissement d’un rapport de contrôle fiscal et d’un avis d’imposition en date du 16 février 2018, sur la base desquels VB était tenue de verser la somme de 196634 lei roumains (RON) (environ 41300 euros) ainsi que des intérêts et pénalités y afférents.

23

VB a introduit une réclamation contre ledit avis en faisant valoir que les ventes de bois sur pied étaient soumises au mécanisme de l’autoliquidation, dont l’application serait uniquement subordonnée au fait que les deux opérateurs concernés soient des assujettis, mais pas nécessairement à l’existence d’un numéro d’identification à la TVA dans le chef du fournisseur.

24

Par décision du 12 juillet 2018, la réclamation de VB a été rejetée au motif que l’application du mécanisme de l’autoliquidation est subordonnée, en vertu de l’article 160 du code des impôts, à la condition que tant le fournisseur que l’acheteur soient préalablement identifiés à la TVA.

25

Par jugement du 24 juin 2019, le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) a accueilli le recours introduit par VB tendant à l’annulation de l’avis d’imposition du 16 février 2018 ainsi que de la décision du 12 juillet 2018.

26

Ledit jugement fait l’objet d’un pourvoi, formé devant la juridiction de renvoi, la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie) par la Direction générale régionale des finances publiques de Bucarest – administration des finances publiques du secteur 1.

27

Cette juridiction relève que si VB avait été identifiée à la TVA au mois de septembre 2011, elle aurait été soumise au mécanisme de l’autoliquidation, conformément à la dérogation au système de perception de la TVA visé à l’article 193 de la directive TVA consentie à la Roumanie sur le fondement des décisions d’exécution 2010/583 et 2013/676. À ce titre, VB n’aurait pas été redevable de la TVA pour les ventes de bois sur pied, cette taxe étant due, en vertu de ce mécanisme, par les acquéreurs assujettis.

28

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi observe que la Cour a jugé, notamment dans son arrêt du 7 mars 2018, Dobre (C‑159/17, EU:C:2018:161, points 32 et 33), que l’identification à la TVA ne constitue qu’une exigence formelle du droit à déduction de la TVA et ne saurait, par conséquent, constituer une condition matérielle empêchant un assujetti d’exercer ledit droit.

29

La juridiction de renvoi ajoute que le fait de refuser à une personne telle que VB d’appliquer le mécanisme de l’autoliquidation a également pour conséquence que les assujettis qui ont acquis auprès d’elle du bois sur pied ne sauraient déduire la TVA afférente à ces opérations, dans la mesure où cette taxe n’aurait pas été correctement facturée au moment du fait générateur. Partant, cette juridiction se demande si la jurisprudence de la Cour s’oppose à ce que l’identification à la TVA constitue une condition à l’application du mécanisme de l’autoliquidation.

30

Dans ces circonstances, la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La directive [TVA] et le principe de neutralité s’opposent-ils, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, à une réglementation nationale ou une pratique fiscale selon laquelle le mécanisme de l’autoliquidation (mesures de simplification) gouvernant impérativement la vente de bois sur pied ne serait pas applicable à une personne contrôlée et identifiée à la TVA après ce contrôle, au motif que celle-ci n’avait pas demandé et obtenu, avant la réalisation des transactions ou à la date du dépassement du plafond, l’identification à la TVA ? »

Sur la question préjudicielle

31

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA et le principe de neutralité fiscale s’opposent à une réglementation nationale selon laquelle le mécanisme de l’autoliquidation n’est pas applicable à un assujetti qui n’avait ni demandé ni obtenu d’office, avant la réalisation des transactions imposables, son identification à la TVA.

32

À titre liminaire, il convient de rappeler que le mécanisme de l’autoliquidation constitue une exception au principe figurant à l’article 193 de la directive TVA, selon lequel la TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, et qu’il doit, dès lors, faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2019, Human Operator, C‑434/17, EU:C:2019:112, point 30 et jurisprudence citée).

33

Ainsi, en application dudit mécanisme, aucun paiement de la TVA n’a lieu entre le fournisseur et l’acquéreur des biens, ce dernier étant redevable, pour les opérations effectuées, de la TVA en amont, tout en pouvant, en principe, s’il est un assujetti, déduire cette taxe, de telle sorte que, en pareille hypothèse, aucun montant n’est dû à l’administration fiscale (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 41 et jurisprudence citée).

34

À cet égard, force est de constater que l’article 1er, respectivement, des décisions d’exécution 2010/583 et 2013/676 permet à la Roumanie de déroger, conformément à l’article 395 de la directive TVA, au principe de taxation figurant à l’article 193 de cette directive, en désignant comme redevable de la TVA l’assujetti destinataire de la livraison de produits de bois visée à l’article 2 de chacune de ces décisions d’exécution, étant donné que lesdites activités ne figurent pas parmi les opérations mentionnées à l’article 199, paragraphe 1, de la directive TVA.

35

Or, en l’occurrence, l’application du mécanisme de l’autoliquidation est subordonnée, en vertu de la réglementation nationale en cause au principal, à savoir l’article 160, paragraphe 1, du code des impôts, à la condition que les assujettis concernés par ce mécanisme soient identifiés à la TVA avant la réalisation des opérations imposables. Le gouvernement roumain a souligné, dans ses observations écrites, que ce sont les difficultés rencontrées sur le marché roumain du bois concernant la lutte contre la fraude fiscale qui ont conduit le législateur national à imposer cette condition. L’exigence de l’identification à la TVA assurerait, par ailleurs, le contrôle efficace du respect des obligations fiscales ainsi que la perception exacte de la TVA.

36

À cet égard, il convient de souligner, en premier lieu, qu’il ne ressort ni de la directive TVA ni des décisions d’exécution 2010/583 ou 2013/676 que, lorsqu’un État membre est autorisé à déroger à l’article 193 de la directive TVA, en désignant comme personne redevable du paiement de la TVA l’assujetti destinataire de la livraison de biens en cause, appliquant ainsi le mécanisme de l’autoliquidation à certaines opérations imposables, le législateur national de cet État membre est empêché de déterminer, lors de la mise en œuvre de cette dérogation, des conditions d’application dudit mécanisme, pour autant que celles-ci ne contreviennent pas au principe de neutralité fiscale.

37

D’une part, une telle lecture est corroborée par l’article 199, paragraphe 2, de la directive TVA, qui permet aux États membres de définir les catégories de fournisseurs, de prestataires, d’acquéreurs ou de preneurs auxquelles le mécanisme de l’autoliquidation peut s’appliquer.

38

D’autre part, le mécanisme de l’autoliquidation constituant une exception au principe prévu à l’article 193 de la directive TVA, il doit faire l’objet d’une interprétation stricte, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt. Or, la limitation prévue par la réglementation nationale en cause au principal, en soumettant l’application dudit mécanisme à la condition que les assujettis soient préalablement identifiés à la TVA, a précisément pour effet de circonscrire la portée de cette exception.

39

En deuxième lieu, contrairement à ce qu’ont avancé VB ainsi que la Commission dans leurs observations écrites, la réglementation nationale en cause au principal n’est pas contraire à la jurisprudence de la Cour selon laquelle le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de cette taxe en amont soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis [arrêt du 18 mars 2021, A. (Exercice du droit à déduction), C‑895/19, EU:C:2021:216, point 47 et jurisprudence citée].

40

Certes, il ressort de cette jurisprudence que l’identification à la TVA, prévue à l’article 214 de la directive TVA, ainsi que l’obligation pour l’assujetti de déclarer le commencement, le changement et la cessation de ses activités, prévue à l’article 213 de cette directive, ne constituent que des exigences formelles à des fins de contrôle, lesquelles ne peuvent pas remettre en cause, notamment, le droit à déduction de la TVA, dans la mesure où les conditions matérielles qui font naître ce droit sont remplies (arrêt du 18 novembre 2021, Promexor Trade, C‑358/20, EU:C:2021:936, point 35 et jurisprudence citée).

41

La Cour a ainsi jugé qu’un assujetti à la TVA ne saurait être empêché d’exercer son droit à déduction au motif qu’il ne se serait pas identifié à la TVA avant d’utiliser les biens acquis dans le cadre de son activité taxée (arrêt du 18 novembre 2021, Promexor Trade, C‑358/20, EU:C:2021:936, point 36 et jurisprudence citée).

42

Il convient cependant de souligner que ladite jurisprudence vise à garantir le respect du principe fondamental de neutralité fiscale, en exigeant que la déduction de la TVA en amont puisse être opérée par l’assujetti si les exigences de fond d’une telle déduction sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par cet assujetti.

43

Or, le droit à déduction du bénéficiaire de la livraison doit, de la même manière, être, en principe, respecté tant dans le cadre du mécanisme de l’autoliquidation que dans le système commun de la TVA. Ledit droit n’est donc pas affecté par le refus opposé au prestataire de soumettre une livraison au mécanisme de l’autoliquidation. À cet égard, il convient de relever qu’une facturation erronée de la TVA au moment du fait générateur, notamment lorsque, comme en l’occurrence, elle a été établie hors TVA, ne saurait suffire, à elle seule, à priver un assujetti de son droit à déduction (voir, par analogie, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 47).

44

Dès lors, force est de constater que la jurisprudence issue de l’arrêt du 18 mars 2021, A. (Exercice du droit à déduction) (C‑895/19, EU:C:2021:216), ne trouve pas à s’appliquer à une situation telle que celle en cause au principal, dès lors qu’un refus d’application du mécanisme de l’autoliquidation ne porte atteinte ni au droit à déduction de la TVA en amont par le bénéficiaire de la prestation concernée ni, partant, au principe de neutralité fiscale.

45

En troisième et dernier lieu, il convient de rappeler que le principe de neutralité fiscale, qui est la traduction par le législateur de l’Union, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement, s’oppose en particulier à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (arrêt du 17 décembre 2020, WEG Tevesstraße, C‑449/19, EU:C:2020:1038, point 48 et jurisprudence citée).

46

Selon une jurisprudence constante de la Cour, ledit principe général exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (arrêt du 3 février 2021, Fussl Modestraße Mayr, C‑555/19, EU:C:2021:89, point 95 et jurisprudence citée).

47

Il convient de constater que, en l’occurrence, le critère justifiant la limitation de l’application du mécanisme de l’autoliquidation revêt un caractère objectif, étant donné que la réglementation nationale en cause au principal oblige indistinctement tous les assujettis, vendeurs comme acheteurs, impliqués dans une livraison de produits du bois visés à l’article 2, respectivement, des décisions d’exécution 2010/583 et 2013/676 à s’identifier auprès de la TVA.

48

Le but poursuivi par cette limitation est la sécurité juridique et la clarté juridique. Dans le cadre de circonstances telles que celles en cause dans le litige au principal, le bénéficiaire d’une livraison de biens est redevable de la TVA si l’opération est soumise à cette taxe, ce qui dépend, notamment, du chiffre d’affaires du fournisseur, qui peut bénéficier du régime spécial d’exonération prévu par la réglementation roumaine concernant les petites entreprises. Or, cette condition est difficile à vérifier pour le bénéficiaire de la livraison. À ce titre, il importe de souligner que, en l’occurrence, il ressort notamment du considérant 6 de la décision d’exécution 2010/583 que le marché du bois roumain se compose d’un nombre élevé de petites entreprises que les autorités roumaines peinent à contrôler.

49

En imposant aux assujettis une condition d’identification à la TVA, le bénéficiaire de l’opération imposable dispose d’un critère plus accessible pour connaître, de manière exacte, l’étendue de ses obligations fiscales, puisque le droit roumain exclut de l’obligation d’identification à la TVA les assujettis bénéficiant de la franchise applicable aux petites entreprises et n’effectuant donc pas d’opérations ouvrant droit à déduction.

50

La différence de traitement apparaît donc proportionnée au but poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal, dans la mesure où, d’une part, l’identification à la TVA découle du droit de l’Union lui-même, à savoir l’article 214 de la directive TVA, et, d’autre part, le droit à déduction des assujettis concernés n’est, en principe, pas remis en cause.

51

Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive TVA et le principe de neutralité fiscale ne s’opposent pas à une réglementation nationale selon laquelle le mécanisme de l’autoliquidation n’est pas applicable à un assujetti qui n’avait ni demandé ni obtenu d’office, avant la réalisation des transactions imposables, son identification à la TVA.

Sur les dépens

52

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et le principe de neutralité fiscale ne s’opposent pas à une réglementation nationale selon laquelle le mécanisme de l’autoliquidation n’est pas applicable à un assujetti qui n’avait ni demandé ni obtenu d’office, avant la réalisation des transactions imposables, son identification à la taxe sur la valeur ajoutée.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.

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