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Document 62021CC0567

    Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 16 février 2023.
    BNP Paribas SA contre TR.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France).
    Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (CE) no 44/2001 – Articles 33 et 36 – Reconnaissance d’une décision rendue dans un État membre – Invocation de façon incidente devant une juridiction d’un autre État membre – Effets produits par cette décision dans l’État d’origine – Recevabilité d’une action introduite dans l’État membre requis postérieurement à ladite décision – Règles de procédure nationales imposant la concentration des demandes au sein d’une seule instance.
    Affaire C-567/21.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:118

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PRIIT PIKAMÄE

    présentées le 16 février 2023 ( 1 )

    Affaire C‑567/21

    BNP Paribas SA

    contre

    TR

    [demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

    « Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 44/2001 – Articles 33 et 36 – Reconnaissance des décisions de justice – Reconnaissance incidente – Règle nationale de concentration des demandes – Autorité de la chose jugée – Exception de chose jugée – Notions de “cause” et d’“objet” »

    I. Introduction

    1.

    Dans la présente affaire, la Cour est saisie par la Cour de cassation (France) d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 33 et 36 du règlement (CE) no 44/2001 ( 2 ).

    2.

    Les trois questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi donnent à la Cour l’occasion de fournir des précisions sur les contours de l’autorité de la chose jugée attachée à une décision rendue dans un premier État membre dont la reconnaissance est invoquée de façon incidente pour s’opposer à un nouveau recours engagé dans un second État membre. Plus particulièrement, la Cour est, dans un contexte marqué par une riche réflexion doctrinale ( 3 ), invitée à définir les parts respectivement dévolues au droit de l’Union et au droit national dans la détermination du périmètre de l’autorité de la chose jugée par une juridiction de l’État membre d’origine ( 4 ).

    II. Le cadre juridique

    A.   Le droit de l’Union

    3.

    Sont pertinents pour la présente affaire les articles 27, 33 et 36 du règlement no 44/2001.

    B.   Le droit national

    1. Le droit français

    4.

    En vertu de l’article L. 1234‑5, premier alinéa, du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

    5.

    Aux termes de l’article L. 1234‑9, premier alinéa, du code du travail :

    « Le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte huit mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. »

    6.

    Selon l’article L. 1235‑3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur.

    7.

    L’article R. 1452‑6 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret no 2016‑660, du 20 mai 2016 ( 5 ), disposait :

    « Toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, l’objet d’une seule instance.

    Cette règle n’est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes. »

    2. Le droit du Royaume-Uni

    8.

    La section 98 de l’Employment Rights Act 1996 (loi de 1996 sur les droits en matière d’emploi) énonce :

    « (1) En décidant aux fins de cette Partie si le licenciement d’un salarié est justifié ou abusif l’employeur doit démontrer :

    (a)

    le motif (ou, s’il en existe plusieurs, le motif principal) du licenciement, et

    (b)

    qu’il s’agit soit d’un motif relevant de la sous-section (2) soit d’un autre motif de fond de sorte à justifier le licenciement d’un salarié occupant le poste que le salarié occupait.

    (2) Un motif relève de la présente sous-section s’il :

    [...]

    (b)

    concerne le comportement du salarié.

    [...]

    (4) Lorsque l’employeur a satisfait aux exigences de la sous-section (1), la décision de savoir si le licenciement est justifié ou abusif (au regard du motif démontré par l’employeur) :

    (a)

    dépend du fait de savoir si, dans les circonstances (y compris la taille et les ressources administratives de l’entreprise de l’employeur), l’employeur a agi de façon raisonnable ou non en le traitant comme un motif valable pour licencier le salarié, et

    (b)

    sera tranchée conformément à l’équité et au bien-fondé du dossier.

    [...] »

    9.

    La section 118 de cette loi prévoit que, si le tribunal accorde des indemnités pour licenciement abusif conformément aux sections 112(4) et 117(3), ces indemnités consistent en (a) une indemnité de base (calculée selon les sections 119 à 122 et 126) et en (b) une indemnité compensatoire (calculée selon les sections 123, 124, 124A et 126).

    III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

    10.

    TR a été engagé, le 25 août 1998, par la société BNP, devenue la société BNP Paribas, aux termes d’un contrat de droit anglais pour exercer, à Londres, les fonctions de « senior dealer ».

    11.

    Le 2 avril 2009, TR a signé avec cette société un contrat de travail à durée indéterminée de droit français pour un détachement à Singapour. Selon avenant à son contrat de travail du 16 août 2010, il a été affecté à la succursale de Londres de la société BNP Paribas.

    12.

    TR a été licencié, le 30 septembre 2013, pour faute grave en raison de faits survenus au cours de sa période de détachement à Singapour.

    13.

    Le 20 décembre 2013, TR a saisi l’Employment Tribunal (tribunal du travail, Royaume-Uni), qui, selon jugement du 26 septembre 2014, a accueilli sa plainte pour licenciement abusif (« complaint of unfair dismissal ») comme étant bien fondée, lui a accordé la somme de 81175 livres sterling (environ 94401,77 euros) à titre d’indemnité compensatoire (« compensatory award ») et a renvoyé à une audience ultérieure les autres questions relatives aux mesures de réparation.

    14.

    L’Employment Tribunal (tribunal britannique) a notamment relevé que, si TR avait été sanctionné conformément au code du travail français, le conseil de la société BNP Paribas avait accepté que l’affaire soit tranchée en vertu de la loi de 1996 sur les droits en matière d’emploi et de la jurisprudence britannique.

    15.

    TR a ensuite saisi, par requête du 27 novembre 2014, le conseil de prud’hommes de Paris (France) de demandes tendant, notamment, à obtenir la condamnation de la société BNP Paribas au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité compensatrice de préavis ainsi que de diverses sommes correspondant à des bonus et primes prévus par le contrat de travail. Le conseil de prud’hommes, statuant par un jugement du 17 mai 2016, a déclaré ces demandes irrecevables du fait de l’autorité de la chose jugée.

    16.

    Selon un arrêt du 22 mai 2019, la cour d’appel de Paris (France) a infirmé ce jugement en toutes ses dispositions.

    17.

    Il ressort des énonciations de cet arrêt que la cour d’appel de Paris a décidé que le jugement de l’Employment Tribunal (tribunal britannique) avait autorité de la chose jugée en ce que celui-ci a estimé le licenciement non fondé sur une cause réelle et sérieuse. Cette juridiction a néanmoins considéré qu’aucune autorité de la chose jugée ne pouvait être opposée à l’encontre des demandes formées devant le conseil de prud’hommes de Paris et a condamné la société BNP Paribas au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité compensatrice de préavis ainsi que de diverses sommes correspondant à des bonus et primes prévus par le contrat de travail.

    18.

    Pour parvenir à cette conclusion, la cour d’appel de Paris a notamment relevé qu’il était explicitement mentionné dans la requête introduite devant l’Employment Tribunal (tribunal britannique) que TR n’avait pas sollicité les indemnités et avantages sociaux en lien avec la rupture de son contrat de travail et qu’il formerait de telles demandes devant une autre juridiction. Elle a retenu que les demandes formées devant la juridiction française n’étaient pas les mêmes et n’avaient pas la même cause que celles introduites devant ledit tribunal.

    19.

    La société BNP Paribas a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. À l’appui de son recours, la requérante se prévaut notamment de l’article 33 du règlement no 44/2001 pour soutenir que, en raison du jugement rendu par le tribunal britannique, les juridictions françaises ne pouvaient examiner les demandes formées par TR. À ce titre, la requérante fait valoir, en premier lieu, que l’exception tirée de la chose jugée par une décision étrangère, invoquée devant le juge français, doit être appréciée au regard de l’autorité et de l’efficacité dont celle-ci jouit dans l’État membre où elle a été rendue. En second lieu, elle prétend que l’autorité de la chose jugée attachée à une décision rendue dans un État membre fait obstacle à ce qu’une action ayant le même objet, la même cause et faisant intervenir les mêmes parties soit introduite dans un autre État membre.

    20.

    Lors de l’examen de ce recours, la Cour de cassation a relevé que la société BNP Paribas fait état de la règle de l’« abuse of process » issue de la décision Henderson v. Henderson, du 20 juillet 1843, de la Court of Chancery (England & Wales) [Cour de la Chancery (Angleterre et Pays de Galles), Royaume-Uni], qui « imposerait aux parties, quand leur question devient l’objet d’un litige devant une juridiction compétente, de porter l’ensemble de leur affaire devant cette dernière afin que tous les aspects de cette question puissent être tranchés, sous réserve d’appel, une fois pour toutes » ( 6 ).

    21.

    La Cour de cassation a également rappelé que, conformément à la législation française alors en vigueur, toutes les demandes liées au contrat de travail font, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, l’objet d’une seule instance et que cette règle n’est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes.

    22.

    Dans ces circonstances, la Cour de cassation a décidé, le 8 septembre 2021, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Les articles 33 et 36 du [règlement no 44/2001] doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsque la loi de l’État membre d’origine de la décision confère à cette dernière une autorité telle que celle-ci fait obstacle à ce qu’une nouvelle action soit engagée par les mêmes parties afin qu’il soit statué sur les demandes qui auraient pu être formulées dès l’instance initiale, les effets déployés par cette décision dans l’État membre requis s’opposent à ce qu’un juge de ce dernier État, dont la loi applicable ratione temporis prévoyait en droit du travail une obligation similaire de concentration des prétentions, statue sur de telles demandes ?

    2)

    En cas de réponse négative à cette première question, les articles 33 et 36 du [règlement no 44/2001] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une action telle que celle en “unfair dismissal” au Royaume-Uni a la même cause et le même objet qu’une action telle que celle en licenciement sans cause réelle et sérieuse en droit français, de sorte que les demandes faites par le salarié de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de licenciement devant le juge français, après que le salarié a obtenu au Royaume-Uni une décision déclarant l’“unfair dismissal” et allouant des indemnités à ce titre (“compensatory award”), sont irrecevables ? Y a-t-il lieu à cet égard de distinguer entre les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui pourraient avoir la même cause et le même objet que le “compensatory award”, et les indemnités de licenciement et de préavis qui, en droit français, sont dues lorsque le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, mais ne sont pas dues en cas de licenciement fondé sur une faute grave ?

    3)

    De même, les articles 33 et 36 du [règlement no 44/2001] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ont la même cause et le même objet une action telle que celle en “unfair dismissal” au Royaume-Uni et une action en paiement de bonus ou de primes prévus au contrat de travail dès lors que ces actions se fondent sur le même rapport contractuel entre les parties ? »

    IV. La procédure devant la Cour

    23.

    Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, les gouvernements français et suisse ainsi que par la Commission européenne.

    V. Analyse juridique

    A.   Considérations liminaires

    24.

    Préalablement à l’examen des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, il me semble nécessaire de développer plusieurs observations.

    1. Sur l’applicabilité du règlement no 44/2001

    25.

    Il convient de vérifier si le règlement no 44/2001 est applicable aussi bien dans le temps que dans l’espace. À cet égard, j’observe que la décision de l’Employment Tribunal (tribunal britannique), dont la reconnaissance est en cause dans le litige au principal, a été prononcée à la suite de l’action engagée le 20 décembre 2013.

    26.

    Il résulte, d’abord, de cette circonstance que le règlement no 44/2001 est applicable ratione temporis au litige au principal. En effet, ce règlement est demeuré, en vertu de l’article 66, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1215/2012 ( 7 ), applicable aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées avant le 10 janvier 2015.

    27.

    Il se déduit, ensuite, de cette même circonstance que le règlement no 44/2001 est applicable ratione loci. Pour parvenir à cette conclusion, je relève que, aux termes de l’article 67, paragraphe 2, sous a), de l’accord de retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique ( 8 ), « le règlement (UE) no 1215/2012 s’applique à la reconnaissance et à l’exécution des décisions rendues dans le cadre d’actions judiciaires intentées avant la fin de la période de transition, ainsi qu’aux actes authentiques formellement établis ou enregistrés et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues avant la fin de la période de transition ». Il en découle que le règlement no 44/2001 demeure applicable au Royaume-Uni jusqu’au terme de la période de transition.

    28.

    Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer que règlement no 44/2001 est applicable dans le temps et l’espace au litige au principal.

    2. Sur l’interprétation du règlement no 44/2001

    29.

    S’agissant de l’interprétation des dispositions du règlement no 44/2001, je rappelle que, selon une jurisprudence constante ( 9 ), dans la mesure où ce règlement remplace la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence juridictionnelle et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 10 ) (ci-après la « convention de Bruxelles »), l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention vaut également pour celles de ce règlement, lorsque les dispositions de ces instruments de l’Union peuvent être qualifiées d’équivalentes.

    30.

    Or, j’observe que, d’une part, les articles 26 et 29 de la convention de Bruxelles et, d’autre part, les articles 33 et 36 du règlement no 44/2001, dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation, sont rédigés de manière quasiment identique, de sorte que les arrêts de la Cour ayant interprété la convention de Bruxelles sont susceptibles de constituer une base pertinente pour répondre aux interrogations de la juridiction de renvoi ( 11 ).

    3. Sur la délimitation des questions préjudicielles

    31.

    En premier lieu, je relève qu’il ressort des données fournies par la juridiction de renvoi que la société BNP Paribas se prévaut du jugement rendu par l’Employment Tribunal (le tribunal britannique) pour conclure à l’irrecevabilité de l’action engagée ultérieurement en France par TR. À mon sens, une telle situation correspond à l’hypothèse visée par l’article 33, paragraphe 3, du règlement no 44/2001, lequel recouvre l’hypothèse dans laquelle, au cours d’un litige dans un État membre, la reconnaissance est invoquée de façon incidente devant une juridiction d’un État membre. Or, ainsi que le souligne le rapport établi par P. Jenard ( 12 ), cette règle concerne le cas où une partie invoque la reconnaissance comme exception de chose jugée.

    32.

    À cet égard, je note que, si la reconnaissance ne se confond pas avec l’autorité de la chose jugée ( 13 ), ces deux notions sont liées. Ainsi, l’autorité de la chose jugée constitue l’une des facettes de la reconnaissance. Plus précisément, la reconnaissance peut, au titre de l’autorité de la chose jugée, revêtir soit un aspect positif, en ce qu’elle permet d’introduire dans un second État membre la situation juridique créée par une décision rendue dans un premier État membre, soit un aspect négatif, en ce qu’elle interdit, au titre de l’autorité de la chose jugée, de remettre en cause la décision de justice rendue dans le premier État membre en formant dans un second État des demandes portant sur des points identiques à ceux tranchés par cette décision ( 14 ).

    33.

    Il en découle que le litige au principal doit être appréhendé sous l’angle de ce second aspect des règles de reconnaissance fixées par le règlement no 44/2001. À mon sens, ce cadre délimite une double problématique. D’une part, il suppose de préciser sur quelles bases doit être délimitée l’autorité d’une décision rendue dans un premier État membre dont la reconnaissance est invoquée devant une juridiction d’un second État membre. D’autre part, ce cadre implique de déterminer comment cette décision doit être mise en rapport avec l’action introduite dans ce second État membre afin de vérifier si cette nouvelle procédure est, en partie ou en totalité, irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement prononcé dans le premier État membre.

    34.

    En second lieu, je constate que, contestant la présentation faite par la juridiction de renvoi de la règle britannique de l’« abuse of process », le défendeur au principal soutient que l’application de cette règle est cantonnée aux hypothèses où le demandeur aurait commis un abus de procédure, de sorte qu’il ne lui serait pas interdit d’engager une seconde procédure. Cependant, je rappelle que, selon la jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence ( 15 ). Il me semble donc que la Cour doit statuer en considération des seuls éléments juridiques et factuels fournis par la juridiction de renvoi.

    B.   Sur la première question préjudicielle

    35.

    Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les articles 33 et 36 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une décision rendue dans un État membre ait pour conséquence d’entraîner l’irrecevabilité des demandes formées devant une juridiction d’un autre État membre au motif que les législations de chacun de ces États prévoient une règle procédurale de concentration de toutes les demandes qui auraient pu être présentées dès l’instance initiale.

    36.

    En d’autres termes, cette question implique de déterminer si, pour l’application des règles de reconnaissance fixées par le règlement no 44/2001, l’autorité de la chose jugée de la décision rendue dans l’État d’origine doit être délimitée par référence à une règle interne de concentration des demandes.

    37.

    Pour répondre à cette question, il me paraît préalablement nécessaire de préciser les contours de la notion de « reconnaissance ». À ce titre, il y a lieu de relever que la reconnaissance n’est pas définie en tant que telle dans le règlement no 44/2001, lequel énonce seulement en son article 33, paragraphe 1, que « [l]es décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure » et, en son article 36, qu’« [e]n aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond ».

    38.

    Cela étant, je rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il convient, pour déterminer le sens et la portée d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement du libellé de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 16 ).

    39.

    S’agissant, d’abord, des objectifs du règlement no 44/2001, il ressort des considérants 2, 6, 16 et 17 de celui-ci qu’il vise à assurer la libre circulation des décisions émanant des États membres en matière civile et commerciale ( 17 ), en prévoyant des règles de compétence unifiées et en simplifiant les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples de ces décisions ( 18 ).

    40.

    S’agissant, ensuite, du système établi par le règlement no 44/2001, les considérants 16 et 17 de celui-ci soulignent l’importance du principe de confiance réciproque entre les juridictions des États membres en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions juridictionnelles, ce qui suppose que les notions contenues dans ce règlement ne soient pas interprétées de manière restrictive ( 19 ).

    41.

    Enfin, le rapport Jenard a défini les conséquences de la reconnaissance en précisant qu’elle « doit avoir pour effet d’attribuer aux décisions l’autorité et l’efficacité dont elles jouissent dans l’État où elles ont été rendues » ( 20 ).

    42.

    Reprenant explicitement cette dernière proposition, la Cour a, par l’arrêt Hoffmann ( 21 ), précisé les effets de la reconnaissance en jugeant qu’une décision étrangère reconnue en vertu de l’article 26 de la convention de Bruxelles doit déployer en principe, dans l’État requis, les mêmes effets que ceux qu’elle a dans l’État d’origine ( 22 ).

    43.

    Se prononçant ensuite dans le contexte de l’exécution dans un État membre d’une décision rendue dans un autre État membre, la Cour a décidé, en se référant encore au rapport Jenard ( 23 ), que « si la reconnaissance doit avoir pour effet, en principe, d’attribuer aux décisions l’autorité et l’efficacité dont elles jouissent dans l’État membre où elles ont été rendues, il n’y a cependant aucune raison d’accorder à un jugement, lors de son exécution, des droits qui ne lui appartiennent pas dans l’État membre d’origine ou des effets que ne produirait pas un jugement du même type rendu directement dans l’État membre requis » ( 24 ).

    44.

    Il résulte de ces arrêts que, conformément à la structure même du règlement no 44/2001, qui, pour l’essentiel, sépare les règles gouvernant la reconnaissance de celles régissant l’exécution des décisions de justice ( 25 ), la Cour opère une distinction selon que l’une ou l’autre de ces notions est au centre d’un litige.

    45.

    S’agissant de l’exécution des jugements, laquelle implique la mise en œuvre de mesures coercitives afin d’assurer la réalisation d’un droit consacré par une décision ( 26 ), la Cour se réfère expressément à la loi de l’État d’origine comme à celle de l’État requis pour adapter les effets de la décision étrangère aux effets que produirait une décision nationale ( 27 ).

    46.

    En revanche, s’agissant de la reconnaissance des décisions, j’observe que, dans les arrêts précités, la Cour se réfère exclusivement à la loi de l’État membre où le jugement a été rendu. Il en découle, à mon sens, que la reconnaissance consiste à étendre à un État membre les règles que la législation de l’État d’origine attache aux décisions de justice rendues dans cet État. Ainsi, il y a lieu, selon cette solution qualifiée par la doctrine de règle de l’« extension des effets », de se reporter à la loi de l’État membre d’origine pour déterminer les effets du jugement invoqué dans un second État membre, dont notamment les points tranchés par cette décision, les droits y consacrés et leurs conséquences matérielles sur la situation juridique des parties ( 28 ).

    47.

    Or, je considère que, postérieurement auxdits arrêts précités, cette jurisprudence n’a pas connu d’infléchissement susceptible de la remettre en cause.

    48.

    Certes, je relève que, dans l’arrêt Gothaer, la Cour a notamment décidé que « [l]es articles 32 et 33 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que la juridiction devant laquelle est invoquée la reconnaissance d’une décision par laquelle la juridiction d’un autre État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction est liée par la constatation relative à la validité de cette clause, qui figure dans les motifs d’un jugement devenu définitif déclarant l’action irrecevable » ( 29 ).

    49.

    Il ressort de cet arrêt que, indépendamment de la portée que leur attribuent les droits nationaux, les motifs d’une décision d’incompétence fondée sur une clause attributive de juridiction sont pourvus de l’autorité de la chose jugée. À première vue, une telle solution pourrait laisser supposer que la Cour a abandonné, en matière de reconnaissance, la référence à la loi d’origine pour privilégier une conception autonome de l’autorité de la chose jugée. Toutefois, il me semble que, à la lecture de la motivation adoptée par la Cour, une telle analyse ne peut être retenue.

    50.

    À cet égard, il convient de noter que ledit arrêt est intervenu dans le contexte particulier de la reconnaissance d’un jugement rendu dans un État membre ayant décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction. Dans un tel contexte, la Cour a estimé, en substance, que le principe de confiance mutuelle et l’interdiction de réviser les jugements au fond seraient méconnus si la juridiction d’un État membre était habilitée à contrôler la décision d’une juridiction d’un autre État membre ayant appliqué les dispositions du règlement no 44/2001 pour refuser ou admettre sa compétence. Elle en a déduit que de telles considérations rendaient nécessaire une approche autonome de l’autorité de la chose jugée définie au niveau de l’Union, indépendamment des règles nationales ( 30 ).

    51.

    Je relève également que la Cour s’est non seulement explicitement référée à l’arrêt Hoffmann ( 31 ), mais a également pris le soin de souligner que la reconnaissance des décisions des juridictions des États membres déclinant leur compétence en vertu du règlement no 44/2001, qui sont prises en application de règles communes de compétence prévues par le droit de l’Union, obéit à un régime propre ( 32 ). Il en résulte que, ainsi que le soutient le gouvernement français, la Cour a entendu circonscrire la portée de cette solution à cette hypothèse spécifique ( 33 ).

    52.

    Je déduis de l’ensemble de ces considérations que, en l’état de la jurisprudence de la Cour, il est en principe nécessaire, lorsque la reconnaissance est invoquée, de se reporter à la loi de l’État membre dans lequel une décision a été rendue pour déterminer les effets de cette dernière. Il en découle que, dans le litige au principal, la loi du Royaume-Uni doit être prise en considération pour cerner l’autorité et l’efficacité attachées au jugement prononcé par l’Employment Tribunal (tribunal britannique).

    53.

    Cela étant, encore faut-il que, par sa nature et son objet, la loi de l’État d’origine soit susceptible d’avoir une incidence sur la délimitation de l’autorité et de l’efficacité de cette décision. Or, je considère que la règle procédurale de concentration des demandes prévue par le droit du Royaume-Uni, telle qu’elle est présentée par la juridiction de renvoi, ne peut avoir une telle implication.

    54.

    À ce titre, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi ( 34 ) que la règle de l’« abuse of process », qui impose aux parties de concentrer tous les moyens et demandes ( 35 ) qu’elles auraient pu soutenir lors de l’instance conduisant à la décision initiale, n’est pas basée sur la notion de res judicata. Selon la juridiction de renvoi, elle présente le caractère d’une « règle d’ordre public fondée sur le caractère souhaitable, dans l’intérêt général aussi bien que dans celui des parties elles-mêmes, que le litige ne s’éternise pas et que le défendeur ne devrait pas être soumis à plusieurs affaires successives quand une aurait pu suffire. C’est l’abus contre lequel cette règle est dirigée ».

    55.

    Compte tenu de ces caractéristiques, il m’apparaît que cette règle de procédure est justifiée par une conception propre au Royaume-Uni de l’économie du procès en ce qu’elle tend à empêcher l’introduction abusive par le demandeur d’une éventuelle nouvelle procédure.

    56.

    Il en découle que, sous l’angle de la reconnaissance dans un État membre d’une décision prononcée dans un premier État membre, la règle de concentration des demandes ne concerne en rien les points d’ores et déjà tranchés au fond par la décision de justice prononcée dans le premier État membre, les droits y consacrés et leurs implications matérielles sur la situation juridique des parties.

    57.

    Il s’en déduit, à mon sens, qu’une telle règle n’a pas d’incidence sur l’autorité et l’efficacité de la décision dont la reconnaissance est demandée.

    58.

    Par ailleurs, il me semble qu’une conclusion contraire à celle à laquelle je viens de parvenir ne serait pas conforme à l’économie du règlement no 44/2001.

    59.

    En effet, il convient de rappeler que ce règlement tend à faciliter la libre circulation des décisions de justice en prévoyant des règles de compétence unifiées et en simplifiant les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples de ces décisions. Ainsi que l’a souligné la Cour, les règles de compétence et celles relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions de justice ne constituent pas des ensembles distincts et autonomes, mais sont étroitement liées ( 36 ).

    60.

    À cet égard, la prise en considération, au stade de la reconnaissance d’une décision de justice, d’une règle nationale de concentration des demandes, prévue par le droit de l’État membre dont la décision de justice émane, pourrait compromettre la mise en œuvre ultérieure des règles figurant au chapitre II du règlement no 44/2001. Plus précisément, ce règlement prévoit, respectivement aux sections 5 et 9 de ce chapitre, des règles spécifiques de compétence en matière de contrats individuels de travail et des dispositions régissant les situations de litispendance et de connexité des demandes.

    61.

    Je considère que l’obligation en cause dans le litige au principal, en ce qu’elle impose de former toutes les demandes à l’occasion d’un unique recours, est susceptible d’interférer avec les mécanismes prévus par ledit règlement. En effet, une telle obligation pourrait avoir pour conséquence d’empêcher une partie de saisir de nouvelles demandes une juridiction qui serait désignée par le règlement no 44/2001 pour en connaître ou d’éluder les dispositions autonomes de ce règlement propres à prévenir la survenance de procédures concurrentes susceptibles d’engendrer des décisions de justice contradictoires.

    62.

    Or, sauf à méconnaître l’objectif de libre de circulation des décisions de justice, l’application des dispositions du règlement no 44/2001 ne saurait dépendre du contenu des règles de procédure d’un État membre.

    63.

    J’ajoute que cette conclusion n’est pas davantage remise en cause par la circonstance que le droit de l’État membre dans lequel la reconnaissance est invoquée contient une règle similaire de concentration des demandes. En effet, pour les raisons que je viens d’exposer, le seul motif que les législations des deux États membres prévoient de manière concordante une telle obligation ne saurait davantage justifier la neutralisation des règles de compétence prévues par le règlement no 44/2001.

    64.

    Au regard de l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle que les dispositions des articles 33 et 36 du règlement no 44/2001 doivent être interprétées en ce sens que la reconnaissance d’une décision de justice rendue dans un État membre, dont la loi prévoit une règle de concentration des demandes interdisant aux mêmes parties d’engager une nouvelle action portant sur des prétentions qui auraient pu être formulées dès l’instance initiale, ne s’oppose pas, même dans la circonstance où le droit de l’État membre dans lequel la reconnaissance est invoquée prévoit une obligation similaire de concentration des demandes, à ce que le juge de ce second État statue sur de telles prétentions.

    65.

    Dans la mesure où une règle processuelle interne de concentration des demandes ne constitue pas un critère opérant pour la détermination de l’autorité attachée à une décision rendue dans un État membre, il reste à déterminer, comme y invitent les deuxième et troisième questions préjudicielles, sur quelles bases une telle décision doit être mise en rapport avec les demandes formées à l’occasion d’une nouvelle procédure engagée devant une juridiction d’un second État membre.

    C.   Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

    1. Sur la reformulation des questions

    66.

    La deuxième question de la juridiction de renvoi, qui est articulée en deux parties, est posée en cas de réponse négative à la première question.

    67.

    En premier lieu, cette juridiction cherche à savoir si une action telle que celle en « unfair dismissal » au Royaume-Uni a la même cause et le même objet qu’une action telle que celle en licenciement sans cause réelle et sérieuse en droit français, de sorte que les demandes faites par le salarié de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de licenciement devant le juge français, après que ce salarié a obtenu au Royaume-Uni une décision déclarant l’« unfair dismissal » et allouant à ce titre un « compensatory award », seraient irrecevables.

    68.

    En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, à cet égard, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui pourraient avoir la même cause et le même objet que le « compensatory award », et, d’autre part, les indemnités de licenciement et de préavis qui, en droit français, sont dues lorsque le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse mais ne sont pas dues en cas de licenciement fondé sur une faute grave.

    69.

    Par sa troisième question, également posée en cas de réponse négative à la première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si les articles 33 et 36 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens qu’ont la même cause et le même objet une action telle que celle en « unfair dismissal » au Royaume-Uni et une action en paiement de bonus ou de primes prévus au contrat de travail dès lors que ces actions se fondent sur le même rapport contractuel.

    70.

    À l’examen de ces questions, je relève, d’abord, que la deuxième question invite la Cour à examiner de manière détaillée les indemnités prévues respectivement par les droits britannique et français afin de déterminer si l’action formée en « unfair dismissal » et celle en licenciement sans cause réelle et sérieuse reposent sur la même cause et le même objet. Je constate, ensuite, que, en ce qu’elle se rapporte à l’identité de cause et d’objet susceptible d’exister entre l’action en « unfair dismissal » et celle en paiement de primes ou bonus prévus par le contrat de travail, la troisième question suppose également une analyse du contenu substantiel des législations en cause dans le litige au principal.

    71.

    Il en découle, à mon sens, que ces questions impliquent de se livrer à un délicat exercice d’appréhension puis de comparaison entre elles de dispositions techniques prévues par les législations britannique et française en cause dans le litige au principal. Or, selon une jurisprudence constante, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit national, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi ( 37 ).

    72.

    Cependant, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence toute aussi constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises ( 38 ).

    73.

    Au cas présent, il ressort des termes de la demande de décision préjudicielle ( 39 ) que, au-delà de la comparaison du contenu des législations nationales en cause dans le litige au principal, la juridiction de renvoi s’interroge, dans un contexte où la reconnaissance est invoquée de façon incidente, sur l’interprétation des notions de « cause » et d’« objet » ( 40 ) au regard des dispositions des articles 33 et 36 du règlement no 44/2001. Plus particulièrement, cette juridiction se demande, en substance, si, pour la détermination de l’identité de cause et d’objet d’actions liées à un même contrat de travail, il convient de distinguer entre les actions se rapportant aux obligations inhérentes à l’exécution du contrat du travail et celles portant sur les obligations propres à la rupture de ce contrat.

    74.

    Dans la mesure où, indépendamment de la teneur littérale des deuxième et troisième questions, ces interrogations tendent à l’interprétation du droit de l’Union, je propose, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, de reformuler ces questions en ces termes :

    Les articles 33 et 36 du règlement no 44/2001 doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cas où la reconnaissance d’une décision rendue dans un premier État membre est invoquée de façon incidente devant la juridiction d’un second État membre, ont la même cause et le même objet les actions fondées sur un même contrat de travail et portant les unes sur des obligations nées de l’exécution de ce contrat, les autres sur les obligations nées de la rupture de celui-ci ?

    2. Sur les questions reformulées

    a) Considérations liminaires

    75.

    Il y a lieu de relever que la juridiction de renvoi pose pour postulat que, pour apprécier la recevabilité des demandes présentées dans un second État membre, il convient de se référer au critère d’identité de parties, de cause et d’objet. Aussi, avant même de procéder à l’examen de la question telle que reformulée, il paraît nécessaire de vérifier si un tel critère revêt un caractère opérant.

    76.

    Sur ce point, il convient d’abord d’observer que les articles 33 et 36 du règlement no 44/2001 ne renvoient nullement aux notions d’« identité de parties », « de cause » et d’« objet ». En revanche, ces notions constituent un élément central de l’application des dispositions de l’article 27 de ce règlement applicables à la situation de litispendance ( 41 ).

    77.

    La litispendance suppose que deux juridictions de l’Union désignées comme étant également compétentes soient saisies d’un même litige. Dans une telle hypothèse, l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 prévoit que « [l]orsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie ». Comme l’exprime le considérant 15 de ce règlement, les règles de litispendance ont été édictées en vue de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres.

    78.

    Les dispositions relatives à la litispendance répondent donc à l’économie générale du règlement no 44/2001. En effet, le principe de confiance mutuelle entre les juridictions des États membres et l’objectif de libre circulation des décisions de justice seraient compromis par l’absence d’un mécanisme autonome propre à prévenir le développement de procédures concurrentes portant sur une même contestation ( 42 ).

    79.

    En cela, la litispendance est étroitement liée à l’aspect négatif de l’autorité de la chose jugée ( 43 ). En effet, l’autorité de la chose jugée attachée à une décision de justice dont la reconnaissance est invoquée de façon incidente fait obstacle à ce qu’une contestation tranchée par une juridiction d’un premier État membre puisse faire l’objet d’une nouvelle action intentée devant une juridiction d’un second État membre.

    80.

    Il en découle que les règles relatives à la litispendance et à la reconnaissance ont pour finalité commune de concourir à la pleine autorité de la décision de justice rendue dans l’État membre d’origine, laquelle ne doit pas pouvoir être remise en cause par une décision rendue par une juridiction d’un autre État membre ( 44 ).

    81.

    Au demeurant, la Cour s’est référée à ce lien pour décider qu’il serait incompatible avec les dispositions régissant la reconnaissance d’admettre un recours ayant le même objet et formé entre les mêmes parties qu’un recours déjà tranché par une juridiction d’un autre État membre ( 45 ). Au soutien de son raisonnement, la Cour a ajouté, en substance, que l’incompatibilité d’un tel recours résulte des dispositions relatives à la litispendance visant le cas où les demandes « ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États contractants différents » et faisant obligation à la juridiction saisie en second lieu de se dessaisir en faveur du tribunal premier saisi. Elle en a déduit que lesdites dispositions démontrent le souci d’éviter que les juridictions des deux États contractants statuent respectivement sur un seul et même litige ( 46 ).

    82.

    Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a retenu en substance, les dispositions relatives à la litispendance visent à faciliter la reconnaissance des décisions en justice en prévenant le risque d’un refus de reconnaissance de la décision rendue dans l’État d’origine en raison de l’incompatibilité de cette décision avec une décision rendue entre les mêmes parties dans un autre État membre ( 47 ).

    83.

    À cet égard, je rappelle que parmi les motifs de refus de reconnaissance visés à l’article 34 du règlement no 44/2001, figurent, d’une part, l’inconciliabilité avec une décision entre les mêmes parties rendue dans l’État membre requis ( 48 ) et, d’autre part, l’inconciliabilité avec une décision antérieure rendue dans un autre État ( 49 ).

    84.

    Cet objectif ainsi que l’impossibilité de déduire d’un rapprochement des différentes dispositions nationales une acception commune de la litispendance ( 50 ) ont conduit la Cour à dégager une interprétation autonome des notions d’« identité de parties », de « cause » et d’« objet » ( 51 ).

    85.

    Cela étant, les règles gouvernant la litispendance et le refus de reconnaissance d’une décision de justice ne recouvrent pas l’hypothèse spécifique visée à l’article 33, paragraphe 3, du règlement no 44/2001.

    86.

    En effet, si la litispendance a vocation à prévenir la survenance d’une contrariété de décisions et, partant, des cas dans lesquels l’exception de chose jugée pourrait être opposée, il existe des situations où les dispositions de l’article 27 de ce règlement ne sont pas applicables, soit parce que l’application de ce texte a été omise par la juridiction saisie en second lieu, soit parce que, en l’absence de procédures parallèles, la litispendance n’a pu être utilement invoquée.

    87.

    De même, le refus de reconnaissance ne trouve lieu à s’appliquer que dans l’hypothèse où, l’exception de chose jugée n’ayant pas été précédemment opposée au cours d’une seconde instance, deux décisions, qui ont été effectivement rendues, revêtent un caractère inconciliable.

    88.

    Le cas visé à l’article 33, paragraphe 3, du règlement no 44/2001 correspond à une situation à la fois intermédiaire et autonome où la reconnaissance d’un jugement rendu dans un premier État membre est invoquée de façon incidente pour faire échec à des demandes présentées dans le cadre d’une instance poursuivie devant la juridiction d’un second État membre.

    89.

    Dans un tel cas de figure, la juridiction devant laquelle l’exception de chose jugée est invoquée doit disposer de critères de comparaison simples lui permettant de se prononcer sur la recevabilité des demandes dont elle est saisie. Sous cet angle, l’élément central de cette comparaison est constitué par l’identité entre les matières litigieuses tranchées par la décision de justice émanant de l’État membre d’origine et celles soumises à la juridiction de l’autre État membre. Or, compte tenu de la finalité commune aux mécanismes que je viens d’évoquer, une telle identité suppose logiquement une mise en rapport des parties, de la cause et de l’objet en jeu dans chacune des procédures.

    90.

    Aussi, la transposition du critère d’identité de parties, de cause et d’objet applicable à la litispendance me semble propre à fournir au juge national un instrument défini par le droit de l’Union ( 52 ) répondant à la nécessité d’éviter tout renouvellement d’un contentieux d’ores et déjà tranché par une autre juridiction de l’Union.

    91.

    Cela étant, il convient de souligner que ce critère n’a d’autre objet que de permettre au juge de vérifier si le recours dont il est saisi a déjà été tranché par une juridiction d’un État membre, de sorte que sa mise en œuvre ne saurait avoir d’incidence sur les effets de la reconnaissance qui relèvent d’un régime distinct.

    92.

    En d’autres termes, je considère que, si l’appréciation de la recevabilité des demandes formées devant la juridiction d’un État membre suppose une comparaison fondée sur l’identité de parties, de cause et d’objet, les effets déployés par la décision de justice initiale, dont la reconnaissance est invoquée de façon incidente, doivent, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, toujours être déterminés uniquement au regard de la loi de l’État d’origine.

    93.

    À mon sens, ces deux solutions s’articulent de manière cohérente. En effet, je considère que cette approche comparative est de nature à préserver l’autorité et l’efficacité dont bénéficie une décision dans l’État membre où elle a été rendue en excluant toute possibilité qu’elle soit remise en cause par un recours introduit dans un second État membre.

    94.

    Au regard de l’ensemble de ces considérations, il me semble qu’il convient d’examiner les questions telles que reformulées en transposant, à la lumière des règles gouvernant la reconnaissance, l’interprétation des notions de « cause » et d’« objet » dégagée par la Cour pour l’application de l’article 27 du règlement no 44/2001.

    b) Sur l’identité de cause et d’objet

    95.

    S’agissant de l’identité de cause, la Cour a considéré que, au sens des règles gouvernant la litispendance, cette condition est remplie dès lors que les litiges dans lesquels les parties sont engagées sont basés sur le même rapport contractuel ( 53 ). Développant une approche plus générale, la Cour entend la « cause » comme comprenant les faits et la règle juridique invoqués comme fondement de la demande ( 54 ).

    96.

    Au regard de cette définition, j’estime qu’il y a peu de doute que les demandes tranchées par l’Employment Tribunal (tribunal britannique) et celles introduites devant les juridictions françaises ont la même cause dès lors qu’elles trouvent leur base factuelle dans la rupture du contrat de travail liant les parties et leur fondement juridique dans les obligations nées de ce contrat.

    97.

    S’agissant de l’identité d’objet au sens de l’article 27 du règlement no 44/2001, la Cour a d’abord énoncé qu’elle ne peut être restreinte à l’identité formelle de deux demandes ( 55 ).

    98.

    À ce titre, elle a estimé que, dans le cas d’un contrat de vente internationale d’objets mobiliers, la demande d’exécution de ce contrat a pour but de rendre celui-ci efficace et que la demande d’annulation et de résolution a précisément pour but de lui ôter toute efficacité. Elle en a déduit que la force obligatoire du contrat se trouvant ainsi au centre des deux litiges, ces demandes reposaient sur un même objet ( 56 ).

    99.

    La Cour a ensuite précisé que l’objet consiste dans le but de la demande, la notion d’« objet » ne pouvant être restreinte à l’identité formelle des deux demandes, et qu’il convient, à cet égard, de tenir compte des prétentions respectives des demandeurs dans chacun des litiges ( 57 ). Compte tenu d’une telle acception, la Cour considère que cette notion doit être interprétée de manière large ( 58 ).

    100.

    Sur la base de cette définition, la Cour s’est livrée à une approche casuistique de la notion d’« objet » ( 59 ). Elle a ainsi considéré qu’une demande qui tend à faire juger que le défendeur est responsable d’un préjudice et à le faire condamner à verser des dommages-intérêts a la même cause et le même objet qu’une demande antérieure de ce défendeur tendant à faire juger qu’il n’est pas responsable dudit préjudice ( 60 ). Il en va, a fortiori, de même quand les demandes visent la réparation d’un même préjudice ( 61 ). En revanche, elle a écarté l’identité d’objet en présence de demandes dont l’une tend à engager la responsabilité d’un défendeur, l’autre à limiter le montant des dommages-intérêts dans l’hypothèse où cette responsabilité serait engagée ( 62 ).

    101.

    Il découle de ces exemples que, dans le cadre d’une conception large de la notion d’« objet », la Cour analyse le but des demandes à la lumière des effets potentiels des décisions à intervenir afin de prévenir tout risque d’incompatibilité entre des décisions rendues dans deux États membres.

    102.

    Cela étant, il convient de transposer cette définition de l’identité d’objet aux règles gouvernant la reconnaissance. À ce titre, j’observe que la litispendance suppose la saisine concurrente de deux juridictions désignées comme étant compétentes par le règlement no 44/2001. Dans un tel contexte où deux procédures sont poursuivies parallèlement, il est logique d’appréhender les buts des demandes simultanément pendantes.

    103.

    Dans l’hypothèse où la reconnaissance est invoquée au titre d’une exception de chose jugée, il y a essentiellement lieu de vérifier que les demandes portées devant une juridiction d’un second État membre ne se recoupent pas avec la chose précédemment jugée dans un premier État membre.

    104.

    À mon sens, un tel office implique de déterminer si le résultat que le demandeur espère atteindre par l’introduction d’une nouvelle action n’entre pas, même de manière potentielle, en collision avec le contenu de la contestation tranchée par la décision initiale.

    105.

    Il s’en déduit que, dans le contexte de la reconnaissance à titre incident, le contrôle de l’identité d’objet doit s’opérer sur la base d’une stricte comparaison entre, d’une part, les demandes portées devant la juridiction du premier État membre et tranchées par celle-ci et, d’autre part, le contenu et la finalité des demandes présentées lors de l’instance introduite devant le second État membre.

    106.

    Sur la base de ces éléments, il me semble que, en principe, il n’existe pas d’identité d’objet entre les actions portant sur la rupture du contrat de travail et celles portant sur l’exécution du contrat de travail. En effet, la contestation relative à la rupture du contrat de travail et ses conséquences financières tranchée par une juridiction d’un État membre n’a pas d’incidence sur des demandes tendant à obtenir le paiement de sommes dues en vertu de ce contrat au titre de l’exécution de la prestation de travail.

    107.

    Cela étant, une telle dissemblance d’objet ne remet nullement en cause l’obligation faite à la juridiction du second État membre de tenir compte, lorsqu’elle se prononce au fond, des effets découlant de la décision rendue dans le premier État membre. Ainsi, dans une situation telle que celle au principal, le juge saisi de demandes en paiement de rémunérations au titre de l’exécution d’un contrat de travail serait tenu de prendre en considération les éventuelles implications de la décision initiale sur les prétentions salariales du demandeur ( 63 ).

    108.

    Au regard de l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de répondre aux deuxième et troisième questions, telles que reformulées, que les articles 33 et 36 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cas où la reconnaissance d’une décision rendue dans un premier État membre est invoquée de façon incidente devant la juridiction d’un second État membre, les actions fondées sur un même contrat de travail et portant les unes sur des obligations nées de l’exécution de ce contrat, les autres sur les obligations nées de la rupture de celui-ci ont la même cause mais n’ont pas le même objet.

    VI. Conclusion

    109.

    À la lumière des considérations qui précèdent, je propose de répondre en ces termes aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation (France) :

    1)

    Les articles 33 et 36 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

    doivent être interprétés en ce sens que :

    la reconnaissance d’une décision de justice rendue dans un État membre, dont la loi prévoit une règle de concentration des demandes interdisant aux mêmes parties d’engager une nouvelle action portant sur des prétentions qui auraient pu être formulées dès l’instance initiale, ne s’oppose pas, même dans la circonstance où le droit de l’État membre dans lequel la reconnaissance est invoquée prévoit une obligation similaire de concentration des demandes, à ce que le juge de ce second État statue sur de telles prétentions.

    2)

    Les articles 33 et 36 du règlement no 44/2001,

    doivent être interprétés en ce sens que :

    dans le cas où la reconnaissance d’une décision rendue dans un premier État membre est invoquée de façon incidente devant une juridiction d’un second État membre, les actions fondées sur un même contrat de travail et portant les unes sur des obligations nées de l’exécution de ce contrat, les autres sur les obligations nées de la rupture de celui-ci ont la même cause mais n’ont pas le même objet.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

    ( 3 ) Voir, notamment, Turmo, A., L’autorité de la chose jugée en droit de l’Union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2017 ; Kessedjian, C., « L’autorité de la chose jugée et l’effectivité du droit européen », ERA Forum, no 11, 2010, p. 263 et suiv. ; Menétrey, S., et Cuniberti, G., « Saisie conservatoire en France sur des biens gelés par une injonction Mareva chypriote : le (faible) jeu de l’autorité de chose jugée », Revue critique de droit international privé, 2019, p. 215 et suiv.

    ( 4 ) Il convient d’indiquer que cette problématique est également abordée dans l’affaire Recamier (C‑707/21, actuellement suspendue), la juridiction de renvoi demandant à la cour « si la définition autonome de l’autorité de la chose jugée concerne l’ensemble des conditions et des effets de celle-ci » ou « si une part doit être réservée à la loi de la juridiction saisie et/ou à la loi de la juridiction qui a rendu la décision ». Voir, sur cette seconde affaire, Bléry, C., « Quelle autonomie de la notion d’autorité de la chose jugée ? : droit de l’Union versus droit français », Dalloz actualité, 1er décembre 2021.

    ( 5 ) JORF no 0120 du 25 mai 2016, texte no 30.

    ( 6 ) Point 37 de la demande de décision préjudicielle. Il convient de souligner que les développements détaillés consacrés par la juridiction de renvoi à la présentation de la règle de l’« abuse of process » figurent au point 38 de la version non anonymisée et sans omission de la demande de décision préjudicielle.

    ( 7 ) Règlement du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1). Ce règlement a remplacé le règlement no 44/2001.

    ( 8 ) JO 2019, C 384 I, p. 1.

    ( 9 ) Voir arrêt du 6 juin 2019, Weil (C‑361/18, EU:C:2019:473, point 40 et jurisprudence citée). J’observe également que, s’agissant de l’interprétation du règlement no 1215/2012, la Cour retient un raisonnement analogue. Voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2022, London Steam-Ship Owners’ Mutual Insurance Association (C‑700/20, EU:C:2022:488, point 42 et jurisprudence citée).

    ( 10 ) JO 1972, L 299, p. 32.

    ( 11 ) Il convient également de relever que l’article 33, paragraphe 1, et l’article 36 du règlement no 44/2001 présentent une rédaction très proche de celle des articles 36 et 52 du règlement no 1215/2012.

    ( 12 ) Rapport de P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 44) (ci-après le « rapport Jenard »).

    ( 13 ) À cet égard, P. Jenard souligne que « [l]es mots “autorité de chose jugée” qui figurent dans plusieurs conventions ont été expressément omis, étant donné que sont susceptibles d’être reconnues les décisions provisoires et les décisions rendues en matière de juridiction gracieuse, lesquelles n’ont pas toujours autorité de chose jugée ». Rapport Jenard, p. 43.

    ( 14 ) Ces développements sont tirés de ces ouvrages : Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-É., Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 6e édition, 2018, p. 583, ainsi qu’Alexandre, D., et Huet, A., Répertoire de procédure civile, compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale, 2021, paragraphes 335 et suiv.

    ( 15 ) Arrêt du 20 octobre 2022, Koalitsia  Demokratichna Bulgaria – Obedinenie  (C‑306/21, EU:C:2022:813, point 27 et jurisprudence citée).

    ( 16 ) Arrêt du 27 octobre 2022, Orthomol (C‑418/21, EU:C:2022:831, point 24 et jurisprudence citée). Plus précisément, les dispositions du règlement no 44/2001 doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci. Voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2018, E.ON Czech Holding (C‑560/16, EU:C:2018:167, point 25 et jurisprudence citée).

    ( 17 ) Je note que, dans son rapport, P. Jenard soulignait que la convention de Bruxelles « tend à faciliter, dans toute la mesure du possible, la libre circulation des jugements et c’est dans cet esprit qu’elle doit être interprétée » (rapport Jenard, p. 42).

    ( 18 ) Arrêt du 4 octobre 2018, Società Immobiliare Al Bosco (C‑379/17, EU:C:2018:806, point 45 et jurisprudence citée).

    ( 19 ) Arrêt du 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung e.a. (C‑456/11, ci-après l’ arrêt Gothaer , EU:C:2012:719, point 28).

    ( 20 ) Rapport Jenard, p. 43.

    ( 21 ) Arrêt du 4 février 1988 (145/86, EU:C:1988:61).

    ( 22 ) Arrêt du 4 février 1988, Hoffmann (145/86, EU:C:1988:61, points 10 et 11). Voir également, en ce sens, arrêt Gothaer, point 34.

    ( 23 ) Rapport Jenard, p. 48.

    ( 24 ) Arrêts du 28 avril 2009, Apostolides (C‑420/07, EU:C:2009:271, point 66) ; du 13 octobre 2011, Prism Investments (C‑139/10, EU:C:2011:653, point 38), et du 4 octobre 2018, Società Immobiliare Al Bosco (C‑379/17, EU:C:2018:806, point 40).

    ( 25 ) Si les règles afférentes à la reconnaissance et à l’exécution sont regroupées au chapitre III du règlement no 44/2001, elles font, hormis les dispositions communes figurant à la section 3 de ce chapitre, l’objet de règles spécifiques mentionnées dans des sections distinctes de ce règlement.

    ( 26 ) Voir, pour une définition de l’exécution, Alexandre, D., et Huet, A., Répertoire de procédure civile, compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale, 2021p. , paragraphe 335, et Requejo Isidro, M., Brussels I Bis : A Commentary on Regulation (EU) no 1215/2012, Elgar Commentaries in Private International Law Series, 2022, p. 550.

    ( 27 ) Au demeurant, cette solution est consacrée par le règlement no 1215/2012 dont l’article 54 énonce : « [s]i une décision comporte une mesure ou une injonction qui est inconnue dans le droit de l’État membre requis, cette mesure ou injonction est adaptée autant que possible à une mesure ou une injonction connue dans le droit dudit État membre ayant des effets équivalents et poursuivant des objectifs et des intérêts similaires ».

    ( 28 ) Pour une présentation de la règle de l’extension des effets et des conséquences qui en découlent, voir Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-É., Compétence et exécution des jugements en Europe, op. cit., p. 550 ; Requejo Isidro, M., Brussels I Bis : A Commentary on Regulation (EU) no 1215/2012, op. cit., p. 551, et Dickinson, A., Lein, E., et James, A., The Brussels I Regulation Recast, Oxford University Press, 2015, paragraphes 13.33 et suiv.

    ( 29 ) Arrêt Gothaer, point 43.

    ( 30 ) Arrêt Gothaer, points 35 à 39.

    ( 31 ) Arrêt du 4 février 1988 (145/86, EU:C:1988:61, point 34).

    ( 32 ) Arrêt Gothaer, point 42.

    ( 33 ) Voir, sur la portée de cet arrêt, Requejo Isidro, M., Brussels I Bis : A Commentary on Regulation (EU) no 1215/2012, op. cit., p. 552 ; Dickinson, A., Lein, E., et James, A., The Brussels I Regulation Recast, op. cit., paragraphes 13.51 et suiv. ; Voulgarakis, K. D., « Reflections on the Scope of “EU Res Judicata” in the Context of Regulation 1215/2012 : Case C‑456/11 (Gothaer) », Journal of Private International Law, 2020, 16 : 3, p. 451 à 464 ; Nioche, M., « Reconnaissance d’une décision étrangère d’incompétence prise sur le fondement d’une clause attributive de juridiction », Revue critique de droit international privé, 2013, p. 686 et suiv., ainsi que di Noto, R., « Règlement Bruxelles I : à propos de la reconnaissance et de l’autorité de la chose jugée d’une décision nationale d’incompétence », www.gdr-elsj.eu.

    ( 34 ) Je me réfère au point 38 de la version non anonymisée et sans omission de la demande de décision préjudicielle.

    ( 35 ) Il convient de rappeler que la juridiction de renvoi considère que la loi française applicable ratione temporis prévoit une règle similaire de concentration des prétentions.

    ( 36 ) Voir, en ce sens, arrêt Gothaer, point 35 et jurisprudence citée.

    ( 37 ) Voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, IFAP (C‑447/20 et C‑448/20, EU:C:2022:265, point 100 et jurisprudence citée).

    ( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, DN (Recouvrement de prestations familiales) (C‑199/21, EU:C:2022:789, point 47 et jurisprudence citée).

    ( 39 ) Je me réfère plus particulièrement au point 43 de la demande de décision préjudicielle.

    ( 40 ) Il convient de souligner que dans la présente affaire, la notion d’« identité des parties » ne fait l’objet d’aucune discussion.

    ( 41 ) Pour une présentation de l’économie générale des règles de litispendance, voir Dickinson, A., Lein, E., et James, A., The Brussels I Regulation Recast, op. cit., paragraphes 11.01 et suiv.

    ( 42 ) Voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2022, London Steam-Ship Owners’ Mutual Insurance Association (C‑700/20, EU:C:2022:488, points 56 et 70).

    ( 43 ) Voir, sur ce point, Turmo, A., L’autorité de la chose jugée en droit de l’Union européenne, op. cit., p. 182 et suiv.

    ( 44 ) Une telle interdiction résulte de la prohibition, faite à l’article 36 du règlement no 44/2001, de toute révision au fond de la décision étrangère.

    ( 45 ) Arrêts du 30 novembre 1976, de Wolf (42/76, EU:C:1976:168, point 10), et du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, ci-après l’ arrêt Gubisch , EU:C:1987:528, point 9).

    ( 46 ) Arrêt du 30 novembre 1976, de Wolf (42/76, EU:C:1976:168, points 11 et 12).

    ( 47 ) Arrêt Gubisch, points 8 et 18.

    ( 48 ) Article 34, point 3, du règlement no 44/2001.

    ( 49 ) Selon l’article 34, point 4, du règlement no 44/2001, la décision de justice n’est pas reconnue si elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis. Les notions de « cause » et d’« objet » visées à cet article doivent recevoir la même interprétation que celle donnée en matière de litispendance. Voir, sur ce point, Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-É., Compétence et exécution des jugements en Europe, op. cit., p. 645 ; Requejo Isidro, M., Brussels I Bis : A Commentary on Regulation (EU) no 1215/2012, op. cit., p. 661, et Dickinson, A., Lein, E., et James, A., The Brussels I Regulation Recast, op. cit., paragraphe 13.366.

    ( 50 ) J’observe, à cet égard, que les mots « cause » et « objet » ne figurent pas dans plusieurs des versions linguistiques de l’article 27 du règlement no 44/2001. Les versions en langues anglaise, allemande et estonienne utilisent respectivement les termes « same cause of action », « desselben Anspruchs » et « hagide põhjal menetlusi ». Ces différences reflètent la pluralité d’approche de la notion de « litispendance » par les différents ordres juridiques nationaux.

    ( 51 ) Arrêt Gubisch, points 10 et 11.

    ( 52 ) Cette approche autonome me paraît d’autant plus nécessaire que, en raison de la divergence d’approche entre les droits internes, les juges nationaux doivent disposer d’un instrument de comparaison homogène.

    ( 53 ) Arrêt Gubisch, point 15. En l’espèce, les litiges portaient sur un même contrat de vente internationale d’objets mobiliers.

    ( 54 ) Voir arrêt du 19 octobre 2017, Merck (C‑231/16, EU:C:2017:771, point 36 et jurisprudence citée). Sur la base de cette définition, la Cour a jugé, par exemple, qu’ont la même cause des demandes introduites sur le fondement de contrats de transport distincts mais libellés en termes identiques portant sur les mêmes marchandises transportées en vrac et endommagées dans les mêmes circonstances. Voir, également, arrêt du 6 décembre 1994, Tatry (C‑406/92, EU:C:1994:400, point 40).

    ( 55 ) Arrêt Gubisch, point 17.

    ( 56 ) Arrêt Gubisch, point 16. Cette solution a, cependant, été critiquée en doctrine, notamment au motif que les actions en nullité et en exécution d’une convention ont des objets fondamentalement différents et que le recours à la notion de « force obligatoire » peut avoir pour conséquence de retenir une situation de litispendance chaque fois que deux demandes portent sur un même contrat. Voir, sur ce point, Gaudemet-Tallon, H., et Ancel, M.-É., Compétence et exécution des jugements en Europe, op. cit., p. 353.

    ( 57 ) Arrêt du 19 octobre 2017, Merck (C‑231/16, EU:C:2017:771, points 39 et 41, ainsi que jurisprudence citée). Toutefois, il faudrait souligner qu’il convient de tenir compte des prétentions des demandeurs respectifs, à l’exclusion des moyens de défense soulevés par un défendeur. Voir arrêt du 8 mai 2003, Gantner Electronic (C‑111/01, EU:C:2003:257, point 32). Plus récemment, la Cour a encore rappelé qu’une demande reconventionnelle ne se confond pas avec un simple moyen de défense. Voir arrêt du 13 octobre 2022, Gemeinde Bodman-Ludwigshafen (C‑256/21, EU:C:2022:786, point 38).

    ( 58 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C‑523/14, EU:C:2015:722, point 45).

    ( 59 ) Il me semble que, à cet égard, ne sont pas topiques les arrêts par lesquels, après avoir rappelé la définition de l’objet au sens de l’article 27 du règlement no 44/2001, la Cour a analysé l’identité d’objet au regard des règles de litispendance propres à d’autres instruments du droit de l’Union. Tel est notamment le cas de l’arrêt du 19 octobre 2017, Merck (C‑231/16, EU:C:2017:771), la Cour ayant statué sur l’identité d’actions sur la base de marques de l’Union et de marques nationales au regard des dispositions de l’article 109, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

    ( 60 ) Arrêt du 6 décembre 1994, Tatry (C‑406/92, EU:C:1994:400, point 45). Voir, dans le même sens, arrêts du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec (C‑133/11, EU:C:2012:664, point 49), et du 19 décembre 2013, Nipponka Insurance (C‑452/12, EU:C:2013:858, point 42).

    ( 61 ) Voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C‑523/14, EU:C:2015:722, point 46).

    ( 62 ) Arrêt du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas (C‑39/02, EU:C:2004:615, point 35).

    ( 63 ) Tel serait le cas de la détermination, conformément à la loi de l’État d’origine, par la décision initiale de la date de rupture du contrat de travail, laquelle serait susceptible d’avoir une incidence sur le terme de la période durant laquelle des rémunérations sont dues.

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