Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62019CJ0558

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 8 octobre 2020.
    Impresa Pizzarotti & C SPA Italia Sucursala Cluj contre Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunalul Cluj.
    Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 63 TFUE – Liberté d’établissement – Libre circulation des capitaux – Détermination du revenu imposable des sociétés – Personnes se trouvant dans une situation d’interdépendance – Avantage anormal consenti par une succursale résidente à une société non-résidente – Rectification des revenus imposables de la succursale d’une société non-résidente – Absence de rectification des revenus imposables en cas d’avantage identique octroyé par sa succursale à une société résidente – Principe de libre concurrence – Restriction à la liberté d’établissement – Justification – Répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres – Proportionnalité.
    Affaire C-558/19.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:806

     ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

    8 octobre 2020 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 63 TFUE – Liberté d’établissement – Libre circulation des capitaux – Détermination du revenu imposable des sociétés – Personnes se trouvant dans une situation d’interdépendance – Avantage anormal consenti par une succursale résidente à une société non-résidente – Rectification des revenus imposables de la succursale d’une société non-résidente – Absence de rectification des revenus imposables en cas d’avantage identique octroyé par sa succursale à une société résidente – Principe de libre concurrence – Restriction à la liberté d’établissement – Justification – Répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres – Proportionnalité »

    Dans l’affaire C‑558/19,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj, Roumanie), par décision du 3 juillet 2019, parvenue à la Cour le 23 juillet 2019, dans la procédure

    Impresa Pizzarotti & C SPA Italia Sucursala Cluj

    contre

    Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili,

    LA COUR (sixième chambre),

    composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. M. Safjan et N. Jääskinen (rapporteur), juges,

    avocat général : Mme J. Kokott,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour Impresa Pizzarotti & C SPA Italia Sucursala Cluj, par Me L. I. Buduşan, avocată,

    pour le gouvernement roumain, initialement par M. C.-R. Canţăr ainsi que par Mmes E. Gane et A. Rotăreanu, puis par Mmes E. Gane et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme J. Očková, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Tassopoulou et A. Magrippi, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. De Bonis, avvocato dello Stato,

    pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

    pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme A. Armenia, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 63 TFUE.

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Impresa Pizzarotti & C SPA Italia Sucursala Cluj (ci-après « Impresa Pizzarotti ») à l’Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcția Generală de Administrare a Marilor Contribuabili (agence nationale d’administration fiscale – direction générale pour l’administration des grands contribuables, Roumanie, ci-après l’« autorité fiscale »), au sujet de l’annulation d’un acte administratif fiscal émis par cette autorité ainsi que de l’avis d’imposition établi sur la base dudit acte.

    Le droit roumain

    3

    L’article 7 de la Legea nr. 571 privind Codul fiscal (loi no 571, portant code des impôts), du 22 décembre 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code des impôts »), dispose :

    « Aux fins du présent code, à l’exception du titre VI, on entend par :

    [...]

    20.   “personne” : toute personne physique ou morale ;

    21.   “personne liée” : une personne est liée à une autre si leur relation correspond à au moins l’un des cas de figure suivants :

    [...]

    c)

    une personne morale est liée à une autre si, au moins :

    i)

    la première personne morale détient directement ou indirectement, y compris les participations des personnes liées, au moins 25 % de la valeur ou du nombre des titres de participation ou des droits de vote de l’autre personne morale ou si elle contrôle cette dernière ;

    ii)

    la seconde personne morale détient, directement ou indirectement, y compris les participations des personnes liées, au moins 25 % de la valeur ou du nombre des titres de participation ou des droits de vote de la première personne morale ;

    iii)

    une personne morale tierce détient, directement ou indirectement, y compris les participations des personnes liées, au moins 25 % de la valeur ou du nombre des titres de participation ou des droits de vote tant de la première personne morale que de la seconde.

    [...]

    32.   transfert : toute vente, cession ou aliénation du droit de propriété, l’échange d’un droit de propriété contre des services ou un autre droit de propriété ainsi que le transfert de la masse patrimoniale fiduciaire dans le cadre de l’opération de fiducie conformément au code civil. »

    4

    L’article 11, paragraphe 2, de ce code prévoit :

    « Dans le cadre d’une transaction entre des personnes roumaines et des personnes non-résidentes liées ainsi qu’entre personnes roumaines liées, les autorités fiscales peuvent ajuster les revenus ou les dépenses de chacune de ces personnes, autant que nécessaire, pour refléter le prix du marché des biens ou des services fournis dans le cadre de la transaction. Pour établir le prix de marché des transactions entre personnes liées, la méthode la plus adéquate parmi les suivantes est suivie : [...] »

    5

    L’article 29, paragraphe 3, dudit code est ainsi libellé :

    « Le bénéfice imposable de l’établissement stable est déterminé en considérant ce dernier comme une personne distincte et conformément aux règles relatives aux prix de transfert appliquées pour déterminer le prix de marché d’un transfert effectué entre la personne morale étrangère et son établissement stable. Lorsque l’établissement stable ne possède pas de facture pour les dépenses qui lui sont affectées par son établissement principal, les autres pièces justificatives doivent comprendre des preuves de la prise en charge effective des coûts et de l’affectation raisonnable de ces coûts à l’établissement stable conformément aux règles relatives aux prix de transfert. »

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    6

    Impresa Pizzarotti est la succursale roumaine de SC Impresa Pizzarotti & C SPA Italia (ci-après « Pizzarotti Italia »), établie en Italie.

    7

    Entre le 29 juillet 2016 et le 11 septembre 2017, l’unité de contrôle de l’autorité fiscale a effectué des vérifications auprès d’Impresa Pizzarotti, en sa qualité d’assujettie à l’impôt sur les sociétés, au cours desquelles il a été constaté que cette succursale avait conclu, en qualité de prêteur, deux contrats de prêt avec sa société mère, Pizzarotti Italia : un contrat daté du 6 février 2012, portant sur un montant de 11400000 euros, et un contrat daté du 9 mars 2012, portant sur un montant de 2300000 euros.

    8

    Il ressort de la décision de renvoi que ces sommes avaient été empruntées pour une période initiale d’un an, prorogeable par avenant, que les contrats de prêt ne contenaient aucune clause relative à la perception d’intérêts par Impresa Pizzarotti et que, si à la date du 1er janvier 2013 l’encours s’élevait à 11250000 euros, à celle du 9 avril 2014 les deux prêts avaient été intégralement remboursés.

    9

    Ainsi, compte tenu de l’article 11, paragraphe 2, du code des impôts, qui prévoit que les transactions effectuées entre des personnes roumaines et des personnes non-résidentes liées sont soumises aux règles en matière de prix de transfert, et de l’article 29, paragraphe 3, de ce code, selon lequel la notion de « personnes roumaines » couvre une succursale qui est l’établissement stable d’une personne non-résidente, l’autorité fiscale a estimé qu’Impresa Pizzarotti, société requérante au principal, devait être considérée comme une personne liée à Pizzarotti Italia et que le taux d’intérêt desdits prêts aurait dû être fixé au prix du marché, conformément aux règles en matière de prix de transfert, comme s’ils avaient été réalisés dans des conditions de concurrence normales.

    10

    Par conséquent, l’autorité fiscale a, le 20 septembre 2017, sur la base du rapport de contrôle fiscal datant du même jour, établi un avis d’imposition mettant à charge d’Impresa Pizzarotti un accroissement d’impôt d’un montant de 297141,92 lei roumains (RON) (environ 72400 euros) et une majoration de la base imposable à hauteur de 1857137 RON (environ 452595 euros).

    11

    Par décision du 23 novembre 2017, l’autorité fiscale a rejeté comme non fondée la réclamation d’Impresa Pizzarotti contre cet avis d’imposition.

    12

    Cette dernière a alors saisi la juridiction de renvoi, le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj, Roumanie), d’une demande d’annulation de la décision du 23 novembre 2017 ainsi que de l’avis d’imposition du 20 septembre 2017.

    13

    Dans le cadre du litige au principal, Impresa Pizzarotti fait valoir, en substance, que les dispositions nationales invoquées par l’autorité fiscale enfreignent les articles 49 et 63 TFUE, dans la mesure où elles prévoient que les transferts de fonds entre une succursale établie dans un État membre et sa société mère établie dans un autre État membre représentent des opérations susceptibles d’être soumises aux règles en matière de prix de transfert, alors que ces règles ne sont pas applicables si la succursale et sa société mère sont établies dans le même État membre.

    14

    C’est dans ces conditions que le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj) a décidé de sursoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

    « Les articles 49 et 63 du [TFUE] s’opposent-ils à une réglementation nationale telle que [l’article 11, paragraphe 2, et l’article 29, paragraphe 3, du code des impôts], qui permet de requalifier un transfert bancaire de fonds d’une succursale résidant dans un État membre à sa société mère résidant dans un autre État membre d’“opération génératrice de revenus”, de telle sorte que l’application des règles en matière de prix de transfert devient obligatoire, alors que, si la même opération avait été effectuée entre une succursale et une société mère résidant toutes deux dans le même État membre, elle n’aurait pas pu être requalifiée ainsi et lesdites règles n’auraient pas trouvé à s’appliquer ? »

    Sur la question préjudicielle

    15

    Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle un transfert de fonds opéré par une succursale résidente, en faveur de sa société mère établie dans un autre État membre, peut être qualifié d’« opération génératrice de revenus », de telle sorte que l’application des règles en matière de prix de transfert devient obligatoire, alors que, si la même opération avait été effectuée entre une succursale et une société mère établies toutes deux dans le même État membre, elle n’aurait pas été qualifiée ainsi et lesdites règles n’auraient pas trouvé à s’appliquer.

    16

    À cet égard, il ressort du dossier soumis à la Cour que le code des impôts prévoit des règles de rectification de la base imposable, relatives aux « prix de transfert », destinées à éviter que des sociétés résidentes ne fournissent des produits ou des services à des sociétés non-résidentes à un prix sous-évalué ou gratuitement, réduisant ainsi leur revenu imposable en Roumanie.

    17

    La juridiction de renvoi se référant, dans la question posée, à la fois à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, consacrées, respectivement, aux articles 49 et 63 TFUE, il convient de rappeler, à titre liminaire, que la création et la détention totale par une personne physique ou morale établie dans un État membre d’un établissement stable, tel qu’une succursale, situé dans un autre État membre, relèvent du champ d’application matériel de l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2008, Lidl Belgium, C‑414/06, EU:C:2008:278, point 15, et du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer, C‑347/09, EU:C:2011:582, point 35).

    18

    En l’occurrence, le litige au principal concerne l’impact de la réglementation nationale sur le traitement fiscal d’un transfert de fonds entre une succursale établie en Roumanie et sa société mère établie dans un autre État membre.

    19

    À supposer que le régime fiscal en cause au principal comporte des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, de tels effets seraient la conséquence inéluctable d’une éventuelle entrave à la liberté d’établissement et ils ne justifient pas un examen dudit régime fiscal au regard de l’article 63 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 15 mai 2008, Lidl Belgium, C‑414/06, EU:C:2008:278, point 16 et jurisprudence citée).

    20

    Dans ces conditions, la réglementation nationale en cause au principal doit être examinée uniquement au regard des dispositions relatives à la liberté d’établissement du traité FUE.

    21

    Ainsi, il convient de rappeler que la liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union européenne, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement au sein de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans un autre État membre par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêts du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France, C‑170/05, EU:C:2006:783, point 20, ainsi que du 21 décembre 2016, Masco Denmark et Damixa, C‑593/14, EU:C:2016:984, point 23 et jurisprudence citée).

    22

    La suppression des restrictions à la liberté d’établissement s’étend aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre (arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France, C‑170/05, EU:C:2006:783, point 21).

    23

    Pour les sociétés, il importe également de relever que leur siège, au sens de l’article 54 TFUE, sert à déterminer, à l’instar de la nationalité des personnes physiques, leur rattachement à l’ordre juridique d’un État membre. Admettre que l’État membre d’établissement de la succursale résidente puisse librement appliquer un traitement différent à ladite succursale en raison du seul fait que le siège de sa société mère est situé dans un autre État membre viderait l’article 49 TFUE de son contenu. La liberté d’établissement vise ainsi à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil de la succursale, en interdisant toute discrimination, même minime, fondée sur le lieu du siège des sociétés (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France, C‑170/05, EU:C:2006:783, point 22 ainsi que jurisprudence citée).

    24

    Dans ce cadre, il convient également de rappeler que la Cour a déjà jugé que constitue une restriction à la liberté d’établissement une réglementation nationale selon laquelle des avantages anormaux ou bénévoles accordés par une société résidente à une société entretenant un lien d’interdépendance avec celle-ci ne sont ajoutés aux bénéfices propres de la première société que si la société bénéficiaire est établie dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2010, SGI, C‑311/08, EU:C:2010:26, points 42 à 45).

    25

    En l’occurrence, ainsi que la juridiction de renvoi l’a indiqué, le code des impôts ne traite les succursales comme des personnes distinctes que lorsqu’elles sont un établissement stable d’une personne morale non-résidente de telle sorte que les revenus d’une succursale ne sont rectifiés, conformément aux règles du prix de transfert, que si la société mère est établie dans un autre État membre. Si, en revanche, la succursale et la société mère sont établies en Roumanie, il n’est procédé à aucune rectification des revenus.

    26

    Il en résulte qu’une succursale d’une société non-résidente telle que Impresa Pizzarotti bénéficie d’un traitement moins favorable que celui dont bénéficierait la succursale d’une société résidente réalisant des transactions similaires avec sa société mère.

    27

    Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu’une telle différence de traitement fiscal des succursales, en fonction du lieu du siège de leurs sociétés mères, avec lesquelles ont été conclues des transactions caractérisées par des conditions qui seraient inhabituelles entre tiers, est susceptible de constituer une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE. En effet, la société mère pourrait être amenée à renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintien d’une succursale dans un État membre autre que l’État membre de sa propre résidence, en raison de la charge fiscale frappant, dans une situation transfrontalière, l’octroi de conditions qui seraient inhabituelles entre tiers (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Hornbach-Baumarkt, C‑382/16, EU:C:2018:366, point 35).

    28

    En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, une mesure fiscale qui est susceptible d’entraver la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE ne saurait être admise que si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 31 mai 2018, Hornbach-Baumarkt, C‑382/16, EU:C:2018:366, point 36).

    29

    Il ressort du dossier soumis à la Cour que les règles en matière de prix de transfert prévues par le code des impôts ont pour objet d’éviter que la base imposable dans l’État de résidence de l’établissement stable d’une société non-résidente soit minorée en raison d’opérations effectuées par cet établissement stable avec sa société mère qui ne seraient pas conformes aux conditions de marché.

    30

    À cet égard, la Cour a jugé que la nécessité de sauvegarder une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres peut être de nature à justifier une différence de traitement lorsque le régime examiné vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (arrêt du 31 mai 2018, Hornbach-Baumarkt, C‑382/16, EU:C:2018:366 point 43).

    31

    En l’occurrence, toutes les parties ayant soumis des observations à la Cour, hormis Impresa Pizzarotti, considérèrent que la restriction à la liberté d’établissement induite par la législation roumaine en cause au principal est justifiée par la nécessité de garantir une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, ce qui constitue, ainsi qu’il ressort du point précédent, une raison impérieuse d’intérêt général.

    32

    Or, force est de constater que permettre aux succursales des sociétés non-résidentes de transférer leurs bénéfices sous la forme d’avantages anormaux ou bénévoles vers leurs sociétés mères risquerait de compromettre une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. Cela serait susceptible de compromettre le système même de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres, puisque l’État membre de la succursale accordant des avantages anormaux ou bénévoles serait contraint de renoncer à son droit d’imposer, en tant qu’État de résidence de cet établissement stable, les revenus de celle-ci, au profit, éventuellement, de l’État membre du siège de la société mère bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2010, SGI, C‑311/08, EU:C:2010:26, point 63).

    33

    En prévoyant l’imposition de l’établissement stable à raison du montant supposé de la rémunération de l’avantage consenti à la société mère sans contrepartie, afin de prendre en considération le montant que cet établissement stable aurait dû déclarer au titre de ses bénéfices si la transaction avait été conclue conformément aux conditions du marché, la réglementation en cause au principal permet donc à la Roumanie d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire.

    34

    Partant, il y a lieu de considérer qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui vise à empêcher que des bénéfices générés dans l’État membre concerné soient transférés en dehors du ressort fiscal de ce dernier par le biais de transactions qui ne seraient pas conformes aux conditions du marché, sans avoir été imposés, est propre à garantir la préservation de la répartition de la compétence fiscale entre les États membres.

    35

    Dans ces conditions, en troisième lieu, il convient de vérifier si une réglementation telle que celle en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

    36

    À cet égard, il y a lieu de relever qu’une législation nationale qui se fonde sur un examen d’éléments objectifs et vérifiables pour déterminer si une transaction présente le caractère d’une construction artificielle à des fins fiscales doit être considérée comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs relatifs à la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et à celle de prévenir l’évasion fiscale, lorsque, en premier lieu, dans chaque cas où existe le soupçon qu’une transaction dépasse ce dont les sociétés concernées auraient convenu dans des circonstances de pleine concurrence, le contribuable est mis en mesure, sans être soumis à des contraintes administratives excessives, de produire des éléments concernant les éventuelles raisons commerciales pour lesquelles cette transaction a été conclue. En second lieu, lorsque la vérification de tels éléments aboutit à la conclusion que la transaction en cause dépasse ce dont les sociétés concernées auraient convenu dans des circonstances de pleine concurrence, la mesure fiscale correctrice doit se limiter à la fraction qui dépasse ce dont il aurait été convenu en l’absence d’une situation d’interdépendance entre celles-ci (arrêt du 21 janvier 2010, SGI, C‑311/08, EU:C:2010:26, points 71 et 72).

    37

    En l’occurrence, il semble ressortir du dossier soumis à la Cour que, conformément aux dispositions nationales applicables au litige au principal, l’ajustement du revenu imposé par l’article 29, paragraphe 3, du code des impôts ne concerne que la différence entre le prix du marché de la transaction en cause, qui aurait prévalu dans des conditions de pleine concurrence, et celui concrètement appliqué par les parties. De même, le contribuable aurait toujours la possibilité d’établir qu’il existait des raisons objectives à ce que la transaction soit conclue à un prix ne reflétant pas le prix de marché.

    38

    Ainsi, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît que la réglementation roumaine en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour la réalisation de l’objectif légitime qui sous-tend celle-ci.

    39

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle un transfert de fonds opéré par une succursale résidente, en faveur de sa société mère établie dans un autre État membre peut être requalifié d’« opération génératrice de revenus », de telle sorte que l’application des règles en matière de prix de transfert devient obligatoire, alors que, si la même opération avait été effectuée entre une succursale et une société mère établies toutes deux dans le même État membre, elle n’aurait pas été qualifiée ainsi et lesdites règles n’auraient pas trouvé à s’appliquer.

    Sur les dépens

    40

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

     

    L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle un transfert de fonds opéré par une succursale résidente, en faveur de sa société mère établie dans un autre État membre peut être requalifié d’« opération génératrice de revenus », de telle sorte que l’application des règles en matière de prix de transfert devient obligatoire, alors que, si la même opération avait été effectuée entre une succursale et une société mère établies toutes deux dans le même État membre, elle n’aurait pas été qualifiée ainsi et lesdites règles n’auraient pas trouvé à s’appliquer.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le roumain.

    Top