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Document 62017TJ0107

Arrêt du Tribunal (troisième chambre) du 23 mai 2019.
Frank Steinhoff e.a. contre Banque centrale européenne.
Responsabilité non contractuelle – Politique économique et monétaire – BCE – Banques centrales nationales – Restructuration de la dette publique grecque – Implication du secteur privé – Clauses d’action collective – Échange obligatoire de titres de créance grecs – Créanciers privés – Avis de la BCE – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Principe pacta sunt servanda – Article 17, paragraphes 1 et 2, de la charte des droits fondamentaux – Article 63, paragraphe 1, TFUE – Article 124 TFUE.
Affaire T-107/17.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2019:353

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

23 mai 2019 ( *1 )

« Responsabilité non contractuelle – Politique économique et monétaire – BCE – Banques centrales nationales – Restructuration de la dette publique grecque – Implication du secteur privé – Clauses d’action collective – Échange obligatoire de titres de créance grecs – Créanciers privés – Avis de la BCE – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Principe pacta sunt servanda – Article 17, paragraphes 1 et 2, de la charte des droits fondamentaux – Article 63, paragraphe 1, TFUE – Article 124 TFUE »

Dans l’affaire T‑107/17,

Frank Steinhoff, demeurant à Hambourg (Allemagne),

Ewald Filbry, demeurant à Dortmund (Allemagne),

Vereinigte Raiffeisenbanken Gräfenberg-Forchheim-Eschenau-Heroldsberg eG, établie à Gräfenberg (Allemagne),

Werner Bäcker, demeurant à Rodgau (Allemagne),

EMB Consulting SE, établie à Mühltal (Allemagne),

représentés par Mes O. Hoepner et D. Unrau, avocats,

parties requérantes,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. O. Heinz et G. Várhelyi, en qualité d’agents, assistés de Me H.-G. Kamann, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que les requérants auraient prétendument subi du fait que la BCE aurait omis, dans son avis du 17 février 2012 (CON/2012/12), d’attirer l’attention de la République hellénique sur le caractère illégal de la restructuration de la dette publique grecque envisagée par l’échange de titres de créance obligatoires,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, V. Kreuschitz (rapporteur) et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

En octobre 2009, la crise de la dette publique grecque s’est déclenchée lorsque le gouvernement hellénique a annoncé que le déficit public s’élevait à 12,5 % du produit intérieur brut (PIB), et non à 3,7 % comme cela avait été publié antérieurement. Cette annonce a fortement accentué l’incertitude portant sur les fondamentaux économiques de la République hellénique et a ainsi provoqué plusieurs dégradations successives de sa notation financière et une hausse constante des taux d’intérêts demandés par les marchés financiers pour financer la dette publique grecque.

2

À la fin du mois d’avril 2010, une agence de notation a dégradé la notation des titres de créance grecs de BBB – à BB+, catégorie considérée par les marchés comme de la dette à haut risque. Ainsi, le 27 avril 2010, l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a averti les détenteurs de titres de créance grecs que leurs chances de récupérer leur argent dans l’hypothèse d’une restructuration de la dette publique grecque ou d’un défaut de paiement de la part de l’État grec n’étaient en moyenne que de 30 à 50 %.

3

Eu égard au fait que la crise de la dette grecque menaçait d’avoir des effets dans d’autres États membres de la zone euro et mettait en danger la stabilité de la zone euro dans son ensemble, lors du sommet du Conseil européen du 25 mars 2010, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro se sont accordés pour mettre en place un mécanisme intergouvernemental d’assistance à la République hellénique consistant en des prêts bilatéraux coordonnés à taux d’intérêts non concessionnels, c’est-à-dire sans aucun élément de subvention. Le déboursement des prêts était soumis à de fortes conditions et son activation devait avoir lieu à la suite d’une demande de la République hellénique. Le mécanisme d’assistance comprenait aussi une participation substantielle du Fonds monétaire international (FMI).

4

Le 2 mai 2010, en application du mécanisme d’assistance susmentionné, les États membres de la zone euro ont donné leur accord pour fournir à la République hellénique 80 milliards d’euros dans le cadre d’une enveloppe financière de 110 milliards d’euros allouée en commun avec le FMI.

5

Le 9 mai 2010, dans le cadre du Conseil Ecofin, il a été décidé de prendre un ensemble de mesures, parmi lesquelles, d’une part, l’adoption du règlement (UE) no 407/2010 du Conseil, du 11 mai 2010, établissant un mécanisme européen de stabilisation financière (JO 2010, L 118, p. 1), sur le fondement de l’article 122, paragraphe 2, TFUE, et, d’autre part, la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le 7 juin 2010, le FESF a été créé et les États membres de la zone euro et le FESF ont signé l’accord-cadre établissant les conditions dans lesquelles le FESF fournirait un soutien à la stabilité.

6

Au milieu de l’année 2011, la République hellénique, les États membres de la zone euro et plusieurs créanciers de l’État grec ont entamé des discussions en vue de l’introduction d’un nouveau programme d’aide financière. Ces discussions avaient pour objectif général de permettre à la République hellénique de retrouver une situation financière viable. Un des éléments envisagés était une restructuration de la dette publique grecque, dans le cadre de laquelle les créanciers privés de la République hellénique contribueraient à réduire la charge de cette dette, pour éviter ainsi une situation de défaut de paiement.

7

En juin et juillet 2011, les États membres de la zone euro et plusieurs créanciers privés de l’État grec ont présenté des propositions de restructuration de la dette publique grecque.

8

Aux termes d’un communiqué de presse du 1er juillet 2011, l’Institut de la finance internationale (IFI) a déclaré, notamment, ce qui suit :

« Le conseil d’administration de l’Institut de la finance internationale s’emploie à travailler avec ses associés et les autres institutions financières, avec le secteur public et les autorités helléniques, non seulement pour offrir à la [République hellénique] une contribution substantielle en termes de flux de trésorerie, mais aussi pour poser les bases d’une position débitrice plus soutenable.

La communauté financière privée est disposée à faire un effort volontaire, de coopération, transparent et à grande échelle, pour soutenir la [République hellénique], étant donné le caractère unique et exceptionnel des circonstances […]

La contribution des investisseurs privés viendra en complément du soutien financier et de la trésorerie publique et sera réduite à un nombre limité d’options […] »

9

Le 21 juillet 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union européenne se sont réunis pour délibérer sur des mesures à prendre afin de surmonter les difficultés auxquelles la zone euro faisait face.

10

Dans leur déclaration conjointe du 21 juillet 2011, il est exposé, notamment, ce qui suit :

« 1. Nous nous félicitons des mesures prises par le gouvernement grec pour stabiliser ses finances publiques et [pour] réformer son économie, ainsi que du nouveau train de mesures, y compris de privatisation, récemment adopté par le Parlement [hellénique]. Ces mesures constituent des efforts sans précédent, mais qui sont nécessaires pour que l’économie grecque retrouve la voie d’une croissance durable. Nous sommes conscients des efforts que les mesures d’ajustement entraînent pour les citoyens grecs et nous sommes convaincus que ces sacrifices sont indispensables pour la reprise économique et qu’ils contribueront à la stabilité et à la prospérité futures du pays.

2. Nous convenons de soutenir un nouveau programme pour la [République hellénique] et, avec le FMI et la contribution volontaire du secteur privé, de couvrir intégralement le déficit de financement. Le financement public total s’élèvera à un montant estimé à 109 milliards d’euros. Ce programme visera, notamment grâce à une réduction des taux d’intérêt et à un allongement des délais de remboursement, à ramener l’endettement à un niveau bien plus supportable et à améliorer le profil de refinancement de la [République hellénique]. Nous appelons le FMI à continuer de contribuer au financement du nouveau programme pour la [République hellénique]. Nous avons l’intention d’utiliser le [FESF] en tant qu’instrument de financement pour le prochain décaissement. Nous suivrons avec beaucoup d’attention la mise en œuvre rigoureuse du programme sur la base d’une évaluation régulière effectuée par la Commission [européenne] en liaison avec la BCE et le FMI.

[…]

5. Le secteur financier a indiqué qu’il était prêt à soutenir la [République hellénique] sur une base volontaire en recourant à différentes possibilités permettant de renforcer encore la viabilité globale. La contribution nette du secteur privé est estimée à 37 milliards d’euros […] »

11

S’agissant de la participation du secteur privé, il est indiqué au point 6 de la déclaration conjointe du 21 juillet 2011 ce qui suit :

« Pour ce qui est de notre approche générale à l’égard de la participation du secteur privé dans la zone euro, nous tenons à préciser que la [République hellénique] appelle une solution exceptionnelle et bien spécifique. »

12

Lors de leur sommet du 26 octobre 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro ont déclaré, notamment, ce qui suit :

« 12. La participation du secteur privé joue un rôle vital pour ramener l’endettement de la [République hellénique] à un niveau supportable. C’est pourquoi nous nous félicitons des discussions en cours entre la [République hellénique] et ses investisseurs privés visant à trouver une solution permettant d’approfondir la participation du secteur privé. Parallèlement à un programme de réforme ambitieux pour l’économie grecque, la participation du secteur privé devrait garantir la diminution du ratio de la dette grecque au PIB, l’objectif étant de parvenir à un taux de 120 % d’ici à 2020. À cette fin, nous invitons la [République hellénique], les investisseurs privés et toutes les parties concernées à mettre en place un échange volontaire d’obligations avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés. Les États membres de la zone euro contribueront à l’ensemble des mesures relatives à la participation du secteur privé à hauteur de 30 milliards d’euros. Sur cette base, le secteur public est disposé à fournir un financement supplémentaire au titre du programme pour un montant allant jusqu’à 100 milliards d’euros jusqu’en 2014, y compris la recapitalisation requise des banques grecques. Le nouveau programme devrait être arrêté d’ici à la fin de 2011 et l’échange d’obligations devrait être mis en œuvre au début de 2012. Nous demandons au FMI de continuer à contribuer au financement du nouveau programme grec.

[…]

15. En ce qui concerne notre approche générale à l’égard de la participation du secteur privé dans la zone euro, nous rappelons la décision que nous avons prise le 21 juillet [2011], selon laquelle la situation de la [République hellénique] appelle une solution exceptionnelle et unique. »

13

D’après un communiqué de presse du ministère des Finances hellénique du 17 novembre 2011, ledit ministère avait entamé des négociations avec les détenteurs de titres de créance grecs en vue de préparer une transaction d’échange volontaire de tels titres avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés, telle que prévue au point 12 de la déclaration du 26 octobre 2011.

14

Le 2 février 2012, la République hellénique a saisi, au titre de l’article 127, paragraphe 4, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 5, TFUE, la Banque centrale européenne (BCE) d’une demande d’avis sur le projet de loi hellénique no 4050/2012 introduisant des règles portant modification des conditions applicables aux titres de créance négociables émis ou garantis par l’État grec dans le cadre d’accords avec leurs détenteurs, aux fins de la restructuration de la dette publique grecque, fondée notamment sur l’application des « clauses d’action collective » (ci-après les « CAC »).

15

Le 17 février 2012, la BCE a rendu l’avis CON/2012/12 sur les titres de créance négociables émis ou garantis par l’État grec (ci-après l’« avis litigieux »). Il ressort dudit avis, notamment, que, premièrement, « il est important que les États membres conservent la capacité à honorer à tout moment leurs engagements, également aux fins de garantir la stabilité financière », deuxièmement, « [l]e cas de la République hellénique est exceptionnel et unique » (paragraphe 2.1), troisièmement, l’objectif du projet de loi vise à promouvoir une participation du secteur privé et, plus particulièrement, l’engagement d’une procédure destinée à faciliter, conformément à des CAC, la négociation avec les détenteurs de titres de créance grecs et l’obtention de leur accord, contre une offre de la part de la République hellénique, pour échanger de tels titres et, partant, une éventuelle restructuration de la dette publique grecque (paragraphe 2.2), quatrièmement, « [l]a BCE se félicite du fait que les conditions d’un tel échange sont le résultat de négociations entre la République hellénique et les institutions représentant les détenteurs de titres » (paragraphe 2.3), cinquièmement, « [l]’utilisation de CAC en tant que procédure destinée à mener à bien un échange de titres est largement conforme à la pratique générale [...] » (paragraphe 2.4) et que, sixièmement, « le gouvernement de la République hellénique assume seul la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour garantir finalement la viabilité de ses dettes » (paragraphe 2.6).

16

Dans un communiqué de presse du 21 février 2012, le ministère des Finances hellénique, d’une part, a divulgué les caractéristiques essentielles de la transaction envisagée d’échange volontaire de titres de créance grecs et, d’autre part, a annoncé la préparation et l’adoption d’une loi à cet effet. Cette transaction devait comporter une demande d’accord et une invitation adressées aux détenteurs privés de certains titres de créance grecs dans le but d’échanger ces derniers contre des titres nouveaux d’une valeur nominale égale à 31,5 % de celle de la dette échangée ainsi que contre des titres émis par le FESF venant à échéance après 24 mois et ayant une valeur nominale de 15 % de celle de la dette échangée, ces différents titres devant être fournis par la République hellénique lors de la clôture de l’accord. En outre, tout investisseur privé participant à cette transaction devait recevoir des sûretés détachables de la République hellénique liées au PIB avec une valeur notionnelle égale à celle des nouveaux titres de créance.

17

Le 21 février 2012 également, l’Eurogroupe a publié une déclaration dans laquelle il a « pris acte de l’accord conclu entre les autorités helléniques et le secteur privé portant sur les conditions générales de l’offre d’échange des titres de créance, couvrant tous les détenteurs de titres de créance du secteur privé », et a constaté que « [l]a réussite de l’opération de [participation des investisseurs privés, Private Sector Involvement,] [était] une condition nécessaire pour le nouveau plan d’urgence ». De plus, l’Eurogroupe a confirmé l’apport d’aides financières additionnelles par les États membres de la zone euro à la République hellénique par le biais du FESF et a relevé que « [l]es contributions respectives des secteurs public et privé [devaient] garantir que le ratio de la dette publique grecque baisse continuellement et atteigne 120,5 % du PIB en 2020 ».

18

Le 23 février 2012, le Parlement hellénique a adopté la nomós 4050, Kanónes tropopoiíseos títlon, ekdóseos í engyíseos tou Ellinikoú Dimosíou me symfonía ton Omologioúchon (loi no 4050/2012, relative à la modification des titres émis ou garantis par l’État grec avec l’accord de leurs détenteurs et introduisant le mécanisme des CAC) (FEK A’ 36, du 23 février 2012). En vertu du mécanisme des CAC, les amendements proposés étaient destinés à devenir juridiquement contraignants pour tout détenteur de titres de créance régis par le droit hellénique et émis avant le 31 décembre 2011, tels qu’identifiés dans l’acte du Conseil des ministres approuvant les invitations à la participation des investisseurs privés (Private Sector Involvement, ci-après le « PSI »), si lesdits amendements étaient approuvés, de manière collective et sans distinction de séries, par un quorum de détenteurs de titres représentant au moins deux tiers de la valeur nominale desdits titres. En outre, dans le préambule de la loi no 4050/2012, il est notamment indiqué que « la B[CE] et les autres membres de l’Eurosystème ont conclu des accords particuliers avec la [République hellénique] afin d’éviter que leur mission et leur rôle institutionnel, de même que le rôle de la B[CE] en matière d’élaboration de la politique monétaire, tels qu’ils résultent du traité, ne soient compromis ».

19

Dans un communiqué de presse du 24 février 2012, le ministère des Finances hellénique a précisé les conditions régissant la transaction d’échange volontaire de titres de créance impliquant les investisseurs privés en se référant à la loi no 4050/2012. Des invitations publiques à participer à un échange de titres de créance ont par la suite été lancées.

20

Dans un communiqué de presse du 9 mars 2012, le ministère des Finances hellénique a déclaré que, en principe, il était satisfait aux conditions fixées par la loi no 4050/2012 et a annoncé les proportions dans lesquelles les créanciers privés avaient accepté l’offre d’échange. À cet égard, il y est, notamment, indiqué ce qui suit :

« [L]es détenteurs de titres de créance émis ou garantis par la République [hellénique] pour un montant d’environ 172 milliards d’euros ont présenté leurs titres de créance à l’échange ou consenti aux amendements proposés en réponse aux invitations et aux demandes d’accord faites par la République [hellénique] le 24 février 2012.

Sur les quelque 177 milliards d’euros de titres de créance régis par le droit grec émis par la République [hellénique] et ayant fait l’objet d’invitations, la République [hellénique] a reçu des offres d’échange et des accords de la part de détenteurs de titres de créance d’une valeur nominale d’environ 152 milliards d’euros, ce qui représente 85,8 % du montant nominal non encore réglé de ces titres. Les détenteurs de 5,3 % du montant nominal non encore réglé de ces titres ont participé à la demande d’accord et ont refusé les amendements proposés. La République [hellénique] a informé ses créanciers du secteur public que, dès leur confirmation et leur certification par la Banque [centrale hellénique], en sa qualité de gestionnaire de la procédure en vertu de la loi no 4050/2012[,] elle a l’intention d’accepter les accords reçus et de modifier les conditions de tous ses titres de créance régis par le droit grec, y compris ceux qui n’ont pas été présentés à l’échange à la suite des invitations, suivant les termes de la loi susmentionnée. En conséquence, la République [hellénique] ne prolongera pas la période d’invitation pour ses titres de créance régis par le droit grec.

[...] Si les accords concernant les amendements proposés des titres de créance régis par le droit grec sont acceptés, la valeur nominale totale desdits titres destinés à être échangés et d’autres titres [régis par un droit autre que le droit grec] ayant fait l’objet des invitations et pour lesquels la République hellénique a reçu des offres d’échange et des accords concernant les amendements proposés atteindrait 197 milliards d’euros, soit 95,7 % de la valeur nominale totale des titres de créance visés par les invitations. »

21

Les requérants, MM. Frank Steinhoff et Ewald Filbry, Vereinigte Raiffeisenbanken Gräfenberg-Forchheim-Eschenau-Heroldsberg eG, M. Werner Bäcker ainsi que EMB Consulting SE, en tant que détenteurs de titres de créance grecs, ont participé à la restructuration de la dette publique grecque, en vertu du PSI et des CAC mis en œuvre au titre de la loi no 4050/2012, après avoir refusé l’offre d’échange de leurs titres.

Procédure et conclusions des parties

22

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 février 2017, les requérants ont introduit le présent recours.

23

Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

24

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 mai 2018.

25

Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

condamner la BCE à verser 314000 euros à M. Steinhoff, 54950 euros à M. Filbry, 2355000 euros à Vereinigte Raiffeisenbanken Gräfenberg-Forchheim-Eschenau-Heroldsberg, 303795 euros à M. Bäcker et 750460 euros à EMB Consulting ;

augmenter ces montants d’intérêts de 5 % au-dessus du taux de base à compter de la litispendance.

26

La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

condamner les requérants aux dépens.

En droit

Sur la recevabilité

27

La BCE estime que le recours des requérants est irrecevable pour quatre raisons : premièrement, le recours serait prescrit, deuxièmement, le Tribunal ne serait pas compétent pour prononcer les condamnations demandées, troisièmement, la BCE ne pourrait être tenue pour responsable en l’absence de pouvoir pour adopter un acte juridiquement contraignant et, quatrièmement, il n’y aurait pas de responsabilité non contractuelle pour omission en cas d’absence d’obligation d’agir.

28

Les requérants contestent que leur recours soit irrecevable.

Sur la prescription du recours et la recevabilité des annexes

29

La BCE fait observer que, d’une part, les dommages allégués par les requérants découlent du PSI qui a été publié le 9 mars 2012 et, d’autre part, le présent recours des requérants, déposé au greffe du Tribunal le 16 février 2017, a fait l’objet de demandes de régularisation auxquelles ils ont remédié le 15 mars 2017. La BCE en déduit que le Tribunal n’a été saisi du recours des requérants que le 15 mars 2017 et, par conséquent, que ledit recours est prescrit en application de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu conjointement avec l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal.

30

En vertu de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les actions contre l’Union en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue par la requête formée devant le Tribunal. L’article 46 dudit statut précise qu’il est également applicable aux actions contre la BCE en matière de responsabilité non contractuelle.

31

En l’espèce, les requérants estiment que l’avis litigieux, rendu le 17 février 2012, constitue le fait qui donne lieu à la responsabilité non contractuelle de la BCE. Le 16 février 2017, les requérants ont introduit leur recours en indemnité. Par conséquent, leur recours a été introduit dans les cinq ans qui suivent l’adoption dudit avis et ne peut être considéré comme prescrit.

32

Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que la requête a fait l’objet de demandes de régularisation de la part du greffe du Tribunal portant sur, premièrement, la production des annexes avec pagination continue, mais séparément de l’acte de procédure auquel elles sont annexées [voir annexe 2, sous k), des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure du Tribunal (JO 2015, L 152, p. 1) dans leur version applicable au moment de ces demandes (ci-après les « dispositions pratiques d’exécution »)], et, deuxièmement, la production d’une copie certifiée conforme à l’acte de procédure, avec ses annexes [voir annexe 2, sous h), j) et m), des dispositions pratiques d’exécution], ni par le fait que les requérants n’ont remédié à ces irrégularités que le 15 mars 2017.

33

En effet, contrairement à ce qu’allègue la BCE, la régularisation d’une requête n’affecte, en principe, ni la date de saisine du Tribunal ni la qualification de son dépôt dans les délais prévus à l’article 263, sixième alinéa, TFUE ou à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En application du point 111 des dispositions pratiques d’exécution, une requête entachée d’irrégularités de forme visée par l’annexe 2 desdites dispositions ne peut entraîner qu’un retard dans la signification de celle-ci. Lorsqu’une requête est régularisée, la date de dépôt de ladite requête auprès du Tribunal reste donc inchangée. Une requête ne doit être considérée comme étant introduite de manière irrecevable que lorsqu’elle n’expose pas les éléments essentiels visés à l’article 76 du règlement de procédure et que ces éléments ne sont pas produits jusqu’à l’expiration du délai de recours (voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 1984, Bensider e.a./Commission, 50/84, EU:C:1984:365, point 8, et du 16 décembre 2011, Enviro Tech Europe et Enviro Tech International/Commission, T‑291/04, EU:T:2011:760, point 95) ou lorsqu’elle fait l’objet d’une demande de régularisation en ce qu’elle n’est pas conforme aux conditions précisées à l’annexe I des dispositions pratiques d’exécution et que la partie requérante ne procède pas à la régularisation demandée (voir point 110 des dispositions pratiques d’exécution).

34

La BCE a également constaté que plusieurs annexes jointes à la requête n’avaient pas été traduites du grec vers la langue de procédure, l’allemand. Lors de l’audience, à la suite d’une question du Tribunal, la BCE a précisé qu’elle déduisait de l’absence de traduction desdites annexes dans la langue de procédure qu’elles devaient être rejetées comme irrecevables.

35

À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 46, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute pièce produite ou annexée et rédigée dans une langue autre que la langue de procédure doit être accompagnée d’une traduction dans la langue de procédure. Le paragraphe 3 de ce même article prévoit toutefois que, dans le cas de pièces volumineuses, des traductions en extraits peuvent être présentées. La traduction dans la langue de procédure des pièces annexées à la requête ne constitue donc pas une exigence devant être systématiquement remplie. Par conséquent, une absence de traduction ne peut pas d’office entraîner leur irrecevabilité.

36

De plus, il ressort du point 108 des dispositions pratiques d’exécution [devenu le point 99 à la suite des modifications des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure du Tribunal (JO 2018, L 294, p. 40)] que, lorsque les pièces annexées à un acte de procédure ne sont pas accompagnées d’une traduction dans la langue de procédure, le greffier en demande la régularisation à la partie concernée, si cette traduction apparaît nécessaire au bon déroulement de la procédure. En l’espèce, une telle demande n’a pas été formulée, de sorte que l’absence de traduction n’a pas été considérée comme affectant le bon déroulement de la procédure.

37

Au vu de ces précisions, il convient de conclure que l’absence de traduction des annexes en cause dans la langue de procédure, d’une part, ne constitue pas une irrégularité entraînant leur irrecevabilité et, d’autre part, ne remet pas en cause la date de dépôt de la requête et, par conséquent, l’absence de prescription du présent recours.

38

Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de rejeter les allégations de la BCE selon lesquelles le recours des requérants serait prescrit et les annexes qui n’ont pas été traduites dans la langue de procédure seraient irrecevables.

Sur la compétence du Tribunal

39

La BCE estime que le préjudice allégué a été causé par une mesure purement nationale. Par conséquent, sa responsabilité non contractuelle ne saurait être engagée et le Tribunal ne serait pas compétent.

40

À l’appui de cette allégation, premièrement, la BCE estime que les pertes que les requérants considèrent avoir subies ne résultent pas de son comportement, mais, d’une part, de celui du Parlement hellénique, qui a adopté la loi no 4050/2012, et, d’autre part, de la décision d’une majorité des détenteurs des titres de créance concernés. Deuxièmement, la restructuration de la dette publique d’un État membre relèverait exclusivement de la compétence des États membres. Ainsi, en adoptant la loi no 4050/2012, la République hellénique n’aurait pas mis en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Troisièmement, indépendamment de la question de savoir si la loi no 4050/2012 met en œuvre le droit de l’Union, ce serait la République hellénique et non pas la BCE qui devrait indemniser les requérants pour toutes les pertes alléguées, dès lors que, en application de l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont tenus de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution des obligations qui leur incombent en vertu du droit de l’Union, dont l’obligation d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union. Quatrièmement, l’avis litigieux ne concernerait pas – et ne pourrait pas concerner – les caractéristiques spécifiques du PSI. La décision de proposer le PSI et la conception de celui-ci aurait incombé exclusivement aux organes de la République hellénique. De plus, la décision d’accepter les conditions du PSI aurait été prise à la majorité qualifiée des créanciers privés.

41

Les requérants estiment que l’avis litigieux est une cause déterminante de l’adoption et de la mise en œuvre par l’État grec de la loi no 4050/2012.

42

Au vu de ces arguments, il importe de rappeler que, en application de l’article 268 TFUE, lu en combinaison avec l’article 340, troisième alinéa, TFUE, le Tribunal est compétent pour connaître des litiges relatifs à des dommages que la BCE aurait causés, et ce conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres.

43

Dès lors que les requérants allèguent que leur dommage résulte de l’adoption par la BCE de l’avis litigieux, le Tribunal est compétent pour examiner cette allégation sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE.

44

Le fait que la BCE estime que ledit dommage a été causé non pas par l’avis litigieux, mais par les agissements de la République hellénique et des autres détenteurs de titres de créance grecs, n’infirme pas cette conclusion.

45

En effet, cette question se rapporte à l’examen des conditions nécessaires à la mise en œuvre de la responsabilité non contractuelle de l’Union, à savoir, en l’occurrence, à la détermination du fait générateur de la responsabilité et au lien de causalité entre ce fait générateur et le préjudice allégué, lesquelles font l’objet de l’examen du fond du présent recours (voir, en ce sens, arrêts du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, EU:T:1998:11, point 34, et du 3 mai 2017, Sotiropoulou e.a./Conseil, T‑531/14, non publié, EU:T:2017:297, points 58 à 61).

46

Dans l’hypothèse où le Tribunal devrait arriver à la conclusion que les dommages allégués n’ont pas été causés par l’avis litigieux, cette conclusion ne modifierait ni la portée de l’objet du présent recours qui vise à condamner la BCE à indemniser les requérants, ni la compétence du Tribunal à en connaître. Dans une telle hypothèse, le Tribunal est, en effet, compétent pour juger que la BCE ne peut se voir imputer le préjudice en cause et pour rejeter le recours comme non fondé.

47

Partant, il convient de rejeter l’argument de la BCE selon lequel le Tribunal ne serait pas compétent pour juger de la responsabilité non contractuelle alléguée par les requérants.

Sur l’absence de responsabilité non contractuelle en l’absence du droit d’émettre des instructions juridiquement contraignantes

48

La BCE estime que le recours des requérants est irrecevable, car, en donnant son avis en application de l’article 127, paragraphe 4, et de l’article 282, paragraphe 5, TFUE, elle n’exercerait pas un pouvoir l’autorisant à donner des instructions juridiquement contraignantes. Partant, elle estime qu’elle ne pouvait engager sa responsabilité non contractuelle en donnant un tel avis.

49

À l’appui de cette allégation, la BCE estime qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la coopération entre les institutions de l’Union et les autorités nationales ou l’assistance technique non contraignante que fournissent les institutions de l’Union ne saurait engager la responsabilité non contractuelle de l’Union envers les particuliers. Un recours en indemnité serait irrecevable lorsque la mesure de l’institution de l’Union est de nature purement politique. De plus, la République hellénique aurait, en l’espèce, agi dans un domaine de compétence purement nationale. Enfin, la BCE conteste, d’une part, que la jurisprudence plus récente ait admis que des actes juridiques non contraignants d’institutions de l’Union puissent engager la responsabilité non contractuelle de l’Union lorsque ces actes ont abouti à un comportement illicite des autorités nationales et, d’autre part, que ses avis soient juridiquement contraignants pour les États membres.

50

Les requérants contestent ces arguments.

51

À cet égard, il importe de rappeler que le recours en indemnité constitue une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et étant subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe de l’Union (arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 61).

52

Selon une jurisprudence constante en matière de responsabilité non contractuelle de l’Union pour des dommages causés à des particuliers par une violation du droit de l’Union qui est imputable à une institution ou à un organe de l’Union, applicable mutatis mutandis à la responsabilité non contractuelle de la BCE prévue à l’article 340, troisième alinéa, TFUE, un droit à réparation est reconnu dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers et que la violation soit suffisamment caractérisée, que la réalité du dommage soit établie et, enfin, qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine, C‑472/00 P, EU:C:2003:399, point 25, du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 49 et jurisprudence citée, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 31).

53

Ainsi, seule une illégalité d’une institution constitutive une violation suffisamment caractérisée est susceptible d’engager ladite responsabilité de l’Union. Le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave par l’institution des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (voir arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 43 et jurisprudence citée, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 31 et jurisprudence citée). C’est seulement lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, que la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 67 et jurisprudence citée). Par ailleurs, le critère de la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit est applicable lorsqu’est en cause non seulement un acte individuel, mais également une omission individuelle (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2017, Acquafarm/Commission, T‑458/16, non publié, EU:T:2017:810, point 44 et jurisprudence citée).

54

Par conséquent, afin d’établir si une institution engage sa responsabilité non contractuelle, il y a lieu d’apprécier le comportement de celle-ci qui est à l’origine du dommage allégué (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 60), soit, en l’espèce, si l’adoption de l’avis litigieux par la BCE constituait une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de l’Union qui était à l’origine du dommage avancé par les requérants.

55

Contrairement au recours en annulation, la recevabilité d’un recours en indemnité ne dépend pas du caractère décisionnel ou contraignant de l’acte à l’origine du dommage allégué. Tout comportement à l’origine d’un dommage est de nature à établir une responsabilité non contractuelle (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, points 50 à 52 et 60 ; voir également, concernant la méconnaissance d’une obligation de faire ou de s’abstenir de faire, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, points 55 à 59, 67 et 68 ; concernant un avis motivé, arrêt du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission, T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530, points 66 à 69, et concernant une omission individuelle, arrêt du 16 novembre 2017, Acquafarm/Commission, T‑458/16, non publié, EU:T:2017:810, point 44 et jurisprudence citée). En effet, si une juridiction de l’Union ne pouvait apprécier la légalité du comportement d’une institution ou d’un organe de l’Union, la procédure prévue à l’article 268 et à l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE serait privée de son effet utile (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 61).

56

Par conséquent, la BCE ne saurait se prévaloir de la jurisprudence antérieure à l’arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts (C‑234/02 P, EU:C:2004:174, points 31 à 94), qui avait rejeté des recours en indemnité comme irrecevables au seul motif que l’illégalité invoquée était liée à un acte dépourvu d’effets juridiques (ordonnances du 13 juin 1991, Sunzest/Commission, C‑50/90, EU:C:1991:253, points 17 à 20 ; du 4 octobre 1991, Bosman/Commission, C‑117/91, EU:C:1991:382, point 20, et du 10 décembre 1996, Söktas/Commission, T‑75/96, EU:T:1996:183, point 49). La recevabilité d’un recours en indemnité formé contre un avis de la BCE ne peut donc pas dépendre de la question de savoir si cet avis était juridiquement contraignant ou non. Déclarer un recours en indemnité irrecevable au seul motif que l’acte à l’origine du dommage allégué est non contraignant irait à l’encontre de l’objet et de l’effectivité de cette voie de recours.

57

De même, le fait que l’avis litigieux soit d’une nature politique et que la BCE n’était pas tenue d’adopter un tel avis n’affecte pas la recevabilité du présent recours. En effet, le pouvoir discrétionnaire dont dispose une institution n’a pas pour conséquence de l’affranchir de son obligation d’agir en conformité tant avec les normes supérieures de droit, telles que le traité et les principes généraux de droit de l’Union, qu’avec le droit dérivé applicable. Lorsque la légalité de cet acte est mise en cause dans un recours en indemnité, celle-ci est dès lors susceptible d’être appréciée à l’aune des obligations qui incombent à ladite institution (arrêt du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission, T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530, point 66). Enfin, la circonstance que la BCE allègue que la République hellénique ait agi dans un domaine de compétence purement nationale ne remet pas en question le fait que les requérants mettent en cause en l’espèce les agissements de la BCE et que le Tribunal est compétent pour examiner ce grief au fond.

58

Par conséquent, il convient de rejeter l’argument de la BCE selon lequel le recours des requérants est irrecevable au motif que, en adoptant l’avis litigieux, elle n’aurait pas exercé un pouvoir l’autorisant à donner des instructions juridiquement contraignantes à la République hellénique.

Sur l’absence de responsabilité non contractuelle pour omission en l’absence d’obligation juridique d’agir

59

La BCE affirme que le recours des requérants est irrecevable, étant donné que, par l’inaction alléguée, elle n’a pas violé une obligation d’agir susceptible d’engager sa responsabilité non contractuelle. En particulier, elle conteste avoir une obligation de protéger le droit de propriété des requérants pour les motifs suivants. Premièrement, conformément à l’article 127, paragraphe 4, TFUE, lu conjointement avec l’article 288, paragraphe 5, TFUE, les avis soumis par la BCE ne seraient pas juridiquement contraignants. Les États membres n’étant pas liés par ses avis, la BCE ne saurait garantir, moyennant cet instrument, la protection effective des droits fondamentaux des requérants. De plus, en vertu des mêmes dispositions, elle ne serait pas tenue de publier des avis. Deuxièmement, la BCE relève que, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, TUE, elle n’a pas l’obligation de promouvoir l’intérêt général de l’Union et de surveiller l’application du droit de l’Union. Selon la BCE, l’objet de sa consultation et de l’avis litigieux n’était pas de déterminer si le PSI en tant que tel était souhaitable ou non, mais concernait les détails techniques d’une introduction des CAC applicables aux titres de créance grecs. Troisièmement, ni la République hellénique ni, par analogie, la BCE ne seraient soumises à une quelconque obligation de protéger les investissements et la propriété des requérants.

60

Les requérants contestent ces appréciations.

61

Au vu de ces arguments, force est de constater que la question de savoir si la BCE pouvait ou non être tenue pour responsable d’avoir omis d’informer, dans l’avis litigieux, la République hellénique de possibles illégalités entachant son projet de loi no 4050/2012 au motif qu’elle n’avait pas d’obligation d’agir est une question qui relève du fond du recours en indemnité et non de sa recevabilité.

62

En effet, la question de savoir si la BCE a commis une illégalité en n’avisant pas la République hellénique du caractère prétendument illégal de son projet de loi no 4050/2012 a trait à la condition de l’existence d’une violation suffisamment caractérisée par la BCE d’une règle de droit conférant des droits à des particuliers en raison de cette omission.

63

Partant, il convient de rejeter l’allégation de la BCE selon laquelle le recours des requérants serait irrecevable en l’absence d’obligation juridique d’agir et de responsabilité non contractuelle pour omission d’agir.

Sur le fond

Observations liminaires

64

Selon les requérants, la BCE est tenue de respecter les droits fondamentaux dans le cadre de toutes ses activités, de sorte qu’elle est tenue, dans un avis concernant un projet de loi d’un État membre, de mettre en exergue les violations de droits fondamentaux liées à l’adoption et à la mise en œuvre de la loi envisagée. Or, en l’espèce, les requérants estiment que la BCE a omis d’indiquer dans l’avis litigieux que la loi no 4050/2012 violait, premièrement, le principe pacta sunt servanda, deuxièmement, l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la Charte, troisièmement, l’article 63 TFUE et, quatrièmement, l’article 124 TFUE. Ces omissions auraient entraîné un dommage qui s’élèverait pour M. Steinhoff à 314000 euros, pour M. Filbry à 54950 euros, pour Vereinigte Raiffeisenbanken Gräfenberg-Forchheim-Eschenau-Heroldsberg à 2355000 euros, pour M. Bäcker à 303795 euros et pour EMB Consulting à 750460 euros.

65

La BCE estime qu’aucune des conditions requises pour l’engagement de sa responsabilité non contractuelle n’est remplie en l’espèce.

66

Préalablement à l’examen de chacune de ces violations alléguées et du lien de causalité entre ces violations et les dommages allégués, il importe de rappeler que la responsabilité non contractuelle de la BCE, prévue à l’article 340, troisième alinéa, TFUE, suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers et que la violation soit suffisamment caractérisée, que la réalité du dommage soit établie et, enfin, qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir points 52 à 54 ci-dessus).

67

Par ailleurs, il importe de rappeler la portée de la compétence d’avis de la BCE.

68

L’article 127, paragraphe 4, TFUE dispose que la BCE est consultée par les autorités nationales sur tout projet de réglementation, dans les domaines relevant de sa compétence, dans les limites et selon les conditions fixées par le Conseil de l’Union européenne. De même, l’article 282, paragraphe 5, TFUE prévoit que, dans les domaines relevant de ses attributions, la BCE est consultée sur tout projet d’acte de l’Union ainsi que sur tout projet de réglementation au niveau national et peut soumettre des avis.

69

La décision 98/415/CE du Conseil, du 29 juin 1998, relative à la consultation de la Banque centrale européenne par les autorités nationales au sujet de projets de réglementation (JO 1998, L 189, p. 42), précise, à son considérant 3, qu’il est nécessaire que cette obligation de consultation imposée aux autorités des États membres ne porte pas préjudice aux responsabilités de ces autorités dans les matières faisant l’objet des projets en question et qu’il convient que les États membres consultent la BCE sur tout projet de réglementation relevant de ses domaines de compétence. En outre, le considérant 6 de la décision 98/415 indique que la consultation de la BCE ne doit pas allonger indûment les procédures d’adoption des projets de réglementation dans les États membres et que les délais dans lesquels la BCE doit rendre son avis doivent cependant lui permettre d’examiner avec le soin requis les textes qui lui sont transmis.

70

Le contenu de ces considérants se retrouve dans les dispositions de la décision 98/415. Ainsi, en vertu de l’article 2 de la décision 98/415, les autorités des États membres consultent la BCE sur tout projet de réglementation relevant de son domaine de compétence en vertu du traité FUE, et notamment en ce qui concerne les questions monétaires, les moyens de paiement, les banques centrales nationales, la collecte, l’établissement et la diffusion de données statistiques en matière monétaire, financière, bancaire, de systèmes de paiement et de balance des paiements, les systèmes de paiement et de règlement et les règles applicables aux établissements financiers dans la mesure où elles ont une incidence sensible sur la stabilité des établissements et des marchés financiers. En outre, l’article 4 de la décision 98/415 prévoit que chaque État membre veille à ce que la BCE soit consultée en temps utile pour permettre à l’autorité qui prend l’initiative d’un projet de réglementation de tenir compte de l’avis de la BCE avant de prendre sa décision sur le fond et à ce que l’avis rendu par la BCE soit porté à la connaissance de l’autorité qui doit adopter les dispositions concernées, s’il s’agit d’une autre autorité que celle qui les a élaborées.

71

En premier lieu, il ressort de ces dispositions que les avis de la BCE ne lient pas les autorités nationales. En effet, en vertu du considérant 3 et de l’article 4 de la décision 98/415, les autorités nationales doivent uniquement tenir compte de ces avis et ils ne portent pas préjudice aux responsabilités de ces autorités dans les matières faisant l’objet des projets en question. Il s’ensuit que, si le respect de l’obligation de consultation de la BCE exige qu’elle puisse faire connaître utilement son point de vue aux autorités nationales, il ne peut leur imposer d’adhérer à celui-ci. Si l’intention du législateur avait été de rendre l’intervention de la BCE juridiquement contraignante en vertu de son contenu, il lui aurait conféré un pouvoir d’autorisation et non d’avis. Or, pour les motifs avancés au point 55 ci-dessus, le constat que les avis de la BCE ne lient pas les autorités nationales n’exclut pas, a priori, que ces avis puissent engager la responsabilité de la BCE.

72

En second lieu, il convient de constater que la BCE jouit d’un large pouvoir d’appréciation lors de l’adoption de ses avis. Il a déjà été jugé en ce sens que les articles 127 et 282 TFUE et l’article 18 des statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) conféraient à la BCE un large pouvoir d’appréciation, dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social ainsi que de situations soumises à des évolutions rapides, qui doivent être effectuées dans le contexte de l’Eurosystème, voire de l’Union dans son ensemble. En particulier, il a été jugé que l’exercice de ce pouvoir d’appréciation impliquait la nécessité pour la BCE, d’une part, d’anticiper et d’évaluer des évolutions économiques de nature complexe et incertaine, telles que l’évolution des marchés des capitaux, de la masse monétaire et du taux d’inflation, qui affectent le bon fonctionnement de l’Eurosystème et des systèmes de paiement et de crédit, et, d’autre part, de procéder à des choix d’ordre politique, économique et social exigeant la mise en balance et l’arbitrage entre les différents objectifs visés à l’article 127, paragraphe 1, TFUE, dont l’objectif principal est le maintien de la stabilité des prix (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 70 et jurisprudence citée, et conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:7, point 111 et jurisprudence citée).

73

Le large pouvoir d’appréciation dont dispose la BCE lors de l’adoption de ses avis implique donc que seule une méconnaissance manifeste et grave des limites de ce pouvoir peut engager sa responsabilité non contractuelle (voir jurisprudence citée aux points 53 et 72 ci-dessus).

Sur la violation du principe pacta sunt servanda

74

Selon les requérants, la République hellénique ne pouvait pas valablement introduire, par l’intermédiaire de la loi no 4050/2012, des clauses de révision dans les conditions régissant les titres de créance existants. Le principe de droit international pacta sunt servanda, consacré à l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, à laquelle la République hellénique a adhéré et qui est reconnu par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) et la Cour, s’y opposerait. Les requérants estiment dès lors que la BCE aurait dû reconnaître, dans l’avis litigieux, que la République hellénique violerait ledit principe en adoptant une loi qui prévoyait un échange obligatoire de titres de créance grecs pour les créanciers privés s’opposant à cet échange. Le fait que la BCE ne l’a pas fait constituerait une omission contraire à ses obligations.

75

Par ailleurs, les requérants contestent que la République hellénique puisse invoquer, en l’espèce, le principe rebus sic stantibus pour justifier les modifications de leurs droits contractuels. À l’appui de cet argument, premièrement, les requérants soulignent que les titres de créance litigieux ont été émis à une époque où la communauté monétaire internationale avait déjà unanimement exigé d’assortir les titres de créance étatiques de CAC. Deuxièmement, malgré les demandes des requérants, la République hellénique aurait délibérément renoncé à utiliser des CAC lors de l’émission des titres de créance litigieux. Troisièmement, en avril 2003, les États membres se seraient mis d’accord sur la nécessité d’assortir les émissions d’obligations internationales de CAC [voir annexe 1 du rapport du comité économique et financier ECFIN/CEFCPE (2004) REP 50483 final, du 12 novembre 2004, p. 7] et, en septembre 2003, le comité économique et financier aurait donné son approbation à un noyau de clauses supposées trouver application dans les conditions régissant l’émission d’obligations. Quatrièmement, dès novembre 2004, les « gouverneurs des banques centrales des États du G 20 » auraient recommandé l’inclusion de CAC dans les contrats d’émissions obligataires afin de favoriser la mise en œuvre de décisions majoritaires (voir recommandation du 26 octobre 2004, intitulée « Report to the EFC-Implementation of the EU commitment on Collective Action Clauses in documentation of International Debt Insurance »). Cinquièmement, les craintes que les CAC puissent entraîner des primes de risque plus élevées et renchérissent ainsi le coût du financement de l’État n’ont pas été confirmées par les études effectuées en 2003 par A. Richards et M. Gugiatti [« The Use of Collective Action Clauses in New York Law Bonds of Sovereign Borrowers », Journal of International Law, 2004, p. 815 et suivantes ; Szodruch, A., Staateninsolvenz und private Gläubiger, BWV Verlag, 2008, p. 226]. Les requérants estiment dès lors que, si la République hellénique a décidé de ne pas insérer dans ses titres de créance grecs des CAC alors même que ce débat sur leur inclusion dans les titres de créance étatiques avait eu lieu, elle ne pouvait pas, lorsque surviennent les circonstances modifiées auxquelles des CAC sont justement censées répondre, prétendre imposer une restructuration en recourant à la contrainte.

76

La BCE conteste ces allégations. Elle estime, d’abord, qu’il ne lui incombait pas d’indiquer dans l’avis litigieux une possible violation du principe pacta sunt servanda par la loi no 4050/2012, ensuite, qu’elle n’a pas pu elle-même violer ledit principe et, enfin, que ledit principe n’a pas été violé eu égard à l’application du principe rebus sic stantibus.

77

Ainsi que cela a été rappelé au point 52 ci-dessus, seule une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit qui confère des droits aux particuliers est susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la BCE. Afin de garantir l’effet utile de la condition tenant à la violation d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers, il est nécessaire que la protection offerte par la règle invoquée soit effective à l’égard de la personne qui l’invoque et, donc, que cette personne soit parmi celles auxquelles la règle en question confère des droits. Ne saurait être admise comme source d’indemnité une règle ne protégeant pas le particulier contre l’illégalité qu’il invoque, mais protégeant un autre particulier (voir, en ce sens, arrêts du 19 octobre 2005, Cofradía de pescadores  San Pedro de Bermeo  e.a./Conseil, T‑415/03, EU:T:2005:365, point 96, et du 3 décembre 2015, CN/Parlement, T‑343/13, EU:T:2015:926, point 86 et jurisprudence citée).

78

En l’espèce, la souscription par les requérants aux titres de créance litigieux émis et garantis par la République hellénique a créé une relation contractuelle entre eux et la République hellénique. Cette relation contractuelle n’est pas régie par le principe pacta sunt servanda de l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités. En effet, en application de son article 1er, cette convention ne s’applique qu’aux traités entre États. Par conséquent, l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités ne constitue pas une règle de droit conférant des droits aux requérants.

79

Cela étant, la Cour a jugé que le principe pacta sunt servanda constituait un principe fondamental de tout ordre juridique (arrêt du 16 juin 1998, Racke, C‑162/96, EU:C:1998:293, point 49). Ainsi, le principe pacta sunt servanda désigne également un principe général de droit de l’Union applicable aux contrats qui prévoit qu’un contrat valablement formé lie ceux qui l’ont conclu (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Dominguez, C‑282/10, EU:C:2011:559, point 96, et de l’avocat général Kokott dans l’affaire Pujante Rivera, C‑422/14, EU:C:2015:544, point 55).

80

Toutefois, les droits et les obligations des parties à un contrat ne lient, en principe, que ces parties. Les principes généraux du droit des contrats tels que le principe pacta sunt servanda ne remettent pas en cause cette portée relative des droits détenus par un contractant.

81

En outre, les avis de la BCE n’ont ni pour destinataire des particuliers ni pour objet principal les relations contractuelles entre un particulier et un État membre à la suite d’une émission par cet État membre de titres de créance. En effet, en vertu de l’article 2 de la décision 98/415, les destinataires des avis de la BCE sont les autorités des États membres tenues de consulter la BCE, et non des particuliers. Par ailleurs, la compétence d’avis de la BCE n’a pas pour objectif d’apprécier les droits et les obligations des contractants, mais s’insère dans le cadre de ses missions fondamentales en matière de politique monétaire et est notamment liée à son devoir de veiller au maintien de la stabilité des prix au sens de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE.

82

Par conséquent, lorsque, comme en l’espèce, la BCE est consultée par la République hellénique sur un projet de réglementation concernant les banques nationales et les règles applicables aux établissements financiers dans la mesure où elles ont une incidence sensible sur la stabilité de ces établissements et des marchés financiers, elle n’est pas tenue de se prononcer sur le respect, par cet État membre, du principe général du droit des contrats, pacta sunt servanda, à l’égard de détenteurs de titres de créance étatiques.

83

Ainsi, la compétence d’avis de la BCE ne confère pas aux requérants un droit de voir dénoncer par cette instance une violation d’un droit contractuel qu’ils détiennent à l’égard de la République hellénique à la suite d’une souscription de leur part à des titres de créance grecs émis et garantis par cette dernière. À défaut d’un droit des requérants de voir la BCE se prononcer sur cette question, la BCE ne peut avoir commis une illégalité en ne se prononçant pas, dans l’avis litigieux, sur le respect du principe pacta sunt servanda à la suite de la demande de consultation de la République hellénique.

84

En outre et en tout état de cause, il n’est pas avéré que l’adoption de la loi no 4050/2012 a entraîné une violation du principe pacta sunt servanda. En effet, l’investissement dans des titres de créance étatiques n’était pas exempt du risque d’un préjudice patrimonial, même si le droit régissant ces titres ne prévoyait pas la possibilité, avant leur échéance, de renégocier certaines modalités, telles que la valeur nominale, le coupon couru et l’échéance. Comme l’a indiqué le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), ce risque est notamment dû au grand laps de temps qui s’écoule à compter de l’émission des titres de créance et pendant lequel des imprévus risquent de limiter substantiellement, voire d’anéantir, les capacités financières de l’État, émetteur ou garant de ces titres. Ainsi qu’il a été jugé par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), si de tels imprévus surviennent, comme en l’espèce la crise de la dette publique grecque, l’État émetteur est en droit de tenter une renégociation sur le fondement du principe rebus sic stantibus [voir arrêt du Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État), tel que résumé au point 29 de l’arrêt de la Cour EDH du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE :ECHR :2016 :0721JUD 006306614].

85

Partant, les requérants allèguent à tort que la BCE a commis une illégalité susceptible d’engager sa responsabilité non contractuelle en ne dénonçant pas, dans l’avis litigieux, la violation du principe pacta sunt servanda que constituerait l’adoption de la loi no 4050/2012 à leur égard.

Sur la violation de l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la Charte

86

Les requérants considèrent que la BCE aurait dû reconnaître dans l’avis litigieux que, en adoptant le projet de loi no 4050/2010, la République hellénique se livrerait à une atteinte équivalente à une expropriation aux droits des créanciers établis à l’étranger et n’ayant pas donné leur consentement. Le fait qu’elle ne l’a pas fait serait constitutif d’une omission contraire à ses obligations.

87

À l’appui de ce grief, premièrement, les requérants rappellent que l’objet de la loi no 4050/2010 consistait à forcer les créanciers privés, qui ont expressément refusé de donner leur accord à la restructuration, à participer à la réduction de la dette publique grecque par le biais de l’introduction a posteriori des CAC.

88

Deuxièmement, les requérants considèrent que les titres de créance grecs relèvent de la notion de propriété telle que protégée par l’article 17 de la Charte. Ces titres constitueraient des créances disposant d’un fondement suffisant en droit national pour bénéficier de cette protection. En effet, selon les requérants, une insolvabilité de l’État grec n’était pas envisageable d’un point de vue juridique et ces titres de créance étaient généralement réputés comme étant sûrs, notamment lorsqu’ils ne contenaient pas de clause de révision. En outre, ils auraient été réputés sûrs conformément à la Solvabilitätsverordnung (règlement sur la solvabilité), du 14 décembre 2006 (BGBl. 2006 I, p. 2926) [voir, notamment, article 26, point 2, sous b), du règlement sur la solvabilité], et ce même lorsque les agences de notation avaient abaissé la note de la République hellénique et que les cours des titres de créance grecs avaient baissé, car il convenait de les classer dans la catégorie d’expositions « gouvernements centraux » dès lors que leur exécution était due par un gouvernement ou une banque centrale étrangers. Ce dernier aspect serait confirmé par l’article 15 de la nomós 2469, Periorismós kai veltíosi tis apotelesmatikótitas ton kratikón dapanón kai álles diatáxeis (loi no 2469/1997, relative aux limites et à l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques), du 14 mars 1997 (FEK A’ 38/14.3.1997, p. 592). Dès lors que la protection de la propriété relèverait des principes généraux du droit de l’Union que la Cour a reconnus dans sa jurisprudence, les requérants considèrent qu’ils bénéficient d’une protection de la propriété en ce qui concerne les titres de créance étatiques.

89

Troisièmement, les requérants allèguent que l’atteinte à leur droit de propriété émanait d’actes de la puissance publique. En effet, selon les requérants, dans l’arrêt du 22 mars 2014, Symvoulio tis Epikrateias (réf. 1117/2014), le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) a qualifié l’ensemble de la procédure de restructuration de la dette publique grecque d’acte de puissance publique déguisé.

90

Quatrièmement, les requérants considèrent que ne constitue pas une indemnisation équitable versée en temps utile l’obtention, d’une part, de 15 % de la valeur notionnelle des titres de créance détenus antérieurement sous la forme de deux obligations émises par le FESF et, d’autre part, pour les 31,5 % de la valeur notionnelle restant due desdits titres, de nouveaux titres de créance émis par la République hellénique comportant une CAC, avec la conséquence que les conditions d’émission de ces titres pourront éventuellement être modifiées par la suite au détriment des créanciers sans que cela ne soit a priori juridiquement attaquable, et n’arrivant à échéance qu’entre 2022 et 2042. Selon les requérants, s’ajoute la circonstance aggravante que, d’un point de vue économique, la réduction de la créance n’est pas de 46,5 %, mais de 78,5 %, comme l’a constaté le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) dans son arrêt du 22 mars 2014, étant donné que des intérêts inférieurs sont versés et que, de surcroît, les titres transférés dans le cadre de l’échange obligatoire n’arrivent à échéance qu’entre 2022 et 2042, à l’exception des obligations du FESF qui sont déjà arrivées à échéance en 2013 et 2014. Cette évaluation par l’État grec serait parfaitement conforme à celle de l’agence de notation Moody’s.

91

Les requérants considèrent dès lors que l’adoption de la loi no 4050/2010 impliquerait une atteinte équivalant à une expropriation à leur égard. Seule une telle interprétation correspondrait à l’exigence d’une protection juridique effective telle que consacrée par la Cour EDH dans son arrêt du 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c. Suède (CE :ECHR :1982 :0923JUD 000715175, point 63 et jurisprudence citée), qui serait également déterminante pour l’interprétation de l’article 17 de la Charte eu égard à son article 52, paragraphe 3, première phrase.

92

Enfin, les requérants estiment que l’arrêt de la Cour EDH du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce (CE :ECHR :2016 :0721JUD 006306614), n’est pas pertinent, parce qu’il ne traite pas de l’expropriation de créanciers privés étrangers qui ne sont pas établis en Grèce et que, ne serait-ce que pour cette raison, les critères de la proportionnalité de l’atteinte doivent être appréciés autrement que dans le cas d’une atteinte de la puissance publique à la propriété de ses propres citoyens. De plus, dans cet arrêt, pour apprécier la proportionnalité dans le cadre du calcul du préjudice, la Cour EDH aurait fait référence à la valeur nominale de 46,5 % reçue en échange, et non à la perte effective de valeur économique de 78,5 %.

93

La BCE conteste les griefs avancés par les requérants. Elle estime, d’une part, que les griefs avancés devraient être dirigés contre la République hellénique dès lors que le PSI a été conçu et introduit exclusivement par les autorités helléniques et, d’autre part, que le droit de propriété des requérants n’a pas été violé dès lors que les restrictions apportées à ce droit étaient nécessaires et justifiées par des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

94

Au vu de ces arguments, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et des conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être règlementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.

95

En outre, conformément à l’article 51 de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent notamment aux institutions de l’Union, parmi lesquelles figure la BCE (voir article 13 TUE), qui sont tenues d’en respecter les droits, d’en observer les principes et d’en promouvoir l’application.

96

Le droit de propriété tel qu’énoncé dans l’article 17, paragraphe 1, de la Charte constitue un droit fondamental du droit de l’Union (voir arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 124 et jurisprudence citée), dont le respect est une condition de la légalité des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 284 et jurisprudence citée). En outre, cette disposition qui énonce le droit de toute personne de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement énonce une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 66).

97

Il en résulte que, en principe, une violation suffisamment caractérisée de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte par la BCE est susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la BCE, au titre de l’article 340, troisième alinéa, TFUE.

98

Par ailleurs, le caractère fondamental de cette règle protégeant les particuliers et l’obligation correspondante pour la BCE de promouvoir son respect implique que ces particuliers sont en droit d’attendre qu’elle dénonce la violation d’une telle règle lors de l’exercice de ses compétences. À cet égard, il convient de rappeler qu’il a déjà été jugé dans le contexte d’une facilité d’assistance financière conférée par le mécanisme européen de stabilité à la République de Chypre que l’article 17, paragraphe 1, de la Charte était susceptible d’être violé, par la Commission européenne, non seulement par un acte positif, mais également par un comportement « passif », voire par l’omission de prendre une mesure pour laquelle existe une obligation spécifique de faire lui incombant (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, points 57, 59 et 66 à 75). De même, le statut particulier reconnu dans le cadre institutionnel des traités à la BCE ne l’exempte pas du respect des droits fondamentaux de l’Union ni de son devoir de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union tels que visés aux articles 2, 3 et 6 TUE (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2003, Commission/BCE, C‑11/00, EU:C:2003:395, point 91).

99

Il importe cependant également de rappeler que le droit de propriété garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte n’est pas une prérogative absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (voir arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 69 et jurisprudence citée).

100

Par conséquent, ainsi qu’il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété, à la condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (voir arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 70 et jurisprudence citée).

101

En l’espèce, il est constant que la loi no 4050/2012, ayant fait l’objet de l’avis litigieux, a permis de réduire la valeur nominale des titres de créance litigieux détenus par les requérants et, partant, leur droit au remboursement de ladite valeur au moment où ces titres devaient arriver à échéance.

102

En effet, les titres de créance arrivés à échéance doivent, en principe, être remboursés à leur valeur nominale. Les requérants avaient donc, en principe, à l’échéance de leurs titres, une créance pécuniaire envers l’État grec d’un montant équivalent à leur valeur nominale. L’adoption de la loi no 4050/2012 a modifié ces conditions en introduisant les CAC. Ainsi qu’il est exposé au point 18 ci-dessus, celles-ci étaient applicables à certains titres de créance grecs et prévoyaient plus précisément la possibilité de modifier les conditions les régissant moyennant un accord conclu entre, d’une part, l’État grec et, d’autre part, une majorité de détenteurs des titres de créance grecs représentant au moins deux tiers de la valeur nominale des titres concernés. En vertu des dispositions pertinentes de ladite loi, une modification intervenue à la suite d’un tel accord devient juridiquement contraignante pour tous les détenteurs de titres de créance grecs, y compris ceux qui n’ont pas consenti à la modification proposée.

103

La loi no 4050/2012 a donc permis de forcer des détenteurs de titres de créance grecs à participer à la réduction de la dette publique grecque par le biais d’une dévaluation de la valeur desdits titres, à partir du moment où cette réduction était approuvée par le quorum de leurs détenteurs. Cette loi a, de la sorte, modifié les droits des détenteurs des titres de créance grecs nonobstant l’absence de clauses de révision contenues dans les conditions régissant leur émission.

104

À la suite de l’adoption de cette loi, les autorités helléniques ont publié les caractéristiques d’un PSI dans la réduction de la dette publique grecque et ont invité les détenteurs des titres de créance concernés à participer à un échange de titres. Le quorum et la majorité requis pour procéder à l’échange de titres envisagé ayant été atteints, tous les détenteurs de titres de créance grecs, y compris ceux qui s’opposaient à cet échange, ont vu leurs titres échangés en application de la loi no 4050/2012 et, par conséquent, leur valeur diminuée.

105

Si l’adoption de la loi no 4050/2012 a ainsi entraîné une atteinte au droit de propriété des requérants, force est de constater que ladite loi répond à des objectifs d’intérêt général, parmi lesquels figure celui d’assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble. En effet, à défaut de restructuration de la dette publique grecque, il y avait, d’une part, un risque non négligeable d’une détérioration supplémentaire de la situation économique à l’époque, voire une éventuelle insolvabilité de la République hellénique, dont les titres de créance potentiellement en défaut ne pourraient plus être acceptés par la BCE et par les banques centrales nationales comme sûretés dans le cadre d’opération de crédit de l’Eurosystème, et, d’autre part, les risques qu’une telle évolution pourrait comporter pour la stabilité du système financier et pour le fonctionnement de l’Eurosystème dans son ensemble.

106

Tant la Cour EDH que la Cour ont reconnu ces objectifs d’intérêt général. Ainsi, dans l’arrêt du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce (CE :ECHR :2016 :0721JUD 006306614, point 103), la Cour EDH a considéré, dans le cadre de son examen du respect du droit de propriété à la suite d’une dévaluation de la valeur des titres de créance grecs en application de la loi no 4050/2012, que la République hellénique pouvait légitimement prendre des mesures en vue d’atteindre les objectifs de maintien de la stabilité économique et la restructuration de la dette, dans l’intérêt général de la communauté. De même, dans son arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 71), concernant la crise de la dette publique chypriote, la Cour a jugé qu’assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble était un objectif d’intérêt général poursuivi par l’Union.

107

Quant à la question de savoir si la réduction de la valeur des titres de créance litigieux détenus par les requérants ne constituait pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti, il importe de rappeler ce qui suit.

108

Premièrement, ainsi qu’il a déjà été jugé par le Tribunal, tout créancier doit supporter le risque d’insolvabilité de son débiteur, y compris étatique. L’achat par un investisseur de titres de créance étatiques constitue, par définition, une transaction comportant un certain risque financier, parce que soumis aux aléas de l’évolution des marchés des capitaux. En outre, les requérants devaient savoir que l’achat de titres de créance grecs comportait un risque même avant le début de la crise financière, dès lors que l’État grec émetteur faisait déjà face à un endettement et à un déficit importants (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 82 et 121).

109

Par ailleurs, en l’espèce, les requérants ont acquis des titres de créance grecs durant la période au cours de laquelle la crise financière de la République hellénique sévissait. En effet, ainsi qu’il a été exposé au point 1 ci-dessus, la crise de la dette publique grecque s’est déclenchée en octobre 2009 et les titres de créance grecs ont été acquis par M. Steinhoff en septembre 2011, par M. Filbry à partir de juillet 2011, par Vereinigte Raiffeisenbanken Gräfenberg-Forchheim-Eschenau-Heroldsberg en décembre 2009 et par M. Bäcker à partir d’avril 2011. Ces requérants devaient dès lors connaître lors de leur achat la situation économique hautement instable déterminant la fluctuation de la valeur des titres de créance grecs ainsi que le risque non négligeable d’un défaut, ne fût-il que sélectif, de la République hellénique. Quant à EMB Consulting, elle a acquis, en 2017, les droits de détenteurs de titres de créance grecs qui les avaient eux-mêmes acquis antérieurement. Dans les écritures, il a été précisé que les droits qui avaient été cédés à EMB Consulting avaient été acquis en majeure partie avant que l’idée d’un échange forcé ne soit évoquée. À l’audience, le représentant des requérants a indiqué que ces droits avaient été acquis dans les années 2011 et 2012. En tant qu’elle a succédé aux droits de ces détenteurs de titres de créance grecs, EMB Consulting ne peut tirer argument du fait qu’elle n’aurait pas eu connaissance de la situation économique hautement instable au moment de l’achat de ces titres.

110

De plus, les divergences de vue au sein des États membres de la zone euro et des autres organes impliqués, tels la Commission, le FMI et la BCE, à propos d’une restructuration de la dette publique grecque, n’auraient pas pu être négligées par des créanciers privés tels que les requérants. Dans de telles circonstances, un opérateur économique prudent et avisé n’aurait pas pu exclure le risque d’une restructuration de la dette publique grecque (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, points 82 et 121, et du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 97).

111

Enfin, les circonstances à l’origine de la loi no 4050/2012 étaient réellement exceptionnelles. En effet, la crise de la dette publique grecque était extraordinaire et, en l’absence de sa restructuration, un défaut, à tout le moins sélectif, à court terme de la République hellénique était une perspective crédible (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 97).

112

Deuxièmement, tant les instances grecques et européennes que la grande majorité du secteur privé ont évalué les mesures de réduction de la dette publique grecque faisant l’objet de la présente affaire et y ont donné leur assentiment. Comme l’indique, en substance, la Cour EDH dans l’arrêt du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce (CE :ECHR :2016 :0721JUD 006306614, point 116), l’une des conditions posées par les investisseurs institutionnels internationaux pour réduire leurs créances consistait en l’existence et en l’activation de CAC. L’absence de ces CAC aurait entraîné l’application d’un pourcentage de réduction plus grand à l’égard des titres de créance grecs de ceux qui auraient été prêts à accepter une décote et aurait contribué à dissuader un grand nombre des détenteurs de tels titres de participer au processus de désendettement. Il apparaît ainsi que les CAC et la restructuration de la dette publique grecque obtenue grâce à elles constituaient une mesure appropriée et nécessaire à la réduction de ladite dette et à la prévention de la cessation des paiements de l’État grec. En tout état de cause, hormis l’argument ainsi non fondé selon lequel la participation du secteur privé à la restructuration de la dette publique grecque aurait pu être limitée aux détenteurs de titres de créance ayant consenti à l’échange de leurs titres de créance, les requérants n’ont pas fait valoir que la loi no 4050/2012 était manifestement inappropriée ou démesurée à cet effet ou qu’il aurait existé une mesure aussi efficace, mais moins contraignante, pour atteindre les objectifs d’intérêt public poursuivis.

113

Troisièmement, certes, l’échange obligatoire de titres de créance grecs à la suite de la loi no 4050/2012 et de l’approbation par une majorité des détenteurs de tels titres a entraîné une baisse très importante de la valeur nominale de ceux-ci. En effet, les requérants, qui n’ont pas consenti à la modification proposée des conditions régissant leurs titres de créance, se sont vu imposer les nouvelles conditions contenues dans ladite loi, et notamment une diminution de la valeur nominale de ces titres. Toutefois, ainsi que l’a souligné la Cour EDH dans son arrêt du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce (CE :ECHR :2016 :0721JUD 006306614, point 112), le point de référence pour apprécier le degré de la perte subie par les requérants ne saurait être le montant que ceux-ci espéraient percevoir au moment de l’arrivée à maturité de leurs titres de créance. Si la valeur nominale d’un titre de créance reflète la mesure de la créance de son détenteur à la date de l’arrivée à maturité, elle ne représente pas la véritable valeur marchande à la date à laquelle l’État grec a adopté la réglementation litigieuse, en l’occurrence le 23 février 2012, date à laquelle la loi no 4050/2012 a été adoptée. Cette valeur avait sans doute déjà été affectée par la solvabilité en baisse de l’État grec, qui avait déjà commencé au milieu de l’année 2010 et s’était poursuivie jusqu’à la fin de l’année 2011. Cette baisse de la valeur marchande des titres des requérants laissait présager que, au 20 août 2015, l’État n’aurait pas été en mesure d’honorer ses obligations découlant des clauses conventionnelles incluses dans les anciens titres, c’est-à-dire avant l’adoption de la loi no 4050/2012.

114

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de juger que la réduction de la valeur des titres de créance litigieux ne constituait pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti. En effet, compte tenu de la nature du titre de propriété en cause, de l’ampleur de la crise de la dette publique grecque, de l’aval de l’État grec et de la majorité des détenteurs de titres de créance grecs pour un échange avec dévalorisation desdits titres et de l’importance des pertes subies, cette intervention ne constituait pas une atteinte intolérable au droit de propriété des requérants.

115

Cette conclusion n’est pas remise en cause par les différents arguments des requérants. Ainsi, le constat selon lequel l’échange obligatoire et la dévaluation des titres de créance litigieux des requérants sont des mesures trouvant leur origine dans des décisions de l’État grec en tant que puissance publique ne suffit pas à démontrer une violation du droit de propriété au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. La circonstance que les obligations sont généralement considérées comme sûres, notamment en vertu du règlement sur la solvabilité (voir point 88 ci-dessus), ne remet pas en cause l’appréciation selon laquelle l’achat de titres de créance étatiques constitue, par définition, une transaction comportant un certain risque financier (voir point 108 ci-dessus). De même, les pertes financières avancées par les requérants, quand bien même avérées, ne suffisent pas à établir une violation de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, dès lors que les obligations comportent une valeur résiduelle et que, en l’absence de CAC et de restructuration de la dette publique grecque obtenue grâce à elles, la probabilité d’une cessation des paiements de la République hellénique aurait nettement augmentée, entraînant ainsi non seulement un effondrement de l’économie grecque et un risque pour la zone euro, mais également une réduction encore plus importante de la valeur des titres de créance litigieux des requérants. Enfin, en ce que les requérants allèguent que l’arrêt de la Cour EDH du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce (CE :ECHR :2016 :0721JUD 006306614), ne serait pas pertinent au motif qu’il traite uniquement de l’expropriation des créanciers privés grecs et non des créanciers privés étrangers qui ne sont pas établis en Grèce, il convient d’observer que les requérants n’avancent aucun argument convaincant pour démontrer que la Cour EDH aurait jugé différemment si elle avait dû se prononcer explicitement sur la situation de tels créanciers étrangers, lesquels, qui plus est, étaient liés par les mêmes conditions conventionnelles sur le fondement du droit des obligations grec que les créanciers grecs.

116

Partant, la limitation de la valeur des titres de créance litigieux des requérants ne constitue pas une mesure disproportionnée au regard du but consistant à protéger l’économie de la République hellénique et la zone euro contre un risque de cessation de paiement de la République hellénique et d’effondrement de son économie. C’est donc à tort que les requérants allèguent que les mesures en cause constituent une violation de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. En outre, à défaut de violation de cette disposition, il ne peut être reproché à la BCE de ne pas l’avoir dénoncée dans l’avis litigieux.

Sur la violation de l’article 63 TFUE

117

Les requérants estiment que la BCE aurait impérativement dû faire remarquer dans l’avis litigieux que la mise en œuvre de la loi no 4050/2012 impliquait une violation de l’article 63 TFUE. Selon les requérants, la loi no 4050/2012 entraînait une restriction aux mouvements des capitaux au motif que cette notion devrait être comprise comme englobant une privation légale des droits des créanciers lorsque cette privation n’est pas fondée sur une clause de révision valable. La sortie des capitaux du remboursement des titres de créance échus ainsi que des intérêts serait restreinte par le fait que les créanciers qui n’ont pas donné leur accord obtiennent, au lieu de la totalité du capital investi, uniquement des fractions de ce dernier sous la forme de nouveaux titres de créance ou d’obligations qui n’arriveront à échéance qu’entre 2022 et 2042. Les requérants considèrent que cette restriction ne peut être justifiée par des motifs d’ordre public visés par l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE dès lors que les créanciers qui n’ont pas donné leur accord à la réduction de la valeur nominale des titres de créance grecs ne constituaient pas, du fait de leurs créances, une menace pour l’existence de l’État grec.

118

La BCE conteste tant qu’elle puisse se voir imputer une violation de l’article 63 TFUE que l’existence même d’une violation de cette disposition en l’espèce.

119

L’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers. De telles restrictions constituent notamment des mesures imposées par un État membre qui sont de nature à dissuader, limiter ou empêcher des investisseurs d’autres États membres à investir dans ledit État membre ou, inversement, qui sont de nature à dissuader, limiter ou empêcher des investisseurs de cet État membre à investir dans d’autres États membres [voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 2000, Commission/Belgique, C‑478/98, EU:C:2000:497, point 18 ; du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C‑112/05, EU:C:2007:623, point 19, et du 26 mai 2016, NN (L) International, C‑48/15, EU:C:2016:356, point 44].

120

La libre circulation des capitaux consacrée à l’article 63, paragraphe 1, TFUE constitue une des libertés fondamentales de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2010, Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C‑233/09, EU:C:2010:397, points 40 et 41, et du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 66) dont le respect s’impose tant aux États membres qu’aux institutions de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 1984, Rewe-Zentrale, 37/83, EU:C:1984:89, point 18 ; du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 177, et du 12 décembre 2012, Evropaïki Dynamiki/EFSA, T‑457/07, non publié, EU:T:2012:671, point 36) et, partant, également à la BCE.

121

Indépendamment de la question de savoir si la mise en œuvre de la loi no 4050/2012 a entraîné une restriction aux mouvements des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, il y a lieu de constater qu’une telle restriction, si elle avait été démontrée, serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

122

En effet, la Cour a jugé que la libre circulation des capitaux pouvait être limitée par une réglementation nationale à condition que cette dernière soit justifiée, sur la base de considérations objectives indépendantes de l’origine des capitaux concernés, par des raisons impérieuses d’intérêt général et qu’elle respecte le principe de proportionnalité, ce qui exige qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitimement poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 76 et jurisprudence citée).

123

En l’espèce, les mesures en cause étaient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général. En effet, ainsi qu’il est exposé au point 111 ci-dessus, les circonstances à l’origine de la loi no 4050/2012 étaient réellement exceptionnelles, dès lors que, en l’absence de restructuration, un défaut de paiement, à tout le moins sélectif, à court terme de la République hellénique était une perspective crédible. En outre, comme il est expliqué aux points 105 et 106 ci-dessus, les mesures en cause visaient à assurer la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble. Cet objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général.

124

En outre, les requérants n’ont pas démontré que les mesures en cause étaient disproportionnées. Ces mesures ont permis de rétablir la stabilité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble et il n’est pas démontré qu’elles allaient au-delà de ce qui était nécessaire pour rétablir ladite stabilité. En particulier, la participation des créanciers privés à l’échange de titres de créance grecs sur une base exclusivement volontaire, comme le préconisent les requérants, n’aurait pas permis d’assurer le succès de cet échange de titres. En effet, en ne garantissant pas un traitement égalitaire entre les créanciers privés, peu de ces créanciers auraient accepté ledit échange compte tenu de l’aléa moral qu’il impliquait, à savoir qu’ils supporteraient les conséquences des risques pris par les créanciers qui ne participaient pas à l’échange de titres de créance grecs. Or, le succès de l’échange de titres conditionnait la restructuration de la dette publique grecque, qui, à son tour, était nécessaire afin de stabiliser le système bancaire de la zone euro.

125

Partant, les requérants reprochent à tort à la BCE de ne pas avoir dénoncé, dans l’avis litigieux, une violation de la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63 TFUE.

Sur la violation de l’article 124 TFUE

– Observations liminaires

126

Les requérants allèguent que la République hellénique a violé l’article 124 TFUE en imposant aux créanciers n’ayant pas donné leur accord un échange obligatoire de leurs titres de créance grecs existants contre de nouveaux titres.

127

La BCE conteste tant l’allégation selon laquelle elle aurait violé l’article 124 TFUE que celle selon laquelle la République hellénique aurait violé cette disposition. Par ailleurs, la BCE estime que ses droits de la défense ont été violés en ce qui concerne les points 55 et 56 de l’annexe A.8 mentionnés par les requérants dès lors que ces points ne figuraient pas dans la requête.

– Sur les droits de la défense de la BCE

128

Dans la requête, les requérants ont estimé que la Commission avait confirmé qu’une violation de l’article 124 TFUE existait en cas d’expropriation. Pour étayer cette affirmation, les requérants ont renvoyé aux points 55 et 56 des observations de la Commission du 19 août 2013 soumises à la Cour dans les affaires C‑226/13, C‑245/13 et C‑247/13 jointes en annexe A.8. Les points 55 et 56 de ces observations n’ont cependant pas été repris dans l’annexe A.8, car les pages 13 à 15 de ces observations manquaient. La BCE déduit de ces faits qu’elle n’a pas pu exercer ses droits de la défense sur ces points.

129

À cet égard, il convient de rappeler qu’il découle du principe de la liberté de la preuve qu’une partie devant le Tribunal est, en principe, en droit d’invoquer comme preuve des pièces produites au cours d’une autre procédure judiciaire. La bonne administration de la justice ne s’oppose à leur production devant le Tribunal que lorsque ladite partie a eu accès à ces pièces de façon irrégulière ou lorsqu’elles sont confidentielles (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 55).

130

Par ailleurs, il y a lieu d’observer que les requérants ont produit les pages manquantes de l’annexe A.8 au stade de la réplique (voir annexe C.5), de sorte que la BCE a pu prendre position sur ces points au stade de la duplique et lors de l’audience. En outre, l’argument avancé par les requérants ne se fonde pas uniquement sur l’annexe A.8, mais également sur l’annexe A.9. Or, les points 48 et 49 de cette annexe, qui contient les observations de la Commission du 21 février 2014 soumises à la Cour dans l’affaire C‑578/13, sont identiques aux points 55 et 56 des observations de la Commission du 19 août 2013 repris dans l’annexe C.5.

131

Au vu de ces éléments, la BCE allègue à tort que ses droits de la défense ont été violés et que l’exposé des requérants fondé sur les points 55 et 56 de l’annexe A.8 devrait être rejeté.

– Sur l’article 124 TFUE

132

En vertu de l’article 124 TFUE, est interdite toute mesure, ne reposant pas sur des considérations d’ordre prudentiel, qui établit un accès privilégié des institutions, des organes ou des organismes de l’Union, des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d’autres organismes ou entreprises publics des États membres aux institutions financières.

133

Les requérants estiment que, en vertu de cette disposition et du règlement (CE) no 3604/93 du Conseil, du 13 décembre 1993, précisant les définitions en vue de l’application de l’interdiction de l’accès privilégié énoncée à l’article [124 TFUE] (JO 1993, L 332, p. 4), les États membres ne peuvent procurer au secteur public, par le biais de mesures de puissance publique, un accès privilégié à des établissements de crédit. Or, selon les requérants, parmi les créanciers qui n’ont pas donné leur accord à la restructuration de la dette publique grecque figuraient notamment des établissements de crédit qui constituaient des « institutions financières » au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 3604/93, lu en combinaison avec l’article 1er, premier tiret, de la première directive 77/780/CEE du Conseil, du 12 décembre 1977, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (JO 1977, L 322, p. 30). Selon les requérants, l’échange obligatoire de titres de créance grecs instauré par la loi no 4050/2012 a obligé ces institutions financières à prendre en dépôt les nouveaux titres de créance étatiques à des conditions manifestement non conformes au marché. Partant, ledit échange violerait l’article 124 TFUE. À l’appui de cet argument, les requérants font observer, d’une part, que, au moment de l’échange obligatoire de titres de créance grecs en mars 2012, les « nouveaux » titres de créance avaient une valeur nominale qui ne représentait que 46,5 % de celle des « anciens » titres de créance échangés et, d’autre part, que, d’un point de vue économique, lesdits « nouveaux » titres avaient une valeur qui ne représentait que 21,5 % de celle desdits « anciens » titres [voir arrêt du Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) du 22 mars 2014].

134

Ainsi, les requérants reprochent, en substance, à la BCE d’avoir commis une violation suffisamment caractérisée en omettant de dénoncer le fait que le projet de loi no 4050/2012 donnait lieu à une violation de l’article 124 TFUE.

135

Toutefois, d’une part, la loi no 4050/2012 ne donne pas un accès privilégié aux institutions financières contraire à l’article 124 TFUE.

136

En effet, l’article 124 TFUE interdit toute mesure, ne reposant pas sur des considérations d’ordre prudentiel, accordant notamment aux États membres un accès privilégié aux institutions financières afin d’inciter les États membres à respecter une politique budgétaire saine en évitant qu’un financement monétaire des déficits publics ou un accès privilégié des autorités publiques aux marchés financiers ne conduise à un endettement excessif ou à des déficits excessifs des États membres (voir, en ce sens, premier considérant du règlement no 3604/93 et arrêt du 1er octobre 2015, Bara e.a., C‑201/14, EU:C:2015:638, point 22 et jurisprudence citée).

137

Or, la loi no 4050/2012 n’a pas pour objet de creuser l’endettement de la République hellénique, mais, au contraire, de le réduire, eu égard à son caractère excessif, en dévalorisant les titres détenus par les requérants.

138

Par ailleurs, l’adoption de la loi no 4050/2012 est justifiée par des considérations d’ordre prudentiel visées par l’article 124 TFUE. En effet, l’article 2 du règlement no 3604/93 les définit comme les considérations qui sous-tendent les dispositions législatives ou réglementaires ou les actions administratives nationales arrêtées sur la base du droit de l’Union ou compatibles avec celui-ci et qui visent à promouvoir la solidité des institutions financières afin de renforcer la stabilité du système financier dans son ensemble et la protection des clients de ces institutions. Or, le projet de loi no 4050/2012 contribuait à préserver tant les finances publiques grecques que la stabilité du système financier de la zone euro (voir points 105 et 106 ci-dessus).

139

D’autre part, l’article 124 TFUE ne vise pas à protéger les requérants et ne leur confère pas de droits.

140

Or, ainsi que cela a été exposé au point 77 ci-dessus, ne saurait être admise comme fondement d’une demande indemnitaire une règle de droit qui ne confère pas de droits à la personne qui l’invoque. Ainsi, ne saurait être admise une règle qui ne protège pas la personne contre l’illégalité qu’elle invoque, mais qui protège une autre personne. Une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsqu’elle engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis, qu’elle a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers ou qu’elle procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié (voir arrêt du 19 octobre 2005, Cofradía de pescadores  San Pedro de Bermeo  e.a./Conseil, T‑415/03, EU:T:2005:365, point 86 et jurisprudence citée). En l’espèce, la règle énoncée à l’article 124 TFUE vise à protéger les institutions de l’Union et des États membres contre les risques budgétaires d’un accès privilégié à des institutions financières. L’interdiction énoncée par l’article 124 TFUE tend donc à protéger non pas les particuliers et les entreprises comme les requérants en l’espèce, mais l’Union en tant que telle, y compris les États membres, contre des comportements susceptibles de compromettre la stabilité économique et financière de l’Union dans son ensemble.

141

Par conséquent, l’article 124 TFUE ne peut être considéré comme une disposition conférant des droits aux requérants, de sorte qu’ils ne peuvent l’invoquer au soutien de leur demande indemnitaire.

142

Pour l’ensemble de ces motifs, les requérants invoquent à tort l’existence d’une illégalité engageant la responsabilité de la BCE à leur égard en raison de l’absence de dénonciation par la BCE d’une violation de l’article 124 TFUE en l’espèce

143

Étant donné le caractère cumulatif des conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BCE, le recours doit être rejeté dans son ensemble lorsqu’une seule de ces conditions n’est pas remplie (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE, T‑749/15, non publié, EU:T:2017:21, point 68 et jurisprudence citée).

144

En l’espèce, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’aucun des arguments invoqués par les requérants n’a permis d’établir que la BCE avait commis une violation suffisamment caractérisée de règles de droits conférant des droits aux particuliers. Dès lors, il y a lieu de rejeter les conclusions en indemnité des requérants pour ce seul motif et sans qu’il soit nécessaire d’apprécier la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué de la BCE et le dommage invoqué.

Sur les dépens

145

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BCE.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

MM. Frank Steinhoff et Ewald Filbry, Vereinigte Raiffeisenbanken Gräfenberg-Forchheim-Eschenau-Heroldsberg eG, M. Werner Bäcker et EMB Consulting SE sont condamnés aux dépens.

 

Frimodt Nielsen

Kreuschitz

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 mai 2019.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand

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