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Document 62017CC0624

    Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 28 février 2019.
    Procédure pénale contre Tronex BV.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Gerechtshof Den Haag.
    Renvoi préjudiciel – Environnement – Déchets – Transferts – Règlement (CE) no 1013/2006 – Article 2, point 1 – Directive 2008/98/CE – Article 3, point 1 – Notions de “transfert de déchets” et de “déchets” – Lot de biens initialement destinés à la vente au détail, retournés par des consommateurs ou devenus superflus dans l’assortiment du vendeur.
    Affaire C-624/17.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:150

    CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

    MME JULIANE KOKOTT

    présentées le 28 février 2019 ( 1 )

    Affaire C‑624/17

    Openbaar Ministerie

    contre

    Tronex BV

    [demande de décision préjudicielle formée par le Gerechtshof Den Haag (cour d’appel de La Haye, Pays-Bas)]

    « Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2008/98/CE – Déchets – Notion – Équipements électriques retournés par des consommateurs – Lots non écoulés – Directive 2012/19/UE – Déchets d’équipements électriques et électroniques – Transfert d’équipements électriques et électroniques – Droit pénal – Exigence de précision »

    I. Introduction

    1.

    Par la présente demande de décision préjudicielle, la Cour est à nouveau invitée à se pencher sur des questions relatives à l’interprétation de la notion de « déchets » de la directive 2008/98/CE ( 2 ). Il s’agit cette fois de déterminer si des équipements électriques retournés par des consommateurs, dont certains ne sont plus utilisables en raison de défauts, ainsi que des lots non écoulés doivent être considérés comme des déchets qui ne peuvent être exportés que conformément au règlement (CE) no 1013/2006 ( 3 ).

    2.

    Il est certes constant que la notion de « déchets » ne doit pas être interprétée de manière restrictive et qu’il convient dans chaque cas de tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce. La présente affaire ne se limite toutefois pas à une telle appréciation individuelle ; elle soulève aussi la question de l’importance que revêtent les orientations données par le législateur de l’Union résultant de la directive 2012/19/UE ( 4 ), qui n’était pas encore applicable au moment des faits. Il convient en outre d’examiner de quelle manière la notion de « déchets » doit s’appliquer en droit pénal.

    II. Le cadre juridique

    A.   La Charte

    3.

    L’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») établit le principe de légalité des peines :

    « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. [...] »

    B.   Le règlement no 1013/2006

    4.

    Conformément à l’article 2, point 1, du règlement no 1013/2006, on entend par « déchet » la définition qui en est donnée à l’article 1er, paragraphe 1, point a), de la directive 2006/12/CE ( 5 ), qui a entre-temps été remplacée par la directive 2008/98.

    5.

    L’article 2, point 35, sous a), du règlement no 1013/2006 définit en tant que « transfert illicite » entre autres tout transfert de déchets effectué sans notification à l’ensemble des autorités compétentes concernées en application dudit règlement.

    6.

    L’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1013/2006 concerne les sanctions applicables en cas d’infractions :

    « Les États membres fixent les règles relatives aux sanctions applicables en cas d’infraction aux dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. [...] »

    C.   La directive 2008/98

    7.

    Aux termes de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98, qui, conformément à son article 41 et à son annexe V, correspond à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/12, on entend par « déchets »« toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».

    D.   La directive 2012/19

    8.

    La directive 2012/19 a été adoptée le 4 juillet 2012 et devait être transposée au plus tard le 14 février 2014. La réglementation de transposition néerlandaise, le Regeling houdende vaststelling regels met betrekking tot afgedankte elektrische en elektronische apparatuur (règlement portant établissement des règles relatives aux déchets d’équipements électriques et électroniques) no IENM/BSK-2014/14758, du secrétaire d’État aux Infrastructures et à l’Environnement, du 3 février 2014, est ainsi entrée en vigueur le 14 février 2014.

    9.

    L’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive 2012/19 définit les déchets d’équipements électriques et électroniques comme suit :

    « [L]es équipements électriques et électroniques constituant des déchets au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE [...] »

    10.

    L’article 23 de la directive 2012/19 réglemente l’inspection et le contrôle. Le transfert des déchets d’équipements électriques et électroniques (ci-après « DEEE ») fait l’objet du paragraphe 2 :

    « Les États membres veillent à ce que les transferts d’EEE [équipements électriques et électroniques, ci‑après “EEE”] usagés suspectés d’être des DEEE soient effectués conformément aux exigences minimales prescrites à l’annexe VI et ils contrôlent ces transferts à cet égard. »

    11.

    L’annexe VI de la directive 2012/19 établit les exigences minimales applicables aux transferts. Le point 1 réglemente les obligations en matière de documentation :

    « Afin de pouvoir faire la distinction entre des EEE et des DEEE, lorsque le détenteur de l’objet en question déclare qu’il a l’intention de transférer ou qu’il transfère des EEE usagés et non des DEEE, les États membres demandent au détenteur de tenir à disposition les documents suivants à l’appui de cette déclaration :

    a)

    une copie de la facture et du contrat relatif à la vente et/ou au transfert de propriété de l’EEE, indiquant que celui-ci est destiné à être réemployé directement et qu’il est totalement fonctionnel ;

    b)

    une preuve d’évaluation ou d’essais, sous la forme d’une copie des documents (certificat d’essais, preuve du bon fonctionnement) pour chaque article du lot, et un protocole comprenant toutes les informations consignées conformément au point 3 ;

    c)

    une déclaration du détenteur qui organise le transport des EEE, indiquant que le lot ne contient aucun matériel ou équipement constituant un déchet au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE ; et

    d)

    une protection appropriée contre les dommages pouvant survenir lors du transport, du chargement et du déchargement, en particulier au moyen d’un emballage suffisant et d’un empilement approprié du chargement. »

    12.

    L’annexe VI, point 5, de la directive 2012/19 régit les conséquences du non-respect de ces exigences :

    « En l’absence de preuve qu’un objet est un EEE usagé et non un DEEE au moyen des documents appropriés requis aux points 1, 2, 3 et 4 et en l’absence d’une protection appropriée contre les dommages pouvant survenir lors du transport, du chargement et du déchargement, en particulier au moyen d’un emballage suffisant et d’un empilement approprié du chargement, qui relèvent des obligations du détenteur qui organise le transport, les autorités des États membres considèrent qu’un article est un DEEE et que le chargement constitue un transfert illégal. [...] »

    E.   Le droit pénal néerlandais

    13.

    Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, conformément à l’article 10.60, deuxième alinéa, de la Wet van 13 juni 1979, houdende regelen met betrekking tot een aantal algemene onderwerpen op het gebied van de milieuhygiëne (Wet Milieubeheer) [loi du 13 juin 1979 portant réglementation d’un certain nombre de sujets généraux en matière de qualité de l’environnement (loi sur la gestion de l’environnement)], il est interdit de se livrer à des actes tels que ceux visés à l’article 2, point 35, du règlement no 1013/2006. Le non-respect de cette interdiction constitue, conformément à l’article 1a, point 1, de la Wet van 22 juni 1950, houdende vaststelling van regelen voor de opsporing, de vervolging en de berechting van economische delicten (loi du 22 juin 1950 établissant les règles en matière d’enquête, de poursuite et de jugement des infractions économiques), une infraction économique passible de poursuites pénales, en application de l’article 6 de la loi du 22 juin 1950.

    III. Les faits et la demande de décision préjudicielle

    14.

    La société Tronex BV est un grossiste en lots non écoulés. Le 10 février 2014, il a été constaté que cette société avait l’intention de transférer ou de faire transférer un lot d’équipements électriques dans un conteneur à destination d’un tiers en Tanzanie, auquel elle avait vendu le lot pour un montant total de 2396,01 euros. Tronex avait acheté les produits auprès de détaillants, de grossistes et/ou d’importateurs. Le lot d’articles était constitué de bouilloires électriques, de fers à repasser à vapeur, de ventilateurs et de rasoirs électriques. Les équipements se trouvaient pour la plupart dans leur emballage d’origine, mais le lot contenait également des équipements non emballés. Il était constitué, d’une part, d’équipements retournés par des consommateurs dans le cadre de la garantie du produit et, d’autre part, de produits qui, par exemple à la suite d’une modification de l’assortiment, n’avaient pas été ou ne pouvaient plus être vendus (de manière ordinaire). Un certain nombre de cartons d’emballage des équipements contenait une note faisant mention de l’existence de défauts. Le verre de plusieurs cuiseurs en verre était abîmé. Le transfert devait avoir lieu sans notification ou consentement au sens du règlement no 1013/2006.

    15.

    Le rechtbank Rotterdam (tribunal de Rotterdam, Pays-Bas) a condamné Tronex, en première instance, à une amende de 5000 euros et une peine de deux ans avec sursis, au motif qu’elle s’apprêtait à transférer des déchets des Pays-Bas vers la Tanzanie sans notification à l’ensemble des autorités compétentes concernées et/ou sans le consentement de celles-ci.

    16.

    Tronex a fait appel de ce jugement. Elle conteste le caractère de déchets des équipements concernés.

    17.

    Le Gerechtshof Den Haag (cour d’appel de La Haye, Pays‑Bas) a donc posé à la Cour les questions suivantes :

    « Première question

    1.1

    Le commerçant qui renvoie à son fournisseur (à savoir l’importateur, le grossiste, le distributeur, le fabricant ou une autre personne dont il a acquis l’objet), sur la base du contrat existant entre le commerçant et le fournisseur, un objet retourné par un consommateur ou un objet devenu excédentaire dans son assortiment doit-il être considéré comme un détenteur qui se défait de l’objet, tel que visé à l’article 3, [...] point 1, de la directive [2008/98] ?

    1.2

    Importe-t-il, aux fins de la réponse à la question 1.1, qu’il s’agisse d’un objet présentant un vice ou un défaut facile à réparer ?

    1.3

    Importe-t-il, aux fins de la réponse à la question 1.1, qu’il s’agisse d’un objet présentant un vice ou un défaut d’une ampleur ou gravité telle que l’objet n’est, de ce fait, plus apte ni utile à sa destination initiale ?

    Deuxième question

    2.1

    Le commerçant ou le fournisseur qui revend à un acheteur (de lots non écoulés) un objet retourné par un consommateur ou un objet devenu excédentaire dans son assortiment doit-il être considéré comme un détenteur qui se défait de l’objet, tel que visé à l’article 3, partie introductive et point 1, de la directive [2008/98] ?

    2.2

    Le montant du prix d’achat à payer par l’acheteur de lots au commerçant ou au fournisseur importe-t-il aux fins de la réponse à la question 2.1 ?

    2.3

    Importe-t-il, aux fins de la réponse à la question 2.1, qu’il s’agisse d’un objet présentant un vice ou un défaut facile à réparer ?

    2.4

    Importe-t-il, aux fins de la réponse à la question 2.1, qu’il s’agisse d’un objet présentant un vice ou un défaut d’une ampleur ou gravité telle que l’objet n’est, de ce fait, plus apte ni utile à sa destination initiale ?

    Troisième question

    3.1

    L’acheteur de lots qui revend à un tiers (étranger) un grand lot d’articles retournés par des consommateurs et/ou devenus excédentaires, achetés en lots à des commerçants et des fournisseurs, doit-il être considéré comme un détenteur qui se défait d’un lot d’articles, tel que visé à l’article 3, partie introductive et point 1, de la directive [2008/98] ?

    3.2

    Le montant du prix d’achat à payer par le tiers à l’acheteur de lots importe‑t‑il aux fins de la réponse à la question 3.1 ?

    3.3

    Importe-t-il, aux fins de la réponse à la question 3.1, que le lot d’articles comporte également quelques articles présentant un vice ou un défaut facile à réparer ?

    3.4

    Importe-t-il, aux fins de la réponse à la question 3.1, que le lot d’articles comporte également quelques articles présentant un vice ou un défaut d’une ampleur ou gravité telle que l’objet concerné n’est, de ce fait, plus apte ni utile à sa destination initiale ?

    3.5

    La proportion d’articles défectueux dans l’ensemble du lot d’articles revendus au tiers importe-t-elle aux fins de la réponse à la question 3.3 ou à la question 3.4 ? Si tel est le cas, quel est le pourcentage charnière ? »

    18.

    Tronex, l’Openbaar Ministerie – Ressortsparket vestiging Den Haag (ministère public de la Haye, Pays‑Bas), le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, le Royaume de Norvège et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Tronex, le Royaume des Pays-Bas et la Commission ont pris part à l’audience qui s’est tenue le 12 décembre 2018.

    IV. Appréciation juridique

    19.

    La juridiction nationale demande si les équipements électriques litigieux constituaient des déchets au moment où ils ont été retournés par le consommateur (première question), achetés par Tronex (deuxième question) ou découverts lors du contrôle (troisième question). En réalité, elle doit uniquement juger si les équipements constituaient des déchets à ce dernier moment. En effet, il y a lieu de déterminer, dans la procédure au principal, si Tronex peut être sanctionnée au titre de la préparation d’un transfert illégal de déchets. Il apparaît toutefois opportun de regrouper les trois questions afin de parvenir à une réponse.

    20.

    À cette fin, nous analyserons tout d’abord la notion de « déchets » de la directive 2008/98, puis nous nous pencherons sur la directive 2012/19, qui confirme le résultat de l’interprétation de la directive 2008/98, et, enfin, nous examinerons les problèmes soulevés par l’application de la notion de « déchets » en droit pénal relativement à l’exigence de précision des dispositions pénales.

    A. La notion de « déchets » de la directive 2008/98

    21.

    Concernant la notion de « déchets », l’article 2, point 1, du règlement no 1013/2006 renvoie à la définition correspondante figurant à l’article 1er, paragraphe 1, point a), de la directive 2006/12. Cette dernière a entre-temps été remplacée par la directive 2008/98. Conformément aux dispositions combinées de l’article 41 et de l’annexe V de la directive 2008/98, le renvoi fait à l’article 2, point 1, du règlement no 1013/2006 fait désormais référence à l’article 3, point 1, de la directive 2008/98.

    22.

    Aux termes de cette dernière disposition, on entend par « déchets » toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire.

    23.

    Il convient par conséquent de déterminer si un acheteur qui revend à un tiers (étranger) un grand lot d’articles retournés par des consommateurs et/ou devenus excédentaires, achetés à des commerçants ou à des fournisseurs, doit être considéré comme un détenteur qui se défait du lot au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98.

    24.

    La directive 2008/98 n’établissant aucun critère permettant de déterminer ce qu’il convient d’entendre par « se défaire », les États membres sont en principe, en l’absence de dispositions du droit de l’Union, libres quant au choix des modes de preuve des différents éléments. Ces règles de preuves ne doivent toutefois pas porter atteinte à l’efficacité du droit de l’Union et notamment de la directive 2008/98 ( 6 ).

    25.

    Par conséquent, lors de l’application d’éventuelles règles de preuve dans le cadre de l’examen visant à savoir si certains objets ou substances constituent des déchets, les juridictions nationales doivent tenir compte des critères développés par la Cour à cet égard.

    26.

    S’agissant de l’expression « se défaire », il découle de la jurisprudence qu’elle doit être interprétée en tenant compte de l’objectif de la directive 2008/98, lequel consiste, selon le considérant 6 de celle‑ci, à réduire à un minimum les incidences négatives de la production et de la gestion des déchets sur la santé humaine et l’environnement, ainsi qu’à la lumière de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, qui dispose que la politique de l’Union européenne dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé et est fondée, notamment, sur les principes de précaution et d’action préventive. Il s’ensuit que les termes « se défaire », et donc la notion de « déchets », au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98, ne sauraient être interprétés de manière restrictive ( 7 ).

    27.

    Tout d’abord, il convient de prêter une attention particulière à la circonstance que l’objet ou la substance en question n’a pas ou n’a plus d’utilité pour son détenteur, de sorte que cet objet ou cette substance constituerait une charge dont celui-ci chercherait à se défaire ( 8 ). Si tel est en effet le cas, il existe un risque de voir le détenteur se défaire de l’objet ou de la substance en sa possession d’une manière susceptible de causer un préjudice à l’environnement, notamment en l’abandonnant, en le rejetant ou en l’éliminant d’une manière incontrôlée ( 9 ).

    28.

    Tel n’est pas le cas en l’espèce ; en effet, Tronex a vendu les équipements électriques et s’attendait donc à retirer un avantage financier de la livraison.

    29.

    La Cour a toutefois également déjà jugé que les substances ou les objets dont le détenteur se défait au sens de la directive 2008/98 peuvent constituer des déchets même lorsqu’ils sont susceptibles de réutilisation économique ( 10 ), notamment lorsqu’ils sont collectés à titre commercial aux fins de recyclage, de récupération ou de réutilisation ( 11 ).

    30.

    L’objectif de Tronex n’est certes pas le recyclage ou la récupération des équipements électriques, mais l’exportation visait apparemment à ce qu’ils soient réutilisés.

    31.

    Il convient néanmoins de distinguer entre les objets collectés dont le détenteur antérieur s’est défait et ceux dont le détenteur antérieur ne s’est pas défait. Le simple fait qu’un détenteur collecte des objets aux fins d’une réutilisation n’implique pas nécessairement qu’il s’en défait. Il semble même judicieux, tant économiquement qu’en vue de l’utilisation efficace des ressources, de proposer des équipements qui ne peuvent plus être vendus sur le marché initialement prévu sur d’autres marchés où une vente paraît encore possible.

    32.

    Notamment en ce qui concerne les lots non écoulés se trouvant encore dans leur emballage d’origine non ouvert, la demande de décision préjudicielle ne fournit donc pas suffisamment d’éléments permettant de conclure que leur détenteur s’en est défait.

    33.

    Les équipements retournés qui ne sont plus utilisables en raison de graves défauts et qui ne peuvent plus non plus être réparés moyennant un effort raisonnable doivent quant à eux incontestablement être considérés comme des déchets.

    34.

    Tronex ne saurait faire valoir à cet encontre qu’un certain pourcentage des produits neufs également n’est pas utilisable en raison de défauts. En effet, s’agissant de produits neufs, il convient de partir du principe que, en règle générale, ils fonctionnent correctement ( 12 ).

    35.

    Une telle supposition n’est en revanche pas justifiée pour les équipements retournés par les consommateurs. En cas de retour, il y a au contraire un risque que le consommateur ait reçu un article défectueux ou qu’il ait lui-même abîmé le produit avant de le renvoyer. Il est donc a priori douteux que les produits retournés puissent être vendus aux fins d’une utilisation conforme à leur fonction.

    36.

    Ces doutes n’amènent toutefois pas encore à considérer que le produit détenu par le consommateur constitue déjà un déchet. En effet, un retour en échange du remboursement du prix d’achat n’a pas la même signification qu’une mise au rebut. Un retour ne doit pas être considéré comme une élimination ou une valorisation, et il n’y a pas non plus lieu de s’attendre à ce que le consommateur du produit s’en défasse d’une manière dommageable pour l’environnement ( 13 ).

    37.

    Dès que le produit retourné est à nouveau en possession du commerçant, la situation change toutefois considérablement, car les doutes en ce qui concerne la possibilité de vendre le produit aux fins d’une utilisation conforme à sa fonction sont déterminants quant à son futur sort.

    38.

    Il ne serait certes pas justifié de soumettre aux dispositions de la directive 2008/98, qui visent à assurer que les opérations de valorisation et d’élimination des déchets sont mises en œuvre sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement, des biens, des substances ou des produits que le détenteur entend exploiter ou commercialiser dans des conditions avantageuses indépendamment d’une quelconque opération de valorisation. Cependant, eu égard à l’obligation de procéder à une interprétation large de la notion de « déchets », il convient de circonscrire cette argumentation aux situations dans lesquelles la réutilisation du bien ou de la substance en question est non pas seulement éventuelle, mais certaine, sans qu’il soit nécessaire de recourir au préalable à l’un des procédés de valorisation des déchets visés dans la directive 2008/98 ( 14 ).

    39.

    Eu égard aux doutes précités, cette certitude fait a priori défaut s’agissant des équipements retournés. Ces derniers doivent donc être considérés comme des déchets, à moins que ces doutes ne soient rapidement écartés au moyen d’un contrôle des équipements.

    40.

    S’il s’avère, lors du contrôle, que les produits peuvent encore être utilisés conformément à leur fonction, ils n’ont pas la qualité de déchets. Il en va de même pour les produits présentant des défauts mineurs n’affectant pas sensiblement leur fonction, de sorte que les produits pourraient quand même être vendus sans réparation – le cas échéant à un prix réduit.

    41.

    En revanche, si des défauts nécessitant une réparation sont constatés avant que le produit puisse être utilisé conformément à sa fonction, il s’agit d’un déchet, dans la mesure où il n’y a pas de certitude que le commerçant procédera effectivement à la réparation. Le point de savoir si le coût de la réparation serait faible ou élevé ne saurait à cet égard être déterminant, car un produit qui ne fonctionne pas constitue une charge et son utilisation conformément à sa destination est douteuse.

    42.

    Imposer au commerçant une telle obligation de contrôle et éventuellement de réparation est approprié, nécessaire et adapté, donc proportionnel, puisque c’est lui qui décide du sort à réserver aux produits retournés ( 15 ). Sur la base d’un raisonnement similaire, les entreprises qui génèrent des sous‑produits, par exemple des débris de pierre et de sable résiduel d’opérations d’enrichissement de minerai provenant de l’exploitation d’une mine ( 16 ) ou du lisier dans l’agriculture ( 17 ), doivent prouver que ces sous-produits ne constituent pas des déchets de production.

    43.

    Concernant enfin spécifiquement le transfert des équipements en cause en l’espèce, la demande de décision préjudicielle fournit un autre indice plaidant en faveur du fait que, au moyen du transfert, Tronex se serait défait d’au moins certains équipements. En effet, d’après la décision de renvoi, certains d’entre eux n’étaient pas emballés. On ne pouvait donc pas s’attendre à ce qu’ils ne soient pas endommagés pendant le transport.

    44.

    À titre de conclusion intermédiaire, il y a lieu de constater que le transfert d’un grand lot d’équipements électriques retournés par des consommateurs, achetés à des commerçants ou à des fournisseurs, doit être considéré comme un transfert de déchets au sens du règlement no 1013/2006, lorsque le bon fonctionnement des équipements retournés n’a pas été préalablement constaté ou que certains équipements ne sont pas correctement protégés contre les dommages liés au transport. En revanche, des équipements électriques devenus excédentaires se trouvant dans leur emballage d’origine non ouvert ne doivent pas, en l’absence d’indices supplémentaires, être considérés comme des déchets.

    B. Sur la directive 2012/19

    45.

    Cette interprétation de ce qu’il convient d’entendre par « s’être défait » est, en outre, conforme à la directive 2012/19, qui n’était toutefois pas encore applicable aux contrôles effectués au sein de Tronex le 10 février 2014. En effet, le Royaume des Pays-Bas n’a transposé cette directive, dans le délai prescrit, que le 14 février 2014.

    46.

    L’annexe VI, point 1, de la directive 2012/19 établit les exigences visant à permettre de faire la distinction entre des équipements électriques et électroniques et des déchets d’équipements électriques et électroniques lorsque le détenteur d’un objet déclare qu’il a l’intention de transférer ou qu’il transfère des équipements électriques et électroniques usagés et non des déchets d’équipements électriques et électroniques.

    47.

    Cette distinction est importante en ce qui concerne la notion de « déchets », car, conformément à la définition donnée à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive 2012/19, les déchets d’équipements électriques sont des équipements qui doivent être considérés comme des déchets au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98. En conséquence, il est prévu à l’annexe VI, point 5, qu’un transfert d’équipements électriques ne satisfaisant pas aux exigences fixées dans l’annexe doit être considéré comme un transfert illicite de déchets au sens du règlement no 1013/2006.

    48.

    À cet égard, il découle de l’annexe VI de la directive 2012/19 que deux exigences essentielles doivent être remplies pour que le transfert d’équipements électriques usagés ne soit pas considéré comme un transfert de déchets. Premièrement, le bon fonctionnement de tous les équipements doit être garanti, comme il ressort notamment du point 1, sous b), et du point 3, et, deuxièmement, les équipements doivent être correctement protégés contre les dommages liés au transport, ainsi qu’il découle du point 1, sous d), et du point 5 de ladite annexe. Des dérogations à l’exigence du bon fonctionnement ne sont prévues, au point 2 de l’annexe VI de la directive 2012/19, qu’en cas de transfert ayant spécifiquement lieu à des fins de réparation.

    49.

    Par conséquent, les règles précitées de la directive 2012/19 codifient l’interprétation de la notion de « déchets », développée ci‑dessus, en ce qui concerne les équipements électriques ayant fait l’objet d’un retour ou n’ayant pas été suffisamment protégés contre les dommages liés au transport.

    C. Sur l’application de cette interprétation de la notion de « déchets » aux sanctions pénales

    50.

    Il convient toutefois également de considérer que la notion de « déchets » en l’espèce est associée à une sanction pénale prévue en droit néerlandais. Cela est tout d’abord imposé par le droit de l’Union, l’article 50 du règlement no 1013/2006 exigeant des sanctions effectives en cas de violation des dispositions du règlement. Pour les autres infractions au droit en matière de déchets, qui dépendent elles aussi de la notion de « déchets », l’article 36, paragraphe 2, de la directive 2008/98 prévoit une obligation comparable.

    51.

    On peut néanmoins douter que la notion de « déchets » soit suffisamment précise pour justifier en l’espèce une sanction pénale. En effet, le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), dans ses exigences relatives à la prévisibilité et à la précision, revêt une grande importance, tant dans l’ordre juridique de l’Union, conformément à l’article 49, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, que dans les ordres juridiques nationaux ( 18 ).

    52.

    L’exigence de précision de la loi applicable, qui est inhérente au principe de légalité des délits et des peines, implique que la loi définisse de manière claire les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale ( 19 ).

    53.

    En ce qui concerne la notion de « déchets », les citoyens peuvent certes identifier que le point de savoir si un détenteur s’est ou non défait d’un objet doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce et que ce qu’il convient d’entendre par « se défaire » doit faire l’objet d’une interprétation large. Il existe en outre de nombreuses situations qui soit ont déjà fait l’objet d’une jurisprudence, soit sont suffisamment proches d’une jurisprudence existante pour pouvoir être clairement tranchées sur ce fondement.

    54.

    S’agissant du présent cas de figure, il n’existe toutefois à ce jour pas de jurisprudence directement pertinente. La Cour n’a notamment pas encore interprété la notion de « déchets » relativement au transfert d’équipements défectueux ou insuffisamment emballés.

    55.

    Tout praticien du droit averti peut cependant savoir que des équipements qui ne sont plus utilisables en raison de graves défauts et qui ne peuvent plus non plus être réparés moyennant un effort raisonnable doivent être considérés comme des déchets. Il en va de même pour les produits qui sont expédiés sans protection suffisante contre les dommages liés au transport.

    56.

    Il n’était en revanche jusqu’à présent – à tout le moins tant que la directive 2012/19 n’avait pas été intégralement transposée – pas aisé de savoir si des produits retournés devaient être considérés comme des déchets du simple fait que leur bon fonctionnement n’avait pas été contrôlé ou que des réparations afin de les remettre en état de fonctionnement n’avaient pas encore été effectuées.

    57.

    Il n’est pas nécessaire – ou possible – de déterminer, sur la base des informations existantes, si des documents tels que les « lignes directrices des correspondants» ( 20 ) mentionnées par la Commission et par Tronex peuvent infirmer cette constatation. La Cour n’a en effet aucune information sur le point de savoir si de tels documents existaient déjà à la date pertinente en l’espèce, le 10 février 2014, ou devaient être connus d’une société telle que Tronex.

    58.

    Nous proposons donc à la Cour de limiter, aux fins de l’engagement de la responsabilité pénale, les effets dans le temps de l’interprétation de la notion de « déchets » que nous avons proposée eu égard aux produits retournés dont le bon fonctionnement n’a pas été contrôlé ou qui nécessitent des réparations afin d’être remis en état de fonctionnement qui n’ont pas encore été effectuées. À cet égard, la présente interprétation de la notion de « déchets » ne doit être appliquée aux sanctions pénales de violations que lorsque ces dernières ont eu lieu après la transposition intégrale de l’annexe VI de la directive 2012/19 ou au plus tard après le prononcé de l’arrêt de la Cour dans la présente affaire.

    V. Conclusion

    59.

    Nous proposons donc à la Cour de statuer comme suit :

    Le transfert d’un grand lot d’équipements électriques retournés par des consommateurs, achetés à des commerçants ou à des fournisseurs, doit être considéré comme un transfert de déchets au sens du règlement (CE) no 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant les transferts de déchets, tel que modifié par le règlement (UE) no 255/2013 de la Commission, du 20 mars 2013, lorsque le bon fonctionnement de tous les équipements n’a pas été préalablement constaté ou que tous les équipements ne sont pas correctement protégés contre les dommages liés au transport. En revanche, des équipements électriques devenus excédentaires se trouvant dans leur emballage d’origine non ouvert ne doivent pas, en l’absence d’indices supplémentaires, être considérés comme des déchets.

    En ce qui concerne les produits retournés dont le bon fonctionnement n’a pas été contrôlé ou qui nécessitent des réparations afin d’être remis en état de fonctionnement qui n’ont pas encore été effectuées, la présente interprétation de la notion de « déchets » ne doit être appliquée aux sanctions pénales de violations que lorsque ces dernières ont eu lieu après la transposition intégrale de l’annexe VI de la directive 2012/19 ou au plus tard après le prononcé de l’arrêt de la Cour dans la présente affaire.


    ( 1 ) Langue originale : l’allemand.

    ( 2 ) Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3).

    ( 3 ) Règlement (CE) no 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant les transferts de déchets (JO 2006, L 190, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 255/2013 de la Commission, du 20 mars 2013 (JO 2013, L 79, p. 19) (ci‑après le « règlement no 1013/2006 »).

    ( 4 ) Directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (JO 2012, L 197, p. 38).

    ( 5 ) Directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2016, relative aux déchets (JO 2006, L 114, p. 9).

    ( 6 ) Arrêts du 15 juin 2000, ARCO Chemie Nederland e.a. (C‑418/97 et C‑419/97, EU:C:2000:318, points 41 et 70) ; du 18 décembre 2007, Commission/Italie (C‑194/05, EU:C:2007:806, point 44), et du 3 octobre 2013, Brady (C‑113/12, EU:C:2013:627, point 61).

    ( 7 ) Arrêts du 15 juin 2000, ARCO Chemie Nederland e.a. (C‑418/97 et C‑419/97, EU:C:2000:318, points 38 à 40) ; du 24 juin 2008, Commune de Mesquer (C‑188/07, EU:C:2008:359, points 38 et 39), et du 12 décembre 2013, Shell Nederland (C‑241/12 et C‑242/12, EU:C:2013:821, point 38).

    ( 8 ) Arrêts du 18 avril 2002, Palin Granit et Vehmassalon kansanterveystyön kuntayhtymän hallitus (C‑9/00, EU:C:2002:232, point 37), et du 24 juin 2008, Commune de Mesquer (C 188/07, EU:C:2008:359, point 56).

    ( 9 ) Arrêt du 12 décembre 2013, Shell Nederland (C‑241/12 et C‑242/12, EU:C:2013:821, point 42).

    ( 10 ) Arrêts du 28 mars 1990, Vessoso et Zanetti (C‑206/88 et C‑207/88, EU:C:1990:145, point 8) ; du 18 avril 2002, Palin Granit et Vehmassalon kansanterveystyön kuntayhtymän hallitus (C‑9/00, EU:C:2002:232, point 29), et du 12 décembre 2013, Shell Nederland (C‑241/12 et C‑242/12, EU:C:2013:821, point 50).

    ( 11 ) Arrêt du 25 juin 1997, Tombesi e.a. (C‑304/94, C‑330/94, C‑342/94 et C‑224/95, EU:C:1997:314, point 52).

    ( 12 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Shell Nederland (C‑241/12 et C‑242/12, EU:C:2013:821, point 47).

    ( 13 ) Arrêt du 12 décembre 2013, Shell Nederland (C‑241/12 et C‑242/12, EU:C:2013:821, point 46).

    ( 14 ) Arrêts du 18 avril 2002, Palin Granit et Vehmassalon kansanterveystyön kuntayhtymän hallitus (C‑9/00, EU:C:2002:232, point 36) ; du 24 juin 2008, Commune de Mesquer (C‑188/07, EU:C:2008:359, point 44), et du 12 décembre 2013, Shell Nederland (C‑241/12 et C‑242/12, EU:C:2013:821, point 53).

    ( 15 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Brady (C‑113/12, EU:C:2013:627, point 64).

    ( 16 ) Arrêt du 11 septembre 2003, AvestaPolarit Chrome (C‑114/01, EU:C:2003:448, point 39).

    ( 17 ) Arrêt du 3 octobre 2013, Brady (C‑113/12, EU:C:2013:627, point 65).

    ( 18 ) Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, point 51).

    ( 19 ) Arrêts du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld (C‑303/05, EU:C:2007:261, point 50) ; du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 162), et du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, point 56), ainsi que Cour EDH, 15 novembre 1996, Cantoni c. France (17862/91, CE:ECHR:1996:1115JUD001786291, § 29) ; 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique (32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, CE:ECHR:2000:0622JUD003249296, § 145) ; 7 février 2002, E.K. c. Turquie (28496/95, CE:ECHR:2002:0207JUD002849695, § 51), et 20 septembre 2011, OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie (14902/04, CE:ECHR:2011:0920JUD001490204, § 567).

    ( 20 ) http://ec.europa.eu/environment/waste/shipments/guidance.htm, consulté le 31 janvier 2019.

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