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Document 62013CC0552

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 11 juin 2015.
Grupo Hospitalario Quirón SA contre Departamento de Sanidad del Gobierno Vasco et Instituto de Religiosas Siervas de Jesús de la Caridad.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 6 de Bilbao.
Renvoi préjudiciel – Marchés publics de services – Directive 2004/18/CE – Article 23, paragraphe 2 – Gestion de services publics de santé – Fourniture de services de santé relevant des hôpitaux publics, au sein d’établissements privés – Exigence que les prestations soient fournies dans une municipalité particulière.
Affaire C-552/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:394

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 11 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑552/13

Grupo Hospitalario Quirón SA

contre

Departamento de Sanidad del Gobierno Vasco

et

Instituto de Religiosas Siervas de Jesús de la Caridad

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 6 de Bilbao (Espagne)]

«Demande de décision préjudicielle — Procédures de passation de marchés publics — Directive 2004/18/CE — Articles 2 et 23, paragraphe 2 — Principe de l’égalité de traitement des opérateurs économiques — Services de soins de santé — Obligation de fournir les services exclusivement dans des établissements situés sur le territoire d’une commune donnée»

I – Introduction

1.

Les spécifications techniques afférentes à un marché public relatif à la prestation de services de santé peuvent‑elles prévoir l’exigence selon laquelle ces services ne peuvent être fournis que dans des établissements situés sur le territoire d’une commune donnée? Une telle exigence peut‑elle être justifiée par des motifs liés à l’accès aux soins de santé et à la qualité de ces derniers?

2.

Ces questions reflètent les doutes dont le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 6 de Bilbao (juge de l’ordre du contentieux administratif no 6 de Bilbao, Espagne) a fait part à la Cour dans une affaire concernant deux appels d’offres lancés par les autorités basques en vue de la passation de marchés publics portant sur la prestation de services liés à des interventions chirurgicales. Ces marchés devaient permettre la mise à disposition de salles d’opération situées dans des hôpitaux privés, pour des interventions réalisées par des médecins employés par des établissements publics de santé, dans le but de raccourcir le délai d’attente pour l’intervention.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3.

L’article 2 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ( 2 ), intitulé «Principes de passation des marchés», énonce:

«[l]es pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence».

4.

L’article 21 de cette même directive se lit comme suit:

«[l]a passation des marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe II B est soumise seulement à l’article 23 et à l’article 35, paragraphe 4».

5.

Conformément à l’article 23, paragraphe 2, de cette directive:

«[l]es spécifications techniques doivent permettre l’accès égal des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence».

6.

L’annexe II B de la directive mentionne les «[s]ervices sociaux et sanitaires» (catégorie 25).

B – Le droit espagnol

7.

Les articles 2 et 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18 ont été transposés dans l’ordre juridique espagnol par les articles 101, paragraphe 2, et 123 de la loi 30/2007, relative aux contrats du secteur public (Ley 30/2007 de contratos del sector público), du 30 octobre 2007 ( 3 ).

III – La procédure au principal et la question préjudicielle

8.

L’instance au principal concerne deux procédures de passation de marchés publics ayant pour objet des services hospitaliers relatifs à des prestations de chirurgie mineure, générale et digestive, d’urologie, de gynécologie, de traumatologie ainsi que de chirurgie orthopédique et ophtalmologique. Ces marchés publics ne portent pas sur les services du chirurgien, qui est employé par le service public de santé et qui doit se rendre à l’hôpital privé bénéficiant du marché pour effectuer l’intervention chirurgicale.

9.

Le 15 décembre 2010, le Departamento de Sanidad del Gobierno Vasco (département de la santé du gouvernement basque, ci‑après le «Departamento de Sanidad») a approuvé le cahier des charges de l’appel d’offres no 21/2011 relatif à la gestion du service public des interventions chirurgicales pour la zone de santé de Vizcaya (zone d’attraction des hôpitaux publics de Basurto et de Galdakao). La valeur estimée du marché s’établissait à 5841041,84 euros.

10.

Le 10 mai 2011, le Departamento de Sanidad a approuvé le cahier des charges de l’appel d’offres no 50/2011 relatif à la gestion du service public des interventions chirurgicales ophtalmologiques. Ce service concerne la zone d’attraction de l’hôpital public de Galdakao. La valeur estimée du marché s’établissait à 6273219,53 euros.

11.

Les avis de marché correspondant à ces deux appels d’offres ont été publiés respectivement au Boletín Oficial del País Vasco (Journal officiel du Pays basque) les 31 janvier et 14 juin 2011. Le point 2, sous d), de chacun des avis de marché indiquait que le lieu d’exécution des prestations devait être Bilbao.

12.

Pour les deux appels d’offres, le bloc A des spécifications techniques, intitulé «Structure, équipement et gamme de services du centre», relatif aux exigences minimales, contenait le point 2 suivant, intitulé «Localisation»:

«[e]u égard à la nécessité de fournir ces services à proximité suffisante des patients et de leurs proches, à la disponibilité et à la durée des transports publics, ainsi qu’à la nécessité de minimiser les déplacements indispensables du personnel médical des hôpitaux [du service public de santé], les centres de santé proposés doivent se situer dans la commune de Bilbao».

13.

Grupo Hospitalario Quirón SA (ci‑après «Grupo Hospitalario Quirón») est propriétaire d’un hôpital général situé dans la commune d’Erandio. Il ressort de la décision de renvoi que cet hôpital remplit les conditions établies dans les spécifications techniques, excepté le fait qu’il est situé non pas sur le territoire de la commune de Bilbao, mais sur celui d’une commune limitrophe.

14.

Le 13 septembre 2011, Grupo Hospitalario Quirón a introduit un recours auprès du Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 6 de Bilbao contre les décisions prises par le Departamento de Sanidad à l’égard des avis de marché relatifs aux deux appels d’offres susmentionnés. L’intéressée concluait notamment à l’annulation des décisions attaquées et à ce qu’il soit enjoint à l’administration en cause de procéder à un nouvel appel d’offres qui ne comporte pas l’exigence selon laquelle les prestations de services soient exécutées sur le territoire de la commune de Bilbao.

15.

L’Instituto de Religiosas Siervas de Jesús de la Caridad, qui possède un établissement de soins de santé à Bilbao, est intervenu dans les procédures en qualité de défendeur. Ces procédures ont fait l’objet d’une jonction devant la juridiction de renvoi.

16.

Dans sa requête, Grupo Hospitalario Quirón soutient que l’obligation de fournir les services exclusivement dans des établissements situés sur le territoire de la commune de Bilbao est contraire au principe d’égalité, à la liberté d’accès aux appels d’offres et aux principes de non‑discrimination et d’égalité de traitement entre les participants, ainsi qu’à la libre concurrence. Il fait valoir que, compte tenu de cette obligation, il est indispensable de disposer, à Bilbao, d’une infrastructure matérielle complexe dont l’implantation exige du temps et d’importants investissements. Ces investissements n’auraient aucune justification s’ils étaient consentis à la seule fin de fournir les prestations faisant l’objet de l’appel d’offres. Les seuls opérateurs économiques qui peuvent participer à l’appel d’offres sont donc les hôpitaux situés à Bilbao.

17.

Grupo Hospitalario Quirón affirme que même en tenant compte des difficultés de déplacement des patients et des chirurgiens employés par les hôpitaux publics de Basurto et de Galdakao, l’obligation susmentionnée est injustifiée, a fortiori dans le cas de l’intéressée, qui possède un hôpital dans une commune limitrophe de Bilbao.

18.

En réponse à la requête, le Departamento de Sanidad soutient que l’obligation en cause ne limite le droit d’aucun opérateur économique de participer à l’appel d’offres, car il est exigé d’eux non pas qu’ils disposent d’installations à Bilbao, mais seulement qu’ils soient en mesure de fournir des services dans des installations situées à Bilbao au moment de la conclusion du contrat. Le Departamento de Sanidad fait également valoir que l’obligation de fournir les services dans la commune de Bilbao est justifiée par les éventuels désagréments liés au déplacement des patients. En effet, le caractère radial du réseau de transport public de la zone métropolitaine de Bilbao garantit des déplacements simples.

19.

La juridiction de renvoi indique que l’on ne peut exclure que l’exigence en cause implique une restriction inadmissible à la libre concurrence dans le secteur des marchés publics. Elle relève que cette exigence ne paraît pas nécessaire d’un point de vue pratique. La passation de marchés portant sur la prestation de services de santé dans des établissements situés dans une commune différente de celles où résident les patients est une pratique courante des autorités de santé en Espagne. En outre, il est possible d’accéder à l’hôpital appartenant à Grupo Hospitalario Quirón depuis Bilbao en empruntant le métro ou l’autobus, et le même trajet nécessite en moyenne quatorze minutes en empruntant un moyen de transport privé.

20.

Selon la juridiction de renvoi, il y a lieu de déterminer, d’une part, si, dans le présent cas d’espèce, l’obligation que le service soit fourni exclusivement sur le territoire de la commune de Bilbao peut être justifiée par l’objet du marché et, d’autre part, si cette obligation ne constitue pas une restriction inadmissible à la libre concurrence, dès lors qu’elle ne semble pas être justifiée au regard de l’objectif visant à assurer l’accès des patients aux services concernés. En particulier, de l’avis de cette juridiction, aucune raison objective ne justifie l’exclusion des appels d’offres d’un opérateur possédant un hôpital situé dans une commune limitrophe, lorsque le temps de trajet entre le domicile des patients et l’hôpital est raisonnable. La juridiction de renvoi attire également l’attention sur le fait que les prestations de services ne concernent pas uniquement les patients résidant dans la commune de Bilbao. Selon la juridiction de renvoi, on ne peut donc pas exclure que l’obligation en cause prévue dans les spécifications techniques des appels d’offres viole les articles 2 et 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18.

21.

C’est dans ces circonstances que le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 6 de Bilbao a décidé de surseoir à statuer et de poser la question préjudicielle suivante à la Cour:

«L’exigence formulée dans les marchés de gestion de services publics de santé, selon laquelle la prestation médicale faisant l’objet de l’appel d’offres doit uniquement être fournie dans une municipalité particulière, laquelle peut ne pas être celle du domicile des patients, est‑elle compatible avec le droit de l’Union?»

IV – La procédure devant la Cour

22.

La demande de décision préjudicielle a été déposée au greffe de la Cour le 25 octobre 2013. La Cour a adressé une demande d’éclaircissements à la juridiction de renvoi, à laquelle celle‑ci a répondu le 11 avril 2014.

23.

Des observations écrites ont été déposées par les parties défenderesses au principal, par le gouvernement espagnol ainsi que par la Commission européenne. Le Departamento de Sanidad et le gouvernement espagnol ont demandé la tenue d’une audience. Grupo Hospitalario Quirón, le Departamento de Sanidad, le gouvernement espagnol ainsi que la Commission ont participé à l’audience qui s’est tenue le 20 avril 2015.

V – Analyse

A – Remarques préliminaires

24.

L’instance au principal concerne deux procédures de passation de marchés publics portant sur la gestion du service public de soins de santé. Il ressort de la décision de renvoi que les marchés en cause ont pour objet des services hospitaliers d’appui aux interventions chirurgicales, dans le cadre d’un mécanisme particulier de coopération entre le service public de santé et les hôpitaux privés, dont le but est de raccourcir les listes d’attente des patients du secteur public. Ces marchés publics ne concernent pas les services du chirurgien, car les interventions ont vocation à être réalisées par des médecins qui sont employés par des hôpitaux publics et qui se déplacent à l’hôpital privé retenu dans le cadre de l’appel d’offres.

25.

La décision de renvoi n’indique pas clairement si les appels d’offres en question concernent des marchés publics de services ou des concessions de services, exclues du champ d’application de la directive 2004/18 ( 4 ).

26.

Toutefois, il ressort des explications complémentaires présentées à la demande de la Cour par la juridiction de renvoi, ainsi que des éclaircissements fournis par les parties lors de l’audience, que la procédure au principal concerne des marchés publics de services, qui relèvent du champ d’application de ladite directive.

27.

Il ressort de ces explications et éclaircissements que l’adjudicataire est rémunéré directement par le pouvoir adjudicateur et qu’il n’assume pas la part essentielle du risque économique lié à l’exploitation des services ( 5 ). Plus particulièrement, ainsi que le Departamento de Sanidad l’a indiqué lors de l’audience, le service public demeure responsable pour tout dommage causé aux patients à l’occasion d’une intervention. De même, le gouvernement espagnol souligne dans ses observations écrites que, au vu notamment des dispositions de droit national citées dans les avis de marché, les marchés publics en cause doivent être qualifiés de marchés de services.

28.

Il convient de relever également que la valeur estimée de chacun des marchés dépasse de loin les seuils fixés à l’article 7 de la directive 2004/18.

29.

Ces circonstances, qu’il appartient évidemment à la juridiction de renvoi d’établir, indiquent clairement que la directive 2004/18 trouve à s’appliquer.

30.

Je tiens à souligner, cependant, que le principe de l’égalité de traitement des opérateurs économiques en matière de prestation de services, qui sera traité en détail plus loin, serait également applicable dans le cas de l’attribution d’une concession de services.

31.

Bien qu’en l’état actuel du droit de l’Union, les contrats de concession de services ne relèvent pas de la directive 2004/18, les pouvoirs publics sont néanmoins tenus – sous réserve que le marché présente un intérêt transfrontalier certain – de se conformer aux dispositions fondamentales du traité FUE et, en particulier, aux articles 49 TFUE et 56 TFUE ( 6 ). Par ailleurs, dans la présente affaire, comme le gouvernement espagnol le souligne lui‑même dans ses observations écrites, il paraît probable que les marchés publics présentent un intérêt transfrontalier en raison de l’importance de leur valeur estimée et de la situation géographique du Pays basque.

32.

Les services fournis dans le cadre du système de santé publique, tels que ceux faisant l’objet des appels d’offres en question, revêtent incontestablement une dimension sociale fondamentale.

33.

Il convient de rappeler qu’il ressort tant de l’article 168, paragraphe 7, TFUE que de la jurisprudence de la Cour que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence dont disposent les États membres pour aménager leurs systèmes de santé publique ( 7 ).

34.

Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, les États membres ne peuvent pas introduire ou maintenir des restrictions injustifiées à l’exercice des libertés fondamentales du marché intérieur. Dans l’appréciation du respect de cette interdiction, il doit être tenu compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité, et qu’il appartient aux États membres, qui disposent d’une marge d’appréciation, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint ( 8 ).

35.

En outre, les systèmes de santé sont organisés de manière très différente dans chacun des États membres et la dimension transfrontalière des services fournis dans le cadre de ces systèmes est limitée.

36.

Ces circonstances ont été prises en compte par le législateur de l’Union, qui a décidé que les «services sanitaires» relevaient de la catégorie des services non prioritaires énumérés à l’annexe II B de la directive 2004/18 ( 9 ).

37.

Le législateur de l’Union est parti de la présomption selon laquelle ces services ne présentent pas, a priori, un intérêt transfrontalier et, de ce fait, ne relèvent pas entièrement du champ d’application de la directive ( 10 ).

38.

Conformément à l’article 21 de la directive 2004/18, les services énumérés à l’annexe II B, dont font partie les «services sociaux et sanitaires», sont soumis seulement aux articles 23 et 35, paragraphe 4, de la directive.

39.

Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 21 de la directive 2004/18 n’exclut pas l’application des dispositions générales et finales de la directive, et notamment de son article 2, visé dans la décision de renvoi ( 11 ).

B – Sur la restriction de l’accès des opérateurs économiques aux procédures de passation de marchés publics au regard des articles 2 et 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18

40.

Il convient de relever que tant l’article 2 que l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18 sont l’expression du principe de l’égalité de traitement des opérateurs économiques, lequel constitue également un principe général découlant des libertés fondamentales du marché intérieur définies notamment aux articles 49 TFUE et 56 TFUE. Par conséquent, la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation des libertés fondamentales du marché intérieur est pertinente aux fins de l’interprétation des dispositions susmentionnées de la directive.

41.

Dans le cadre de l’examen de la présente affaire à la lumière de cette jurisprudence, il convient néanmoins d’avoir à l’esprit que la directive 2004/18 élargit le champ d’application du principe de l’égalité de traitement et de non‑discrimination des opérateurs économiques aux situations internes. S’agissant d’un domaine harmonisé par le droit de l’Union, l’application de ce principe aux marchés publics relevant de la directive n’implique pas la nécessité de rechercher un élément transfrontalier.

42.

Conformément à la règle générale énoncée à l’article 2 de la directive 2004/18, les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. Ces principes revêtent une importance cruciale en ce qui concerne les spécifications techniques, eu égard aux risques de discrimination liés soit au choix de celles‑ci, soit à la manière de les formuler ( 12 ).

43.

C’est ainsi que l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18, qui prévoit les règles d’élaboration des spécifications techniques et de définition des exigences que le pouvoir adjudicateur souhaite y inclure, dispose que les spécifications techniques doivent permettre l’accès égal des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

44.

Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que l’obligation de disposer d’un établissement de soins de santé à Bilbao, qui figure dans les spécifications techniques des deux appels d’offres litigieux, est de nature à rendre plus difficile l’accès aux marchés publics pour les opérateurs économiques potentiels ne disposant pas d’un tel établissement.

45.

Je tiens à souligner que cette obligation restreint l’accès aux marchés publics même si elle n’est pas définie comme critère de sélection des opérateurs économiques et si le fait de disposer d’un établissement n’est indispensable qu’au stade de l’exécution du marché.

46.

Je suis en désaccord sur ce point avec la position du Departamento de Sanidad qui, invoquant l’arrêt Contse e.a. ( 13 ), affirme que l’obligation de disposer d’un établissement au lieu de prestation des services ne restreint pas l’accès aux marchés publics si cette obligation est définie comme condition d’exécution du marché.

47.

Je rappelle que dans l’affaire Contse e.a. ( 14 ), les soumissionnaires, pour pouvoir participer à des appels d’offres pour des services sanitaires de thérapies respiratoires, devaient disposer d’un bureau dans une province déterminée. Cette exigence constituait un critère de sélection applicable au moment de la présentation de l’offre et elle n’aurait probablement pas posé problème si elle n’avait dû être remplie qu’au stade de la prestation des services.

48.

Cependant, il ressort clairement de l’arrêt précité que l’obligation de disposer d’un bureau dans une province déterminée ne nécessitait pas de lourds investissements et que, par sa nature, elle pouvait être facilement remplie à tout moment. Tel n’est pas le cas en l’espèce, car, comme l’indique la juridiction de renvoi, la création d’une infrastructure hospitalière à Bilbao exigerait beaucoup de temps et des investissements importants, lesquels ne seraient probablement pas rentables compte tenu de l’étendue limitée des services concernés par les appels d’offres.

49.

Eu égard à l’obligation en cause dans la procédure au principal, l’accès aux appels d’offres implique l’engagement de l’opérateur économique à réaliser les investissements nécessaires à la prestation des services dans des établissements situés sur le territoire de la commune de Bilbao.

50.

En outre, l’exigence liée à la nécessité de disposer d’établissements dans la commune indiquée, bien que s’appliquant uniquement au stade de l’exécution du marché, est de nature à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation de services, telle que garantie par le traité.

51.

À la lumière des développements qui précèdent, l’exigence en cause restreint de toute évidence l’accès des opérateurs économiques aux procédures de passation de marchés publics au sens des articles 2 et 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18.

C – Sur la justification par des raisons d’intérêt général

52.

Il convient d’examiner ensuite si cette exigence peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et si elle est conforme au principe de proportionnalité.

53.

Je tiens à souligner que si l’obligation litigieuse constituait une restriction justifiée au regard des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour en matière de restrictions à l’exercice des libertés fondamentales du marché intérieur, il conviendrait d’établir également qu’elle est conforme aux articles 2 et 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18. En effet, ces dispositions interdisent la création d’«obstacles injustifiés» à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

54.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les critères utilisés dans le cadre de la passation des marchés publics doivent respecter le principe de non‑discrimination tel qu’il découle des dispositions du traité relatives à la libre prestation de services. De plus, les restrictions à cette dernière peuvent être justifiées si elles répondent aux conditions dégagées par la jurisprudence relative à cette liberté ( 15 ).

55.

Les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales doivent remplir quatre conditions pour être conformes aux articles 49 TFUE et 56 TFUE: qu’elles s’appliquent de manière non discriminatoire, qu’elles se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et qu’elles n’aillent pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 16 ).

56.

Les défendeurs au principal et le gouvernement espagnol justifient l’obligation litigieuse en invoquant la nécessité de garantir la qualité et la fiabilité du système de santé publique.

57.

Le gouvernement espagnol fait valoir que la finalité des procédures en cause est le soutien aux services publics de santé dans le domaine des interventions chirurgicales. Étant donné qu’il s’agit de services essentiels pour la population, fournis par le gouvernement basque, il n’apparaît pas surprenant que ce dernier décide, en invoquant des raisons d’intérêt général, de conclure un contrat avec un opérateur privé disposant d’un centre hospitalier à Bilbao, où réside une part importante de la population de la province de Vizcaya. Les considérations liées à la qualité et à la fiabilité des services de santé fournis pour le compte des autorités publiques devraient suffire à justifier une telle restriction aux libertés garanties par le traité.

58.

Pour justifier l’obligation litigieuse, le Departamento de Sanidad invoque des difficultés liées au déplacement des chirurgiens, des patients et de leurs proches, et met en avant le caractère radial du réseau de transport public de la zone métropolitaine de Bilbao ainsi que l’existence de liaisons de transport directes entre cette ville et d’autres localités de la province. Il soutient également que le choix de la meilleure situation géographique pour un établissement médical par rapport aux patients est une responsabilité du service public de santé.

59.

Par ailleurs, le Departamento de Sanidad invoque la division territoriale mise en place en matière de prestation de services publics de santé. Cette division devrait être maintenue y compris lorsque le système de santé publique reçoit le soutien d’établissements médicaux privés retenus dans le cadre d’un appel d’offres. Dans le cas des spécifications techniques de tels appels d’offres, le fait que les prestations doivent être fournies dans une zone de santé déterminée constitue une exigence essentielle liée à la fourniture de services venant en appui aux services publics. Le Departamento de Sanidad souligne que l’hôpital appartenant à Grupo Hospitalario Quirón se trouve à Erandio et donc dans une commune relevant d’une zone de santé différente de celle des hôpitaux de Basurto et de Galdakao. La commune d’Erandio se trouve dans la zone d’attraction de l’hôpital public de Cruces, qui n’est pas visée par les appels d’offres faisant l’objet du litige au principal.

60.

Je considère que ces arguments ne sont pas convaincants.

61.

S’agissant de l’argument du Departamento de Sanidad tiré de la division territoriale du service public de santé, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, les États membres ne sauraient invoquer des considérations d’ordre administratif pour justifier des restrictions aux libertés fondamentales ( 17 ).

62.

Dans la présente affaire, la référence à la division territoriale du service public de santé mise en place par l’administration ne constitue donc pas un argument justifiant la restriction tenant au lieu de prestation des services faisant l’objet des appels d’offres. Une telle justification devrait être fondée sur l’indication de difficultés pratiques réelles exigeant que le service soit fourni dans des établissements de soins de santé situés à Bilbao.

63.

De même, l’argument du Departamento de Sanidad selon lequel, si les appels d’offres étaient étendus aux établissements situés dans d’autres communes, la conclusion de contrats avec des opérateurs privés pourrait devenir sans objet, dès lors que les interventions en cause pourraient être effectuées dans un hôpital public relevant d’une autre zone de santé, non visée par les appels d’offres litigieux, par exemple, à l’hôpital de Cruces, ne me convainc pas davantage.

64.

Le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que le Departamento de Sanidad ait recours à un hôpital public situé dans une autre commune de la province. Une autorité publique peut accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, sans être obligée de faire appel à des entités externes, et elle peut aussi le faire en collaboration avec d’autres autorités publiques ( 18 ).

65.

Toutefois, étant donné que cette autorité a jugé nécessaire de conclure un contrat avec un opérateur privé dans le cadre d’un appel d’offres, elle ne saurait exclure un soumissionnaire en se fondant uniquement sur la division territoriale administrative de l’activité des hôpitaux publics.

66.

Par ailleurs, s’agissant des considérations liées à la qualité et à la fiabilité du système de santé publique, invoquées par le gouvernement espagnol, force est de reconnaître qu’elles constituent indéniablement un motif de nature à justifier une restriction à la libre prestation de services.

67.

En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, l’objectif de maintenir un service médical et hospitalier équilibré, accessible à tous et de qualité peut relever des dérogations prévues à l’article 52 TFUE, dans la mesure où il contribue à la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé ( 19 ).

68.

La localisation d’un établissement de soins de santé en fonction du lieu de résidence du patient constitue sans nul doute un élément important de la prestation de services sanitaires. L’obligation de se déplacer entraîne des coûts supplémentaires, voire, en cas d’urgence, un risque pour la santé du patient, des difficultés pour ses proches et, dans la présente affaire, des inconvénients liés à la nécessité pour le personnel médical employé par les hôpitaux publics de se rendre à l’hôpital privé où l’intervention sera pratiquée.

69.

À mon sens, il n’est pas douteux que ces circonstances sont de nature à justifier une limitation de la zone géographique dans laquelle les prestations de services de santé faisant l’objet des appels d’offres doivent être fournies.

70.

Néanmoins, la restriction tenant au lieu de prestation des services doit être conforme au principe de proportionnalité et, partant, être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au‑delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 20 ).

71.

Pour que la restriction liée à la localisation des établissements soit propre à garantir la réalisation de l’objectif de l’accessibilité et de la qualité des soins de santé, elle ne doit pas être fondée uniquement sur la division territoriale administrative. En effet, cette division ne tient pas compte, le plus souvent, de la spécificité découlant de la localisation des établissements de soins de santé et du lieu de résidence des patients.

72.

Pour déterminer le lieu de prestation des services, il convient de prendre objectivement en considération l’inconvénient lié à la distance qui sépare les établissements de soins de santé du lieu de résidence des patients.

73.

Il y a lieu de relever également que la distance à parcourir pour se rendre à un établissement de soins de santé peut revêtir une importance variable en fonction du type de prestations. Cette distance prend bien évidemment une importance fondamentale dans le cas des interventions urgentes. En revanche, dans le cas des interventions planifiées, les difficultés pratiques liées au temps de trajet ne constituent pas une condition aussi importante de la prestation des services de santé.

74.

À mon sens, l’exigence en cause est disproportionnée, car elle prévoit la prestation de services dans les limites de la commune de Bilbao telles qu’elles sont fixées à des fins administratives. Cette exigence n’est fondée sur aucune évaluation objective des difficultés de déplacement vers l’établissement de soins et ne tient pas non plus compte de la nature des prestations de santé faisant l’objet des appels d’offres.

75.

Le caractère disproportionné de l’exigence en cause est également révélé par le fait que les patients concernés – comme le souligne la juridiction de renvoi – résident non pas exclusivement sur le territoire de la commune de Bilbao, mais également sur celui de communes limitrophes et que, dans le cas de l’un des marchés publics, l’hôpital public bénéficiant du soutien des établissements privés est l’hôpital de Galdakao, situé en dehors de la commune de Bilbao.

76.

Le Departamento de Sanidad et le gouvernement espagnol font valoir que la désignation de Bilbao comme lieu de prestation des services repose sur la prémisse que cette ville constitue un nœud modal de transports publics permettant de se rendre facilement à Bilbao à partir des autres localités de la province.

77.

À mon sens, cet argument ne permet pas à lui seul d’établir la proportionnalité de l’exigence en cause dans la procédure au principal.

78.

D’une part, on ne peut exclure que le trajet du centre de Bilbao à un hôpital privé situé dans les limites de la ville occasionne des difficultés analogues à celles qui caractériseraient le trajet vers un hôpital situé dans une commune limitrophe.

79.

D’autre part, il ressort de la décision de renvoi que le temps nécessaire pour effectuer le trajet du centre de Bilbao à l’hôpital appartenant à la requérante, qui se trouve dans une commune limitrophe, n’engendre pas de grandes difficultés. Il ressort également des réponses fournies par les parties lors de l’audience que les marchés publics en question ont pour objet des services de santé liés à des interventions planifiées.

80.

De surcroît, la juridiction de renvoi indique que les marchés publics relatifs à la prestation de services de santé attribués par le passé par le Departamento de Sanidad ne prévoyaient pas une telle exigence de localisation des établissements et que le conseil juridique du pouvoir adjudicateur a rendu un avis recommandant la suppression de cette exigence au motif qu’elle serait difficilement compatible avec le principe de l’égalité de traitement des opérateurs économiques.

81.

Il convient de rappeler qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’établir les faits et d’en tirer des conclusions quant à la proportionnalité de la restriction.

82.

Toutefois, les faits décrits dans la décision de renvoi indiquent que le trajet jusqu’à l’hôpital situé dans la commune d’Erandio n’occasionnerait pas de difficultés excessives aux patients et au personnel médical. Ces faits amènent donc à conclure que l’exigence en cause est disproportionnée.

83.

Ainsi que la Commission le souligne à juste titre dans ses observations écrites, il convient d’examiner également l’existence de mesures moins restrictives de la libre prestation de services permettant d’atteindre l’objectif souhaité.

84.

En l’espèce, on ne peut exclure que l’intérêt général, invoqué par le Departamento de Sanidad et par le gouvernement espagnol, puisse être garanti par des mesures moins restrictives, comme exiger que les prestations de services soient effectuées dans des établissements de soins de santé auxquels l’accès par les transports publics ne présente pas de difficultés excessives pour les patients et le personnel médical. Des spécifications techniques ainsi définies pourraient également prévoir un temps de trajet indicatif à partir du centre de Bilbao, considéré comme raisonnable par le pouvoir adjudicateur.

VI – Conclusion

85.

Eu égard aux développements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 6 de Bilbao:

Les articles 2 et 23, paragraphe 2, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services s’opposent à ce que les spécifications techniques afférentes à un marché public relatif à la prestation de services de soins de santé prévoient l’exigence selon laquelle ces services doivent uniquement être fournis dans des établissements de soins de santé situés sur le territoire d’une commune donnée, lorsque cette exigence n’est pas fondée sur une appréciation objective des difficultés liées au déplacement des patients, tenant compte de la nature des services de santé faisant l’objet du marché public.


( 1 )   Langue originale: le polonais.

( 2 )   JO L 134, p. 114, telle que modifiée par le règlement (CE) no 1177/2009 de la Commission, du 30 novembre 2009 (JO L 314, p. 64, ci‑après la «directive 2004/18»).

( 3 )   Boletín Oficial del Estado du 31 octobre 2007.

( 4 )   Voir articles 1er, paragraphe 14, et 17 de la directive 2004/18.

( 5 )   Voir, en ce sens, arrêts Contse e.a. (C‑234/03, EU:C:2005:644, point 22); Eurawasser (C‑206/08, EU:C:2009:540, points 66 et 67) ainsi que Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler (C‑274/09, EU:C:2011:130, point 37).

( 6 )   Arrêts Coname (C‑231/03, EU:C:2005:487, point 16) et Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler (C‑274/09, EU:C:2011:130, point 49). La directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO L 94, p. 1) ne trouve pas à s’appliquer à la présente espèce à la fois en raison de son délai de transposition et des dispositions transitoires figurant à son article 54, paragraphe 2.

( 7 )   Voir arrêt Azienda sanitaria locale n. 5 Spezzino e.a. (C‑113/13, EU:C:2014:2440, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

( 8 )   Ibidem (point 56 et jurisprudence citée).

( 9 )   Le régime particulier réservé aux services sanitaires a été maintenu par la nouvelle directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18 (JO L 94, p. 65) (article 74 et annexe XIV), qui ne s’applique pas ratione temporis à la présente affaire, et, s’agissant de l’attribution de contrats de concession, par la directive 2014/23 (article 19 et annexe IV).

( 10 )   Arrêt Commission/Irlande (C‑507/03, EU:C:2007:676, point 25). Cette question a également été analysée par la doctrine: voir Sołtysińska, A., Europejskie prawo zamówień publicznych, LEX Wolters Kluwer, Varsovie, 2012, p. 167.

( 11 )   Voir, en ce sens, arrêt Contse e.a. (C‑234/03, EU:C:2005:644, point 47).

( 12 )   Arrêt Commission/Pays‑Bas (C‑368/10, EU:C:2012:284, point 62).

( 13 )   C‑234/03, EU:C:2005:644.

( 14 )   Ibidem (points 55 à 57).

( 15 )   Ibidem (point 49).

( 16 )   Arrêt Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, point 37).

( 17 )   Voir arrêt Commission/Autriche (C‑356/08, EU:C:2009:401, point 46 et jurisprudence citée).

( 18 )   Arrêt Commission/Allemagne (C‑480/06, EU:C:2009:357, point 45).

( 19 )   Voir, entre autres, arrêts Kohll (C‑158/96, EU:C:1998:171, points 50 et 51) ainsi que Smits et Peerbooms (C‑157/99, EU:C:2001:404, points 73 et 74).

( 20 )   Voir arrêts Commission/Espagne (C‑158/03, EU:C:2005:642, point 70) ainsi que Contse e.a. (C‑234/03, EU:C:2005:644, point 41). Il convient de rappeler que le critère de proportionnalité joue un rôle essentiel dans l’examen de la légalité des mesures nationales restreignant les libertés du marché intérieur: voir Frąckowiak‑Adamska, A., Zasada proporcjonalności jako gwarancja swobód rynku wewnętrznego Wspólnoty Europejskiej, Wolters Kluwer, Varsovie, 2009, section 3.1.1.

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