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Document 62001CC0266
Opinion of Mr Advocate General Léger delivered on 5 December 2002. # Préservatrice foncière TIARD SA v Staat der Nederlanden. # Reference for a preliminary ruling: Hoge Raad der Nederlanden - Netherlands. # Brussels Convention - Article 1 - Scope - Concept of civil and commercial matters - Concept of customs matters - Action based on a guarantee contract between the State and an insurance company - Contract entered into in order to satisfy a condition imposed by the State on associations of carriers, principal debtors, under Article 6 of the TIR Convention. # Case C-266/01.
Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 5 décembre 2002.
Préservatrice foncière TIARD SA contre Staat der Nederlanden.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
Convention de Bruxelles - Article 1er - Champ d'application - Notion de 'matière civile et commerciale' - Notion de 'matières douanières' - Action fondée sur un contrat de cautionnement entre l'État et une compagnie d'assurances - Contrat conclu afin de satisfaire à une condition imposée par l'État à des associations de transporteurs, débiteurs principaux, en vertu de l'article 6 de la convention TIR.
Affaire C-266/01.
Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 5 décembre 2002.
Préservatrice foncière TIARD SA contre Staat der Nederlanden.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
Convention de Bruxelles - Article 1er - Champ d'application - Notion de 'matière civile et commerciale' - Notion de 'matières douanières' - Action fondée sur un contrat de cautionnement entre l'État et une compagnie d'assurances - Contrat conclu afin de satisfaire à une condition imposée par l'État à des associations de transporteurs, débiteurs principaux, en vertu de l'article 6 de la convention TIR.
Affaire C-266/01.
Recueil de jurisprudence 2003 I-04867
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:727
Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 5 décembre 2002. - Préservatrice foncière TIARD SA contre Staat der Nederlanden. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas. - Convention de Bruxelles - Article 1er - Champ d'application - Notion de 'matière civile et commerciale' - Notion de 'matières douanières' - Action fondée sur un contrat de cautionnement entre l'État et une compagnie d'assurances - Contrat conclu afin de satisfaire à une condition imposée par l'État à des associations de transporteurs, débiteurs principaux, en vertu de l'article 6 de la convention TIR. - Affaire C-266/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-04867
1 Dans cette affaire, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) pose deux questions préjudicielles sur le champ d'application ratione materiae de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (1).
2 Il s'agit, en substance, de déterminer si la convention de Bruxelles s'applique à une action en paiement de dettes douanières introduite par l'État néerlandais contre la caution des associations nationales habilitées à délivrer des carnets TIR et à garantir le paiement des droits et des taxes à l'importation.
I - Cadre juridique
A - La convention de Bruxelles
3 Le champ d'application de la convention de Bruxelles est défini à son article 1er, dans les termes suivants:
«La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives (2).
Sont exclus de son application:
1))l'état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions;
2))les faillites, concordats et autres procédures analogues; 3))la sécurité sociale; 4))l'arbitrage.»
4 Lorsque la convention de Bruxelles est applicable, la compétence du juge repose sur les règles qu'elle prévoit. Selon son article 2, le défendeur doit être attrait, en principe, devant les juridictions de l'État sur le territoire duquel il a son domicile.
5 Selon l'article 53 de ladite convention, pour l'application de celle-ci, le siège des sociétés et des personnes morales est assimilé au domicile. Toutefois, pour déterminer ce siège, le juge saisi applique les règles de son droit international privé.
B - La convention TIR
6 La convention douanière relative au transport international de marchandises sous le couvert de carnets TIR (3) a été signée à Genève le 14 novembre 1975. À ce jour, elle lie une soixantaine de parties contractantes. Elle a été conclue par le Conseil au nom de la Communauté européenne en vertu du règlement (CEE) n_ 2112/78, du 25 juillet 1978 (4).
7 La convention TIR vise à faciliter les transports internationaux de marchandises par véhicules routiers en simplifiant et en harmonisant les formalités à accomplir en matière douanière lors du franchissement des frontières. Dans ce sens, elle prévoit, notamment, que les marchandises ne sont pas assujetties au paiement ou à la consignation des droits et des taxes à l'importation ou à l'exportation aux bureaux de douane de passage (5).
8 Pour la mise en oeuvre de ces facilités, la convention TIR exige que les marchandises soient accompagnées, tout au long de leur transport, par un document uniforme, le carnet TIR, qui servira à contrôler la régularité de l'opération. Elle requiert également que les transports aient lieu sous la garantie d'associations agréées par les parties contractantes conformément aux dispositions de son article 6 (6).
9 Dans sa version antérieure à la révision entrée en vigueur le 17 février 1999, l'article 6, paragraphe 1, de la convention TIR disposait:
«Sous les conditions et garanties qu'elle déterminera, chaque partie contractante pourra habiliter des associations à délivrer les carnets TIR, soit directement, soit par l'intermédiaire d'associations correspondantes, et à se porter caution.»
10 En cas d'irrégularité dans le déroulement de l'opération TIR, en particulier en cas d'absence de décharge du carnet TIR, les droits et les taxes à l'importation deviennent exigibles. Le titulaire du carnet TIR - en principe le transporteur - en est directement redevable. Lorsqu'il n'acquitte pas les sommes dues, l'association nationale garante est tenue au paiement en tant que «conjointement et solidairement» responsable.
II - Cadre factuel
11 L'État néerlandais est partie à la convention TIR. Conformément à l'article 6 de cette convention, le ministère des Finances dudit État a habilité trois associations nationales de transporteurs à délivrer des carnets TIR sous réserve de l'acceptation par ses soins de la garantie que ces associations étaient tenues de constituer.
12 Cette garantie a été fournie par la compagnie d'assurances Préservatrice Foncière Tiard SA(7), qui est établie en France. Ainsi, dans différents actes, PFA s'est engagée vis-à-vis de l'État néerlandais, en tant que caution et débiteur solidaire, à acquitter comme une dette propre les droits et les taxes d'importation ou d'exportation imposés, au titre des dispositions légales en matière de douane et accises, au titulaire du carnet TIR délivré par les associations nationales de transporteurs (8).
13 En 1996, l'État néerlandais a assigné PFA devant le Rechtbank te Rotterdam (Pays-Bas). Cette action était fondée sur les engagements de caution pris par PFA envers l'État néerlandais et avait pour objet le paiement de droits et de taxes dus par les trois associations nationales (9).
14 PFA a soulevé l'incompétence du Rechtbank te Rotterdam au motif que le litige entrait dans le champ d'application de la convention de Bruxelles et que le tribunal compétent devait être déterminé conformément aux dispositions de celle-ci.
15 Le Rechtbank te Rotterdam et, en appel, le Gerechtshof te 's-Gravenhage (Pays-Bas) ont rejeté le déclinatoire de compétence. Ces juridictions ont considéré que, en habilitant des associations à délivrer des carnets TIR sous réserve de l'acceptation de la garantie constituée par ces dernières, l'État néerlandais avait agi au titre d'une compétence de droit public et que la conclusion par cet État du contrat de caution avec PFA s'inscrivait dans le prolongement de cette compétence. Ils ont également estimé que les dettes que PFA devait acquitter constituaient des dettes douanières.
16 PFA s'est pourvue en cassation contre l'arrêt du Gerechtshof.
III - Les questions préjudicielles
17 Le Hoge Raad der Nederlanden, doutant du bien-fondé de l'analyse du Gerechtshof, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1))Faut-il considérer comme une matière civile ou commerciale au sens de l'article 1er de la convention de Bruxelles l'action que l'État intente au titre d'un contrat de droit privé de cautionnement qu'il a conclu pour remplir une condition qu'il a posée au titre de l'article 6, paragraphe 1, de la convention TIR de 1975 et donc dans l'exercice de la puissance publique?
2))Faut-il considérer un litige engagé par l'État, qui a pour objet un contrat de droit privé de cautionnement, comme étant une matière douanière au sens de l'article 1er de la convention de Bruxelles au motif que la partie citée peut soulever des moyens de défense qui imposent d'examiner et d'apprécier l'existence et les termes des dettes douanières sur lesquelles ce contrat porte?»
IV - Appréciation
18 L'article 1er de la convention de Bruxelles excluant du champ d'application de celle-ci la matière douanière et la seconde question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi visant à savoir si le litige au principal relève de cette matière, nous commencerons notre analyse par cette question.
19 Dans cette question, la juridiction de renvoi part de la prémisse que le litige au principal a pour objet un contrat de droit privé de cautionnement. Elle cherche à savoir si ce litige relève de la matière douanière au motif que la partie défenderesse peut contester les dettes douanières sur lesquelles porte ce contrat.
20 À titre liminaire, il est nécessaire à la bonne compréhension de la question de rappeler quelles sont les caractéristiques du litige au principal.
21 Ainsi qu'il est indiqué dans l'arrêt de renvoi, la demande introduite par l'État néerlandais contre PFA a pour but la condamnation de celle-ci au paiement de dettes douanières et cette demande est fondée sur le contrat de cautionnement conclu entre les parties au litige (10).
22 Il s'ensuit que la condamnation de PFA au paiement de ces dettes douanières constitue l'objet du litige et que le contrat de cautionnement en est la cause.
23 Il résulte, en effet, de la jurisprudence de la Cour que, au sens de la convention de Bruxelles, la notion d'«objet du litige» consiste dans le but de la demande et le rapport contractuel ou la règle juridique sur lesquels la demande est fondée sont couverts par la notion de cause (11).
24 Au vu de ces considérations, la seconde question préjudicielle doit être comprise comme visant à savoir, en substance, si l'article 1er de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'un litige engagé par un État membre ayant pour objet la condamnation du défendeur au paiement de dettes douanières et pour fondement un contrat de cautionnement de droit privé relève de la matière douanière.
25 Par cette question, la juridiction de renvoi cherche ainsi à déterminer si le litige au principal relève de la matière douanière en raison de son objet ou s'il doit être considéré comme relevant de la matière civile et commerciale parce qu'il a pour fondement un contrat de cautionnement de droit privé.
26 La Commission soutient que ce litige ne relève pas de la matière douanière. À l'appui de son analyse, elle invoque, en premier lieu, les motifs de l'exclusion des matières fiscales, douanières ou administratives du champ d'application de la convention de Bruxelles. Selon la Commission, la seconde phrase de l'article 1er, premier alinéa, de ladite convention, prévoyant cette exclusion, a été ajoutée parce que certaines relations juridiques que les États continentaux considèrent comme relevant du droit public font partie, en Irlande et au Royaume-Uni, du «civil law». Elle souligne que la relation juridique entre la caution et le bénéficiaire du cautionnement est de nature civile (12).
27 En second lieu, la Commission expose que cette exclusion constitue une exception au principe selon lequel la convention de Bruxelles recouvre toutes les matières civiles et commerciales. Elle en déduit que la matière douanière ne doit comprendre que les véritables litiges douaniers, à savoir ceux entre l'État et le débiteur principal des droits de douanes. Elle fait valoir que son analyse est corroborée, a contrario, par l'arrêt du 22 février 1979, Gourdain (13).
28 Nous ne partageons pas la position de la Commission. Comme le gouvernement néerlandais, nous estimons que le litige au principal relève de la matière douanière au sens de l'article 1er de la convention de Bruxelles et, par conséquent, échappe au champ d'application de celle-ci.
29 Nous fondons cette appréciation, en premier lieu, sur le libellé de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles et, en second lieu, sur la jurisprudence de la Cour. Enfin, cette appréciation nous semble conforme à l'économie et aux objectifs de la convention de Bruxelles.
30 S'agissant du libellé de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, il convient de souligner qu'il exclut expressément du champ d'application de celle-ci la matière douanière en tant que telle. Aucun élément dans le libellé de cette disposition ne limite cette exclusion aux litiges entre l'autorité publique et le débiteur principal des droits de douane.
31 En outre, nous n'avons pas trouvé non plus d'éléments en faveur d'une telle limitation dans les motifs qui ont conduit les rédacteurs de la convention du 9 octobre 1978, précitée, à préciser, à l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, que celle-ci ne recouvre pas, notamment, les matières fiscales, douanières ou administratives. Il ressort simplement des commentaires de la convention du 9 octobre 1978, précitée, que cette précision a été jugée nécessaire parce que les systèmes juridiques du Royaume-Uni et de l'Irlande ne connaissent pas la distinction entre les matières relevant du droit public et celles relevant du droit privé. Or, c'est sur une telle distinction, commune aux systèmes juridiques des six États membres originaires, que reposait la référence, sans autre précision, à la notion de «matière civile et commerciale» à l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles pour définir le champ d'application de celle-ci (14).
32 Le libellé de cet article conduit donc à exclure du champ d'application de la convention de Bruxelles tous les litiges ayant pour objet le paiement de dettes douanières, indépendamment du fondement sur lequel le litige est engagé.
33 C'est également à cette interprétation que conduit l'analyse de la jurisprudence de la Cour.
34 À ce jour, celle-ci n'a pas été amenée à interpréter la notion de matière douanière au sens de la convention de Bruxelles. Néanmoins, il est de jurisprudence constante qu'échappent au champ d'application de ladite convention les seuls litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé, pour autant que ladite autorité agisse dans l'exercice de la puissance publique (15).
35 Dans l'arrêt LTU, précité, la Cour a jugé que ne relevait pas de la convention de Bruxelles un litige qui concerne le recouvrement de redevances dues par une personne de droit privé à un organisme national ou international de droit public en vertu de l'utilisation des installations et services de celui-ci, notamment lorsque cette utilisation est obligatoire et exclusive (16).
36 De même, dans l'arrêt Rüffer, précité, la Cour a jugé que la notion de «matière civile et commerciale» au sens de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles ne s'applique pas à un litige relatif au recouvrement des frais inhérents à l'enlèvement d'une épave dans une voie d'eau publique, opéré par l'État gestionnaire en exécution d'une obligation internationale et sur la base de dispositions de droit interne qui lui attribuent, dans la gestion de cette voie d'eau, la position de puissance publique vis-à-vis des particuliers (17).
37 Il ressort donc de cette jurisprudence que certaines catégories de contestations doivent être considérées comme exclues du champ d'application de la convention de Bruxelles en raison des éléments qui caractérisent soit la nature des rapports juridiques entre les parties au litige, soit l'objet de celui-ci (18).
38 Cette jurisprudence nous paraît parfaitement transposable dans les circonstances de l'affaire au principal. En effet, le litige opposant l'État néerlandais à PFA a pour objet la condamnation de cette dernière au paiement de droits et de taxes rendus exigibles par la non-décharge de carnets TIR. L'objet du litige porte donc sur le recouvrement de droits de douane, de droits d'accises et de la taxe sur la valeur ajoutée dus sur des marchandises en provenance de pays tiers.
39 Dans la mise en oeuvre de la législation communautaire en matière douanière, dans la fixation du montant des droits d'accises et de la taxe sur la valeur ajoutée sur les produits et les services ainsi que dans le recouvrement des sommes dues au titre de ces différents droits et taxes, les États membres agissent incontestablement dans l'exercice de la puissance publique.
40 L'objet du litige au principal est donc une manifestation de la puissance publique de sorte que ce litige doit être exclu du champ d'application de la convention de Bruxelles.
41 Ensuite, nous estimons que la circonstance selon laquelle l'État néerlandais intente son action contre PFA sur le fondement d'un contrat de cautionnement de droit privé est inopérante.
42 Il ressort, en effet, de la jurisprudence que chacune des deux conditions justifiant l'exclusion de certaines catégories de contestation du champ d'application de la convention de Bruxelles, tenant l'une à la nature des rapports juridiques entre les parties et l'autre à l'objet du litige, se suffit à elle-même. En d'autres termes, dès lors que le litige au principal concerne une manifestation de la puissance publique, que ce soit dans les rapports juridiques entre les parties ou dans son objet, il ne relève pas de la convention de Bruxelles.
43 Ainsi dans l'arrêt Gourdain, précité, la Cour a considéré que la décision dont la reconnaissance était demandée n'entrait pas dans le champ d'application de la convention de Bruxelles parce que l'action à l'origine de cette décision tirait son fondement uniquement des dispositions du droit de la faillite (19).
44 Toutefois, contrairement à ce que soutient la Commission, il ne saurait être déduit de cet arrêt que, a contrario, une action fondée sur un contrat de nature civile doit entrer dans le champ d'application de la convention de Bruxelles si son objet en est exclu.
45 En effet, dans l'arrêt Rüffer, précité, la Cour a statué sur le point de savoir si le fait que le recouvrement des frais d'enlèvement est poursuivi par l'État néerlandais au moyen d'une action récursoire et non, ainsi que le prévoit le droit interne d'autres États membres, par voie administrative suffit à faire tomber ce litige dans le champ d'application de la convention de Bruxelles. La Cour a jugé que ce n'était pas le cas. Elle a considéré que le fait que le gestionnaire, en poursuivant le recouvrement desdits frais, agit sur la base d'un droit de créance qui a sa source dans un acte de puissance publique suffit pour que son action soit considérée, quelle que soit la nature de la procédure que lui ouvre à ces fins le droit national, comme exclue du champ d'application de la convention de Bruxelles (20).
46 La solution retenue dans l'arrêt Rüffer, précité, nous semble pouvoir être transposée à un litige dans lequel, comme en l'espèce, un État membre poursuit le recouvrement de dettes douanières contre la caution du débiteur principal sur le fondement d'un contrat de cautionnement de droit privé. En effet, le juge saisi de ce litige devra statuer sur le bien-fondé de créances qui ont leur source dans un acte de puissance publique. À cet égard, il convient de relever que la juridiction de renvoi a souligné que la caution pouvait opposer les mêmes moyens de défense inhérents à la dette que le débiteur principal.
47 En outre, la position adoptée dans l'arrêt Rüffer, précité, a été confirmée dans l'arrêt du 25 juillet 1991, Rich (21). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que, si, par son objet, un litige est exclu du champ d'application de la convention de Bruxelles, seul cet objet doit être pris en compte (22). Elle en a déduit que l'existence d'une question préalable sur laquelle le juge doit statuer pour trancher ce litige ne peut, quel que soit le contenu de cette question, justifier l'application de ladite convention (23). Cette position a encore été reprise dans l'arrêt du 20 janvier 1994, Owens Bank (24).
48 Enfin, l'analyse selon laquelle il suffit que le litige au principal concerne une manifestation de la puissance publique, soit dans les rapports juridiques entre les parties, soit dans son objet, pour être exclu du champ d'application de la convention de Bruxelles a été confirmée très récemment par la Cour dans l'arrêt du 14 novembre 2002, Baten (25).
49 Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si la notion de «matière civile» au sens de l'article 1er, premier alinéa, de la convention de Bruxelles englobe une action récursoire par laquelle un organisme public poursuit auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes qu'il a versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne. Elle a jugé qu'il convenait d'examiner le fondement et les modalités d'exercice de cette action (26).
50 Nous relevons que, dans cette affaire, l'action intentée par l'autorité publique était une action récursoire contre un débiteur d'aliments en recouvrement d'une créance de nature civile. L'objet de la demande relevait donc de la matière civile et entrait, par conséquent, dans le champ d'application de la convention de Bruxelles. Dès lors, il était logique que la Cour examine si, dans le fondement et les modalités de l'action, l'autorité publique disposait de prérogatives dérogatoires au droit commun pour déterminer si un tel litige devait être considéré comme exclu du champ d'application de la convention de Bruxelles. En d'autres termes, il était nécessaire de déterminer si ce litige, qui n'était pas exclu de la convention de Bruxelles en raison de son objet, devait l'être en raison de la nature des rapports juridiques entre les parties.
51 Nous déduisons donc de l'analyse de la jurisprudence de la Cour que la circonstance selon laquelle l'action en paiement de dettes douanières est intentée sur le fondement d'un contrat de cautionnement de droit privé n'est pas susceptible de mettre en cause l'exclusion de cette action du champ d'application de la convention de Bruxelles en raison de son objet.
52 Enfin, cette interprétation de l'article 1er de ladite convention nous semble confortée par l'économie et les objectifs de celle-ci.
53 Nous avons vu, en effet, que la convention de Bruxelles s'applique à l'ensemble de la matière civile et commerciale. Néanmoins, certaines matières qui ont une nature civile ou commerciale en sont exclues. Il s'agit, selon l'article 1er, second alinéa, de ladite convention, de l'état et de la capacité des personnes physiques, des régimes matrimoniaux, des testaments et successions, des faillites, concordats et autres procédures analogues, de la sécurité sociale ainsi que de l'arbitrage. Il est intéressant de souligner que ces exclusions concernent des matières qui échappent à l'autonomie de la volonté des parties et qui touchent à l'ordre public (27). En outre, ces matières ne doivent être exclues du champ d'application de la convention de Bruxelles que si elles font l'objet principal du litige (28).
54 Nous en déduisons que, dans ces matières, les rédacteurs de la convention de Bruxelles ont voulu que, à la compétence exclusive d'un État membre corresponde la compétence des autorités administratives et juridictionnelles du même État. Lorsque ces matières constituent l'objet principal du litige, ce sont les juridictions de cet État qui sont considérées comme étant les mieux placées pour les trancher. La protection effective des situations juridiques, qui constitue l'un des objectifs de la convention de Bruxelles (29), se trouve donc garantie par la désignation d'un système national compétent dans son intégralité et n'exige pas que soit assurée la reconnaissance des décisions relatives à ladite matière (30).
55 Un tel raisonnement nous semble également devoir s'appliquer pour les matières relevant du droit public, dans lesquelles l'État exerce ses prérogatives de puissance publique. En excluant la matière douanière en tant que telle, les rédacteurs de la convention du 9 octobre 1978, précitée, ont voulu préciser, selon nous, que tous les litiges ayant pour objet cette matière ressortent de la compétence des juridictions de l'État dont la législation est applicable en l'espèce.
56 À l'inverse, la thèse que soutient la Commission pourrait avoir pour effet, ainsi qu'elle le reconnaît elle-même (31), qu'une action contre le débiteur principal et une action contre sa caution soient introduites devant des juridictions d'États différents alors qu'elles portent sur la même créance douanière. Certes, des solutions peuvent être trouvées, dans la convention de Bruxelles, pour éviter cette situation ou que soient rendues des décisions inconciliables (32). Toutefois, l'éventualité d'une saisine concomitante de juridictions d'États différents constitue un élément de plus pour écarter une interprétation de l'article 1er de la convention de Bruxelles qui ne paraît justifiée ni par le libellé de cette disposition ni par la jurisprudence ou l'économie de ladite convention.
57 En effet, il convient de rappeler que l'objectif de la libre circulation des jugements, poursuivi par la convention de Bruxelles, vise avant tout à écarter des solutions qui provoqueraient la multiplication des procès devant des juridictions différentes et le risque, corrélatif, que des décisions inconciliables soient rendues (33).
58 Il serait donc contraire à cet objectif de la convention de Bruxelles de donner une définition du champ d'application de celle-ci qui aurait pour effet que l'action en paiement d'une même dette douanière obéirait à des règles de compétence différentes selon qu'elle est engagée contre la caution ou contre le débiteur principal. Il s'ensuit que l'action dirigée contre la caution doit, comme celle à l'encontre du débiteur principal, être exclue du champ d'application de ladite convention.
59 Au vu de ces considérations, nous proposons à la Cour de répondre à la seconde question posée par la juridiction de renvoi que l'article 1er de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'un litige engagé par un État membre ayant pour objet la condamnation du défendeur au paiement de dettes douanières et pour fondement un contrat de cautionnement de droit privé relève de la matière douanière.
60 Compte tenu de la réponse que nous proposons à la Cour d'apporter à la seconde question préjudicielle, la première question préjudicielle, visant à savoir dans quelle mesure une action intentée par un État membre sur le fondement d'un contrat de cautionnement de droit privé conclu pour remplir une condition que cet État a posée au titre de l'article 6 de la convention TIR peut être considérée comme un acte de puissance publique, est sans intérêt pour la solution du litige au principal. Nous proposons donc de ne pas y répondre.
V - Conclusion
61 Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Hoge Raad der Nederlanden:
«L'article 1er de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens qu'un litige engagé par un État membre ayant pour objet la condamnation du défendeur au paiement de dettes douanières et pour fondement un contrat de cautionnement de droit privé relève de la matière douanière.»
(1) - (JO 1972, L 299, p. 32). Convention telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et texte modifié p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1) et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»). Une version consolidée de cette convention est publiée au JO 1990, C 189, p. 2.
(2) - La seconde phrase de l'article 1er, premier alinéa, a été ajoutée en application de l'article 3 de la convention du 9 octobre 1978, précitée, lors de l'adhésion à la convention de Bruxelles du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni.
(3) - Ci-après la «convention TIR».
(4) - JO L 252, p. 1.
(5) - Article 4.
(6) - Article 3.
(7) - Ci-après «PFA».
(8) - Arrêt de renvoi (p. 4).
(9) - Arrêt de renvoi (p. 1 et 2).
(10) - Point 13 des présentes conclusions.
(11) - Arrêts du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, Rec. p. 4861, point 11), et du 6 décembre 1994, Tatry (C-406/92, Rec. p. I-5439, point 30).
(12) - Points 21 à 23 de ses observations écrites.
(13) - (133/78, Rec. p. 733). Points 24 à 26 de ses observations écrites.
(14) - Voir rapport de M. Schlosser sur la convention relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu'au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71, 82 et 83).
(15) - Arrêts du 14 octobre 1976, LTU (29/76, Rec. p. 1541, point 4); du 16 décembre 1980, Rüffer (814/79, Rec. p. 3807, point 8); du 21 avril 1993, Sonntag (C-172/91, Rec. p. I-1963, point 20), et du 1er octobre 2002, Henkel (C-167/00, non encore publié au Recueil, point 26).
(16) - Point 4. Il s'agissait de redevances de routes que l'Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol) perçoit sur les détenteurs d'aéronefs pour l'utilisation de services de sécurité aérienne.
(17) - Point 9.
(18) - Arrêts précités LTU (point 4), et Henkel (point 29).
(19) - Point 6. Il s'agissait d'une décision de la cour d'appel de Paris (France) condamnant le gérant de fait d'une société française, déclarée en état de liquidation de biens, à supporter une partie des dettes sociales en application de la loi française en vigueur sur les faillites.
(20) - Point 15.
(21) - C-190/89, Rec. p. I-3855.
(22) - Point 26. La Cour était confrontée à la question de savoir si l'exclusion de l'arbitrage, prévue à l'article 1er, second alinéa, point 4, de la convention de Bruxelles, s'applique à un litige dans lequel la question de l'existence initiale d'une convention d'arbitrage est en cause.
(23) - Point 28.
(24) - C-129/92, Rec. p. I-117 (points 34 et 36).
(25) - C-271/00, non encore publié au Recueil (point 28).
(26) - Point 30.
(27) - Voir rapport sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit «rapport Jenard» (JO 1979, C 59, p. 1, 10).
(28) - Idem.
(29) - Voir préambule de la convention de Bruxelles.
(30) - Voir, à propos de la sécurité sociale, arrêt Baten, précité (point 43).
(31) - Points 28 à 30 de ses observations écrites.
(32) - La Commission cite, à cet égard, l'article 6, point 1, de la convention de Bruxelles, selon lequel, s'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur peut les assigner devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, ainsi que l'article 22 relatif à la connexité.
(33) - Voir conclusions de l'avocat général Darmon dans l'affaire Rich, précitée (point 1).