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Document 61986CC0253
Opinion of Mr Advocate General Mischo delivered on 11 February 1988. # Sociedade Agro-Pecuaria Vicente Nobre Ldª v Council of the European Communities. # Action for annulment - Premium for the abandonment of vine-growing. # Case 253/86.
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 11 février 1988.
Sociedade Agro-Pecuaria Vicente Nobre Ldª contre Conseil des Communautés européennes.
Recours en annulation - Prime pour l'abandon de la viticulture.
Affaire 253/86.
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 11 février 1988.
Sociedade Agro-Pecuaria Vicente Nobre Ldª contre Conseil des Communautés européennes.
Recours en annulation - Prime pour l'abandon de la viticulture.
Affaire 253/86.
Recueil de jurisprudence 1988 -02725
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1988:77
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 11 février 1988. - Sociedade Agro-Pecuaria Vicente Nobre Ldª contre Conseil des Communautés européennes. - Recours en annulation - Prime pour l'abandon de la viticulture. - Affaire 253/86.
Recueil de jurisprudence 1988 page 02725
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Le 20 juin 1986, la partie requérante, qui est propriétaire d' un vignoble au Portugal, a introduit, auprès du secrétaire d' État au Développement agricole et du ministre de l' Agriculture, de la Pêche et de l' Alimentation, une demande tendant, notamment, à l' octroi, au titre du règlement n° 777/85 du Conseil, du 26 mars 1985 ( 1 ), d' une prime d' abandon définitif de la viticulture pour une superficie de 30 ha plantés de vigne, dont elle envisageait l' arrachage dans le cadre d' une restructuration de l' ensemble de sa propriété .
2 . Le 14 juillet 1986, le Conseil a adopté le règlement n° 2239/86 concernant une action commune spécifique pour l' amélioration des structures viti-vinicoles au Portugal ( JO L 196 du 18.7.1986, p . 1 ), dont l' article 6, paragraphe 6 dispose que
" pendant la durée de l' action commune, les viticulteurs ne peuvent bénéficier de la prime d' abandon définitif prévue par le règlement ( CEE ) n° 777/85 ".
3 . Selon la partie requérante, le régime instauré par le règlement n° 2239/86 spécifiquement pour le Portugal serait à plusieurs égards moins favorable que celui prévu par le règlement n° 777/85 . Elle fait valoir notamment que le règlement n° 2239/86 ne pourra être appliqué, au cours de toute sa durée de validité, qui est de dix ans, qu' à une superficie de 15 000 ha . Il laisse ainsi un large pouvoir discrétionnaire aux autorités portugaises et tous les intéressés ne pourront certainement pas en bénéficier . Enfin, le montant des primes d' abandon définitif qu' il prévoit, modulé en fonction du rendement moyen par hectare des superficies concernées, est inférieur à celui fixé par le règlement n° 777/85 .
4 . A titre principal, la partie requérante demande l' annulation du règlement n° 2239/86, dans la mesure où, par l' effet de l' article 6, paragraphe 6, précité, qui la prive du bénéfice du règlement n° 777/85, il violerait les principes généraux du droit communautaire concernant la sécurité juridique, le respect des droits acquis, la non-rétroactivité des lois et la protection de la confiance légitime .
5 . A titre subsidiaire, elle demande la réparation du préjudice, évalué à 150 000 écus, qu' elle aurait subi du fait de la non-application du règlement n° 777/85 .
Quant à la demande en annulation
6 . Le Conseil, partie défenderesse, la République portugaise et la Commission, parties intervenantes, invoquent, à titre principal, l' irrecevabilité du recours en annulation, au motif que la partie requérante ne serait pas concernée directement et individuellement par le règlement n° 2239/86 .
7 . Comme la Cour l' a déjà constaté à de nombreuses reprises,
"l' article 173, alinéa 2, du traité subordonne la recevabilité d' un recours en annulation formé par un particulier à la condition que l' acte attaqué, même s' il a été pris sous l' apparence d' un règlement, constitue, en réalité, une décision qui concerne le requérant directement et individuellement . L' objectif de cette disposition est notamment d' éviter que, par le simple choix de la forme d' un règlement, les institutions communautaires puissent exclure le recours d' un particulier contre une décision qui le concerne directement et individuellement, et de préciser ainsi que le choix de la forme ne peut pas changer la nature d' un acte .
Un recours formé par un particulier n' est toutefois pas recevable, dans la mesure où il est dirigé contre un règlement de portée générale, au sens de l' article 189, alinéa 2, du traité . Le critère de distinction entre le règlement et la décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l' acte en question . Il y a donc lieu d' apprécier la nature de l' acte attaqué, et, en particulier, les effets juridiques qu' il vise à produire ou produit effectivement" ( 2 ).
8 . Or, en l' occurrence, il n' y a pas de doute que le règlement n° 2239/86, dans son ensemble, a une telle portée générale . Comme son titre l' indique, il vise l' amélioration des structures viti-vinicoles au Portugal, qu' il entend réaliser par des mesures de restructuration du vignoble, d' une part, et par un encouragement à l' abandon définitif de certaines superficies plantées en vigne, d' autre part . Il est formulé d' une manière générale et abstraite, s' applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l' égard de catégories de personnes envisagées de manières générales et abstraites .
9 . Il s' adresse à l' ensemble des viticulteurs portugais et ne concerne la partie requérante que dans sa qualité objective de viticulteur, au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant dans l' une des situations qu' il vise : la partie requérante n' est donc pas concernée individuellement .
10 . Elle n' est pas non plus concernée directement . En particulier, l' octroi de la prime d' abandon définitif que le règlement n° 2239/86 prévoit dépend d' une décision formelle des autorités portugaises compétentes auxquelles les demandes doivent être adressées . Dans l' exercice de cette compétence, les autorités portugaises disposent d' un large pouvoir discrétionnaire, comme le reconnaît la partie requérante elle-même, en ce sens que pour toute la durée envisagée de l' action commune au sens de l' article 6 du règlement n° 729/70 ( 3 ), à savoir dix ans ( article 10, paragraphe 1 ), la prime d' abandon définitif est limitée à une superficie globale de 15 000 ha du vignoble portugais ( article 6, paragraphe 4 ), qui, pourtant, comprend 279 000 hectares, selon les indications, non contestées, du Conseil .
11 . Dans sa réplique ( p . 25 ), la partie requérante a cependant indiqué, et elle a confirmé à l' audience, qu' elle ne poursuit pas l' annulation de l' ensemble du règlement n° 2239/86, auquel elle ne conteste pas à proprement parler un caractère réglementaire, "mais seulement de ( sa ) partie ... qui porte atteinte à la légalité communautaire ". Dans la partie introductive de sa requête ( p . 2 ), elle avait d' ailleurs précisé que "le présent recours a pour objet de voir la Cour :
a ) déclarer que, en ce que, à l' article 6, paragraphe 6, du règlement ( CEE ) n° 2239/86, du 14 juillet 1986, le Conseil prévoit que, pendant la durée de l' action commune établie par ledit règlement, les viticulteurs ne peuvent bénéficier de la prime d' abandon définitif prévue par le règlement ( CEE ) n° 777/85, il a violé les principes généraux de sécurité juridique, de respect des droits acquis, de non-rétroactivité des lois et de protection de la confiance légitime, qui font partie de l' ordre juridique communautaire ... ".
12 . Or, cette définition de l' objet de la requête signifie que la requérante demande que non seulement au cours de la campagne 1986/1987, mais au cours de toutes les campagnes subséquentes, ce ne soit pas le titre II du règlement n° 2239/86 qui s' applique au Portugal, mais le règlement n° 777/85 . En demandant l' annulation de l' article 6, paragraphe 6, la requérante demande donc en réalité l' annulation de toutes les dispositions du règlement n° 2239/86 qui ont trait à l' arrachage des vignes, c' est-à-dire l' annulation d' un ensemble de dispositions de nature réglementaire .
13 . Au cours de l' audience, la partie requérante a cependant donné l' impression que sa requête pouvait aussi être interprêtée en ce sens qu' elle ne demandait la suspension du règlement n° 2239/86 que pour la seule campagne 1986/1987, et en sa propre faveur uniquement . Il s' agirait donc en quelque sorte de la demande d' une mesure transitoire .
14 . Agro-Pecuaria fait valoir qu' elle doit être considérée comme individuellement concernée par l' article 6, paragraphe 6 du règlement n° 2239/86, parce qu' elle est la seule entreprise agricole portugaise qui ait introduit une demande d' octroi de prime au titre du règlement n° 777/85 à la date de l' adoption et de l' entrée en vigueur du règlement n° 2239/86 . Elle serait donc spécialement touchée par l' article 6, paragraphe 6, qui, en la privant du bénéfice du règlement n° 777/85, l' affecterait dans sa position juridique en raison d' une situation de fait qui la caractériserait par rapport à toute autre personne et l' individualiserait d' une manière analogue à celle d' un destinataire .
15 . Le Conseil, la République portugaise et la Commission contestent que la partie requérante soit individuellement concernée par la disposition litigieuse du seul fait de la demande présentée par elle, étant donné que celle-ci aurait été introduite avant le 1er septembre 1986, c' est-à-dire avant le début de la campagne viti-vinicole au titre de laquelle elle aurait, en d' autres circonstances, pu être prise en considération, et qu' elle n' aurait produit aucun effet juridique .
16 . La requérante, de son côté, estime qu' il existe un parallélisme très net entre son cas et l' affaire 11/82, Piraiki-Patraiki/Commission ( 4 ). Dans cette affaire, les parties requérantes avaient fait valoir que, même si la décision incriminée s' appliquait à tous les exportateurs grecs, actuels ou potentiels, de filés de coton vers la France, leur propre situation était particulière en ce sens qu' elles avaient conclu, avant l' adoption de la décision, des contrats dont l' exécution devait se situer durant la période d' application de celle-ci . Pour ceux qui ont été en mesure d' apporter la preuve de l' existence de tels contrats, la Cour a reconnu qu' ils se trouvaient dans une situation de fait qui les caractérisait par rapport à toute autre personne concernée par la décision litigieuse,
"en ce que l' exécution de leurs contrats a été empêchée en tout ou en partie, par l' adoption de la décision" ( Rec . 1985, p . 244, point 19 ).
17 . A la suite de l' objection de la Commission que, lors de l' adoption de sa décision, elle ignorait et n' était pas en mesure de connaître l' existence de ces contrats de droit privé, la Cour a encore examiné la recevabilité du recours sous cet aspect conjointement avec le fond de l' affaire ( point 21 ) pour confirmer finalement que les entreprises titulaires de tels contrats étaient individuellement concernées
"en tant que membres d' un cercle restreint d' opérateurs économiques identifiés ou identifiables par la Commission et spécialement touchés, en raison desdits contrats, par la décision litigieuse" ( Rec . 1985, p . 246, point 31 ).
18 . Dans la présente affaire, il ne saurait être contesté que l' introduction, par la partie requérante, d' une demande au titre du règlement n° 777/85 permettait certainement de l' identifier, parmi l' ensemble des viticulteurs portugais, comme l' un de ceux qui seraient effectivement touchés par la suspension de ce règlement .
19 . Mais on ne peut pas dire que la Sociedade Agro-Pecuaria ait été touchée par cette décision à un degré plus prononcé que les autres viticulteurs portugais qui s' apprêtaient à introduire des demandes au début de la nouvelle campagne viti-vinicole . Elle s' est simplement manifestée plus tôt qu' eux .
20 . Comme la Cour l' a souligné si souvent,
" la nature réglementaire d' un acte n' est pas mise en cause par la possibilité de déterminer le nombre ou même l' identité des sujets de droit auxquels il s' applique à un moment donné, tant il est constant que cette application s' effectue en vertu d' une situation de droit ou de fait définie par l' acte, en relation avec la finalité de ce dernier" ( point 8 de l' arrêt Deutz und Geldermann, précité ).
21 . A ma connaissance, il n' existe, dans la jurisprudence de la Cour, qu' un seul arrêt dans lequel la Cour a déclaré recevables des recours de particuliers qui avaient simplement introduit des demandes . C' est l' arrêt Fruit Company/Commission du 13 mai 1971 ( affaires jointes 41 à 44/70, Rec . p . 422 ). Mais dans cette affaire le règlement attaqué ne s' appliquait qu' aux entreprises ayant demandé une licence d' importation avant une certaine date, fixée dans le règlement, et antérieure à l' adoption de ce dernier . La Cour a dès lors pu constater que
"lors de l' adoption dudit règlement le nombre de demandes susceptibles d' en être affectées était ... déterminé; qu' aucune nouvelle demande ne pouvait s' y ajouter" ( points 17 et 18 de l' arrêt cité ).
22 . Dans la présente affaire la situation n' aurait été identique que si le règlement incriminé était intervenu après le 31 décembre 1986, c' est-à-dire après la date limite prévue pour la présentation des demandes de prime d' arrachage au titre de la campagne 1986/1987 . A ce moment-là seulement le nombre et l' identité des viticulteurs touchés par la réduction de la prime aurait été déterminé et fixé "ne varietur ". L' acte aurait alors concerné, du moins en ce qui concerne cette campagne, une catégorie fermée d' opérateurs économiques . Or, le règlement incriminé a été adopté le 14 juillet 1986 .
23 . Par ailleurs, pour qu' un particulier puisse être considéré comme individuellement concerné par une disposition insérée dans un règlement, il faut que celle-ci affecte sa position juridique ( arrêt du 18 novembre 1975, affaire 100/74, CAM/Commission, point 19, Rec . p . 1393, 1403 ). En d' autres termes, l' initiative prise par le particulier doit avoir eu des effets juridiques qui sont mis en cause par la mesure incriminée .
24 . Ainsi, la Cour a considéré que des exportateurs se trouvaient individualisés par la circonstance qu' ils avaient obtenu la fixation à l' avance de restitutions dans des certificats délivrés avant une certaine date ( 5 ).
25 . Dans le cas de la communication à la Commission par les organismes d' intervention nationaux des offres reçues par ceux-ci dans le cadre d' une adjudication périodique de viandes se trouvant en stock auprès de ces organismes, la Cour a admis la recevabilité du recours d' un soumissionnaire parce qu' une décision de la Commission, bien que prise sous la forme d' une décision adressée aux États membres, avait déterminé directement le sort, favorable ou défavorable, de chacune des offres présentées ( 6 ).
26 . Même dans l' arrêt Piraiki-Patraiki, invoqué tout particulièrement par la requérante, la Cour s' est fondée sur l' existence de contrats déjà conclus, dont l' existence avait été prouvée et dont l' exécution se trouvait rendue impossible en tout ou en partie par la mesure incriminée, pour déclarer que les entreprises titulaires de ces contrats étaient individuellement concernées .
27 . Dans l' affaire qui nous occupe, la requérante ne peut évidemment faire état d' un engagement analogue contracté par elle, dont l' exécution serait rendue impossible par l' adoption du règlement n° 2239/86 .
28 . Par ailleurs, même si on devait admettre, comme le fait la partie requérante, que dans le cadre du règlement n° 777/85 les autorités compétentes des États membres ne disposent d' aucun pouvoir d' appréciation quant à l' octroi des primes à ceux des intéressés qui en ont fait la demande et qui remplissent les conditions prévues, encore faut-il qu' elles vérifient précisément si ces conditions sont effectivement réunies, déterminent la catégorie dans laquelle tombent les vignes en cause, constatent sur place le rendement de celles-ci et décident, en fonction de tous ces éléments, du montant à allouer à chacun d' entre eux . La demande présentée au titre du règlement n° 777/85 n' a ainsi entraîné aucun effet automatique .
29 . Comme nous savons aussi qu' elle n' a pas donné lieu à une décision des autorités compétentes, nous pouvons conclure que la position juridique de la requérante n' a pas été affectée par la disposition incriminée . Sur la base de toutes les considérations exposées ci-dessus, le recours en annulation doit dès lors être rejeté comme irrecevable .
Quant à la demande de dommages et intérêts
30 . Tout en ayant conclu à l' irrecevabilité du recours en annulation je ne suis pas pour autant dispensé d' examiner le recours en dommages et intérêts, car,
"selon une jurisprudence constante de la Cour, l' action en indemnité au titre des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité a été instituée comme une voie autonome ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours, et subordonnée à des conditions d' exercice conçues en vue de son objet" ( 7 ).
L' irrecevabilité de la demande en annulation n' entraîne donc pas nécessairement celle de la demande en indemnité .
31 . Le Conseil, la République portugaise et la Commission estiment cependant que la demande subsidiaire en indemnité doit être déclarée irrecevable pour non-conformité à l' article 38, paragraphe 1, sous c ), du règlement de procédure de la Cour, qui exige que la requête introductive d' instance contienne l' objet du litige et l' exposé sommaire des moyens invoqués .
32 . Il est vrai que dans ses écrits la partie requérante s' est montrée extrêmement laconique à ce sujet . Dans sa requête elle s' est limitée à conclure à ce qu' il plaise à la Cour "condamner la Communauté à réparer les préjudices subis par la requérante du fait de la non-application des dispositions du règlement ( CEE ) n° 777/85 du Conseil, du 25 mars 1985 ". En outre, ce n' est que dans sa réplique ( p . 52 ) qu' elle a chiffré l' étendue du dommage qu' elle prétend avoir subi, à savoir 150 000 écus, majoré d' intérêts moratoires à compter de la date de notification de la requête à la partie défenderesse .
33 . A mon avis, on peut cependant déduire avec suffisamment de certitude de la requête elle-même que l' objet de la demande n' était autre que d' obtenir des dommages et intérêts équivalents à la prime à laquelle la requérante prétendait avoir droit, au titre du règlement n° 777/85, pour les 30 ha plantés en vignes dont elle envisageait l' arrachage ( c' est-à-dire 150 000 écus ).
34 . Quant aux moyens invoqués, ils sont manifestement identiques à ceux sur lesquels est fondé le recours en annulation .
35 . Le fait que le résultat poursuivi et les moyens invoqués sont ainsi les mêmes dans les deux recours ne me semble pas suffisant pour conclure à l' irrecevabilité du recours en indemnité .
36 . Dans l' affaire Compagnie d' approvisionnement/Commission ( 8 ) la Cour était confrontée à une situation analogue . La Commission avait contesté la recevabilité des demandes en réparation, en faisant valoir que, du fait que les requérantes chiffraient le préjudice à la différence exacte entre les subventions résultant des règlements contestés et celles qui résulteraient d' une réglementation conforme à leurs voeux, ces demandes tendraient à tourner l' irrecevabilité à laquelle se heurtait un recours en annulation dirigé contre lesdits règlements, conformément à l' article 173 du traité CEE .
37 . La Cour a cependant déclaré que
"l' action en indemnité ... a été instituée comme une voie autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d' exercice conçues en vue de son objet spécifique; qu' elle se différencie du recours en annulation en ce qu' elle tend non à la suppression d' une mesure déterminée, mais à la réparation du préjudice causé par une institution dans l' exercice de ses fonctions; que les recours en réparation visent seulement à la reconnaissance d' un droit à réparation et, par conséquent, à une prestation destinée à produire ses effets uniquement à l' égard des requérantes; que ces recours sont donc recevables ".
38 . Dans le cas d' espèce, la requérante ne saurait d' ailleurs être accusée d' avoir voulu tourner les exigences de l' article 173, puisqu' elle a fait, à titre principal, un recours sur cette base . De plus, il importe de noter que le recours en réparation a été introduit, au plein sens du terme, à titre subsidiaire : il n' a en effet un objet que si le règlement n° 2236/86 n' est pas annulé ( soit parce que le recours principal est déclaré irrecevable, soit parce qu' il est rejeté comme non fondé ). En effet, si ce règlement était annulé par la Cour, le règlement n° 777/85 continuerait à s' appliquer également au Portugal et la requérante ne subirait pas le préjudice qu' elle invoque .
39 . Je vous propose dès lors de ne pas déclarer le recours en indemnité irrecevable, mais de l' examiner quant au fond .
40 . A ce propos, il résulte d' une jurisprudence constante
"que, en vertu de l' article 215, alinéa 2, et des principes généraux auxquels il est renvoyé par cette disposition, la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d' un ensemble de conditions en ce qui concerne l' illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l' existence d' un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué ".
Nous avons vu qu' en l' occurrence l' acte qui serait à l' origine du dommage allégué est un acte normatif . Or,
"à l' égard de tels actes, selon une jurisprudence également constante de la Cour ( voir, en premier lieu, l' arrêt du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schoeppenstedt, 5/71, Rec . p . 975 ), la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée qu' en présence d' une violation suffisamment caractérisée d' une règle supérieure de droit protégeant les particuliers ". ( 9 )
C' est en fonction de ces exigences qu' il y a lieu d' apprécier le présent recours en indemnité .
41 . Ainsi que je l' ai déjà indiqué, nous sommes en droit de supposer que les règles supérieures de droit protégeant les particuliers dont la requérante invoque la violation, sont celles-là mêmes sur lesquelles elle a fondé son recours en annulation, à savoir les principes du respect des droits acquis, de la protection de la confiance légitime, de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité des lois .
42 . Or, nous avons vu plus haut que la demande en obtention d' une prime d' arrachage, introduite par la requérante auprès des autorités portugaises, n' a pu engendrer aucun effet juridique, ni, a fortiori, faire naître un droit à la prime au titre du règlement n° 777/85 .
43 . Dans ces conditions, il ne saurait être question d' une violation du principe du respect des droits acquis . D' ailleurs, la Cour a encore récemment confirmé, par renvoi à son arrêt Eridania du 27 septembre 1979 ( 10 ), que
"une entreprise ne saurait invoquer un droit acquis au maintien d' un avantage résultant pour elle d' une organisation commune de marché telle qu' elle existe à un moment donné" ( 11 ).
A fortiori en est-il ainsi à l' égard d' un avantage potentiel .
44 . Pour les mêmes raisons, on ne saurait retenir une violation du principe de la protection de la confiance légitime . En outre, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu' un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l' adoption d' une mesure communautaire de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d' un tel principe lorsque cette mesure est adoptée ( arrêt du 1er février 1978, 78/77, Loehrs, Rec . p . 169 ) ( 12 ). Or, en l' occurrence il y a lieu de constater que le règlement n° 777/85 prévoit lui-même, en son article 7, la possibilité d' une modification, par le Conseil, du montant des primes instaurées .
45 . Dans ce contexte, la Commission a raison de souligner qu' "il serait absurde que par le biais d' une ( telle ) demande présentée prématurément ( qui n' a pas encore fait naître des droits dans le chef de son auteur ) un particulier puisse contraindre la Communauté à maintenir un régime inchangé d' une campagne à l' autre, quelles que soient les circonstances économiques ". La Cour, en effet, a constaté à plusieurs reprises ( 13 ) que
"le champ d' application du principe du respect de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu' à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s' appliquer aux effets futurs de situations nées sous l' empire de la réglementation antérieure (...)".
46 . Par ailleurs, en l' absence de droits acquis sous l' ancienne législation, la requérante ne pouvait pas prétendre à des mesures transitoires en sa faveur .
47 . Quant aux principes de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité des lois, il suffit de souligner que le règlement n° 2239/86, adopté le 14, publié le 18 et entré en vigueur le 21 juillet 1986, n' a été applicable qu' à partir de la campagne viti-vinicole 1986/1987, qui a commencé le 1er septembre 1986 . Son application à la demande de la partie requérante qui avait été introduite au titre de la même campagne, n' aurait donc en aucun cas pu enfreindre lesdits principes généraux .
Pour toutes ces raisons, la demande de dommages et intérêts doit être rejetée comme non fondée .
48 . En conclusion, je vous propose de déclarer irrecevable le recours en annulation, de rejeter comme non fondé le recours en indemnité et de condamner la partie requérante aux dépens, y compris ceux des parties intervenantes .
( 1 ) Règlement ( CEE ) n° 777/85 du Conseil, du 26 mars 1985, relatif à l' octroi, pour les campagnes viti-vinicoles 1985/1986 à 1989/1990, de primes d' abandon définitif de certaines superficies plantées en vigne ( JO L 88 du 28.3.1985, p . 8 ).
( 2 ) Arrêt du 24 février 1987, Deutz und Geldermann/Conseil, 26/86, Rec . p . 941, points 6 et 7; voir aussi ordonnance du 20 mai 1987, Champlor et autres/Commission, 233/86 à 235/86, Rec . p . 2251, points 6 et 7 .
( 3 ) Règlement ( CEE ) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune ( JO L 94 du 28.4.1970, p . 13 ).
( 4 ) Arrêt du 17 janvier 1985, Rec . p . 227 .
( 5 ) Arrêt du 18 novembre 1975, affaire 100/74, CAM/Commission, Rec . p . 1403; arrêt du 31 mars 1977, affaire 88/76, Exportation de sucres/Commission, Rec . p . 725; arrêt du 3 mai 1978, affaire 112/77, Toepfer/Commission, Rec . p . 1029 .
( 6 ) Arrêt du 6 mars 1979, affaire 92/78, Simmenthal/Commission, Rec . p . 777 .
( 7 ) Voir notamment l' arrêt du 26 février 1986, Krohn/Commission, 175/84, Rec . p . 753, point 26 .
( 8 ) Arrêt du 13 juin 1972, affaires jointes 9 et 11/71, Rec . p . 391 .
( 9 ) Arrêt du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg et autres/Conseil et Commission, 281/84, Rec . p . 49, points 17 et 18 .
( 10 ) Affaire 230/78, Eridania/Ministère de l' Agriculture et des Forêts, Rec . 1979, p . 2749 .
( 11 ) Voir l' arrêt du 21 mai 1987, Walter Rau Lebensmittelwerke et autres/BALM, affaires jointes 133 à 136/85, Rec . p . 2289, point 18 .
( 12 ) Voir l' arrêt du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens/Communauté économique européenne, 265/85, Rec . p . 1155, point 44 .
( 13 ) Voir notamment l' arrêt du 14 janvier 1987, Allemagne/Commission, 278/84, Rec . p . 1, point 36 .