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Document 61963CC0069
Opinion of Mr Advocate General Lagrange delivered on 11 March 1964. # Mrs Anne-Marie Marcillat (née Capitaine) v Commission of the European Atomic Energy Community. # Case 69-63.
Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 11 mars 1964.
Mme Anne-Marie Capitaine, épouse de M. Gérard Marcillat contre Commission de la Communauté européenne de l'énergie atomique.
Affaire 69-63.
Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 11 mars 1964.
Mme Anne-Marie Capitaine, épouse de M. Gérard Marcillat contre Commission de la Communauté européenne de l'énergie atomique.
Affaire 69-63.
édition spéciale anglaise 1964 00471
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1964:11
Conclusions de l'avocat général
M. MAURICE LAGRANGE
11 mars 1964
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Mlle Capitaine, secrétaire au Centre commun de recherches nucléaires d'Ispra, avait été recrutée par la Commission d'Euratom suivant une lettre d'engagement du 2 mars 1960 et placée de ce fait sous le régime des contrats dits «de Bruxelles». A la suite de son mariage, le 6 mai 1961, avec un autre agent de l'institution, M. Marcillat, une décision du 14 juin 1961 supprima l'indemnité de séparation dont elle bénéficiait en vertu de son contrat. Par un recours enregistré au greffe le 22 juin 1963, elle s'est pourvue contre cette décision, ainsi que contre plusieurs décisions ultérieures qui la confirment, explicitement ou implicitement. Rappelons que, dans l'intervalle, en février 1963, l'intéressée a été titularisée comme fonctionnaire selon le statut.
Comme vous le savez, la Commission conteste la recevabilité de la requête, qu'elle prétend tardive. C'est la première question que nous avons à examiner.
A — Recevabilité
Le recours aurait, selon la défenderesse, été présenté hors délais par rapport à la décision du 14 juin 1961 et, d'autre part, ce délai n'aurait pu «revivre» à la suite des décisions ultérieures, explicites ou implicites, celles-ci n'ayant qu'un caractère purement «confirmatif» de la première.
Première question : le délai de recours était-il expiré quant à la décision du 14 juin 1961?
Les deux parties sont d'accord pour admettre — ce n'est d'ailleurs là qu'une constatation — qu'à la date de la décision aucun délai de recours n'existait. En effet, le règlement de la Cour du 21 février 1957, pris par application de l'article 58 du statut du personnel de la C.E.C.A., en vigueur à l'époque, et qui instituait à son article 2 un délai de deux mois, a été abrogé purement et simplement par le nouveau règlement de procédure de la Cour, devenue Cour de justice des trois Communautés, en date du 3 mars 1959. Mais d'après la défenderesse, l'article 91 du statut des fonctionnaires, qui institue un délai de trois mois à compter, suivant le cas, de la publication ou de la notification de l'acte, est applicable en l'espèce, ce délai ayant commencé à courir dès la publication du statut au Journal officiel, c'est-à-dire le 14 juin 1962, à l'égard des actes publiés ou notifiés antérieurement. Il expirait donc le 15 septembre 1962.
Vous connaissez les thèses respectives des parties à cet égard: la requérante soutient que les dispositions du statut des fonctionnaires, celles de l'article 91 comme les autres, ne peuvent viser que les litiges relatifs à l'application de ce statut, qu'il s'agisse du statut proprement dit ou du «régime applicable aux autres agents» (qui fait référence à l'article 91 dans tous les cas où la compétence appartient à la Cour de justice), et non les litiges qui, comme celui de l'espèce, sont afférents à un contrat d'emploi conclu antérieurement à l'entrée en vigueur du statut et qui n'y a jamais été soumis. D'après cette thèse, aucun délai n'a couru à l'encontre de la requérante.
Selon la Commission, au contraire, les dispositions de l'article 91, qui concernent «tout litige opposant une des Communautés à l'une des personnes visées au présent statut et portant sur la légalité d'un acte faisant grief à cette personne», ainsi que «les litiges de caractère pécuniaire opposant une des Communautés à l'une des personnes visées au présent statut», ont une portée générale, indépendante de la nature et de l'objet du litige; elles s'appliquent donc au cas de l'espèce, Mme Marcillat devant être considérée comme «une des personnes visées au présent statut» du fait qu'en vertu de l'article 102 elle avait vocation à la titularisation.
Messieurs, nous ne reviendrons pas sur les arguments soutenus de part et d'autre, qui vous ont été clairement et complètement exposés au cours de la procédure, tant écrite qu'orale. Nous nous bornerons à vous faire part de notre opinion, qui est la suivante.
Tout d'abord, en ce qui concerne la date d'applicabilité de l'article 91: vous savez que l'entrée en vigueur du statut a été fixée par le règlement des Conseils C.E.E. et C.E.E.A., qui a édicté ce statut, au 1er janvier 1962. Toutefois, comme l'admet la Commission, aucune rétroactivité ne peut être reconnue pour l'application d'un texte tel que celui de l'article 91 qui institue une déchéance: dans la mesure où, conformément au principe de l'applicabilité immédiate des règles de procédure, ce texte devrait être considéré comme applicable même à l'égard de décisions antérieures, le délai qu'il institue ne peut, en tout cas, commencer à courir à l'encontre de ces décisions avant la date de sa publication.
En second lieu, nous pensons, avec la Commission, que si l'on se trouve en présence d'un litige entre la Communauté et «l'une des personnes visées au présent statut», la Cour de justice étant alors compétente pour statuer sur ce litige, l'article 91 devient applicable, y compris son paragraphe 2 relatif au délai, quels que soient l'objet et la nature du litige. Il n'est pas nécessaire que le litige porte sur l'application du statut lui-même: il suffit qu'il ait trait à la «légalité d'un acte faisant grief» ou constitue un «litige de caractère pécuniaire» opposant l'intéressé à son institution. En somme, il faut, et il suffit, que le litige soit relatif aux rapports d'emploi entre l'agent et son administration. Bien entendu, les litiges, à l'avenir, porteront normalement sur l'application du statut, mais il peut s'agir également, comme en l'espèce, d'un litige ayant trait à la situation antérieure. Or, la Cour était et reste compétente en vertu de l'article 152 du traité; il n'y a pas véritablement «rupture» et il est raisonnable d'admettre qu'usant des pouvoirs qu'ils tenaient de l'article 152, les auteurs du statut ont entendu, par un teste de portée absolument générale, soumettre aux mêmes règles de procédure, comme de compétence, les litiges entre les agents intégrés et leur administration, y compris les litiges portant sur la période préstatutaire.
Nous sommes encore d'accord avec la défenderesse sur les principes de l'applicabilité des règles de procédure: applicabilité immédiate, quoique sans rétroactivité. Ces principes ont été clairement dégagés dans les conclusions de notre collègue Roemer sur l'affaire Elz, conclusions que la Cour a suivies dans son arrêt du 4 avril 1960 : l'institution d'un délai qui n'existait pas jusque là a pour effet de faire courir ce délai, dès la publication du règlement qui le prévoit, à l'encontre de toutes les décisions antérieures, quelle que soit leur date. Quant à l'argumentation développée! pour la requérante d'après laquelle la jurisprudence de l'arrêt Elz ne serait pas applicable aux agents contractuels qui conserveraient, sous l'empire d'une législation nouvelle, le bénéfice du délai applicable à la date du contrat (c'est-à-dire, en la circonstance, aucun délai), cette argumentation nous paraît sans objet dès lors que l'agent contractuel est devenu titulaire et s'est trouvé, de ce fait, soumis de plein droit à l'application des dispositions du statut. Comme nous l'avons dit, ce statut peut légalement comporte r et comporte à notre avis — une disposition, applicable immédiatement, qui institue un délai à l'égard de tout litige opposant le nouveau titulaire à son administration, quelle que soit l'origine de ce litige.
En définitive, la seule question est de savoir à partir de quel montent la requérante peut être considérée comme ayant acquis la qualité de «personne visée au présent statut» et justiciable, par suite de l'article 91. A cet égard, nous l'avons dit, la Commission se réfère aux dispositions transitoires de l'article 102 qui donne vocation à la titularisation à «l'agent occupant un emploi permanent d'une des institutions des Communautés lors de l'entrée en vigueur du présent statut», ce qui était le cas de la requérante.
Il nous paraît difficile de suivre la défenderesse sur ce dernier terrain. En effet, les dispositions transitoires ont pour seul objet d'édicter les dérogations jugées nécessaires pour permettre aux agents déjà en fonctions d'obtenir leur admission au statut et leur titularisation dans certains grades et échelons de ce statut, en dehors des règles normales du recrutement. Mais il est évident que, tant que la titularisation n'a pas été régulièrement prononcée, corrélativement à la renonciation au bénéfice du contrat dont elle doit être accompagnée, le statut, dans son ensemble, n'est pas applicable et on ne voit pas comment il pourrait en être autrement des seuls articles 90 et 91. Reconnaître l'applicabilité immédiate de ces dispositions équivaudrait à préjuger la décision de titularisation, ce qui est impossible puisque, comme vous le savez, cette décision est soumise à des conditions diverses de fond et de procédure, comportant pour partie des éléments d'appréciation subjectifs: tant que l'intéressé n'a pas obtenu sa titularisation (ou le bénéfice de l'admission à l'un des «autres régimes»), il reste soumis à son contrat et aucune disposition du statut ne peut lui être appliquée. C'est donc, à notre avis, à la date de l'admission de la requérante au bénéfice du statut que le délai institué à l'article 91 a commencé à courir à l'encontre de toutes les décisions antérieures, notamment la décision du 14 juin 1961. Ajoutons, pour répondre à l'une des objections de la défenderesse, que ce système évite de prolonger indéfiniment la période pendant laquelle des contestations pourraient s'élever au sujet de l'application du contrat, puisque la titularisation, d'après ce système, fait courir le délai. Il est vrai que l'agent pourrait refuser de renoncer à son contrat, mais on peut se demander s'il n'appartiendrait pas alors à l'administration de le dénoncer si elle l'estimait utile et d'assortir un nouveau contrat éventuel d'une clause appropriée destinée à mettre fin dans un certain délai à tout litige antérieur: c'est là un problème sur lequel il n'est pas nécessaire de prendre parti. En tout cas, l'inconvénient n'existe pas dans le cas général où l'agent obtient et accepte sa titularisation.
En l'espèce, la décision de titularisation est datée du 6 février 1963 (nous ignorons la date de sa notification). Or, dès le 22 février 1963, la requérante a adressé une réclamation au directeur du Centre d'Ispra, rappelant expressément ses réclamations antérieures au sujet de la suppression de l'indemnité de séparation. Aucune réponse n'ayant été obtenue, le recours, enregistré le 22 juin 1963, soit dans un délai de quatre mois, est recevable en vertu des dispositions de l'article 91, paragraphe 2, alinéa 2, du statut.
Il nous paraît inutile, dans ces conditions, d'examiner la deuxième question, relative au caractère purement confirmatif ou non des décisions, explicites ou implicites, ayant rejeté les réclamations de la requérante contre la décision du 14 juin 1961. Indiquons seulement que, s'il était nécessaire de prendre parti à cet égard, nous pensons qu'un caractère confirmatif devrait être reconnu à ces décisions, qui n'ont fait que maintenir purement et simplement la décision initiale: la situation nous paraît à cet égard très analogue à celle qui se présentait dans l'arrêt Elz (Recueil, VI, p. 229).
B — Fond
Au fond, vous connaissez les deux thèses en présence. La requérante se fonde uniquement sur les termes de son contrat, qui prévoit l'allocation à son profit d'une indemnité de séparation sous la seule condition que le lieu d'affectation soit situé à plus de 70 kilomètres du lieu où l'intéressée avait établi de façon constante son domicile ou sa résidence depuis plus de six mois; aucune autre condition, subordonnant notamment le maintien de l'indemnité à l'absence de mariage subséquent avec un fonctionnaire bénéficiant de la même indemnité, ne figure au contrat.
La Commission estime que la disposition de l'article 9, c, du règlement général de la C.E.C.A. aux termes de laquelle, «lorsque des conjoints sont employés au service de la Communauté, cette indemnité n'est due qu'au conjoint dont le traitement est le plus élevé», était applicable à l'ensemble des agents de la C.E.E.A. (comme de la C.E.E.) bénéficiaires, en attendant la mise en vigueur du statut, d'un contrat dit «de Bruxelles». Cela résulte, d'après la défenderesse, de la volonté clairement manifestée, et notoirement connue du personnel, d'appliquer par analogie les règles en vigueur dans la C.E.C.A. pour tout ce qui concernait le statut pécuniaire (traitements, indemnités, pensions) des agents des nouvelles Communautés.
C'est là, Messieurs, une question assez délicate, car elle touche au problème de la source des obligations des agents publics contractuels et des pouvoirs réglementaires de l'administration à l'égard de tels agents.
Bien entendu, le principe est qu'un contrat, qu'il soit de droit public ou de droit privé, «fait la loi des parties». Néanmoins, il est reconnu par la doctrine et admis par la jurisprudence ( 1 ) que les agents publics contractuels restent soumis à l'application des règles générales et impersonnelles (c'est-à-dire des règlements) édictées par l'administration en vue d'assurer le fonctionnement du service. Ces règlements sont applicables aux agents qui entrent en fonctions et les règlements nouveaux ou la modification des règlements en vigueur sont même applicables de plein droit aux agents déjà en fonctions. Il n'en est autrement que des stipulations qui ont, dans le contrat même, directement réglé la situation personnelle de l'intéressé et, bien entendu, des décisions ultérieures qui ont pu créer des droits en faveur de l'agent. La situation des agents contractuels est ainsi très proche de celle des fonctionnaires titulaires, la principale différence résidant dans l'absence de lien permanent entre l'intéressé et son administration.
En l'espèce, nous pensons qu'il convient de faire une distinction entre le principe de l'indemnité de séparation, qui est prévu au contrat avec les conditions essentielles selon lesquelles elle est due, et la réglementation générale applicable en la matière, dans laquelle le contrat vient s'insérer. La disposition invoquée par l'administration fait partie de ces règles générales, telles que celles qui ont trait par exemple au cumul des traitements, à la définition d'«enfant à charge», etc. qui ne sauraient trouver place dans le contrat même.
Cependant, pour que de tels règlements puissent être opposés aux intéressés en l'absence de toute référence expresse figurant au contrat, deux conditions sont nécessaires :
1o |
Il faut que le règlement, régulièrement pris par l'autorité compétente, soit directement applicable aux agents de l'administration intéressée ou, s'il s'agit d'une application par analogie ou par extension de règlements édictés pour d'autres agents, que cette référence soit elle-même l'objet d'une décision formelle; |
2o |
Il faut en outre que le règlement et, le cas échéant, la référence à une autre réglementation soient portés à la connaissance des agents. |
En l'espèce, la première condition nous paraît remplie. Il suffit, à cet égard, de se reporter à la communication figurant au Journal officiel du 28 août 1959, citée page 10 de la duplique. Il y est dit que le Conseil a autorisé les présidents des Commissions à appliquer à titre provisoire aux hauts fonctionnaires des Communautés le régime des traitements, indemnités et pensions en vigueur à la C.E.C.A. ; puis vient la phrase suivante : «En l'absence de tout autre barème utilisable, et afin d'éviter toute discrimination entre les différentes catégories de personnel de l'Euratom, la Commission a appliqué à l'ensemble de ses agents la réglementation en usage à la C.E.C.A.»
Il s'agit donc d'une décision de la Commission qui vise tous ses agents, et non pas seulement les hauts fonctionnaires, et qui déclare applicable, en matière de traitements et d'indemnités, la réglementation de la C.E.C.A., et non pas seulement les barèmes de traitements ou le taux des indemnités. Notons, en outre, que cette décision, qui est relatée au Journal officiel sous forme de «commentaires» au budget, vise expressément, entre autres, le poste 112 de l'article 11, qui a trait à l'indemnité de résidence et à l'indemnité de séparation.
Quant à la deuxième condition, nous pensons qu'elle est également remplie du fait de la publication de la décision au Journal officiel des Communautés, surtout si l'on ajoute qu'en fait l'alignement de la situation des bénéficiaires des contrats «de Bruxelles» sur celle des fonctionnaires de la C.E.C.A., du moins en ce qui concerne ce qu'on pourrait appeler le «statut pécuniaire», était notoire et bien connu de l'ensemble du personnel: il n'était point besoin, à notre avis, d'une publicité particulière sous forme d'affichage ou de diffusion dans les bureaux, comme cela peut parfois être jugé nécessaire.
Nous concluons :
— |
au rejet de la requête, |
— |
et à ce que les dépens exposés par chacune des parties demeurent à sa charge, conformément à l'article 70 du règlement de procédure. |
( 1 ) Voir notamment, pour le droit français, Duez et Debeyre, Traité de droit administratif, 1955, p. 744 et s.