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Document 61959CC0030
Opinion of Mr Advocate General Lagrange delivered on 5 November 1960. # De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg v High Authority of the European Coal and Steel Community. # Case 30-59.
Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 5 novembre 1960.
De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
Affaire 30-59.
Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 5 novembre 1960.
De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
Affaire 30-59.
édition spéciale anglaise 1961 00003
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1960:41
Conclusions de l'avocat général
M. MAURICE LAGRANGE
5 novembre 1960
SOMMAIRE
I — Faits |
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II — Procédure et recevabilité |
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A — Intervention |
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B — Recevabilité des conclusions à fin d'annulation |
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C — Recevabilité des autres conclusions de la requête |
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III — Examen du fond |
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A — La prime de poste est-elle une subvention interdite par l'article 4, c, du traité? |
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1. Interprétation de l'article 4, c |
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2. Application à l'espèce |
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B — Une compensation est-elle possible? |
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Conclusions finales |
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
I — Faits
Ce litige fait suite, vous le savez, à celui qui a déjà opposé la requérante à la Haute Autorité et qui a donné lieu à un arrêt de la Cour du 4 février 1959 rejetant la requête comme irrecevable.
Pour ce qui concerne l'exposé de l'affaire telle qu'elle se présentait lors des premiers débats et les motifs pour lesquels le premier recours a été considéré comme non recevable, nous nous permettons de renvoyer simplement à nos conclusions (dont l'original a été publié dans l'édition française du Recueil de la jurisprudence de la Cour, volume V, pages 31 à 41, et une traduction dans la langue de procédure, pages 31 à 41 de l'édition néerlandaise), et à l'arrêt (pages 14 et suivantes de l'édition néerlandaise) qui est entièrement conforme aux conclusions.
Rappelons seulement qu'après avoir constaté que la Haute Autorité n'avait pris aucune décision au titre de l'article 88 constatant un manquement du gouvernement allemand à l'une de ses obligations (la seule décision qu'elle eût été en mesure de prendre en l'espèce) et que, par suite, faute de décision, le recours était irrecevable sur la base de l'article 33, la Cour a également écarté les conclusions subsidiaires basées sur l'article 35, par le motif que la formalité exigée par cet article, tendant à mettre en demeure la Haute Autorité de prendre une décision, n'avait pas été accomplie.
Tirant très exactement la leçon de votre arrêt, l'association requérante a, le 9 mars 1959, adressé à la Haute Autorité une lettre qui, après un bref rappel de la thèse antérieurement soutenue, se termine ainsi :
«Conformément à l'article 35 du traité C.E.CA., nous vous demandons par conséquent de constater que, par le financement de la prime de mineur à l'aide de fonds publics, la République fédérale a manqué à une obligation qui lui incombait en vertu du traité.»
Le 30 avril 1959, la Haute Autorité a répondu à la requérante par un refus, fondé sur deux motifs :
1o |
Les effets du financement public de la prime de mineur ayant été «éliminés par le fait que le gouvernement fédéral a suspendu le versement d'une subvention gouvernementale admise par le traité et destinée à l'assurance-vieillesse des mineurs», la demande de la requérante est relative «à une question abstraite d'interprétation de l'article 4, c, du traité, question que la Haute Autorité ne peut considérer comme présentant un intérêt suffisant» pour l'association «au sens de l'article 35»; |
2o |
La Haute Autorité maintient au fond son point de vue, d'après lequel «la situation créée par le gouvernement de la République fédérale n'est pas incompatible avec le traité aussi longtemps que les conditions réelles consignées dans la lettre de la Haute Autorité du 21 juin 1957 sont remplies», ce qui est «présentement le cas. En conséquence, il n'est pas légalement possible de prendre une décision à l'encontre de la république fédérale d'Allemagne en vertu de l'article 88, alinéa 1, du traité». |
La demande est donc rejetée pour défaut d'intérêt et, subsidiairement, au fond.
La requérante a formé devant la Cour un recours enregistré au greffe le 5 juin 1959 :
«par la présente requête, y est-il dit, un recours est formé contre le refus de la Haute Autorité de prendre, dans le délai fixé, la décision demandée par la partie requérante».
C'est donc bien la procédure de l'article 35, la seule possible en l'espèce, qui suit son cours: le fait que la Haute Autorité ait répondu à la mise en demeure est sans importance, puisqu'elle n'a pas pris la décision qu'on lui demandait de prendre au titre de l'article 88. Peu importe que le refus soit explicite ou implicite, ainsi qu'il a été jugé dans l'arrêt 7 et 9-54 du 23 avril 1956 que nous avions déjà invoqué lors de nos premières conclusions dans la présente affaire (Recueil, V, p. 39).
Le 11 décembre 1959, le gouvernement fédéral a déposé une requête en intervention, au soutien des conclusions de la Haute Autorité, partie défenderesse. Cette intervention a été admise par ordonnance de la Cour en date du 18 février 1960.
II — Procédure et recevabilité
Nous devons d'abord examiner quelques questions de procédure et de recevabilité.
A — INTERVENTION
Et d'abord au sujet de l'intervention. Il existe à cet égard une question du fait que la position juridique de l'intervenant est très différente, non seulement de celle de la partie dont il combat les conclusions (ce qui est normal), mais aussi de celle de la partie au soutien de laquelle il intervient, en l'espèce la défenderesse.
La Haute Autorité se borne à souligner le fait, en invoquant l'adage «non tali auxilio», mais sans s'opposer, par voie d'exception, à la discussion de la thèse de l'intervenant.
Quant à la requérante, elle rappelle l'existence de l'article 93, paragraphe 5, du règlement de procédure aux termes duquel :
«l'intervenant accepte le litige dans l'état où il se trouve lors de l'intervention»,
et elle envisage l'hypothèse d'un rejet d'office par la Cour de la thèse principale de la requête en intervention. Elle déclare, toutefois, qu'elle le regretterait, préférant une décision expresse de la Cour sur l'ensemble du litige.
Messieurs, nous pensons aussi que la Cour doit accepter le débat au fond dans sa totalité, sous réserve bien entendu de la recevabilité du recours, que nous examinerons dans un instant.
En effet, l'intervention doit venir au soutien des conclusions d'une des parties, ce qui est le cas: le gouvernement fédéral soutient les conclusions de la Haute Autorité qui tendent au rejet du recours.
On peut, il est vrai, avoir des doutes sur le point de savoir si l'intervenant est en droit de soulever des moyens (s'il appuie le demandeur), ou des exceptions (s'il appuie le défendeur) que la partie principale n'a pas présentés. Cette question, délicate, avait été examinée par notre collègue M. Roemer dans ses conclusions sur l'intervention du gouvernement grand-ducal dans les affaires 7 et 9-54 (Recueil, II, p. 159, de l'édition néerlandaise). La Cour, toutefois, ne s'est pas prononcée.
Nous pensons, quant à nous, que l'intervenant ne peut en principe soulever un moyen nouveau ou une exception nouvelle, car la partie principale doit demeurer maîtresse de la procédure. C'est évidemment cette règle dont l'article 93, paragraphe 5, du règlement de procédure fait application; il serait proprement inadmissible, par exemple, que l'intervenant, s'il a déposé sa requête en intervention vers la fin de la procédure écrite, puisse à ce stade soulever un moyen que la partie principale ne serait plus en droit de soulever elle-même en raison de l'expiration des délais. Toutefois, ceci ne fait pas obstacle à la présentation d'un moyen, même nouveau, s'il est d'ordre public, puisque la Cour, en ce cas, est tenue de l'examiner d'office. Et, bien entendu, au soutien des conclusions de la partie qu'il appuie, l'intervenant est libre de présenter toute argumentation, en fait comme en droit, qui lui paraît appropriée, cette argumentation s'écarterait-elle, ou même s'opposerait-elle, à celle de la partie principale: l'intérêt spécial dont il est tenu de justifier doit lui permettre de présenter sa thèse de manière indépendante.
Or, en l'espèce, l'intervenant soutient les conclusions de la défenderesse, tendant au rejet de la requête. Il ne soulève pas d'exceptions que la défenderesse n'aurait pas elle-même soulevées. Sur le fond, il soutient, comme la défenderesse, qu'il n'y a pas lieu pour la Haute Autorité de constater, au titre de l'article 88, un manquement de la part du gouvernement fédéral pour avoir maintenu l'attribution de la prime de poste financée sur des fonds publics. Il diffère seulement de la Haute Autorité en ce sens qu'il considère la prime de poste, dans les conditions où elle a été instituée et est attribuée, comme n'ayant pas le caractère d'une subvention interdite au titre de l'article 4, c, alors que la Haute Autorité, tout en ayant à cet égard une opinion contraire, admet la possibilité légale d'une compensation adéquate et considère que cette compensation existe réellement.
Or, il est évident que la solution du différend qui sépare la requérante de la Haute Autorité suppose nécessairement une prise de position préalable sur la compatibilité d'une prime de poste financée sur les fonds publics avec l'article 4, c. Autrement dit, même si le gouvernement fédéral n'était pas intervenu, la Cour aurait dû examiner d'office cette question: le litige entre la requérante et la Haute Autorité contraint, en effet, à prendre parti sur la portée de l'interdiction édictée à l'article 4, c, en ce qui concerne les subventions et sur l'application aux faits de la cause des principes ainsi dégagés. On ne peut songer à juger la question de savoir si et dans quelles limites ou à quelles conditions une «subvention interdite», considérée abstraitement, peut être légalement compensée si on n'a pas, d'abord, une notion claire de ce qu'est une «subvention» au sens de l'article 4; et si cet examen devait conduire à la conclusion que la mesure en cause, dans les conditions où elle a été prise, ne répondait pas à la définition légale et n'avait pas le caractère d'une subvention interdite, il va de soi que l'accord des parties en sens contraire ne pourrait empêcher la Cour de tirer les conséquences de la constatation à laquelle elle serait ainsi parvenue et de substituer ce motif de rejet à celui invoqué par le défendeur. En résumé, les liens de fait, comme les liens juridiques entre les deux problèmes, sont trop étroits pour qu'il soit possible de les dissocier. C'est pourquoi nous estimons qu'aucun obstacle de procédure ne s'oppose à la discussion au fond de la position juridique choisie à titre principal par le gouvernement fédéral pour appuyer la défense de la Haute Autorité.
B — RECEVABILITÉ DES CONCLUSIONS A FIN D'ANNULATION
Examinons maintenant les fins de non-recevoir opposées au recours par la Haute Autorité. Cet examen sera rapide, car la plupart des questions soulevées à cet égard sont résolues par votre jurisprudence.
Tout d'abord, il résulte de celle-ci, notamment de l'arrêt 7 et 9-54, que les recours formés par les entreprises ou leurs associations au titre de l'article 35 obéissent pour les conditions de recevabilité aux règles de l'article 33. En ce qui concerne, en particulier, les conditions tenant au caractère, général ou individuel, de la décision, ces conditions doivent être appréciées par rapport à la décision que, aux yeux du requérant, la Haute Autorité était tenue de prendre, c'est-à-dire, en l'espèce, comme d'ailleurs dans l'affaire 7 et 9-54, une décision constatant le manquement d'un État à une de ses obligations.
D'autre part, la Cour a rejeté les suggestions faites par ses avocats généraux, les unes dans un sens favorable aux associations, les autres dans un sens défavorable aux entreprises, quant à la possibilité de reconnaître à une décision unique un caractère mixte, soit par l'adoption d'un critère de relativité (une même décision pouvant par exemple présenter un caractère individuel à l'égard d'une association et un caractère général à l'égard d'une entreprise), soit par la dissociation d'éléments différents de la décision (par exemple une décision d'autorisation et la réglementation commerciale qu'elle autorise) : arrêt Fedechar 8-55, dans le premier cas, arrêt Nold 18-57, dans le second cas. En l'espèce, la décision attaquée est le refus de constater un manquement à l'égard d'un gouvernement: c'est une décision individuelle par nature.
Enfin, il ne nous paraît pas douteux que la jurisprudence de la Cour conduit également à reconnaître en l'espèce que la décision «concerne» l'association requérante.
Le pas décisif à cet égard a été fait dans l'arrêt 7 et 9-54 par le moyen d'une dissociation entre la première partie de la phrase qui figure à l'article 33, alinéa 2 :
«les entreprises ou les associations visées à l'article 48 peuvent former… un recours contre les décisions et recommandations individuelles»,
et les mots suivants : «les concernant».
L'opération se fait en deux temps: on examine d'abord si, objectivement, la décision a un caractère individuel; ensuite, si ce caractère est reconnu, on recherche si la décision «concerne» le requérant, et, pour ce faire, on s'inspire de la notion d'intérêt qui, bien que non exprimée par le traité, tient de l'essence du recours en annulation tel que le connaissent les six pays de la Communauté.
Bien entendu, il ne s'agit pas de n'importe quel intérêt: le mot «concerne» est par lui-même assez fort et paraît équivalent à l'«intérêt direct» qui est souvent exigé dans les droits nationaux. C'est à la Cour qu'il appartient de se prononcer, à propos de chaque espèce, dégageant peu à peu une jurisprudence.
Or, celle-ci paraît évoluer d'une manière de plus en plus libérale: dans les affaires 7 et 9-54, l'intérêt du Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoises était manifeste et très direct, puisque la décision attaquée avait pour effet d'imposer aux entreprises de ce groupement une charge supplémentaire de 8 francs par tonne de charbon consommée par elles.
Dans l'affaire Nold, 18-57, le requérant était l'une des entreprises soumises à la réglementation commerciale dont il contestait la légalité: à cet égard, la décision qui avait autorisé cette réglementation le «concernait».
Enfin, dans l'arrêt 24 et 34-58 du 15 juillet 1960, Chambre syndicale de la sidérurgie de l'Est de la France et autres, la Cour a admis la recevabilité du recours formé par les requérantes contre le maintien de certains tarifs spéciaux en Allemagne au profit du transport de charbon sidérurgique, tarifs dont le bénéfice leur était refusé: attendu, dit cet arrêt,
«que les requérantes et les entreprises allemandes qui bénéficient des tarifications litigieuses sont en concurrence, car elles exercent dans le marché commun la même activité de production, vendent les mêmes produits et s'approvisionnent en combustibles minéraux aux mêmes usines; — qu'en conséquence la décision attaquée permettant le maintien de tarifications réduites, qui pourraient influencer cette concurrence, concerne les entreprises requérantes au sens de l'article 33, alinéa 2, du traité».
La situation actuelle nous paraît très voisine: les entreprises groupées dans l'association requérante sont évidemment en concurrence avec les entreprises allemandes qui sont l'objet de la mesure contestée. Si, comme le soutient la requérante (et cela, seul l'examen au fond du litige peut permettre de le vérifier), la prime de poste constitue une subvention destinée à empêcher arbitrairement le niveau des prix du charbon allemand de s'établir au prix du marché, une telle situation «pourrait influencer la concurrence», pour reprendre les termes de l'arrêt du 15 juillet 1960, non pas la «concurrence» en général et in abstracto, mais, très concrètement, la situation concurrentielle entre les charbonnages du Limbourg et les charbonnages allemands, situation concurrentielle dont l'existence n'est pas contestée.
Quant à la question de savoir si cette jurisprudence libérale devrait être corrigée en fonction de l'article 173 du traité C.E.E., ce à quoi la Haute Autorité vous invite discrètement, nous ne pensons pas qu'il soit utile de l'approfondir. Le système adopté par les traités de Rome à cet égard est, en effet, fort différent de celui du traité de Paris; il est plus large à certains égards, plus strict à d'autres, ce qui s'explique par la différence considérable du régime même des rapports entre les autorités communautaires et les personnes privées dans l'un et l'autre cas. D'ailleurs, l'arrêt du 15 juillet 1960 n'est nullement entré dans cette voie.
C — RECEVABILITÉ DES AUTRES CONCLUSIONS DE LA REQUÊTE
Nous devons encore nous expliquer sur la fin de non-recevoir spécialement opposée par la Haute Autorité à une partie des conclusions de la requête, c'est-à-dire à toutes les conclusions autres que celles qui tendent à l'annulation de la décision attaquée. Bien que cette question n'ait d'intérêt qu'autant qu'il serait fait droit au recours, nous l'examinons dès maintenant, à toutes fins utiles.
Les conclusions de la requête sont les suivantes :
«annuler la décision attaquée;
déclarer que la Haute Autorité doit constater par une décision que la république fédérale d'Allemagne n'a pas respecté ses engagements découlant du traité en finançant sur les fonds publics une prime exempte d'impôt accordée aux mineurs de fond et qu'elle doit donc annuler cette mesure;
prendre toute autre décision que la Cour estimera nécessaire».
La Haute Autorité estime que, s'agissant d'un recours en annulation, la Cour ne peut, éventuellement, que prononcer l'annulation de la décision attaquée, sans plus.
Ceci nous paraît exact: le juge du recours en annulation ne possède pas de pouvoir d'injonction et ne peut se substituer à l'autorité exécutive, qui est légalement
«tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de la décision d'annulation»,
pour reprendre les termes de l'article 34. La Cour doit, seulement, à cet effet,
«renvoyer l'affaire devant la Haute Autorité».
Il est vrai qu'un tel renvoi, d'après les errements suivis jusqu'à présent, ne fait pas l'objet d'une mention expresse du dispositif des arrêts d'annulation. Mais c'est inutile: le renvoi résulte suffisamment de la signification de l'arrêt qui est faite à la Haute Autorité, partie défenderesse, aux termes de l'article 64, paragraphe 2, du règlement.
Autre chose, bien entendu, est une annulation partielle, soit divise (par exemple annulation de certaines des dispositions attaquées) ou indivise (annulation «en tant que…»).
Quant aux effets juridiques de l'annulation, ils sont évidemment très différents suivant les cas: de la simple insuffisance de motifs, purement formelle, jusqu'à la reconnaissance d'une illégalité substantielle, s'opposant à toute éventualité de reprendre une mesure analogue, toute une gamme d'effets différents pourra s'attacher à l'arrêt. Or, dans le cas présent, il conviendrait d'analyser de très près la situation juridique qui résulterait d'un arrêt d'annulation.
En effet, comme dans l'affaire. 7 et 9-54, la décision attaquée, qu'elle soit implicite ou explicite, a pour objet le «refus» de la Haute Autorité «de constater par une décision motivée» qu'un gouvernement «a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité».
En résulte-t-il, si la Cour annule la décision attaquée, que la Haute Autorité, par le seul effet de l'autorité de la chose jugée, se trouvera, immédiatement et sans autre examen ni formalités, dans l'obligation de «constater le manquement par une décision motivée», les motifs ne pouvant d'ailleurs que reproduire ceux de l'arrêt?
Certainement pas dans tous les cas. En effet, il ne faut pas oublier que la constatation du manquement d'un État fait l'objet d'une disposition spéciale du traité, l'article 88, qui présente deux particularités: la première est la nécessité d'une formalité préalable: l'État en cause doit avoir été mis en mesure de présenter ses observations; la seconde est que le recours qui lui est ouvert contre la décision constatant le manquement et lui impartissant un délai pour pourvoir à l'exécution de son obligation est un recours de pleine juridiction, ce qui implique que la Haute Autorité jouit d'un entier pouvoir d'appréciation quant à la constatation du manquement: ses pouvoirs, comme ceux de la Cour, débordent donc le domaine réservé au contentieux de l'annulation.
Sur le premier point, il est évident qu'une annulation prononcée sur le recours d'un tiers ne peut priver l'État de son droit de présenter ses observations. Dans l'affaire actuelle, on peut toutefois penser que ce ne serait pas nécessaire, non seulement parce que le gouvernement fédéral est intervenu au présent litige, mais aussi parce que la formalité prévue à l'article 88 a déjà été accomplie (le 2 mai 1956) et que, depuis cette époque, le gouvernement fédéral a eu toute latitude pour présenter ses observations et a très largement usé de cette latitude, ainsi qu'en fait foi le volumineux échange de correspondance qu'il a entretenu avec la Haute Autorité.
Sur le second point, il pourrait arriver que la constatation du manquement ne dépende pas exclusivement de considérations de pure légalité: les obligations des États, telles qu'elles résultent notamment de l'article 86, sont définies en termes tels que leur violation éventuelle ne se concrétise pas nécessairement par la constatation d'une illégalité: qu'il suffise de penser par exemple à la violation de l'engagement consistant à
«prendre toutes mesures générales ou particulières propres… à faciliter à la Communauté l'accomplissement de sa mission».
On peut donc parfaitement imaginer des cas où un tiers obtiendrait l'annulation d'un refus d'agir de la Haute Autorité au titre de l'article 88, basé sur des motifs de droit reconnus erronés par la Cour, alors que ce refus pourrait être justifié par d'autres considérations de droit ou de fait.
Toutefois, ici encore, ce ne serait pas le cas: en effet, si la thèse de la requérante venait à triompher, cela signifierait qu'une prime de poste financée sur les fonds publics étant en soi incompatible avec le marché commun et, de ce fait, interdite par l'article 4, c, sans compensation possible, son institution comme son maintien constitue de la part de l'État un manquement à ses obligations, en l'espèce les obligations qui sont inscrites à l'article 86, alinéa 2 :
«Les États membres s'engagent à s'abstenir de toute mesure incompatible avec l'existence du marché commun visé aux articles 1 et 4.»
L'effet de l'arrêt d'annulation serait donc bien, en l'espèce, celui auquel s'attend la requérante, à savoir l'obligation pour la Haute Autorité de constater le manquement, à moins bien entendu que le gouvernement fédéral ne prenne aussitôt lui-même les mesures propres à rendre cette constatation sans objet.
Mais quels que soient les effets d'une décision éventuelle d'annulation, il n'appartient pas à la Cour de les transformer en injonctions de sa part: c'est à l'exécutif qu'il incombe de déduire ces effets et de prendre les mesures qu'ils comportent, en exécution de l'article 34.
III — Examen du fond
Nous en arrivons à l'examen du fond.
Il convient, logiquement, d'examiner d'abord si l'institution d'une prime de poste, exempte d'impôt et financée sur les fonds publics, a ou non le caractère d'une «subvention ou d'une aide interdite» par l'article 4, c : c'est le différend qui oppose la requérante et la Haute Autorité, d'accord sur ce point, au gouvernement fédéral. Nous rechercherons ensuite si, au cas où la thèse du gouvernement fédéral ne serait pas retenue, il est légalement possible d'admettre la possibilité d'une compensation sous forme d'une charge nouvelle imposée aux entreprises et, en cas d'affirmative, si cette compensation est adéquate et complète en l'espèce: c'est le litige entre la requérante et la Haute Autorité.
A — LA PRIME DE POSTE EST-ELLE UNE SUBVENTION INTERDITE PAR L'ARTICLE 4, c, DU TRAITÉ?
Sur le premier point, nous ne songeons pas à reprendre tous les arguments avancés à l'appui des deux thèses, si abondamment développés dans la procédure écrite et si éloquemment commentés dans la procédure orale. Nous voudrions simplement essayer d'abord de dégager la signification des dispositions d'interdiction de l'article 4, c, telles qu'il convient de les interpréter par rapport à d'autres dispositions du traité, notamment l'article 67. Puis, nous rechercherons si la mesure prise par le gouvernement fédéral tombe ou non sous le coup de cette interdiction.
1. Interprétation de l'article 4, c
Rappelons le texte de l'article 4 :
«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues par le présent traité, à l'intérieur de la Communauté :
…
c) |
Les subventions ou aides accordées par les États ou les charges spéciales imposées par eux, sous quelque forme que ce soit; …» ; |
Dans son arrêt 7 et 9-54, la Cour a déclaré que
«les dispositions de l'article 4 se suffisent à elles-mêmes et sont immédiatement applicables lorsqu'elles ne sont reprises en aucune partie du traité;
— |
qu'au contraire, lorsque les dispositions de l'article 4 sont visées, reprises ou réglementées en d'autres parties du traité, les textes se rapportant à une même disposition doivent être considérés dans leur ensemble et simultanément appliqués». |
Un exemple d'application autonome, sans interférence d'aucune autre disposition du traité (en dehors des dispositions transitoires), est l'interdiction des droits de douane et des restrictions quantitatives édictées au a. Un exemple d'application simultanée avec d'autres dispositions du traité est l'interdiction des pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l'exploitation des marchés édictée au d, interdiction dont les règles sont explicitées à l'article 65. Il en est de même des dispositions de l'article 60 et de l'article 70 relatifs aux discriminations en matière de prix et de conditions de transport par rapport à l'interdiction édictée au b de l'article 4. Dans ces deux cas (b et d), l'interdiction édictée à l'article 4 apparaît comme l'énoncé d'un principe dont les modalités d'application sont fixées dans des dispositions spéciales au titre III.
Qu'en est-il à cet égard de l'interdiction du c qui nous intéresse? Elle n'est pas «reprise» ou «réglementée» en d'autres dispositions du traité, comme l'interdiction des discriminations en matière de prix ou les pratiques restrictives. Donc elle vaut par elle-même.
Il est vrai que d'autres dispositions du traité ont un lien plus ou moins étroit avec elle. Il en est ainsi, notamment, de l'article 67, et cela à plusieurs points de vue: d'abord, dans les deux cas, il s'agit d'une action d'un État membre; ensuite, dans les deux cas également, cette action a trait à des atteintes aux conditions de la concurrence; enfin, on retrouve à l'article 67 (paragraphe 3) l'expression «charges spéciales» qui figure également à l'article 4, c.
Néanmoins, les règles établies dans les deux cas sont fort différentes: alors que l'article 4, c, pose une norme d'interdiction pure et simple et dont, par suite, la violation met l'État qui y contrevient en infraction de plein droit avec le traité, l'article 67, d'une part, ne vise que l'action d'un État membre «susceptible d'exercer une répercussion sensible sur les conditions de la concurrence», ce qui laisse une marge également «sensible» d'appréciation, d'autre part, ne donne à la Haute Autorité qu'un pouvoir de «recommandation» ou d'«autorisation» et, enfin, fait dépendre les conditions d'intervention de la Haute Autorité des effets prévisibles de l'action de l'État, selon que cette action est de nature à élargir, autrement que par variation des rendements, les différences de coûts de production, ou au contraire à les réduire: lorsqu'elle les réduit, l'effet n'est pas, en principe, de nature à fausser le jeu du marché commun, qu'elle facilite au contraire, et le pouvoir d'intervention de la Haute Autorité est limité au cas où il y a discrimination en faveur ou au détriment de l'industrie du charbon ou de l'acier de l'État considéré par comparaison avec les autres industries du même pays.
Ainsi, les hypothèses visées à l'article 4, c (subventions ou aides accordées par les États ou charges spéciales imposées par eux) n'apparaissent que comme des cas particuliers faisant partie du domaine plus vaste des actions des États susceptibles de fausser les conditions de la concurrence.
Pourquoi, dès lors, un régime aussi différent? Pour deux raisons, qui sont d'ailleurs intimement liées: d'abord, parce que, dans les cas visés à l'article 4, c, il s'agit d'interventions directes dans le fonctionnement du marché commun, interventions considérées, en soi, comme contraires aux conditions mêmes d'établissement de ce marché commun: de ce fait, elles sont réputées incompatibles avec lui, sans qu'il soit nécessaire d'établir ni même de rechercher si, en fait, l'atteinte aux conditions de la concurrence existe ou risque de se produire: elle est présumée exister du seul fait de l'objet de la mesure. C'est le même point de vue que, par exemple, pour les droits de douane, pour lesquels on ne recherche pas s'ils ont un caractère de protection ou seulement fiscal: il n'y a pas de marché commun avec des droits de douane intérieurs. De même, il n'y a pas de vrai marché commun d'une industrie entre plusieurs pays si l'un d'eux subventionne sa propre industrie: les règles de concurrence ne doivent résulter que de l'adaptation de chaque industrie aux conditions naturelles, sauf bien entendu à prendre les mesures transitoires nécessaires pour permettre de réaliser cette adaptation sans troubles anormaux, ce qui est l'objet de la convention relative aux dispositions transitoires, tel qu'il est défini à son paragraphe premier.
La deuxième raison, c'est que tout ce qui concerne le fonctionnement du marché commun, aussi bien la surveillance des règles qui le régissent (action de police) que l'action sur l'orientation de ce marché et les interventions qui peuvent être nécessaires à cet égard, a fait l'objet d'un transfert de compétence aux organes de la Communauté, qui ne peuvent d'ailleurs les exercer que dans les conditions et limites fixées par le traité ; les États sont dessaisis. En revanche, les États demeurent compétents dans les autres domaines: fiscalité, sécurité sociale, etc., ainsi que dans le domaine de la politique économique et sociale générale. D'où la nécessité d'une articulation, dont l'article 67 est un des principaux exemples. L'«action de l'État» visée à l'article 67 doit s'entendre de toute action dans un de ces domaines où il n'a pas aliéné sa souveraineté, action qui peut cependant avoir des effets contraires au traité sur les conditions de la concurrence dans le marché commun: mais alors la compétence des organes de la Communauté ne s'exerce que d'une manière plus «discrète», en vue d'obtenir la cessation de ces effets contraires au traité, sans porter atteinte aux compétences nationales, et non par l'interdiction de la mesure elle-même.
Ainsi l'on est amené à constater que l'article 4, c, et l'article 67 obéissent à des règles bien différentes et, s'il peut apparaître éventuellement nécessaire de faire appel à l'un pour éclairer l'autre, c'est seulement par exemple pour mieux dégager une notion commune, telle que la notion de «charges spéciales» qui se trouve énoncée dans chacune des deux dispositions: à l'article 4, c, et à l'article 67, paragraphe 3. L'arrêt 7 et 9-54 n'a pas fait autre chose. Il commence par rappeler expressément que :
«l'article 4, c, interdit les charges spéciales imposées par les États membres sous quelque forme que ce soit»,
puis recherche à l'aide de différentes dispositions du traité, et notamment de l'article 67 où figure in terminis l'expression «charges spéciales», quel sens il convient de donner à cette expression et, pour finir, estime que, compte tenu des différents critères ainsi dégagés, la mesure litigieuse
«n'est pas une charge spéciale, abolie et interdite par l'article 4, c, du traité».
Le cadre légal dans lequel se situe l'interdiction de l'article 4, c, étant ainsi rappelé, il faut essayer de se faire une idée de ce qu'est une «subvention» au sens de cette disposition.
Les trois parties sont d'accord pour reconnaître qu'il est difficile de donner une définition précise et incontestable du mot«subvention». Nous reconnaissons aussi cette difficulté. Il semble cependant qu'on peut s'en faire une idée assez nette si l'on fait état du contexte tel que nous venons de le dégager. Il faut d'abord, très certainement, se placer à un point de vue surtout économique, plus qu'à un point de vue juridique ou même financier: les termes «aides», «charges spéciales» le montrent, ainsi, évidemment, que l'objet même de l'ensemble de l'article 4, qui est d'assurer les conditions de l'établissement du marché commun. En second lieu, il y a une idée de spécialité : les termes «subventions» et «aides» s'opposent aux termes «charges spéciales» : si l'adjectif «spécial» n'a pas été accolé aux mots «subventions ou aides», c'est parce que la spécialité est normalement de l'essence d'une subvention ou d'une aide, ce qui n'est pas le cas d'une charge. En troisième heu, il faut faire état de celui auquel la subvention est destinée : il ne faut pas confondre le bénéficiaire de la prestation et le bénéficiaire de la subvention, qui peuvent être différents. Enfin, il faut considérer l'objet réel de la mesure pour pouvoir déterminer son véritable caractère.
La principale difficulté, notée par la plupart des auteurs ou commentateurs qui se sont penchés sur ces questions, vient du cas où la mesure, tout en intervenant dans le cadre d'une législation générale concernant un domaine réservé à la compétence des États (fiscalité, législation sociale, etc.), ne concerne cependant que l'application de cette législation à l'industrie du charbon ou de l'acier. C'est le problème examiné notamment par Paul Reuter au no 197 de son ouvrage (pages 194 et 195) dans un passage souvent cité ( 1 ).
Nous pensons, avec cet auteur, que le critère de spécialité, même envisagé «en fait» et non «en droit», n'est pas suffisant: sans doute, l'article 67 a été de toute évidence rédigé en pensant à l'incidence sur le marché commun du charbon et de l'acier de l'application de dispositions de caractère général prises par exemple en matière fiscale. Mais nous croyons, comme Reuter, qu'on ne peut exclure de plein droit de la compétence des États membres tout ce qui, dans une législation de ce genre, concerne spécialement tout ou partie des industries de la Communauté, par exemple sous forme d'exemptions ou au contraire de charges particulières: ce serait une extension abusive de l'action de la Communauté dans un domaine réservé à la compétence des États. D'où la nécessité de faire intervenir un autre critère: non pas, comme le propose Reuter, un critère intentionnel (seraient interdites, selon lui, «toutes les mesures comportant une charge ou un avantage spécial, accordées dans le but de fausser le jeu de la concurrence»), mais plutôt, comme nous l'avons dit, un critère ayant trait à l'objet réel de la mesure. C'est ainsi que les avantages sociaux accordés aux mineurs ne doivent pas être regardés comme une «charge spéciale» imposée à l'industrie minière du seul fait qu'ils ne sont pas accordés aux travailleurs des autres industries, et ce, alors même que ces avantages particuliers ne seraient pas de même nature ou de même importance dans tous les pays de la Communauté: l'objet étant social, la mesure demeure de la compétence nationale et ne relève en principe, au regard de la Communauté, que de l'article 67 ou de l'article 68. Il en sera de même, à l'inverse, si la loi vient à modifier, dans un sens favorable aux entreprises, par exemple les modalités de financement de la sécurité sociale, en accroissant la proportion de la charge supportée par l'État: on ne pourra pas voir là, du moins a priori, une aide ou une subvention interdite au titre de l'article 4, c, car il peut exister des raisons légitimes, dans le cadre de la législation générale et eu égard aux objets qu'elle poursuit, de comporter des règles de financement particulières pour les prestations accordées aux salariés d'une profession déterminée.
Mais la solution sera différente s'il vient à être établi qu'en fait l'objet réel de la mesure n'est pas social, mais économique, et consiste soit à imposer aux entreprises des charges qui ne leur incombent pas normalement, soit au contraire à les dispenser d'une charge qu'elles doivent normalement supporter: en ce cas, si les autres conditions, notamment celle tenant à la spécialité, sont remplies, il y aura charge spéciale ou subvention interdite au titre de l'article 4, c.
2. Application à l'espèce
Essayons maintenant d'appliquer ces notions au cas de la prime de poste.
Celle-ci est une allocation, exempte d'impôt et de tout prélèvement au titre des assurances sociales, versée par les entreprises aux mineurs de fond et prélevée sur le montant de l'impôt sur les salaires perçu par voie de retenue à la source. Le montant des sommes versées au titre de la prime vient donc en déduction des sommes dues à l'État par les entreprises, ce qui fait qu'en réalité, et les parties sont d'accord sur ce point, la prime est une prestation payée par l'État aux mineurs de fond. Elle fait l'objet d'une loi spéciale.
Tout d'abord, il nous paraît incontestable qu'il s'agit là d'un supplément de salaire, d'un élément de la rémunération. La prime est, en effet, payée à raison de l'emploi auquel se livre le bénéficiaire: c'est la contrepartie d'une prestation de travail qu'il fournit.
Mais est-ce pour autant une subvention à l'entreprise, du fait que celle-ci n'en supporte pas la charge?
Tout dépend, à cet égard, de l'objet réel de la prime. Si celle-ci a un caractère purement social, indépendant de toute relation avec la fraction du coût de production qui correspond à la main-d'œuvre, il faut répondre non: il s'agirait alors de ce «salaire social» dont on nous a parlé.
Si, au contraire, elle est destinée à compenser une partie de la charge de salaire incombant à l'entreprise, alors elle est une subvention.
Or, si nous nous reportons à l'époque où l'institution de la prime de poste a été envisagée (février 1956), que constatons-nous? La demande de charbon était encore très forte. Le développement de la production et, plus encore, l'amélioration de la productivité étaient plus que jamais à l'ordre du jour, tandis qu'on assistait à une désaffection croissante et inquiétante du métier de mineur: absentéisme, départs nombreux de la main-d'œuvre qualifiée, de plus en plus difficilement remplacée, phénomène qui n'était d'ailleurs pas spécial aux mines allemandes. D'autre part, le régime des prix maxima allait prendre fin le 31 mars et la Haute Autorité n'avait pas l'intention de le renouveler, tandis que l'association des producteurs de la Ruhr et les syndicats avaient fait connaître la nécessité d'augmenter les salaires de 9 % en moyenne à partir du 15 février
«afin de parer à la menace de départ des travailleurs de la mine vers d'autres secteurs industriels»,
ce qui entraînerait une augmentation du prix du charbon de 3 DM par tonne en moyenne. Une autre augmentation de 3 DM par tonne apparaissait également nécessaire aux producteurs
«pour combler un déficit existant depuis longtemps».
Cette situation a été portée officiellement à la connaissance de la Haute Autorité par une lettre du secrétaire fédéral à l'économie du 4 février 1956, qui déclarait envisager un certain nombre de mesures ayant principalement pour objet de diminuer les charges des entreprises,
«afin de pouvoir maintenir dans des limites relativement étroites cette augmentation de prix»,
laquelle risquerait d'avoir des
«conséquences regrettables pour la structure des prix dans son ensemble, surtout dans la République fédérale, mais aussi dans d'autres pays de la Communauté qui dépendent, pour leur consommation, du charbon de la Ruhr».
Parmi ces mesures, figurait la prime de poste qui,
«il est vrai, ajoutait la lettre, n'entraînerait pas directement un allégement financier pour les entreprises, mais parait propre à donner un attrait particulier au travail du fond et à contrebalancer ainsi les menaces de départs, de même qu'à encourager dans les mines le recrutement particulièrement urgent de nouveaux travailleurs».
Messieurs, il nous paraît impossible de nier, dans ces conditions, qu'on se trouve bien en présence de la prise en charge par l'État d'une prestation de nature salariale devant normalement peser sur les entreprises, donc d'une subvention accordée à ces dernières en vue d'éviter ou au moins de limiter la hausse des prix qui en serait résultée.
Cela ne veut pas dire que la subvention a pour objet de protéger l'industrie en cause ou de favoriser son développement: tel n'est pas nécessairement l'objet d'une subvention. Celle-ci peut aussi tendre — et c'est le cas — à éviter une augmentation de prix dans l'intérêt du consommateur: c'est alors une subvention de prix. Elle n'en est pas moins incompatible avec le traité, puisqu'elle empiète directement sur les pouvoirs des organes communautaires. Sans doute l'action sur les prix du charbon et de l'acier, et peut-être plus encore du charbon, intéresse-t-elle aussi l'économie générale des États membres, et c'est pourquoi la Haute Autorité doit, dans ce domaine, comme dans les autres, agir en liaison constante avec le Conseil: ainsi est-elle tenue de le consulter avant de fixer des prix maxima (art. 61), mais c'est uniquement dans le cadre de l'exercice des pouvoirs attribués par le traité aux institutions de la Communauté que cette action doit s'exercer, et non par une intervention unilatérale d'un État membre.
On a fait valoir, il est vrai, qu'il y avait des différences notables entre la prime de mineur, telle qu'elle a été instituée, et une augmentation de salaire qui aurait pu être consentie par les entreprises. Ces différences ont trait d'abord aux conditions très particulières d'attribution de la prime, laquelle est exempte d'impôt et de tout prélèvement au titre de la législation sociale: c'était là, nous a-t-on expliqué, le seul moyen de lui donner son véritable caractère, celui d'un avantage accordé uniquement en raison de la qualité de travailleur de fond, sans que le montant de la prime soit influencé dans sa quotité par la situation familiale ou fiscale de l'intéressé, comme le sont obligatoirement les prestations salariales. D'autre part, on a insisté sur l'effet psychologique résultant de l'attribution de cet avantage spécial par l'État, ce qui donne à la prime le caractère d'une marque de reconnaissance nationale, d'un hommage public à l'exercice de cette profession aussi pénible que nécessaire à la collectivité.
La première considération ne nous paraît pas devoir être retenue: en effet, le législateur était tout à fait en droit d'édicter des règles spéciales pour l'attribution de la prime, telles que l'exemption d'impôt ou de retenues d'assurances sociales. Ceci ne modifie pas la nature de charge de salaire qu'elle comporte normalement pour l'employeur. Le point de vue économique, nous l'avons dit, doit ici l'emporter; or, quelles que soient les conditions d'attribution de la prime, celle-ci n'en constitue pas moins un élément du coût de production, de cette partie du coût de production qui correspond à la rémunération du travailleur à raison de son emploi et qui est une charge de l'employeur. Si la prime de poste n'avait pas été instituée, les entreprises auraient dû accorder elles-mêmes des avantages particuliers à leur main-d'œuvre travaillant au fond pour éviter l'hémorragie qu'elles subissaient: on nous a dit qu'il n'y avait aucun lien entre l'institution de la prime de poste et les projets d'augmentation de salaires envisagés à l'époque, mais le contraire nous paraît établi.
Quant à la deuxième considération, relative à l'effet psychologique d'une prime attribuée par l'État, elle est certainement plus pertinente. Elle semble d'ailleurs avoir impressionné la Haute Autorité, si l'on en juge par la lettre du 17 janvier 1957 où, s'inclinant devant cet argument, elle déclare, pour la première fois semble-t-il, ne pas attacher d'intérêt «au caractère formel des modalités adoptées» et se contenter d'une compensation équivalente. Toutefois, l'argument ne nous paraît nullement décisif. En effet, ce qui importe, c'est la réalité, et non les modalités de versement. Or, il eût été aisé de prévoir par exemple le remboursement par les entreprises aux budgets publics des dépenses consenties par eux en vue du versement de la prime, ainsi d'ailleurs que la Haute Autorité l'avait suggéré dans l'avant-dernier alinéa de la lettre du 17 janvier 1957 à laquelle nous venons de faire allusion: solution toute différente évidemment de celle que la Haute Autorité a finalement acceptée et qui admet la possibilité d'une compensation avec une charge d'une autre nature. On aurait pu songer encore à une garantie accordée par la loi au versement de la prime. Peu importe, pourvu que la charge effective de la prestation fût supportée par l'entreprise.
Mais, dira-t-on, n'y aurait-il pas eu alors une «charge spéciale», tout aussi interdite qu'une subvention? Non pas, dès lors que, comme nous croyons l'avoir démontré, il s'agissait bien, en la circonstance, d'une charge de nature salariale incombant normalement à l'employeur: on se serait seulement trouvé en présence d'une intervention de l'État dans l'exercice de ses pouvoirs en matière de salaires que l'article 68, paragraphe 1, lui a conservés.
En définitive, il nous paraît certain que, dans les circonstances où elle a été instituée, la prime de poste financée sur les fonds publics a bien eu le caractère d'une subvention destinée, par le moyen d'une prise en charge par l'État d'une partie du coût de production supporté par les entreprises, à éviter une augmentation corrélative des prix.
Une objection, toutefois, peut encore être faite. Ce qui était vrai à l'époque, l'est-il encore aujourd'hui, du fait du retournement de la conjoncture? La nécessité, invoquée en 1956, de freiner à tout prix le départ des mineurs existe-t-elle encore à un moment où l'on considère comme un succès une diminution de 83.000 de l'effectif des travailleurs de fond? La prime perd-elle, de ce fait, son caractère de subvention?
Nous ne le pensons pas. En effet, un tel avantage une fois accordé, peut difficilement être retiré. D'autre part, la prime correspond objectivement à certaines conditions particulières de l'emploi, et il est normal que la rémunération du travailleur en tienne compte, indépendamment des fluctuations de la demande: c'est là une considération morale, qui ne peut être absente de la notion de salaire (le salaire, juste rémunération du travail fourni). D'ailleurs, la crise actuelle ne rend que plus nécessaire l'emploi d'une main-d'œuvre spécialement qualifiée, condition indispensable d'une amélioration du rendement, si bien que la nécessité de réduire le nombre des travailleurs de la mine ne constitue nullement une raison pour réduire ou supprimer le supplément de rémunération correspondant aux conditions particulières d'emploi de certains d'entre eux.
Il reste, enfin, l'argument tiré du défaut de spécialité de la mesure, en ce sens que la prime de poste est consentie à l'ensemble des travailleurs de fond et non pas seulement à ceux qui travaillent dans les mines de charbon.
Cet argument nous paraît sans valeur. Sans doute est-il exact que, par souci d'équité, la prime de poste, primitivement accordée aux seuls mineurs des mines de charbon, a été très vite étendue à leurs camarades des mines de fer, de potasse et autres. Mais d'après les chiffres fournis par l'intervenant lui-même, il n'existe en République fédérale que 44.000 mineurs de fond travaillant dans des mines autres que les mines de charbon, contre 340.000 travaillant dans ces dernières. En fait, nous avons vu que l'objet réel de l'institution d'une prime de poste à la charge de l'État avait trait à la situation des charbonnages: il s'agit bien d'une subvention accordée à l'industrie charbonnière allemande.
Deux observations encore pour terminer.
La première a trait à l'article 92 du traité C.E.E. qui a été invoqué à titre d'analogie. Cet argument porte à faux: en effet, d'une part, s'il est exact que l'article 92 du traité C.E.E. ne vise que les aides qui faussent ou menacent de fausser la concurrence, liant ainsi les deux notions, c'est précisément ce que ne fait pas l'article 4, c, du traité C.E.C.A. : nous nous sommes déjà expliqué sur ce point. D'autre part, si on lit attentivement l'ensemble de l'article 92, on arrive à la conviction que, dans le cadre du traité C.E.E., l'institution d'une prime de poste financée sur les fonds publics, dans les conditions où elle est intervenue, ne serait pas considérée comme compatible avec le marché commun, ni au titre du paragraphe 2, ni au titre du paragraphe 3 de cet article 92 et qu'au contraire elle devrait être regardée comme incompatible au titre du paragraphe premier du même article.
Nous voudrions aussi, et ce sera notre deuxième observation, attirer l'attention, un peu dans l'esprit où Steindorff l'a fait dans une étude publiée dans Berichte der Deutschen Gesellschaft für Völkerrecht, année 1957, page 96, sur les graves inconvénients que présenterait un système d'interprétation fondé sur une interdépendance trop étroite entre l'article 4, c, et l'article 67. Vous savez (et nous avons eu l'occasion de le rappeler) que l'article 67 fait une distinction suivant que les atteintes aux conditions de la concurrence ont pour effet de réduire ou, au contraire, d'augmenter les différences de coûts de production: dans le premier cas, en principe, pas d'intervention, sauf s'il y a distorsion par rapport aux autres industries du même pays (c'est le paragraphe 3). Dans le second cas, au contraire, cette dernière condition n'est pas exigée pour justifier une intervention de la Haute Autorité. Il pourrait s'ensuivre que, si la Haute Autorité en venait à estimer que la prime de poste est susceptible de porter une atteinte sensible aux conditions de la concurrence de nature à provoquer un déséquilibre grave (ce qu'on ne peut exclure a priori), l'article 67, paragraphe 2, alinéa 2, serait applicable; il le serait parce qu'on estime généralement que le coût de production des charbonnages allemands est inférieur à celui des charbonnages des autres pays de la Communauté: une mesure telle que la prime de poste aggraverait donc la différence des coûts de production. Au contraire, si la même mesure intervenait dans un autre pays, elle réduirait cette différence entre les coûts de production, et le paragraphe 3 de l'article 67 serait seul applicable, ce qui pourrait conduire à des décisions très différentes quant à l'éventualité d'une intervention et à sa nature. Or, il faut bien reconnaître que ce sont là des subtilités peut-être fort justifiées du point de vue de la théorie économique, mais qu'il serait difficile de faire admettre à l'opinion: jamais celle-ci ne comprendrait qu'une même mesure, telle qu'une prime de poste, prise dans les mêmes conditions, puisse être licite aux Pays-Bas par exemple et illicite en Allemagne, sous prétexte que, dans un cas, elle «augmente» alors que dans l'autre cas elle «réduit» les différences de coûts de production.
Ceci confirme bien la sagesse de la différence de régime établie entre les mesures directes (aides, subventions, charges spéciales) et les effets plus ou moins indirects de mesures prises dans le cadre d'une législation générale, effets sur la réalité, la nature et l'importance desquels il est toujours possible de discuter indéfiniment, le présent litige ne le prouve que trop. Il n'est pas douteux que l'«enlisement», si l'on peut ainsi s'exprimer, des interdictions de l'article 4 dans les «sables» de l'article 67 ne peut que porter une atteinte, sensible celle-là, sinon grave, au fonctionnement régulier du marché commun, tel que l'a voulu le traité.
B — UNE COMPENSATION EST-ELLE POSSIBLE?
Sur le second point, nous serons très bref, car les développements auxquels nous avons été amené sur le premier point nous semblent déjà conduire à la condamnation de la thèse de la Haute Autorité quant à la possibilité d'une compensation.
La différence fondamentale de régime entre l'article 4 et l'article 67 démontre, à notre avis, cette impossibilité. Si vraiment on se trouve en présence d'une aide ou d'une subvention de l'article 4, elle est interdite purement et simplement, ce qui signifie que l'État n'a pas le droit de l'instaurer et, s'il l'a fait, même de bonne foi, le devoir de la Haute Autorité est de chercher à en obtenir la suppression. Outre les difficultés souvent grandes d'apprécier si la contre-mesure envisagée est vraiment une charge, si elle vient réellement et complètement annuler, à l'égard des mêmes sujets (les entreprises), les effets de la subvention «interdite», questions qui peuvent donner lieu à de nombreuses discussions et contestations, — outre ces difficultés, on s'expose en permanence au risque de voir la «contrepartie» annulée ou remplacée par une autre, dont il faudra à nouveau rechercher les effets réels. En attendant, la subvention, quant à elle, subsiste, avec ses effets, bien qu'interdite. Comme l'a dit la requérante, un tel procédé substitue la notion de réparation d'un dommage à celle d'interdiction.
Dans ces conditions, il nous paraît inutile de rechercher si, en l'espèce, la compensation admise par la Haute Autorité est réelle et suffisante. Nous noterons seulement que cela nous paraît extrêmement douteux.
En effet, cette mesure considérée comme compensatoire, c'est-à-dire comme une charge nouvelle imposée aux entreprises et équivalente à la charge que comporterait la prime de poste, consiste dans le rétablissement d'une fraction (6 ½ %) du pourcentage de cotisation des entreprises à l'assurance-vieillesse des mineurs, fraction qui avait été prise en charge par l'État à l'époque de l'institution de la prime de poste.
On pourrait se demander d'abord, comme le fait la requérante, s'il ne s'agit pas tout simplement de la suppression d'une mesure qui avait, elle aussi, le caractère d'une subvention. Le taux de la cotisation patronale était fixé dans l'industrie minière à 14 ½ % et sa réduction à 8 % a constitué l'une des mesures décidées par le gouvernement pour alléger les charges des entreprises et «compenser en partie l'effet d'un relèvement des prix du charbon», comme le dit en propres termes la lettre du 4 février 1956, paragraphe 3. S'agit-il néanmoins d'une mesure prise normalement dans le cadre des dispositions relatives au financement de la sécurité sociale et ne relevant, à ce titre, que des articles 67 et 68, paragraphe 5, et non d'une subvention? C'est ce que le gouvernement fédéral a soutenu et la Haute Autorité admis, par le motif que la mesure consistait simplement à ramener le taux de cotisation patronale au taux habituel de 8 % applicable dans les autres industries. Des doutes demeurent cependant permis si l'on songe qu'à la même époque le régime de sécurité sociale des mineurs ayant été très amélioré, les charges se sont trouvées augmenter considérablement, si bien que la part de l'État dans ces charges, déjà élevée, s'est accrue dans de grandes proportions: le moment paraissait évidemment mal choisi, du point de vue de la sécurité sociale, pour diminuer la charge patronale en l'alignant sur les autres industries et accroître ainsi encore davantage la charge de l'État. Ne s'agissait-il pas plutôt d'une mesure de circonstance, ayant pour objet réel d'apporter une «aide» à l'industrie minière? Il est permis ce se poser au moins la question.
Mais il n'est pas nécessaire de la résoudre à l'occasion du présent litige. En effet, de deux choses l'une: ou bien il s'agissait d'une subvention, et il va de soi que la suppression d'une subvention interdite ne peut justifier le maintien d'une autre subvention tout aussi interdite; ou bien il s'agit simplement d'une modification dans l'application de la législation sur la sécurité sociale, qui ne fait d'ailleurs que rétablir une obligation antérieurement exigée, et on ne voit pas en quoi une pareille mesure pourrait avoir le caractère d'une charge nouvelle spécialement imposée aux entreprises en vue de compenser les effets de la subvention interdite.
Conclusions finales
Nous concluons :
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à l'annulation de la décision attaquée; |
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au rejet des autres conclusions de la requête, |
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et à ce que les dépens soient supportés pour moitié par la Haute Autorité et pour moitié par le gouvernement de la République fédérale. |
( 1 ) La Communauté européenne du charbon et de l'acier, Paris 1953.