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Document 61959CC0004

Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 24 novembre 1959.
Mannesmann AG et autres contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
Affaires jointes 4-59 à 13-59.

édition spéciale anglaise 1960 00243

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1959:27

Conclusions de l'avocat général

M. KARL ROEMER

24 novembre 1959

Traduit de l'allemand

SOMMAIRE

Page
 

I — Remarque préalable

 

1) Objet du procès

 

2) Particularités de la procédure dans l'affaire 4-59

 

3) Conclusions des parties et caractéristiques des moyens

 

4) Structure et fonctions du mécanisme de péréquation de la ferraille.

 

5) Mesures gouvernementales dans le commerce extérieur de la ferraille .

 

6) Conclusion et exécution des contrats d'achat de la ferraille

 

II — La Haute Autorité était-elle formellement en droit de prendre de telles décisions selon l'article 92 du traité?

 

1) Base juridique des décisions

 

2) Pouvoir de statuer sur des questions préjudicielles de droit privé .

 

3) Les possibilités de protection des requérantes devant les tribunaux ont-elles été réduites à tort par l'adoption des décisions?

 

III — Les décisions de la Haute Autorité sont-elles suffisamment motivées?

 

IV — Le droit à remboursement de la Haute Autorité est-il bien fondé?

 

1) La structure juridique et l'application pratique du système de péréquation prévoient-elles des prestations de péréquation en faveur des entreprises?

 

2) La ferraille visée par les certificats néerlandais pouvait-elle bénéficier de la péréquation ?

 

3) Les requérantes ont-elles reçu des prestations de péréquation?

 

a) Nature des relations juridiques entre les requérantes, l'Office commun et les fournisseurs de ferraille

 

b) Dans le cas concret, existait-il des obligations dont les requérantes devaient être libérées?

 

4) Le droit à remboursement de la Haute Autorité est-il exclu, même si ses conditions sont remplies?

 

a) Légalité de la révocation d'actes administratifs générateurs de droits subjectifs («begünstigende Verwaltungsakte») dans les droits nationaux

 

b) Application de ces principes au cas d'espèce

 

V — Proposition de décision

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

I — REMARQUE PRÉALABLE

1) Objet du procès

Dans la longue série des affaires de ferraille qui ont été portées devant vous, nous avons aujourd'hui la tâche de présenter des conclusions dans des procès qui portent sur des points qui n'ont aucun précédent dans les affaires que vous avez tranchées antérieurement. Si ces dernières concernaient la question de l'obligation de la péréquation, son étendue ou la possibilité d'une exemption des consommateurs, le procès d'aujourd'hui a pour objet le corollaire de cette obligation, c'est-à-dire le droit d'obtenir la péréquation.

Comme vous le savez, dans toute une série de décisions, onze au total, la Haute Autorité a invité des entreprises allemandes consommatrices de ferraille à rembourser certains montants de péréquation qu'elles auraient reçus à tort. Les entreprises intéressées ont formé dix recours contre cet ordre de paiement et elles demandent l'annulation des décisions; le fait qu'il y ait onze décisions et dix recours nous amènera à présenter quelques remarques à ce sujet.

Si on met à part trois affaires où un passage est consacré à l'exception de compensation, leurs arguments, de même que les répliques de la Haute Autorité, concordent mot pour mot. Les différences dans les faits tiennent aux quantités de ferraille et aux sommes en cause, sans que cela joue cependant le moindre rôle pour l'appréciation juridique.

Nous pourrons donc nous permettre d'agir en principe comme si nous n'avions à présenter de conclusions que dans une seule affaire.

Sur les questions de procédure, droit des entreprises d'agir en justice, preuves de la régularité de leur représentation par des représentants légaux et des agents, délai de recours, nous n'avons aucune objection à présenter.

2) Particularités de la procédure dans l'affaire 4-59

Quelques remarques particulières au sujet de l'affaire 4-59: elle présente cette caractéristique que le recours a été formé par «Mannesmann AG», mais que ce sont deux décisions de la Haute Autorité adressées aux «Mannesmann Hüttenwerke AG» et aux «Hahnsche Werke AG» qui sont attaquées.

Selon les extraits qui en ont été produits, le registre du commerce de l'«Amtsgericht» de Duisburg portait à la date du 15 décembre 1958 la mention suivante pour les «Hahnsche Werke AG» et les «Mannesmann Hüttenwerke AG» :

Les entreprises ci-dessus ont été transformées par transfert de leur patrimoine entre les mains de l'actionnaire principal, «Mannesmann AG».

La loi allemande du 12 novembre 1956 ( 1 ), sur la transformation des sociétés de capitaux et des syndicats d'exploitation minière, et, notamment, ses paragraphes 1, 3, 5, 6, 8 et 15 permettent d'apprécier la situation juridique qui résulte de ces modifications.

On peut en tirer les éléments suivants :

Si le patrimoine d'une société anonyme est transféré sans qu'il y ait liquidation, la distinction entre dissolution et achèvement complet qui existe en cas de liquidation d'une société disparaît. L'achèvement complet survient après la liquidation avec cet effet que la société disparaît ainsi de la vie juridique.

Avec la transcription de la décision de transformation, la société anonyme est dissoute et sa raison sociale s'éteint. Ses obligations sont transférées à partir de ce moment à son ayant cause. Elle disparaît à partir de ce moment-là comme sujet de droit.

Lors de la notification des décisions de la Haute Autorité, le 12 janvier 1959, les destinataires des décisions étaient donc dissous, leurs raisons sociales éteintes et leurs obligations étaient passées entre les mains de la société «Mannesmann AG».

D'où cette question: la société «Mannesmann AG» peut-elle attaquer les décisions de la Haute Autorité ou bien manque-t-elle de l'intérêt juridique à attaquer des décisions qui ne lui sont pas adressées et qui ne pourraient faire l'objet d'une exécution parce que la délivrance d'une clause exécutoire contre des ayants cause n'est pas compatible avec les dispositions de l'article 92 du traité?

Ni la Haute Autorité, ni la requérante n'ont soulevé d'objections du fait de cette circonstance. Cela veut-il dire que la requérante admet que ce titre soit invoqué contre elle sous l'angle formel et qu'elle n'entend donc pas soulever une exception de forme contre le fait que ces décisions ont été adressées à ses prédécesseurs, mais qu'elle exige l'examen au fond de la légalité du titre, parce que, de toute façon, elle devrait prendre position sur cette question le jour où la Haute Autorité modifierait le nom du destinataire de la décision? Le déroulement du procès nous permet de le penser.

Mais, compte tenu de cette situation, ce serait un formalisme indéfendable que de déclarer ce recours irrecevable: la conséquence en serait que la Haute Autorité prendrait une nouvelle décision en rectifiant le nom du destinataire et il faudrait un nouveau recours en annulation contre elle. A notre avis, ce vice que nous venons d'examiner ne constitue donc pas un obstacle dans le procès pour cette requérante.

3) Conclusions des parties et caractéristiques des moyens

Après ces remarques préalables, nous pouvons nous consacrer maintenant aux points de fait et de droit du procès.

Vous vous souvenez des conclusions des parties.

Les moyens de recours et les différents arguments invoqués à leur appui ou à leur encontre ont été exposés de façon si détaillée dans le rapport que nous pourrons nous dispenser de les répéter.

Permettez-nous de vous indiquer simplement les grandes lignes. Nous aurons à examiner :

a)

Si la Haute Autorité était compétente pour adresser des sommations de paiement selon l'article 92 du traité, c'est-à-dire sous forme d'un titre exécutoire;

b)

Si les décisions de la Haute Autorité sont suffisamment motivées d'un point de vue formel;

c)

Si, en prenant ces décisions, la Haute Autorité a violé le traité ou des principes juridiques généraux qui le complètent.

Nous ne voulons pas répéter ici le contenu des décisions attaquées et nous renvoyons, à ce sujet, aux annexes des requêtes.

Ces décisions ont employé des notions qui font qu'il nous semble opportun de commencer par présenter quelques remarques sur le fonctionnement du mécanisme de péréquation de la ferraille, sur les tâches des participants à ce système, sur les mesures complémentaires des États, ainsi que sur la conclusion et l'exécution des contrats d'achat de la ferraille.

4) Structure et fonctions du mécanisme de péréquation de la ferraille

Comme vous connaissez les différentes décisions générales de la Haute Autorité, nous pouvons nous borner à quelques remarques importantes.

A l'origine, la Haute Autorité ne s'est pas chargée elle-même de l'exécution de la péréquation de la ferraille, mais elle a confié cette tâche à un mécanisme particulier de péréquation qui était obligatoire, sous sa responsabilité il est vrai. C'est l'Office commun des consommateurs de ferraille et la Caisse, tous deux personnes morales du droit commercial belge, fondés en 1953 par vingt-deux producteurs d'acier des pays de la Communauté, qui gèrent le mécanisme de péréquation (nous précisons: au singulier), c'est ce qui est dit dans les décisions ( 2 ).

A l'intérieur du mécanisme de péréquation, les fonctions sont partagées entre la Caisse et l'Office commun. Parmi d'autres tâches de droit public que vous connaissez, la Caisse, sur proposition de l'Office commun, est compétente pour prendre des décisions sur les quantités de ferraille admises à la péréquation, ainsi que sur les conditions de celle-ci, dont la condition éventuelle d'utiliser la ferraille importée dans certains territoires de la Communauté. Elle fixe également le prix maximum d'importation et le prix de péréquation.

Outre le droit de proposition mentionné ci-dessus, l'Office commun, après l'approbation de la Caisse, est compétent pour négocier les achats pour le compte commun ou pour conclure des contrats d'achat «pour le compte» de destinataires à désigner ultérieurement (tel est le texte français de l'article 5 de la décision 14-55; le texte allemand de la décision 14-55 utilise l'expression «als Treuhänder» et la décision 2-57 «für Rechnung»).

Les entreprises sont obligées de verser les montants nécessaires pour réunir les fonds destinés à l'achat de ferraille dans les pays tiers pour le compte de destinataires à désigner ultérieurement.

Pour caractériser la structure interne du mécanisme de péréquation, il y a encore lieu de mentionner la réglementation suivante résultant des décisions de la Haute Autorité.

Si une décision des conseils d'administration de l'Office commun ou de la Caisse ne peut réunir l'unanimité ou en cas de compétence commune de ces deux conseils, cette décision est remplacée par une décision de la Haute Autorité. L'observateur de la Haute Autorité, qui a le droit de prendre part à toutes les séances des conseils d'administration consacrées aux délibérations et aux décisions, peut s'immiscer dans la formation des décisions en se réservant le droit pour la Haute Autorité de prendre une décision définitive ou en subordonnant les décisions des conseils d'administration à l'approbation de la Haute Autorité.

La Haute Autorité a le droit d'exiger la convocation des conseils d'administration de l'Office commun et de la Caisse et, si une réunion n'est pas fixée dans les dix jours, elle peut elle-même statuer sur la question en cause.

Ces dispositions permettent déjà de conclure qu'il n'a pas été fait à l'intérieur du mécanisme de péréquation une séparation complète, précise et logique entre les pouvoirs de droit public de péréquation et les opérations de droit privé vers l'extérieur dans le domaine des achats en commun. Bien au contraire, il faut constater qu'il y a une interpénétration réciproque des fonctions, par exemple lorsque l'Office commun a le droit de faire des propositions pour une décision de droit public ou bien, inversement, lorsque la Caisse doit donner son accord pour des négociations sur les achats. L'hypothèse d'une organisation des achats en commun par l'Office commun, sous une forme de pur droit privé, se heurte notamment à cette circonstance que les entreprises sont obligées de contribuer à fournir les fonds nécessaires à cet effet, ainsi qu'au pouvoir de la Caisse d'établir des priorités d'utilisation pour la ferraille importée. Cette impression est renforcée si l'on pense que la Haute Autorité pouvait assumer dans certains cas les pouvoirs de ces deux organismes. Ultérieurement, c'est-à-dire après la période que nous examinons ici, les compétences des organismes de péréquation ont été retransférées de façon générale à la Haute Autorité. En outre, les deux organismes, sur le plan des nations, n'ont qu'un seul auxiliaire par pays, le bureau régional (en Allemagne, la «Deutsche Schrottverbraucher-Gemeinschaft GmbH» à Düssel-dorf, en abrégé DSVG), dont ils se servaient pour accomplir leurs tâches, et notamment dans leurs activités administratives et commerciales ici en cause.

Nous pouvons donc constater que, compte tenu du partage de compétences entre la Caisse et l'Office commun et des liens mutuels entre les compétences des deux sociétés, ni l'une ni l'autre d'entre elles ne pouvait fonctionner seule, mais que l'accomplissement des tâches internes lors de l'achat, de la péréquation et des opérations d'achat à l'extérieur avait comme condition une collaboration commune.

5) Mesures gouvernementales dans le commerce extérieur de la ferraille

Un nouvel élément qui, jusqu'à présent, n'a pas été mentionné devant vous, et qui est important, apparaît dans cette procédure: c'est l'influence que les États membres exercent sur le marché de la ferraille.

Sans cette collaboration, le mécanisme de péréquation n'aurait pas été sans défauts, ni en mesure de fonctionner. Il ne suffit pas de compenser les différences de prix entre la ferraille communautaire et la ferraille d'importation, il faut aussi empêcher que la ferraille intérieure de la Communauté ne soit exportée au prix du marché mondial, qui est plus élevé, et même qu'elle ne revienne sur le marché commun sous forme de ferraille d'importation. En 1953 ( 3 ), les gouvernements des États membres compétents pour ces questions de commerce extérieur ont convenu de maintenir ou d'introduire une interdiction générale d'exportation de la ferraille dans leur réglementation nationale respective. En 1954 ( 4 ), ils ont décidé de prévoir des exceptions à cette interdiction pour la ferraille de démolitions navales, au cas où celle-ci ne serait pas achetée pour la Communauté par l'Office commun, auquel elle devrait être offerte.

Ces réglementations relevant du droit public national des États membres étendent l'efficacité de la péréquation de la ferraille, créée par la Haute Autorité sur la base du droit de la Communauté, à des domaines juridiques et administratifs qui sont soustraits à la compétence de la Haute Autorité ( 5 ).

6) Conclusion et exécution des contrats d'achat de la ferraille

C'est dans le cadre de cette organisation que sont conclus et exécutés les différents contrats d'achat et qu'a lieu le paiement des bonifications de péréquation pour la ferraille en cause.

Les livraisons de ferraille qui ont donné lieu aux paiements de péréquation et aux demandes de remboursement ont été faites en vertu de six conventions globales que l'Office commun avait conclues avec la Hansa, entreprise de commerce de la ferraille, entre le 31 août 1956 et le 8 juillet 1957 pour le compte des entreprises à désigner ultérieurement. Elles contiennent des indications de poids et de provenance (Islande, Angleterre et autres pays en dehors de la Communauté) et elles renvoient expressément aux clauses générales des contrats de l'Office commun, dont il résulte que les bureaux régionaux sont en droit de désigner les entreprises destinataires. Les autres clauses du contrat ne nous intéressent pas à cet égard. Il nous faut seulement appeler encore votre attention sur le no 4.

«Le vendeur est tenu de présenter des documents incontestables prouvant que les matériaux proviennent des pays mentionnés dans la lettre d'achat.

Pour la ferraille de démolitions navales à l'intérieur de la Communauté, il sera remis à l'O.C.C.F. une liste avec les noms des navires, y compris le poids et le tonnage. Il faut, en outre, présenter les déclarations douanières d'entrée et les contrats de vente des navires, ainsi qu'un certificat de l'administration sous la surveillance de laquelle la démolition a eu lieu…

Pour les lots de ferraille qui proviennent de ces objets ou d'objets analogues, la C.P.F.I. ou ses délégués ont un droit de contrôle sur les travaux de dépeçage de la ferraille.

Pour les autres matériaux se trouvant sur le territoire de la Communauté et qui ne tombent pas sous le coup des dispositions de la Haute Autorité, il y a lieu de remettre des déclarations des offices gouvernementaux ou des autres administrations qui en sont chargées attestant que ces objets ou la ferraille qui en provient ont été admis à l'exportation vers des pays tiers, l'O.C.C.F. ayant renoncé à son achat…»

Au cours des mois suivants et en exécution de ces contrats globaux, la Hansa a fait différentes livraisons à des entreprises consommatrices de ferraille. Pour une partie de ces livraisons, les certificats délivrés irrégulièrement par le ministère néerlandais ont été remis par un vendeur hollandais de ferraille à la Hansa et par cette dernière à la DSVG. Les livraisons aux consommateurs étaient précédées dans chaque cas d'avis d'attribution de la DSVG à ces entreprises destinataires dans lesquels la quantité et la provenance de la ferraille étaient indiquées entre autres. Après réception de la ferraille, les entreprises adressaient à la Hansa des avis d'arrivée et à la DSVG des décomptes de ferraille. La DSVG recevait également les factures de la Hansa. De temps à autre, la DSVG groupait ces décomptes de ferraille sous forme d'un état («Belastungsaufgabe») destiné aux consommateurs de ferraille. Tout comme les lettres particulières de la DSVG, qui constataient la dette totale des entreprises pour les livraisons de ferraille, ces états indiquaient non pas le prix d'importation, mais le prix de la Communauté. La mention suivante y figurait :

«En vertu des décomptes de ferraille qui nous sont envoyés, nous vous débitons, sous réserve de l'examen et du décompte définitifs par Bruxelles, de la somme de DM…»

Quelque temps après l'envoi de ces lettres, la DSVG avisait les entreprises destinataires d'apurer leurs dettes pour leurs livraisons de ferraille par virement au compte d'un fournisseur de ferraille désigné par la DSVG et qui n'était pas nécessairement celui qui avait approvisionné les entreprises. De même, la DSVG disposait éventuellement aussi des créances de prélèvement de la Caisse. Les entreprises procédaient aux virements demandés non sans noter, en règle générale, sur le formulaire de virement que ce dernier avait lieu sur l'ordre de la DSVG. Ce système de paiement permettait aux fournisseurs de ferraille de recevoir l'intégralité du prix de vente, y compris la partie que la DSVG n'avait pas mise au compte des entreprises dans les décomptes totaux de ferraille, parce qu'elle devait être couverte par les prestations de péréquation. La Caisse et la DSVG n'établissaient pas d'avis spéciaux de versement de la bonification de péréquation, ni d'avis de crédit pour chaque fourniture de ferraille et pour chaque entreprise. La Caisse communiquait seulement chaque mois à la DSVG un état du montant de prélèvement par usine, la somme totale du prélèvement, un tableau des sommes disponibles auprès de la DSVG, une fois établi le solde des avoirs et des dettes des entreprises, un avis de verser la péréquation aux entreprises créancières et, le cas échéant, l'ordre de virer un montant donné au bureau régional d'un autre État membre.

Lorsqu'il est apparu ultérieurement que les certificats du ministère néerlandais de l'économie avaient été irrégulièrement établis, la Haute Autorité, par lettre du 27 novembre 1958, a réclamé les montants de péréquation utilisés par la DSVG aux entreprises qui auraient reçu de la ferraille litigieuse. Après le refus des entreprises en cause, la Haute Autorité a pris les décisions individuelles dont la validité juridique est maintenant en cause devant vous, tant pour la forme que pour le fond.

Si nous en venons maintenant à l'examen juridique, la première question qui se pose est celle-ci :

II — LA HAUTE AUTORITÉ ÉTAIT-ELLE FORMELLEMENT EN DROIT DE PRENDRE DE TELLES DÉCISIONS SELON L'ARTICLE 92 DU TRAITÉ ?

1) Base juridique des décisions

Selon l'article 92 :

«Les décisions de la Haute Autorité comportant des obligations pécuniaires forment titre exécutoire.»

L'article 92 n'est donc pas une règle qui donne un pouvoir spécial à la Haute Autorité, mais elle confère un caractère juridique particulier à certaines de ses décisions pour lesquelles il faut chercher ailleurs une habilitation. Donc, la Haute Autorité était-elle en droit, dans le cas d'espèce, de constater une obligation pécuniaire sous forme d'une décision prise en vertu d'autres règles du traité?

Selon les requérantes, le traité énumère limitativement ces cas: prélèvements, astreintes et amendes.

Mais la portée de cet argument est diminuée a priori par un second argument, car les requérantes concèdent que si l'article 53 du traité habilite la Haute Autorité à créer des mécanismes financiers, cela inclut le pouvoir d'imposer des obligations pécuniaires aux entreprises, avec cette restriction toutefois que, dans les décisions de création du mécanisme, la Haute Autorité doit mentionner explicitement dans quels cas elle entend prendre cette sorte de décisions.

En fait, l'article 53, b, constitue une règle valable d'habilitation pour prendre des décisions comportant des obligations pécuniaires à la charge des entreprises; c'est ce que la Cour a dit à bon droit dans son arrêt 8-57 ( 6 ). Il y est dit :

«On peut… considérer que les mécanismes financiers visés à l'article 53 sont des mécanismes fondés sur des transferts de ressources, notamment du type péréquation ou compensation.»

Il va de soi que ces obligations, créées dans le cadre d'un mécanisme financier obligatoire, ont un caractère de droit public. A la différence d'un mécanisme volontaire de péréquation, ici c'est par une décision de la Haute Autorité que les entreprises sont incluses dans la péréquation et qu'elles doivent participer à des mesures d'économie dirigée en vertu d'un ordre de la Haute Autorité. Cette constatation vaut tout autant pour l'obligation de verser des contributions que pour le droit aux prestations de péréquation de la Caisse.

Il ne reste donc plus qu'une question: la thèse selon laquelle la Haute Autorité doit déclarer nettement, lors de la création d'un mécanisme financier, dans quels cas elle entend prendre des décisions comportant des obligations pécuniaires vaut-elle également dans le cas d'un remboursement de montants de péréquation versés à tort?

Les décisions 14-55 et 2-57 ne mentionnent pas explicitement cette obligation. La décision 23-58 du 30 octobre 1958 ( 7 ) est la première à contenir une telle disposition à l'article 8, II. Mais les décisions attaquées ne s'appuient pas sur cette disposition, elles se fondent manifestement sur des principes juridiques généraux.

On pourrait craindre que cette base juridique ne soit pas suffisante, en raison de la rigueur avec laquelle, à bon droit, les juristes contrôlent de façon générale si la Haute Autorité et les autres institutions restent dans le cadre d'une compétence exactement délimitée. Rappelons ici les articles 3, 8 et 14 du traité.

D'un autre côté, dans l'affaire 8-55 (Fédération charbonnière de Belgique contre Haute Autorité), la Cour s'est affranchie à bon droit, à notre avis, d'une méthode d'interprétation trop étroite en constatant que ( 8 ):

«… les normes établies par un traité international ou par une loi impliquent les normes sans lesquelles les premières n'auraient pas de sens ou ne permettraient pas une application raisonnable et utile».

Nous croyons que, si, en application de cette thèse, on fait appel dans le cas d'espèce aux principes généraux du droit pour motiver une obligation éventuelle à remboursement, ce n'est pas contrevenir à la structure fondamentale du traité, selon laquelle une habilitation précise est nécessaire pour toute création ou modification du droit à laquelle procèdent les institutions de la Communauté sous forme de décision.

L'obligation à remboursement de prestations de péréquation indûment perçues n'est rien d'autre que le corollaire indispensable des droits à péréquation, sans laquelle le mécanisme de péréquation ne serait pas sans défaut, ni complètement viable. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a une différence importante entre la création d'une obligation de paiement, pour laquelle les entreprises peuvent supposer à bon droit une habilitation explicite, et l'exercice d'un droit de remboursement, sans lequel il y aurait un enrichissement sans cause pour les entreprises.

Notre conception est confirmée par le fait que le Conseil de ministres a approuvé la décision 23-58 du 30 octobre 1958 qui mentionne expressément l'obligation de rembourser des montants de péréquation versés indûment.

Nous en venons donc sur ce point à la conclusion que, dans le cadre d'un mécanisme de péréquation, une habilitation explicite n'est pas indispensable pour faire valoir des droits à remboursement et qu'il suffit de se référer à des principes juridiques généraux selon lesquels ces droits à remboursement peuvent exister. Comme, par sa nature, le droit à remboursement a le même caractère que le droit à péréquation sur lequel il s'appuie, comme il relève donc du droit public de la Communauté, nous n'avons aucune objection à admettre, pour les motifs qui précèdent, la légalité d'une obligation de remboursement constatée sous la forme d'une décision prise selon l'article 92.

Mais cela n'épuise pas encore l'ensemble des questions que soulève ce problème.

2) Pouvoir de statuer sur des questions préjudicielles de droit privé

Les requérantes considèrent également comme illégal le fait pour la Haute Autorité d'ordonner dans une décision administrative le remboursement des prestations de péréquation versées, parce que les droits de la Haute Autorité constatés dans les décisions prises selon l'article 92 s'appuient sur des considérations de droit privé. La Haute Autorité n'aurait pas le droit d'apprécier des rapports juridiques de droit privé et d'en déduire des droits et, sur cette base, elle ne pourrait régler unilatéralement et souverainement ses rapports avec les requérantes. En d'autres termes, la Haute Autorité ne pourrait pas se créer un titre de droit public à partir de rapports de droit privé et en vertu de motifs de droit privé. Or, l'argumentation de fait et de droit de la défenderesse montre manifestement que la Haute Autorité voulait trancher et a tranché des questions de droit privé.

Ainsi se pose en premier lieu la question de savoir si les requérantes ont reçu une prestation sous la forme de montants de péréquation, bien que la Caisse, ou la DSVG sur son ordre, n'ait pas fait de paiements directs aux entreprises. La Haute Autorité allègue qu'en procédant aux paiements aux fournisseurs de ferraille elle a libéré les requérantes d'obligations de droit privé. Ainsi constate-t-elle qu'il existait des obligations de cette sorte.

Les autres conditions du droit relèvent indubitablement du droit public, donc notamment les questions de savoir si la ferraille livrée pouvait bénéficier de la péréquation, si la révocation d'un acte administratif générateur de droits subjectifs («begünstigender Verwaltungsakt»), qu'on peut voir dans le paiement, est possible en principe, si la structure du mécanisme de péréquation appelait une répartition individuelle des subventions ou la réduction globale du prix de la ferraille d'importation.

Les administrations nationales aussi ont assez fréquemment à faire face à des situations dans lesquelles des éléments de droit public et de droit privé s'interpénètrent.

Nous voyons à ce sujet dans la doctrine française que le Conseil d'État a toujours refusé d'accepter des recours en annulation contre des décisions d'autorités administratives lorsque les questions qui lui étaient soumises relevaient essentiellement du droit privé ( 9 ). Mais on peut, en principe, se demander si cette pratique d'un tribunal national, à côté duquel existent d'autres tribunaux, et notamment des tribunaux civils, peut être imitée dans le domaine de la Communauté.

La question primordiale, c'est de savoir si, en l'espèce, les éléments de droit privé constituent l'essentiel du litige. Nous ne le croyons pas. Nous pensons que l'interpénétration du droit public et du droit privé dans cette affaire ne lui confère nullement de façon prépondérante le caractère d'un conflit de droit privé. Les décisions de la Haute Autorité puisent leur source dans le droit public de la Communauté et c'est au premier chef sous l'angle de ce droit public qu'il faut les examiner. Les éléments de droit privé de l'espèce se situent par contre dans un cadre où les questions préalables et accessoires de droit privé peuvent se produire dans un litige de droit public.

Dans la pratique et la jurisprudence administrative allemande, il est incontesté que ces questions préalables de droit privé peuvent être tranchées de façon incidente dans une procédure administrative. Nous renvoyons ici à l'étude faite sur ce point par Forsthoff, «Lehrbuch des Verwaltungsrechts», pages 105 et suivantes ( 10 ).

On est contraint d'adopter cette solution lorsque la procédure administrative ne prévoit pas la possibilité d'une interruption en chargeant une des parties de faire trancher par un tribunal civil les questions de droit privé. Le traité ne connaît pas cette possibilité. Il serait également inutile de renvoyer la Haute Autorité devant les tribunaux nationaux pour régler les situations juridiques existant entre les entreprises requérantes et elle. Les tribunaux civils devraient, à notre avis, se déclarer incompétents parce que le droit invoqué a, par sa nature, un caractère de droit public; il n'est pas possible non plus de reconnaître une compétence judiciaire administrative dans le droit national.

De même, la question de savoir si une obligation est plus ou moins litigieuse et si sa base juridique est plus ou moins compliquée ne peut donner aucun critère pour la légalité d'une décision prise selon l'article 92. Même pour des obligations qui résultent directement et, semble-t-il, simplement du traité, il peut se produire des questions préalables analogues et des difficultés semblables sur des points de fait et de droit sans que la compétence de la Haute Autorité pour prendre une décision puisse être contestée.

3) Les possibilités de protection des requérantes devant les tribunaux ont-elles été réduites à tort par l'adoption des décisions ?

Enfin, les requérantes ne peuvent prétendre que leur protection judiciaire serait diminuée parce que la Haute Autorité les aurait contraintes par une décision individuelle à agir comme requérante dans une affaire. Dans ses rapports avec l'administration, tout sujet de droit peut se voir contraint à engager une action en justice s'il veut attaquer des dispositions de l'autorité administrative.

Notamment, les requérantes ne peuvent invoquer la circonstance qu'en l'espèce elles bénéficieraient d'une protection judiciaire inférieure à celle des fournisseurs de ferraille et qu'elles seraient ainsi les victimes d'une discrimination et d'un abus de procédure.

Toutes les entreprises qui relèvent de la juridiction de la Communauté et qui sont obligées de respecter les ordres que prend la Haute Autorité se trouvent dans une situation égale en ce qui concerne leur protection devant les tribunaux. Elles ne peuvent comparer leur situation avec celle d'entreprises qui se trouvent en dehors de ce domaine juridique. Mais, en matière de péréquation de la ferraille, seules ont été touchées par le mécanisme obligatoire de péréquation les entreprises qui relèvent du domaine d'administration de la Haute Autorité, c'est-à-dire à l'exclusion des fournisseurs de ferraille. Ceux-ci ne pouvaient être titulaires ni d'un droit, ni d'une obligation au sens du mécanisme de péréquation. Dans le système des relations juridiques entre la Haute Autorité et ces entreprises, le pouvoir d'injonction de la Haute Autorité et la protection judiciaire devant notre Cour ne sont donc pas en question. Une comparaison des possibilités de protection judiciaire accordées, d'une part aux requérantes, qui sont des entreprises au sens du traité, de l'autre aux négociants en ferraille, qui sont en dehors du traité, est exclue en raison de la réglementation positive du traité.

Sur le premier point principal de notre examen, nous en venons donc ainsi à cette conclusion que les décisions de la Haute Autorité ne peuvent pas être annulées parce qu'elles ont été prises sous la forme de l'article 92.

III — LES DÉCISIONS DE LA HAUTE AUTORITÉ SONT-ELLES SUFFISAMMENT MOTIVÉES ?

Mais ce résultat ne met pas fin à l'examen des problèmes de forme. Il faut maintenant examiner si les décisions répondent aux exigences de l'article 15 du traité, c'est-à-dire si elles sont suffisamment motivées.

Les requérantes critiquent en particulier ceci :

a)

Les décisions n'expliquent pas comment il est possible de voir dans les paiements faits aux tiers un paiement qui serait fait aux requérantes;

b)

La Haute Autorité n'a pas expliqué d'où elle déduit que c'est en partie de la ferraille qui ne pouvait bénéficier de la péréquation qui a été livrée et que cette ferraille est parvenue entre les mains des requérantes;

c)

Les décisions ne disent rien sur la notion de «ferraille d'échange»;

d)

Les décisions reproduisent faussement la réalité des choses lorsqu'elles parlent de «ferraille de démolitions navales». Les contrats et les avis d'attribution n'ont pas recours à cette désignation.

L'exposé des motifs des décisions attaquées contient les constatations suivantes sur les points essentiels.

Au cours des années 1956 et 1957, les requérantes ont acheté à la Hansa de la ferraille dans le cadre de certaines conventions globales d'achat de ferraille en provenance de pays tiers qui avaient été conclues entre l'Office commun et la Hansa. Une partie des fournitures, provenant prétendument de démolitions navales, ne contenait pas de ferraille en provenance de pays tiers ou de ferraille de démolitions navales assimilée à cette dernière. Sur ces livraisons, les requérantes ont reçu certaines quantités, faussement qualifiées de ferraille de démolitions navales, et elles ont reçu des versements de péréquation provisoires sur ces livraisons. Comme il n'y avait pas de droit à péréquation, les requérantes doivent rembourser ces sommes. Conformément à l'article 53, b, la Haute Autorité est en droit de prendre des décisions contenant un ordre de remboursement, car les entreprises n'ont pas donné suite à une invitation préalable de la Haute Autorité.

Cet exposé des motifs des décisions ne donne pas la même idée des événements de fait et des déductions juridiques que celle qu'en donne l'exposé écrit et oral de la Haute Autorité.

Ainsi, il est certain que le versement des bonifications de péréquation n'a pas été fait directement aux requérantes, mais aux fournisseurs de ferraille, et cela non pas par un versement de la Caisse, mais par des paiements auxquels la DSVG procédait ou qu'elle ordonnait aux entreprises de faire. Ni les décisions attaquées, ni d'ailleurs l'exposé des parties au cours du procès, ni les papiers d'affaires dont la Cour a demandé et obtenu la production, ni les réponses des parties aux questions posées par la Cour au cours des débats ne donnent une explication complète du processus de paiement.

Pour clarifier nettement la situation juridique, il aurait été nécessaire de dire comment on aurait pu voir dans le paiement aux fournisseurs de ferraille un paiement aux requérantes. (Quelle a été la cause juridique du paiement fait aux fournisseurs de ferraille, de quelles obligations les requérantes ont-elles été libérées?)

Les décisions ne permettent pas de voir en détail pourquoi là ferraille qui a bénéficié de la péréquation des prix n'était pas en réalité susceptible d'en bénéficier. Ici les décisions négligent d'apporter des explications sur des questions essentielles pour les cas concrets. Il aurait été d'autant plus nécessaire d'expliquer la nature des certificats néerlandais et d'exposer les conséquences juridiques à tirer des vices dont ils étaient entachés que ni les propositions de la Haute Autorité, ni les conventions intergouvernementales correspondantes du 6 mars 1953 et des 27 et 28 juillet 1954 sur l'exportation de la ferraille de la Communauté n'ont été publiées.

Les décisions auraient dû s'occuper aussi de la notion de «ferraille d'échange» (qui figure dans deux conventions globales), car les décisions générales de la Haute Autorité négligent d'en donner une définition ou un commentaire. Elles parlent (décision 22-54, article 2; décision 14-55, article 2, a; décision 2-57, article 2, a) de «ferrailles assimilées» (ce qui veut dire «gleichgestellt» et non pas «ähnlich» comme dans le texte allemand). Lorsque, par ailleurs, il est dit (décision 2-57, article 10, c) que la ferraille de démolitions et autres ferrailles onéreuses peuvent être assimilées aux ferrailles importées, lorsque l'Office commun propose et lorsque la Caisse décide d'acheter de la ferraille assimilée, les décisions générales laissent entendre qu'en dehors de la ferraille de démolitions la ferraille d'autre provenance est également susceptible de bénéficier de la péréquation.

Enfin, dans l'intérêt de la clarté, les décisions auraient dû dire aussi d'où il résulte que la ferraille que les requérantes ont reçue a été qualifiée de ferraille de démolitions navales, car les décisions d'attribution qui leur ont été adressées n'en parlent pas.

Les motifs donnés en fait sont donc non seulement incomplets, mais aussi de nature à induire en erreur.

A cela, la Haute Autorité oppose que les requérantes étaient parfaitement informées des particularités de l'affaire, si bien qu'un exposé détaillé des faits était superflu. Elle part donc manifestement de l'idée que l'exposé des motifs d'une décision sert uniquement à mettre le destinataire d'une décision au courant d'un ordre de la Haute Autorité et de sa propre obligation, ainsi qu'à lui permettre d'attaquer la décision. Cette conception va à l'encontre du sens de l'article 15 et de la jurisprudence de la Cour. L'exposé des motifs d'une décision doit contenir des éléments suffisants pour rendre possible le contrôle judiciaire. Nous renvoyons ici notamment à l'arrêt 18-57 rendu il n'y a pas si longtemps ( 11 ).

Bien loin d'exiger ici pour les décisions de la Haute Autorité un exposé des motifs très détaillé qui se rapprocherait d'une consultation juridique, pour reprendre ses propres termes, nous devons cependant dire qu'à notre avis les décisions attaquées sont dépourvues d'un exposé suffisant des motifs dans le sens qui vient d'être exposé. Nous en concluons que la Cour peut annuler les décisions pour insuffisance de motifs.

IV — LE DROIT A REMBOURSEMENT DE LA HAUTE AUTORITÉ EST-IL BIEN FONDÉ ?

Mais nous estimerions que ce ne serait pas une solution satisfaisante si la Cour ne se prononçait que sur ce seul moyen, parce qu'il faut une solution pour d'autres problèmes d'une grande importance qui ont été soulevés comme moyens, cela dans l'intérêt de la paix juridique entre les parties, ainsi que pour faciliter le décompte définitif de la péréquation de la ferraille, ce à quoi d'une part la Haute Autorité et tous les utilisateurs de ferraille, d'autre part les requérantes en tant que sociétaires des organismes de Bruxelles, la Caisse et l'Office, ont un intérêt économique et juridique de premier plan. Rappelons que les coopératives qu'étaient la Caisse et l'Office sont entrées en liquidation, mais que manifestement, pour aucune période de décompte dans le passé, les créances et les dettes définitives des participants à la péréquation n'ont pas encore été constatées ou communiquées.

La question centrale, et qui, en définitive, est décisive pour les deux parties, est cependant celle de savoir si les décisions de la Haute Autorité sont fondées, c'est-à-dire si la Haute Autorité peut invoquer un droit au remboursement des prestations de péréquation envers les requérantes. C'est sur ce point qu'aboutissent les arguments les plus importants des requérantes qui ont été invoqués sous le titre général de «violation du traité». Comme nous l'avons vu, il s'agit là bien moins d'une violation des règles positives du traité que d'une violation des principes juridiques généraux sur le remboursement de prestations reçues à tort d'une administration.

1) La structure juridique et l'application pratique du système de péréquation prévoient-elles des prestations de péréquation en faveur des entreprises ?

Nous avons fait remarquer dès le début que pour le versement des prestations de péréquation il n'y avait pas eu d'avis spécial pour chaque cas particulier.

Tous les décomptes se faisaient, au contraire, sous forme d'une compensation à l'intérieur du bureau régional et, sur instruction de la DSVG, les entreprises ne payaient pas un prix plus élevé que le prix interne de la ferraille à leurs propres fournisseurs ou aux commerçants en ferraille dont elles n'avaient rien reçu. La DSVG procédait directement au règlement des bonifications de péréquation dans le cadre des décomptes globaux avec les négociants en ferraille. Cela a donné ainsi l'impression que les entreprises elles-mêmes n'avaient jamais été débitrices du prix total d'importation, mais qu'elles pouvaient avoir la garantie, par l'intermédiaire de l'Office commun et de la DSVG, de pouvoir acheter de la ferraille à un prix déjà réduit par la péréquation. Les requérantes n'ont pas manqué de relever cette circonstance et d'en déduire que, d'après la pratique du système de péréquation de la ferraille, la bonification de péréquation ne pouvait pas leur avoir été versée, même indirectement.

Cela touche ainsi le problème de la construction juridique de la péréquation de la ferraille, auquel les parties ont réservé une large place dans leurs explications. En fait, comme la Haute Autorité l'a exposé, on peut imaginer trois constructions :

a)

Importation individuelle de ferraille avec péréquation individuelle: l'entreprise consommatrice de ferraille bénéficie directement de la péréquation.

b)

Importation en commun de la ferraille par un organisme commun avec péréquation individuelle au profit des entreprises qui reçoivent la ferraille.

c)

Le mécanisme de péréquation assume la totalité des importations de ferraille; diminution du prix de la ferraille importée à l'aide du prélèvement de péréquation et redistribution aux différentes entreprises de la ferraille dont le prix est ainsi réduit. (En ce cas, il n'y a pas de place pour une péréquation individuelle.)

Laquelle de ces procédures a été prise comme base des décisions et, ce qui est important, appliquée en pratique?

On ne peut nier que certaines formules de l'exposé des motifs, surtout de la décision 14-55, penchent en faveur de la dernière de ces trois constructions et, pour leur part, les requérantes estiment que c'est bien le cas, notamment lorsqu'il y est dit :

«considérant que la condition d'un approvisionnement régulier… en ferraille est que ces tonnages (c'est-à-dire la ferraille d'importation) soient mis à la disposition des utilisateurs du marché commun à des prix qui se rapprochent de ceux qui sont pratiqués à l'intérieur de la Communauté»;

ainsi que :

«considérant que les écarts dans les achats de ferraille à l'intérieur de la Communauté entre les prévisions et les réalisations…, ne peuvent être corrigés efficacement et rapidement que si le mécanisme de péréquation permet de disposer, à titre provisoire, d'un certain tonnage de ferraille importée, immédiatement disponible pour combler les déficits»;

et enfin :

«considérant que… les entreprises… affiliées à l'Office commun des consommateurs de ferraille doivent être en mesure d'acheter en commun dans les pays tiers les tonnages destinés à être mis ultérieurement à la disposition des utilisateurs… sous la responsabilité de la Haute Autorité».

De même, l'obligation des entreprises de verser des contributions nécessaires pour

«réunir les moyens nécessaires à l'achat de ferraille dans les pays tiers pour le compte de consommateurs à désigner ultérieurement…»

énoncée à l'article 2 de la décision 14-55 pourrait être invoquée en ce sens.

D'un autre côté, d'après les décisions, l'Office commun devait conduire les négociations sur les achats pour le compte commun, alors que les contrats d'achat devaient être conclus directement entre les vendeurs et les consommateurs, ou bien l'Office commun devait au besoin conclure les contrats pour le compte de destinataires à désigner ultérieurement. L'article 12 de la décision 2-57 a en outre décidé expressément que la Caisse fixe le montant qui est bonifié aux entreprises pour les quantités admises à la péréquation des prix.

Nous croyons donc que les décisions de la Haute Autorité ne sont pas conformes aux idées des requérantes sur la construction juridique de la péréquation de la ferraille.

Au contraire, toutes les décisions de la Haute Autorité sur la péréquation de la ferraille sont parties en principe de cette idée que la bonification de péréquation doit être réalisée de telle sorte que l'entreprise consommatrice de la ferraille bénéficie des montants de péréquation fixés par la Caisse. Ce principe s'applique sans doute lorsque la ferraille est importée directement par les consommateurs sur le territoire du marché commun, mais il en va de même lorsque cette ferraille est livrée sur le marché par l'Office commun par voie d'achat en commun dans le cadre du mécanisme de péréquation. Dans le dernier cas cité, celui de l'achat par la voie des négociations de l'Office commun pour compte commun, avec l'accord de la Caisse et pour des destinataires à désigner ultérieurement, il se produit des difficultés d'interprétation. En effet, les décisions ne désignent pas nettement le type juridique des contrats, ni la nature juridique du rôle des participants à la péréquation, ni leurs relations mutuelles. On peut donc penser à différents types: le contrat qui ne lie que l'Office commun avec redistribution de la ferraille au consommateur, dans le cadre du mécanisme officiel, par le bureau régional, ou le contrat de commission, l'Office commun ayant alors la situation de commissionnaire et le consommateur celle de commettant, cela avec les dérogations aux règles générales tolérées par la loi et les usages commerciaux sous forme d'entrée dans le contrat en qualité de contre-partie, ou avec garantie du commissionnaire; enfin, on pourrait penser à une action de l'Office commun en qualité de courtier ou d'agent commercial ou enfin en qualité de représentant des consommateurs, avec un pouvoir explicite de représentation.

Il en résulte aussi le conflit entre les parties sur le sens du texte des décisions et son importance pour les opérations d'exécution et de liquidation qui sont en cause dans ce procès.

Sans chercher, à ce point de notre exposé, à caractériser ces opérations sur le plan juridique, nous voudrions constater qu'on peut penser à des formes juridiques dans lesquelles les opérations d'achat obligeraient les consommateurs, tout au moins indirectement, c'est-à-dire comme commettants, ne serait-ce que vis-à-vis du commissionnaire. Mais, même en ce cas, la bonification de péréquation peut bénéficier aux consommateurs de ferraille eux-mêmes en ce sens que la Caisse assume une partie de leurs obligations en raison des rapports de commettant à commissionnaire.

Il n'est pas possible, d'après le texte des contrats globaux conclus par l'Office commun, de dire que la pratique du mécanisme de péréquation se soit écartée des principes juridiques des décisions. Et le système de compensation globale n'exclut pas non plus que les entreprises puissent être libérées ainsi d'une obligation, donc qu'elles puissent bénéficier indirectement aussi d'une prestation de la Caisse.

S'il est ainsi certain qu'en raison de la structure du mécanisme de péréquation et de sa mise en œuvre pratique les entreprises peuvent bénéficier d'une bonification de péréquation, cela entraîne les questions suivantes :

a)

Les requérantes ont-elles bénéficié en réalité d'une prestation de péréquation, c'est-à-dire ont-elles été libérées en fait d'une obligation?

b)

Cette prestation de péréquation a-t-elle eu lieu à tort parce que les conditions d'un droit à péréquation n'existaient pas?

c)

Un remboursement peut-il être exigé en tout cas, lorsqu'il est certain que les conditions pour le paiement n'étaient pas réunies ou ont disparu ultérieurement?

2) La ferraille visée par les certificats néerlandais pouvait-elle bénéficier de la péréquation ?

Nous aborderons l'étude de ces questions en examinant si les montants de péréquation qui ont été versés pour la ferraille couverte par les certificats néerlandais l'ont été à bon droit, c'est-à-dire si cette ferraille était ou non admise à péréquation.

On peut bien admettre que les quantités de ferraille que la Hansa a reçues de Hollande, et pour lesquelles ont été établis les certificats du ministère de l'économie, se composaient essentiellement de ferraille de la Communauté qui, en tant que telle, ne tombait dans aucune des catégories de ferraille sujette à péréquation qui sont énumérées dans les décisions (ferraille d'importation, ferraille de démolitions navales, autre ferraille onéreuse) ( 12 ).

La ferraille de démolitions navales est de la ferraille onéreuse au sens de la réglementation de la péréquation, parce que, pour être rentables, les frais de démolition exigent qu'une possibilité d'exportation soit prévue pour cette ferraille. Après délivrance d'une autorisation d'exportation, elle peut donc être vendue sur le marché mondial, dont les prix sont plus élevés. Elle peut donc être axée sur les prix des marchés mondiaux. Cette circonstance doit être relevée tout particulièrement: la possibilité d'exportation donne à la ferraille de démolitions navales le caractère de ferraille onéreuse.

D'après ce que nous avons entendu ici, l'usage s'est introduit dans le commerce de la ferraille de livrer de la ferraille communautaire à la place de la ferraille qui doit provenir de la démolition de navires et de la faire participer à la péréquation comme de la ferraille de démolitions navales, à condition que la ferraille de démolitions qui reste encore à récupérer soit vendue ultérieurement sur le marché à des prix internes. Cette procédure a été tolérée, compte tenu du fait que la démolition se prolonge souvent pendant une durée assez longue.

Certes, il est possible d'émettre des objections contre cette pratique, en raison des difficultés d'un contrôle sérieux lors de l'exécution de ces contrats. Mais il ne paraît pas impossible de garantir une exécution régulière de ces opérations et d'affirmer ainsi qu'elles sont licites. Dans ces cas exceptionnels, de la ferraille communautaire commune peut donc être considérée comme sujette à péréquation et bénéficier du droit à la péréquation, parce que la possibilité d'exportation est reportée sur elle.

A propos de la structure de la péréquation de la ferraille, nous avons exposé ci-dessus que les gouvernements ont décidé en 1954 de prévoir la possibilité d'exportation de la ferraille de démolitions navales lorsque l'Office commun ne l'achetait pas. Cet accord ne donnait pas une sorte d'autorisation générale d'exportation de la ferraille de démolitions navales. Au contraire, dans chaque cas particulier, l'administration nationale compétente doit délivrer une autorisation d'exportation, par application des dispositions nationales, pour que la ferraille de démolitions puisse sortir de la Communauté et être expédiée sur le marché mondial. Il en résulte que la délivrance de l'autorisation d'exportation, soit pour la ferraille de démolitions navales, soit pour la ferraille qui en tient lieu, a la valeur d'un acte administratif constitutif de droits, non seulement pour l'exécution des opérations de commerce extérieur, mais aussi pour l'admission de la ferraille en cause au bénéfice de la péréquation.

C'est à partir de cette situation juridique que les certificats néerlandais en cause doivent être examinés, et il faut se demander s'il s'agit uniquement de documents probatoires qui certifient une certaine provenance de la ferraille à livrer ou bien d'actes administratifs constitutifs de droits qui concèdent une autorisation d'exportation.

Permettez-moi de citer pour cela le texte de l'un des certificats :

«En réponse à votre demande, je vous informe que d'après les renseignements que je possède, vous pouvez demander des licences d'exportation jusqu'à concurrence de… t de ferraille d'acier provenant de la démolition du navire… J'attire votre attention sur le fait que cette quantité de ferraille ne peut être exportée vers un pays qui n'est pas membre de la C.E.C.A. avant d'avoir été offerte à l'Office commun des consommateurs de ferraille (O.C.C.F.) à Bruxelles; l'offre doit avoir été refusée.»

Nous désirerions faire remarquer que l'expression allemande «in Anspruch nehmen» a pour correspondant dans le texte hollandais «ontlenen». Cette nuance ne doit pas être oubliée pour rechercher le sens des certificats. Elle me semble importante, parce qu'elle veut sans doute dire que ce n'est pas l'exportation de la ferraille de démolitions elle-même qui est autorisée, mais que des droits d'exportation peuvent être déduits de la démolition, par exemple pour de la ferraille de remplacement à la place de la ferraille de démolitions.

Le texte de ces certificats ne laisse pas précisément supposer qu'il ne s'agit là que de certificats d'origine. Si c'était uniquement la provenance d'un lot de ferraille qui aurait dû être certifiée ou le fait que certaines quantités de ferraille pouvaient être attendues de la démolition d'un navire, ces certificats n'auraient pas dit : «… vous pouvez réclamer des autorisations d'exportation.» Le fonctionnaire hollandais van der Grift, qui a fait les certificats, a dit aussi, au cours de la procédure pénale, qu'il avait établi des certificats d'origine de pays tiers dans lesquels était conféré le droit d'exporter de la ferraille de pays tiers ( 13 ).

C'est toutefois en contradiction avec ce que le supérieur hiérarchique de van der Grift, Balfoort, a dit dans le même procès sur la procédure de délivrance des autorisations d'exportation ( 14 ).

D'après cela, si l'Office de Bruxelles, après présentation des certificats de van der Grift, n'a pas acheté la ferraille en cause, le propriétaire de ferraille pouvait déposer auprès de l'Office central d'importation et d'exportation, qui dépend du ministère de l'économie, une demande de délivrance d'une autorisation d'exportation, accompagnée d'un certificat de van der Grift. Toutefois, nous conservons sur cette procédure certains doutes que l'exposé des parties et le dossier du procès ne permettent pas d'écarter.

Si nous partons de l'idée que les certificats néerlandais sont des actes administratifs constitutifs de droits qui accordaient une autorisation d'exportation, il faut se demander quelle influence exerce sur leurs effets juridiques le fait que les conditions fixées pour leur délivrance n'étaient pas réunies dans le cas présent.

«Les actes administratifs qui certifient quelque chose ne contiennent aucune disposition sur une situation juridique, ils ne fondent rien, ils ne changent rien. Il sont uniquement destinés à être des moyens de preuve… Cependant, la preuve de leur inexactitude peut toujours être apportée ( 15 ).»

Par contre, les actes administratifs créateurs de droits ne sont sans importance que lorsqu'ils sont nuls dès l'origine ou lorsqu'ils sont annulés rétroactivement. En l'espèce, cela veut dire que si les certificats néerlandais ne sont ni nuls, ni annulés, le mécanisme de péréquation ne peut négliger leur effet juridique qui consiste précisément à rendre possible son exportation et, par conséquent, son passage sur le marché mondial avec ses prix plus élevés.

Les certificats disent ceci : «Vous pouvez demander des droits d'exportation provenant de la démolition», bien que les conditions prescrites pour cela n'aient pas été réunies, c'est-à-dire en dépit du fait que les destinataires des certificats n'avaient pas à leur disposition la quantité indiquée de ferraille de démolitions. Mais le fonctionnaire qui établissait ces certificats était compétent pour le faire et aucune règle de forme n'a été violée.

La question de la validité juridique des certificats relève exclusivement du droit hollandais. Nous nous sommes efforcés d'étudier la doctrine juridique hollandaise et nous croyons y avoir trouvé des principes semblables à ceux du droit administratif allemand. Si les conditions de fait et de droit pour qu'un acte administratif soit pris font défaut, ou si cet acte administratif est entaché d'une violation de droit, il peut cependant être considéré provisoirement comme valable ( 16 ).

Ce n'est que pour des fautes très graves ( 17 ) et, pour certains auteurs même, pour des fautes extrêmement importantes et très manifestes ( 18 ) que la nullité d'une décision est admise. Dans une étude sur les nullités administratives parue en novembre 1946 dans la revue «Bestuurswetenschappen» ( 19 ), l'auteur expose que la nullité d'un acte administratif ne doit être admise que dans des cas extrêmes.

Sur la base de cette doctrine de droit administratif, il est donc impossible de partir dans le cas présent de l'idée que les actes administratifs hollandais sont nuls ipso jure et n'ont eu aucun effet juridique. Les cas de vices graves qui ont été mentionnés et que les différents auteurs avaient en vue quand ils proposaient la nullité d'un acte administratif n'existent pas en l'espèce. Il s'agit ici seulement d'un acte administratif qui a été pris alors qu'en l'espèce les conditions du droit public national n'étaient pas réunies. Mais c'est un vice de fond qui ne peut conduire qu'à l'annula-bilité, c'est-à-dire à la révocation de l'acte administratif. Pour autant qu'on puisse le voir, l'administration hollandaise compétente n'a pas révoqué jusqu'à présent cet acte administratif. Le fonctionnaire hollandais n'a pas été condamné pour l'établissement de faux certificats, mais seulement pour corruption d'après l'article 363 du Code pénal hollandais.

Si l'on suit la thèse, que nous estimons défendable, que les certificats néerlandais sont des actes administratifs constitutifs de droits dans une procédure d'exportation, on aboutit au résultat suivant: la ferraille qui a fait l'objet des certificats a reçu et conservé, du fait de ces derniers, le caractère de ferraille de pays tiers. Elle était donc susceptible de péréquation au sens des décisions. C'est donc à bon droit que les organes administratifs, y compris la DSVG, ont admis dans ces cas-là la ferraille à la péréquation et ont accordé des bonifications. Mais alors, la condition principale pour un droit à remboursement des institutions de péréquation fait défaut.

3) Les requérantes ont-elles reçu des prestations de péréquation ?

Si l'on n'admet pas cette thèse, la question se pose alors de savoir si les autres conditions d'un droit à remboursement sont réunies. Il faut alors examiner si les requérantes ont bénéficié en fait de la prestation de péréquation. Cette question nous mène dans le domaine du droit privé, car, comme nous l'avons déjà affirmé, on peut tout au plus envisager l'existence d'une attribution indirecte par l'exemption d'une obligation. Nous sommes donc contraints de nous demander quelle doit être la nature des rapports juridiques entre les requérantes, la DSVG, l'Office commun et les fournisseurs de ferraille. On sait que le litige entre les parties porte au premier chef sur le point de savoir si les requérantes sont obligées directement envers les fournisseurs de ferraille en vertu des contrats d'achat passés par l'Office commun, c'est-à-dire en tant qu'entreprises représentées par l'Office commun, ou si elles étaient seulement en relations juridiques avec ce dernier (et son auxiliaire, la DSVG). Il faut examiner cette question à l'aide des documents produits (conventions globales, dispositions générales du contrat, lettres de confirmation, factures, etc.).

A — NATURE DES RELATIONS JURIDIQUES ENTÉE LES REQUÉRANTES, L'OFFICE COMMUN ET LES FOURNISSEURS DE FERRAILLE

Nous devons reconnaître qu'il est difficile de la résoudre sans difficultés. Les difficultés d'interprétation sont encore aggravées par le fait que nous avons à faire ici à des rapports juridiques qui, au sens du droit des conflits de loi, permettent de les rattacher à plusieurs ordres juridiques: l'Office commun est une société de droit commercial belge dont le siège social est à Bruxelles, alors que la Hansa, les requérantes et la DSVG sont des sociétés de droit commercial allemand dont le siège est situé en Allemagne. Nous croyons toutefois ne pas devoir entrer jusque dans les détails de cette question de droit international privé. Les questions en litige ne touchent que les ordres juridiques allemand et belge. Il suffit donc, à notre avis, de constater si l'appréciation des faits en cause nous conduirait aux mêmes résultats dans les deux droits. Il semble que ce soit le cas.

Toute une série de points de vue est en faveur de la thèse qui consiste à n'admettre l'existence de contrats de vente qu'entre la Hansa et l'Office commun et à qualifier par contre de commission ou de situation analogue les rapports entre les requérantes et l'Office commun.

Dans les contrats globaux, il est dit : «Nous (c'est-à-dire l'Office commun) avons enregistré ferme l'achat», ou bien «Nous confirmons l'achat». Les clauses du contrat disent ceci :

«L'achat se fait sur ordre et pour compte d'entreprises à désigner ultérieurement.

Les bureaux régionaux sont en droit de déterminer les entreprises destinataires.

Nous (c'est-à-dire l'Office commun) nous réservons de résoudre le contrat ou de réclamer des dommages-intérêts.

Le contrat ne doit pas être cédé à des tiers sans l'autorisation préalable de l'O.C.C.F.»

Enfin, il est question, dans une clause, de la «renonciation à l'achat de l'O.C.C.F.» et de «reprise par le bureau de Bruxelles».

Les documents produits par les parties après la fin de la procédure écrite prouvent que la Hansa a toujours adressé des factures pour la livraison de la ferraille à la DSVG (que nous considérons comme un organisme du mécanisme de péréquation). De son côté, la DSVG a envoyé aux entreprises des états de leurs dettes totales et les a invitées à les payer à la Hansa. Dans les lettres de la DSVG aux entreprises, un passage fait toujours remarquer que la DSVG disposera des sommes réclamées jusqu'à un certain moment.

Enfin, certaines entreprises (comme «Bochumer Verein für Gussstahlfabrikation», «Gussstahlwerk Gelsenkirchen», «Gussstahlwerk Witten», «Ruhrstahl AG», «Niederrheinische Hutte») ont indiqué dans leurs virements qu'elles agissaient sur ordre de la DSVG.

Il résulte de quelques autres clauses des contrats que les entreprises destinataires ont certains droits directs à l'encontre de la Hansa (ce qui ne veut d'ailleurs pas nécessairement dire que ces entreprises ont la situation juridique d'un acheteur dans leurs rapports avec la Hansa) :

L'entreprise destinataire a droit à des dommages-intérêts et au remboursement des frais dans certains cas.

Si la marchandise n'est pas conforme à la qualité convenue, l'entreprise destinataire adresse une réclamation au fournisseur.

Les faux frais résultant d'une livraison de lots de ferraille à partir de l'entrepôt ne doivent pas être payés par les entreprises destinataires.

Au cours des débats, la Haute Autorité a attiré l'attention sur certaines lettres de confirmation ou de commande que les entreprises ont adressées à la Hansa et, inversement, la Hansa à certaines entreprises.

Les lettres des entreprises à la Hansa disent ceci : «En nous référant à l'attribution de la DSVG, nous vous commandons par la présente» ou bien : «Nous prenons du navire AEIKA ce qui suit» ou bien : «Nous confirmons vous avoir acheté». De son côté, la Hansa a confirmé à la plupart des entreprises «la vente de tant ou tant de tonnes de ferraille». Ces lettres prennent leur véritable portée pour l'appréciation juridique si on lit les réponses de la Hansa à certaines de ces confirmations d'achat. Je désirerais vous donner lecture du texte complet de certaines d'entre elles, adressées à la société «Hüttenwerke Oberhausen».

Dans sa lettre du 9 janvier 1957 :

«Nous avons reçu votre lettre de confirmation du 28 décembre 1956 relative à 1000 t de ferraille d'aciérie, votre vente no 944.

Uniquement pour le bon ordre, nous vous faisons remarquer que le prix que vous nous indiquez n'est pas déterminant pour nous. Il en est de même pour les autres conditions d'achat.

Les dispositions du contrat de Bruxelles sont déterminantes pour nous, car nous avons conclu directement avec l'O.C.C.F.»

Des réserves analogues se trouvent dans les lettres du 29 janvier 1957 et du 14 février 1957, où il est dit :

«Nous vous remercions pour votre confirmation du 9 courant et, pour le bon ordre, nous désirerions vous faire remarquer que le prix que vous nous indiquez de 170 DM/t repose uniquement sur une convention interne entre la DSVG et vous.

Nos créances de prix se basent sur le contrat passé avec l'O.C.C.F.»

Et dans la lettre de la Hansa du 6 novembre 1956 :

«Nous avons reçu votre lettre de confirmation du 2 courant relative à notre vente no 940.

Uniquement pour le bon ordre, nous vous communiquons que nous avons vendu ces matériaux à l'O.C.C.F. à Bruxelles et que, par conséquent, les conditions de cet organisme sont déterminantes pour nous.»

Il en résulte indubitablement l'idée que la Hansa se faisait de ces relations juridiques et quelle signification juridique on pourrait donc donner aux lettres que nous venons de citer. Les destinataires de ferraille s'y déclarent prêts à prendre livraison de la ferraille attribuée par la Hansa. On ne peut y voir de conclusion spéciale de contrats d'achat.

La commission est définie de façon identique dans les droits commerciaux allemand et belge ( 20 ). En outre, la jurisprudence et la doctrine ont précisé certains points. C'est ainsi que l'on trouve dans le «Kommentar der Reichsgerichtsräte» sur le Code de commerce des remarques sur la commission qui sont particulièrement intéressantes ici :

Le commissionnaire devient créancier, même lorsque le tiers savait que le commissionnaire agissait par ordre et pour le compte du commettant ( 21 ).

La circonstance que le commissionnaire a désigné son mandat, que la marchandise doit être envoyée directement au mandant, ou que l'acheteur (dans le cas d'une commission de vente) doit payer directement au commettant, ne joue pas de façon décisive en faveur de l'existence d'une procuration ( 22 ).

Le commettant peut faire la prestation directement à l'autre partie ( 23 ).

Le commissionnaire peut convenir avec le commettant que les droits contre les vendeurs n'appartiendront jamais au commissionnaire, mais doivent être depuis le début des droits du commettant ( 24 ).

Permettez-moi de vous citer encore deux passages du droit belge extraits du «Traité de droit commercial belge» de Frédériq :

«… on peut dire que la commission est une variété du mandat, qui se distingue du contrat de droit commun par les différences suivantes :

a)

Le mandataire contracte pour compte et au nom de son mandant, tandis que le commissionnaire agit pour compte du mandant, mais en son nom personnel…» ( 25 ).

«Même si le tiers sait que son cocontractant agit pour un commettant, cette circonstance n'empêche pas la commission d'exister…» ( 26 ).

La circonstance que certains droits naissent dès l'origine dans la personne du commettant et que les prestations doivent être échangées directement entre le tiers et le commettant ne joue donc pas contre la thèse d'un rapport de commission.

Mais si celui pour compte duquel l'achat a eu lieu doit devenir directement partie au contrat de vente, il est alors nécessaire que l'intermédiaire (en l'espèce l'Office commun) agisse en son nom et avec son pouvoir. Il doit être clair que toutes les conséquences juridiques du contrat doivent atteindre le représenté ( 27 ) ou, comme Frédériq le dit :

«Pour qu'il soit mandataire à l'égard de son cocontractant, il faut que l'intermédiaire déclare positivement et expressément au nom de qui il traite» ( 28 ).

L'acheteur n'a pas à admettre sans plus que celui qui se présente comme vendeur et qui travaille pour le compte d'un tiers conclut l'opération au nom de ce dernier ( 29 ).

Car l'usage de la formule que le mandataire agit pour le compte du mandant ne permet pas seulement de penser qu'il agissait au nom du mandataire ( 30 ).

Notamment, dans le mandat d'acheter quelque chose, il n'y a pas nécessairement l'octroi d'un pouvoir de représentation ( 31 ).

Dans le cas d'espèce, il s'y ajoute encore qu'au moment de la conclusion de contrats globaux d'achat, on ne savait pas encore avec certitude à qui les livraisons devaient être faites.

Pour utiliser la terminologie juridique allemande, on ne pourrait parler que d'une opération «pour le compte de qui il appartiendra». A ce sujet, on peut lire dans le «Commentaire sur le Code civil allemand» de Soergel que :

«La volonté de conclure avec qui il appartiendra ne doit être admise en règle générale chez le tiers qu'en cas d'exécution immédiate du contrat ( 32 ).

Pour les objets assez importants, la personne du cocontractant présente de l'importance et il n'y a pas lieu d'admettre qu'il y a un contrat pour le compte de qui il appartiendra» ( 33 ).

Nous avons déjà indiqué qui le tiers, en l'espèce la Hansa, considérait comme son véritable cocontractant.

En conséquence, on ne peut admettre que l'Office commun agissait en qualité de représentant et qu'il obligeait directement les requérantes envers la Hansa par les contrats d'achat.

Une déclaration expresse de ce genre fait défaut, et les circonstances également n'indiquent pas avec une clarté suffisante une telle intention. Elles jouent plutôt en sens contraire.

En outre, les requérantes contestent avoir jamais donné explicitement ou tacitement un pouvoir. En l'espèce, rien ne parle non plus en faveur de l'existence d'une tolérance ou de l'apparence d'un pouvoir («Duldungs- oder Rechtsscheinvollmacht») au sens de la jurisprudence allemande.

Il ne reste donc comme conclusion qu'à constater que les contrats de vente avec la Hansa ne conféraient en principe de droit ou d'obligation qu'à l'Office commun. Les requérantes, face à l'Office commun, n'étaient que dans la situation d'un commettant par rapport au commissionnaire.

Les entreprises ne pouvaient donc être libérées de la dette du prix de vente par le paiement de la péréquation. Au contraire, seules les obligations provenant du rapport de commission sont en cause.

B — DANS LE CAS CONCRET; EXISTAIT-IL DES OBLIGATIONS DONT LES REQUÉRANTES DEVAIENT ÊTRE LIBÉRÉES?

En droit allemand et en droit belge, l'obligation principale du commettant est de rembourser au commissionnaire les frais qu'il peut considérer comme nécessaires en raison des circonstances ( 34 ) En fait partie aussi la libération des obligations que le commissionnaire a contractées ( 35 ).

Comme cela résulte des dispositions indiquées, cette obligation du commettant n'existe que dans des limites déterminées :

«Ce qui est nécessaire, ce n'est pas ce que le mandataire estime tel, mais ce qu'il est en droit de considérer comme tel, c'est-à-dire ce qu'il pourrait considérer comme nécessaire, sans faute de sa part, après avoir réfléchi raisonnablement et soigneusement» ( 36 ).

Et de même en droit belge :

«Le commettant doit couvrir le commissionnaire pour les obligations que celui-ci a contractées dans les limites de son mandat, et il doit l'indemniser des pertes essuyées à l'occasion de sa gestion…, si elles ne sont pas imputables à son imprudence» ( 37 ).

Des dispositions générales du contrat de l'Office, que les requérantes n'ont pas rédigé, il résulte que l'Office s'est réservé un droit de contrôle lors de la livraison de la ferraille de démolitions navales. A cela correspond une obligation envers le commettant de procéder à ces contrôles. Aucun usage n'a été fait de ce droit de contrôle dans les cas présents. On peut donc dire que le commissionnaire n'a pas satisfait à son devoir d'attention, que les dépenses de l'Office, c'est-à-dire la dette de prix d'achat, auraient pu être moins élevées si l'exécution du contrat avait été contrôlée soigneusement. Aussi peut-on soutenir la thèse qu'il n'existe pas d'obligation pour les entreprises de rembourser le plein montant des dépenses du prix d'achat convenu. Cela fait également tomber l'obligation dont la Caisse entendait libérer les requérantes par ses versements de péréquation aux fournisseurs de ferraille. D'après les règles du droit de l'enrichissement sans cause, le prestataire, dans un pareil cas, c'est-à-dire lorsque sa propre obligation à prestation envers le bénéficiaire et lorsque la dette de ce dernier envers le destinataire de la prestation n'existaient pas, ne peut s'adresser directement qu'au destinataire de la prestation, mais non au débiteur présumé ( 38 ).

Pour ce motif également, la créance en remboursement des montants de péréquation contre les entreprises devrait être déclarée illégale et les décisions de la Haute Autorité devraient être annulées.

4) Le droit à remboursement de la Haute Autorité est-il exclu, même si ses conditions sont remplies ?

Au sujet des trois conditions mentionnées ci-dessus pour le droit à remboursement, il reste finalement encore à traiter la question de savoir si le droit n'est pas exclu, même lorsque ses conditions, c'est-à-dire l'absence du droit à péréquation et l'enrichissement des requérantes, existent. Bien que nous n'examinions cette question qu'à cet endroit de nos conclusions, elle a pourtant, à notre avis, une importance primordiale pour l'arrêt à rendre. La solution à lui apporter est même de nature à faire apparaître comme superflue une partie de l'exposé que j'ai fait ci-dessus pour suivre les parties. Mais dans l'intérêt d'un examen approfondi de tous les problèmes qui se posent, nous n'avons pas cru devoir renoncer aux remarques précédentes.

En essayant de ranger dans les catégories bien connues du droit administratif national les actes juridiques qui se sont produits dans le cadre du mécanisme de péréquation, on en vient à cette constatation que tout versement de bonifications de péréquation, qui constituent des subventions de droit public, implique un acte administratif dans lequel l'existence d'un droit à péréquation est constaté après examen des conditions de son existence.

Comme nous l'avons déjà exposé, dans ce procès tout au moins, nous ne trouvons nulle part un acte exprès de ce genre. Mais cela n'exclut pas que de tels actes aient été faits tacitement par la Caisse ou par son organisme auxiliaire, la DSVG, mais avec effet pour les requérantes. Ils constituaient la cause juridique du versement de la bonification de péréquation dans chaque cas d'espèce. En réalité, il s'agit donc de savoir si ces actes pouvaient être révoqués rétroactivement à l'égard des bénéficiaires et, par conséquent, si les droits à remboursement pouvaient être fondés.

Il est possible de voir une révocation dans les lettres de la Haute Autorité du 27 novembre 1958 qui invitent les requérantes à rembourser les bonifications de péréquation. A ce moment, la Haute Autorité avait déjà réorganisé le mécanisme de péréquation et retiré leurs pouvoirs à la Caisse et à l'Office commun, de sorte que ces organismes n'étaient plus en mesure de procéder eux-mêmes à cette révocation.

A — LÉGALITÉ DE LA RÉVOCATION D'ACTES ADMINISTRATIFS GÉNÉRATEURS DE DROITS SUBJECTIFS («BEGÜNSTIGENDE VERWALTUNGSAKTE») DANS LES DROITS NATION AUX

Il y a en droit administratif allemand beaucoup d'ouvrages et de jurisprudence sur la possibilité de révoquer les actes administratifs entachés d'un vice. Nous nous sommes efforcés, en outre, de jeter un regard sur le droit administratif français et néerlandais.

En ce qui concerne tout d'abord le droit administratif français, le droit à remboursement de l'administration ne semble être exclu totalement ou partiellement que lorsqu'une faute de service peut être reprochée à l'administration qui a procédé au paiement fait à tort ( 39 ). A défaut, ou si le bénéficiaire était de mauvaise foi, rien ne s'oppose à la créance en répétition.

En droit néerlandais, tout comme en droit allemand, il ne semble pas qu'il y ait une solution tout à fait uniforme et claire. Certaines idées fondamentales concordantes semblent néanmoins s'être formées. Nous ne serons pas assez hardis pour vous donner ici une image exacte de la doctrine et de la jurisprudence néerlandaise sur ces problèmes que la Cour connaît bien. Mais qu'il nous soit cependant permis de vous faire part des impressions que nous a données la lecture du droit administratif hollandais. Il nous semble possible de constater cette règle qu'en général un acte administratif générateur de droits subjectifs ne peut être révoqué avec rétroactivité, compte tenu du fait que dans l'intervalle l'intéressé a eu confiance dans la validité juridique de l'acte et qu'il a agi sur la base de ce dernier ( 40 ). En outre, ce qui semble déterminant, c'est la question de savoir si l'intéressé, ou un tiers pour lequel l'acte administratif était important, était de bonne foi ou bien s'il connaissait ou aurait dû connaître les défauts de l'acte administratif ( 41 ). Enfin, la jurisprudence néerlandaise connaît également l'idée que les intérêts doivent être mis en balance; les tribunaux se demandent ce qui nuit davantage à l'ordre public, le maintien de la décision entachée d'un vice dans l'intérêt du bénéficiaire ou sa suppression ( 42 ).

Ces considérations apparaissent aussi sous des formes différentes en droit administratif allemand. Elles conduisent à ce résultat: ou bien d'exclure, dans certains cas, la révocation des actes administratifs entachés d'une faute ou bien, dans d'autres cas, d'exclure sa rétroactivité.

C'est surtout dans les arrêts du tribunal administratif fédéral qu'à plusieurs reprises déjà la révocation a été déclarée illégale, lorsqu'il y a des intérêts prépondérants et dignes de protection de l'intéressé ( 43 ), lorsque l'administration a commis une faute grave ( 44 ), ou lorsqu'elle a commis une erreur ( 45 ). Parfois, tout au moins, c'est la rétroactivité qui a été exclue, motif pris de ce que la confiance mise par l'intéressé ( 46 ) doit être protégée ou lorsque celui-ci a des intérêts prépondérants ( 47 ), sauf lorsque l'intéressé lui-même a commis une faute ( 48 ). Et même, dans la doctrine administrative, les voix se multiplient pour n'admettre une révocation, à supposer même que ce soit possible, qu'avec un effet ex nunc, compte tenu de la protection à accorder à la confiance donnée ( 49 ).

B — APPLICATION DE CES PRINCIPES AU CAS D'ESPÈCE

Nous désirons recommander à la Cour d'adopter ces principes dans le cas d'espèce, et non pas seulement dans les limites étroites du droit administratif français qui exige une faute de l'administration pour exclure la révocation.

Pour autant que nous le sachions, toutes les opérations en cause sur la ferraille, y compris le paiement du prix d'achat et le versement de la péréquation, ont eu lieu en gros avant la découverte de l'affaire de corruption en Hollande. On peut se demander jusqu'à quel point d'autres intéressés étaient de bonne foi en ce qui concerne les actes illicites du fonctionnaire néerlandais et, par conséquent, le caractère fautif de la décision de péréquation de la Caisse: cependant, rien ne prouve que les requérantes, au profit desquelles des prestations avaient été faites en vertu des certificats (et qui appartiennent donc aussi au groupe des personnes touchées par les actes administratifs néerlandais) étaient ou non au courant de ce qui se passait réellement. Remarquons notamment ici que, dans aucun des avis d'attribution qui leur ont été notifiés, il n'était question de ferraille de démolitions navales, si bien que les requérantes n'avaient aucune raison de veiller à cette particularité de la livraison. En ce qui concerne les certificats hollandais, les requérantes ne les avaient même pas vus. Les certificats ont été présentés par la Hansa à la DSVG et acceptés par l'Office commun après conversation téléphonique. Les requérantes n'avaient donc aucune possibilité de contrôler la provenance de la ferraille (dans la mesure où elle présentait de l'importance pour le bénéfice de la péréquation) et la véracité interne des certificats.

Pour ce motif, on ne peut donc faire retomber à leur charge le caractère fautif des ordres de versement primitifs.

D'un autre côté, il faut s'en tenir au fait que la préparation et l'exécution des contrats d'achat litigieux, y compris le versement des montants de péréquation qui se faisait directement aux fournisseurs, relevaient exclusivement du domaine de responsabilité du mécanisme de péréquation. Comme nous l'avons déjà mentionné, dans les dispositions générales du contrat, l'O.C.C.F. a réservé à la Caisse le droit de procéder à des contrôles sur la provenance de la ferraille lors des livraisons de ferraille de démolitions navales. A notre connaissance, dans le cas présent, ces contrôles n'ont pas eu lieu, même pas par sondage, avant que la livraison de la ferraille ait été autorisée et que les bonifications aient été versées.

Soulignons encore une fois ici que la conception de la Haute Autorité sur la structure de pur droit privé des opérations d'achat n'est pas exacte. Dans le cadre du mécanisme de péréquation, le bureau de Bruxelles avait sur la ferraille d'importation et autres ferrailles onéreuses sinon un monopole juridique, tout au moins un quasi-monopole de fait. Seule était susceptible de bénéficier de la péréquation la ferraille qui avait été déclarée telle sur proposition de l'Office commun. La ferraille onéreuse, avant d'être exportée, devait être offerte à l'Office commun. Cette circonstance modifie dans une mesure importante le rapport de commission qui avait été choisi d'un point de vue de pure technique juridique pour régler les rapports avec les consommateurs de ferraille. A côté de conditions accessoires de livraison, telles que lieu, date, etc., le pouvoir des requérantes en qualité de commettantes de donner des instructions à l'Office commun en qualité de commissionnaire se limitait essentiellement à accepter les offres de vente de la ferraille et à examiner si la ferraille était susceptible de péréquation. Cela veut dire que le commissionnaire, sous sa propre responsabilité, avait à proposer à la Caisse la péréquation et, après sa réponse affirmative, à accepter les offres du tiers. Les requérantes donnaient donc uniquement connaissance de leurs besoins en ferraille et recevaient des attributions sans avoir pu exercer une influence plus grande sur les affaires. Cela résulte aussi de la réponse de la Haute Autorité aux questions de la Cour :

«Chaque mois, l'Office commun était informé des besoins globaux en ferrailles d'importation des entreprises. Ces informations se fondaient sur des informations que les entreprises transmettaient à la DSVG, pour lui communiquer régulièrement leurs besoins de telles ferrailles. L'Office commun procédait comme il l'entendait aux achats particuliers pour couvrir ces besoins en ferrailles.»

L'Office commun était donc le maître de l'affaire dans les contrats d'achat. Il faut rejeter la thèse que les consommateurs eux-mêmes auraient été les véritables maîtres de l'affaire en raison de leurs relations avec la DSVG. D'un point de vue juridique, il n'importe pas que les requérantes aient eu les droits d'un sociétaire dans la DSVG; elles sont également représentées en qualité de membres dans les coopératives de Bruxelles sans que cette circonstance ait changé quelque chose à l'indépendance et à la responsabilité juridique des sociétés de Bruxelles.

Il est donc manifeste que les décisions essentielles sur l'approvisionnement en ferraille et sur la péréquation ont été prises par l'Office commun et par la Caisse de Bruxelles. Mais il est aussi manifeste que des tâches de péréquation relevant du droit public ont été confiées à la DSVG en tant que bureau régional pour la République fédérale. Nous renvoyons à ce sujet aux réponses écrites de la Haute Autorité, du 17 novembre 1959, et des requérantes, du 15 novembre 1959, dont il résulte manifestement une collaboration de la DSVG avec les sociétés de péréquation de Bruxelles (acceptation des offres de vente, affectation aux acheteurs pour l'Office commun, perception et gestion des prélèvements, utilisation des prélèvements pour les bonifications de péréquation et virements aux bureaux régionaux dans d'autres pays pour la Caisse).

Rien ne permet de penser que le transfert des tâches ci-dessus des mécanismes de péréquation à la DSVG dans le cadre de la péréquation totale révèle des défauts. La Cour a admis la régularité d'une délégation limitée de pouvoirs que l'article 53, b, du traité a confiés à la Haute Autorité pour créer le mécanisme de péréquation. Compte tenu de la pratique, qui s'est poursuivie pendant plusieurs années, de faire appel en tant qu'organismes auxiliaires aux bureaux régionaux pour la péréquation, ce qu'on peut même déduire de l'exposé de la Haute Autorité, la responsabilité pour les agissements de la DSVG doit incomber au mécanisme de péréquation, et, par conséquent, à la Haute Autorité. On peut se dispenser de se demander si une véritable faute peut être reprochée à l'Office commun ou à la Caisse, compte tenu du caractère fautif des opérations. A notre avis, cela n'est pas important. Les requérantes ne demandent une telle constatation qu'à titre subsidiaire pour motiver des prétentions pécuniaires qu'elles invoquent aux fins de compensation. Lors de l'appréciation des faits et de la mise en balance des intérêts, il faut en tout cas tenir compte, à la charge de la Haute Autorité, des circonstances objectives qui ont été énoncées.

Il s'y ajoute encore ceci: il s'agit, dans ce procès, du rétablissement d'une situation légale par le remboursement de certaines sommes, donc d'une réglementation de questions financières. L'alternative réellement décisive est donc celle-ci: la charge et le risque de l'exercice de droits de recours de nature civile doivent-ils retomber sur les requérantes ou sur le mécanisme de péréquation? La Haute Autorité part elle-même de l'idée que les entreprises ne doivent pas supporter définitivement le dommage résultant de l'affaire de corruption.

Comme nous l'avons vu, les requérantes ne sont en relations directes qu'avec l'Office commun. L'Office commun a tout au plus des droits découlant du contrat d'achat avec les fournisseurs de ferraille. En raison de la structure présente du rapport de commission sur lequel nous venons d'insister, et compte tenu de l'attente légitime des consommateurs qui pouvaient espérer n'acquérir par le canal du mécanisme de péréquation que de la ferraille admise à la péréquation, c'est à bon droit que nous pourrions envisager l'existence d'une obligation de garantie de l'Office pour ses rapports avec les consommateurs dans le sens de l'obligation de ducroire du commissionnaire. Tout au moins, il n'est pas possible d'admettre que l'Office commun avait le droit de se décharger de sa propre responsabilité pour les opérations d'achat en cédant aux requérantes ses droits de recours contractuels contre les fournisseurs de ferraille et de les inviter à les faire valoir en justice. Au contraire, l'Office était obligé envers les requérantes de les mettre dans la même situation que si un droit de garantie en vertu du contrat de vente avait déjà été exercé avec succès contre les fournisseurs de ferraille.

Compte tenu de cette situation des faits et des intérêts, il apparaît tout à fait équitable que le règlement des irrégularités passées ait lieu à l'exclusion des requérantes dans le cadre du mécanisme de péréquation où l'Office commun et la Caisse collaborent et que le mécanisme de péréquation y procède contre les responsables primitifs.

L'hypothèse théorique que cette voie, ainsi que la mise en cause des vrais responsables de l'affaire d'escroquerie et de ses conséquences n'aboutissent pas à une indemnisation nous amène, pour nous résumer, à envisager cette considération générale d'équité: les dommages causés doivent-ils être supportés par les sociétaires de l'Office commun et de la Caisse, sociétés commerciales, ou par l'ensemble des entreprises participant à la péréquation de la ferraille avec le prélèvement et le droit à péréquation, ou bien par la Haute Autorité responsable du mécanisme financier selon l'article 53, b — trois hypothèses entre lesquelles ce procès n'a pas à choisir —, ou bien par les entreprises requérantes qui n'avaient aucune possibilité d'éviter ce dommage?

Ces remarques faites, et compte tenu du principe de la bonne foi qui n'est pas exclu en droit administratif, il ne nous semble pas difficile de trouver une solution juste: dans le cas d'une révocation rétroactive des actes administratifs, les intérêts dignes de protection des entreprises requérantes seraient touchés dans une mesure beaucoup plus grande que ne le seraient, dans le cas contraire, en cas d'exclusion de la révocation ou de rétroactivité de celle-ci, les intérêts du mécanisme de péréquation et, par conséquent, ceux de la Haute Autorité, donc des intérêts communs.

Pour ces raisons, il nous semble impossible de défendre la révocation des versements de péréquation et leur répétition.

V — PROPOSITION DE DÉCISION

Sans qu'il y ait lieu d'entrer dans l'examen de la question de l'identité de la ferraille et dans celui des déclarations de compensation des requérantes, nous en venons donc aux conclusions suivantes :

Les recours sont recevables et bien fondés.

a)

Les décisions attaquées ne sont pas suffisamment motivées.

b)

La répétition des versements de péréquation est illégale,

1o

Parce que la ferraille en question était susceptible de bénéficier de la péréquation tant que les certificats d'exportation hollandais n'ont pas été annulés;

2o

Parce que les décisions de versement ne peuvent être révoquées, compte tenu de la confrontation des intérêts des participants et du fait que les fautes qui se sont produites tombent complètement dans le domaine de responsabilité des mécanismes de péréquation;

3o

Parce que les entreprises requérantes ne se sont pas enrichies du fait de la libération d'une obligation.

Les décisions attaquées de la Haute Autorité doivent donc être annulées et la Haute Autorité doit être condamnée aux dépens.


( 1 ) BGBI., I, p. 844.

( 2 ) 22-54, 14-55 et 2-57.

( 3 ) Séance du Conseil de ministres du 6 mars 1953.

( 4 ) Séance du Conseil de ministres des 27 et 28 juillet 1954.

( 5 ) Cf. articles 57 et 70 du traité.

( 6 ) Recueil, t. IV, p. 241.

( 7 ) Journal officiel, p. 431.

( 8 ) Recueil, t. 11. p. 305.

( 9 ) Waline, Droit administratif, 7 e édition, p. 446, 467.

( 10 ) Voir aussi: v. Rosen v. Hoewel, Kommentar zum Verwaltungsvollstreckungs-gesetz, 1953. note 11, sous § 2.

( 11 ) Recueil, t. V, p. 114; voir aussi les arrêts 2-56 (Recueil, t. III, p. 37) et 9-56 (Recueil, t. IV, p. 29).

( 12 ) Cf. article 1 er de la décision 14-55.

( 13 ) P. 13 de l'annexe 12, a, du mémoire en défense.

( 14 ) P. 5 de l'annexe 12, a, du mémoire en défense.

( 15 ) Forsthoff, Lehrbuch des Verwaltungsrechts, 7e éd., p. 193 et s.

( 16 ) Stellinga, Grondrekken van het Nederlands Administratiefrecht, p. 210; Kranenburg, Beel, Donner et autres, Nederlands Bestuursrecht, 1953, I, p. 249.

( 17 ) Stellinga, loc. cit., p. 205; van der Pot, Nederlands Bestuursrecht, p. 206.

( 18 ) Vegting, Administratiefrecht, p. 251, 258; Kranenburg et autres, loc. cit., p. 234.

( 19 ) Prof. A. M. Donner, p. 18.

( 20 ) Cf. Frédériq, Traité de droit commercial belge, 1946, I, p. 299.

( 21 ) § 383, note 21.

( 22 ) § 383, note 15.

( 23 ) § 396, note 12.

( 24 ) § 392, note 2, b.

( 25 ) P. 297.

( 26 ) P. 300.

( 27 ) Soergel, Kommentar zum BGB, § 164, note 2.

( 28 ) Loc. cit., p. 301 (Gand, 28-11-24, Pas 1925. II, 44).

( 29 ) Soergel, loc. cit., § 164, note 4.

( 30 ) RGR-Kommentar zum HGB, § 383, note 15.

( 31 ) Soergel, loc. cit., § 167, note 4 (RGLZ 28, 1065).

( 32 ) § 164. note 4.

( 33 ) § 164, note 3.

( 34 ) § 670 BGB; § 396 HGB; Frédériq, loc. cit., I, p. 320.

( 35 ) RGR-Kommentar, § 670 BGB.

( 36 ) RGR-Kommentar, § 670 BGB, note 5.

( 37 ) Frédériq, loc. cit., I, p. 321.

( 38 ) Cf. RGR-Kommentar zum BGB, § 812, note 4, c.

( 39 ) Waline, Droit administratif, p. 561 et s.; Conseil d'État, 1-7-1904, Recueil, p. 536, 18-6-1937, Recueil, p. 608.

( 40 ) Voir Donner, loc. cit., p. 6, 21, 22; Kranenburg et autres, loc. cit., p. 231; van der Wel, Administratiefrechtelijke Nulliteiten. p. 105, 158.

( 41 ) Voir Donner, loc. cit., p. 10-11, 22; Kranenburg et autres, loc. cit., p. 227.

( 42 ) Voir Donner, loc. cit., p. 17.

( 43 ) BVerwG, DOeV 58, 178; DOeV 57, 912; de même OVG Berlin, DVBI. 57, 503.

( 44 ) BVerwG, DOeV 57, 912.

( 45 ) De même OVG, Berlin, DVBI. 57, 503.

( 46 ) BVerwG, DOeV 57, 911.

( 47 ) BVerwG, DOeV 58, 178.

( 48 ) BVerwG, DOeV 57, 911.

( 49 ) Nebinger, Verwaltungsrecht, p. 219; Jellinek, Lehrbuch des Verwaltungsrechts, p. 287; Haueisen, DVBI. 57, 503.

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