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Document 62022CJ0066

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 21 décembre 2023.
    Infraestruturas de Portugal SA et Futrifer Indústrias Ferroviárias SA contre Toscca - Equipamentos em Madeira Lda.
    Renvoi préjudiciel – Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2014/24/UE – Article 57, paragraphe 4, premier alinéa, sous d) – Passation de marchés publics dans le secteur des transports – Directive 2014/25/UE – Article 80, paragraphe 1 – Motifs d’exclusion facultatifs – Obligation de transposition – Conclusion par un opérateur économique d’accords en vue de fausser la concurrence – Compétence du pouvoir adjudicateur – Incidence d’une décision antérieure d’une autorité de la concurrence – Principe de proportionnalité – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif – Principe de bonne administration – Obligation de motivation.
    Affaire C-66/22.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:1016

    Affaire C‑66/22

    Infraestruturas de Portugal SA
    et
    Futrifer Indústrias Ferroviárias SA

    contre

    Toscca – Equipamentos em Madeira Lda

    (demande de décision préjudicielle, introduite par le Supremo Tribunal Administrativo)

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 21 décembre 2023

    « Renvoi préjudiciel – Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2014/24/UE – Article 57, paragraphe 4, premier alinéa, sous d) – Passation de marchés publics dans le secteur des transports – Directive 2014/25/UE – Article 80, paragraphe 1 – Motifs d’exclusion facultatifs – Obligation de transposition – Conclusion par un opérateur économique d’accords en vue de fausser la concurrence – Compétence du pouvoir adjudicateur – Incidence d’une décision antérieure d’une autorité de la concurrence – Principe de proportionnalité – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif – Principe de bonne administration – Obligation de motivation »

    1. Rapprochement des législations – Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2014/24 – Attribution des marchés – Causes d’exclusion de la participation à un marché – Obligation de transposition – Portée

      (Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/24, art. 57, § 4, 1er al.)

      (voir points 49-58)

    2. Rapprochement des législations – Procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux – Directive 2014/25 – Attribution des marchés – Qualification et sélection qualitative – Utilisation des motifs d’exclusion et des critères de sélection prévus par la directive 2014/24 – Obligation de transposition – Portée

      (Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/25, art. 80, § 1, 3e al.)

      (voir points 59-61)

    3. Rapprochement des législations – Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2014/24 – Attribution des marchés – Causes d’exclusion de la participation à un marché – Conclusion par un opérateur d’accords en vue de fausser la concurrence – Réglementation nationale limitant la possibilité d’exclure une offre d’un soumissionnaire en raison de l’existence d’indices sérieux de comportements de ce dernier susceptibles de fausser les règles de concurrence – Exclusion limitée à la procédure de passation d’un marché public caractérisée par ce type de comportements – Inadmissibilité

      [Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/24, art. 57, § 4, 1er al., d)]

      (voir points 67-72, disp. 1)

    4. Rapprochement des législations – Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2014/24 – Attribution des marchés – Causes d’exclusion de la participation à un marché – Conclusion par un opérateur d’accords en vue de fausser la concurrence – Réglementation nationale confiant exclusivement à l’autorité nationale de la concurrence le pouvoir de décider de l’exclusion d’opérateurs économiques des procédures de passation de marchés publics en raison d’une infraction aux règles de la concurrence – Inadmissibilité

      [Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/24, art. 57, § 4, 1er al., d)]

      (voir points 74-80, 82-84, disp. 2)

    5. Rapprochement des législations – Procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2014/24 – Attribution des marchés – Causes d’exclusion de la participation à un marché – Conclusion par un opérateur d’accords en vue de fausser la concurrence – Décision du pouvoir adjudicateur portant sur la fiabilité d’un opérateur économique, adoptée en application de cette cause d’exclusion – Application du principe de bonne administration – Obligation de motivation

      [Directive du Parlement européen et du Conseil 2014/24, art. 57, § 4, 1er al., d)]

      (voir points 87-91, disp. 3)

    Résumé

    Toscca est un opérateur économique qui a soumis une offre dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public organisée par Infraestruturas de Portugal pour l’achat de chevilles et de traverses en bois de pin traitées à la créosote destinées au secteur des infrastructures ferroviaires, marché qui a été attribué à Futrifer. Le recours en annulation introduit par Toscca à l’encontre de cette décision d’attribution ayant été rejeté, celui-ci a interjeté appel devant le Tribunal Central Administrativo Norte (tribunal administratif central du nord, Portugal). Cette juridiction a rendu un arrêt accueillant cet appel et a condamné Infraestruturas de Portugal à attribuer le marché à Toscca. Cet arrêt a été annulé, pour défaut de motivation, par le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême, Portugal), lequel a renvoyé l’affaire au tribunal administratif central du nord. Cette juridiction a rendu un second arrêt, par lequel elle a confirmé la solution retenue dans son premier arrêt.

    La Cour administrative suprême, qui est la juridiction de renvoi, a été saisie de pourvois introduits par Infraestruturas de Portugal et Futrifer contre ce second arrêt. Elle indique que, en 2019, Futrifer a été condamné par l’Autoridade da Concorrência (autorité de la concurrence, Portugal) au paiement d’une amende pour violation du droit de la concurrence dans le cadre de procédures de passation de marchés publics, organisées en 2014 et en 2015, par le même pouvoir adjudicateur.

    Par son arrêt, rendu en grande chambre, la Cour se prononce, tout d’abord, sur l’existence d’une obligation, pour les États membres, de transposer les motifs d’exclusion facultatifs prévus par les directives 2014/24 ( 1 ) et 2014/25 ( 2 ). Elle clarifie ensuite les conditions d’exercice de la compétence des pouvoirs adjudicateurs pour exclure un opérateur économique de la participation à une procédure de passation d’un marché public pour défaut de fiabilité, en raison d’une violation du droit de la concurrence commise en dehors de la procédure de passation du marché public concernée. Elle précise enfin l’obligation des pouvoirs adjudicateurs de motiver une décision portant sur la fiabilité d’un opérateur économique, au regard du motif d’exclusion facultatif lié à la participation d’un tel opérateur à des accords visant à fausser la concurrence, prévu par la directive 2014/24.

    Appréciation de la Cour

    À titre liminaire, la Cour se prononce sur la question de savoir si les États membres ont l’obligation de transposer dans leur droit national les motifs d’exclusion facultatifs mentionnés dans la directive 2014/24 ( 3 ), ainsi que dans la disposition de la directive 2014/25 qui renvoie à ces motifs.

    S’agissant, d’une part, des motifs d’exclusion facultatifs prévus par la directive 2014/24, la Cour relève que, contrairement à ce qui ressort de certains de ses arrêts ( 4 ), les États membres ont l’obligation de transposer ces motifs dans leur droit national. Cette obligation implique qu’ils doivent prévoir soit la faculté soit l’obligation pour les pouvoirs adjudicateurs d’appliquer lesdits motifs. En effet, il ressort, premièrement, du libellé de la disposition de la directive 2014/24 relative aux motifs d’exclusion facultatifs que le choix de décider d’exclure ou non un opérateur économique d’une procédure de passation d’un marché public pour l’un de ces motifs incombe aux pouvoirs adjudicateurs, à moins que les États membres ne décident de transformer cette faculté d’exclusion en obligation. Par conséquent, afin que ces pouvoirs adjudicateurs ne soient pas privés, à tout le moins, de la possibilité d’appliquer ces motifs d’exclusion, un État membre ne saurait s’abstenir d’intégrer ces motifs dans sa législation nationale de transposition de la directive 2014/24. Deuxièmement, cette interprétation est également confirmée par le contexte de la disposition relative aux motifs d’exclusion facultatifs, laquelle contraste avec d’autres dispositions de cette directive qui offrent aux États membres un choix pour la transposition, ou non, de ces dispositions. À cet égard, la Cour souligne que le choix qui est laissé aux États membres en ce qui concerne les conditions d’application des motifs d’exclusion facultatifs ( 5 ) ne saurait s’étendre à la transposition ou non de ces motifs en droit national. En ce qui concerne, troisièmement, l’objectif poursuivi par la directive 2014/24 en relation avec les motifs d’exclusion facultatifs, la Cour souligne que le législateur de l’Union a entendu confier aux pouvoirs adjudicateurs, et à eux seuls, le soin d’apprécier l’intégrité et la fiabilité des opérateurs économiques qui participent à une procédure de passation d’un marché publicet, le cas échéant, d’exclure les opérateurs qu’ils jugeraient non fiables.

    S’agissant, d’autre part, de la directive 2014/25 ( 6 ), la Cour souligne que les États membres doivent, au titre de leur obligation de transposer l’article 80, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, prévoir, à tout le moins, la possibilité pour les entités adjudicatrices d’inclure, parmi les règles et les critères d’exclusion applicables dans les procédures de passation de marchés publics relevant du champ d’application de ladite directive, les motifs d’exclusion facultatifs prévus par la directive 2014/24, sans préjudice de l’éventuelle décision desdits États consistant à imposer à ces entités d’inclure ces motifs parmi ces critères.

    Ces précisions étant faites, la Cour se prononce, en premier lieu, sur le motif d’exclusion facultatif lié à la conclusion, par un opérateur économique, d’accords en vue de fausser la concurrence, prévu par la directive 2014/24 ( 7 ). La Cour juge que ce motif s’oppose à une réglementation nationale qui limite la possibilité d’exclure une offre d’un soumissionnaire en raison de l’existence d’indices sérieux de comportements de ce dernier susceptibles de fausser les règles de concurrence à la procédure de passation d’un marché public dans le cadre de laquelle ce type de comportements est intervenu. En effet, une telle limitation ne ressort pas du libellé de la disposition prévoyant ce motif d’exclusion. En outre, il ressort du contexte dans lequel s’insère cette disposition ( 8 ) que la directive 2014/24 permet, à tout moment de la procédure, aux pouvoirs adjudicateurs d’exclure ou d’être obligés par les États membres à exclure un opérateur économique lorsqu’il apparaît que celui-ci se trouve, compte tenu des actes qu’il a commis ou omis d’accomplir soit avant, soit durant la procédure, dans un des cas visés par les motifs d’exclusion prévus par cette même directive. Une telle interprétation de cette même disposition permet au pouvoir adjudicateur de s’assurer de l’intégrité et de la fiabilité de chacun des opérateurs économiques qui sont susceptibles d’être mises en doute non seulement en cas de participation d’un tel opérateur à des comportements anticoncurrentiels dans le cadre de la procédure en cause, mais également en cas de participation de cet opérateur à de tels comportements antérieurs.

    En deuxième lieu, la Cour souligne que le motif d’exclusion facultatif lié à la conclusion, par un opérateur économique, d’accords en vue de fausser la concurrence, prévu par la directive 2014/24, s’oppose à une réglementation nationale qui confie à la seule autorité nationale de la concurrence le pouvoir de décider de l’exclusion d’opérateurs économiques des procédures de passation de marchés publics en raison d’une infraction aux règles de concurrence. Certes, lorsqu’il existe une procédure spécifique réglementée par le droit de l’Union ou par le droit national pour poursuivre des infractions au droit de la concurrence, dans laquelle l’autorité nationale de la concurrence est chargée d’effectuer des enquêtes à cette fin, le pouvoir adjudicateur doit, dans le cadre de l’appréciation des preuves fournies, s’appuyer, en principe, sur le résultat d’une telle procédure. Dans ce contexte, la décision d’une telle autorité qui a constaté une infraction au droit de la concurrence et a imposé à un soumissionnaire, pour ce motif, une sanction pécuniaire peut revêtir une importance particulière, à plus forte raison si cette sanction a été assortie d’une interdiction temporaire de participer à des procédures de passation de marchés publics. Toutefois, si une telle décision peut conduire le pouvoir adjudicateur à exclure cet opérateur économique de la procédure de passation du marché public en cause, l’absence d’une telle décision ne saurait ni empêcher ni dispenser le pouvoir adjudicateur de se livrer à une telle appréciation. Cette appréciation doit s’effectuer au regard du principe de proportionnalité et en tenant compte de tous les éléments pertinents afin de vérifier si l’application du motif d’exclusion lié à la conclusion, par un opérateur économique, d’accords en vue de fausser la concurrence se justifie. Partant, une réglementation nationale qui lie l’appréciation de l’intégrité et de la fiabilité des soumissionnaires aux conclusions d’une décision de l’autorité nationale de la concurrence relative, notamment, à la participation future à une procédure de passation d’un marché public porte atteinte au pouvoir d’appréciation dont doit jouir le pouvoir adjudicateur dans le cadre de l’application des motifs d’exclusion facultatifs prévus par la directive 2014/24.

    Aux termes de son analyse, la Cour précise encore que les États membres ne sauraient restreindre, dans leur législation, la portée du motif d’exclusion lié à la participation de l’opérateur économique concerné à des comportements anticoncurrentiels.

    En troisième lieu, la Cour indique que, en application du principe de bonne administration, la décision du pouvoir adjudicateur sur la fiabilité d’un opérateur économique, adoptée en application du motif d’exclusion facultatif, prévu par la directive 2014/24, lié à la conclusion, par un opérateur économique, d’accords doit être motivée. Cette obligation concerne, d’une part, les décisions par lesquelles le pouvoir adjudicateur exclut un soumissionnaire en application, notamment, d’un tel motif d’exclusion facultatif. D’autre part, le pouvoir adjudicateur est soumis à cette obligation de motivation lorsqu’il constate qu’un soumissionnaire est concerné par un des motifs d’exclusion facultatifs, mais qu’il prend une décision de non-exclusion, par exemple, au motif que l’exclusion constituerait une mesure disproportionnée. En effet, une telle décision affecte la situation juridique des autres opérateurs économiques participant à la procédure de passation du marché public en cause, qui doivent pouvoir défendre leurs droits, le cas échéant, en introduisant un recours contre celle-ci.


    ( 1 ) Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65). L’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de cette directive prévoit les cas dans lesquels les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché.

    ( 2 ) Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243). L’article 80, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2014/25 prévoit que, si les États membres le demandent, les règles et les critères objectifs d’exclusion incluent en outre les critères d’exclusion énumérés à l’article 57, paragraphe 4, de la directive 2014/24, dans les conditions qui y sont exposées.

    ( 3 ) Plus précisément par l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de cette directive.

    ( 4 ) Arrêts du 19 juin 2019, Meca (C‑41/18, EU:C:2019:507, point 33), du 30 janvier 2020, Tim (C‑395/18, EU:C:2020:58, points 34 et 40), ainsi que du 3 juin 2021, Rad Service e.a. (C‑210/20, EU:C:2021:445, point 28). En vertu de ces arrêts, les États membres peuvent décider de transposer ou non les motifs d’exclusion mentionnés à cette disposition.

    ( 5 ) Au titre de l’article 57, paragraphe 7, de la directive 2014/24.

    ( 6 ) Plus précisément, au titre de l’article 80, paragraphe 1, troisième alinéa, de cette directive.

    ( 7 ) En vertu de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), de la directive 2014/24, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés à exclure par les États membres tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché lorsque ces pouvoirs disposent d’éléments suffisamment plausibles pour conclure que l’opérateur économique a conclu des accords avec d’autres opérateurs économiques en vue de fausser la concurrence.

    ( 8 ) Notamment de l’article 57, paragraphe 5, second alinéa, de la directive 2014/24.

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