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Document 62019TJ0565

    Arrêt du Tribunal (dixième chambre élargie) du 15 décembre 2021.
    Oltchim SA contre Commission européenne.
    Aides d’État – Mesures de soutien prises par la Roumanie en faveur d’une entreprise pétrochimique – Non-exécution, accumulation et annulation de créances publiques – Recours en annulation – Délai de recours – Point de départ – Article 24, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 – Intérêt à agir – Existence d’une ou de plusieurs mesures – Ressources d’État – Imputabilité à l’État – Applicabilité du critère du créancier privé – Application du critère du créancier privé – Obligation de motivation.
    Affaire T-565/19.

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2021:904

    Affaire T‑565/19

    Oltchim SA

    contre

    Commission européenne

    Arrêt du Tribunal (dixième chambre élargie) du 15 décembre 2021

    « Aides d’État – Mesures de soutien prises par la Roumanie en faveur d’une entreprise pétrochimique – Non-exécution, accumulation et annulation de créances publiques – Recours en annulation – Délai de recours – Point de départ – Article 24, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 – Intérêt à agir – Existence d’une ou de plusieurs mesures – Ressources d’État – Imputabilité à l’État – Applicabilité du critère du créancier privé – Application du critère du créancier privé – Obligation de motivation »

    1. Recours en annulation – Délais – Point de départ – Date de publication – Date de prise de connaissance de l’acte – Caractère subsidiaire – Actes devant faire, en vertu d’une disposition réglementaire, l’objet d’une publication au Journal officiel – Décision de la Commission mettant fin à une procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État – Délai calculé à partir de la date de publication – Sécurité juridique – Principe d’égalité de traitement

      (Art. 263, 6e al., TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 9, 24, § 1, et 32, § 3)

      (voir points 33-56, 67)

    2. Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Intérêt à agir – Nécessité d’un intérêt né et actuel – Recours susceptible de procurer un bénéfice au requérant – Décision de la Commission constatant l’incompatibilité d’une aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Recevabilité

      (Art. 263, 4e al., TFUE)

      (voir points 72-76)

    3. Aides accordées par les États – Notion – Octroi d’avantages imputable à l’État – Interventions consécutives de l’État indissociables en raison de l’existence entre elles de liens très étroits – Existence d’une ou de plusieurs mesures – Critères d’appréciation

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 94, 95, 99, 100, 103, 104, 107, 108, 111-113, 116, 117, 120-137)

    4. Aides accordées par les États – Notion – Aides provenant de ressources de l’État – Notion de ressources d’État – Remise partielle des dettes octroyées par une entreprise privée – État détenant une participation minoritaire dans cette société privée – Exclusion

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 147-156)

    5. Aides accordées par les États – Notion – Octroi d’avantages imputable à l’État – Plan de réorganisation d’une entreprise en liquidation adopté dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité – Preuve de l’imputabilité à l’État de la majorité des votes requis pour l’approbation dudit plan – Absence – Exclusion

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 160-215)

    6. Aides accordées par les États – Notion – Appréciation selon le critère de l’investisseur privé – Applicabilité du critère du créancier privé – Créanciers privés et publics octroyant des facilités de paiement à une autre entreprise – Appréciation au regard de tous les éléments pertinents de l’opération litigieuse et de son contexte

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 226-248)

    7. Aides accordées par les États – Notion – Octroi d’un avantage aux bénéficiaires – Non-exécution et accumulation de créances vis-à-vis d’une entreprise en difficulté – Appréciation selon le critère du créancier privé – Absence d’avantage

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 253-298)

    8. Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision de la Commission en matière d’aides d’État – Examen du critère du créancier privé – Motivation suffisante

      (Art. 296 TFUE)

      (voir points 330, 331)

    Résumé

    Oltchim SA, entreprise roumaine active dans la fabrication de produits pétrochimiques, a vu sa situation financière se détériorer progressivement au cours de la période allant de 2007 à 2012.

    En janvier 2013, Oltchim a introduit une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Dans le cadre de cette procédure, les créanciers d’Oltchim, entités tant publiques que privées, ont procédé à l’approbation d’un plan de réorganisation prévoyant, entre autres, une annulation partielle de sa dette (ci-après le « plan de réorganisation »).

    Par décision du 17 décembre 2018 ( 1 ) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté que trois mesures distinctes adoptées en faveur d’Oltchim, prises ensemble ou séparément, constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur. Les mesures visées par cette décision portaient, premièrement, sur la non-exécution et l’accumulation de dettes par l’Autoritatea pentru Administrarea Activelor Atatului (autorité de gestion des actifs de l’État, Roumanie, ci-après l’« AAAS »), entre septembre 2012 et janvier 2013, deuxièmement, sur la poursuite de livraisons à titre gratuit pendant cette même période par l’entreprise CET Govora, et, troisièmement, sur l’annulation de dette opérée dans le cadre du plan de réorganisation par l’AAAS, l’Administrația Națională Apele Române (administration nationale des eaux roumaines, ci-après l’« ANE ») et les entreprises Salrom SA et Electrica SA (ci-après l’ « annulation partielle de la dette »).

    Oltchim a introduit un recours en annulation contre cette décision, qui est partiellement accueilli par la dixième chambre élargie du Tribunal. Dans ce cadre, le Tribunal apporte des précisions concernant, notamment, le calcul du délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre une décision de la Commission mettant fin à une procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État, ainsi que l’appréciation de mesures consistant à la non-exécution, l’accumulation et l’annulation de créances au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

    Appréciation du Tribunal

    En premier lieu, le Tribunal rejette la fin de non-recevoir de la Commission tirée de la prétendue tardivité du recours en annulation introduit par Oltchim.

    À cet égard, la Commission avançait que le délai à respecter par Oltchim, en vertu de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, pour l’introduction de son recours en annulation aurait commencé à courir à partir, non pas de la date de publication de la décision attaquée au Journal officiel, mais de celle de sa prise de connaissance de cette décision.

    Or, en s’appuyant sur une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le Tribunal confirme que, contrairement à ce que soutenait la Commission, c’est la publication d’une décision de la Commission mettant fin à une procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État au Journal officiel qui constitue le point de départ du délai pour l’introduction d’un recours en annulation par une partie non destinataire de celle-ci, telle qu’Oltchim, même si cette publication ne conditionne pas l’entrée en vigueur ou la prise d’effet de ladite décision et n’est pas prévue par le traité FUE.

    S’agissant du libellé de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, qui prévoit que les recours en annulation doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance, le Tribunal relève que cette disposition ne laisse aucunement apparaître que les auteurs du traité aient voulu restreindre la notion de publication de l’acte à la seule hypothèse où la publication conditionne l’applicabilité de l’acte en cause et est prévue par le traité FUE. En outre, compte tenu du contexte dans lequel se situe l’article 263, sixième alinéa, TFUE, à savoir celui des règles visant à garantir le droit des justiciables à saisir le juge de l’Union, ce dernier ne saurait donner une interprétation restrictive de la notion de publication de l’acte visé par un recours en annulation. Enfin, la finalité de cette disposition, qui tend à sauvegarder la sécurité juridique, impose de privilégier la date de publication de l’acte, sur celle de la prise de connaissance de l’acte, comme point de départ certain, prévisible et facilement vérifiable du délai de recours en annulation.

    Même s’il n’est pas exclu qu’une partie intéressée dans une procédure d’aides d’État reçoive communication d’une décision clôturant la procédure formelle d’examen bien avant la publication de celle-ci au Journal officiel et puisse bénéficier, de ce fait, d’un délai plus long que celui dont dispose l’État membre concerné pour introduire un recours en annulation contre cette décision, la fixation de la date de publication au Journal officiel comme point de départ du délai pour l’introduction de ce recours n’est pas contraire au principe d’égalité des justiciables devant la loi. À cet égard, le Tribunal souligne qu’il appartient à la Commission de veiller au respect du principe d’égalité de traitement en évitant, dans la mesure du possible, un écart dans le temps entre la communication aux parties intéressées d’une décision mettant fin à la procédure formelle d’examen et la publication de celle-ci au Journal officiel.

    En deuxième lieu, s’agissant du bien-fondé du recours en annulation introduit par Oltchim, le Tribunal précise, tout d’abord, que, eu égard aux différences d’objet, de nature et de finalité des mesures visées par la décision attaquée, ainsi qu’à leur chronologie, à leur contexte et à la situation d’Oltchim au moment de leur mise en œuvre, et au fait que ces mesures n’étaient pas prévues ou prévisibles au moment de la première intervention et que les dispensateurs de celles-ci sont différents, lesdites mesures doivent être considérées comme trois interventions distinctes aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

    En ce qui concerne l’annulation partielle de la dette, le Tribunal relève, ensuite, que celle-ci n’impliquait pas de transfert de ressources d’État pour autant qu’elle avait été concédée par la société Electrica. En effet, le Tribunal constate que la majorité des participations d’Electrica étaient privées et qu’aucun élément du dossier ne permettait de conclure que les ressources de celle-ci sont constamment sous le contrôle de l’État ou à sa disposition. De plus, même si la Commission avait démontré que les votes d’AAAS et d’ANE en faveur du plan de réorganisation étaient imputables à l’État roumain, elle n’avait pas démontré que, compte tenu des règles nationales applicables, lesdits votes représentaient la majorité requise pour approuver ou bloquer l’approbation de ce plan. Ainsi, l’annulation partielle de la dette n’étant pas, dans son ensemble, imputable à l’État, cette mesure n’est donc pas constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE.

    S’agissant, enfin, de la non-exécution et de l’accumulation de dettes par l’AAAS ainsi que des livraisons à titre gratuit par l’entreprise CET Govora, le Tribunal constate que la Commission a considéré à tort que le critère du créancier privé n’était pas applicable à ces mesures. En effet, vu leur objet et leur nature essentiellement économiques, et eu égard au contexte et aux objectifs des mesures, ainsi qu’aux règles de droit auxquelles elles sont soumises, lesdites mesures relèvent de la sphère économique et commerciale et ne se rattachent pas à l’exercice par l’État de prérogatives de puissance publique. De plus, s’agissant en particulier de la non-exécution et de l’accumulation de dettes par l’AAAS, il ne pouvait pas être exclu qu’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS se serait comporté comme celle-ci. Ainsi, le Tribunal conclut que, en l’absence de preuve de la part de la Commission que ladite mesure conférait un avantage à Oltchim, celle-ci ne peut pas non plus être constitutive d’une aide d’État.


    ( 1 ) Décision (UE) 2019/1144 concernant l’aide d’État SA.36086 (2016/C) (ex 2016/NN) mise en œuvre par la Roumanie en faveur d’Oltchim SA (JO 2019, L 181, p. 13).

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