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Document 62024CO0235

    Ordonnance de la Cour (première chambre) du 17 juillet 2024.
    S.A.H.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la chambre spécialisée du Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden.
    Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Reconnaissance des jugements prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans un autre État membre – Décision-cadre 2008/909/JAI – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction” – Procédure de réexamen sur requête du ministre – Irrecevabilité manifeste de la demande de décision préjudicielle.
    Affaire C-235/24 PPU.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:624

     ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)

    17 juillet 2024 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Reconnaissance des jugements prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans un autre État membre – Décision-cadre 2008/909/JAI – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction” – Procédure de réexamen sur requête du ministre – Irrecevabilité manifeste de la demande de décision préjudicielle »

    Dans l’affaire C‑235/24 PPU [Niesker] ( i ),

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la chambre spécialisée du Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem‑Leeuwarden, Pays-Bas), par décision du 29 mars 2024, parvenue à la Cour le 2 avril 2024, dans la procédure

    S.A.H.

    en présence de :

    Openbaar Ministerie,

    LA COUR (première chambre),

    composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur), P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

    avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour S.A.H., par Mes T. de Boer et F. Dölle, advocaten,

    pour l’Openbaar Ministerie, par MM. A. K. Kooij, H.J. Lambers et V. Smink,

    pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et A. Hanje, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par M. H. Leupold ainsi que Mmes F. van Schaik et J. Vondung, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

    rend la présente

    Ordonnance

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 267 TFUE, des articles 6, 8 et 9 de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure tendant au réexamen, sur requête du Minister van Veiligheid en Justitie (ministre de la Sécurité et de la Justice, Pays-Bas) (ci-après le « ministre »), d’une appréciation de la chambre spécialisée du Gerechtshof Arnhem‑Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays-Bas) (ci-après la « chambre spécialisée ») du 18 janvier 2019, concernant la reconnaissance, l’exécution et l’adaptation aux Pays-Bas d’une sanction privative de liberté infligée à S.A.H. en Suède.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    L’article 6 de la décision-cadre 2008/909, intitulé « Observations et notification de la personne condamnée », dispose :

    « 1.   Sans préjudice des dispositions du paragraphe 2, un jugement accompagné d’un certificat ne peut être transmis à l’État d’exécution aux fins de sa reconnaissance et de l’exécution de la condamnation qu’avec le consentement de la personne condamnée, conformément au droit de l’État d’émission.

    2.   Le consentement de la personne condamnée n’est pas requis lorsque le jugement accompagné du certificat est transmis :

    [...]

    c)

    à l’État membre dans lequel la personne condamnée s’est réfugiée ou est retournée en raison de la procédure pénale dont elle fait l’objet dans l’État d’émission ou à la suite de sa condamnation dans cet État d’émission.

    3.   Dans tous les cas où la personne condamnée se trouve encore dans l’État d’émission, elle doit avoir la possibilité de présenter ses observations orales ou écrites. Lorsque l’État d’émission le juge nécessaire compte tenu de l’âge de la personne condamnée ou de son état physique ou mental, cette possibilité doit être offerte au représentant légal de ladite personne.

    Les observations de la personne condamnée sont prises en compte pour prendre la décision relative à la transmission du jugement et du certificat. Lorsque la personne condamnée a fait usage de la possibilité prévue dans le présent paragraphe, ses observations sont transmises à l’État d’exécution, en vue notamment de l’application de l’article 4, paragraphe 4. Si la personne condamnée a présenté des observations orales, l’État d’émission veille à ce [que] l’État d’exécution puisse avoir accès à leur transcription.

    4.   Il revient à l’autorité compétente de l’État d’émission d’informer la personne condamnée, dans une langue qu’elle comprend, qu’elle a décidé de transmettre le jugement et le certificat en utilisant le modèle type de notification qui figure à l’annexe II. Si la personne condamnée se trouve dans l’État d’exécution au moment où cette décision est prise, le formulaire en question est transmis à l’État d’exécution, qui informe en conséquence la personne condamnée.

    [...] »

    4

    L’article 8 de cette décision-cadre, intitulé « Reconnaissance du jugement et exécution de la condamnation », prévoit :

    « 1.   L’autorité compétente de l’État d’exécution reconnaît le jugement qui lui a été transmis conformément à l’article 4 et à la procédure décrite à l’article 5, et prend sans délai toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la condamnation, sauf si elle décide de se prévaloir d’un des motifs de non-reconnaissance et de non-exécution prévus à l’article 9.

    2.   Si la durée de la condamnation est incompatible avec le droit de l’État d’exécution, l’autorité compétente de l’État d’exécution ne peut décider d’adapter cette condamnation que lorsqu’elle est supérieure à la peine maximale prévue par son droit national pour des infractions de même nature. La durée de la condamnation adaptée ne peut pas être inférieure à celle de la peine maximale prévue par le droit de l’État d’exécution pour des infractions de même nature.

    3.   Si la nature de la condamnation est incompatible avec le droit de l’État d’exécution, l’autorité compétente de l’État d’exécution peut adapter cette condamnation à la peine ou mesure prévue par son propre droit pour des délits similaires. Cette peine ou mesure doit correspondre autant que possible à la condamnation prononcée dans l’État d’émission et dès lors, la condamnation ne peut pas être commuée en une sanction pécuniaire.

    4.   La condamnation adaptée n’aggrave pas la condamnation prononcée dans l’État d’émission en ce qui concerne sa nature ou sa durée. »

    5

    Aux termes de l’article 9 de ladite décision-cadre, intitulé « Motifs de non-reconnaissance et de non-exécution » :

    « 1.   L’autorité compétente de l’État d’exécution peut refuser de reconnaître le jugement et d’exécuter la condamnation si :

    [...]

    k)

    la peine prononcée comporte une mesure de soins psychiatriques ou médicaux ou une autre mesure privative de liberté qui, nonobstant l’article 8, paragraphe 3, ne peut être exécutée par l’État d’exécution conformément au système juridique ou de santé de cet État ;

    [...] »

    Le droit néerlandais

    6

    La Wet wederzijdse erkenning en tenuitvoerlegging vrijheidsbenemende en voorwaardelijke sancties (loi sur la reconnaissance et l’exécution mutuelles de condamnations à des sanctions privatives de liberté assorties ou non d’un sursis), du 12 juillet 2012 (Stb. 2012, no 333), qui transpose dans le droit néerlandais la décision-cadre 2008/909, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « WETS »), prévoit, à son article 2:11 :

    « 1.   Le ministre transmet la décision judiciaire et le certificat à l’avocat général du parquet du ressort, à moins qu’il ne considère d’emblée qu’il existe des motifs de refus de reconnaissance de la décision judiciaire.

    2.   L’avocat général présente immédiatement la décision judiciaire et le certificat à la [chambre spécialisée] visée à l’article 67 de la Wet op de rechterlijke organisatie [(loi sur l’organisation judiciaire)]. Il dépose devant elle ses observations éventuelles sur les documents susmentionnés dans un délai de quatorze jours suivant la date à laquelle il lui a soumis les documents.

    3.   La [chambre spécialisée] décide :

    a.

    s’il existe des motifs pour refuser la reconnaissance de la décision judiciaire en application de l’article 2:13, paragraphe 1 ;

    b.

    si la sanction privative de liberté à exécuter a été infligée pour un fait également punissable en vertu du droit néerlandais et, dans l’affirmative, de quel fait il s’agit ;

    c.

    quelle est l’adaptation de la sanction privative de liberté prononcée à laquelle donne lieu le paragraphe 4 ou 5.

    4.   Si la durée de la sanction privative de liberté prononcée est supérieure à la durée maximale de la peine encourue en droit néerlandais pour l’infraction concernée, la durée de la sanction privative de liberté est réduite à cette durée maximale.

    5.   Si la nature de la sanction privative de liberté prononcée est incompatible avec le droit néerlandais, cette sanction est remplacée par une peine ou une mesure prévue par le droit néerlandais et correspondant autant que possible à la sanction privative de liberté prononcée dans l’État membre d’émission.

    6.   L’adaptation prévue au paragraphe 4 ou 5 ne peut en aucun cas entraîner une aggravation de la sanction privative de liberté prononcée.

    7.   Dans un délai de six semaines suivant la date à laquelle elle a reçu la décision judiciaire et le certificat, la [chambre spécialisée] transmet au ministre l’appréciation écrite et motivée à laquelle elle a procédé au titre du paragraphe 3. »

    7

    L’article 2:12 de la WETS prévoit :

    « 1.   Le ministre décide de la reconnaissance de la décision judiciaire en tenant compte de l’appréciation de la [chambre spécialisée].

    [...] »

    8

    L’article 2:13 de cette loi dispose :

    « 1.   La reconnaissance de la décision judiciaire est refusée lorsque :

    [...]

    i.

    la sanction prononcée concerne une mesure privative de liberté dans le domaine des soins de santé qui ne peut être exécutée conformément au droit néerlandais ou dans le cadre du système juridique néerlandais de soins de santé.

    2.   La reconnaissance de la décision n’est pas refusée sur le fondement du paragraphe 1, sous a), b), e) et i), tant que l’autorité compétente de l’État membre d’émission n’a pas eu la possibilité de fournir des informations à cet égard. »

    9

    L’article 2:14 de ladite loi prévoit :

    « 1.   La reconnaissance de la décision judiciaire peut être refusée lorsque :

    a.

    le fait pour lequel la sanction privative de liberté a été infligée :

    1°. est réputé avoir été commis en tout ou en partie sur le territoire néerlandais ou hors des Pays-Bas à bord d’un navire ou d’un aéronef néerlandais ; ou

    2°. a été commis en dehors du territoire de l’État membre d’émission, alors qu’en vertu du droit néerlandais, aucune poursuite ne pouvait être engagée si le fait avait été commis en dehors des Pays-Bas ;

    b.

    au moment de la réception de la décision judiciaire, il reste à exécuter moins de six mois de la peine privative de liberté prononcée.

    2.   La reconnaissance de la décision n’est pas refusée sur le fondement du paragraphe 1, sous a), tant que l’autorité compétente de l’État membre d’émission n’a pas eu la possibilité de fournir des informations à cet égard. »

    10

    L’article 67 de la loi sur l’organisation judiciaire est libellé comme suit :

    « 1.   Le collège chargé de l’administration du Gerechtshof Arnhem‑Leeuwarden [(cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden)] forme une chambre collégiale [...]. La composition de cette chambre est déterminée par le collège chargé de l’administration.

    2.   Cette chambre est également chargée des tâches qui lui sont confiées [...] aux articles 2:11, paragraphe 3, et 2:27 [...] de la [WETS]. [...] »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    11

    S.A.H., de nationalité irakienne, vit aux Pays-Bas depuis l’année 1996 où il a obtenu un permis de séjour permanent au cours de l’année 2001.

    12

    Par arrêt du 26 février 2015, il a été condamné par le Göta hovrätt (cour d’appel siégeant à Jönköping, Suède) pour détention d’armes prohibée, menaces illégales, abus ainsi que coups et blessures graves. Cette juridiction a constaté que ces actes, de nature pénale, ne pouvaient pas être imputés à S.A.H. en raison d’une perturbation de ses facultés mentales et a imposé à ce dernier une mesure privative de liberté, à savoir un traitement psychiatrique médico-légal pour une durée indéterminée avec examen spécial à sa sortie.

    13

    L’intéressé ayant sollicité le transfert de l’exécution de cette mesure aux Pays-Bas, les autorités suédoises ont demandé au ministre la reconnaissance et l’exécution de cet arrêt, puis lui ont transmis ledit arrêt et le certificat mentionné à l’article 4 de la décision-cadre 2008/909.

    14

    Conformément à l’article 2:11 de la WETS, ces documents ont été transmis à la chambre spécialisée qui, le 18 janvier 2019, a notamment estimé qu’il y avait lieu d’adapter la mesure privative de liberté imposée à S.A.H. et de la remplacer par une mesure de mise à disposition avec obligation de se soumettre à des soins prodigués par les autorités publiques, sans fixation d’une durée maximale.

    15

    Le 18 février 2019, le ministre, en tant qu’autorité compétente au sens de la décision-cadre 2008/909, a reconnu la décision du 26 février 2015 en prenant en compte l’appréciation de la chambre spécialisée du 18 janvier 2019. La mesure privative de liberté a été convertie en une telle mise à disposition et l’intéressé a été placé dans un centre psychiatrique médico-légal aux Pays-Bas.

    16

    Le 6 août 2020, le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) a adopté une ordonnance de retrait du permis de séjour avec effet rétroactif au 29 août 2014 et a déclaré S.A.H. comme étant étranger indésirable.

    17

    S.A.H. a contesté la légalité de la décision de reconnaissance du 18 février 2019 devant le juge civil, au motif, notamment, que la procédure ayant abouti à l’appréciation du 18 janvier 2019 ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 47 de la Charte. Par arrêt du 5 septembre 2023, le Gerechtshof Den Haag (cour d’appel de La Haye, Pays-Bas) a fait droit à la demande et a ordonné au ministre de réexaminer sa décision.

    18

    Par lettre du 15 septembre 2023, le ministre a demandé à la chambre spécialisée de procéder à un réexamen dans le cadre d’une procédure conforme à ces exigences.

    19

    Faisant suite à cette demande, la chambre spécialisée a convoqué une réunion informelle le 12 janvier 2024, à laquelle ont été invités les avocats de S.A.H. ainsi que des représentants du ministère public.

    20

    À cet égard, la chambre spécialisée décrit la procédure qu’elle mène comme suit, à savoir le ministre lui demande, par l’intermédiaire de l’avocat général, de donner une appréciation se limitant à l’existence ou non d’un motif de refus de reconnaissance obligatoire selon la WETS, au caractère punissable des faits aux Pays-Bas et à la nécessité éventuelle d’une adaptation de la peine ou de la mesure privative de liberté prononcée dans un autre État membre. Elle ajoute qu’aucune possibilité de recours n’est prévue contre la décision du ministre. Néanmoins, cette chambre pourrait être saisie d’une demande de réexamen sur requête du ministre, à la suite soit d’une réclamation de la personne condamnée auprès de ce dernier, soit d’une procédure civile engagée par cette personne, comme en l’espèce.

    21

    Dans ce contexte, la chambre spécialisée se demande, tout d’abord, si elle possède le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, pouvant interroger la Cour à titre préjudiciel. À cet égard, elle indique qu’elle a considéré, jusqu’à présent, que tel n’était pas le cas et que le rapport d’évaluation portant sur les Pays-Bas du 2 décembre 2022, préparé dans le cadre de la 9e série d’évaluations mutuelles sur les instruments juridiques de reconnaissance mutuelle en matière de mesures restrictives ou privatives de liberté, coordonnée par le Conseil de l’Union européenne (13190/1/22 REV 1), a également conclu en ce sens. Toutefois, il ressortirait de la genèse de la législation nationale en cause au principal que le législateur néerlandais a souhaité une appréciation juridictionnelle sur les questions juridiques soulevées par l’article 8, paragraphes 2 à 4, et l’article 9 de la décision-cadre 2008/909.

    22

    En outre, la chambre spécialisée estime que la question de savoir si la procédure devant elle peut être qualifiée de contradictoire est déterminante et précise qu’elle trouve son origine dans la loi, qu’elle a un caractère permanent, qu’elle applique des règles de droit, qu’elle est indépendante et qu’elle tient compte des arguments de la personne condamnée qui lui sont présentés. Par ailleurs, si son appréciation serait limitée à un certain nombre de points, celle-ci aurait un caractère contraignant.

    23

    La chambre spécialisée se demande, ensuite, si l’appréciation juridique qu’elle effectue en vertu de l’article 2:11 de la WETS entre dans le champ d’application du droit de l’Union ou fait partie des situations régies par ce droit et, dans l’affirmative, si la possibilité de demander un réexamen dans le cadre d’une procédure écrite, telle qu’elle s’est développée en pratique, satisfait aux exigences de l’article 47 de la Charte. Enfin, elle sollicite des précisions sur les possibilités d’adaptation d’une mesure privative de liberté permise par la décision‑cadre 2008/909.

    24

    Dans ces conditions, la chambre spécialisée a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    La notion de “juridiction”, au sens de l’article 267 TFUE, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphes 2 à 4, et l’article 9 de la décision-cadre [2008/909], doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle couvre notamment une juridiction ordinaire autre que l’autorité compétente visée à l’article 8, paragraphe 1, de [cette] décision-cadre, qui est désignée aux fins des questions juridiques soulevées par l’article 8, paragraphes 2 à 4, et l’article 9 de [ladite] décision-cadre et statue uniquement sur ces points de droit selon une procédure écrite à laquelle la personne condamnée, en principe, n’intervient pas ?

    2)

    Lorsque, dans le cadre d’une procédure de reconnaissance au titre de la décision-cadre [2008/909], l’État d’exécution charge une juridiction ordinaire, spécifiquement désignée à cette fin, d’apprécier les éléments visés à l’article 8, paragraphes 2 à 4, et à l’article 9 de cette décision-cadre, l’article 47 de la Charte doit-il être interprété en ce sens que la personne condamnée doit non seulement se voir accorder la possibilité de présenter des observations dans l’État d’émission, conformément à l’article 6, paragraphe 3, de [ladite] décision-cadre, mais aussi un recours effectif dans l’État d’exécution ?

    S’il y a lieu de répondre par l’affirmative à cette question :

    3)

    L’article 47 de la Charte, lu à la lumière de la décision-cadre [2008/909], doit-il être interprété en ce sens qu’il peut être satisfait à l’exigence d’un recours effectif dans l’État d’exécution en donnant à la personne condamnée la possibilité de présenter des observations écrites, soit avant que la juridiction ne se prononce dans une décision de reconnaissance, soit après une telle décision de reconnaissance, sous la forme d’un réexamen de l’appréciation initiale ?

    et

    4)

    L’article 47 de la Charte, lu à la lumière de la décision-cadre [2008/909], doit-il être interprété en ce sens que la personne condamnée qui ne dispose pas de ressources financières suffisantes et nécessite une aide afin d’assurer un accès effectif à la justice doit bénéficier de l’aide juridictionnelle dans l’État d’exécution, même si la loi ne le prévoit pas ?

    5)

    Lorsque la peine ou la mesure est modifiée en raison de sa nature incompatible avec le droit de l’État d’exécution, le critère énoncé à l’article 8, paragraphe 3, de la décision-cadre [2008/909], doit-il être interprété en ce sens qu’il y a lieu de déterminer quelle est la mesure qui aurait selon toute vraisemblance été imposée par le juge de l’État d’exécution si le procès avait eu lieu dans cet État, ou en ce sens qu’il y a lieu d’examiner la portée effective de la mesure dans l’État d’émission, en demandant, si nécessaire, des informations complémentaires ?

    6)

    De quelle manière et dans quelle mesure l’État d’exécution doit-il tenir compte des développements et informations postérieurs à la décision de reconnaissance lors d’un éventuel réexamen de l’interdiction d’aggravation de la condamnation prévue à l’article 8, paragraphe 4, de la décision-cadre [2008/909] ? »

    Sur la procédure d’urgence

    25

    La chambre spécialisée a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

    26

    Au soutien de cette demande, cette chambre a fait valoir que S.A.H. était privé de liberté et que la réponse aux questions préjudicielles pourrait impliquer de mettre fin à cette privation de liberté.

    27

    À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que ce renvoi porte sur l’interprétation de la décision-cadre 2008/909, qui relève du titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Ledit renvoi est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

    28

    S’agissant, en second lieu, de la condition relative à l’urgence, cette condition est, notamment, remplie lorsque la personne concernée dans l’affaire au principal est actuellement privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal, étant précisé que la situation de cette personne est à apprécier telle qu’elle se présente à la date de l’examen de la demande tendant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence [arrêt du 8 décembre 2022, CJ (Décision de remise différée en raison de poursuites pénales), C‑492/22 PPU, EU:C:2022:964, point 46 et jurisprudence citée].

    29

    En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’intéressé est effectivement privé de liberté puisqu’il est placé dans un centre psychiatrique médico-légal aux Pays-Bas. En outre, la chambre spécialisée a précisé que la réponse aux questions préjudicielles, portant sur les exigences découlant du droit de l’Union susceptibles de s’appliquer à la situation en cause au principal, pouvait impliquer qu’il soit mis fin à cette privation de liberté, la mesure privative de liberté prononcée à l’égard de l’intéressé en Suède pouvant, en particulier, être adaptée en une mesure non privative de liberté aux Pays-Bas.

    30

    Dans ces conditions, la première chambre de la Cour a décidé, le 22 avril 2024, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la chambre spécialisée tendant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

    Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

    31

    En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le renvoi préjudiciel est manifestement irrecevable, la Cour peut, l’avocat général entendu, statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

    32

    Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

    33

    Il convient de rappeler que la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 9 mars 2010, ERG e.a., C‑378/08, EU:C:2010:126, point 72, ainsi que ordonnance du 9 janvier 2024, Bravchev, C‑338/23, EU:C:2024:4, point 18).

    34

    Il en résulte que, pour être habilité à saisir la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, l’organisme de renvoi doit pouvoir être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, ce qu’il appartient à la Cour de vérifier sur la base de la demande de décision préjudicielle (arrêt du 7 mai 2024, NADA e.a., C‑115/22, EU:C:2024:384, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

    35

    Selon une jurisprudence constante, pour apprécier si l’organisme de renvoi en cause possède le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que, entre autres, l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organisme en cause, des règles de droit ainsi que son indépendance (arrêt du 7 mai 2024, NADA e.a., C‑115/22, EU:C:2024:384, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

    36

    Il ressort également d’une jurisprudence constante que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision à caractère juridictionnel (arrêt du 3 mai 2022, CityRail, C‑453/20, EU:C:2022:341, point 42 et jurisprudence citée).

    37

    Il convient donc de déterminer l’habilitation d’un organisme à saisir la Cour selon des critères tant structurels que fonctionnels. À cet égard, un organisme national peut être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, lorsqu’il exerce des fonctions juridictionnelles, tandis que, dans l’exercice d’autres fonctions, notamment de nature administrative, cette qualification ne peut lui être reconnue (arrêt du 3 mai 2022, CityRail, C‑453/20, EU:C:2022:341, point 43 et jurisprudence citée).

    38

    Il s’ensuit que, pour établir si un organisme national, auquel la loi confie des fonctions de nature différente, doit être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, il est nécessaire de vérifier quelle est la nature spécifique des fonctions qu’il exerce dans le contexte normatif particulier dans lequel il est appelé à saisir la Cour (arrêt du 3 mai 2022, CityRail, C‑453/20, EU:C:2022:341, point 44 et jurisprudence citée).

    39

    En outre, lorsque l’organisme de renvoi fait acte d’autorité administrative sans qu’il soit en même temps appelé à trancher un litige, il ne peut être regardé comme exerçant une fonction juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2006, Standesamt Stadt Niebüll, C‑96/04, EU:C:2006:254, point 14 et jurisprudence citée).

    40

    En l’occurrence, au regard des éléments figurant dans le dossier soumis à la Cour, notamment des dispositions de la loi sur l’organisation judiciaire et de la WETS, la chambre spécialisée paraît satisfaire aux critères pertinents pour qualifier un organisme de renvoi de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, s’agissant de son origine légale, de sa permanence, de l’application de règles de droit ainsi que de son indépendance.

    41

    S’agissant des autres critères pertinents à cet égard et, en premier lieu, de la question de savoir si la chambre spécialisée exerce, dans la procédure en cause au principal, une fonction juridictionnelle, il ressort de ces éléments que, conformément aux articles 2:11 et 2:12 de la WETS, la chambre spécialisée est saisie par le ministre en vue de lui transmettre une appréciation sur les questions juridiques délimitées prévues à cet article 2:11, paragraphe 3, dont celui-ci tient compte pour décider de la reconnaissance de la décision judiciaire émanant d’un autre État membre, comme l’indique expressément le libellé de cet article 2:12.

    42

    Ainsi que l’a confirmé le gouvernement néerlandais dans ses observations écrites, si le ministre est tenu de suivre cette appréciation sur ces questions, ce dernier dispose néanmoins d’un pouvoir d’appréciation propre et du pouvoir d’adopter ou non la décision de reconnaissance du jugement de l’État d’émission. En effet, le ministre peut décider de ne pas impliquer, dans sa décision, la chambre spécialisée, conformément à l’article 2:11 de la WETS, lorsqu’il considère d’emblée que des motifs de refus trouvent à s’appliquer. En outre, le ministre examine également les motifs de refus de reconnaissance prévus à l’article 2:14 de la WETS et, par conséquent, peut considérer qu’il existe un motif de refus de reconnaissance du jugement, alors que la chambre spécialisée a estimé qu’il n’en existait aucun. Par ailleurs, s’agissant des garanties que le ministre suive effectivement l’appréciation de la chambre spécialisée, il y a lieu de relever que le rapport d’évaluation portant sur les Pays-Bas, visé au point 21 de la présente ordonnance, a indiqué que cette appréciation n’était pas « techniquement » contraignante pour le ministre.

    43

    En deuxième lieu, s’agissant de l’existence d’un « litige » pendant devant la chambre spécialisée, il y a lieu de rappeler que la chambre spécialisée est saisie, en vertu de l’article 2:11 de la WETS, à l’initiative non pas de la personne condamnée, mais du ministre.

    44

    En outre, il ressort des informations dont dispose la Cour que la personne condamnée ne peut contester devant la chambre spécialisée la décision prise par le ministre. En effet, seul ce dernier peut saisir cette chambre d’une demande de réexamen. À cet égard, la chambre spécialisée a précisé qu’elle ignorait si le ministre opérait ou non une sélection entre les réclamations qu’il lui transmet pour réexamen.

    45

    Il convient également de relever que l’appréciation de la chambre spécialisée n’est pas prononcée publiquement ni notifiée à la personne condamnée, cette dernière étant seulement informée de la décision du ministre.

    46

    S’agissant, en troisième lieu, de la nature contradictoire de la procédure en cause au principal, si la chambre spécialisée a indiqué que, en pratique, elle tenait compte des observations écrites de la personne condamnée qui lui sont transmises par le ministre ou directement par cette personne, la possibilité pour cette dernière de participer à la procédure et de présenter des observations, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, n’est pas établie par la WETS alors que, conformément à cette loi, l’avocat général du parquet dispose d’une telle possibilité.

    47

    Il s’ensuit que, manifestement, d’une part, l’appréciation de la chambre spécialisée intervient dans le cadre d’une procédure non contradictoire et qui n’est pas destinée à trancher un litige. D’autre part, cette appréciation ne possède ni la forme, ni la dénomination ni le contenu d’un jugement prononcé dans le cadre de l’exercice d’une fonction juridictionnelle, mais s’intègre dans la procédure d’adoption d’une décision à caractère administratif du ministre.

    48

    En tout état de cause, il ressort des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle et des observations des parties que la personne condamnée peut contester la décision du ministre devant le juge civil, en vertu de la compétence résiduelle que détient celui-ci, en demandant à ce juge, dont il est constant qu’il présente le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE dans le cadre de cette procédure, de faire réexaminer ou adapter cette décision.

    49

    Eu égard à l’ensemble de ces considérations, dans le cadre de la procédure visée à l’article 2:11 de la WETS, la chambre spécialisée n’est manifestement pas appelée à rendre une décision à caractère juridictionnel et, partant, ne constitue pas une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

    50

    Il découle de tout ce qui précède que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

    Sur les dépens

    51

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant l’organisme de renvoi, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) ordonne :

     

    La demande de décision préjudicielle introduite par la chambre spécialisée du Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays-Bas), par décision du 29 mars 2024, est manifestement irrecevable.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.

    ( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.

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