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Document 62022CJ0134

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 13 juillet 2023.
MO contre SM en tant que liquidateur de G GmbH.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesarbeitsgericht.
Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Licenciements collectifs – Directive 98/59/CE – Information et consultation – Article 2, paragraphe 3, second alinéa – Obligation incombant à l’employeur qui envisage d’effectuer un licenciement collectif de transmettre à l’autorité publique compétente une copie des renseignements communiqués aux représentants des travailleurs – Objectif – Conséquences du non-respect de cette obligation.
Affaire C-134/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:567

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

13 juillet 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Licenciements collectifs – Directive 98/59/CE – Information et consultation – Article 2, paragraphe 3, second alinéa – Obligation incombant à l’employeur qui envisage d’effectuer un licenciement collectif de transmettre à l’autorité publique compétente une copie des renseignements communiqués aux représentants des travailleurs – Objectif – Conséquences du non-respect de cette obligation »

Dans l’affaire C‑134/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), par décision du 27 janvier 2022, parvenue à la Cour le 1er mars 2022, dans la procédure

MO

contre

SM en tant que liquidateur de G GmbH,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. F. Biltgen (rapporteur), N. Wahl et J. Passer, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour MO, par Me C. Schomaker, Rechtsanwalt,

pour SM en tant que liquidateur de G GmbH, par Me M. Stahn, Rechtsanwalt,

pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO 1998, L 225, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MO à SM en tant que liquidateur judiciaire de G GmbH au sujet de la validité de son licenciement intervenu dans le cadre d’un licenciement collectif.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2 de la directive 98/59, qui fait partie de la section II de celle–ci, intitulée « Information et consultation », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.   Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

2.   Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

[...]

3.   Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations :

a)

de leur fournir tous renseignements utiles et

b)

de leur communiquer, en tout cas, par écrit :

i)

les motifs du projet de licenciement ;

ii)

le nombre et les catégories des travailleurs à licencier ;

iii)

le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés ;

iv)

la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements ;

v)

les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur ;

vi)

la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à v). »

4

L’article 3 de cette directive, qui figure dans la section III de celle-ci, intitulée « Procédure de licenciement collectif », prévoit, à son paragraphe 1 :

« L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

[...]

La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier, le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements. »

5

L’article 4 de ladite directive, qui figure également dans la section III de celle-ci, énonce, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.   Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue à l’article 3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de réduire le délai visé au premier alinéa.

2.   L’autorité publique compétente met à profit le délai visé au paragraphe 1 pour chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés.

3.   Dans la mesure où le délai initial prévu au paragraphe 1 est inférieur à soixante jours, les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de prolonger le délai initial jusqu’à soixante jours après la notification lorsque les problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés risquent de ne pas trouver de solution dans le délai initial.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente des facultés de prolongation plus larges.

L’employeur doit être informé de la prolongation et de ses motifs avant l’expiration du délai initial prévu au paragraphe 1. »

Le droit allemand

6

L’article 134 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil, ci-après le « BGB ») prévoit :

« Tout acte juridique contraire à une interdiction légale est nul à moins que la loi n’en dispose autrement. »

7

L’article 17 du Kündigungsschutzgesetz (loi sur la protection contre le licenciement abusif), dans sa rédaction applicable aux faits au principal, dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« (1)   L’employeur est tenu d’effectuer une notification à l’agence publique pour l’emploi avant de licencier :

[...]

2.

dans les établissements employant habituellement au moins 60 et moins de 500 travailleurs, 10 % des travailleurs ou plus de 25 travailleurs ;

[...]

au cours d’une période de 30 jours civils. D’autres formes de cessation du contrat de travail intervenue à l’initiative de l’employeur sont assimilées aux licenciements.

(2)   Lorsqu’un employeur envisage de procéder à des licenciements soumis à notification en vertu du paragraphe 1, il est tenu de fournir, en temps utile, tous renseignements utiles au comité d’entreprise, et en particulier de l’informer par écrit sur :

1.

des motifs des licenciements envisagés ;

2.

du nombre et des catégories professionnelles des travailleurs à licencier ;

3.

du nombre et des catégories professionnelles des travailleurs habituellement employés ;

4.

de la période au cours de laquelle il est envisagé de procéder aux licenciements ;

5.

des critères prévus pour le choix des travailleurs à licencier, et

6.

des critères prévus pour le calcul d’éventuelles indemnités.

[...]

(3)   L’employeur est tenu de transmettre simultanément à l’agence publique pour l’emploi une copie de la communication au comité d’entreprise ; celle-ci doit comporter au moins les renseignements requis au titre du paragraphe 2, points 1 à 5. La notification prévue au paragraphe 1 doit être effectuée par écrit et accompagnée de l’avis du comité d’entreprise sur les licenciements. À défaut d’avis du comité d’entreprise, la notification prend effet si l’employeur apporte des éléments permettant de présumer qu’il a informé le comité d’entreprise au moins deux semaines avant de procéder à la notification au titre du paragraphe 2, première phrase, et s’il rend compte de l’état des consultations. La notification doit contenir des informations sur le nom de l’employeur, le siège social et le type d’entreprise, ainsi que sur les motifs du projet de licenciement, le nombre et les catégories des travailleurs à licencier ainsi que des travailleurs habituellement employés, la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements, et les critères prévus pour le choix des travailleurs à licencier. En accord avec le comité d’entreprise, la notification doit également comporter, pour le placement, des informations sur le sexe, l’âge, la profession et la nationalité du travailleur à licencier. L’employeur doit transmettre une copie de la notification au comité d’entreprise. Ce dernier peut présenter d’autres avis à l’agence pour l’emploi. Il doit transmettre une copie de l’avis à l’employeur. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

8

Le requérant au principal était employé par G GmbH depuis l’année 1981.

9

Le 1er octobre 2019, le tribunal compétent en matière d’insolvabilité a ouvert, à la demande de G GmbH, une procédure d’insolvabilité à son égard et a désigné le défendeur au principal comme administrateur judiciaire aux fins de cette procédure. En vertu de la législation nationale, pendant la durée de la procédure, le défendeur au principal exerçait la fonction d’employeur à l’égard des travailleurs de G GmbH.

10

Le 17 janvier 2020, il a été décidé que G GmbH cesserait complètement ses activités le 30 avril 2020 au plus tard et que plus de 10 % des 195 travailleurs qu’elle employait seraient licenciés pendant la période allant du 28 au 31 janvier 2020.

11

Ce même 17 janvier 2020, la procédure de consultation du comité d’entreprise, agissant en tant que représentant des travailleurs, a été engagée. Dans le cadre de cette consultation, les informations visées à l’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), de la directive 98/59 ont été communiquées au comité d’entreprise par écrit. Il est toutefois constant qu’aucune copie de cette communication écrite n’a été transmise à l’autorité publique compétente, en l’occurrence l’Agentur für Arbeit Osnabrück (agence pour l’emploi d’Osnabrück, Allemagne).

12

Le 22 janvier 2020, le comité d’entreprise, dans son avis final, a constaté qu’il ne voyait aucune possibilité d’éviter les licenciements envisagés.

13

Le 23 janvier 2020, conformément à la loi sur la protection contre le licenciement abusif et à l’article 3 de la directive 98/59, le projet de licenciement collectif a été notifié à l’agence publique pour l’emploi d’Osnabrück, qui en a accusé réception le 27 janvier 2020. Par la suite, cette dernière a fixé pour les 28 et 29 janvier 2020 des rendez-vous de conseil pour 153 travailleurs concernés par le projet de licenciement.

14

Par lettre reçue le 28 janvier 2020, le requérant au principal a été informé que son contrat de travail avec G GmbH était résilié avec effet au 30 avril 2020.

15

Le requérant au principal a introduit un recours devant le tribunal du travail compétent afin de faire constater l’absence de résiliation de sa relation de travail. À l’appui de son recours, il a fait valoir qu’aucune copie de la communication adressée au comité d’entreprise le 17 janvier 2020 n’avait été transmise à l’agence publique pour l’emploi compétente, alors que cette transmission, imposée tant par l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 que par l’article 17, paragraphe 3, de la loi sur la protection contre le licenciement abusif, constituait une condition de validité du licenciement.

16

De son côté, le défendeur au principal a soutenu que le licenciement en question était valide dès lors que l’article 17, paragraphe 3, de la loi sur la protection contre le licenciement abusif, à la différence d’autres dispositions de ce même article, n’avait pas pour objet de protéger les travailleurs concernés par un licenciement collectif ou d’éviter les licenciements. Selon le défendeur au principal, la transmission à l’agence publique pour l’emploi concernée de la copie de la communication au comité d’entreprise, prévue par cette disposition, aurait uniquement pour finalité d’informer cette agence des licenciements envisagés. Cette transmission ne serait pas de nature à pouvoir protéger les travailleurs concernés à l’égard d’un licenciement collectif dès lors que l’agence publique pour l’emploi ne pourrait pas déduire de cette communication les possibilités envisagées par le comité d’entreprise pour éviter les licenciements projetés et la transmission de la copie de ladite communication n’aurait aucune influence sur les consultations entre l’employeur et le comité d’entreprise.

17

Le recours du requérant au principal ayant été rejeté tant en première instance qu’en deuxième instance, ce dernier a introduit un recours en Revision devant le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), la juridiction de renvoi.

18

Cette juridiction estime que le fait que l’agence publique pour l’emploi n’a pas reçu une copie de la communication adressée au comité d’entreprise dans le cadre de la consultation de ce dernier constitue une violation de l’article 17, paragraphe 3, de la loi sur la protection contre le licenciement abusif, qui transpose l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 en droit national. Toutefois, ni cette directive ni le droit national ne prévoiraient de sanction explicite pour une telle violation. Ladite juridiction considère que, dans de tels cas, il lui incombe de veiller, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, à ce que les violations du droit de l’Union soient sanctionnées selon des règles de fond et de procédure analogues à celles applicables aux violations du droit national de même nature et de même gravité et que la sanction soit effective, proportionnée et dissuasive. En application de ces principes, la même juridiction aurait déjà jugé à plusieurs reprises que les violations d’obligations incombant à l’employeur dans le cadre des licenciements collectifs, autres que celle prévue à l’article 17, paragraphe 3, de la loi sur la protection contre le licenciement abusif, entraînent, en raison de la protection des travailleurs qu’elles visent à assurer, la nullité du licenciement en vertu de l’article 134 du BGB.

19

S’agissant d’une violation de l’article 17, paragraphe 3, de la loi sur la protection contre le licenciement abusif, la juridiction de renvoi émet, toutefois, des doutes quant au fait que cette violation puisse également entraîner une telle nullité. En effet, pour qu’une telle disposition puisse être considérée comme une loi d’interdiction au sens de l’article 134 du BGB, il serait nécessaire de déterminer si ledit article 17, paragraphe 3, a pour finalité de conférer une protection individuelle aux travailleurs concernés par une procédure de licenciements collectifs, ce qui requerrait, par voie de conséquence, d’interpréter l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59.

20

À cet égard, la juridiction de renvoi estime que la finalité de cette dernière disposition pourrait, eu égard à l’objectif de protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs poursuivi par la directive 98/59, être de promouvoir l’action conjointe de l’employeur, de l’autorité responsable de la notification des licenciements collectifs et des représentants des salariés. Or, cette finalité exigerait que l’autorité compétente soit informée le plus tôt possible du projet de licenciement d’un grand nombre de travailleurs. Dans cette perspective, l’article 2, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la directive 98/59 pourrait être interprété comme accordant une protection individuelle aux travailleurs concernés.

21

Selon la juridiction de renvoi, il existerait cependant également des arguments en faveur de la thèse inverse. Elle observe à cet égard que la procédure de consultation précède la notification du licenciement collectif de sorte que l’envoi de la communication au comité d’entreprise au début du processus de consultation ne peut encore avoir de véritable influence sur l’activité de placement de l’administration du travail. La directive 98/59 n’associerait l’intervention de l’autorité compétente qu’à la notification par l’employeur du projet de licenciement collectif conformément à son article 3, paragraphe 1. En revanche, au moment où doit intervenir la transmission prévue à l’article 2, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la directive 98/59 qui précède cette notification, à savoir avant la fin des consultations avec les travailleurs, il ne serait pas encore définitivement établi si des travailleurs arriveront sur le marché du travail, le cas échéant combien et à quel moment, ni quels travailleurs seront concernés. Dans cette perspective, cette dernière disposition ne revêtirait qu’un caractère procédural et la violation de celle-ci telle que transposée en droit allemand, même en tenant compte des principes d’équivalence et d’effectivité, n’entraînerait donc pas la nullité du licenciement du travailleur individuel concerné par le licenciement collectif.

22

Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Quelle est la finalité de l’article 2, paragraphe 3, [second] alinéa, de la directive [98/59], selon lequel l’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, sous b), i) à v) ? »

Sur la question préjudicielle

23

Ainsi qu’il ressort des précisions contenues aux points 16 à 21 du présent arrêt, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la finalité de l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 qui oblige l’employeur à transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, sous b), i) à v), de cet article. Ce faisant, cette juridiction cherche à déterminer quelles conséquences juridiques sont susceptibles de s’attacher, en droit national et eu égard aux principes d’effectivité et d’équivalence, à une violation de cette obligation en l’absence de précisions à cet égard dans cette directive.

24

Par sa question, la juridiction de renvoi demande dès lors, en substance, si l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens que l’obligation incombant à l’employeur de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus à l’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), i) à v), de cette directive a pour finalité de conférer une protection individuelle aux travailleurs concernés par des licenciements collectifs.

25

En vue de répondre à cette question, il convient, d’abord, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation (arrêt du 2 septembre 2021, CRCAM, C‑337/20, EU:C:2021:671, point 31 et jurisprudence citée).

26

S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59, aux termes duquel l’« employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à v) », force est de constater que celui-ci ne comporte pas d’éléments propres à éclairer la finalité de l’obligation de transmission prévue par cette disposition.

27

Il convient donc, en deuxième lieu, d’examiner le contexte dans lequel s’inscrit l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59.

28

À cet égard, d’une part, il importe de relever que cette disposition figure non pas dans la section III de cette directive, intitulée « Procédure de licenciement collectif », mais dans la section II de ladite directive, intitulée « Information et consultation », qui, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de la même directive, régit la procédure de consultation des représentants des travailleurs lorsqu’un employeur envisage d’effectuer un licenciement collectif. Ainsi, la transmission des informations prévues à l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 doit intervenir à un stade où des licenciements collectifs sont simplement « envisagés » et où la procédure de consultation des représentants des travailleurs ne fait que commencer et n’est pas encore achevée.

29

Conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 98/59, l’objectif des consultations avec les représentants des travailleurs est d’éviter des résiliations de contrats de travail ou d’en réduire le nombre ainsi que d’en atténuer les conséquences. En outre, la raison d’être et l’efficacité de ces consultations supposent que soient arrêtés les facteurs pertinents à prendre en compte au cours de celles-ci (arrêt du 10 septembre 2009, Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., C‑44/08, EU:C:2009:533, point 46).

30

La Cour a par ailleurs précisé que les renseignements visés à l’article 2, paragraphe 3, sous b), de la directive 98/59 peuvent être communiqués lors des consultations et non nécessairement au moment de l’ouverture de la procédure les organisant, une certaine souplesse étant indispensable eu égard au fait, notamment, que l’objectif de cette obligation de l’employeur est de permettre aux représentants des travailleurs de participer au processus de consultation aussi complètement et effectivement que possible et que, pour ce faire, toutes nouvelles informations pertinentes doivent être fournies jusqu’au dernier moment dudit processus (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., C‑44/08, EU:C:2009:533, points 52 et 53).

31

Il s’ensuit que les renseignements que l’employeur a l’obligation de fournir aux représentants des travailleurs sont susceptibles d’évoluer et de changer dans le temps afin de mettre ces derniers en mesure de formuler des propositions constructives (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a., C‑44/08, EU:C:2009:533, point 51).

32

Il découle de ce qui précède que la transmission d’informations visée à l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 ne permet à l’autorité publique compétente que de se faire une idée des motifs du projet de licenciement, du nombre et des catégories des travailleurs à licencier, du nombre et des catégories des travailleurs habituellement employés, de la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer des licenciements, et des critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations nationales et/ou les pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur.

33

Cette autorité ne peut dès lors se fier entièrement à ces informations afin de préparer des mesures qui relèvent de ses compétences en cas de licenciement collectif.

34

D’autre part, il convient de relever que, au cours de la procédure de consultation des représentants des travailleurs, aucun rôle actif n’est conféré à l’autorité publique compétente. En effet, l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 ne la désigne que comme destinataire d’une copie des éléments de la communication écrite prévus à son paragraphe 3, premier alinéa, sous b), i) à v), alors que les articles 3 et 4 de ladite directive, qui figurent dans la section III de celle-ci, intitulée « Procédure de licenciement collectif », lui attribuent un tel rôle actif.

35

Ainsi, les articles 3 et 4 de la directive 98/59 prévoient que les projets de licenciements collectifs doivent être notifiés à l’autorité publique compétente et que de tels licenciements ne peuvent prendre effet qu’au terme d’un certain délai que cette autorité doit mettre à profit pour chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs ainsi envisagés (arrêt du21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 40). Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 34 de ses conclusions, ladite obligation de notification doit permettre à l’autorité publique compétente d’explorer, sur la base de l’ensemble des informations qui lui sont transmises par l’employeur, les possibilités de limiter, par des mesures adaptées aux données caractérisant le marché de l’emploi et l’activité économique dans lesquels s’inscrivent ces licenciements collectifs, les conséquences négatives desdits licenciements. En revanche, la transmission à cette même autorité de la copie des renseignements, visée à l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de cette directive, ne déclenche pas de délai devant être respecté par l’employeur ni ne génère d’obligation dans le chef de l’autorité publique compétente.

36

Dès lors, la transmission d’informations à l’autorité publique compétente, visée à l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59, intervient uniquement à des fins informatives et préparatoires pour que l’autorité publique compétente puisse, le cas échéant, exercer efficacement ses prérogatives prévues à l’article 4 de cette directive. Ainsi, la finalité de l’obligation de transmission d’informations à l’autorité publique compétente est de lui permettre d’anticiper autant que faire se peut les conséquences négatives de licenciements collectifs envisagés afin de pouvoir chercher efficacement des solutions aux problèmes posés par ces licenciements lorsqu’ils lui seront notifiés.

37

Au vu de la finalité de cette transmission d’informations et du fait qu’elle intervient à un stade où les licenciements collectifs sont seulement envisagés par l’employeur, l’action de l’autorité publique compétente n’a pas vocation, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions, à traiter la situation individuelle de chacun des travailleurs mais vise à appréhender de manière globale les licenciements collectifs envisagés. Il a d’ailleurs déjà été jugé par la Cour que le droit d’information et de consultation prévu à l’article 2 de la directive 98/59 est conçu au bénéfice des travailleurs en tant que collectivité et possède une nature collective (arrêt du 6 juillet 2009, Mono Car Styling, C‑12/08, EU:C:2009:466, point 42). Il s’ensuit que l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de cette directive confère aux travailleurs une protection collective et non individuelle.

38

S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif principal de la directive 98/59, celui-ci corrobore le constat figurant au point précédent. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que cet objectif consiste à faire précéder les licenciements collectifs d’une consultation des représentants des travailleurs et de l’information de l’autorité publique compétente (arrêt du 17 mars 2021, Consulmarketing, C‑652/19, EU:C:2021:208, point 40 et jurisprudence citée). Or, au stade de la consultation des représentants des travailleurs, laquelle porte, ainsi que le rappelle l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences, cette information de l’autorité publique compétente est assurée par l’article 2, paragraphe 3, de ladite directive.

39

Pour ce qui est, en quatrième lieu, de la genèse de l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59, il y a lieu de rappeler, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 37 de ses conclusions, que la directive 98/59 a procédé à la refonte de la directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO 1975, L 48, p. 29). Or, il ressort des travaux préparatoires à cette dernière directive que l’obligation de transmission à l’autorité publique compétente des renseignements fournis aux représentants des travailleurs, figurant à son article 2, paragraphe 3, second alinéa, a été proposée parce qu’une telle obligation a été jugée utile afin de permettre aux autorités compétentes de prendre immédiatement connaissance d’une situation susceptible d’avoir une incidence cruciale sur le marché du travail et de se préparer aux mesures éventuellement nécessaires (document 754/74 du Conseil).

40

Il s’ensuit que la genèse de l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 corrobore également le constat selon lequel l’obligation de transmission des renseignements visée à cette disposition est prévue aux fins informatives et préparatoires rappelées au point 36 du présent arrêt.

41

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens que l’obligation incombant à l’employeur de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus à l’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), i) à v), de cette directive n’a pas pour finalité de conférer une protection individuelle aux travailleurs concernés par des licenciements collectifs.

Sur les dépens

42

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

L’article 2, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

l’obligation incombant à l’employeur de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus à l’article 2, paragraphe 3, premier alinéa, sous b), i) à v), de cette directive n’a pas pour finalité de conférer une protection individuelle aux travailleurs concernés par des licenciements collectifs.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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