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Document 62022CJ0057

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 12 octobre 2023.
    YQ contre Ředitelství silnic a dálnic ČR.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Nejvyšší soud.
    Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Article 7, paragraphe 1 – Droit au congé annuel payé – Travailleur illégalement licencié et réintégré par décision judiciaire dans ses fonctions – Exclusion du droit au congé annuel payé non pris pour la période comprise entre le licenciement et la réintégration – Période comprise entre la date du licenciement et la date de la réintégration –.
    Affaire C-57/22.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:770

     ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

    12 octobre 2023 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Article 7, paragraphe 1 – Droit au congé annuel payé – Travailleur illégalement licencié et réintégré par décision judiciaire dans ses fonctions – Exclusion du droit au congé annuel payé non pris pour la période comprise entre le licenciement et la réintégration – Période comprise entre la date du licenciement et la date de la réintégration – »

    Dans l’affaire C‑57/22,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque), par décision du 6 décembre 2021, parvenue à la Cour le 28 janvier 2022, dans la procédure

    YQ

    contre

    Ředitelství silnic a dálnic ČR,

    LA COUR (sixième chambre),

    composée de M. P. G. Xuereb, faisant fonction de président de chambre, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

    avocat général : M. J. Richard de la Tour,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour YQ, par Me Z. Odehnal, advokát,

    pour le Ředitelství silnic a dálnic ČR, par Me L. Smejkal, advokát,

    pour la Commission européenne, par Mmes P. Němečková et D. Recchia, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant YQ au Ředitelství silnic a dálnic ČR (Direction des routes et des autoroutes de la République tchèque, ci-après la « ŘSD») au sujet du refus de lui octroyer une indemnité financière pour des jours de congé annuel non pris.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    L’article 7 de la directive 2003/88, intitulé « Congé annuel », dispose :

    « 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

    2.   La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

    Le droit tchèque

    4

    L’article 69 du zákon č. 262/2006 Sb., zákoník práce (loi no 262/2006, portant code du travail), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code du travail »), prévoit :

    « (1)   Si un employeur a licencié non valablement un employé ou mis fin non valablement à la relation de travail avec celui-ci, immédiatement ou pendant la période d’essai, et que l’employé a notifié par écrit à l’employeur, sans retard injustifié, qu’il insiste pour que celui-ci continue à l’employer, sa relation de travail se poursuit et l’employeur est tenu de lui payer une compensation de rémunération ou de salaire. La compensation visée à la première phrase est due à l’employé à concurrence de son salaire moyen, et ce à partir de la date à laquelle il a notifié à l’employeur qu’il insiste pour continuer à travailler jusqu’au moment où l’employeur lui permet de continuer à travailler ou qu’il est valablement mis fin à la relation de travail.

    (2)   Si la période totale pour laquelle un employé devrait avoir droit à une compensation de rémunération ou de salaire dépasse six mois, le tribunal peut, à la demande de l’employeur, réduire proportionnellement l’obligation pour celui-ci de payer une compensation de rémunération ou de salaire pour le reste de la période ; aux fins de sa décision, le tribunal tient compte, en particulier, du point de savoir si l’employé a, dans l’intervalle, été employé ailleurs, du travail qu’il y a effectué et de la rémunération qu’il a obtenue ou de la raison pour laquelle il n’a pas recommencé à travailler. »

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    5

    YQ, qui était employée par la ŘSDdans le cadre d’un contrat de travail conclu le 23 juin 2009, s’est vu notifier, le 23 octobre 2013, un préavis de licenciement.

    6

    À la suite de l’invalidation de ce préavis de licenciement par un arrêt du Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque) du 20 décembre 2016, devenu définitif le 10 janvier 2017, YQ a repris son travail au sein de la ŘSDen vertu de son contrat de travail.

    7

    La juridiction de renvoi relève que, au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 10 janvier 2017, YQ, qui avait notifié par écrit à son employeur sa volonté de travailler, ne s’est vu confier aucun travail par celui-ci.

    8

    À la suite de sa réintégration, YQ a saisi la ŘSD d’une demande tendant à ce qu’elle puisse prendre, pendant les mois de juillet à septembre 2017, ses congés annuels non pris au titre de la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 10 janvier 2017. La ŘSD a refusé d’accéder à cette demande au motif que YQ n’avait pas travaillé durant cette période. En dépit de ce refus, YQ ne s’est pas présentée à son poste de travail au cours des jours du mois de juillet 2017 pour lesquels elle avait notifié sa demande de congé. En conséquence, son employeur l’a licenciée le 9 août 2017 au motif d’absences non autorisées.

    9

    YQ a introduit un recours devant le Městský soud v Brně (tribunal municipal de Brno, République tchèque) tendant à ce que la ŘSD soit condamnée à lui verser la somme de 55552 couronnes tchèques (CZK), majorée d’intérêts de retard, en compensation de rémunération pour les jours de congé au titre de la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 10 janvier 2017. Ce recours a été rejeté par jugement du 4 octobre 2019. À la suite de l’appel interjeté par YQ, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno) a confirmé ce jugement par un arrêt du 6 octobre 2020.

    10

    La juridiction de renvoi est saisie d’un pourvoi contre cet arrêt.

    11

    Cette juridiction fait observer que, en vertu du droit national applicable, la période durant laquelle le licenciement de l’employé fait l’objet d’une contestation portée devant les tribunaux est régie par un régime spécial figurant aux articles 69 à 72 du code du travail, dont il ressort que, pendant la période considérée, l’employé n’a droit ni à une compensation de rémunération en cas d’obstacle au travail ni à une telle compensation pour congés non pris.

    12

    Ladite juridiction ajoute que, dans le cas où la résiliation de la relation de travail a été jugée invalide, il ressort de la jurisprudence nationale que l’employé a droit à une compensation de rémunération, à concurrence de son salaire moyen, pendant toute la durée de la procédure juridictionnelle concernant la validité de cette résiliation, lorsque celui-ci a notifié par écrit à l’employeur son intention de poursuivre la relation de travail, sans que ne lui soit confiée de tâche. Après l’expiration d’une période de six mois, le juge national peut procéder à une réduction de la compensation de rémunération conformément au droit applicable que si, après avoir apprécié toutes les circonstances de l’affaire, il peut être conclu que l’employé a commencé ou pouvait commencer un travail auprès d’un autre employeur à des conditions essentiellement équivalentes ou même plus favorables que celles dont il aurait bénéficié pour l’exercice de son travail en vertu du contrat de travail si l’employeur avait rempli son obligation de lui confier le travail convenu.

    13

    La même juridiction précise encore qu’il ressort d’une jurisprudence nationale constante que l’employé a également droit à la réparation du préjudice subi en raison de l’invalidation du licenciement afin qu’il soit placé, à tout le moins au titre de la compensation pécuniaire, dans une situation dans laquelle il se trouverait si la relation de travail n’avait pas été interrompue. Néanmoins, l’employé n’ayant pas travaillé de manière effective pendant la période comprise entre la notification de sa volonté de travailler et l’invalidation de son licenciement, l’acquisition de droits à congé annuel payé durant cette période ne lui serait pas reconnue.

    14

    Selon la juridiction de renvoi, cette jurisprudence nationale semble, à première vue, en contradiction avec l’arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca (C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504), aux termes duquel la Cour a jugé que l’article 7 de la directive 2003/88 s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et celle de sa réintégration dans son emploi.

    15

    Toutefois, la juridiction de renvoi relève qu’il existe des différences entre la législation nationale en cause dans cet arrêt et la législation tchèque en cause au principal, de telle sorte que la solution retenue dans ledit arrêt ne serait pas transposable au litige au principal. En effet, alors que la réglementation bulgare en cause dans l’arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca (C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504), prévoyait, d’une part, le paiement de la rémunération brute pour le travail pendant une période de seulement six mois et, d’autre part, le paiement de la seule différence entre les rémunérations que le travailleur a obtenues pendant la période considérée dans une autre relation de travail et les rémunérations dues dans le cadre de la relation de travail à laquelle il a été irrégulièrement mis fin, la réglementation tchèque accorderait en principe ce paiement dans toute son étendue et pour toute la période, sous réserve des limitations visées au point 12 du présent arrêt. Ainsi, selon la juridiction de renvoi, l’application à l’affaire au principal de la solution retenue dans cet arrêt aurait pour effet de créer un déséquilibre au détriment des intérêts de l’employeur.

    16

    C’est dans ces conditions que le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

    « L’article 7, paragraphe 1, de la directive [2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur, et ce également dans le cas où le travailleur illégalement licencié, qui a notifié par écrit, sans retard injustifié, à l’employeur qu’il insiste pour que l’employeur continue à l’employer, a droit, en vertu de la réglementation nationale, à une compensation de rémunération ou de salaire égale à sa rémunération moyenne, et ce à compter du jour où il a notifié à l’employeur qu’il insiste sur la poursuite de l’emploi jusqu’au moment où l’employeur lui permet de continuer à travailler ou qu’il est valablement mis fin à la relation de travail ? »

    Sur la question préjudicielle

    Sur l’applicabilité de la directive 2003/88

    17

    À titre liminaire, la Commission émet des doutes quant à l’applicabilité rationae materiae de la directive 2003/88 au litige au principal au motif qu’il ressortirait de la présentation du cadre juridique national que, même dans le cas où une décision judiciaire constate l’illégalité d’un licenciement, la période comprise entre la date de ce licenciement et celle de la réintégration de l’intéressé n’est pas pour autant considérée rétroactivement comme faisant partie de la période d’emploi de cette personne auprès de l’employeur concerné.

    18

    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence bien établie que la directive 2003/88 a pour objectif de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des dispositions nationales concernant notamment la durée du temps de travail (arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

    19

    La directive 2003/88 n’étant dès lors applicable qu’aux travailleurs, il convient de déterminer si une personne physique telle que la requérante au principal peut être considérée comme étant un « travailleur », au sens de celle-ci.

    20

    Selon une jurisprudence constante, aux fins de l’application de la directive 2003/88, la notion de « travailleur » ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux, mais revêt une portée autonome propre au droit de l’Union. Elle doit être définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et des devoirs des personnes concernées. Or, la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle reçoit une rémunération (arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

    21

    Il s’ensuit qu’une relation de travail suppose l’existence d’un lien de subordination entre le travailleur et son employeur. L’existence d’un tel lien doit être appréciée dans chaque cas particulier en fonction de tous les éléments et de toutes les circonstances caractérisant les relations entre les parties (arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

    22

    En l’occurrence, d’une part, il ressort de la description du cadre juridique national figurant dans la décision de renvoi, notamment de l’article 69, paragraphe 1, du code du travail, que, si un employeur a licencié non valablement un employé ou mis fin non valablement à la relation de travail avec celui-ci, immédiatement ou pendant la période d’essai, et que l’employé a notifié par écrit à l’employeur, sans retard injustifié, qu’il insiste pour que celui-ci continue à l’employer, sa relation de travail se poursuit.

    23

    D’autre part, il résulte du cadre factuel de l’affaire au principal, tel que décrit dans la décision de renvoi, que YQ a conclu un contrat avec la ŘSD le 23 juin 2009 et que, à la suite de l’invalidation, le 10 janvier 2017, du préavis de licenciement qui lui avait été notifié le 23 octobre 2013, elle a repris son travail en vertu du contrat de travail initialement conclu.

    24

    Eu égard à ces considérations, il y a lieu de considérer qu’une personne physique telle que YQ doit être considérée comme étant un « travailleur », au sens de la directive 2003/88, de sorte que cette directive lui est applicable.

    Sur le fond

    25

    Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur dès lors que ce dernier ne lui a pas confié de travail et qu’il bénéficie déjà, conformément au droit national, d’une compensation de rémunération pendant ladite période.

    26

    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 8 juin 2023, Fastweb e.a. (Périodicités de facturation), C‑468/20, EU:C:2023:447, point 52 ainsi que jurisprudence citée].

    27

    En premier lieu, en ce qui concerne les termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, celui-ci dispose que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. Ce droit au congé annuel payé doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 2003/88 elle-même (arrêt du 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C‑518/20 et C‑727/20, EU:C:2022:707, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

    28

    En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, il convient de relever, tout d’abord, que le droit au congé annuel payé revêt, en sa qualité de principe du droit social de l’Union, non seulement une importance particulière, mais qu’il est aussi expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (arrêt du 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C‑518/20 et C‑727/20, EU:C:2022:707, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

    29

    Ainsi, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 reflète et concrétise le droit fondamental à une période annuelle de congés payés, consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux. En effet, tandis que cette dernière disposition garantit le droit de tout travailleur à une période annuelle de congés payés, la première disposition met en œuvre ce principe en fixant la durée de ladite période (arrêt du 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C‑518/20 et C‑727/20, EU:C:2022:707, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

    30

    Ensuite, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le droit au congé annuel payé ne saurait être interprété de manière restrictive (arrêt du 25 novembre 2021, job-medium, C‑233/20, EU:C:2021:960, point 26 et jurisprudence citée), et toute dérogation à ce droit ne saurait être permise que dans les limites expressément énoncées par la directive 2003/88 elle-même (voir, en ce sens, arrêt du 6 avril 2006, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑124/05, EU:C:2006:244, point 28 et jurisprudence citée).

    31

    Enfin, il ressort des termes de la directive 2003/88 et de la jurisprudence de la Cour que, s’il appartient aux États membres de définir les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, ils sont tenus de s’abstenir de subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même dudit droit qui résulte directement de cette directive [arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 50 ainsi que jurisprudence citée].

    32

    En troisième lieu, en ce qui concerne les objectifs de la réglementation en cause au principal, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel, consacré à l’article 7 de la directive 2003/88, a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d’une part, et disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part (arrêt du 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C‑518/20 et C‑727/20, EU:C:2022:707, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

    33

    Cette finalité, qui distingue le droit au congé annuel payé d’autres types de congés poursuivant des finalités différentes, est toutefois fondée, ainsi que la Cour l’a rappelé, sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence. En effet, l’objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88, le bénéfice d’une période de repos, de détente et de loisirs. Partant, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

    34

    Cela étant, dans certaines situations spécifiques dans lesquelles le travailleur est incapable de remplir ses fonctions, le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé (arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504, point 59 ainsi que jurisprudence citée).

    35

    Tel est le cas lorsqu’un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas, au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de sa réintégration dans son emploi, été mis en mesure d’accomplir un travail effectif au service de son employeur (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504, point 70).

    36

    En effet, le fait que le travailleur concerné n’ait pas, pendant la période comprise entre la date de son licenciement illégal et la date de sa réintégration dans son emploi, accompli un travail effectif au service de son employeur résulte des actes de ce dernier ayant abouti au licenciement illégal, actes sans lesquels ledit travailleur aurait été en mesure de travailler et d’exercer son droit au congé annuel (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504, point 68).

    37

    Il s’ensuit que la période comprise entre la date du licenciement illégal du travailleur et la date de sa réintégration dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé (arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504, point 69).

    38

    À cet égard, il convient de rappeler qu’il incombe à l’employeur de veiller à mettre le travailleur en mesure d’exercer le droit au congé annuel. En effet, contrairement à une situation de cumul de droits au congé annuel payé d’un travailleur empêché de prendre lesdits congés pour raison de maladie, l’employeur qui ne met pas un travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé doit en assumer les conséquences (arrêt du 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C‑518/20 et C‑727/20, EU:C:2022:707, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

    39

    Partant, les États membres ne peuvent déroger au droit consacré à l’article 7 de la directive 2003/88, selon lequel un droit au congé annuel payé acquis ne peut s’éteindre à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national, lorsque le travailleur n’a pas été mis en mesure de prendre ses congés (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C‑518/20 et C‑727/20, EU:C:2022:707, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

    40

    La juridiction de renvoi fait néanmoins observer que, à la différence de la réglementation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca (C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504), la réglementation tchèque accorde en principe le paiement de la rémunération brute dans toute son étendue et pour toute la période, sous réserve des limitations visées au point 12 du présent arrêt. Selon ladite juridiction, suivre la solution dégagée dans cet arrêt aurait pour effet de créer un déséquilibre au détriment des intérêts de l’employeur.

    41

    À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la directive 2003/88 traite le droit au congé annuel et celui à l’obtention d’un paiement à ce titre comme constituant deux volets d’un droit unique. L’objectif de l’exigence de payer ce congé est de placer le travailleur, lors dudit congé, dans une situation qui est, s’agissant du salaire, comparable aux périodes de travail (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 35 et jurisprudence citée).

    42

    Le droit au congé annuel comporte ainsi également un droit à l’obtention d’un paiement ainsi que, en tant que droit consubstantiel à ce droit au congé annuel payé, le droit à une indemnité financière au titre de congés annuels non pris lors de la cessation de la relation de travail (arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, point 58), la Cour ayant précisé à ce dernier égard que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ne pose aucune condition à l’ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d’une part, que la relation de travail a pris fin et, d’autre part, que le travailleur n’a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin (arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C‑619/16, EU:C:2018:872, point 31).

    43

    Il s’ensuit qu’est dépourvue de pertinence, aux fins du droit au congé annuel payé, la circonstance que le montant de la compensation de rémunération dont le droit national prévoit le versement au travailleur licencié illégalement au titre de la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration correspond, en principe, au salaire moyen que ce travailleur percevait, dès lors que cette compensation de rémunération a pour finalité d’indemniser le travailleur pour la rémunération non perçue en raison du licenciement illégal.

    44

    Au demeurant, ainsi qu’il a été relevé aux points 30 et 31 du présent arrêt, le droit au congé annuel payé, qui résulte directement de la directive 2003/88, ne saurait être interprété de manière restrictive, le travailleur devant être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, de sorte qu’il est nécessaire d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits (arrêt du 2 mars 2023, MÁV-START, C‑477/21, EU:C:2023:140, point 36 et jurisprudence citée).

    45

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur dès lors que ce dernier ne lui a pas confié de travail et qu’il bénéficie déjà, conformément au droit national, d’une compensation de rémunération pendant ladite période.

    Sur les dépens

    46

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

     

    L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur dès lors que ce dernier ne lui a pas confié de travail et qu’il bénéficie déjà, conformément au droit national, d’une compensation de rémunération pendant ladite période.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.

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