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Document 62022CC0316

Conclusions de l'avocat général M. N. Emiliou, présentées le 16 novembre 2023.
Gabel Industria Tessile SpA et Canavesi SpA contre A2A Energia SpA e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale di Como.
Renvoi préjudiciel – Directive 2008/118/CE – Article 1er, paragraphe 2 – Droits d’accise – Électricité – Réglementation nationale instituant une taxe supplémentaire à l’accise sur l’énergie électrique – Absence de fins spécifiques – Taxe supplémentaire considérée comme étant contraire à la directive 2008/118/CE par les juridictions nationales – Récupération par le consommateur final de la taxe indûment payée auprès du seul fournisseur – Article 288 TFUE – Effet direct – Principe d’effectivité.
Affaire C-316/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:885

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 16 novembre 2023 ( 1 )

Affaire C‑316/22

Gabel Industria Tessile SpA,

Canavesi SpA

contre

A2A Energia SpA,

Energit SpA,

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli

en présence de :

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Como (tribunal de Côme, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Article 288 TFUE – Effet direct des directives – Effet direct horizontal – Effet direct vertical – “Test” Foster – Entités considérées comme une émanation de l’État – Directive 2008/118/CE – Fournisseur d’électricité – Remboursement de taxes perçues en violation du droit de l’Union – Autonomie procédurale – Principe d’effectivité »

I. Introduction

1.

Peu de questions ont autant fasciné des générations entières de juristes de l’Union que celle de l’effet direct des directives. Cette question a donné lieu à d’amples discussions et, dans une certaine mesure, à de grandes controverses, tant au sein des institutions de l’Union que dans les milieux académiques, depuis les années 1960 ( 2 ) jusqu’à aujourd’hui ( 3 ).

2.

Par le passé, un certain nombre d’éminents avocats généraux ont conseillé à la Cour de reconnaître non seulement l’effet direct vertical, mais aussi l’effet direct horizontal des directives non transposées ( 4 ), en vue de « guérir », du moins en partie, l’ordre juridique de l’Union de ce qui a été qualifié, dans un célèbre article, de « maladie infantile » du droit de l’Union ( 5 ). Néanmoins, la jurisprudence de la Cour est restée assez stable sur ce point. Depuis les arrêts Marshall et Faccini Dori, la Cour a constamment jugé qu’une directive ne peut pas par elle‑même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l’encontre de ce particulier ( 6 ).

3.

Parallèlement, toutefois, la Cour a tenté de tempérer, de plusieurs manières, les effets négatifs que l’absence d’effet direct horizontal des directives est susceptible de produire à l’égard des particuliers. En particulier, la Cour a i) institué pour les juridictions et autorités nationales l’obligation d’interpréter le droit national, dans la mesure du possible, conformément aux dispositions des directives non transposées ( 7 ) ; ii) fait une interprétation large de la notion d’« État membre » et de ses émanations dans ce domaine, afin de couvrir une variété d’organismes et d’entités devant recevoir une telle qualification ( 8 ) ; iii) accepté l’effet direct dans certaines situations triangulaires particulières impliquant deux parties privées et une partie publique ( 9 ) ; iv) accepté l’effet direct de certaines dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de certains principes généraux du droit, dont les dispositions d’une directive peuvent être une manifestation ( 10 ), et v) assoupli les conditions pour obtenir gain de cause dans les recours en responsabilité contre les États membres qui n’ont pas transposé les directives ( 11 ).

4.

La présente affaire offre à la Cour l’occasion de procéder à une réflexion générale sur l’état du droit en la matière et de clarifier davantage certains aspects de sa jurisprudence.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

5.

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE ( 12 ), applicable à l’époque des faits au principal ( 13 ), disposait :

« Les États membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes [autres que l’accise] sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation [de l’Union] applicables à l’accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, ces règles n’incluant pas les dispositions relatives aux exonérations. »

B.   Le droit italien

6.

L’article 5 du Decreto Legislativo n. 26, Attuazione della direttiva 2003/96/CE che ristruttura il quadro comunitario per la tassazione dei prodotti energetici e dell’elettricità [décret législatif no 26 mettant en œuvre la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51)], du 2 février 2007 ( 14 ), a modifié l’article 6 du Decreto Legge n. 511, Disposizioni urgenti in materia di finanza regionale e locale (décret-loi no 511 portant dispositions urgentes en matière de finances régionales et locales), du 28 novembre 1988 ( 15 ), en instaurant une taxe provinciale supplémentaire s’ajoutant à l’accise sur l’énergie électrique (ci-après la « taxe supplémentaire »).

7.

L’article 2 du Decreto Legislativo n. 23, Disposizioni in materia di federalismo fiscale municipale (décret législatif no 23 portant dispositions relatives au fédéralisme fiscal municipal), du 14 mars 2011 ( 16 ), disposait que, à partir de 2012, la taxe supplémentaire cessait d’être appliquée dans les régions à statut ordinaire. Par la suite, l’article 4 du Decreto Legge n. 16, Disposizioni urgenti in materia di semplificazioni tributarie, di efficientamento e potenziamento delle procedure di accertamento (décret-loi no 16 portant dispositions urgentes en matière de simplification fiscale, d’amélioration de l’efficacité et de renforcement des procédures de contrôle), du 2 mars 2012 ( 17 ), a entièrement abrogé la taxe supplémentaire à compter du 1er avril 2012.

8.

L’article 14 du Decreto Legislativo n. 504, Testo Unico Accise (décret législatif no 504 portant texte unique en matière d’accises, ci-après le « décret législatif no 504/1995 »), du 26 octobre 1995 ( 18 ), dispose, en son paragraphe I, que « [l]’accise est remboursée lorsqu’il s’avère qu’elle a été indûment payée », en son paragraphe II, que « [l]e remboursement doit être demandé, sous peine de déchéance, dans un délai de deux ans à compter de la date du paiement ou de la date à laquelle le droit s’y rapportant peut être exercé » et, en son paragraphe IV, que « [s]i, à l’issue d’une procédure judiciaire, l’assujetti à l’accise est condamné à restituer à des tiers les sommes indûment perçues au titre de la répercussion de l’accise, le remboursement est demandé par ledit assujetti, sous peine de déchéance, dans un délai de 90 jours à compter de la date à laquelle le jugement imposant le remboursement des sommes devient définitif ».

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

9.

Les requérantes au principal, à savoir Gabel Industria Tessile SpA et Canavesi SpA, sont deux sociétés qui ont chacune conclu avec l’une des défenderesses, à savoir A2A Energia SpA. et Energit SpA., un contrat pour la fourniture d’électricité à leurs sites de production, et leur ont payé la contrepartie due, incluant les sommes réclamées au cours de la période 2010‑2011 au titre de la taxe supplémentaire.

10.

En 2020, les requérantes ont assigné les défenderesses devant le Tribunale di Como (tribunal de Côme, Italie), en vue d’obtenir le remboursement des sommes payées au titre de la taxe supplémentaire au motif que les dispositions nationales instaurant cette taxe étaient incompatibles avec le droit de l’Union.

11.

Le Tribunale di Como (tribunal de Côme) indique que, à la suite des arrêts Undis Servizi et Messer France ( 19 ), la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) a jugé que la taxe supplémentaire était contraire à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118.

12.

Le Tribunale di Como (tribunal de Côme) ajoute que le litige au principal s’inscrit dans un ensemble de litiges pendants relatifs au sort des sommes indûment payées pendant la période comprise entre l’expiration du délai accordé aux États membres pour se conformer à la directive 2008/118 et la fin de l’application de la taxe supplémentaire ordonnée par le législateur italien. À cet égard, les juridictions inférieures italiennes ont adopté deux approches différentes.

13.

Selon la première approche, il convient de rejeter les recours dans la mesure où, étant donné que les défenderesses sont des entreprises privées, le fait de laisser inappliquées les dispositions nationales pertinentes reviendrait à reconnaître un effet direct horizontal aux dispositions de la directive 2008/118. La juridiction de renvoi souligne que le fait de laisser inappliquées les dispositions nationales aurait pour effet de créer une obligation nouvelle à la charge de particuliers, consistant à rembourser à l’utilisateur final les sommes perçues au titre des taxes illégales. En revanche, selon la seconde approche, il convient de faire droit aux recours, puisque, si j’ai bien compris, le principe d’effectivité pourrait obliger les juridictions nationales à appliquer les dispositions d’une directive non transposée, même dans le cadre d’un litige entre particuliers.

14.

Ainsi, éprouvant des doutes quant à l’interprétation des dispositions et principes pertinents du droit de l’Union, le Tribunale di Como (tribunal de Côme) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

D’une manière générale, le système des sources de droit de l’Union européenne et, plus particulièrement, l’article 288, troisième alinéa, TFUE s’opposent-ils à ce que la juridiction nationale écarte, dans un litige entre des particuliers, l’application d’une disposition de droit interne contraire à une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive non transposée ou mal transposée, avec pour conséquence d’imposer une obligation supplémentaire à un particulier, lorsque cela correspond, dans le régime de droit national [...], à la condition préalable pour que ce dernier puisse faire valoir à l’encontre de l’État les droits qui lui sont conférés par cette directive ?

2)

Le principe d’effectivité s’oppose-t-il à une disposition de droit national [...] qui ne permet pas au consommateur final de demander directement à l’État le remboursement de la taxe indue, mais lui reconnaît seulement le droit d’intenter une action civile en répétition de l’indu contre l’assujetti, seul sujet habilité à obtenir le remboursement de la part de l’Administration fiscale, lorsque l’unique motif d’illégalité de la taxe – à savoir la contrariété à une directive [de l’Union] – ne peut être invoqué que dans le cadre de la relation entre l’assujetti et l’Administration fiscale, mais pas dans le cadre de la relation entre l’assujetti et le consommateur final, faisant ainsi obstacle, en pratique, à l’effectivité du remboursement, ou faut-il reconnaître, pour assurer le respect de ce principe, dans un tel cas, le droit d’action directe du consommateur final à l’encontre du Trésor, en tant que cas d’impossibilité ou de difficulté excessive à obtenir du fournisseur le remboursement de la taxe indûment payée ? »

15.

Le 17 mai 2023, la Cour a adressé à la juridiction de renvoi une demande d’éclaircissements, portant sur les procédures nationales de remboursement des taxes indues, à laquelle il a été répondu par lettre du 31 mai 2023.

16.

Des observations écrites ont été déposées par le gouvernement espagnol et la Commission européenne, qui ont également été entendus en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue le 13 septembre 2023.

IV. Analyse

A.   Sur la première question préjudicielle : l’effet horizontal et l’effet vertical des directives

17.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale écarte, dans un litige opposant deux particuliers, l’application d’une disposition de droit interne contraire à une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive non transposée, quand bien même cela serait nécessaire pour que le requérant puisse faire valoir les droits qui lui sont conférés par cette directive.

18.

À première vue, la réponse à une telle question serait, pour les raisons expliquées dans la suite des présentes conclusions, assez simple. Toutefois, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi a entendu soulever un certain nombre de problèmes relatifs à l’effet direct des directives, qui vont au-delà de la question prise au pied de la lettre. Je tenterai donc, dans les sections suivantes, de traiter l’ensemble de ces questions.

1. L’effet direct horizontal des directives en droit de l’Union et en droit national

19.

Pour commencer, j’aborderai le point expressément soulevé dans la première question préjudicielle, qui est celui de savoir si une juridiction nationale est autorisée à appliquer les dispositions d’une directive non transposée dans un litige entre particuliers.

20.

Dans un arrêt récent concernant les dispositions d’une directive non transposée, la Cour a tout d’abord confirmé qu’« une juridiction nationale n’est pas tenue, sur le seul fondement du droit de l’Union, de laisser inappliquée une disposition de son droit national contraire à une disposition du droit de l’Union si cette dernière disposition est dépourvue d’effet direct ». La Cour a ensuite précisé qu’un tel principe est « sans préjudice toutefois de la possibilité, pour cette juridiction, ainsi que pour toute autorité administrative nationale compétente, d’écarter, sur le fondement du droit interne, toute disposition du droit national contraire à une disposition du droit de l’Union dépourvue d’un tel effet » ( 20 ).

21.

Cela signifie, tout simplement, que le droit de l’Union n’impose pas aux juridictions nationales d’écarter l’application de dispositions nationales contraires à des dispositions du droit de l’Union dépourvues d’effet direct dans des litiges entre particuliers, mais qu’il ne s’oppose pas non plus à ce que les juridictions nationales puissent le faire, si le droit national le prévoit. En d’autres termes, les juridictions nationales peuvent donner aux directives un effet direct horizontal sur le fondement du droit national.

22.

Lors de l’audience, le gouvernement espagnol s’est opposé à cette thèse au motif qu’elle introduirait une certaine forme d’inégalité entre les particuliers.

23.

Néanmoins, je pense qu’il n’en est rien. C’est au contraire le défaut de transposition des directives qui crée des situations d’inégalité i) au niveau de l’Union, dès lors que la jouissance des droits conférés aux particuliers par le droit de l’Union dépend, par exemple, de l’État membre dans lequel ceux-ci vivent ou travaillent, et ii) au niveau national, entre, d’une part, les particuliers qui peuvent faire valoir leurs droits parce qu’ils agissent à l’encontre d’entités publiques et, d’autre part, les particuliers qui, bien qu’invoquant les mêmes règles de l’Union, ne peuvent pas faire valoir leurs droits parce qu’ils agissent à l’encontre d’entités privées. Ainsi, l’application horizontale des directives non transposées, si elle était permise par le droit national, éliminerait une source de différenciation injuste ( 21 ). Plus généralement, cela renforcerait également l’effectivité (l’effet utile) des directives concernées.

24.

En effet, je ne vois aucune raison valable d’interpréter le droit de l’Union en ce sens qu’il fait obstacle à ce que l’ordre juridique interne d’un État membre poursuive une mise en œuvre plus complète et effective de dispositions de l’Union qui auraient eu une portée générale ( 22 ) si cet État membre n’avait pas été défaillant.

25.

Cela étant dit, si une juridiction nationale n’est pas en mesure d’accorder un effet direct horizontal aux directives sur le fondement du droit national, comme je l’ai déjà indiqué, le droit de l’Union ne le lui impose pas. Cela soulève la question de savoir si la Cour doit reconsidérer sa jurisprudence en la matière.

2. La règle générale : l’absence d’effet direct horizontal obligatoire des directives

26.

À mon avis, il serait peu utile de débattre de la question de savoir si la Cour doit reconsidérer sa jurisprudence en la matière.

27.

Il existe incontestablement de bons arguments tant en faveur qu’en défaveur de la reconnaissance de l’effet direct horizontal des directives. Toutefois, malgré la complexité de la question, dont le traitement approprié exigerait une analyse juridique approfondie, l’on peut facilement avoir l’impression que tout ce qui devait être dit l’a déjà été ( 23 ).

28.

En ce qui me concerne, je me contenterai, d’une part, de reconnaître la force des arguments avancés par le passé par les avocats généraux à l’encontre du « caractère exceptionnel » des directives. Ils ont estimé qu’il existait d’excellentes raisons de principe d’attribuer un effet direct aux directives sans aucune distinction fondée sur le statut de la partie défenderesse. De l’avis de ces avocats généraux, cela permettrait, notamment, i) d’éliminer les nombreuses incohérences résultant de l’évolution progressive de la jurisprudence en la matière ; ii) d’empêcher les juridictions nationales de recourir à des interprétations douteuses du droit national afin de garantir la conformité avec le droit de l’Union ; iii) de renforcer le droit des particuliers à un recours effectif et, plus généralement, de renforcer l’effectivité du droit de l’Union, ainsi que iv) d’éviter la discrimination entre particuliers et de garantir des conditions de concurrence égales entre entreprises publiques et privées ( 24 ).

29.

D’autre part, je dois toutefois admettre que plusieurs arguments plaident en défaveur de la reconnaissance de l’effet direct horizontal des directives. L’article 288 TFUE opère une distinction incontestable entre les différents instruments qui y figurent. À la différence d’un règlement, « obligatoire dans tous ses éléments et [...] directement applicable dans tout État membre », une directive a vocation à « lie[r] tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». J’estime donc que la jurisprudence de la Cour vise principalement à préserver les caractéristiques particulières ( 25 ) et l’importance de nature constitutionnelle ( 26 ) de cette forme de législation, qui reflète l’élément « fédéral » de l’ordre juridique de l’Union ( 27 ).

30.

Il est vrai que, en 2023, l’ordre juridique de l’Union est bien différent de celui dans le cadre duquel la Cour a rendu ses arrêts Marshall et Faccini Dori ( 28 ). En effet, les traités d’Amsterdam, de Nice et, surtout, de Lisbonne ont considérablement modifié le paysage institutionnel et constitutionnel du droit de l’Union. Néanmoins, il me semble que les modifications apportées à (ce qui est devenu) l’article 288 TFUE – compte tenu des discussions spécifiques qui ont eu lieu au cours de la Convention sur l’avenir de l’Europe (2002‑2003) ( 29 ) et des conférences intergouvernementales ultérieures ( 30 ) – ne permettent pas d’étayer l’idée selon laquelle les rédacteurs des traités ont entendu modifier la distinction fondamentale entre règlements et directives.

31.

Ainsi, à la lumière de la jurisprudence très récente sur ce point, y compris celle de la grande chambre ( 31 ), je doute que la Cour soit encline à reconsidérer sa jurisprudence constante en la matière, et encore moins à opérer un revirement de celle-ci. Il me semble que, du moins pour le moment – et pour utiliser une expression tennistique –, la balle est dans le camp des États membres. En effet, la jurisprudence de la Cour en la matière est claire et connue de ces derniers, et, si la situation ne les satisfait pas, ils peuvent y remédier en modifiant les traités ( 32 ).

32.

Cela étant dit, le fait que le droit de l’Union n’impose pas aux juridictions nationales de reconnaître l’effet direct horizontal des directives serait sans incidence sur la procédure au principal s’il était considéré que les litiges impliquent une partie privée (le consommateur) et une entité qui a agi en tant qu’émanation de l’État (le fournisseur). Bien que cette question n’ait pas été expressément soulevée par la juridiction de renvoi, elle a été débattue au cours de la procédure devant la Cour.

3. L’effet direct vertical et la notion d’« État membre »

33.

Depuis les arrêts van Duyn et Ratti ( 33 ), la Cour a constamment jugé qu’il serait incompatible avec l’effet contraignant que (ce qui est devenu) l’article 288 TFUE reconnaît à la directive d’exclure que des particuliers puissent invoquer les obligations qu’un tel instrument impose aux États membres. En particulier, la Cour a jugé qu’il ne saurait être permis aux États membres de tirer profit de leur propre défaut de transposition d’une directive ( 34 ). En conséquence, les particuliers peuvent valablement invoquer, au soutien de leurs prétentions ou de leur défense, les dispositions claires, précises et inconditionnelles des directives non transposées, dans le cadre de litiges avec les autorités de l’État membre en défaut de transposition (effet direct vertical).

34.

Au fil des ans, la Cour a précisé que ce qui précède est vrai indépendamment de la qualité précise en laquelle l’autorité publique agit (en tant qu’employeur ou autorité publique) et de la question de savoir si cette autorité porte une quelconque responsabilité effective pour le défaut de mise en œuvre de la directive en question par l’État membre ( 35 ).

35.

Plus important encore aux fins de la présente affaire, la Cour a consacré une interprétation large de la notion d’« État membre » dans ce contexte. Selon une jurisprudence bien établie, des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive peuvent être invoquées par les justiciables à l’encontre d’organismes ou d’entités devant être assimilés à l’État « soit parce qu’ils sont des personnes morales de droit public faisant partie de l’État au sens large », soit, lorsqu’ils sont régis par le droit privé, « parce qu’ils sont soumis à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique » ou, subsidiairement, « parce qu’ils ont été chargés, par une telle autorité, d’exercer une mission d’intérêt public et ont été dotés, à cet effet, de pouvoirs exorbitants » (le « “test” Foster ») ( 36 ).

36.

Dans la présente affaire, il ressort du dossier que les défenderesses au principal ne sont pas des organismes de droit public. Toutefois, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si celles-ci relèvent de l’une ou l’autre catégorie de personnes de droit privé ( 37 ). Il en est ainsi non seulement parce que la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour procéder à une telle appréciation, mais aussi, plus fondamentalement, parce que, aux fins d’une juste appréciation, il peut s’avérer nécessaire d’interpréter des dispositions ou des principes du droit national.

37.

Afin d’éclairer la juridiction de renvoi, j’exposerai quelques brèves considérations sur le type d’appréciation que cette juridiction doit effectuer.

38.

En principe, je suis d’accord avec le gouvernement espagnol sur le fait que déterminer si une entité donnée satisfait au « test » Foster requiert normalement une appréciation au cas par cas tenant compte de toutes les circonstances pertinentes relatives à l’organisation et à l’activité de cette entité.

39.

Par exemple, pour déterminer si une entité privée est « soumise à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique », une juridiction devrait examiner la capacité de l’État à exercer, directement ou indirectement, une influence dominante sur le processus décisionnel de cette entité – si ce n’est dans le cadre de ses activités quotidiennes, du moins en ce qui concerne les choix et décisions stratégiques les plus importants.

40.

À cette fin, il semble important de prendre en considération, sur la base de la législation applicable et des règles internes de l’entité, des éléments tels que i) la structure de propriété, ii) l’existence de droits de vote ou de veto spéciaux accordés à une autre entité, iii) la composition des organes de direction et les procédures de nomination de ces derniers, iv) le type d’activités exercées, v) le ou les objectifs de l’entité et vi) le mode de financement de l’entité ( 38 ). Ainsi, le simple fait que l’État (ou une autre autorité publique) détienne une participation dans une société – tel est, me semble-t-il, le cas s’agissant des défenderesses au principal – n’est pas, en soi, déterminant pour savoir si l’État exerce un contrôle sur cette société.

41.

En ce qui concerne la question de savoir si une entité privée a été chargée, par une autorité publique, « d’exercer une mission d’intérêt public » et a été dotée, à cet effet, de « pouvoirs exorbitants », j’observe ce qui suit.

42.

Tout d’abord, la question de savoir si une entité privée doit être assimilée à l’État ne doit pas, selon moi, être appréciée (exclusivement) au regard de la nature et des activités de l’entité concernée en général. En effet, ce qui est particulièrement important, c’est de savoir si le « test » Foster est satisfait au regard de la relation même ayant donné lieu au litige en cause. En réalité, il se pourrait qu’une entité privée exerce une ou plusieurs activités d’intérêt public, pour lesquelles elle dispose de pouvoirs exorbitants, tout en exerçant d’autres activités purement commerciales et dans des conditions de concurrence normale avec d’autres entreprises ( 39 ).

43.

En outre, l’« intérêt public » et les « pouvoirs exorbitants » constituent deux éléments clairement cumulatifs, en ce sens qu’ils doivent être réunis pour qu’une entité soit considérée comme une émanation de l’État. Ces éléments doivent également être liés, en ce sens que l’entité concernée doit avoir été dotée des pouvoirs exorbitants « à [l’]effet » de lui permettre de poursuivre effectivement l’intérêt public ( 40 ).

44.

Par ailleurs, la réponse à la question de savoir quels objectifs peuvent être considérés comme poursuivis dans l’« intérêt public » variera naturellement d’un État membre à l’autre. Toutefois, cette notion reflète nécessairement l’idée que l’activité de l’entité ne doit pas être exercée exclusivement (ou principalement) au bénéfice de ses propriétaires ou de ses parties prenantes, mais au bénéfice de la société dans son ensemble. Il est également raisonnable de penser que l’attribution d’une mission de service public devrait résulter d’un acte législatif ou administratif ( 41 ).

45.

Enfin, l’existence de « pouvoirs exorbitants » doit être établie sur la base d’une comparaison entre les règles qui régissent la relation ayant donné lieu au litige en cause et celles qui régissent les relations entre particuliers. Il convient de se demander, d’une part, si, dans le cadre de leur relation, l’entité concernée et l’autre partie sont sur un pied d’égalité ou, à tout le moins, dans une situation comparable et, d’autre part, si l’entité concernée pourrait, unilatéralement, imposer certaines obligations à l’autre partie ou limiter ses droits.

46.

Je conclurai sur ce point sous un angle plus général en ajoutant que, selon moi, le « test » Foster ne saurait être appliqué de manière trop large ( 42 ). Dans le monde d’aujourd’hui, la plupart des activités économiques sont, d’une manière ou d’une autre, fortement réglementées. En outre, de nombreuses entités (telles que les organisations non gouvernementales) cherchent à atteindre des objectifs d’intérêt public, bien qu’elles ne soient aucunement liées à l’État. De même, de nombreuses entreprises sont détenues (en tout ou en partie) par l’État, sans pour autant poursuivre le moindre objectif public.

47.

Par conséquent, sauf à réduire la distinction horizontal/vertical à une simple formalité, il est crucial que les entités privées soient considérées, dans le cadre de litiges tels que ceux pendants devant la juridiction de renvoi, comme ayant agi en tant qu’émanation de l’État uniquement lorsque le contrôle « public » exercé sur ces entités ou le caractère public de leurs activités apparaissent clairement. La tentation de prendre des « raccourcis » afin d’aider les consommateurs ou de trancher de manière pragmatique et équitable des litiges qui semblent, au regard du cadre procédural applicable, trop compliqués, peut se comprendre, mais il serait en définitive peu judicieux d’y succomber.

4. La nécessité de garantir l’effectivité en tant qu’exception à la règle principale ?

48.

Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi se demande également si, dans une situation telle que celle au principal, à savoir des parties requérantes confrontées à d’importantes difficultés procédurales pour faire valoir leurs droits, le principe d’effectivité du droit de l’Union peut être interprété en ce sens qu’il impose, à titre exceptionnel, aux juridictions nationales d’appliquer les dispositions de directives non transposées même dans des litiges entre particuliers.

49.

Une telle interprétation me semble devoir être écartée. Le principe d’effectivité (entendu comme effet utile ( 43 )) a souvent été utilisé par la Cour comme un outil d’interprétation qui permet, d’une part, d’exclure des interprétations de dispositions de l’Union qui remettraient en cause leur validité, les rendraient redondantes ou aboutiraient à des résultats absurdes et, d’autre part, de privilégier les interprétations qui garantissent le « plein effet » des dispositions en cause, à savoir la capacité de réaliser l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union ( 44 ).

50.

En revanche, le principe d’effectivité ne saurait, selon moi, être utilisé comme un moyen de « maximiser » la portée et les effets d’une disposition de l’Union, au point qu’ils iraient au-delà de l’intention manifeste du législateur, ou de contourner les principes constitutionnels fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union.

51.

En outre, la création d’une exception supplémentaire ( 45 ) – et vaguement définie – à la règle de l’absence d’effet horizontal pour les cas de dernier recours (lorsque, en quelque sorte, « rien d’autre ne fonctionne ») ne ferait, selon moi, que renforcer l’insécurité juridique ( 46 ). Il s’agit d’un domaine qui, en l’état actuel du droit, est décrit par certains observateurs comme étant d’une grande complexité ( 47 ) ou manquant de cohérence ( 48 ). Force est de reconnaître que certaines critiques ne sont pas infondées. J’hésiterais donc à suggérer une extension du nombre ou de la portée des exceptions, car elle se ferait au détriment de la prévisibilité, de la cohérence et de la rigueur intellectuelle du système.

52.

Au vu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que i) le droit de l’Union n’impose pas aux juridictions nationales d’écarter l’application de dispositions nationales contraires à des dispositions du droit de l’Union dépourvues d’effet direct dans des litiges entre particuliers, mais il ne s’oppose pas à ce que les juridictions nationales puissent le faire, si le droit national le prévoit, et ii) des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive peuvent être invoquées par les justiciables à l’encontre d’organismes ou d’entités de droit privé lorsqu’ils sont soumis à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique ou, subsidiairement, lorsqu’ils ont été chargés, par une telle autorité, d’exercer une mission d’intérêt public et ont été dotés, à cet effet, de pouvoirs exorbitants.

B.   Sur la seconde question préjudicielle : l’autonomie procédurale nationale et le remboursement des taxes illégales

53.

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’effectivité s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas au consommateur final de demander directement à l’État le remboursement d’une taxe indue, mais lui reconnaît seulement le droit d’intenter une action civile en répétition de l’indu contre le fournisseur, qui a perçu la taxe pour le compte de l’État et qui est la seule entité en droit d’en obtenir le remboursement auprès de l’administration fiscale, lorsque le motif d’illégalité de la taxe est son incompatibilité avec le droit de l’Union et que ce motif ne saurait être valablement invoqué dans le cadre de l’action contre le fournisseur.

54.

Cette question est motivée par la situation spécifique en cause au principal qui, si j’ai bien compris, peut être résumée comme suit : i) les requérantes sont des consommateurs qui ont payé une taxe à un fournisseur qui l’a perçue pour le compte de l’État, cette taxe ayant été considérée, par la suite, comme incompatible avec le droit de l’Union ; ii) dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit national prévoit le remboursement des taxes indues au moyen d’une procédure en deux étapes, la première consistant, pour le consommateur, à demander le remboursement de la taxe par le fournisseur (devant une juridiction civile), ce dernier pouvant par la suite, lors de la seconde étape, demander le remboursement par l’État (devant une juridiction administrative), et iii) les consommateurs ne semblent pas pouvoir se prévaloir des dispositions de la directive 2008/118 devant la juridiction de renvoi, étant donné que la République italienne n’a pas correctement transposé cette directive et que les défenderesses semblent être des entreprises privées.

55.

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si une situation telle que celle en cause au principal doit être considérée comme une situation dans laquelle le consommateur est confronté à une difficulté excessive ou à une impossibilité d’obtenir le remboursement d’une taxe indue, ce qui pourrait ainsi justifier sa capacité à agir directement à l’encontre de l’État (plutôt qu’à l’encontre du fournisseur qui a perçu la taxe).

56.

D’emblée, je dois préciser que, malgré les éclaircissements fournis par la juridiction de renvoi en réponse à une question de la Cour, je ne saisis pas parfaitement toutes les caractéristiques du régime national de remboursement des taxes indues. Je trouve donc regrettable que ni les parties au principal ni – ce qui me semble d’autant plus regrettable – le gouvernement italien n’aient jugé bon de participer à la présente procédure.

57.

Par exemple, je me demande si deux procédures juridictionnelles sont nécessaires en toutes circonstances pour garantir que ni le consommateur ni le fournisseur n’aient à supporter la charge de la taxe indue. Une telle exigence me paraîtrait tout à fait problématique. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE, l’obligation de prendre « toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union » incombe à toutes les autorités des États membres, et pas seulement aux autorités juridictionnelles.

58.

Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Costanzo, « lorsque sont remplies les conditions requises par la jurisprudence de la Cour pour que les dispositions d’une directive puissent être invoquées par les particuliers devant les juridictions nationales, tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, [...] sont tenus de faire application de ces dispositions » ( 49 ). Selon moi, les dispositions de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles pour qu’un particulier puisse s’en prévaloir (« verticalement ») à l’encontre des autorités publiques, y compris les autorités administratives telles que les administrations fiscales.

59.

Plus important encore, je ne vois pas clairement quels sont, le cas échéant, les recours juridictionnels ouverts aux particuliers qui demandent le remboursement de taxes indues, dans l’hypothèse où la procédure ordinaire prévue à l’article 14 du décret législatif no 504/1995 s’avérerait insuffisante pour atteindre ce résultat.

60.

À cet égard, je rappelle que la Cour a constamment jugé que le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union prohibant de telles taxes. L’État membre est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union. En l’absence de réglementation de l’Union en matière de demandes de restitution de taxes, conformément au principe de l’autonomie procédurale, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles celles-ci peuvent être exercées. Toutefois, ce principe est soumis au respect des principes d’équivalence et d’effectivité. En particulier, les États membres doivent veiller à ce que les conditions d’exercice de l’action en répétition de l’indu soient telles que la charge économique des taxes puisse être neutralisée ( 50 ).

61.

Sur la base de ces principes, la Cour a jugé qu’un État membre peut, en principe, s’opposer à une demande de remboursement d’une taxe indue formulée par le consommateur final sur lequel elle a été répercutée, au motif que ce n’est pas ce consommateur qui l’a versée aux autorités fiscales. Cette faculté est subordonnée à la condition que celui-ci, qui en supporte, en définitive, la charge, puisse, en vertu du droit interne, exercer une action civile en répétition de l’indu à l’encontre du fournisseur. Toutefois, si le remboursement par le fournisseur devait s’avérer impossible ou excessivement difficile, le principe d’effectivité exigerait que le consommateur soit en mesure de diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales et que, à cet effet, l’État membre prévoie les moyens et modalités procédurales nécessaires ( 51 ).

62.

Il me semble que ces considérations sont pertinentes dans la présente affaire. Toutefois, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si les modalités procédurales nationales en cause sont telles que, dans une situation telle que celle au principal, obtenir le remboursement de la taxe indûment payée s’avère impossible ou excessivement difficile pour le consommateur.

63.

À mon sens, la condition de « difficulté excessive » ne saurait être appréciée de façon abstraite, mais doit l’être au regard de la situation spécifique de chaque requérant. Il convient de se demander si ce requérant est « contraint » de passer par une ou plusieurs procédures qui, en raison de leur complexité, de leur longueur ou de leur coût, font peser sur lui une charge déraisonnable, eu égard au montant des sommes susceptibles d’être recouvrées. Il convient en outre de se poser la question de savoir si un juriste prudent percevrait ces procédures comme accessibles (et présentant des chances raisonnables de succès), ou bien si la faisabilité de ces recours lui apparaîtrait comme incertaine.

64.

Si, à la lumière d’une telle analyse, la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion que les requérantes au principal sont effectivement confrontées à une situation d’impossibilité pratique ou de difficulté excessive, le principe d’effectivité du droit de l’Union, qui, dans un tel cas, coïncide avec le droit à un recours effectif ( 52 ), exigerait que ces consommateurs soient autorisés à agir directement à l’encontre de l’État, afin d’obtenir le remboursement de la taxe indue.

65.

Dans les procédures engagées contre l’État, les consommateurs auraient alors « deux as dans la manche ». D’une part, ils pourraient soutenir que la règle de procédure qui leur interdit d’agir directement à l’encontre de l’État doit être déclarée inapplicable pour violation du principe d’effectivité du droit de l’Union et, d’autre part, ils pourraient se prévaloir des dispositions de la directive 2008/118, étant donné que le litige est de nature « verticale ».

66.

Au vu des considérations qui précèdent, il conviendrait selon moi de répondre à la seconde question préjudicielle que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne permet pas au consommateur final de demander directement à l’État le remboursement d’une taxe imposée en violation du droit de l’Union, mais lui offre uniquement la possibilité de recouvrer cette taxe auprès du fournisseur qui l’a perçue pour le compte de l’État. Toutefois, si le remboursement par le fournisseur devait s’avérer impossible ou excessivement difficile, le principe d’effectivité exigerait que le consommateur soit en mesure de diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales.

V. Conclusion

67.

En conclusion, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunale di Como (tribunal de Côme, Italie) comme suit :

1)

Le droit de l’Union n’impose pas aux juridictions nationales d’écarter l’application de dispositions nationales contraires à des dispositions du droit de l’Union dépourvues d’effet direct dans des litiges entre particuliers, mais il ne s’oppose pas à ce que les juridictions nationales puissent le faire, si le droit national le prévoit. Toutefois, des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive peuvent être invoquées par les justiciables à l’encontre d’organismes ou d’entités de droit privé lorsqu’ils sont soumis à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique ou, subsidiairement, lorsqu’ils ont été chargés, par une telle autorité, d’exercer une mission d’intérêt public et ont été dotés, à cet effet, de pouvoirs exorbitants.

2)

Le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne permet pas au consommateur final de demander directement à l’État le remboursement d’une taxe imposée en violation du droit de l’Union, mais lui offre uniquement la possibilité de recouvrer cette taxe auprès du fournisseur qui l’a perçue pour le compte de l’État. Toutefois, si le remboursement par le fournisseur devait s’avérer impossible ou excessivement difficile, le principe d’effectivité exigerait que le consommateur soit en mesure de diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Voir, avec de nombreuses références aux documents d’époque, Rasmussen, M., « How to enforce European law ? A new history of the battle over the direct effect of Directives, 1958‑1987 », European Law Journal, 2017, p. 290.

( 3 ) Pour une contribution très récente en la matière, voir Bobek, M., « Why Is It Better to Treat Every Provision of a Directive as a (Horizontally) Directly Effective One », International Journal of Comparative Labour Law and Industrial Relations, 2023, p. 1.

( 4 ) Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Marshall (C‑271/91, non publiées, EU:C:1993:30, point 12), conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:45, points 43 à 73), et conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Vaneetveld (C‑316/93, EU:C:1994:32, points 18 à 34). Voir, également, obiter dicta dans les conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:492, point 150), et conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2018:614, point 145).

( 5 ) Pescatore, P., « The doctrine of “direct effect” : An infant disease of community law », European Law Review, 1983, p. 155.

( 6 ) Arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 48), et du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 20). Plus récemment, voir arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin (C‑261/20, EU:C:2022:33, point 32).

( 7 ) Voir, notamment, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 110 à 118).

( 8 ) Voir points 35 à 47 des présentes conclusions.

( 9 ) Voir, en particulier, arrêts du 30 avril 1996, CIA Security International (C‑194/94, EU:C:1996:172), et du 28 janvier 1999, Unilever (C‑77/97, EU:C:1999:30).

( 10 ) Voir, notamment, arrêts du 22 novembre 2005, Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709, points 75 à 77), et du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth (C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, points 80 à 91).

( 11 ) Voir, par exemple, arrêt du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a. (C‑178/94, C‑179/94 et C‑188/94 à C‑190/94, EU:C:1996:375, point 27). Voir, également, arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 27). Sur cette question, voir, cependant, Szpunar, M., Direct Effect of Community Directives in National Courts – Some Remarks Concerning Recent Developments, Centre européen de Natolin, 2003, p. 4.

( 12 ) JO 2009, L 9, p. 12.

( 13 ) La directive 2008/118 n’est plus en vigueur, elle a été abrogée par la directive (UE) 2020/262 du Conseil, du 19 décembre 2019, établissant le régime général d’accise (JO 2020, L 58, p. 4).

( 14 ) GURI no 68, du 22 mars 2007.

( 15 ) GURI no 280, du 29 novembre 1988.

( 16 ) GURI no 67, du 23 mars 2011.

( 17 ) GURI no 52, du 2 mars 2012.

( 18 ) GURI no 279, du 29 novembre 1995.

( 19 ) Arrêts du 8 décembre 2016, Undis Servizi (C‑553/15, EU:C:2016:935), et du 25 juillet 2018, Messer France (C‑103/17, EU:C:2018:587).

( 20 ) Arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin (C‑261/20, EU:C:2022:33, point 33) (mise en italique par mes soins).

( 21 ) En fait, selon la jurisprudence, les dispositions d’une directive peuvent être invoquées « à l’encontre [d’un] État [...], quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique » (mise en italique par mes soins). Voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 49), et du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C‑188/89, EU:C:1990:313, point 17).

( 22 ) En effet, si l’une des raisons de refuser l’effet direct horizontal des directives est de préserver la marge de manœuvre des États membres dans la transposition de certaines règles de l’Union en droit national (voir point 29 des présentes conclusions), l’on peut raisonnablement penser que les États membres peuvent librement renoncer à cette prérogative.

( 23 ) Voir Koutrakos, P., « Is there more to say about the direct effect of directives ? », European Law Review, 2018, p. 621.

( 24 ) Voir conclusions des avocats généraux citées à la note en bas de page 4 des présentes conclusions.

( 25 ) En effet, si l’on reconnaissait l’effet direct horizontal des directives, il ne subsisterait manifestement plus de différence significative entre cet instrument et les règlements.

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2019, Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43, point 72 et jurisprudence citée) : « En effet, étendre l’invocabilité des directives non transposées, ou incorrectement transposées, au domaine des rapports entre les particuliers reviendrait à reconnaître à l’Union le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements. »

( 27 ) Voir Dickon, J., « Directives in EU Legal Systems : Whose Norms Are They Anyway ? », European Law Journal, 2011, p. 190.

( 28 ) Arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84), et du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292).

( 29 ) Voir, notamment, rapport final du groupe de travail IX « Simplification », 29 novembre 2002, CONV 424/02, p. 3 à 6, et Piris, J.-C., The Constitution for Europe – A Legal Analysis, Cambridge University Press, 2006, p. 70 à 73.

( 30 ) Voir, par exemple, Piris, J.-C., The Lisbon Treaty – A Legal and Political Analysis, Cambridge University Press, 2010, p. 92 à 94.

( 31 ) Voir arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin (C‑261/20, EU:C:2022:33, point 32). Voir, également, arrêts du 7 août 2018, Smith (C‑122/17, EU:C:2018:631, point 42), et du 22 janvier 2019, Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43, point 72).

( 32 ) Comme ils l’ont fait en modifiant (ce qui est devenu) l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, après le prononcé des arrêts du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, EU:C:2002:462), et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C‑263/02 P, EU:C:2004:210).

( 33 ) Arrêts du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133), et du 5 avril 1979, Ratti (148/78, EU:C:1979:110).

( 34 ) Conformément au principe de l’estoppel (ou nemo potest venire contra factum proprium).

( 35 ) Voir jurisprudence citée à la note en bas de page 21 des présentes conclusions.

( 36 ) Voir, notamment, arrêts du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C‑188/89, EU:C:1990:313, point 18), et du 10 octobre 2017, Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:745, points 33 à 35).

( 37 ) Voir, par exemple, arrêts du 14 septembre 2000, Collino et Chiappero (C‑343/98, EU:C:2000:441, point 24) ; du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 40), et du 12 décembre 2013, Portgás (C‑425/12, EU:C:2013:829, point 31).

( 38 ) Voir, par analogie, arrêts du 24 novembre 1982, Commission/Irlande (249/81, EU:C:1982:402, points 10 à 15) ; du 16 mai 2002, France/Commission (C‑482/99, EU:C:2002:294, point 55), et du 5 novembre 2002, Commission/Allemagne (C‑325/00, EU:C:2002:633, points 14 à 21). Voir, également, conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Foster e.a. (C‑188/89, EU:C:1990:188, point 21).

( 39 ) Dans le même sens, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:492, point 141).

( 40 ) Conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:492, point 49).

( 41 ) Conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:492, points 143 à 146).

( 42 ) Voir, dans le même sens, analyse effectuée dans les conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Portgás (C‑425/12, EU:C:2013:623, points 35 à 44).

( 43 ) Je traiterai de l’« effectivité » entendue comme « recours effectif » dans le cadre de l’examen de la seconde question préjudicielle.

( 44 ) Voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2001, Italie/Commission (C‑403/99, EU:C:2001:507, points 27, 28 et 37), ainsi que du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 95).

( 45 ) Je me réfère à la jurisprudence relative à l’effet horizontal dit « incident des directives », citée au point 3 des présentes conclusions.

( 46 ) Sur la nécessité de concilier l’effet utile avec la sécurité juridique dans ce domaine, voir Skouris, V., « Effet Utile versus Legal Certainty : The Case Law of the Court of Justice on the Direct Effect of Directives », European Business Law Review, 2006, p. 241.

( 47 ) Voir Craig, P., « The Legal Effect of Directives : Policy, Rules and Exceptions », European Law Review, 2009, p. 376 et 377, ainsi que Bobek, M., « Why Is It Better to Treat Every Provision of a Directive as a (Horizontally) Directly Effective One », International Journal of Comparative Labour Law and Industrial Relations, 2023, p. 10.

( 48 ) Voir, par exemple, commentaires de la rédaction, « Horizontal direct effect – A law of diminishing coherence ? », Common Market Law Review, 2006, p. 1, et Dashwood, A., « From Van Duyn to Mangold via Marshall : Reducing Direct Effect to Absurdity ? », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 2007, p. 81.

( 49 ) Arrêt du 22 juin 1989 (103/88, EU:C:1989:256, point 31) (mise en italique par mes soins).

( 50 ) Voir, notamment, arrêt du 20 octobre 2011, Danfoss et Sauer-Danfoss (C‑94/10, EU:C:2011:674, points 20 à 25 et jurisprudence citée).

( 51 ) Arrêt du 20 octobre 2011, Danfoss et Sauer-Danfoss (C‑94/10, EU:C:2011:674, points 27 et 28). Voir, également, arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C‑35/05, EU:C:2007:167, points 41 et 42).

( 52 ) Sur cette question, voir, abondamment, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire An tAire Talmhaíochta Bia agus Mara e.a. (C‑64/20, EU:C:2021:14, points 38 à 46 et jurisprudence citée).

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